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Archives Mensuelles: novembre 2018

Le malheur est dans le pré : des lycéens enquêtent sur la Grande Guerre

12 lundi Nov 2018

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The Conversation

  1. Arnaud Exbalin

    Maître de conférence, histoire, Labex Tepsis – Mondes Américains (EHESS), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

 

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Université Paris Nanterre

 

Vers un vestige de la Grande Guerre, la ferme des Pouydebat, dans le Gers avec une classe de Première. Arnaud Exbalin, Author provided

Comment intéresser des jeunes de 16 ans au premier conflit mondial autrement que par la lecture de lettres de poilus ou la sempiternelle visite d’un monument aux morts ? Comment rendre palpable la violence de la guerre et ses conséquences dans une région située aux antipodes de la ligne de front ?

Ces deux questions sont à l’origine d’une expérience pédagogique menée en 2014 avec une classe de première, au lycée Maréchal Lannes de Lectoure (Gers). Cette enquête, labellisée par la Mission du Centenaire, a débouché sur une exposition : « Grande guerre, petits villages. Les répercussions de 14-18 dans le Gers ».

Un département marqué par l’hyponatalité

Loin du front, le Gers est l’un des départements où la coupe démographique de la Grande Guerre a été la plus visible en France. Dans un département rural, où l’enfant unique était la norme, une part importante d’hommes a été envoyée au front. Or, cette main-d’œuvre masculine était essentielle au bon fonctionnement des exploitations agricoles, principale activité économique de la région, en déclin depuis le milieu du XIXe siècle. Entre 1911 et 1921, alors que la France perd 5 % de sa population, le Gers en perd 12 %.

La coupe démographique de 14-18 n’est donc qu’une étape supplémentaire, mais radicale, dans le déclin séculaire de la population gersoise. Si ces données démographiques ne transparaissent pas à la lecture des listes figurant sur les monuments aux morts, elles sont pourtant essentielles pour comprendre à quel point l’onde de choc a pu se propager à l’arrière, affectant les structures profondes de la démographique, de l’économie rurale, jusqu’au paysage.

Mener une enquête historique avec des élèves implique une préparation minutieuse, de la prise de contact avec les historiens de la Société archéologique du Gers au repérage des dossiers aux archives départementales, en passant par des échanges avec l’Office de tourisme. L’enquête s’est déroulée sur près de trois mois. En voici les quatre étapes principales

Des destins fauchés derrière les monuments

Dans un premier temps, il a été demandé aux élèves de relever dans leur village, le nom des individus « tombés pour la patrie » sur les monuments aux morts. Grâce à la base de données « Mémoire des Hommes » du Ministère des Armées, ils sont parvenus à reconstituer certains parcours de vie et ainsi donner chair à des listes gravées sur du marbre.

Plaque commémorative à Urdens. Arnaud Exbalin, Author provided

Puis, à partir des recensements de 1911, ils ont pu calculer la mortalité du conflit en rapportant le nombre de tués dans leur commune à la démographie locale. C’est ainsi qu’à Urdens, 13 hommes ont été tués, sur une population de 180 habitants, soit près d’un homme sur quatre en âge de combattre. Dans cette commune, située à quelques kilomètres de la ville de Fleurance, point de monuments aux morts. Une plaque commémorative a été scellée sur le piédestal d’une croix de mission du XIXe siècle.

Dans un autre village, à Gimbrède, une élève a découvert, stupéfaite, le nom d’un arrière-grand-père : en août 1914, Camille Tonnele, du 209e Régiment d’infanterie, a été tué à l’âge de 29 ans, à Villiers dans la Meuse après une offensive allemande et dans une phase de retraite, en août 1914.

Des lieux ignorés des commémorations

Dans un deuxième temps, grâce à Laurent Ségalant, un instituteur passionné d’histoire auteur de Mourir à Bertrix (Privat, 2014), nous nous sommes rendus sur le lieu-dit « Le Faubourg d’Égypte » dans le village de Tournecoupe. Au fond d’un val, gagnée par les ronces et striée de lézardes, une ferme menace de s’effondrer. Elle appartenait à une famille de cultivateurs aisés, les Pouydebat.

Au début du XXe siècle, les Pouydebat n’ont qu’un seul héritier, Jean‑Firmin né en 1881. Mobilisé en août et aussitôt envoyé sur le front sans préparation, celui-ci est « tué à l’ennemi » le 14 septembre 1914 à Hurlus-sur-Marne, village complètement détruit par le conflit. Sans héritier, la ferme est laissée à l’abandon et finit par tomber en ruines.

À gauche, le corps de ferme où vivait la famille Pouydebat, au centre, la porcherie et à droite, le pigeonnier. Arnaud Exbalin, Author provided

Les broussailles ont gagné et envahissent les entrées de cette bâtisse typiquement gasconne, une profonde lézarde menace l’édifice de s’effondrer. Cette ruine est peut-être plus parlante sur les conséquences de la Guerre que certains monuments aux morts avec leurs listes sans visages. Combien de fermes en France ont-elles été désaffectées après la coupe de 14-18 ? Cette visite a permis aux élèves de rendre concret le moment de la mort et ses répercussions sur le paysage puisque dans les années 1920, d’immenses arpents de terres sont laissés en friche, ce que vient confirmer le dépouillement des archives départementales du Gers qui constitue le troisième volet de l’enquête.

Plongée dans la presse de l’époque

C’est la première fois que les élèves goûtaient aux archives. Après une visite des fonds et des ateliers de restauration, nous nous sommes intéressés à deux types de documents. Le premier est le recensement général agricole de 1925, qui nous a donné une multitude d’informations relatives aux transformations occasionnées par le conflit sur les modes de culture. C’est ainsi qu’on peut y constater l’extension des friches et le développement de l’élevage, au détriment de la céréaliculture, plus dispendieuse en main-d’œuvre à l’époque.

Le second, plus classique, est la presse locale. Le recours aux journaux d’époque était indispensable pour comprendre comment le Gers avait pu pallier le manque de bras. Pour effectuer nos sondages, nous avons privilégié les années 1924-1926 qui correspondaient à la première vague d’immigration des Italiens. Une dizaine d’articles ont finalement été retenus. Leur lecture a livré une tout autre approche des stéréotypes habituellement colportés sur les immigrés à la même époque : les élèves faisaient le constat que les Italiens semblaient avoir été plutôt bien accueillis dans le Gers.

Dans La République des Travailleurs est ainsi présenté le bureau départemental de la main-d’œuvre agricole du département, structure destinée à faciliter l’insertion des familles italiennes dans les fermes. Il mettait en contact les migrants fraîchement débarqués et les propriétaires dont les métairies manquaient de bras.

Comme le montre l’extrait ci-dessous, un véritable éloge est fait des travailleurs italiens qui sont présentés comme étant des « gens laborieux, propres, soignant bien le bétail ». C’est une manière de convaincre les propriétaires d’employer ces familles.

Article de La République des travailleurs.

Une exposition itinérante

Autre exemple : en juillet 1924, le journal républicain Le Gers évoquait une tragique noyade, celle de Joseph Anglésio, fils d’un fermier italien de la commune de Miradoux, disparu sous les yeux de ses trois frères. À partir de ce fait divers, les élèves ont pu percevoir l’intégration rapide des Italiens à la population gersoise. Les Anglesio sont propriétaires des terres qu’ils cultivent, ce ne sont donc pas de simples ouvriers agricoles ; par ailleurs, la victime se nomme Joseph et non Guiseppe, signe d’une francisation quasi immédiate. Sans l’immigration, le Gers serait devenu un désert.

De retour en classe, il a fallu sélectionner les documents les plus pertinents, définir des lignes directrices, rédiger les notices descriptives des documents et éditer l’ensemble avec un logiciel spécialisé. De ce travail est née une exposition en dix panneaux, de grand format. Elle a d’abord été présentée par les élèves eux-mêmes à l’Office de tourisme de Lectoure, puis dans deux villages avant de revenir au lycée. Les vernissages ont rencontré un vif succès auprès du public, notamment des personnes âgées, ce qui a débouché sur des échanges nourris entre jeunes et anciens.

Cette expérience pédagogique n’est qu’un exemple parmi d’autres des moyens de sortir des sentiers battus des manuels scolaires et d’initier des jeunes de 16 ans à l’enquête historique. Elle témoigne finalement des efforts, souvent passés sous silence ou minorés dans les médias, des enseignants du secondaire pour renouveler sans cesse les manières d’enseigner l’histoire. Aujourd’hui, trois des quinze élèves de cette classe de première sont inscrits en licence dans cette discipline. Les graines semées ont germé. Le bonheur est revenu dans le pré.

« Ceux de 14 » et ceux d’aujourd’hui

11 dimanche Nov 2018

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The Conversation

  1. Bénédicte Chéron

    Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne Université

Sorbonne Universités

Sorbonne Université

 

Le Président de la République à Morhange, le 5 novembre 2018. Philippe Wojazer/AFP

Le 5 novembre, le président de la République s’est rendu à Morhange pour inaugurer son « itinérance mémorielle » après un concert qui avait eu lieu la veille en la cathédrale de Strasbourg. Du 14 au 23 août 1914, dans cette petite ville de Moselle, 7 000 à 10 000 soldats français ont perdu la vie dans leur combat face aux Allemands. En août 2008, 94 ans plus tard, dans la nuit du 18 au 19, à Uzbin, en Afghanistan, ils sont dix à avoir péris en une nuit de combat dans une embuscade.

Il ne s’agit pas ici de mener une vaine comparaison du nombre de morts alors que le seul point commun entre ces deux guerres réside dans le fait que des soldats français y ont été engagés. Cependant, alors que dix ans se sont écoulés depuis l’embuscade d’Uzbin et que ce 11 novembre est celui du Centenaire, le choc médiatique que constitua en 2008 la mort de ces dix militaires prend une résonance particulière.

La réaction de la société française et de ses plus hauts responsables politiques à ce fait combattant survenu sur un théâtre lointain a, en effet, porté tous les stigmates du long siècle inauguré par la victoire de la France et de ses alliés autant que par l’horreur durable qu’inspire cette guerre.

Dans les semaines qui ont suivi l’embuscade d’Uzbin, le destin des soldats français tués n’a pas été raconté comme celui de combattants mais bien comme celui de victimes ayant tout subi alors qu’ils étaient pourtant engagés volontaires. Ceux qui se sont essayés à évoquer l’action menée pendant cette embuscade, le bilan de leur riposte et de celle de leurs camarades ont été tenus au mieux pour des iconoclastes, au pire des provocateurs cyniques.

Certes, la communication des armées et du ministère de la Défense a été chaotique ; certes l’état du matériel et les circonstances tactiques qui ont présidé au dénouement de ce fait d’armes expliquent en partie les polémiques qui ont suivi. Mais, bien plus profondément, ce moment est apparu comme l’aboutissement d’un siècle de brouillage successif et de malentendus sur le sens de l’action militaire.

L’image compassionnelle du soldat victime

C’est en effet au lendemain de 1918 que la figure du soldat comme victime s’ancre dans le paysage des représentations de la guerre. L’historien Nicolas Beaupré a montré comment le poilu a peu à peu glissé de la figure du héros ou du martyr à celle de la victime. C’est la nature même de la Grande Guerre qui est en cause :

« Si l’on en croit Jay M. Winter, à la suite de Paul Fussel, c’est elle qui, en Europe occidentale, en raison de ses formes mêmes, aurait été à l’origine d’une mutation profonde sapant les grandes idées de gloire militaire, d’héroïsme combattant, d’honneur, de courage guerrier, de sacrifice. »

(Guerre et paix. Une destinée européenne ?, Bruxelles, Peter Lang, 2016, p.99-112.)

Dès l’immédiat après-guerre, coexistent différentes représentations du poilu qui oscillent entre l’héroïsme et la victimisation, qui se complètent et se superposent. Cependant, l’expérience française des guerres du XXe siècle – jalonnée par la défaite de 1940, l’Occupation, puis la guerre d’Algérie – mène bien à l’état de fait actuel : le soldat français qui meurt au combat, au fil du siècle et jusqu’à aujourd’hui encore, est d’abord vu comme une victime. Son action, qui a précédé le sacrifice suprême auquel il a consenti, est effacée au profit d’un traitement presque uniquement compassionnel.

