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Archives Mensuelles: octobre 2018

Deuxième article du jour : Quand les gauches s’effondrent…

31 mercredi Oct 2018

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The Conversation

  1. Michel Wieviorka

    Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Sorbonne Paris Cité apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.

Fondation Maison des Sciences de l'Homme

 

A Rio, le 28 octobre 2018, un partisan du nouveau président Jair Bolsonaro brandit un cercueil symbolique du Parti des Travailleurs. Mauro Pimentel/ AFP

Dans son histoire des origines de la Première Guerre mondiale, Christopher Clark évoque « les somnambules », ces chefs d’État et autres responsables politiques inconscients avançant gaillardement vers le désastre pour, croyaient-ils, ne pas céder aux provocations du camp adverse.

Quelques années plus tôt, un autre historien, George Mosse, montre (dans « La brutalisation des sociétés européennes ») comment la même Première Guerre mondiale a engendré un phénomène de banalisation de la violence et de « brutalisation » massive, préparée par des décennies d’une colonisation elle-même brutale, et débouchant sur une culture politique ouverte au nationalisme et le fascisme.

Dans Crashed, Adam Tooze suggère avec force que la crise financière de 2008, qui a failli déboucher sur une catastrophe planétaire, est la matrice de bien des bouleversements du monde contemporain. Les acteurs en cause, ici, appartiennent à divers univers, à commencer par ceux de la finance et de l’économie.

Irresponsabilité, inconséquence, banalisation du mal… Sommes-nous une fois de plus à la veille d’un cataclysme mondial, et incapables de penser le chaos qui se profile ? Le nationalisme, l’autoritarisme, l’extrémisme que nous observons dans de nombreuses démocraties n’appellent-ils pas une réflexion renouvelée, ouverte aux leçons de l’histoire ?

Une première entrée dans une telle réflexion consiste à considérer un phénomène spectaculaire : l’effondrement de la gauche.

Celle-ci est en perdition, du moins si l’on en juge par les scores électoraux. Le phénomène est mondial, mais cela ne veut pas dire qu’il revête partout le même sens, ou les mêmes formes. Une explication générale doit donc s’atteler à mettre au jour ce qui unit les modalités distinctes de cette déroute, au-delà des spécificités locales. Celles-ci ne manquent pas.

Brésil, Pologne : échec et dégoût

Au Brésil, le dégoût vis-à-vis de la classe politique, et plus particulièrement du Parti des Travailleurs, corrompu en profondeur, s’est emparé de la population qui a basculé à l’extrême droite. Celle-ci promet aussi de mettre fin à l’insécurité et à la violence, et de relancer l’économie, mal en point. Mais toutes les gauches ne sont pas corrompues, et l’écœurement brésilien correspond à un cas-limite.

La violence et l’insécurité sont ailleurs au cœur de programmes susceptibles de séduire l’électorat sans être pour autant d’extrême droite : on l’a vu au Mexique, où Andrés Manuel Lopez Obrador a été récemment élu président, là aussi nettement, sans avoir quoi que ce soit à voir avec les orientations de Jair Bolsonaro. Et les difficultés économiques ne conduisent pas partout à l’extrémisme, pas plus qu’une économie florissante ne l’empêche.

En Europe centrale post-soviétique, mieux vaut parler d’échec car ces pays sortant d’un communisme « réel » n’ont guère réussi à construire des forces de gauche durables. La relative complicité des gauches renaissantes dans les années 90 avec le néo-libéralisme doit certainement être incriminée : le cas polonais nous servira d’illustration.

Dans ce pays, comme le montre l’ouvrage lumineux de Karol Modzelewski Nous avons fait galoper l’histoire, le lien fondateur de Solidarnosc entre l’intelligentsia progressiste et les ouvriers s’est rompu, sous l’effet de la répression dès décembre 1981, et surtout ensuite. Une partie de ceux qui avaient contribué au mouvement social de 1980-1981 ont en effet opté pour la « thérapie de choc », la Pologne est sortie du communisme brutalement. Ses vieilles industries ont été liquidées, à l’image des célèbres chantiers navals de Gdansk.

Les dispositifs médiocres, mais réels, qui assuraient à peu près à tous l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, à la consommation, aux loisirs, aux crèches, etc. ont volé en éclats, et avec eux l’assurance d’un avenir sinon radieux, du moins clairement défini.

L’emploi n’a pas disparu, ni la croissance ; le taux de chômage actuel est faible, et les résultats économiques plutôt bons. Mais l’entrée dans une économie libérale et la liquidation brutale du système politique et social antérieur se soldent par un gouvernement hypernationaliste n’hésitant pas à mettre en cause la séparation des pouvoirs, au détriment notamment du judiciaire.

En Allemagne, l’affaiblissement durable du clivage gauche-droite

En Allemagne, la réunification a signifié à l’Est un changement comparable à celui de la Pologne. Puis la cohabitation de la social-démocratie avec la droite, et le fort tropisme gestionnaire et plus ou moins libéral de certains de ses courants, incarné par un Gerhardt Schroeder devenu dirigeant de Rosneft (société pétrolière russe) après avoir été chancelier à deux reprises, ont alimenté un sentiment de perte de sens au sein de classes populaires et de couches moyennes inquiètes : l’affaiblissement du clivage gauche-droite est aussi celui des perspectives permettant de se projeter vers l’avenir.

Ici, la crise économique, le chômage, n’expliquent donc pas véritablement la disparition de la gauche – ce que confirme l’examen de situations où l’économie se porte plutôt bien – en Autriche, en Norvège par exemple –, où le déclin de la gauche et la montée du national-populisme et de l’extrême droite sont patents – nous y reviendrons.

En Italie, la gauche ne fait plus rêver

En Italie, les équilibres politiques qui organisaient le pays, entre la démocratie chrétienne et le Parti communiste ont commencé à se défaire avec l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges, en 1978. Le « compromis historique » devenu impossible, le pays est entré dans une ère politique et économique marquée par les avancées, là aussi, du libéralisme et des idéologies néo-libérales.

L’impuissance et les divisions de la gauche, incapable de se remettre de l’effondrement du communisme, mais aussi du socialisme de Bettino Craxi (dont l’intermède s’est achevé dans la corruption), ont abouti pour certains de ses acteurs à une sorte de fondamentalisme communiste, et pour d’autres, là encore, à l’identification à des options économiques réformistes se réclamant de la bonne gestion.

Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur, à Rome, le 24 octobre 2018. Alberto Pizzoli/AFP

Il n’y avait plus d’avenir politique avec la gauche, alors que s’affirmait un modèle économique et social fondé sur l’individualisme et confiant dans les images de réussite incarnées par Silvio Berlusconi. Beppe Grillo avec le Mouvement 5 étoiles, est venu, sur le mode clownesque et incohérent, signifier cette perte de sens et l’effondrement de la gauche classique, plus que celui de la droite. La Ligue du Nord est passée d’un régionalisme hostile au centre et au sud et à visée indépendantiste, à un nationalisme en appelant à toute l’Italie – il est vraisemblable que son alliance avec 5 étoiles affaiblis durablement ce mouvement.

La gauche italienne a complètement cessé de faire rêver, le rêve étant plutôt alimenté par le berlusconisme qui laissait entendre à chacun qu’il pouvait faire fortune, individuellement. La décomposition morale est venue avec.

En France, une gauche qui se liquéfie

En France, où la droite s’est disloquée, la gauche s’est effondrée, le Parti socialiste suivant le Parti communiste à trente ans d’intervalle. Dans l’ensemble, la gauche n’a pas adhéré aux idéologies néo-libérales, elle a par contre accordé une grande place à la pensée économique et technocratique, croyant sous François Hollande pouvoir garder son âme, qu’elle a perdue, tout en gérant (mal) l’État. Elle n’a pas donné l’image de la corruption, en tous cas bien moins qu’ailleurs, mais ce n’est pas sous son impulsion que la société a changé.

La France conserve bien des aspects de son État-providence – en matière de santé, d’éducation ou de logement social par exemple – et il n’est pas possible de parler pour elle de passage brutal d’un modèle à un autre.

Ni corruption massive, ni réformes douloureuses : l’échec piteux de François Hollande n’en a pas moins enfanté, d’un côté, la radicalité de la France insoumise de Jean‑Luc Mélenchon et, de l’autre la présidence centriste d’Emmanuel Macron.

Entre les deux, c’est le quasi-vide, mais pas le même ressentiment. Si l’extrême droite prospère, y compris dans les décombres de la gauche classique, si les phénomènes migratoires suscitent les mêmes réactions et préjugés qu’ailleurs, la gauche a déçu, elle n’a pas trahi. Elle s’est liquéfiée, selon le vocabulaire de Zigmunt Bauman, elle disparaît, au moins pour l’instant, laissant un immense espace en jachère – car les valeurs ou les idées générales de gauche demeurent prégnantes.

Aux États-Unis, l’échec d’Hilary Clinton à l’élection présidentielle de 2016 a aussi été celui d’une gauche qui aurait plus ou moins trahi le peuple en ayant partie liée avec le monde des affaires et des médias…

On pourrait certainement continuer cet examen pays par pays. Mais, au-delà des différences, recherchons plutôt ce qui relie toutes ces expériences pour façonner le déclin planétaire de la gauche.

Gauches de gauche, gauches de droite

La gauche s’est révélée partout sans vision ni projet dans des contextes historiques de mutation, et a été plus ou moins tentée par deux impasses : la radicalité des gauches de gauche, conduisant à la marginalisation, mais aussi à la violence ou à un autoritarisme désastreux, comme au Nicaragua ou au Venezuela ; et le réformisme gestionnaire des gauches de droite déconnectées des attentes populaires.

Le phénomène s’est accéléré ces dernières années. Il avait été inauguré par la fin du communisme, au sein de l’Empire soviétique, et là où, dans les démocraties occidentales, existaient des partis communistes. Il s’est étendu avec la débâcle de la social-démocratie, en perdition y compris dans ses bastions historiques, pays scandinaves, Allemagne, sans parler du travaillisme britannique qui en fut une variante, avec un tropisme hier libéral avec Tony Blair, et aujourd’hui radical avec Jeremy Corbyn.

Que ce soit réellement, ou plus ou moins artificiellement, aussi bien le communisme que la social-démocratie se réclamaient d’un sens porté par une figure sociale, le prolétariat ouvrier qu’ils affirmaient représenter. Les ouvriers sont aujourd’hui, comme a dit Marine Le Pen, « oubliés » et « invisibles », tant la société a changé. Or sans cette référence à un acteur central de l’histoire, la gauche n’aurait jamais été ce qu’elle a été.

Les partis de gauche correspondent à une époque historique, ils sont datés. Ils s’étiolent, se déstructurent ou disparaissent parce que nous avons changé d’époque.

Ce qui n’exonère pas de leurs fautes et manquements ceux qui ont porté les couleurs de la gauche, ou qui s’efforcent encore de les porter. La corruption, dans certains cas, l’arrogance, souvent, la priorité parfois accordée à la modernisation et à un réformisme gestionnaire ou technocratique justifiant jusqu’aux purges économiques et autres thérapies de choc ont joué en plus. Et surtout, l’incapacité à proposer un sens adapté au monde contemporain et à ses périls et défis.

Perte de sens et montée des extrémismes

Le désenchantement se solde ici ou là par la violence des affects, par l’aversion et la méfiance généralisées, la montée de la xénophobie, y compris lorsque les forces concernées se rapprochent du pouvoir, ou y parviennent. Ce terrible retournement où l’extrémisme vient exprimer des passions haineuses débridées, rejette l’universalisme du droit et de la raison et l’humanisme que la gauche pouvait incarner, il les inverse dans l’immense ressentiment de ceux qui ont le sentiment d’avoir été finalement floués et prennent leur revanche.