Cette trame victimaire a peu à peu envahi tout le champ de la création culturelle, et en particulier de la fiction cinématographique et télévisuelle, une puissante contributrice à l’édification des représentations collectives. Même lorsque l’officier ou le sous-officier de la guerre d’Algérie est raconté comme un bourreau, il finit par être lui-même considéré comme une victime, blessée dans son esprit par les conflits précédents qui l’auraient fait devenir comme tel. Ainsi, dans L’Ennemi intime de Florent Emilio Siri (2007), ceux qui ont recours à la torture sont en fait des traumatisés, notamment de l’expérience indochinoise.

La complexité des destins combattants

Un archétype – celui du héros combattant de l’Empire et de la République – a ainsi été remplacé par un autre – celui d’un soldat inéluctablement victime du pouvoir politique et des chefs militaires. Ces figures racontent une part de vérité et ont une logique propre. Elles sont aussi les signes de ces balancements de l’histoire qui nous ont collectivement fait passer d’un état de fait où la guerre était admise comme un fait commun et ordinaire à une situation où elle apparaît peu à peu comme une anomalie brutale et révoltante des relations entre les peuples et les nations.

Cette uniformité de représentations, si elle contribue à entretenir l’idée que la guerre est toujours un mal à éviter, ne suffit cependant pas à empêcher qu’elle survienne ni que des soldats français, après 1962, aient continué de porter les armes au nom de leurs concitoyens et de risquer de revenir atteints dans leur chair et dans leur esprit. En ce sens, ces archétypes contribuent également à l’empêchement collectif à comprendre et raconter la complexité des destins combattants au fil des décennies, au même titre que l’exaltation des vertus guerrières impériales ou républicaines masquaient les souffrances vécues en leur nom.

Entrée de la IVᵉ armée française à Strasbourg le 22 novembre 1918. Wikimédia

Ce n’est donc pas une concurrence dialectique entre archétypes héroïques et stéréotypes victimaires qu’il faut espérer mais bien la coexistence de figures les plus diverses possible, échappant aux instrumentalisations politiques et idéologiques, qui permettent de rendre compte de la complexité des destins combattants français des conflits armés du XXe siècle et du XXIe siècle. Qui permettent, en ce mois de novembre 2018, de comprendre que les combattants français de la Grande Guerre peuvent tout à la fois avoir pris en horreur ce qu’ils ont vécu et remporté une victoire comme l’a opportunément raconté Michel Goya dans Les Vainqueurs. De saisir la part d’intelligence stratégique et tactique, à tous les échelons militaires malgré les lourdes et dramatiques erreurs de certains grands chefs, qui a rendu possible le dénouement du conflit, tout en célébrant la paix comme le souhaitaient les anciens combattants.

Parole politique et parole militaire

Si des frémissements culturels semblent perceptibles, sur lesquels le recul manque encore, c’est bien aussi toute parole publique qui est porteuse de représentations collectives. La parole politique en particulier, parce qu’elle pose des choix mémoriels et articule les actions du passé avec celles du présent, est déterminante dans la compréhension que les Français dans leur ensemble peuvent avoir du sens de l’engagement militaire.

La parole militaire enfin, évidemment portée dans les limites qu’imposent les prérogatives de chacun, occupe une place particulière parce qu’elle est la seule à pouvoir donner à voir ce que vivent ceux qui ont encore cette expérience du feu. Cette expérience ne donne aucun privilège, mais elle doit être connue de ceux au nom de qui elle est consentie.

La diversité de l’expression publique de ceux qui ont encore l’expérience du feu est une garantie qu’elle échappe aux stéréotypes du genre ; il est donc heureux qu’elle porte sur les questions stratégiques autant qu’elle raconte des destins à hauteur d’hommes. Le militaire d’aujourd’hui, en effet, n’exalte pas le recours aux armes pour lui-même parce qu’il sait ce qu’il produit sur les corps et sur les esprits et parce que, Français parmi les Français, il est aussi l’héritier des souvenirs douloureux des conflits armés du XXe siècle et rarement porteur d’une mémoire belliciste.

C’est au prix seulement de la prise en compte de ces paroles multiples et de cet effort de diversification des représentations que chaque Français pourra saisir quels sont les ressorts des choix portés par ses dirigeants politiques lorsque ces décisions engagent, en leur nom, des militaires qui portent un dommage à ennemi au risque de leur propre vie.

À ce prix seulement, les discours sur la guerre et la paix, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leurs inspirations idéologiques, pourront être compris à leur juste mesure. À l’heure où hommage est rendu à Maurice Genevoix et à « ceux de 14 », ce respect dû aux combattants dépasse la seule dimension mémorielle et apparaît comme une nécessité du temps présent.

Que faire des ruines en 1918 ?

10 samedi Nov 2018

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The Conversation

  1. Emmanuelle Danchin

    Historienne, chercheuse associée au laboratoire Sirice , histoire des relations internationales contemporaines et des mondes étrangers,, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

Église d’Ablain Saint-Nazaire aujourd’hui (Pas-de-Calais). Photo. E. Danchin, Author provided

En 1918, lorsque les combats cessèrent en France, dix départements du Nord et de l’Est étaient dévastés. Ces destructions étaient le résultat de longues années de combats et de nombreuses tentatives de conquête et de reconquête d’un terrain au centre duquel se retrouvèrent parfois pris entre deux feux des communes, des terres, des forêts, des installations agricoles et industrielles. Les statistiques du ministère des Régions libérées, chargé de dresser le bilan des dégâts entre 1918 et 1921, permirent de quantifier les dommages, notamment les plus sévères : 1 050 communes étaient rasées, 289 147 habitations à terre, 6 149 édifices publics démolis, 1 547 usines anéanties et 120 000 ha de terres étaient jugés impossible à remettre en culture (Statistiques du ministère des Régions libérées, M2419, 1921, AD, Pas-de-Calais).

Les cartes postales de cette époque témoignent aussi de ces dévastations et de l’ampleur des ruines.

Cartes postales de ruines. Collection E. Danchin, Author provided

Tous les départements et les secteurs du front ne présentaient cependant pas les mêmes degrés de destruction. Tous, néanmoins, durent faire face à la relance de l’activité économique et au retour des réfugiés.

Conserver les ruines pour se souvenir ?

À l’Armistice, le gouvernement français avait une connaissance partielle des destructions architecturales, agricoles et industrielles causées par l’artillerie et les explosifs. En effet, des études avaient déjà été menées tout au long de la guerre par des organismes rattachés aux ministères des Beaux-Arts, des Travaux publics, des Chemins de fer, de la Guerre, etc.

Dès septembre 1914, le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts avait ainsi ordonné aux architectes restés en poste et aux préfets de mener des enquêtes sur l’état des édifices classés dans les parties accessibles de la zone des armées. En 1915, ces enquêtes avaient été élargies aux édifices non classés.

Cette même année, un projet de loi sur la conservation des ruines et des vestiges avait été soumis au Parlement par le député du Nord Jules-Louis Breton. Il entendait, avec sa proposition de loi relative au classement et à la conservation des ruines historiques (23 septembre 1915), sélectionner pour l’après-guerre des vestiges et des ruines de guerre et les léguer intactes aux générations futures.

Il amorça une réflexion sur la conservation ou non des traces de la guerre. La question suscita dès lors des débats dans la presse, comme parmi les intellectuels et les architectes. Une Commission des vestiges et souvenirs de guerre, créée en 1917, fut même chargée d’étudier les conditions de classement et de conservation et d’opérer une première sélection.

Quand les combats cessèrent, en 1918, la question de la préservation ou non des ruines devint secondaire. Dans les régions dévastées, les urgences portaient sur l’assainissement, le déblaiement des gravats, le nivellement des sols, la remise en culture des terres qui pouvaient l’être, pour assurer des possibilités d’alimentation, le rétablissement des voies de communication, pour acheminer le matériel et la main d’œuvre, la réalisation des réparations les plus urgentes sur les maisons et l’érection des premiers baraquements provisoires.

Dans les ruines du Petit Vimy. Guides illustrés Michelin des champs de bataille. Arras, Lens, Douai et les batailles d’Artois, Clermont-Ferrand, 1920, p. 99

Déblayer les ruines

Il fallut d’abord procéder au nettoyage des sols. Les munitions non éclatées et les ferrailles furent collectées. La terre saturée de gaz toxiques fut évacuée. Les terrains perturbés par les labyrinthes des tranchées, les cratères d’obus furent ensuite rebouchés et nivelés.

L’effort put alors se porter sur le tri et le retrait des gravats. Face à l’aspect colossal de la tâche à accomplir et à l’insuffisance de moyens mécaniques mis à disposition, le fruit de ce travail ne fut perceptible qu’à l’issue de longs mois, voire dans certains secteurs, de longues années. Les limites parcellaires d’avant-guerre furent rétablies. Des géomètres arpentèrent l’ancien champ de bataille afin de rétablir le cadastre des communes dévastées.

Les logements manquant cruellement, tout était bon, dans les zones les plus atteintes comme à Lens, à Bailleul, à Longueval, sur le chemin des Dames, pour se construire un abri de fortune avec des matériaux de récupération. Les pierres, les briques, les planches de bois, les tuiles étaient récupérées dans les décombres. Des familles logèrent ainsi dans des conditions précaires, dans des trous, dans des caves, sous des murs branlants, non abrités du froid et du vent, dans des conditions d’hygiène difficiles. Par la suite, des préfabriqués prélevés sur les stocks des armées commencèrent à arriver.

Vers l’abandon des projets de conservation

Un revirement s’opéra progressivement sur la question de la conservation des ruines de guerre. À la Chambre, les députés insistèrent pour que les lieux sélectionnés ne fassent pas obstacle à une reconstitution générale, et n’occasionnent pas à l’État le recours à des expropriations massives.

La Commission des vestiges, quant à elle, avait déjà mis en avant le fait qu’en dépit de l’intérêt éducatif et historique des vestiges, le coût de l’acquisition des terrains et de l’entretien des organisations ne pourraient être couverts par l’Administration.

Elle insista désormais sur le fait que la conservation d’éléments en ruines ne devait pas gêner la reconstruction. Au sein des comités départementaux de sélection, les architectes des monuments historiques et les préfets avancèrent, pour leur part, que certains monuments ne méritaient pas d’être reconstruits pour des raisons financières. Ils soulevèrent aussi la question du coût et de l’utilité du maintien des ruines en l’état. Les désaccords au sein des commissions chargées des classements portèrent aussi sur le choix à opérer entre des ruines historiques, à portée pédagogique et des vestiges militaires, mais également sur la surface à préserver : fallait-il s’en tenir à un édifice isolé ou envisager le classement d’un quartier, voire de la totalité d’un ensemble en ruines ?

Ce revirement fut accentué par les obstacles réglementaires, par la mauvaise volonté des administrations en charge de la reconstruction et par les intérêts des particuliers qui contestèrent ces projets. Les listes de classement furent révisées. Des vestiges furent supprimés.

Des plaies au cœur de la France

Dans les grandes municipalités, et pour certains édifices cultuels et civils très exposés pendant le conflit, comme les cathédrales de Reims et de Verdun ou le beffroi d’Arras, on opta finalement pour une reconstruction, parfois une restitution, à l’identique. On avait bien pensé à maintenir telle quelle la cathédrale de Reims. On avait bien songé à restaurer les places tout en laissant au centre de la petite place les gravats du beffroi d’Arras. Mais les habitants exprimèrent vivement, par la voix de leur maire, leur souhait de ne pas laisser ces plaies au cœur des villes, ce que rapporte notamment le document sur la reconstruction des régions (8 mars 1980) et Reims (11 mars 1980, MAP, Charenton-le-Pont).

Finalement, peu de projets de conservation de bâtiments en ruines aboutirent. De nombreux villages ne furent jamais rebâtis. Certains furent déplacés comme Fey-en-Haye, Craonne et l’Allemant. D’autres fusionnèrent avec d’autres communes, comme Hurlus avec Wargemoulin, Tahure avec Sommepy et Regniéville avec Thiaucourt.

Dans le canton de Charny (Meuse), neuf villages furent maintenus en ruines. Ces villages, détruits suite aux longs combats qui s’étaient déroulés autour de Verdun, étaient impossibles à remettre en culture. Ils furent déclarés « morts pour la France ». Les terrains, classés zone rouge, furent expropriés et le reboisement commença en 1923.

Village de Bezonvaux, un des neuf villages maintenus en ruines du canton de Charny (Meuse). E. Danchin, Author provided

Beaucoup de châteaux ne furent pas relevés, comme ceux de Belleau et de Soupir, souvent parce que la reconstruction à l’identique eut été trop onéreuse, comme à Coucy. Des éléments isolés, comme l’église d’Ablain Saint-Nazaire (Pas-de-Calais), furent par contre maintenus en ruines après consolidation des structures. Des fermes, comme celle de Léomont (Meurthe-et-Moselle) et des massifs forestiers, comme celui de Bois-le-Prêtre, furent également classés comme souvenir de guerre.

Aujourd’hui, les rares ruines de guerre conservées ont fini par se végétaliser et se dégrader sous les effets du gel, du froid, des intempéries et du passage du temps. Elles n’évoquent plus la violence des destructions de 1914-1918, mais constituent plutôt des repères dans le paysage. Seules les cartes postales et les photographies rendent encore compte des destructions que la reconstruction a achevé d’effacer.


Emmanuelle Danchin est l’auteure du livre « Le temps des ruines (1914-1921) », Rennes, PUR, 2015.

Les dangers du perfectionnisme

09 vendredi Nov 2018

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The Conversation

Le laboratoire créatif

  1. Sylvie Gendreau

    Chargé de cours en créativité et innovation, Polytechnique Montréal

AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

 

Josefa Ndiaz/Unsplash

Cette chronique est dans la droite ligne et se nourrit des recherches et rencontres publiées sur mon site Les cahiers de l’imaginaire.


Vous arrive-t-il de vous acharner sur des détails ? De vous éterniser sur une tâche ? De vous en vouloir si un petit incident a laissé une égratignure sur un objet ? De ne pas oser soumettre un article, car il ne vous semble pas encore assez bien ? De ne pas réussir à finir ce travail, cette toile ou ce manuscrit dans les délais que vous aviez prévus ? D’abandonner dès qu’une critique vous fait trop souffrir ?

Si vous répondez oui à ces questions, vous souffrez peut-être de perfectionnisme. Soyez sur vos gardes, cela peut dégénérer et vous empoisonner l’existence à petit feu. Si certaines personnes associent leur perfectionnisme à leur réussite, cet article vous fera peut-être voir les choses autrement. Pour être positif, le perfectionnisme doit se transformer en mécanisme d’amélioration comme je vous l’explique dans la deuxième partie de cet article.

Mais avant tout, surtout, ne culpabilisez pas, vous êtes loin d’être seul.e dans ce cas ! Aujourd’hui, grâce aux nombreuses études réalisées sur le sujet, on peut recouper les données. Dans des pays comme le Canada, la Grande-Bretagne et les États-Unis, par exemple, le perfectionnisme serait en hausse. On parlerait même d’un début d’épidémie dans le domaine de l’éducation.

« Près de deux enfants et adolescents sur cinq sont des perfectionnistes », déclare Katie Rasmussen, chercheuse en développement de l’enfant et en perfectionnisme à l’Université de West Virginia. « Nous commençons à en parler comme d’une épidémie et d’un problème de santé publique. »

La montée du perfectionnisme ne signifie pas que chaque génération est de plus en plus accomplie. « Cela signifie que nous devenons plus malades, plus tristes et que nous sapons même notre potentiel » écrit la journaliste de la BBC, Amanda Ruggeri qui affirme souffrir, elle-même, de perfectionnisme.

Si vous avez des perfectionnistes dans votre entourage, ouvrez l’œil et tendez-leur la main. La prise de conscience est la première étape de la guérison.

Un exemple ? Lorsqu’elle referme la porte derrière elle, on sait que ce sera long. C’est l’heure de la séance de maquillage. Lorsqu’elle réapparaît, c’est toujours spectaculaire. Vite une photo pour les amis sur Instagram. Faux-cils, eye-liner, petites lignes de brillants, maîtrise des jeux d’ombres et lumières sur ses joues et son nez… on ne peut qu’admirer le résultat. Chaque jour, elle impressionne sa famille, ses amis, ses collègues. Anna a trouvé sa passion. Mais lorsqu’elle refuse d’aller acheter une baguette de pain sans maquillage, l’admiration de ses proches se transforme en inquiétude.

Le besoin que les autres nous voient comme des êtres parfaits, en tout temps et selon nos critères (et non les leurs), peut devenir une responsabilité très lourde à porter.

La lutte des étudiants

Eric Ward/Unsplash.

Depuis un certain temps, je demande à mes étudiants quels sont leurs principaux problèmes pour atteindre leur meilleure performance en tant que chercheurs ? Leurs réponses m’apprennent énormément de choses. Bien que certains me parlent de trouver une idée qui sera vraiment nouvelle et fera avancer les recherches dans leur discipline, leurs trois principaux problèmes pourraient se résumer ainsi :

  1. La gestion du temps (comment maintenir un équilibre travail/famille).
  2. La procrastination (comment rester motivé dans la durée), le travail de dernière minute épuise, ajoute énormément de stress et affecte la santé et la qualité de vie.
  3. Le perfectionnisme (comment être apprécié et reconnu pour ce que l’on fait ?) On se focalise sur ce que les autres pensent de nous plutôt que sur nos intérêts et motivations à nous réaliser dans un domaine qui nous passionne.

Le perfectionnisme peut affecter des personnes de tous les âges, mais il est particulièrement élevé chez les étudiants et les doctorants.

En 2018, j’ai remarqué que plusieurs articles avaient été publiés sur cette question du perfectionnisme. J’ai écrit un premier billet au printemps dernier sur mon blogue. Avalanche de commentaires sur LinkedIn, plus de 21 000 vues, 143 partages sans compter ceux sur The Conversation France. En lisant les commentaires, j’ai compris que de nombreuses personnes souffraient de perfectionnisme et essayaient de s’en sortir. Cet automne, je le remarque chez certains étudiants. Mais ce n’est pas tout. J’ai été sous le choc lorsque j’ai découvert cette statistique de l’Organisation mondiale de la santé : saviez-vous qu’une personne se suicide toutes les 45 secondes.

L’absurde d’une telle situation

Je n’ai pu m’empêcher de penser à Albert Camus qui écrit dans Le Mythe de Sisyphe :

« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide. Jugé si la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a deux ou trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories vient ensuite. Ce sont des jeux. Il faut d’abord répondre. Et s’il est vrai, comme le veut Nietzsche qu’un philosophe, pour être estimable doit prêcher l’exemple, on saisit l’importance de cette réponse, car elle va précéder le geste définitif. Ce sont là des évidences sensibles au cœur, mais qu’il faut approfondir pour les rendre claires à l’esprit. »

Camus, le magnifique théoricien de l’absurde mérite d’être lu ou relu. Lorsque nous perdons nos repères, le défi est de transformer ces situations absurdes en révoltes plutôt qu’en désespérance, comme il le dit si bien. C’est souvent dans l’action qu’on s’aperçoit, pris dans nos habitudes, en ressentant les automatismes et la lassitude de nos routines, qu’une perte de sens nous afflige au point de ne plus vouloir continuer à vivre. Ce n’est pas le propos de cet article d’approfondir sur ce sujet pourtant passionnant, mais si cela vous intéresse, je vous conseille d’écouter la conversation entre Raphaël Enthoven et le professeur de philosophie Marc-Henri Arfeux diffusée sur France Culture pour Les Nouveaux Chemins de la connaissance en 2009.

Une personne qui se suicide toutes les 45 secondes devrait éveiller notre sympathie sur la douleur des autres. En tout cas, cela a éveillé la mienne. En tant que société, chacun de nous devrait réfléchir à ce problème.

On associe en effet, de plus en plus le perfectionnisme comme étant une des causes du suicide. Avec les nouveaux outils (analyse des données et intelligence artificielle), les études récentes peuvent faire des recoupements entre le perfectionnisme et le suicide en regroupant les résultats de plusieurs expériences et recherches sur des périodes plus longues. On parle désormais d’un perfectionnisme qui tue (plutôt que d’un perfectionnisme qui permet de réussir). La génération des milléniums, par exemple, ressent une forte pression d’être parfaite. Plusieurs souffriraient d’anorexie, de pensées suicidaires et de dépression.

Que faire si nous sommes un perfectionniste ?

Wei Ding/Unsplash.

D’une part, si nous sommes le premier concerné, il faut prendre des mesures tout de suite pour se soigner. En prendre conscience, déjà, et suivre les conseils que nous donnerions à un ami.

« Le perfectionnisme, après tout, est une façon ultime d’être contre-productif pour se déplacer à travers le monde. Il est construit sur une ironie atroce : commettre et admettre des erreurs est un élément nécessaire pour grandir, apprendre et être humain. Cela vous rend également meilleur dans votre carrière, dans vos relations et dans votre vie en général. En évitant les erreurs à tout prix, un perfectionniste peut rendre plus difficile la réalisation de leurs objectifs nobles » écrit Amanda Ruggeri.

Pour agir, j’ai créé un cours où j’utilise l’approche de créateurs prolifiques comme subterfuge et cela marche plutôt bien. J’applique le système que j’enseigne depuis deux ans, et j’ai vu une vraie différence. Ce travail sur soi ne se termine jamais, bien sûr. C’est une manière d’être, de vivre, de respirer, de réfléchir : « Ce sont là des évidences sensibles au cœur, mais qu’il faut approfondir pour les rendre claires à l’esprit » comme l’écrit Camus qui précise qu’il n’y a pas de différence entre l’artiste et celui qui va à l’usine tous les matins.

D’autre part, il faut veiller, autant que possible, à ne pas encourager le développement de ce trait de personnalité chez nos enfants, nos élèves ou nos étudiants, il faut repenser nos manières d’éduquer et d’enseigner. Et si on détecte des signes avant-coureurs dans notre entourage, il ne faut pas hésiter à leur offrir notre aide avant qu’il ne soit trop tard.

« Mourir volontairement suppose qu’on a reconnu même instinctivement, l’absence de toute raison de vivre, le caractère de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance. On peut croire que le suicide suit la révolte. Mais à tort car il ne figure pas son aboutissement logique. Il est exactement son contraire par le consentement qu’il suppose. Le suicide comme le saut est l’acceptation de sa limite. »

Camus n’accepte pas le suicide, et nous ne devrions pas l’accepter non plus. Même si la vie est absurde, il faut vivre. Une des pistes d’action pour faire baisser les statistiques est de lutter contre le perfectionnisme. Comprendre ce qu’est la pensée contrefactuelle ascendante peut nous aider à agir ou à intervenir.

Qu’est-ce que la pensée contrefactuelle ?

On peut la définir par la question suivante : que serait-il advenu si tel événement passé s’était déroulé différemment ?

Jeshoots.com/Unsplash.

Nous avons tendance à générer plus de pensées contrefactuelles après avoir vécu une situation éprouvante

On doit distinguer deux types de pensée contrefactuelle : la pensée ascendante (imaginer rétrospectivement une situation plus positive qu’en réalité) ; la pensée descendante (imaginer rétrospectivement un résultat plus négatif qu’en réalité).

Les deux pensées contrefactuelles (ascendante et descendante) produisent chacun des effets différents.

La pensée contrefactuelle ascendante (upward) peut avoir des effets négatifs, mais elle a l’avantage de favoriser la motivation et l’autoamélioration. Songer à ce qui aurait pu advenir, en mieux, peut s’avérer quelque peu déprimant, mais cela permet d’éviter que ce que l’on considère comme étant de mauvais résultats se reproduisent à nouveau.