Manifestation à Managua, capitale du Nicaragua, le 28 octobre 2018. Inti Ocon/AFP

C’est ainsi que toute position en faveur des migrants est vécue en Europe ou aux États-Unis par une large partie de la population comme une provocation insupportable et supplémentaire de la part des élites – de gauche –, qui seraient de ce point de vue au mieux naïves, et plutôt cyniques, car bien-pensantes pour autrui mais protégées, elles, de la supposée concurrence sur le marché du travail, ou de la promiscuité d’avec les migrants.

La gauche n’apporte plus de sens, de perspectives d’avenir, et l’exaspération vis-à-vis d’elle n’a cessé d’enfler, et de se retourner contre les valeurs universelles. Il faudra du temps pour inverser à nouveau la tendance.

Ainsi, l’analyse de l’effondrement de la gauche, à l’échelle mondiale, nous conduit à souligner un point majeur : la mise en cause, finalement, des valeurs universelles, ou, si l’on préfère, le rejet politique d’une modernité incarnée par une gauche qui fut émancipatrice et confiante dans la raison, qui proposait un sens, des repères, une vision progressiste de l’avenir, et est jugée finalement impuissante et plus ou moins corrompue.

Il n’est pas surprenant, dès lors, qu’un tel rejet comporte une dimension qui mérite examen : l’association fréquente du nationalisme et de l’extrémisme de droite avec des affirmations religieuses, dans des contextes qui ne sont pas nécessairement marqués par la crise ou l’échec économique pour les pouvoirs qui, éventuellement, les incarnent.

L’association religion et extrémisme de droite

En voici quelques illustrations. Au Brésil, l’extrême droite a progressé avec l’appui d’Églises évangéliques particulièrement actives et influentes, et avec celui de lobbys importants, agroalimentaires notamment, qui lui font confiance pour relancer l’économie sur un mode libéral.

Il en est de même aux États-Unis, où Donald Trump bénéficie du soutien actif de diverses Églises protestantes, en même temps qu’il conduit une politique économique qui, pour l’instant, donne des résultats lui assurant l’adhésion d’une large base politique.

Le cas d’Israël est plus complexe s’il s’agit de la religion, puisque d’un côté, du dehors, Benyamin Nétanyahou peut compter sur le soutien jusqu’ici sans faille de Donald Trump en liaison avec les Églises évangéliques ; et que, d’un autre côté, il adosse son action au messianisme sioniste de groupes religieux de plus en plus influents. Et en matière économique, là aussi, la situation du pays, pourtant contrastée, lui assure une forte adhésion de milieux dirigeants, comme d’une large partie de la population : croissance convenable, plein emploi, mais aussi, pauvreté, et inégalités criantes.

Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, le 28 octobre 2018, lors du conseil des ministres à Jérusalem. Oded Balilty/AFP

En Turquie, Recep Tayyip Erdogan a d’abord incarné le lien entre l’islam et la politique, en même temps qu’une réelle réussite économique. Inflation, chômage, déficit de la balance des paiements, etc. : la situation du pays s’est récemment dégradée, le régime a fait de plus en plus preuve d’autoritarisme et a récemment fait alliance avec les forces nationalistes d’extrême droite du MHP, le Parti d’Action nationaliste.

En Russie, le nationalisme exalté par Poutine sur fond de difficultés économiques s’adosse sur des courants orthodoxes plus ou moins orchestrés par une Église qui renaît de ses cendres sur un mode très conservateur.

En Pologne, pays qui n’a guère été affecté par la crise de 2008 et où les chiffres de l’économie demeurent bons, le nationalisme peu démocratique du régime va de pair avec un catholicisme qui retrouve ses accents réactionnaires du passé. L’antisémitisme se relance, et paradoxalement, alors que ce pays accueille des centaines de milliers d’immigrés ukrainiens, et que Londres est devenue une grande ville polonaise, le discours public est très hostile à une politique ouverte aux phénomènes migratoires de la part l’Union européenne.

On notera au passage le rapprochement stratégique troublant d’Israël avec des gouvernements antisémites en Europe, à commencer par ceux de Pologne et de Hongrie.

L’exception française

Et en France ? Saisis comme beaucoup d’autres pays par la montée des extrêmes, les différences avec eux n’en sont pourtant pas moins considérables. Le catholicisme a perdu de son importance, les nouvelles Églises protestantes sont moins présentes et influentes qu’en Amérique, du Sud comme du Nord, ou en Afrique ; la question juive n’est guère une question religieuse, elle est bien plus dominée par le rapport des Juifs de France à Israël, et si l’islam est devenu la deuxième religion du pays, il est source de débats, d’interrogations et de polémiques bien plus que d’influence politique directe.

Les Français sont très attachés à la laïcité et aux valeurs républicaines, et cet attachement s’observe sur tout l’échiquier politique, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Il y a là un point décisif : en dehors de secteurs « identitaires », relativement marginaux, le nationalisme est bien moins attaché au christianisme qu’il pouvait l’être avant la Deuxième Guerre mondiale, sa poussée s’effectue dans un contexte idéologique républicain et laïc.

Ce qui indique qu’il est moins qu’ailleurs animé par un rejet des valeurs universelles telles qu’elles ont été mises en avant par les forces politiques de la gauche et de la droite classiques. D’où peut-être aussi une autre particularité française : en France, on rencontre non pas une, mais deux grandes forces de type populiste, localisées chacune à une des deux extrémités de l’échiquier politique.

Deux extrémités peuvent-elles se rejoindre ?

Le Rassemblement national est l’héritier d’un nationalisme qui comporte des dimensions d’extrême droite et qui a su se transformer depuis l’époque fondatrice de Jean‑Marie Le Pen. Et La France insoumise capitalise des affects de gauche et d’extrême gauche sur un mode radical.

A eux deux, ces partis représentent entre 40 et 50 % de l’électorat ; l’un comme l’autre ont pris leurs distances par rapport à la pensée économique libérale ou néo-libérale, et tous deux ont des visées sociales, même si le départ de Florian Philippot a privé le Front national, devenu entre-temps Rassemblement national, d’un leader soucieux, comme avant lui Bruno Mégret, de mobiliser l’électorat sur une base sociale et pas seulement culturelle.

Mais les orientations de la France insoumise et du Rassemblement national, même si elles présentent des points communs (par exemple sur l’Europe), s’opposent plus qu’elles ne peuvent converger, sur d’importantes questions politiques et morales, comme le racisme ou la xénophobie ; elles ne permettent pas d’envisager un rapprochement conséquent – ce qui, d’une certaine façon, protège le pouvoir actuel.

On ajoutera ici qu’il n’y a pas une symétrie parfaite entre les deux extrêmes : l’électorat de celui de gauche pourrait être à terme plus ou moins happé par celui de droite, qui est plus robuste, et s’y dissoudre en perdant sa charge de classe, héritée du communisme et de la « gauche de la gauche », alors que le mouvement en sens inverse est peu vraisemblable.

Le temps de la reconstruction

Les singularités françaises sont donc sociales, religieuses et politiques, et toutes permettent d’être un peu plus optimiste – ou un peu moins pessimiste. Il n’est donc pas exclu que, finalement, la France soit plus capable que d’autres pays de résister aux tendances qui les emportent vers l’extrémisme.

Le gouvernement peut agir, et devrait sauf graves évènements imprévisibles, se maintenir aux affaires jusqu’aux prochaines élections, présidentielle et législatives en 2021- c’est une chance pour la France, qui peut éviter le pire, réfléchir et agir dans la durée.

Dans cette hypothèse, le plus urgent pour des oppositions autres que radicales n’est peut-être pas de critiquer systématiquement l’action gouvernementale, avec les extrêmes, et au bonheur des médias. Mieux vaut qu’elles se reconstruisent en vue d’échéances relativement lointaines où elles pourraient se présenter avec des idées, des visions, des projets d’avenir, des programmes, un personnel politique neuf et affûté ?

Violences scolaires : en 1883 déjà, au lycée Louis‑le‑Grand

31 mercredi Oct 2018

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The Conversation

  1. Claude Lelièvre

    Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Descartes – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Paris Descartes

 

Réputé pour son élitisme, le lycée parisien Louis-le-Grand a aussi une longue histoire, parfois mouvementée. Flickr, CC BY

Établissements huppés et punitions élevées ne sont pas des garanties contre la violence des élèves. Il existe de nombreux exemples historiques de cet état de fait, depuis le XVIIe siècle jusqu’à la période contemporaine, et j’en ai fait amplement mention dans Histoires vraies des violences à l’Ecole, publié en 2007 aux éditions Fayard. Retour sur quelques-uns de ces épisodes.

Une période historique pour l’exemple

On se contentera ici du moment « ferryste » de l’institution républicaine et laïque, précédée de la période que l’on a appelée « l’Ordre moral » (lorsque la Troisième République proclamée n’était pas encore aux mains des républicains)

On peut suivre l’une des « révoltes » les plus célèbres de ce temps-là dans le « saint des saints » des lycées de France, le lycée Louis-le Grand, à partir des rapports de son proviseur. Cela commence dans la soirée du 17 janvier 1883 par un chahut qui prend de l’ampleur suite à une injustice ressentie par les élèves. Le proviseur appelle sept agents de police et procède à l’expulsion des plus turbulents ; cinq élèves sont mis aux arrêts – au « cachot »-, ce qui a pour effet d’accentuer le désordre.

Trois cents élèves « insurgés » se rendent dans les dortoirs : les vitres, les vases de nuit, les lavabos sont cassés et jetés, les matelas sont éventrés à coups de couteau. Les agents de police, renforcés par des troupes nouvelles (ils sont alors soixante) bloquent les « émeutiers » dans un dortoir. Armés de tessons de vase et de barres de fer arrachés aux lits, les élèves se battent contre eux. Les dégâts matériels sont évalués à 20 000 francs or, soit le revenu annuel moyen de 10 enseignants. Les sanctions suivent rapidement : 89 élèves sont exclus définitivement de Louis-le-Grand et 13 autres de tous les lycées de Paris. Des mesures qui n’empêcheront toutefois pas une autre révolte, cinq ans plus tard.

Un air du temps républicain laxiste et délétère ?

Les conservateurs de l’époque mettent en cause l’air du temps délétère, voire laxiste, depuis que les républicains ont pris le pouvoir. Le journal Le Gaulois du 15 mars 1883 accuse :

« Les collégiens de Louis-le-Grand se battent contre les agents de ville. On enseigne à l’écolier qu’il a des droits, et il fait des barricades dans son dortoir pour chasser ses maîtres ; on lui défend de croire en Dieu, et il ne respecte plus personne. »

Le journal royaliste « Le Clairon » du 14 mars est encore plus direct :

« Les auteurs responsables de cette révolte sont Jules Ferry et Paul Bert qui ont eu un écho funeste dans le cerveau si facilement irritable de ces adolescents en fringale d’émancipation prématurée. »

Le 1er décembre 1882, le journal conservateur L’Abbevillois avait déjà pris prétexte d’une manifestation quelque peu débridée dans un lycée de jeunes filles de Montpellier pour s’en prendre au nouveau pouvoir républicain :

« Une directrice d’externat déplacée harangue les externes qui démolissent les barrières, brisent les vitres et vomissent des obscénités à la face de la directrice de l’internat. Elles ont beuglé la Marseillaise. Ces infantes, élevées sur les genoux de la République dans le culte des idées nouvelles que résume la formule “Ni Dieu ni Maître”, promettent de fières épouses aux infortunés crétins qui voudraient bien les honorer de leur confiance. Que de promesses, sapristi, dans les incartades de ces Louise Michel en herbe pour qui l’insurrection est déjà le plus sacré des devoirs ! »

Révoltes contre l’Ordre moral ?