La pensée contrefactuelle descendante (downward), en revanche, ne génère pas d’affects négatifs. Mais elle ne stimule pas non plus la motivation et n’incite pas à corriger le tir en vue de s’améliorer. Songer aux catastrophes que nous avons heureusement pu éviter nous procure un sentiment de bien-être, mais ne nous est d’aucun secours pour faire face à un danger réel s’il venait à se manifester.

Si nous sommes un perfectionniste, notre attitude sera différente concernant la pensée contrefactuelle. Le perfectionnisme se caractérise par le désir de se conformer à des standards très élevés. Les perfectionnistes ont un sens aigu de l’autocritique et ils sont extrêmement sensibles au regard d’autrui. Par conséquent, dans la vie d’un perfectionniste, lorsqu’un résultat n’est pas conforme à ses attentes, il génère plus de pensées contrefactuelles que pour un non-perfectionniste.

Il existe une corrélation positive entre le perfectionnisme autoorienté et une pensée contrefactuelle, imaginant un résultat meilleur que le résultat qui a réellement été produit. (Une corrélation positive entre deux variables indique que les valeurs de l’une variable tendent à augmenter lorsque celles de l’autre variable augmentent.) Et une corrélation négative entre le perfectionnisme autoorienté et une pensée contrefactuelle, imaginant un résultat moins bon que le résultat qui a réellement été produit.

Il existe également une corrélation négative entre le perfectionnisme socialement induit (pressions extérieures) et une pensée contrefactuelle, imaginant un résultat moins bon que le résultat qui a réellement été produit.

Ainsi, le perfectionnisme auto-orienté vise effectivement à l’amélioration de soi, et constitue un facteur de motivation. Au risque, toutefois, de produire des affects négatifs comme une image de soi qui ne correspond pas tout à fait à la réalité.

Il est normal qu’après un échec, nous voulions corriger le tir et cherchions à améliorer nos attitudes et nos comportements pour éviter que cet échec se reproduise. Nous recourons alors à la pensée contrefactuelle. Et les perfectionnistes y ont davantage recours que les non-perfectionnistes.

Comment cette mécanique « contrefactuelle » s’enclenche-t-elle ?

Nous révisons les aspects de notre vie sur lesquels nous croyons pouvoir exercer un contrôle pour élaborer un plan d’action. Que pouvons-nous changer et comment ?

Mais en procédant à un tel exercice, nous filtrons en quelque sorte notre champ d’action en fonction du pouvoir que nous croyons être en mesure d’exercer sur la réalité.

Tout dépend du sentiment que nous éprouvons alors face aux actions à mener : nous sentons-nous en contrôle ? Ou au contraire, avons-nous l’impression d’être impuissants ?

Des expériences ont été menées pour tenter d’y voir clair. Voici les résultats obtenus :

Les individus qui se sentent impuissants pratiquent une pensée contrefactuelle moins centrée sur eux-mêmes que ceux qui se sentent en contrôle. En d’autres mots, ceux qui se sentent impuissants ont tendance, intérieurement, à se prêter à d’incessantes délibérations sur la direction que leurs actions devraient ou non emprunter.

Cet effet n’est pas dû à la façon dont ceux qui se sentent impuissants et ceux qui se sentent en contrôle expliquent les raisons pour lesquelles un tel événement s’est produit dans le passé, mais plutôt à la façon dont ils perçoivent les possibilités qui s’offrent à eux dans le futur.

Ainsi, les individus qui se sentent impuissants ont trop souvent tendance à sous-estimer le contrôle qu’ils peuvent avoir sur une situation donnée et, face à un résultat négatif, ils s’enferment, en quelques sorte, dans une pensée contrefactuelle trop centrée sur eux-mêmes qui les culpabilise et les conforte dans leur sentiment d’impuissance. Leurs intentions par rapport à l’avenir étant faibles, ils risquent de compromettre leur processus d’apprentissage pour corriger leurs erreurs et affaiblir ainsi leur performance.

L’exercice que je vous propose cette semaine, c’est un petit questionnaire pour déterminer si vous êtes un perfectionniste ou non. Et vous aidez à réfléchir à ce que vous pourriez faire pour transformer votre perfectionnisme en atout positif.

50 % de nucléaire dans le mix électrique pour 2035… et après ?

08 jeudi Nov 2018

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The Conversation

  1. Patrick Criqui

    Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes

Université Grenoble Alpes

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À l’EPR de Flamanville, en 2016. Charly Triballeau/AFP

Peu de temps après la démission de Nicolas Hulot, le 28 août dernier, on apprenait que se trouvait sur son bureau un rapport, non rendu public, évoquant la construction de 6 réacteurs nucléaires de type EPR, pour une entrée en service à partir de 2035.

Il est probable que cet épineux dossier ait pu contribuer au malaise grandissant du ministre de la Transition écologique et solidaire et à sa décision de démissionner.

Il est aussi probable qu’au moment où l’on discute la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) – qui fixe les objectifs en matière de transition énergétique pour la période 2019-2028 et sera présentée mi-novembre par le gouvernement –, cette annonce soit apparue à certains de nos concitoyens comme une nouvelle provocation de l’establishment nucléaire.

Cela est compréhensible, compte tenu du fait que l’industrie nucléaire française est aujourd’hui confrontée à la fois à des difficultés pour le démarrage de l’EPR de Flamanville et à des incertitudes majeures quant aux décisions de fermeture ou de prolongation, après rénovation, des centrales du parc existant.

L’EPR affiche en effet un retard important dans sa mise en service et ses coûts ont été multipliés par trois. Cela alors que le parc en service vieillit et que les premières centrales du programme nucléaire, mises en service à la fin des années 1970, vont à partir de l’an prochain devoir passer leur quatrième visite décennale.

Les questions s’enchaînent, les plus importantes étant sans doute : faudra-t-il construire de nouvelles centrales ? Combien ? Quand ? De quel type ?

Agence France-Presse

✔@afpfr

 · Oct 26, 2018

Le gouvernement laisse la porte ouverte à la construction de nouveaux EPR en France, mais veut avoir la garantie que les coûts seront maîtriséshttp://u.afp.com/ozhL  par @mheucAFP #AFP

Nucléaire: le gouvernement n’écarte pas de nouveaux EPR mais sous condition

Le gouvernement laisse la porte ouverte à la construction d’une série de nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR en France à l’avenir, mais il ve…

lepoint.fr

Agence France-Presse

✔@afpfr

Dans un document de travail du gouvernement consulté par l’ #AFP et rédigé pour la feuille de route énergétique du pays, le gouvernement envisage de décider seulement entre 2021 et 2025 de lancer la construction d' »une nouvelle série » d’ #EPRhttp://u.afp.com/ozhL  @mheucAFP pic.twitter.com/dQwoDhDSxp

11:11 AM – Oct 26, 2018

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Le point aveugle du débat

Pour évaluer ce que signifierait la décision de construire de nouveaux réacteurs, il faut se projeter plus loin que l’horizon final de la PPE en 2028.

Le débat autour de la transition dans le secteur électrique s’est jusqu’à maintenant focalisé sur la question de la date à laquelle sera atteint le seuil de 50 % nucléaire dans le mix électrique français (cette part étant actuellement de plus de 72 %).

Le véritable enjeu structurant est cependant tout autre. On peut bien discuter en effet de savoir s’il faut atteindre le 50 % en 2025 (proposition initiale de François Hollande en 2012), en 2030 (date qui semblait convenir à Nicolas Hulot) ou en 2035, date évoquée récemment par le Premier ministre.

Mais la question importante demeure : le 50 % est-il un plancher qu’il faut atteindre dans les prochaines années et qui constituera le socle nucléaire de la production électrique en France sur le long terme ? Ou bien n’est-ce qu’un point de passage dans une trajectoire de sortie complète du nucléaire ? C’est bien le point aveugle du débat.

Et en dehors de la discussion sur les quatre « trajectoires » dessinées dans le cadre du débat national sur la transition énergétique qui s’est clôt en 2013, la question a été éludée dans tous les processus de discussion et d’élaboration de la politique énergétique – la loi de transition énergétique pour la croissance verte, la discussion actuelle sur la PPE ou encore la stratégie nationale bas carbone.

Au-delà de la question du 50 % de nucléaire dans la production électrique française, pour savoir s’il faudra un jour construire de nouvelles centrales, il faut bien savoir si la France doit ou non sortir du nucléaire…

Nucléaire ON ou OFF ?

Le maintien des capacités nucléaires au niveau actuel est peu probable car il ne laisserait, dans un contexte de demande stable ou légèrement décroissante, aucun espace pour le déploiement des renouvelables.

On peut alors caractériser, en simplifiant, deux futurs possibles. En simplifiant, c’est-à-dire d’abord en prenant une hypothèse médiane sur la demande à long terme : celle d’une stabilisation de la production à 550 TWh/an. Et, ensuite, en supposant que le déclin du nucléaire sera « lissé » afin de faciliter l’ajustement progressif du système électrique.

Le premier scénario à examiner est alors celui d’une sortie complète à l’horizon 2050. Dans ce cas, seule une partie des 58 tranches (c’est-à-dire des réacteurs) nucléaires existantes est renouvelée pour dix ans ; il n’y a plus de nouvelle construction. La production nucléaire décline à partir de 2020, le point 50 % est atteint un peu avant 2030 et, au rythme d’une réduction de la production nucléaire de -14 TWh/an (soit l’arrêt d’en moyenne deux tranches chaque année), on atteint le point zéro en 2050.

En parallèle, la production éolienne et solaire doit augmenter de manière très significative pour atteindre près de 400 TWh sur la même période. Rappelons qu’en 2017 la production a été de 24 TWh pour l’énergie éolienne et de 9 TWh pour le solaire photovoltaïque : il faut changer d’ordre de grandeur.

Le scénario du nucléaire off en 2050. P. Criqui (calcul ElecSim), CC BY-NC-ND

Le second scénario à étudier serait celui du maintien d’un « socle nucléaire » à 50 % de la production électrique. Dans ce cas, on peut supposer que les centrales existantes seront, en moyenne, prolongées de dix ans. Pour atteindre le 50 %, environ huit tranches parmi les plus anciennes devraient être fermées à l’horizon 2028. Le déclin du parc existant se poursuivrait alors jusqu’en 2050.

Dans ce scénario, l’arithmétique est simple : pour une production totale de 550 TWh, un socle nucléaire de 50 % nécessite l’entrée en production de nouvelles centrales à partir de 2035. C’est l’horizon qui a été mentionné récemment par Édouard Philippe.

Le nucléaire toujours présent en 2050. P.Criqui (calcul ElecSim), CC BY-NC-ND

Deux futurs contrastés sont donc possibles, mais chacun embarque son lot d’incertitudes et de difficultés.

Du côté du « nucléaire OFF » la question est double : d’abord, sera-t-il possible d’installer, dans les temps et à des niveaux aussi importants, les éoliennes et les panneaux solaires nécessaires ? Ensuite, avec une part des « énergies renouvelables variables » dans la production électrique aussi élevée que 70 %, la question de l’ajustement en continu à la consommation d’une production intermittente devient un problème sérieux. Pour le gérer, il faudra absolument développer massivement le stockage d’électricité et l’interconnexion des réseaux à l’échelle européenne.

Quel nouveau nucléaire ?

Dans le « scénario ON », celui du maintien à 50 %, les incertitudes ne sont pas moindres.

Dans la liste : Quand l’EPR de Flamanville pourra-t-il démarrer et quelles seront ses performances ? Quelle sera l’issue des premières « quatrième visite décennales » effectuées par l’Autorité de sûreté nucléaire ? Quel sera ensuite le coût des travaux de « carénage », c’est-à-dire de rénovation, qu’EDF devra entreprendre pour la prolongation de la durée de vie ? Voilà pour le parc existant.