En réalité, et quoi qu’en disent les conservateurs de l’époque, la plupart des révoltes lycéennes ont eu lieu soit sous la Monarchie de Juillet et l’Empire, soit surtout pendant la période de l’Ordre moral, au début des années 1870, avant même que les républicains ne triomphent dans la République. Plus d’une centaine de révoltes ont eu lieu dans les lycées de 1870 à 1888 (sur guère plus d’une centaine de lycées en France !..), ce qui atteste de l’ampleur du phénomène.

Or de 1870 à 1879 (année de la fin de l’Ordre moral et de l’avènement de la Troisième République triomphante) on comptabilise 80 révoltes lycéennes sur la centaine recensées durant la période concernée (de 1870 à 1888). Les révoltes au moment de la Troisième République triomphante sont donc en réalité très minoritaires : pour la plupart, elles ont eu lieu avant, bien avant.

Un taux de punitions très élevé

Il convient sans doute de rapprocher cette comptabilité des révoltes d’une autre comptabilité, celle des punitions, qui sont extrêmement nombreuses, massives, omniprésentes. L’exemple approfondi offert par Louis Secondy dans son Histoire du lycée de Montpellier – un lycée tout à fait ordinaire, et réservé là comme ailleurs aux « fils de famille » – est éloquent.

Pour le seul premier semestre de l’année 1877-1878, les peines infligées au lycée se détaillent ainsi : « division supérieure : 962 retenues simples, 305 privations de promenade, 54 privations de sortie, 4 exclusions (moyenne : 3,5 punitions par élèves en cinq mois). Division de grammaire : 1 102 retenues, 400 privations de promenade, 23 de sortie, 6 exclusions (moyenne : 5,3 punitions par élève). Division élémentaire : 1 400 retenues, 261 privations de promenade, 15 de sortie (moyenne : 7,3 punitions par élève).

Les révoltes sont parfois très violentes

Les révoltes sous l’Ordre moral, qui ont lieu dans des établissements secondaires n’accueillant pourtant guère alors que des « fils de famille », peuvent être très violentes. Dans un lycée marseillais, rapporte ainsi le recteur d’académie à son ministre,

« Les internes se sont rendus au cabinet où dormait le maître répétiteur, qu’ils ont frappé violemment. Profitant ensuite de ce qu’il était étourdi par les coups, ils l’ont ligoté, traîné sur le parquet et lui ont coupé à moitié la barbe. Enfin le censeur, le surveillant général, et d’autres maîtres, réveillés par le tapage sont accourus et ont réussi, non sans peine, après avoir enfoncé la porte, à rétablir l’ordre. Il était temps : les élèves avaient passé la corde au cou du maître et délibéraient s’ils le jetteraient par la fenêtre !

À Bastia, dans la nuit du 15 au 16 novembre 1874, la première division cherche à étrangler son maître et l’assaille à coups de chaise ! Le recteur reste persuadé que les élèves ont voulu le tuer. En février 1880, il suppose le même projet chez les élèves du même établissement. »

À Auch, le 14 février 1870, les lycéens de la première division se ruent sur un maître en salle d’étude et lui portent des coups violents avec des morceaux de bois. « Cette exécution terminée, sans que les efforts des maîtres présents aient pu l’empêcher ou en modérer la violence, les élèves du premier quartier sont rentrés dans leur étude et l’ordre n’a plus été troublé ».

Mais la période de l’Ordre moral – on le sait – n’a pas eu le monopole de ces révoltes violentes. On peut citer – entre autres – celle qui a bouleversé le collège d’Amiens en 1835, aux proportions assez inquiétantes. Elle commence dans une salle d’étude par des cris « À bas les maîtres ! » « Un élève armé d’un canon de fusil fait sortir le maître d’étude. Des barricades se dressent faites de bancs et de tables. Le proviseur fait enfoncer la porte. Les collégiens brûlent du papier dans les tables renversées et assaillent le proviseur de dictionnaires et morceaux de bois. Le proviseur les conjure d’éteindre le feu. En vain : il est de nouveau assailli, et, finalement, blessé. Il alors recours à la force armée – douze militaires – et aux parents qui finissent par persuader leurs enfants de se rendre

Startups frauduleuses : l’aveuglement complice des investisseurs

30 mardi Oct 2018

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The Conversation

  1. Romain Buquet

    Researcher & lecturer, entrepreneurship & engagement, ESCP Europe

  2. Louis Vuarin

    Researcher (Phd cand.) & lecturer on Organizational Behavior, ESCP Europe

ESCP Europe

 

Elizabeth Holmes, fondatrice de la startup Theranos, a construit sa gloire sur un gigantesque mensonge. Mais les investisseurs étaient-ils vraiment dupes ? Kevin Krejci, CC BY-SA

Cet article est une réaction à la contribution intitulée « Theranos, les inavouables secrets d’une start-up frauduleuse », signée d’Hervé Laroche, professeur en Stratégie, Hommes et Organisations à ESCP Europe, Christelle Théron, maître de conférences en Stratégie à Toulouse School of Management, et Véronique Steyer, maître de conférences à l’École polytechnique, et publiée le 27 septembre dernier sur notre site.

Au travers du récit de cette jeune pousse américaine qui a réussi à être valorisée jusqu’à 9 milliards de dollars malgré des produits (des tests sanguins) qui n’ont jamais fonctionné, les trois auteurs s’interrogeaient sur les ressorts de la crédulité des investisseurs.

Mais si, après tout, ces derniers n’avaient pas été dupes de l’escroquerie portée par la charismatique patronne de Theranos, Elizabeth Holmes ? C’est l’hypothèse formulée par Romain Buquet et Louis Vuarin, doctorants respectivement en Entrepreneuriat et en Comportements organisationnels à ESCP Europe, dans le texte qui suit.


À lire aussi : Theranos, les inavouables secrets d’une start-up frauduleuse


L’affaire Theranos n’en finit donc plus de surprendre. Relatée dans le dernier livre du journaliste franco-américain John Carreyou, elle ressemble de plus en plus à l’une de ces histoires dont l’on se demande a posteriori comment ses protagonistes ont pu accepter d’y participer, tant l’intrigue est incroyable et la chute rocambolesque.

Car tout est spectaculaire dans cette affaire : une start-up construite sur une folle promesse industrielle sans la moindre preuve d’une technologie efficace, une presse spécialisée subjuguée par le charisme de sa fondatrice, Elizabeth Holmes, un conseil d’administration VIP ; et surtout, des millions de dollars d’investissement engloutis avec cet appétit gargantuesque propre aux licornes de la Silicon Valley… En 2014, Theranos est valorisée 9 milliards de dollars, en septembre 2018, elle cesse toutes ses activités.

Les professeurs Laroche, Steyer et Théron voient dans cette affaire le cas d’école d’une arnaque, aux dimensions certes hors-norme, mais à la mécanique des plus typiques (dont les principaux rouages rappellent l’affaire des avions renifleurs d’Elf ou celle des faux espions de Renault). Dans ce schéma bien rodé, des victimes (les investisseurs) se font berner par des escrocs (Elizabeth Holmes et un cercle restreint de cadres dirigeants de Theranos).

Des start-uppers, des investisseurs, un objectif commun

L’originalité de leur proposition est double : d’une part, accepter l’hypothèse qu’Holmes et compères fussent au départ honnêtes, avant de basculer progressivement du côté sombre de la force, happés par l’arnaque qu’ils contribuaient à produire à leur cœur défendant. D’autre part, insister sur le rôle charnière joué par la séduction dans ce jeu de dupes ; renforcée par un travail de normalisation pour rendre crédible l’opération. Il s’agit pour ces auteurs d’inviter à une forme de prise de conscience envers la fragilité du monde économique, notamment des start-up, envers ce type d’arnaque.

Mais peut-on résumer l’intrigue à une simple – quoique spectaculaire – arnaque entre d’une part, les fondateurs d’un projet bidon et, d’autre part, des investisseurs dupés par les charmes de la sirène Holmes ? À rebours de cette vision manichéenne de l’affaire, nous faisons l’hypothèse que ces deux acteurs collaborent en réalité de manière implicite. Leur objectif commun : valoriser artificiellement l’entreprise jusqu’à la prochaine levée de fonds, amorçant une dynamique qui ressemble à s’y méprendre à une pyramide de Ponzi. Le « faire croire » porté par les entrepreneurs ne fonctionne que lorsqu’il rencontre un « vouloir croire » des investisseurs, comme le souligne l’anthropologue Nathalie Luca.

À adopter une plus large focale, ce cas apparaît en effet d’une tout autre nature. L’écosystème des start-up n’est pas seulement exposé « au risque de dérives et de malveillance » : il serait congénitalement prédisposé à accoucher de ce genre d’escroquerie. Si elle ne bat pas en brèche l’hypothèse d’un cas d’école de l’arnaque, l’approche plus systémique de l’affaire Theranos que nous développons ici rebat néanmoins les cartes entre les protagonistes : à bien des égards, la frontière entre escrocs et victimes est plus mince que le schéma d’une simple escroquerie ne le laisserait croire.

La levée de fonds perpétuelle, nouveau business model du chasseur de licorne

Le phénomène start-up, incarné par la Silicon Valley, repose sur un renversement sans précédent des méthodes de valorisation des entreprises. Dans le modèle traditionnel, la valeur des actions dépend de la capacité de l’entreprise à générer des bénéfices futurs. Or, nous observons dans les incubateurs l’apparition de nouveaux modèles économiques (scale-up…), dans lesquels, l’idée de générer du chiffre d’affaires est mise au second plan et l’entrepreneur cherche avant tout à bâtir une communauté d’utilisateurs la plus large possible. Les indicateurs clés de performance (KPIs) ne se mesurent alors plus en termes de revenus, mais d’utilisateurs mensuels réguliers (MAU) et de burn rate, littéralement la vitesse à laquelle l’argent apporté par les investisseurs est brûlé.

Nombre de projets sont ainsi rachetés par des grands groupes ou par des fonds, avant même d’avoir effectué leur première vente ! Pour les licornes, ces start-up qui ont réussi à établir la plus large base d’utilisateurs, la logique de valorisation se poursuit. Elle se radicalise même, car l’investissement dépend aussi et surtout de la capacité de la start-up à attirer de nouveaux capitaux dans le futur. Ainsi, l’intérêt d’un chasseur de licorne, c’est qu’un autre investisseur décide après lui d’investir dans la start-up. La capacité réelle de l’entreprise à générer des profits, ou même du chiffre d’affaires à court ou moyen terme passe au second plan.

Les business angels et autres corporate ventures de ce type ne cherchent donc pas des entreprises visant à faire du profit, mais des projets capables d’attirer d’autres investisseurs, que ce soit pour de bonnes raisons (un business model convaincant) ou de moins avouables. Seront notamment appréciés, pêle-mêle, un chef charismatique, une ressemblance surprenante avec quelques succès fulgurants des décennies passées, ou un discours révolutionnaire permettant de flatter l’ego et le positionnement politique des investisseurs putatifs. Bref, un bon nombre d’éléments que l’on retrouve dans l’affaire Theranos…

Escroquerie systémique

À ce jeu de dupes, les premiers arrivés sont les premiers servis, à condition qu’il y ait encore du monde pour investir par la suite. Voilà donc tous les ingrédients pour bâtir un dérivé de chaîne de Ponzi, dont la particularité est que la plupart des joueurs connaissent la magouille avant de participer. L’enjeu, c’est de ne pas se retrouver en bas de la pyramide – au bout de la chaîne.

Évidemment, plus la chaîne d’investisseurs se ramifie, au fil des levées de fonds successives, plus la rentabilité pour les premiers investisseurs s’accroît. L’escroquerie est alors systémique, chacun ayant intérêt à conserver l’illusion autour de ses investissements, mais aussi autour de ce business model bien ancré dans l’écosystème des licornes – qui peut s’avérer incroyablement rémunérateur, malgré son aspect quelque peu frauduleux.

Dans ses excès, l’industrie de la licorne made in Silicon Valley est une gigantesque bulle, qui a donc deux particularités :

  • Elle peut éclater entreprise par entreprise sans mettre en péril l’écosystème en entier – l’affaire Theranos n’a pas eu d’incidence notable sur la valorisation des autres licornes ;
  • Elle est fondée autour d’un secret de polichinelle dans la mesure où la plupart des investisseurs ont initialement plus ou moins conscience des règles faussées de ce jeu.

Certaines pratiques peuvent ainsi être à la fois tacites et publiques, comme le révèlent l’anthropologue Michael Taussig (1999), ou encore le sociologue Eviatar Zerubavel (2006)dans un ouvrage au titre évocateur : The Elephant in the Room. À vrai dire, de tels « secrets publics » peuvent même constituer le cœur de l’action inter et intra-organisationnelle (Costas et Gray, 2014 ; 2016). A ce titre, l’emploi du terme licorne, animal fantasmagorique par excellence, semble plutôt ironiquement pertinent.

Les investisseurs comme impresarios pour start-uppers dramaturges

Qui sont les escrocs, alors ? Sous cet angle, le rôle d’Holmes et de ses compères apparaît comme bien plus riche que celui de simples aigrefins… Initialement, ces derniers ne furent pas célébrés par la presse ou par les premiers investisseurs pour leur capacité à faire aboutir le projet technologique et industriel dans lequel ils s’étaient prétendument lancés, mais avant tout pour leur capacité à lever des fonds sans discontinuer.

Leur première compétence relève de la dramaturgie : faire naître l’illusion. Un jeu auquel nos malfaiteurs excellent, et dont l’assurance provocatrice aura séduit les investisseurs les plus frileux. Pour convaincre les plus averses au risque, les comparses pousseront leur art jusqu’à produire de faux rapports financiers, ou encore à exhiber quelques prototypes partiellement factices.

Il s’agit ensuite d’entretenir le spectacle, avec la complicité implicite des premiers investisseurs. En effet, une bonne dramaturgie repose non seulement sur d’excellents acteurs, mais aussi sur un public enthousiaste. Le rire, l’effroi se communiquent dans une salle de théâtre de proche en proche : une salle conquise finira souvent par séduire les plus récalcitrants. Après tout, les investisseurs sont les premiers maillons (volontaires ou non) de cet engrenage. Ils sont directement intéressés à ce qu’Holmes continue à débiter ses salades, fut-ce aux côtés de Bill Clinton. Ce qui joue également en faveur, c’est que ce qu’il reste de rationalisme critique dans cette industrie de l’audace se convertisse définitivement à l’évangélisme messianique d’une jeune femme ayant quitté Stanford à 19 ans pour créer son entreprise, et dont les parallèles avec quelques illustres divinités du Panthéon des licornes, dont Steve Jobs, ne cessent de séduire.

À bien regarder le parcours d’Elizabeth Holmes, mais aussi l’excessive confiance affichée par les jeunes pousses de nombreux incubateurs, cette théâtralité semble de plus en plus prendre le pas sur les autres talents dont les fondateurs de start-up regorgent pourtant. Et, parallèlement, le métier de business angel se déplace progressivement de l’expertise technique et financière vers un rôle d’impresarios pour start-uppers dramaturges.

Dans le monde des licornes, la frontière entre floués et escrocs est peut-être plus mince qu’elle n’y paraît, et peu ont finalement réellement intérêt à la rigidifier.

Bœuf, balles et Bible : ces puissants réseaux qui portent le candidat Bolsonaro au Brésil

29 lundi Oct 2018

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The Conversation

Bœuf, balles et Bible : ces puissants réseaux qui portent le candidat Bolsonaro au Brésil

16 octobre 2018, 22:03 CEST

Auteur

  1. Frédéric Prévot 
    Frédéric Prévot est un·e ami·e de The Conversation

    Professor of Strategy and International Business, Kedge Business School

Kedge Business School

 

Les partisans de la légalisation du port d’armes, entre autres, jouent un rôle clé dans la vie politique brésilienne. Miguel Schincariol/AFP

Après le premier tour de l’élection présidentielle au Brésil, tout laisse supposer que Jair Bolsonaro, représentant de l’extrême droite, pourrait prendre la tête de la huitième puissance économique mondiale. Le candidat, porté par près de 50 millions d’électeurs (46 % des voix), est un adepte des déclarations à la Trump qui se dit fier de ses préjugés. Cet ancien militaire est un adorateur de la dictature (qui a dirigé le pays de 1964 à 1985), dont il dit que la seule erreur a été de torturer au lieu de tuer, sans oublier toutefois de préciser que la torture est une pratique légitime. Il s’oppose fermement au mariage entre personnes du même sexe, multiplie les attaques racistes, homophobes et misogynes. Il soutient la peine de mort, combat l’immigration et lutte contre l’avortement.

Ainsi, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de sa probable arrivée au pouvoir. Mais derrière l’arbre gesticulant se cache une bien plus sombre forêt.

L’alliance des militaires, des évangélistes et des grands propriétaires terriens

L’ascension de Jair Bolsonaro jusqu’aux portes du Planalto, siège de la présidence, n’est en fait que la mise en lumière d’un mouvement de fond qui ne subit pas les vicissitudes de l’élection présidentielle. Le candidat Bolsonaro, qui a déjà changé huit fois de parti au cours de sa carrière politique, est en revanche un fidèle représentant du réseau conservateur BBB, pour « bœuf, balles et Bible ». Il est dénommé ainsi car il regroupe les parlementaires soutenant les intérêts de l’agrobusiness, des militaires ou partisans de la légalisation du port d’armes, et du mouvement religieux des puissantes églises évangélistes.

Des intérêts qui se chiffrent en milliards. Le Brésil pointe aujourd’hui au cinquième rangdes plus grands producteurs agricoles au niveau mondial. L’agriculture, locomotive actuelle d’une économie nationale à la peine, constitue le premier poste d’exportation du pays et pèse pour environ 5 % dans le PIB national.

Voilà qui confère aux propriétaires terriens un énorme pouvoir. Un pouvoir détenu entre les mains de quelques-uns seulement (la moitié de l’espace rural brésilien est occupé par seulement 2 % des propriétés !) au mépris de l’intérêt général. Ces cinquante dernières années, les besoins de terres pour l’élevage intensif de bovin notamment, a conduit à la destruction de près de 780 000 km2 de forêt amazonienne, soit près d’une fois et demi la France métropolitaine.

Les agriculteurs brésiliens ont par ailleurs triste réputation en matière d’utilisation de pesticides. Selon une étude de l’Institut National du Cancer, chaque brésilien consommerait 7,3 litres de produits toxiques tous les ans.

Quatre millions d’armes en plus entre 2005 et 2010

Pour ce qui est de la production d’armes, le secteur pèserait l’équivalent de 3,7 % dans le PIB annuel du géant latino-américain, soit environ 64 milliards de dollars. Les chiffres officiels évoquent aussi que 30 000 emplois directs et 120 000 indirects dépendent de cette industrie.

Selon d’autres chiffres cités par une journaliste mexicaine, plus de 4 millions d’armesauraient été introduites dans le pays entre 2005 et 2010, toutes fabriquées localement. Elle rappelle aussi que plus de 35 000 personnes sont tuées par balle chaque année au Brésil, trois fois plus qu’aux États-Unis.

Raz de marée conservateur

Certes, le BBB se trouverait largement renforcé avec l’élection de Bolsonaro au plus haut sommet de l’État. Mais il ne faut pas confondre les causes et les conséquences. Car le BBB, qui a joué un rôle central dans la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, est déjà le courant idéologique le plus important du pouvoir législatif depuis les élections de 2014, dont le résultat a façonné une Chambre des députés considérée comme la plus conservatrice de l’histoire du Brésil. Et ceci bien avant que le candidat d’extrême droite ne soit porté sur le devant de la scène. Les nouvelles élections de cette année ne font que renforcer la tendance.

L’élection en cours au Brésil va renouveler le pouvoir exécutif, le président (élu pour quatre ans), ainsi que les représentants du pouvoir législatif au Congrès national, composé de la Chambre des députés (élus pour quatre ans) et du Sénat (mandat de huit ans). Les 513 sièges de députés et 54 des 81 sièges du Sénat sont en jeu.

Évolution de la composition de la Chambre des députés depuis 2010. Globo.com

L’influence politique au Congrès s’exprime au travers de bancadas, comme les trois composantes du BBB, qui sont des groupes de pression transcendant les partis. Et c’est bien compréhensible quand on constate que plus de 30 partis seront représentés à la Chambre des députés en 2019 après cette élection législative. Mais au-delà de cette apparente diversité, la montée des conservateurs est bien visible.

C’est certes un parti de gauche, le PT, qui a le plus de députés (56), mais il en perd un grand nombre par rapport à l’élection de 2014 (65). Le second parti en nombre de députés est le PSL (Parti Social Libéral), le parti de la droite dure, représenté par Bolsonaro et qui, passant d’un élu à 52 aujourd’hui, s’est révélé dans cette élection en attirant par un discours populiste la frange extrême des sympathisants des partis de droite et du centriste PSDB (Parti de la Social Démocratie Brésilienne). Celui-ci est le grand perdant de cette élection, passant de la troisième force de la Chambre des députés avec 54 élus en 2014 à la neuvième en 2018 avec seulement 29 élus. C’est le PP (Parti Progressiste), de droite, qui prend la place de troisième parti en maintenant son nombre de députés (38 en 2018, 37 en 2014), devançant ainsi le parti centriste MDB (anciennement PMDB : Parti du Mouvement Démocratique Brésilien), qui passe de 66 à 34 élus.

Un paysage politique toujours dominé par le BBB

On retiendra donc de cette élection la formidable ascension du PSL de Bolsonaro. Mais ce n’est pas le parti qui a porté le candidat, c’est bien plutôt l’inverse. Car Bolsonaro, affichant une logique populiste de fracture avec les partis traditionnels, s’est avant tout appuyé sur le BBB. Et c’est ce mouvement qui sort d’ores et déjà véritable vainqueur des élections. À première vue, il semble avoir perdu des représentants car nombre de vieilles figures historiques n’ont pas été réélues. En réalité, la montée des partis de droite, et en particulier du PSL, est un indicateur du futur renforcement du réseau conservateur représentant les lobbys des armes, des évangélistes et des éleveurs et agriculteurs.

Ainsi, Bolsonaro, qui inquiète aujourd’hui comme si on découvrait le problème politique brésilien au travers de ses insultes et autres menaces dans ses discours, sur sa chaîne YouTube ou via les réseaux sociaux, n’est en fait que le grotesque avatar d’un mouvement solidement enraciné dans la vie politique depuis bien des années. Le populisme tout à la fois violent, religieux et ultralibéral du BBB s’était déjà ouvertement exprimé à la Chambre des députés lors de l’actuelle mandature en remettant à l’ordre du jour des discussions sur des projets de lois qu’il eut été impensable d’entendre au cours de la précédente décennie : pénalisation de l’avortement, abaissement de la majorité pénale, libéralisation du port d’armes, réduction des territoires protégés pour les peuples d’Amazonie, révision de la législation pour alléger la définition du travail esclave. Cette mouvance ultraconservatrice qui domine les instances législatives fait peser de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir politique du Brésil quel que soit le résultat de l’élection présidentielle.