Mais les choses se compliquent encore lorsque l’on en vient à la question de quel réacteur construire à partir de 2035. Compte tenu des acquis mais aussi des difficultés actuelles de l’industrie nucléaire, il est peu probable que la France ait recours à des concepts développés par des entreprises étrangères, comme l’AP-1000 de Westinghouse ou le VVER-1200 du russe Rosatom (dont la Chine vient de commander quatre exemplaires).

Alors que l’option de la fusion nucléaire (avec le réacteur de recherche ITER), ne pourrait être opérationnelle que dans le dernier quart du siècle, on peut identifier quatre options possibles d’ici à 2050 :

  • l’EPR-NM (NM, pour « nouveau modèle » à la fois optimisé et simplifié) ;
  • les réacteurs surgénérateurs à neutrons rapides refroidis au sodium (type ASTRID, actuellement développé par le CEA) ;
  • les réacteurs à sels fondus et thorium (au stade du laboratoire en France) ;
  • enfin, les petits réacteurs modulaires, inspirés des réacteurs utilisés pour les sous-marins et porte-avions nucléaires et que Naval Group étudie en France.

Il reste plus de quinze ans avant une éventuelle entrée en production des nouveaux réacteurs et donc quelques années pour prendre une décision. Mais la France n’est pas la Chine, dont le marché est immense et où se testent tous les concepts. Il sera impossible en France de miser sur toutes les filières à la fois. Il faudra donc trancher, éliminer les options qui apparaissent non viables, et concentrer les efforts sur une ou deux voies prometteuses.

Avant toute décision, l’EPR de Flamanville devra avoir fait ses preuves. Les petits réacteurs modulaires ne constituent dans doute pas une option majeure dans le contexte français car ils sont plutôt destinés aux pays ne disposant que de réseaux de petite taille. Les réacteurs à sels fondus au thorium peuvent, de l’avis de nombreux experts du domaine, constituer un pari d’avenir pour une innovation de rupture. Mais ce n’est pas le cas des surgénérateurs à neutrons rapide au sodium, dont les limites ont déjà été explorées dans les années 1970 avec Phénix et Superphénix.

S’il est décidé de conserver une part de nucléaire dans le mix électrique français, ce sont ces questions qui devront être rapidement débattues.

Aux États-Unis, la haine raciste et antisémite alimentée par les thèses du « post-nazisme »

07 mercredi Nov 2018

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The Conversation

  1. Stéphane François

    Politiste, historien des idées, chercheur associé, École pratique des hautes études (EPHE)

 

Devant la synagogue attaquée, à Pittsburgh, le 29 octobre 2018. Brendan Smialowski / AFP

Le samedi 27 octobre 2018, un homme entre dans une synagogue de la ville de Pittsburgh (Pennsylvanie), aux États-Unis, ouvre le feu en hurlant des insultes antisémites, entrecoupé de « Tous les Juifs doivent mourir ! ». Onze personnes meurent.

L’an passé à Charlotteville (Virginie), ville moyenne de ces mêmes États-Unis, une manifestation de militants racistes et autres suprémacistes blancs criait : « Les Juifs vont nous remplacer ! »

Les agressions physiques antisémites se multiplient dans ce pays. Selon un article du Monde, qui reprend les chiffres de l’Anti-defamation League, elles auraient même progressé de 57 % depuis deux ans. Selon le même article, les chiffres du vandalisme de lieux religieux auraient quant à eux augmenté de 86 % durant la même période.

La hantise du « grand remplacement », version américaine

Cette haine antisémite se nourrit des thèses de l’extrême droite étatsunienne, très active et surtout très vivace. Celle-ci se caractérise par un discours à la fois suprémaciste et séparatiste blancs que les militants appellent le « nationalisme blanc ». Selon ceux-ci, il s’agit à la fois d’affirmer la supériorité de la race blanche et de refuser la société multiethnique, en créant des îlots blancs.

En soi, ces thèses sont anciennes. On les retrouve dès le début du XXe siècle chez des théoriciens racistes, toujours publiés et traduits par l’extrême droite, comme Madison Grant, avec un ouvrage comme Le Déclin de la grande race (1916) ou Lothrop Stoddard avec Le Flot montant des peuples de couleur (1920), ainsi que dans les lois raciales étatsuniennes, telles les lois « Jim Crow », dans la défense des populations WASP (White Anglo-Saxon Protestants), ou, enfin dans les positions du second Ku Klux Klan (1915-1944), ouvertement fascisant, dont aurait fait partie le père de Donald Trump.

Les nazis s’en inspirèrent pour l’élaboration et la promulgation de leurs propres lois raciales. Déjà, à l’époque, l’antisémitisme était présent dans ces discours, les Juifs étant vus comme les amis des Noirs. Les thèses du « grand remplacement » ne datent donc pas d’aujourd’hui – au sens propre comme au figuré.

Une vieille tradition remise au goût du jour à l’Université

Ces exemples anciens sont loin d’être anecdotiques, car ces auteurs sont de nouveau mis en avant par une jeune génération de théoriciens racistes, certains d’entre eux étant même des universitaires. Il existe, en effet, un fort courant raciste et antisémite aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, présent au sein de l’Université.

Parmi les pionniers de l’après-Seconde Guerre mondiale, on peut citer des universitaires comme Raymond Cattell, Arthur Jensen, Donald Swan, Wesley George ou Roger Pearson, fondateur de la Northern League qui fut un repaire d’anciens nazis dans les années 1950 et 1960.

Ces personnes offrent l’avantage aux militants actuels de pouvoir citer des théoriciens racistes particulièrement radicaux, mais qui échappent à la sphère du nazisme ou du néonazisme. Surtout, ils offrent une caution universitaire aux discours promouvant l’inégalité raciale. Ces auteurs faisaient de la préservation de l’identité blanche des États-Unis leur cheval de bataille.

Ils sont toujours présents dans l’Université américaine aujourd’hui, avec par exemple le psychologue évolutionniste racialiste et antisémite Kevin MacDonald, ou le pédagogue Robert S. Griffin, promoteur d’un nationalisme blanc – il est d’ailleurs l’auteur d’un ouvrage intitulé Vivre en tant que blanc, traduit en français. Tout est dans le titre.

La nébuleuse de l’alt-right

Ces militants font partie d’une nébuleuse, connue depuis quelques années, sous l’expression d’« alt-right » (pour « alternative right », la « droite alternative », non gouvernementale). Ce racisme universitaire alimente les militants racistes en thèses promouvant l’inégalité raciale.

Le rabbin Jeffrey Meyers, au lendemain de l’attaque de sa synagogue « L’arbre de vie » (ici le 28 octobre). Brendan Smialowski/AFP

Il s’agit, pour eux, de promouvoir une identité blanche mise à mal par les revendications des minorités (ethniques, religieuses ou sexuelles). Pour ce faire et pour renouveler leur logiciel théorique, ces idéologues regardent du côté de l’Europe, commentant et traduisant les théoriciens de la race et de l’identité.

Nous sommes donc face à des milieux qui ont assimilé les différentes évolutions idéologiques des uns et des autres. Surtout, ces militants américains ont défini une nouvelle forme d’antisémitisme inspiré à la fois du national-socialisme et de la tradition raciste américaine : le postnazisme.

Face au « génocide de la race blanche »

C’est celui qu’on voit se manifester bruyamment et criminellement aujourd’hui. Celui-ci peut être défini comme un discours au contenu antisémite, raciste promouvant la race blanche, mais qui ne cherche pas à minimiser ou à nier le génocide des Juifs européens.

Au contraire, ses tenants l’assument et souhaitent « passer à autre chose » selon le mot terrible de Greg Johnson, l’un de leurs théoriciens actuels importants, au motif que la race « blanche » subirait aujourd’hui son propre génocide par la promotion de l’homosexualité, le métissage, la substitution ethnique et l’« immigration-colonisation » (propos écrits dans Le Nationalisme blanc. Interrogations et définitions). Surtout, ils considèrent que ce sont les juifs, rescapés du génocide européen, qui se vengeraient de l’échec de leur extermination…

Ainsi, Greg Johnson a pu écrire la chose suivante :

« En ce qui concerne les Juifs… À tout le moins, tous leurs biens devraient être confisqués. Tout au moins. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, nous devrions envisager des réparations. Deuxièmement, s’ils étaient autorisés à conserver leur patrimoine, ils l’utiliseraient immédiatement pour semer le trouble chez nous. Il suffit de regarder ce qui s’est passé quand Adolf Hitler, avec l’excès de bonté typique qui constituait son plus grand défaut, a permis aux Juifs d’Allemagne d’émigrer avec leur fortune ».

Ce discours peut sembler délirant. Pourtant, il existe et se diffuse massivement dans les milieux des extrêmes droites européennes et américaines. Selon ces militants, l’un des principaux acteurs de ce « génocide » serait le financier et philanthrope George Soros : il incarne parfaitement l’idéal-type antisémite du juif riche apatride qui cherche à manipuler la marche du monde et à entraver le fonctionnement des nations.

Surtout, les militants américains ne restent pas au stade de l’écriture. Ils hurlent leur haine et passent à l’action : n’oublions pas que ce pays a une longue tradition d’attentats et de fusillades d’extrémistes de droite. Samedi 27 octobre 2018, il y eut 11 morts à Pittsburgh. Malheureusement, ce ne seront pas les derniers.

L’élection de Donald Trump en 2016 et ses propos parfois plus qu’ambigus (pensons à ses propos à la suite de la manifestation raciste de Charlottesville disant qu’il y avait des « gens bien des deux côtés ») semblent être vus par les militants racistes américains comme un blanc-seing au passage à l’acte.

Et s’il ne cautionne pas les actes racistes et antisémites, il faut bien reconnaître que le président américain les condamne très mollement.

Autonomie des voitures électriques, quand le mieux devient l’ennemi du bien

06 mardi Nov 2018

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The Conversation

  1. Serge Pelissier

    Chercheur sur le stockage de l’énergie dans les transports, Ifsttar

 

La voiture électrique représente un peu plus de 1 % des immatriculations de voitures neuves en France en 2017. Nick Starichenko/Shutterstock

En 2016, un sondage réalisé par Ipsos indiquait que près de 60 % des personnes interrogées jugeaient insuffisante l’autonomie des voitures électriques ; et 30 % d’entre eux souhaitaient voir cette autonomie atteindre les 500 km.

Face à une telle demande, les constructeurs redoublent d’efforts pour augmenter les capacités d’autonomie de leurs véhicules.

La voiture électrique représente aujourd’hui un maillon essentiel d’une mobilité plus respectueuse de l’environnement, même si sa part dans les ventes de véhicules neufs en France reste encore modeste. Elle offre de nombreux avantages, tout particulièrement en zone urbaine : très faibles émissions de gaz à effet de serre pendant le roulage, absence de bruit à faible vitesse, récupération de l’énergie de freinage.

Mais son bilan environnemental global doit cependant être analysé avec attention. Il faut ainsi regarder de près les émissions de gaz à effet de serre relatifs à la production électrique et, plus globalement, l’ensemble des impacts environnementaux de cette mobilité.

Les analyses de cycle de vie (ACV) – qui portent sur l’intégralité de la vie d’un produit depuis l’extraction des matières premières jusqu’au recyclage en fin de vie – permettent de telles évaluations.

Répartition des ventes de voitures neuves en France en 2017. Ademe, CC BY-NC-ND

Poids de la batterie et temps de recharge

Parmi les différents constituants d’un véhicule électrique, c’est la batterie qui soulève le plus de questions relativement au bilan environnemental.

Tout d’abord, sa densité d’énergie est faible – il faut plus de 60 kg de batterie lithium pour remplacer un litre d’essence, ce qui limite l’autonomie des véhicules. D’autre part, la durée de recharge est trop longue. Enfin, son prix est élevé et sa durée de vie difficilement prévisible. Autant de limites qui expliquent les nombreux efforts de recherche réalisés actuellement pour améliorer les performances des batteries des véhicules électriques.

Si tout progrès en matière de prix et de durée de vie peut être salué sans ambiguïté – encore qu’il convienne de vérifier que ce ne soit pas au détriment de l’impact environnemental ou des conditions de travail dans la chaîne de production –, la situation s’avère toutefois plus complexe pour la course à l’autonomie et la rapidité de la recharge.

Les voitures électriques présentent en effet aujourd’hui une autonomie largement supérieure aux besoins quotidiens de la majorité des automobilistes (80 % des déplacementsfont moins de 50 km). Mais une surenchère dans la recherche de l’autonomie peut conduire à embarquer un poids important de batterie (plusieurs centaines de kilos) le plus souvent « inutilisé ». Ceci va clairement à l’encontre de l’efficacité énergétique.

Si des progrès concernant la densité d’énergie des batteries leur permettent sans aucun doute d’être de plus en plus légères, il est cependant difficile de prédire l’échéance et la marge de gain de ces futures avancées.

Une autonomie étendue, même avec une batterie allégée, soulève toujours la question du temps de recharge. Il n’est certainement guère utile d’avoir une autonomie de plus 500 km si l’on doit attendre plus de 24 heures pour recharger complètement sa batterie sur une prise « domestique » de puissance 3 kW.

Pour répondre à cette situation, on voit se développer des stations de recharge rapide, voire ultra-rapide, de très forte puissance. Dans ce contexte, le Conseil européen de l’innovation vient de lancer en février 2018 une action « Horizon Prize » sur des batteries innovantes pour véhicules électriques.

Il y est précisé que « les prototypes réalisés devront être capables de se recharger dans un temps équivalent à celui nécessaire pour un plein d’essence ». Par ailleurs, plusieurs constructeurs de voitures et de bornes annoncent des recharges ultra-rapides de puissance comprise entre 150 et 350 kW.

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Avere-France@AvereFrance

De nouvelles stations de #recharge à très haute puissance @IONITY_EU à Chartres http://bit.ly/2z8zhZC 

9:00 AM – Oct 29, 2018
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La question des installations

On le voit, la course à l’autonomie va de pair avec la course à la puissance de recharge.

Ce type de solutions soulève toutefois de nombreux problèmes, en premier lieu dans le domaine de la technique. Un appel de puissance de 350 kW correspond en effet pratiquement aux besoins d’un quartier de plus d’une cinquantaine d’habitations. On imagine la difficulté de gestion d’un réseau sur lequel de tels appels de puissance apparaissent à l’improviste !

Il faut largement surdimensionner les installations de production, de protection et de distribution de l’électricité pour éviter que le réseau disjoncte et plonge dans le noir des milliers d’usagers. Face à cela, certains constructeurs, comme Renault, imaginent doter ces stations de recharge ultra-rapide de moyens de stockage d’électricité pour soulager le réseau des appels de puissance.

Mais de tels dispositifs se heurtent à la difficulté de stocker, à moyen ou long terme, de l’électricité. Une citerne d’essence peut attendre sans aucun dommage le passage hypothétique d’un usager mais ce n’est pas le cas d’une batterie qui va se décharger, vieillir même sans utilisation et nécessiter une surveillance électronique, voire même un stockage climatisé.

À cela se rajoute une contrainte d’ordre économique. Ce réseau de stations ultra-rapides doit être suffisamment utilisé pour assurer une certaine rentabilité aux investissements colossaux – une seule borne de recharge rapide peut coûter plus de 40 000 €. Plus le réseau est dense et utilisé, plus les investissements sont élevés. En petit nombre, ces stations n’assurent pas la « continuité » de service escomptée, en grand nombre, elles peuvent mettre en danger le réseau électrique.

Un équilibre doit donc être trouvé entre contraintes économiques et technologiques.

Changer nos comportements

Vouloir favoriser le déploiement des voitures électriques par la possibilité de recharge rapide aboutit donc à un risque de surdimensionnement des technologies et des investissements qui peut remettre en cause le modèle économique et le bilan environnemental de l’électromobilité.

En l’état actuel, les batteries de voitures électriques sont à même d’assurer la grande majorité des besoins de mobilité urbaine, voire péri-urbaine. Leur demander de satisfaire les besoins de mobilité sur de grandes distances est un challenge technologique et scientifique motivant, mais dont les retombées sociétales et environnementales sont incertaines.

Le problème vient de la volonté de substituer nos véhicules à essence par des véhicules électriques. Il y a un réel danger à faire croire que la voiture électrique pourra faire tout ce que la voiture à essence fait.

Focaliser sur la course à l’autonomie du véhicule électrique, c’est oublier que changer l’énergie de notre mobilité n’est pas le seul objectif de la transition énergétique en cours. L’électromobilité ne sera pas durable parce qu’électrique, mais parce que conçue pour être durable.

Déplacer une seule personne dans un véhicule de plus d’une tonne n’est pas plus « durable » que la motorisation soit à essence ou électrique. En plus d’une réduction des émissions d’un véhicule, il est primordial de réduire les masses, d’augmenter le taux de remplissage des véhicules, de diminuer le nombre de voitures en circulation, d’adopter une conduite économe, de diversifier nos moyens de transport, etc.

En clair, il faut changer nos comportements de mobilité.

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Conversation France

✔@FR_Conversation

CO₂, pollution de l’air, bruit… Des outils pour évaluer l’impact de son futur véhicule http://bit.ly/2CrmuoC 

1:56 PM – Oct 19, 2018
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Développer des alternatives

Les conclusions des récentes Assisses de la mobilité organisées fin 2017 par le ministère de la Transition écologique et solidaire vont dans ce sens. Et dans ce cadre, la synthèse de l’atelier « Réduire notre empreinte environnementale – mobilités plus propres », si elle appelle à « développer le réseau de recharge des véhicules électriques » ne pointe absolument pas un besoin impérieux d’autonomie des véhicules électriques et encore moins de stations de recharge ultra-rapide.

Les orientations proposées sont plutôt de développer les alternatives à la voiture individuelle (marche, vélo, transport en commun…).

La voiture électrique possède de nombreux atouts pour transformer notre mobilité, y compris avec le niveau actuel de performance en autonomie des batteries. Vouloir à tout prix augmenter cette autonomie risque d’être contre-productif pour une mobilité durable. N’est-ce pas le moment de méditer sur l’avertissement de Jacques dans Le Bluff technologique(1988) lorsqu’il écrivait que « le progrès technologique soulève des problèmes plus difficiles que ceux qu’il résout » ?

Péages urbains : quand la théorie économique se heurte au principe de réalité

05 lundi Nov 2018

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The Conversation

  1. Julien Pillot

    Professeur associé (Université Paris Saclay) / Directeur Scientifique (Xerfi) / Chercheur associé (CNRS), Université Paris-Saclay

Université Paris-Saclay

 

En démocratie, la solution qui s’impose n’est pas toujours la plus efficace, mais la plus acceptable du point de vue collectif. Ken Felepchuk / Shutterstock

L’information a fait grand bruit. Le projet de « loi sur les mobilités », qui sera présenté en Conseil des ministres en novembre, prévoit de faciliter la mise en place et l’exploitation de péages urbains dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Moyen efficace de lutter contre la pollution et la congestion urbaines pour les uns, outil de matraquage fiscal et d’exclusion sociale pour les autres, le projet divise.

Pourtant, du strict point de vue de l’économiste, le débat sur l’efficacité d’une telle mesure est tranché depuis longtemps. Plus exactement depuis les travaux de l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou sur les externalités, il y a près d’un siècle.

Pigou, les externalités et les péages urbains

Pigou remarque que, sur certains marchés, l’action individuelle des agents économiques, producteurs et/ou consommateurs, génère des effets sur la société dans son ensemble. Cette interdépendance entre les actions des uns et le bien-être des autres se matérialise par des « externalités », tantôt positives (la vaccination d’une grande part de la population est favorable à l’ensemble en faisant reculer les risques épidémiologiques), tantôt négatives (l’activité d’une usine qui rejetterait des produits polluants dans l’atmosphère ou dans les cours d’eau). Ainsi, la congestion et la pollution urbaines sont à classer parmi les externalités négatives produites par la circulation automobile (au même titre que les nuisances sonores, les accidents de la route, etc.).

La solution proposée par Pigou pour faire face aux externalités négatives consiste à les quantifier, puis à mettre en place le niveau de taxe permettant de les couvrir. Mais attention, il ne s’agit pas seulement de « réparer » les dommages causés par les externalités négatives à l’économie. Il s’agit plutôt de bien calibrer la taxe de façon à inciter les agents économiques – qui l’internalisent individuellement – à modifier leurs comportements. À supposer que la taxe pigouvienne soit fixée à un niveau optimal, cela se traduirait par un nouvel équilibre production-consommation lui-même socialement optimal.

Bien évidemment, l’époque à laquelle Pigou élaborait sa « théorie des externalités » n’était pas propice à l’instauration des péages urbains destinés à réguler la circulation automobile. Les externalités négatives de la voiture étaient largement méconnues (d’autant que l’automobile avait été le moyen de supprimer les externalités négatives liées au transport urbain les plus visibles de l’époque, à savoir l’amoncellement de crottin de cheval !), l’urbanisation et sa (sur)population n’était en rien comparable à ce que nous connaissons, et les débats en France tournaient plutôt autour de la suppression des barrières d’octroihéritées de l’Ancien Régime.

Principe de réalité et acceptabilité sociale

Mais si Pigou avait eu à se prononcer sur la mise en place de péages urbains dans notre société contemporaine, nul doute qu’il les aurait appelés de ses vœux. Il aurait soutenu que les péages urbains permettraient de révéler des informations sur les préférences individuelles que ne peut connaître l’autorité publique (la valeur d’usage que chaque individu accorde à sa voiture, en fonction de ses contraintes propres), et qu’ils laissent la liberté à chacun de décider s’il consent au paiement de la taxe. Il aurait sans doute également conclu que la circulation se viderait de tous les automobilistes qui accordent la valeur d’usage la plus faible à leur véhicule, c’est-à-dire ceux pour qui les possibilités de report sur des moyens de transport alternatifs sont les plus importantes.

Or, si la logique pigouvienne est d’une grande robustesse, elle se heurte – comme souvent en économie – à un principe de réalité : en démocratie, la solution qui s’impose n’est pas toujours la plus efficace, mais la plus acceptable du point de vue collectif.

En l’espèce, cette proposition de péages urbains s’inscrit dans un contexte latent de « ras-le-bol fiscal » largement incarné par les automobilistes qui, entre augmentation de la fiscalité sur les carburants, rumeurs de taxe sur les cartes grises, renforcement des contrôles de vitesse, et autre durcissement du malus écologique, s’estiment particulièrement visés.

Sacro-saint « pouvoir d’achat »

Qu’importe si les péages urbains ont pu montrer leur efficacité par ailleurs, et qu’importe que le coût social de l’automobile soit globalement (très) loin d’être couvert par les impôts et taxes prélevés sur l’usage (voir graphique)… ce « ras-le-bol fiscal » pousse aujourd’hui les automobilistes, ou les associations les représentant, à réagir avec véhémence, par pétitionset mesures de blocages interposées.

Bien loin d’apaiser les débats, l’opposition s’évertue à souffler sur les braises pour mieux galvaniser cet électoratmassif contre la majorité.

Dans un tel contexte, que les parties prenantes pèchent par défaut d’information ou par calculs individuels, la défense du sacro-saint « pouvoir d’achat » relègue souvent les autres arguments au second plan. Dès lors, on oublie collectivement que nos modes de vie et notre (sur)consommation ont un impact social, sanitaire et environnemental qui inciterait davantage à une plus grande frugalité consumériste ou, à tout le moins, une consommation plus responsable.

À la recherche du « bon péage »

En conséquence, la majorité étudie moins la contribution à long terme de ces péages urbains que les implications à court terme de leur mise en place, à savoir principalement des restrictions d’accès qui requièrent un coût d’adaptation venant s’ajouter à d’autres ponctions sur le « pouvoir d’achat » dans un pays comptant déjà parmi les plus fiscalisés au monde.