Deuxième article : Territoires : ces entrepreneurs « capricieux » qui réussissent loin des métropoles

28 dimanche Oct 2018

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The Conversation

  1. Anne Albert-Cromarias

    Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, Groupe ESC Clermont

  2. Alexandre Asselineau

    Directeur de la Recherche BSB, enseignant-chercheur en Stratégie et Management stratégique, Burgundy School of Business

Groupe ESC Clermont

 

C’est un enfant du pays qui est à l’origine du Parc Naturopôle Nutrition Santé, à Saint-Bonnet-de-Rochefort, dans l’Allier. parc-naturopole.fr
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À l’heure des clusters et de la constitution de grands ensembles, sommes-nous condamnés à vivre dans un pays composé d’une poignée de grandes métropoles polluées et surpeuplées, entourées d’un grand « vide », faute d’emplois et de dynamisme ? Tout pourrait le laisser penser, surtout lorsque les élus locaux font de la question de l’attractivité territoriale leur Graal. Pourtant, et fort heureusement, des entrepreneurs « capricieux » décident de sortir de sentiers trop battus : ils s’installent en milieu rural… et réussissent. Ne faut-il pas voir en eux des aventuriers des temps modernes ?

« Caprice entrepreneurial » ?

Certains entrepreneurs démontrent avec succès qu’une activité peut être développée dans des environnements a priori peu favorables. Par exemple, les départements de l’Aveyron, du Lot, de la Corrèze ou du Cantal sont rarement cités autrement que pour moquer leur dimension rurale. Pourtant, c’est dans cette zone que se situe la « Mecanic Vallée », regroupant quelques 210 entreprises pour 13 000 emplois !

Plus de 200 entreprises sont installées dans la « Mecanic Vallée », zone qui s’étend sur quatre départements ruraux. Mecanicvallee.com

La ville de Montluçon, dans l’Allier, est peu réputée pour son tourisme haut de gamme. Mais c’est bien là qu’un hôtel quatre étoiles va ouvrir ses portes au printemps prochain, par la volonté (le rêve ?) d’un entrepreneur en bâtiment du cru, ayant fait fortune dans l’hôtellerie de luxe.

Personne ne connaît Saint-Bonnet-de-Rochefort, charmant village d’un peu plus de 600 âmes à une trentaine de kilomètres de Vichy. Cela n’a pas empêché un enfant du pays qui a développé, partant de rien, son entreprise de parapharmacie. Aujourd’hui, il existe même un pôle d’excellence rurale qui s’est constitué avec d’autres sociétés. À la clé, plusieurs centaines d’emplois…

Vidéo de présentation du Parc Naturopôle Nutrition Santé, à Saint-Bonnet-de-Rochefort dans l’Allier.

À Marciac, commune du Gers de 1 200 habitants, se déroule depuis 1978 un festival de jazz, lancé à l’époque par une poignée d’amateurs et aujourd’hui réputé mondialement. Pourtant éloigné des grandes métropoles (Toulouse est à deux heures de voiture, Pau et Tarbes une heure à environ), le village attire chaque été 200 000 visiteurs et les plus grandes têtes d’affiche de la planète. Autour de ce Festival s’est créé tout un écosystème, et donc une activité économique : ouverture d’une nouvelle salle, « l’Astrada », qui propose des concerts toute l’année, ou encore mise en place d’une classe de collège supplémentaire avec cours de jazz en option.

Ces exemples montrent qu’il n’y a pas de fatalité et que la désertification vécue par une grande partie des territoires français n’est pas inéluctable (ce que montrent d’ailleurs les cas de plusieurs pays voisins).

Mais comment expliquer les décisions d’entreprises de s’installer sur un territoire réputé peu attractif, où les ressources et les compétences nécessaires au développement d’un projet ambitieux manquent a priori ? Nous pensons que ces choix entrepreneuriaux, sorte de « caprice entrepreneurial », sont (à certaines conditions) parfaitement rationnels et conformes à un mode de raisonnement stratégique performant : aller là où les autres ne sont pas.

La philosophie asiatique enseigne que le « vide » exprime en réalité un potentiel de transformation qui ne demande qu’à se remplir. Pour ce qui est d’un territoire, « vide » est donc le contraire de « rien ». Les paysages naturels, les forêts, l’eau pure et l’air frais – autant d’éléments qui ont disparu dans les métropoles – mais aussi parfois les traditions ancestrales et les savoir-faire sont là perçus comme des opportunités.

La dictature de l’attractivité

Une vision radicalement différente de celle qui guide les débats et l’action publique. Une vision selon laquelle il y aurait les territoires gagnants, pour l’essentiel quelques grandes métropoles disposant de toutes les infrastructures et ressources qu’offre la modernité (transports, système de santé, éducation, nouvelles technologies, emplois, etc.), et les autres… Tous les autres : hameaux, bourgs, villages, villes petites et moyennes, qui se dévitalisent chaque jour un peu plus de façon apparemment inexorable, notamment sous l’effet de la transformation du modèle agricole qui a vidé les campagnes.

Un phénomène d’amplification de cet antagonisme semble même se produire, un peu à la manière du restaurant plein qui attire toujours plus de clients au détriment du restaurant voisin d’autant plus délaissé qu’il est déjà peu fréquenté. Avec, bien sûr, un cortège d’effets pervers pour des villes de plus en plus peuplées et déshumanisées : congestion des axes de déplacements, pollution de l’air, criminalité en hausse, problèmes d’habitat, etc.

Pour les territoires de la « diagonale du vide » (opportunément rebaptisée « diagonale » des faibles densité)), les géographes, les économistes et les pouvoirs publics ont fourni de nombreux diagnostics et rapports, parfois assortis de quelques recommandations pour les redynamiser. Sans grands résultats jusqu’à présent. Il faut dire que le déséquilibre entre zones dotées très différemment en ressources nécessiterait une intervention massive de la puissance publique qui semble moins que jamais à l’ordre du jour. Alors que faire ?

Approcher les territoires par les entrepreneurs

« La folie, c’est de se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein. Nous proposons donc de changer de perspective et de nous pencher sur les décisions de ces entrepreneurs et décideurs situés dans des zones perçues comme peu attractives. Nous pensons en effet que les sciences de gestion, qui se sont emparées relativement récemment de la question des territoires, permettent de l’éclairer sous un jour nouveau. C’est dans ce sens que vont les exemples, parmi ceux que nous avons cités en début d’article.

Bien au-delà de l’action publique, la réussite de ces initiatives se fonde surtout sur la personnalité des entrepreneurs, leur choix délibéré et stratégique de s’installer ici plutôt qu’ailleurs, ainsi que sur leur capacité à identifier des ressources disponibles et à construire des proximités activables. Espérons que ce message apporte une petite contribution à l’idée d’un aménagement du territoire plus équilibré et durable.

Peau, cerveau, plèvre, prostate : de la lumière pour soigner le cancer

28 dimanche Oct 2018

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The Conversation

  1. Céline Frochot

    Directrice de recherche CNRS Laboratoire Réactions et Génie des Procédés, Université de Lorraine

  2. Serge Mordon

    Biophysicien, spécialiste des applications du laser en médecine, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

Université de Lorraine

Université de Lorraine apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.

Inserm

 

Traitement du glioblastome par thérapie photodynamique. Inserm Oncothai Lille, CC BY

Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte évoquera ses recherches dans l’émission du 26 octobre 2018 en compagnie d’Aline Richard Zivohlava, éditrice sciences et technologie pour The Conversation France.


On l’appelle la thérapie photodynamique. En 2016, nous évoquions dans The Conversation cette technique peu connue du grand public et pourtant utilisée cliniquement pour certains types de cancers : une molécule photoactivable est déposée sur une lésion, et activée avec de la lumière afin de détruire localement les tissus touchés. Les dermatologues, notamment, utilisent quotidiennement la PDT pour traiter des lésions pré cancéreuses de la peau.

Aujourd’hui, la technologie s’affine. Pour illuminer de façon homogène une zone entière, par exemple la tête, un textile lumineux a été conçu à Lille. Il est fait de fibres optiques tricotées, une innovation de la société Texinov, financée par l’Europe. Les résultats d’une évaluation sur plusieurs centres hospitaliers montrent que 95 % des lésions sont détruites, sans aucune douleur. En effet, ce dispositif innovant est utilisé avec une irradiance faible (de l’ordre de 2 mW/cm2) et pendant une durée de 2 heures.

Textile lumineux réalisé au moyen de fibres optiques tricotées, aujourd’hui en cours d’évaluation clinique pour le traitement par PDT de la maladie de Paget vulvaire. Auteurs, CC BY

Les avancées ne concernent pas seulement la dermatologie. En urologie, la société Steba-biotech a développé un nouveau photosensibilisateur, la padeliporfin, pour le traitement du cancer de la prostate. Ce traitement est autorisé dans plusieurs pays d’Amérique centrale et du sud depuis fin 2015. En Europe, après un essai clinique réalisé sur 413 patients dans 47 sites hospitaliers, cette procédure a été autorisée en novembre 2017. Entre le 8 mars 2011 et le 30 avril 2013, 206 patients ont eu un traitement PDT et 207 patients une surveillance active. Après deux ans, moins d’un tiers du groupe PDT a vu sa maladie progresser, contre plus d’un sur deux dans le groupe témoin. Près d’un patient sur deux au sein du groupe PDT présentait un résultat négatif à la biopsie de la prostate, indiquant une rémission complète, contre moins de un sur six dans le groupe témoin.

Tumeur colorisée en rose

Pour le traitement du glioblastome, cancer du cerveau au pronostic très sombre, un essai clinique a été mis en place en mai 2017 à Lille. A ce jour 9 patients ont été traités par thérapie photodynamique. La technique consiste à faire boire au patient, 5 heures avant l’intervention chirurgicale, une substance qui va permettre de guider le neurochirurgien lors de la résection de la tumeur. En effet, cette substance est spécifiquement accumulée dans les cellules tumorales. Au bloc chirurgical, le chirurgien utilise son microscope avec une lumière bleue afin de mieux voir la tumeur qui apparaît en rose. Un ballonnet, développé par l’unité Oncothai, est ensuite introduit dans la cavité obtenue après chirurgie. Une illumination en lumière rouge permet alors de détruire alors les cellules tumorales résiduelles situées en périphérie de la cavité. Il faut souligner que c’est la première fois que la PDT est proposée en première intention thérapeutique pour le glioblastome. Jusqu’à maintenant, les quelques essais réalisés étaient proposés après récidive.

Image obtenue sous microscope chirurgicale en lumière blanche et en lumière bleue. Inserm Oncothai Lille, CC BY

Cancer de l’amiante

Le traitement du mésothéliome (cancer de l’amiante) par PDT est également une nouveauté en France. Des études aux USA démontrent que cette technologie peut accroître la survie de 9 mois avec les traitements actuels à 51 mois. Une injection de photofrin est réalisée 24 heures avant l’intervention chirurgicale. La technique consiste, après avoir retiré la plèvre (membrane constituée par deux feuillets, un sur le poumon, l’autre sur la face interne de la paroi thoracique, à réaliser l’illumination de la cavité pleurale après remplissage d’un liquide diffusant.

La technique de la PDT intrapleurale s’est améliorée avec les années de pratique, grâce notamment à un dispositif lumineux mieux adapté permettant d’obtenir un meilleur contrôle de la dose de lumière envoyée dans la cavité au moyen de détecteur optiques miniaturisés. Cinq patients ont été traités au CHRU de Lille. Un essai de phase III, contrôlé, randomisé et multicentrique est en train de se mettre en place. Il a pour but de comparer cette nouvelle technique au traitement standard afin de déterminer son efficacité. Cet essai va nécessiter 200 patients et sera réalisé dans plusieurs hôpitaux. En fonction des résultats, il sera alors possible de faire une demande d’autorisation de mise sur le marché qui permettra la diffusion de cette nouvelle technique innovante.