S’il veut éviter le risque d’un passage en force, l’exécutif n’a d’autre choix que de rendre la mesure socialement « acceptable ». Pour ce faire, on pourrait prôner la concertation de toutes les parties prenantes des tissus urbains concernés pour calibrer un « bon péage », opter pour des tarifs bas uniques jouant sur les volumes (Oslo) ou des tarifs modulaires discriminants aux heures de pointe (Milan, Tokyo), imaginer des exonérations tarifaires pour certaines catégories d’usagers de la route en fonction de leurs professions ou de leur niveau de revenu (Rome), voire même imaginer des péages positifs qui rétribuent les automobilistes qui renoncent à utiliser leurs véhicules durant les pics de circulation (Rotterdam et demain, peut-être, Lille).

Indépendamment de la solution retenue, les péages urbains seront d’autant mieux acceptés que leur installation s’accompagnera d’initiatives concrètes en parallèle pour densifier les réseaux de transport publics (offrant des alternatives crédibles à la voiture individuelle) et pour lutter contre l’autosolisme (le covoiturage permet le partage des frais, y compris de péages).

Au-delà, c’est bien aux chantiers de l’aménagement du droit du travail et de la réorganisation spatiale du territoire que devront s’attaquer les pouvoirs publics. Car le meilleur moyen de rendre des péages acceptables est encore de créer les conditions permettant d’y échapper. Ainsi, des mesures résolues en faveur de l’installation des entreprises en dehors des zones denses ou, a minima, de la promotion du télétravail, paraissent les seules à marier efficacité et acceptabilité, car les seules susceptibles de réellement réduire les besoins de déplacement vers les centres-ville… et les coûts économiques, environnementaux et sociaux qu’ils engendrent. Pour paraphraser l’écrivaine québécoise Monique Corriveau, « on ne choisit guère les circonstances où l’on est placé, mais on choisit la manière de les accepter »… ou de les faire accepter.

Débat : L’obscénité de l’homme blanc en question

04 dimanche Nov 2018

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  1. Catherine Coquery-Vidrovitch

    Professeure émérite, Histoire africaine, Université Paris Diderot – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Sorbonne Paris Cité apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.

Université Paris Diderot

La réception du gros ouvrage (4 kilos), Sexe, race et colonies, qui vient de sortir aux éditions La Découverte provoque des réactions contrastées voire virulentes. En qualité d’historienne engagée – qualificatif qui n’est pas synonyme de militante –, je pense que l’un des principaux devoirs de l’historien est de privilégier le savoir, et tout le savoir. D’où la nécessité d’aborder quelque question que ce soit de façon sinon frontale du moins dégagée autant que possible de tout affect. Cela implique de lutter contre les non-dits, les réticences d’ordre extra-scientifique, les préjugés de toute sorte, bref d’une façon générale les tabous de l’histoire ou réputés tels.

Tabou n’implique pas ignorance

Éditions La Découverte

Le sexe aux colonies a fait partie de ces « tabous ». Tabou n’implique pas ignorance. On a étudié les signares, les ménagères, les concubines, les esclaves. Néanmoins c’est l’historienne américaine Ann Stoler qui a, la première, mis en lumière une évidence : le regard égrillard de l’homme blanc, la sexualité, voire la pornographie n’ont pas été un corollaire marginal de la colonisation : c’en est un élément constituant.

L’ouvrage s’en veut la démonstration visuelle. On l’a écrit, on l’a peu montré, et jamais de façon systématique. D’aucuns, choqués par la crudité des images, ont réagi.

Quelques journalistes pourtant sérieux s’en sont offusqués avant d’avoir vu le livre, d’autres l’ont fait sans l’avoir lu. Ce n’est pas admissible. Certes, il faut tenir compte des réactions, mais peut-être seulement si elles émanent de femmes noires – les sujets apparemment objectivés de l’ouvrage. Je suis réservée sur les réactions gênées, voire scandalisées de critiques blancs.

Car c’est au public blanc que s’adresse le livre, qui exige de ne pas s’en tenir au premier degré. Le propos n’est pas de se régaler de la vue du corps de femmes noires, il est de démontrer le caractère massif, pendant des siècles, de l’utilisation de ces corps par le regard et les actes des hommes (voire des femmes) blancs.

Ce processus a commencé dès les premiers contacts, au tout début de l’esclavage de couleur, de la traite des unes par les autres. Le documentaire ARTE sur Les routes de l’esclavage récemment diffusé (1er mai 2018) et auquel j’ai participé, a entrepris de le visualiser sans complexe.

https://player.vimeo.com/video/271050648
« Les routes de l’esclavage », Arte, 2018.

Les images apparaissent avec la traite arabo-berbère, elles se démultiplient avec la traite atlantique. Quoi de plus convaincant que de le montrer ? Comme l’explique l’historien Jean‑Claude Schmitt, « l’image a été un élément clef de l’expansion européenne ».

C’est le sujet de cet ouvrage. Les auteurs ont visualisé 70 000 images pendant quatre ans. Ils en ont sélectionné 1 200. Certaines étaient connues, ne serait-ce que par les cartes postales qui circulaient dès les années 1900 et connues de publications antérieures. La plupart sont inédites, oubliées, ou dissimulées. La masse confirme la thèse du livre : l’usage sexuel et la manipulation coloniale des femmes ont été aussi abondantes que permanentes. Le fait même que certaines aient été « fabriquées » est une preuve de la sexualisation coloniale.

Savoir visuel

La virulence des critiques répond à la violence sexuelle coloniale. On a opposé ce corpus à Shoah, ce monument de Claude Lanzmann (1985), qui évoque tout en ne montrant rien. La comparaison est doublement inacceptable. Shoah repose sur un savoir visuel préalable qui permet à l’imaginaire de se représenter l’inacceptable. Qui plus est, ce « savoir visuel » a été fabriqué, car il n’existe guère d’images des camps d’extermination en action, les cendres étant englouties dans les fours crématoires.

Les amas de cadavres squelettiques photographiés par les Britanniques et les Américains ne sont pas les restes des juifs et des Tziganes gazés à Auschwitz, mais les victimes du typhus dans les camps de déportation (et non d’extermination) abandonnés par les nazis, notamment Bergen Belsen. Néanmoins, sans ce travail visuel préalable, Shoah serait incompréhensible pour le public non concerné ou non spécialiste.

Le savoir visuel réalisé ici est authentique. Il affirme que tous les colonisateurs – administrateurs, commerçants, voyageurs, explorateurs, voire missionnaires – pouvaient (même s’ils ne l’ont pas tous fait) se livrer sur les femmes africaines à ce qui leur était interdit en métropole. Après avoir vu, on ne peut plus faire comme si on ne savait pas. Ces images sont dérangeantes par ce qu’elles font voir qu’il devient impossible de ne pas voir. Je me méfie des réactions effarouchées de lecteurs qui préfèrent se voiler la face plutôt que d’affronter une réalité déstabilisante.

J’aurai une réserve ; celle d’une historienne blanche. Car la réaction affective, viscérale, de femmes noires est réelle. L’« insensibilité affective » devient difficile sinon impossible. La chercheuse sait que c’est vrai. La femme a du mal à faire la distinction entre la maltraitance des colonisées et sa propre personne. Elle voit son image : que faire ?

Entendre l’avis des Africaines d’Afrique

Expliquer. Inlassablement expliquer ne serait-ce que le fait de se voir, « noire », sur l’image, est le fruit du racisme de couleur instauré depuis des siècles à la faveur de l’esclavage atlantique. Des siècles de dépréciation lui ont fait intégrer la réalité du racisme de couleur. C’est, il me semble, une réaction plus française qu’africaine. Ici, les femmes noires font globalement partie d’une minorité menacée, donc fragile.

En Afrique, des collègues africains consultés ne sont pas aussi choqués que leurs partenaires français. Alain Mabanckou l’a aussi exprimé à Blois lors d’une table ronde. Ce que montre le livre est vrai, et ils l’ont toujours su. Alors ? Alors, avant de parler à leur place ou en leur nom, il faut d’abord entendre l’avis et les réactions des Africaines d’Afrique.

Body Talk, Valerie Oka, 2015.

C’est ici que l’intelligence des textes qui accompagnent les images apparaît fondamentale. Comme le souligne Jean‑François Dortier dans un autre dossier édité à l’occasion des RV Histoire de Blois, « Le pouvoir des images n’existe pas sans un texte et un contexte qui l’accompagnent ».

Le nombre de critiques qui n’ont pas lu ou si peu les textes paraît considérable. Les vingt textes de fond ont été pensés, discutés, et écrits par les cinq éditeurs du volume. Ils traitent de ces questions fondamentales en faisant le partage entre le savoir historique et l’usage que l’on peut en faire. Qui a pris le temps de les lire avec attention ?

Paradis sexuel

Les auteurs ont procédé au travail chronologique de l’historien, distinguant les phases de la représentation : la première, à partir des XVe et XVIe siècles, révèle, de la part des graveurs et peintres concernés, un mélange détonnant de fascination – pour ces corps étrangers au monde occidental de l’époque – et de domination (présente quelle que soit la période) ; fascination non dépourvue d’obscénité surtout à partir des XVIIe et XVIIIe, pour ces sociétés qui s’autorisaient des « femmes nues » alors que le puritanisme occidental allait s’accentuer une fois passés les « excès » de la Renaissance.

La rupture remonte au début du XIXe siècle : c’est la fin du « paradis terrestre », qui va se transmuter en paradis sexuel pour les hommes blancs, dont les épouses, en Europe, sont dorénavant « corsetées au propre comme au figuré », tandis que se généralise l’idée de la sexualité irrépressible de l’homme. Les espaces sexuels sont rejetés vers les colonies. C’est l’épanouissement de la pornographie coloniale, la seule tolérée et même magnifiée en Occident.

De nombreuses femmes et jeunes filles se sont prostituées durant la guerre du Vietnam pour soutenir leurs familles notamment au sein des « camps » de récréation pour soldats américains. Can Tho, Vietnam, Philip Jones Griffiths, 1970. manhhai/Flickr, CC BY-SA

La centaine de notices complémentaires rédigées par 97 spécialistes internationaux apporte des mises au point n’éludant aucun problème, pédérastie incluse (volontairement sans illustration). On peut ne pas être d’accord. Encore faut-il le démontrer plutôt que de se livrer de façon plutôt répétitive à des attaques ad hominem visant une équipe de chercheurs de qualité.

Un ciment de l’entreprise coloniale

L’image et le texte sont inséparables, c’est une exigence historienne. Or beaucoup de lecteurs ne savent pas interpréter les images. Une table ronde à Blois était consacrée au retard en France du décryptage de l’image comme source des non-dits contemporains. Ces images assumées par les colonisateurs y compris dans leur esthétisme sont aujourd’hui condamnables. Mais les textes font éviter l’anachronisme.

On dira que c’est un vœu pieux, car il existe encore, hélas, nombre de racistes qui pourraient ainsi se « rincer l’œil ». Mais au moins le livre peut-il montrer à tous les autres, qui ne le savaient guère (à l’exception de quelques spécialistes), à quel point les abus sexuels ne furent pas des accidents épisodiques ou marginaux, mais qu’ils constituèrent un des ciments constitutionnels de l’entreprise coloniale.

Le sujet traité n’est pas la femme noire ou orientale, mais l’idée que s’en faisaient et que s’en font encore certains blancs. Les auteurs n’auraient-ils pas suffisamment souligné leur propos dans le titre ?

Encore faut-il tenir compte des exigences de l’édition : faire vendre. On pense ainsi au titre accrocheur de la sérieuse revue L’Histoire : « Le Moyen Âge a tout osé : l’obscène et le sacré », le thème et ses images n’occupant que 10 % du numéro (452, oct. 2018).

Le thème du livre n’est pas la sexualité de la femme « exotique » mais l’obscénité du colonisateur blanc.


Catherine Coquery-Vidrovitch a publié en mai 2018 « Les Routes de l’esclavage africain » chez Albin Michel.