Traitement du mésothéliome par thérapie photodynamique. Inserm Oncothai Lille, CC BY

Enfin, notre laboratoire, le LRGP avec le Laboratoire Chimie Physique Macromoléculaire de l’université de Lorraine et Oncothai ont obtenu un brevet pour développer une nouvelle molécule photoactivable sélective pour le traitement des métastases de l’ovaire. L’idée générale est la destruction des métastases microscopiques qui se développent dans tout le péritoine, par PDT, en complément d’une résection chirurgicale des métastases macroscopiques, afin de diminuer le taux de récidive des cancers ovariens.

De quoi montrer combien la recherche en PDT en France est riche et intense : nouvelles sondes, nouvelles molécules pour une meilleure pénétration de la lumière dans les tissus, développement de nanoparticules excitables non plus par la lumière mais par rayons X, photobactéricides, photodiagnostic, agents théranostiques, immunothérapie associée à la PDT, nanoparticules multifonctionnelles pour le traitement du glioblastome… La communauté française de la PDT, qui s’était réunie l’année dernière à Lille, prépare aujourd’hui l’organisation d’un congrès international qui aura lieu à Nancy du 26 au 30 octobre 2020.

Création d’entreprise : le grand malentendu français

28 dimanche Oct 2018

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The Conversation

  1. Christophe Schmitt

    Vice-Président en charge de l’Entrepreneuriat et de l’Incubation et Professeur des Universités en entrepreneuriat, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

Pourquoi ne pas aider les porteurs de projets qui n’envisagent pas forcément de créer leur entreprise ? Université de Lorraine, Author provided

Lorsqu’il parle d’entrepreneuriat, le politique a les yeux rivés sur un indicateur seulement : le nombre de créations d’entreprise. Le projet de loi Pacte en est une énième illustration, avec un texte qui commence par cinq mesures pour simplifier les formalités pour lancer une activité.

Certes, nous pouvons nous réjouir de cette volonté politique. Mais nous pouvons aussi nous poser la question : ne sommes-nous pas comme l’aveugle qui cherche ses clefs sous le lampadaire, car c’est le seul endroit éclairé dans la ruelle sombre ? En agissant de la sorte, nous ne faisons qu’aider les personnes qui souhaitent effectivement créer une entreprise. Cette façon de procéder exclut de facto tout porteur de projet pour lequel la création d’entreprise ne serait pas une finalité. Ne pourrions-nous pas les aider eux aussi ?

En fait, nous pouvons nous réjouir de l’engouement actuel au sein de notre société pour tout ce qui touche l’entrepreneuriat, tout en constant que cela n’accroît pas significativement les chiffres de la création d’entreprise comme nous avons pu le montrer (La fabrique de l’entrepreneuriat, Dunod, 2017). Plus encore, nous pouvons avancer que la création d’entreprise n’est pas un objectif en tant que tel pour ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat. Dit autrement, nous sommes face à un paradoxe qu’il convient de comprendre : les futurs entrepreneurs ne sont pas nécessairement intéressés par la création d’entreprise !

Un état de fait : le désamour de la création d’entreprise en France

Maintes fois l’expérience a été menée en France : les activités en lien avec l’entrepreneuriat attirent du monde, certes, mais principalement des gens qui ont globalement l’envie de créer. On entend même les acteurs de l’accompagnement se plaindre de retrouver souvent les mêmes personnes. À notre niveau, au sein de l’Université de Lorraine, le constat est similaire lorsqu’on se borne à parler de création d’entreprise en tant que telle.

Prenez un amphi de 150 places, invitez les étudiants à venir participer s’ils le souhaitent à une activité sur la création d’entreprise (témoignages, présentation des structures, financements, etc.) et vous constaterez que l’amphi reste quasiment vide. Comment expliquer ce constat ? Tout simplement par le fait que la création d’entreprise n’est généralement pas une finalité en elle-même. Cela vaut aussi pour les activités mises en place par les structures d’accompagnement. Ceux qui y sont présents sont ceux qui souhaitent créer une entreprise. Au bilan : on ne connaît que ceux qui veulent créer une entreprise. Les autres n’apparaissent pas dans le radar. Finalement, rien de nouveau sous le soleil…

En agissant de cette façon, l’entrepreneuriat se résume à la démarche de création d’entreprise uniquement, à ce qu’il convient de qualifier la phase de cristallisation de l’entrepreneuriat. Dans cette phase sont concentrés des moyens humains, techniques et financiers pour créer une entreprise. Le business plan en est la figure de proue. Cela peut engendrer des situations ubuesques où on amène, à force de persuasion, des personnes à créer une entreprise sans que cela corresponde à leurs aspirations. On trouve, toujours dans cette phase de cristallisation, pléthore d’acteurs qui rendent parfois illisibles l’action des uns et des autres auprès des entrepreneurs. Même sous certains aspects, la France apparaît comme ayant un écosystème relativement complet mais avec un niveau d’entrepreneuriat en deçà du potentiel d’accompagnement. C’est-à-dire que l’on sait bien aider des créateurs d’entreprise qui ont décidé de créer ; a contrario, amener les autres à entreprendre reste encore chose à faire.

Alors que peut-on faire ? Cette question renvoie plus largement au développement de la culture entrepreneuriale sur le territoire, c’est-à-dire à la phase gazeuse de l’entrepreneuriat. Beaucoup de choses se passent très amont de la création d’entreprise. À y regarder de plus près, on s’aperçoit même que, contrairement à la phase de cristallisation, il existe peu de dispositifs d’aide ou d’accompagnement dans cette phase gazeuse.


À lire aussi : Pour mieux accompagner l’entrepreneuriat, changeons de perspective


Cela peut se comprendre notamment par un manque de prise de conscience au niveau national de l’importance de tout ce qui se passe en amont des projets entrepreneuriaux par rapport à la phase de cristallisation où la majorité des ressources sont engagées.

Plus que la création d’entreprise, aider à la conception d’un projet

Ce détour par la phase gazeuse permet de comprendre le paradoxe évoqué précédemment autour du manque d’intérêt pour la création d’entreprise en France. En effet, lorsque nous travaillons avec des personnes qui viennent nous voir avec une idée, un projet, nous faisons le constat que, régulièrement, les personnes ne sont pas intéressées par la création d’entreprise. Leur motivation première réside dans leur posture au monde, c’est-à-dire dans le désir de développer un projet qui leur permettra de participer à la société à leur façon.

Ce projet est en fait la traduction de leur vision du monde et de leurs valeurs. Deux constats importants sont ici à faire : le premier renvoie aux échanges spontanés avec la personne. L’idée de création d’entreprise est rarement présente dans leur discours. Second constat : quand on interroge ces personnes sur la place de la création d’entreprise, on se rend bien souvent compte qu’elles n’avaient pas intégré cette éventualité dans leur projet.

De ces deux constats, il est possible de considérer que la création d’entreprise est plus la résultante d’un parcours qu’un objectif en tant quel. Pourtant, les actions des politiques comme celles des structures d’accompagnement relèvent toujours de la même finalité : la création d’entreprise. Or, il serait opportun dans une société qui s’ouvre largement à la notion de startups d’axer les moyens sur l’émergence du projet entrepreneurial.

Il s’agit donc de changer le niveau de la réflexion et de mieux considérer la phase gazeuse. Actuellement, c’est là que l’on peut trouver les futures pépites. Si nous voulons les voir éclore, il est donc nécessaire d’y mettre des moyens. Nous pouvons envisager trois types de besoin à ce niveau :

  • Des besoins relatifs aux porteurs de projet. Nous faisons régulièrement le constat que les besoins des porteurs de projet se situent essentiellement dans les aspects suivants : la confiance en soi et l’estime de soi ;
  • Des besoins relatifs au projet entrepreneurial. Les besoins des porteurs de projet se situent dans la cohérence du projet développé avec la connaissance des valeurs défendues par le porteur de projet ;
  • Des besoins relatifs aux acteurs de l’écosystème. Les porteurs de projet ont besoin, non seulement d’identifier les acteurs de l’écosystème qu’ils pourraient rencontrer, mais aussi d’amener les acteurs de l’écosystème à s’engager dans leur projet entrepreneurial.

À lire aussi : Comprendre l’entrepreneuriat des jeunes à la lumière des écosystèmes


Si on est d’accord avec ces besoins, il convient de s’intéresser ensuite aux manières de transformer l’idée d’origine en création d’entreprise. Autrement dit, le passage de la phase gazeuse à la phase de cristallisation.

Nécessaire évolution culturelle

En ce qui concerne la phase gazeuse, les acteurs ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux de la phase de cristallisation. En effet, si les besoins ne sont pas les mêmes, cela signifie que les compétences requises pour aborder la phase gazeuse ne sont pas forcément celles en lien avec les phases de cristallisation. Dans cette perspective, à travers le programme PEPITE qui donne accès au statut national d’étudiant-entrepreneur, les universités françaises se sont largement positionnées comme des acteurs territoriaux de la phase gazeuse.

Récemment, un réseau a vu le jour au niveau national de la CPU (Conférence des Présidents d’Universités) à l’initiative de l’Université de Lorraine et de l’Université Lyon 3, autour d’une ambition à développer : une université entrepreneuriale. D’autres acteurs ont emboîté le pas pour développer la culture entrepreneuriale auprès des plus jeunes encore, lycéens et collégiens.

Revenons pour conclure sur le paradoxe énoncé au début de cet article. La création d’entreprise n’est que la face visible de l’iceberg. Le développement de la culture entrepreneuriale en est la partie immergée. Soyons provocateurs en écrivant que les porteurs de projet ne veulent pas créer d’entreprise a priori, mais souhaitent avant tout développer un projet qui portent leurs valeurs et dont la création d’entreprise en serait éventuellement la conséquence.

À l’heure où des inspecteurs de l’IGAENR (Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche) sont chargés de faire des recommandations au ministère de l’enseignement supérieur sur le programme PEPITE, il semble important que le regard porté sur l’entrepreneuriat évolue notablement. Ce regard doit intégrer la manière dont nous pouvons aider les personnes à porter leur projet, et pas simplement les façons de les intéresser à la création d’entreprise. C’est bien là l’enjeu d’une nécessaire évolution culturelle en France.

Le fleuve Amazone, maillon essentiel du cycle mondial du carbone

27 samedi Oct 2018

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  1. Domitille Louchard

    Doctorante en océanographie biogéochimique, Swiss Federal Institute of Technology Zurich

 

Le fleuve Amazone déverse en 8 heures le volume d’eau potable consommé par les Français en un an. NASA

Jaïr Bolsonaro, vainqueur le 7 octobre du premier tour de l’élection présidentielle brésilienne avec plus de 46 % des voix, a promis s’il était élu de faire sortir son pays de l’Accord de Paris sur le climat.

Et pourtant, le Brésil – qui abrite une grande part de la forêt amazonienne et du bassin versant du fleuve Amazone –, a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique.

L’Amazone est un fleuve gigantesque. Avec un débit moyen de 206 000 m³ d’eau par seconde, il déverse en 8 heures le volume d’eau potable consommé par l’ensemble des Français en un an. Traversant la forêt la plus étendue et la plus productive au monde, il transporte avec lui des feuilles mortes, l’eau de pluie ruisselant des sols environnants, des sédiments de diverses origines, en un mot une « soupe de carbone » sous forme particulaire ou dissoute.

Dans les régions tropicales où l’eau des fleuves descend rarement en dessous de 25°, ce carbone organique (c’est-à-dire issu des plantes terrestres ou aquatiques) est dégradé rapidement par des bactéries. Il peut être converti en CO2 (ou en méthane, autre gaz à effet de serre) et repartir dans l’atmosphère en quelques heures, voire en quelques minutes seulement.