En Belgique, un ethnologue au cœur du parti Islam

03 samedi Nov 2018

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  1. Lionel Remy

    Doctorant, anthropologue, Université catholique de Louvain

AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

 

Vue sur la rue Saint-Jean dans le quartier de Molenbeek, à Bruxelles. Michielverbeek/Wikimedia, CC BY-SA

Entre octobre 2016 et février 2017, j’ai mené une ethnographie au sein du parti Islam – un parti musulman belge à l’origine de nombreuses controverses – avec l’accord de ses membres. Mon travail de recherches m’a mené à un ouvrage, paru en octobre, Le parti Islam. Filiations politiques, références et stratégies, aux éditions Academia.

L’accueil par le parti fut bienveillant et le terrain se déroula dans une atmosphère relativement apaisée. Durant cinq mois, je mis en œuvre une observation participante dite « périphérique » – selon la typologie établie par le sociologue Raymond Gold (1958) – au sein et autour du parti Islam. Écrire « au sein » est ici un abus de langage dans la mesure où le parti ne disposait pas d’un local où il aurait pu se réunir périodiquement, il se retrouvait dans des appartements privés.

De plus, son « noyau dur » étant composé en grande partie de travailleurs à temps plein, les rencontres étaient donc prioritairement réservées aux soirées et aux week-ends. Observation « périphérique » car je ne fus jamais un membre actif du parti, je ne distribuai aucun tract ni ne fus sollicité pour aucune action. J’avais été accepté en tant qu’observateur et je pris la décision de tenir ce rôle.

Certes je fus soupçonné de diverses allégeances secrètes (médias, renseignements, etc.) autant que je dus composer avec les tentatives d’instrumentalisations multiples de la part des membres du parti (le livre comme futur produit publicitaire, devenir l’« anthropologue du parti » ou l’« assistant parlementaire du futur député Islam », etc.) mais ceci fut négligeable en regard de cette autre certitude : l’exposition médiatique du parti impliquait, à court terme, la mienne, appelé à répondre ici de la « dangerosité » du groupe Islam et là au lieu commun de « l’arbre qui cache la forêt » d’une « islamisation » rampante du pays. Bref, l’ethnologue était alors transformé en juge et les hypothèses de recherche en préoccupations morales.

Author provided

« L’État islamique de Belgique », les coulisses d’un strike médiatique

En 2012, le parti Islam est fondé à Bruxelles. À la fois référence explicite et revendiquée à la religion musulmane et acronyme d’« Intégrité, Solidarité, Liberté, Authenticité, Moralité », il propulse aux élections communales belges de la même année deux de ses trois candidats – qui constituaient également le trio fondateur du parti et la totalité du groupe – dans deux conseils communaux bruxellois (respectivement Lhoucine Aït-Jeddig à Molenbeek et Redouane Ahrouch à Anderlecht).

Aux élections communales d’octobre 2018, le parti a échoué à conserver ses élus et réalisé des scores bien moindres qu’en 2012, et ce malgré une exposition médiatique dont il n’avait pu bénéficier alors. À Molenbeek, il passe entre 2012 et 2018 de 1 478 voix à 695 et à Bruxelles-Ville de 1 833 à 1 125.

Les interventions médiatiques de ceux qui se présenteront comme les « premiers véritables élus musulmans de Belgique » – principalement Redouane Ahrouch – seront à l’origine de nombreuses déclarations massivement relayées et commentées dans l’espace médiatique belge.

Ils exposent, entre autres, leur volonté de créer un « État islamique de Belgique », d’établir une « sharî’a occidentale » ou encore une « démocratie islamiste ».

Le 25 octobre 2012, ils organisent leur première conférence de presse dans laquelle le récent élu anderlechtois réalisera son premier « strike communicationnel », pour paraphraser la métaphore qu’il emploiera lors d’un entretien.

Conférence de presse du parti Islam en Belgique, 2012.

À dire vrai, les mots sharî’a et État islamique n’apparaissent pas dans le programme, ni ne sont prononcés lors de la conférence de presse à proprement parler mais après, lors de l’interview par la RTBF de Redouane Ahrouch.

Cette courte intervention permettra au parti d’acquérir une visibilité nationale, voire internationale, sans précédent par rapport aux formations politiques bruxelloises antérieures (Parti Citoyenneté Prospérité, Parti Jeunes Musulmans, Noor, Musulmans.be) dont il constitue le dernier avatar.

« Une histoire méconnue »

L’apparition fulgurante du parti Islam dans la sphère médiatique, a donné soit l’illusion de son caractère anhistorique, soit a indiqué une possible filiation politique timidement établie au travers de quelques noms de personnes ou de partis. Mais, globalement, c’est avant tout un parti dont on ne sait presque rien et sur lequel, parfois, se greffent différents fantasmes.

C’est pourquoi le premier objectif de ce livre était de reconstituer la généalogie de cette activité politique musulmane sur Bruxelles, par l’imbrication d’une histoire « documentée » avec la mémoire que les acteurs en ont.

Le document ethnographique ainsi créé, qui laisse une grande place à la parole des acteurs, nous fait remonter aux années 1990 avec la fondation du Centre Islamique Belge (CIB, à ne pas confondre avec le CICB, le Centre Islamique et Culturel de Belgique), qui était auparavant une association sans but lucratif (Jeunesse bruxelloise sans Frontières), cofondée à Molenbeek par l’ancien imam franco-syrien d’Aix-en-Provence, Bassam Ayachi, et le médiatique converti, surnommé « Barberousse », Jean‑François Bastin. Les jeunes étaient alors formés à la « gestion et à l’administration d’un État islamique » (Redouane Ahrouch) et appelés à rejoindre les talibans en Afghanistan. C’était le temps de « l’émirat » dira Redouane Ahrouch.

Pressions

Suite à la pression nouvelle exercée par l’État et par l’apparition – ou la réactivation – de la figure du « djihadiste » dans l’opinion publique après l’électrochoc des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le répertoire d’actions locales est considéré comme devant être étoffé. C’est ainsi qu’émergera le Parti Citoyenneté et Prospérité en 2002, destiné à « emmerder l’État belge »(Redouane Ahrouch) dans un contexte post-attentats où le CIB sentait qu’il était devenu une « cible ».

Jean‑François « Abdullah » Bastin conteste l’affichage électoral en 2006, il est à l’époque à la tête du Parti Jeunes Musulmans.

L’ancien conseiller communal anderlechtois Redouane Ahrouch tirera de ce compagnonnage avec Jean‑François Bastin et de son intérêt pour la politique belge la volonté de rediriger vers le plat pays un projet qui ne le concernait préalablement pas, celui de devenir un « État islamique ». C’est de cette filiation dont le parti ISLAM est la dernière initiative.

« Nourrir l’épouvante »

Entre 2012 et 2018, la provocation médiatique à des fins de visibilisation dans l’espace public devient la stratégie quasi exclusive d’ISLAM. En effet, le trio fondateur, qui use de provocation afin de s’exposer, participe également à l’alimentation d’un climat d’épouvante lui-même maintenu par un flou terminologique caractérisé par une interchangeabilité de termes en « isme », comme le note le chercheur en sciences politiques Haoues Seniguer : intégrisme, fondamentalisme, islamisme, salafisme, communautarisme, etc.

Ainsi, il remarque que la notion de « radicalisation » (radicalisme) qui est aujourd’hui d’un usage courant autant que sa « prévention » est l’objet de politiques publiques, est victime d’un amalgame qui établit l’idéologie extrême et le passage à l’acte violent comme indissociables et dès lors, il semble difficile d’appréhender l’individu « radical » en-dehors de la pente terroriste sur laquelle il serait invariablement engagé. Bref, radicalisme et terrorisme deviennent des notions interchangeables.

Cette stratégie de provocation sensationnelle – autant que contextuelle – s’exprimera également au travers du bref partenariat avec l’ex-député du Parti Populaire Laurent Louis(2014), qu’on peut situer à l’extrême-droite de l’échiquier politique, tandis qu’elle en compromettra d’autres et rendra finalement impossible les tentatives de structuration ou de diversification entamées en interne par les nouveaux membres (2016) qui se virent constamment opposer une résistance de la part du « noyau dur ».

Ces tensions sont apparues progressivement et concernaient la volonté d’ouverture et de transparence, mais aussi la redistribution progressive du pouvoir et de l’influence au sein du parti. Si le nom du parti ne faisait pas l’unanimité, le refus de transparence vis-à-vis de l’origine des financements, la volonté quasi explicite de maintenir le parti à un petit groupe et d’en exclure les femmes, l’absolue nécessité de toujours passer par le trio et le refus de discuter comme de voter les points du programme, furent progressivement des motifs sérieux de discorde.

Finalement, ces nouveaux membres seront à l’origine de la scission du groupe ISLAM (2017-2018) et à la naissance d’un nouveau parti, Salem, qui s’est d’ailleurs présenté aux élections communales du mois d’octobre 2018, sans réaliser de scores notables.

« Il ne s’agit pas d’un monolithe idéologique »

La formation partisane ISLAM constitue une expression de « branchements » déjà réalisés au cours du XIXe et du XXe siècle. Il lie ainsi participation aux systèmes électoraux, à un pouvoir libéral, organisation en partis politiques et volonté d’établissement d’un État islamique (qui recoupe la conception européenne traditionnelle de l’État).

Mais, ce faisant, il est lui-même à l’origine de branchements inédits entre des événements historiques symboliques comme celui de la république du Rif d’Abdelkrim El Khattabi, la réalité politique et administrative de la Belgique, le discours d’unité de l’islam propre aux Frères musulmans et les positions d’un marja’ controversé – le marja est une source, une référence religieuse dans l’islam chiite –, de la ville de Qom (Iran).

Cette reconfiguration des références et des identités fait sens dans un monde globalisé où l’on observe une redéfinition des rapports politiques, une accélération du phénomène d’hybridation et de ces « branchements » inédits rendus possibles depuis la révolution digitale.

Ces ancrages idéels multiples s’expriment toutefois dans une « localité » précise, ce sont des ailleurs ancrés ; c’est en cela que le parti se considère comme un jalon de l’émancipation de la communauté musulmane de Belgique, instrumentalisée au même titre que sa religion qui serait, selon eux, devenue le « bouc-émissaire » de l’Occident dans un « monde post-URSS ».

Cet ouvrage entend témoigner, même dans le cas d’un groupe aussi décrié que celui du parti ISLAM, d’un individu qui ne se laisse plus penser comme étant inféodé à un système centré ou hiérarchique (à l’instar du « rhizome » chez Deleuze et Guattari).

Pris dans la tempête médiatique

Plusieurs tempêtes médiatiques eurent lieu autour du parti ISLAM et je fus moi-même projeté dans l’une d’elles. Les réactions consécutives à mon apparition à la télévision (RTBF) et dans la presse furent nombreuses et il est crucial de souligner qu’elles vinrent tantôt m’accuser, tantôt me soutenir, bref elles furent une modalité psychologique dans laquelle j’ai dû engager l’écriture de ce livre.

Les controverses au sujet de la juste distance, de l’implication militante et de la neutralité rencontrent celles de la position du chercheur dans l’espace public médiatique, tout à la fois légitimé par un statut « d’expert » et enfermé la plupart du temps dans un rôle de « commentateur » du réel.

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’ouvrage devait, nécessairement, s’ouvrir par un chapitre réflexif. Quel peut être l’intérêt de plonger le lecteur dans l’antichambre des résultats produits ? N’est-ce pas l’affaire d’un carnet de terrain, d’un journal intime (qui se confondent bien souvent d’ailleurs) ? L’une des réponses à cette vaste question apparaît d’elle même lorsqu’un chercheur se trouve par exemple contraint de rassurer quant à sa « moralité », ce fut le cas de Daniel Bizeul, le sociologue français qui fit une enquête chez les militants du Front national en France. Bizeul fut un grand secours méthodologique dans mon cas, car il avait établi un précédent dans la littérature.

Il nous faut continuer la description de ce chercheur, celui qui évolue sur un mince défilé : d’un côté, avoir sur ses contradictions morales une lucidité suffisante que pour ne pas rédiger un texte à charge ou faire terrain sans empathie, de l’autre se refuser absolument à égaliser toutes les conduites, au risque de devenir « partisan » malgré soi.

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