Bassin versant de l’Amazone selon les estimations les plus récentes. Joshua Stevens/NASA Earth Observatory

Le rôle de l’Amazone dans le flux global de CO2

De façon générale, les fleuves sont des sources de CO2 pour l’atmosphère. Ces dernières années, les estimations du flux global de CO2 en provenance des fleuves et des lacs n’ont fait qu’augmenter, passant de 0,7 Gt C par an (Gt désignant gigatonnes, c’est-à-dire un milliard de tonnes) jusqu’à 2,9 Gt C annuels.

Il ne s’agit pas là d’une augmentation réelle du flux mais d’un réajustement considérable des estimations. Cette augmentation est en partie liée à une meilleure estimation des surfaces d’eau douce, à plus grand nombre de mesures effectuées dans les systèmes aquatiques terrestres et à des progrès dans notre compréhension du transfert gazeux. Mais cela s’explique aussi et surtout par une meilleure prise en compte du fleuve Amazone qui représenterait dans les estimations les plus récentes près de 50 % du flux global de CO₂ issus des eaux continentales.

Quand l’Amazone rencontre l’Atlantique

Mais l’impact de l’Amazone ne s’arrête pas à son embouchure. L’énorme masse d’eau douce déversée par le fleuve forme, à la surface de l’océan, une pellicule d’eau moins salée, moins dense, qui s’étend sur des centaines de kilomètres carrés.

Ce panache est riche en nutriments – tels que le nitrate, le phosphate ou encore le fer – et fertilise ainsi des algues microscopiques, appelées phytoplancton. Bien qu’invisibles à l’œil nu, ces micro-algues ont un rôle essentiel dans le cycle global du carbone.

Comme les plantes terrestres, le phytoplancton pratique la photosynthèse : il consomme de très grandes quantités de carbone dissous et rejette de l’oxygène. Une fois le phytoplancton mort ou brouté par le zooplancton, une partie de ce carbone fixé est entraîné sous forme de détritus vers les profondeurs de l’océan ; il peut y rester stocké pendant des centaines, voire des milliers d’années s’il atteint les sédiments marins.

La prolifération phytoplanctonique générée par l’Amazone réduit ainsi la concentration en carbone des eaux du panache. Quand la surface de l’océan est sous-saturée en CO2, c’est-à-dire que la pression partielle de CO2 de l’eau est inférieure à celle de l’air, l’océan a tendance à absorber le CO2 atmosphérique.

C’est exactement ce qui se passe dans le panache de l’Amazone alors que le reste de l’Océan Atlantique tropical, le plus souvent sur-saturé, a tendance à rejeter du CO2. Selon une étude récente, environ 34 millions de tonnes de carbone seraient exportés chaque année par les eaux en marge continentale guyanaise, qui ne représentent qu’une partie du panache.

Barrages et sécheresses

Cet équilibre de sources et puits de CO2 est actuellement menacé par les activités humaines. Ainsi les barrages hydro-électriques, en stoppant ou ralentissant l’écoulement de l’eau, ont tendance à augmenter le dégazage de CO₂ mais aussi et surtout de méthane.

Or malgré un infléchissement récent du gouvernement brésilien, plusieurs centaines de barrages sont encore en projet sur l’Amazone et ses tributaires, tandis que 140 barrages sont déjà construits ou actuellement en construction.

Par ailleurs, les preuves s’accumulent et tendent à montrer que les cycles hydrologiques du bassin amazonien sont en train de changer. Ces dernières décennies, des périodes de sécheresse extrême (en 2005, 2010 et 2015) ont alterné avec des inondations violentes et spatialement étendues. Ces évènements sont attribuables à la fois à des phénomènes locaux et globaux.

Exemple des anomalies de précipitations en octobre 2016, pendant la sécheresse de 2015-2017 (données compilées par le Global Precipitation Climatology Center). NOAA

Localement, la déforestation entraîne un déficit d’évapotranspiration, c’est-à-dire qu’il y a moins de vapeur d’eau dans l’air, ce qui provoque des sécheresses. De plus, les zones déboisées facilitent le ruissellement de l’eau et aggravent les inondations et les glissements de terrain.

De façon plus globale, le régime des pluies dans le bassin amazonien est contrôlé par les anomalies de température de l’eau de surface dans l’océan Pacifique équatorial (phénomène ENSO) et celles de l’océan Atlantique tropical. Il reste difficile de discriminer, pour chaque évènement extrême, entre l’effet d’une variabilité naturelle du climat et l’impact du changement climatique.

Cependant, ce dernier a une influence certaine sur les phénomènes météorologiques de grande échelle, comme l’ENSO, et donc sur la quantité d’eau entrant dans le bassin amazonien.

Recherches en cours

En réduisant la croissance des arbres et en accroissant leur mortalité et le risque d’incendie, chaque période de sécheresse diminue pendant des années la capacité de la forêt amazonienne à absorber du CO₂.

Impact de la sécheresse de 2010 sur la végétation. Les zones rouges indiquent un nombre de feuilles réduit ou qui contiennent moins de chlorophylle. Données acquises par satellite (MODIS).

De plus, l’intensification du cycle hydrologique pousse le débit de l’Amazone vers des extrêmes, augmentant le pic de mai-juin et diminuant le bas débit de septembre-novembre. Ces plus grandes variations du débit modifient l’apport en nutriments à l’océan, bouleversant en conséquence la dynamique phytoplanctonique et le cycle du carbone marin.

Ces perturbations n’ont pas encore été clairement identifiées ou quantifiées et font l’objet de plusieurs recherches en cours (comme ici, là ou encore ici).

Jaïr Bolsonaro, s’il est élu dimanche prochain, le 28 octobre, peut désengager son pays de l’Accord de Paris mais cela n’empêchera pas l’Amazone d’être un maillon important du cycle global du carbone, impacté et impactant le système climatique mondial.

Porcelet, bactéries et antibiorésistance : un trio dangereux pour la santé humaine

26 vendredi Oct 2018

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The Conversation

  1. Edwin Wintermute

    Chercheur associé, biologie des systèmes, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI)

Centre de Recherches Interdisciplinaires

Sous la direction de leur professeur Edwin Wintermute, les étudiants de l’équipe iGEM Paris Bettencourt 2018 évoquent ici une expérience de réalité virtuelle sur l’antibiorésistance, « Maksim le Porcelet ». Ils la présenteront au MIT fin octobre, à l’occasion de la iGEM Giant Jamboree 2018.


Chaque année en Europe, 25 000 personnes meurent des suites d’infections dues à des bactéries pathogènes multirésistantes aux antibiotiques.

La communication des pouvoirs publics, et notamment le célèbre slogan « Les antibiotiques c’est pas automatique », a permis de modifier les comportements : entre 2000 et 2015, la consommation humaine d’antibiotiques aurait baissé de 11,4 %, limitant ainsi le risque d’apparition de souches bactériennes résistantes.

On oublie toutefois souvent que 80 % des antibiotiques produits dans le monde ne sont pas utilisés en santé humaine, mais sont destinés aux animaux. Or leur utilisation a beaucoup moins diminué, et les résistances qui émergent dans les élevages peuvent se propager à l’Homme… Exemple avec le cas du cochon.

Le porcelet, un exemple emblématique

Selon Benoît Quéro, vétérinaire et maire de la commune bretonne de Pluméliau, dans le canton de Pontivy, le porcelet est un très bon exemple pour comprendre les enjeux de l’antibiorésistance chez l’animal. Pourquoi s’intéresser au porcelet ? Parce que la viande porcine représente 46 % de la viande consommée en France, et parce que l’industrie porcine est la plus grande consommatrice d’antibiotiques.

Chez les porcelets, les pathologies digestives infectieuses sont responsables de forts taux de mortalité, ce qui justifie l’emploi d’antibiotiques dans les élevages. Mais les jeunes porcs sont aussi les premières victimes de l’antibiorésistance.

En effet, comme tout jeune mammifère, le porcelet possède, durant les premiers temps de sa vie, un système immunitaire encore immature. Étant donné qu’il hérite de la flore vaginale de sa mère et consomme son lait, si celle-ci est contaminée par des bactéries résistantes, elles infectent aussi le nouveau-né. Résultat : souvent, les porcelets sont atteints de pathologies digestives résistantes, véritable casse-tête pour les vétérinaires.

Cette antibiorésistance est un enjeu majeur non seulement pour la santé animale, mais aussi pour la santé humaine. En effet, de nombreuses bactéries pathogènes sont communes à l’Homme et à l’animal, et les mêmes familles d’antibiotiques sont donc utilisées en médecine vétérinaire et en médecine humaine…

Une course contre la montre

Lorsqu’un excès de mortalité lié à des affections digestives est constaté dans un élevage, la procédure habituelle est de recourir à une autopsie et une analyse microbiologique. Dans ce genre de situation, les éleveurs veulent des traitements rapides et efficaces, or ce processus prend en moyenne 72 heures, un laps de temps durant lequel la situation peut sérieusement empirer. Il est difficile, en attendant l’arrivée des résultats, de laisser les éleveurs sans aucune prescription pour leurs bêtes malades.

Pour les aider, les vétérinaires disposent d’un arsenal d’antibiotiques. Leur utilisation est méthodique et graduelle, d’autant plus que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) conseille de diminuer la prescription d’antibiotiques, pour limiter l’émergence de résistances.

Les vétérinaires disposent de nombreux antibiotiques, mais la résistance de E. coli à certains d’entre eux augmente (ce qui se traduit par une diminution de la sensibilité, indiquée ici en ordonnée). Données pathologies digestives Porc 2017 fournies par Jean-Yves Madec, Directeur Scientifique Antibiorésistance de l’ANSES (publication en cours), Author provided (No reuse)

Souvent, le premier antibiotique prescrit pour soigner les pathologies digestives chez les porcelets est l’amoxicilline. Cet antibiotique peu cher et facile à administrer est efficace contre plusieurs sortes de bactéries pathogènes, telles que les colibacilles (Escherichia coli) ou les bactéries du genre Clostridium. Il permet dans de nombreux cas de résoudre le problème sans fragiliser outre mesure les animaux. Toutefois les bactéries E. coli présentent un fort taux de résistance à l’amoxicilline (59 %). Cet antibiotique continue néanmoins à être régulièrement utilisé en raison de son faible coût et son efficacité globale.

La sensibilité à l’amoxicilline de E. coli est en chute libre, car cet antibiotique est très souvent utilisé en cas d’infection. Données Porc 2017 – J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (No reuse)

La résistance à la tétracycline est également une source de préoccupation. Cet antibiotique n’est en général pas utilisé pour lutter contre les pathologies digestives, mais plutôt pour soigner les pathologies respiratoires. Son emploi entraîne toutefois des dommages collatéraux : le traitement par la tétracycline des pathologies respiratoires du porcelet provoque le développement, dans son système digestif, de souches d’E. coli résistantes (66 % de taux de résistance).

Comme l’amoxicilline, la tétracycline voit son efficacité diminuer fortement (la sensibilité d’E. coli à cet antibiotique chute). Données Porc 2017 – J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (No reuse)

L’importance du réseau de surveillance

La résistance bactérienne ne se trouve pas forcément là où on l’attend. La résistance se transmet en effet facilement entre bactéries : les bactéries sensibles aux antibiotiques qui rencontrent des bactéries résistantes peuvent récupérer les gènes impliqués dans la résistance, et devenir elles aussi réfractaires aux antibiotiques.

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À ce titre, les souches résistantes qui émergent dans le système digestif des animaux se retrouvent très facilement dans l’environnement, via les selles, où elles peuvent contaminer d’autres animaux ou transmettre leurs gènes de résistance à d’autres bactéries.

On comprend donc la nécessité de mettre en place un réseau de surveillance poussé et continu de l’antibiorésistance. En France ce réseau est appelé le réseau Resapath. Il est constitué de plus de 70 laboratoires, lesquels effectuent chaque année plus de 50 000 antibiogrammes.

Légiférer pour contenir l’antibiorésistance

La puissance de certains antibiotiques comme ceux appartenant à la famille des céphalosporines ou des carbapénèmes, et leur impact sur le microbiote (ensemble des espèces microbiennes présentes dans un environnement donné) est bien supérieur à celui de l’amoxicilline.

La prescription de certains d’entre eux, considérés comme des substances antibiotiques critiques (AIC), est restreinte par la loi. Elle devient de ce fait très difficile, le vétérinaire devant par exemple prouver qu’il s’agit du seul antibiotique auquel la bactérie est sensible…

En rouge, les antibiotiques classés critiques. Données Porc 2017 – J.-Y. Madec, ANSES (publication en cours), Author provided (No reuse)

L’antibiorésistance semble se stabiliser ces dernières années grâce à une prise de décision gouvernementale (vente d’antibiotiques uniquement sous prescription vétérinaire) et au respect de bonnes pratiques de la part de l’industrie pharmaceutique, de la profession vétérinaire et des exploitants agricoles.

Toutefois, si la stratégie pour combattre l’antibiorésistance en France (plan Ecoantibio 2) et en Europe est vertueuse, le problème est loin d’être réglé. D’autant moins que les bactéries ne reconnaissent pas les limites administratives…

Antibiorésistance sans frontière

Dans les pays extra-européens, la démarche qui conduit au traitement antibiotique n’est pas toujours aussi vertueuse qu’en Europe.

Alors que la pression commerciale pousse à toujours produire moins cher, il n’existe souvent pas de structures législatives pour contenir l’antibiorésistance. Par ailleurs les traitements antibiotiques peuvent parfois s’obtenir sans prescription vétérinaire. Se met alors en place une logique commerciale qui aggrave l’antibiorésistance sur le long terme : lorsque les animaux tombent malades, les éleveurs ont tendance, pour limiter ses coûts de traitements, à utiliser directement les antibiotiques les plus puissants.

Cette situation conduit à un niveau de résistance élevé à des antibiotiques de haut niveau, classés critiques par l’OMS, dont l’usage est interdit ou fortement contraint en France. La situation est particulièrement préoccupante, puisque les résistances développées chez l’animal peuvent rendre inefficaces les antibiotiques destinés à l’être humain.

Dans les pays où les contrôles sont moins efficaces, la résistance d’E. coli aux antibiotiques (ici les céphalosporines de 3ème génération) explose. Center for Disease Dynamics, Economics & Policy, Author provided (No reuse)

Dans ces pays plus laxistes, l’absence ou l’aléatoire des prescriptions vétérinaires expose en premier lieu les ouvriers agricoles, la population locale. Mais la menace concerne potentiellement toute la planète. Le monde est un vase clos, et les bactéries ne connaissent pas les frontières. L’antibiorésistance se propage avec les flux de personnes, d’animaux et de marchandises.

Malgré d’importants contrôles sanitaires, en février 2017 des bactéries résistantes aux carbapénèmes (famille d’antibiotiques interdite depuis 2016 pour les animaux de rente) ont été retrouvées en Belgique, dans des échantillons de viande de porc vendue au détail.

Par ailleurs, au-delà de ces mauvaises pratiques d’élevage et de ce manque de cadre administratif, notre propre comportement de consommation a un impact direct sur l’antibiorésistance. La demande en viande à faible coût, pour les plats transformés et les cantines scolaires par exemple, favorise ces mauvaises pratiques. Elle incite les exploitants extra-européens à perpétuer l’utilisation massive d’antibiotiques et à augmenter leurs dosages pour combattre l’antibiorésistance, laquelle, de ce fait, progresse toujours plus.

La prévention et la sensibilisation sont essentielles pour espérer briser le cercle vicieux de l’antibiorésistance.

Sensibiliser grâce à la réalité virtuelle

À l’occasion de l’édition 2018 de la Fête de la Science, l’équipe scientifique étudiante iGEM Paris-Bettencourt a présenté son expérience de réalité virtuelle « Maksim le Porcelet », développée en partenariat avec le Gamelab du CRI.

Cette expérience pédagogique présente l’histoire d’un petit porcelet atteint de diarrhée. Afin de le sauver, le public est miniaturisé, armé d’un pistolet-pipette à antibiotiques puis projeté dans colon de Maksim pour aller combattre les bactéries pathogènes, à l’échelle microscopique.

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Le jeu est suivi d’une discussion sur les enjeux de l’antibiorésistance tels qu’expérimentés pendant l’expérience. La rencontre se termine par une petite explication sur projet de recherche fondamentale en biologie synthétique sur les peptides antimicrobiens, une famille de molécule alternative et prometteuse pour combattre l’antibiorésistance.

Un questionnaire avant/après a également été conçu, afin de récolter des données concernant l’opinion du public à propos de l’antibiorésistance, ainsi que pour améliorer l’expérience de réalité virtuelle.


Ont également participé à ce travail Ariel Lindner (co-fondateur du CRI), Gayetri Ramachandran (post-doctorante) ainsi que Alexis Casas, Antoine Levrier, Santino Nanini, Camille Lambert, Elisa Sia, Juliette de Lahaye, Naina Goel, Maksim Bakovich, Annissa Amezziane et Darshak Bhaat (membres d’iGEM Paris-Bettencourt).

Le migrant est l’avenir du monde

25 jeudi Oct 2018

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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The Conversation

  1. Bertrand Badie

    Professeur de Sciences politiques, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

Une migrante à Tarifa (Espagne), après avoir été secourue par des garde-côtes espagnols, le 24 juillet 2018. Jorge Guerrero/AFP
 

Le débat sur la migration est stupéfiant et pourtant il dure, s’enlise et même s’encastre dans l’ordinaire de notre culture politique contemporaine. Il paralyse l’Europe qui en parle tout le temps, mais n’en délibère jamais. Il envahit les propagandes partisanes et s’impose comme une sorte de friandise électorale dont se délectent les populistes de tous poils, de droite et maintenant d’une certaine gauche. Il tétanise les gouvernements qui craignent que le respect de la vérité ou qu’un sursaut d’humanisme ne leur vaillent une chute dans les sondages.

Depuis le début de ce siècle encore tout jeune, 50 000 êtres humains sont morts au fond de la Méditerranée et l’imagination de la gouvernance humaine se limite à renforcer les contrôles, consolider « Frontex » ou désarmer l’Aquarius. Qu’est donc devenu le Conseil européen, incapable d’imaginer ce que pourrait être une politique de migration à l’aube du troisième millénaire ?

Un monde où tout le monde voit tout le monde

C’est pourtant bien de cela dont il s’agit : d’avoir le courage et la lucidité de penser une mondialisation dont tout le monde parle, sans jamais savoir la regarder en face et en tirer les conséquences. Nous sommes entrés dans un monde d’interdépendance et de communication généralisée pour lequel la mobilité des personnes est devenue un principe irréversible avec lequel il faut apprendre à vivre.

Nous sommes dans un monde où tout le monde voit tout le monde, ne cesse de se comparer à l’autre et de déployer un imaginaire qui est, cette fois, à la dimension de la planète tout entière. Un monde dans lequel nul ne pourra plus jamais se voir interdire de penser que la souffrance des siens pourrait être moindre ailleurs, un monde où l’absence d’avenir chez soi suscite l’espoir de trouver un correctif ailleurs.

Un monde où l’humanité est, pour la première fois dans l’histoire, tributaire de la planète tout entière. Un monde où chacun des 7 milliards et demi d’humains est comptable autant que solidaire de tous les autres. Ainsi en est-il, personne n’en a décidé, sinon le mouvement d’une histoire dont nous restons, soit dit en passant, les privilégiés…

Besoin des autres

Ce changement majeur qui affecte la profondeur de nos visions et de nos comportements est une réalité vécue avec plus d’intensité encore lorsqu’on appartient au monde de la souffrance, celle- là même qu’on ne peut plus aujourd’hui privatiser ni rejeter dans des terrae incognitae qui n’existent plus. Guère davantage derrière les murs de la souveraineté incapables de résister à la communication moderne.

Pourtant, la révolution n’est ni spectaculaire ni douloureuse : la part des populations migrantes n’est passée, en un demi-siècle, que de 2,2 % à un peu plus de 3 % de la population globale, sachant, en outre, que les migrations Sud-Nord ne représentent qu’un tiers des migrations totales !

Le pari est d’autant plus aisé à relever que les raisons positives d’intégrer les populations migrantes sont aussi nombreuses que tenues secrètes par nos politiques. Notre Europe vieillissante a besoin d’une population active renouvelée. Nos budgets sociaux ont besoin de ces actifs cotisants dont le régime de la clandestinité les prive. Celui-ci prospère en favorisant de manière scandaleuse passeurs et mafieux de tous genres dont il est agréable de penser qu’ils perdront leur emploi dans un contexte de gouvernance transparente des flux migratoires.

Mais surtout, nous avons besoin de ponts, de rencontres, de convergences et d’échanges culturels pour nous mettre au diapason de notre monde et de notre siècle. Ne nous trompons pas de pathologie : l’orthodoxie identitaire, l’archaïsme culturel, la crispation néo-nationaliste sont infiniment plus dangereux que l’ouverture au monde, que les transferts d’une culture vers l’autre qui ont invariablement permis d’amorcer les grands virages de notre histoire, comme de celle des autres…

Pour une gouvernance mondiale de la migration

Conservatisme et changement ont été les dilemmes permanents fabriquant en tout temps les choix qui façonnèrent notre monde. Le premier anime aujourd’hui une gigantesque vague populiste qui s’alimente d’une obsession identitaire, dénonçant les menaces « déferlantes » et les risques de « submersion ».

À coup de stigmatisations souvent grossières, ses concepteurs se réclament d’un ordre qui n’a rien à vendre dans un contexte mondialisé, sinon une vision hiérarchique des cultures, une apologie des ghettos et une vaste maçonnerie de murs en tous genres. Perspective idéale pour s’installer dans un monde habité de fondamentalistes triomphants, meilleur cadeau qu’on puisse offrir aux entrepreneurs de violence qui prospèrent sur la souffrance et l’humiliation subies par les plus faibles. La vieille droite y faisait son ordinaire, rejointe aujourd’hui par une ancienne gauche qui, en Allemagne, en France ou en Italie, espère ainsi sa part de gâteau électoral.

Le changement, quant à lui, ne peut évidemment pas ressortir d’une stratégie du cavalier seul. Il s’inscrit dans la mondialisation et l’œuvre multilatérale. La première n’est ni bonne ni mauvaise : elle sera ce qu’on en fera. Il est temps qu’elle s’inscrive dans un véritable humanisme. De même que celui-ci put peu à peu arracher la société industrielle montante à la brutalité de ceux qui l’entreprirent, il est urgent de suivre ceux – ONG, associations, agences onusiennes, acteurs individuels – qui s’escriment, souvent dans le silence et l’indifférence, à construire un monde plus humain, sachant que leurs victoires sont dès à présent, saisissantes.

Quant au multilatéralisme lui-même, arraché au chantage permanent des grandes puissances, il se doit d’aller vers ses missions sociales que ne cessait de rappeler Kofi Annan. Une gouvernance mondiale de la migration doit ériger un édifice institutionnel offrant un optimum d’avantages aux trois partenaires essentiels : migrants, sociétés de départ, sociétés d’accueil. Il doit créer des agences partout dans le monde pour concrétiser cet effort d’information, de formation, d’orientation et d’intégration qui sont le cheminement normal de la mobilité humaine au cours de ce troisième millénaire.

C’est à nos dirigeants de jouer : qu’ils cessent un moment d’être des acteurs politiques pour être des hommes d’État qui pensent enfin l’avenir hors des contingences électorales. Alors peut-être la Méditerranée ne sera-t-elle plus ce cimetière anonyme qui aujourd’hui engloutit tous les espoirs et encourage toutes les lâchetés.

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