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Archives Mensuelles: décembre 2018

Quand le bonheur fait sa loi

31 lundi Déc 2018

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The Conversation

  1. Fiona Ottaviani

    Enseignante-chercheuse en économie – Grenoble Ecole de Management – Univ Grenoble Alpes ComUE – Chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique – Chercheuse associée au CREG – Université Grenoble Alpes, Grenoble École de Management (GEM)

Grenoble École de Management (GEM)

 

Le bonheur, au centre des préoccupations (pochoir de l’artiste Miss.Tic). Denis Bocquet / Flickr, CC BY-SA
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Cet article s’inscrit dans le cadre de la Chaire Mindfulness, bien-être et paix économique de GEM. Il vient nourrir la réflexion du premier forum international pour le bien-vivre qui se tiendra à Grenoble du 6 au 8 juin prochain, sur le thème « Richesse(s), bonheur : quels indicateurs pour inventer demain ? »


Questions sans âge, les interrogations liées au bonheur et au bien-être font l’objet d’une attention grandissante aujourd’hui. En témoignent la multiplication des « observatoires du bonheur » (Observatoire nantais du bonheur, Observatoire du bonheur créé par Coca-Cola, Observatoire internationale du bonheur, Observatoire des bien-être(s) d’Ipsos Public Affairs…) ou les nombreux travaux des institutions internationales (OCDE, Commission européenne, etc.) dédiés à de tels sujets.

Preuve supplémentaire : suite à une résolution sur le bonheur adoptée le 19 juillet 2011, l’ONU a instauré en 2012 une Journée internationale du bonheur, qui a lieu désormais chaque 20 mars. Par ailleurs, l’organisation internationale invite notamment les États membres à « élaborer de nouvelles mesures qui tiennent mieux compte de l’importance de la recherche sur le bonheur et le bien-être afin d’orienter leurs politiques nationales ».

Si ce souci collectif du bonheur semble faire contrepoids à des politiques de croissance collective uniquement axée sur la richesse monétaire, n’y a-t-il pas toutefois un risque que les « experts du bonheur » imposent leurs lois ? Zoom sur quelques tendances problématiques qui émergent à la croisée de la psychologie et de l’économie.

Bonheur, bien-être : de quoi s’agit-il ?

Dans l’article, les notions de bien-être ou de bonheur sont employées indifféremment. L’absence de différenciation entre bonheur et bien-être se retrouve aussi bien dans les travaux cherchant à objectiver les composantes de l’existence qui comptent (Bonheur national brut du Bouthan, mesure du bien-être de l’OCDE) que dans les travaux directement axés sur la mesure subjective de la satisfaction à l’égard de la vie. En effet, dans le cadre de la littérature sur le bien-être (et particulièrement sur l’économie du bonheur), majoritairement anglo-saxonne, le contenu des termes utility, well-being, satisfaction, happiness, ou quality of life ne sont pas clairement explicités. Ces termes sont généralement utilisés dans les articles de manière interchangeable.

L’économie du bonheur est une branche de l’économie s’inspirant des travaux de psychologie positive. Elle étudie le bien-être subjectif en recourant à des enquêtes sur la satisfaction subjective, des expériences en laboratoire ou des études neurologiques. Cette littérature est essentiellement empirique. Les premiers travaux relatifs à la mesure subjective du bien-être ont été menés dans les années 1920 et 1930. Ils ont été poursuivis dans les années 1950 au Survey Research Center de l’Université de Michigan, dirigé par George Katona. Des enquêtes destinées à étudier les attitudes des consommateurs y étaient menées.

Plus tard, dans les années 1960, ces travaux ont pu être vus comme un sous-courant des indicateurs sociaux. Face à l’imperfection des mesures dites objectives pour révéler le bien-être, certains chercheurs ont commencé à s’intéresser aux mesures « plus directes », dites « subjectives ». Cette littérature qui étudie la corrélation entre les sphères de la vie humaine et le bonheur augmente aujourd’hui à un rythme exponentiel.

L’économie du bonheur s’inscrit à la fois dans une relation de rupture et de continuité par rapport à l’utilitarisme et de manière plus large au welfarisme. En effet, on peut voir dans l’économie du bonheur un retour à l’utilitarisme philosophique des origines. Sa subdivision en deux sous-courants, l’un hédoniste (celui du philosophe britannique Jeremy Bentham), l’autre eudémoniste (celui de l’économiste John Stuart Mill) tend à accréditer cette affirmation.

Dans la perspective hédoniste, le bien-être est assimilé au plaisir et au bonheur. Les auteurs se réclamant de l’eudémonisme adoptent plutôt une conception du bien-être en termes d’accomplissements personnels, d’atteinte du plus « grand bien ». Sont visés ici « le fait d’agir conformément à sa nature intérieure et ses valeurs profondes », « la réalisation de son véritable potentiel » et « l’expérience ou le sens de la vie ».

Cette réflexion sur le bonheur, à l’échelle individuelle et collective, n’est pas neuve et a été reprise au fil des âges par les philosophes. Ce qui est neuf, en revanche, c’est la reprise scientifique et la popularisation actuelle de ces travaux. Ceux-ci n’évitent pas certains écueils : celui du primat de l’expert, de la monétarisation du bonheur et de sa réification.

Ecouter les experts du bonheur ?

« Si l’on en croit les chercheurs, l’environnement n’influence que pour 10 % de notre capital bonheur, 40 % sont issus de la génétique et les 50 % restant ne tiennent qu’à nous et à notre manière d’appréhender les choses ! »

Cette phrase est fréquemment reprise dans les travaux sur le bonheur. Dans la vague de vulgarisation récente qui accompagne ces recherches, elle traduit une tendance à la normalisation des comportements sociaux et le retour d’une conception eugénique du social. Les composantes du bonheur, dégagées par voie d’enquêtes ou en laboratoire, sont censées aiguiller l’action individuelle. Une personne qui désire faire quelque chose de contraire aux enseignements livrés par la recherche se trompe, car elle risque de nuire à son bonheur.

La charge normative d’une telle conception peut être illustrée par un passage du livre Pourquoi les gens heureux vivent-ils plus longtemps ?, de Jordi Quoidbach, un chercheur en psychologie qui a mené des études de psychologie à l’Université de Harvard. Dans le chapitre intitulé « Pourquoi vaut-il mieux ne rien savoir ? » l’auteur explique

« Imaginez qu’un matin vous trouviez un chèque de 100 euros dans votre boîte aux lettres. […] Imaginez maintenant qu’on vous donne la possibilité de savoir ou non qui a déposé ce chèque. Désireriez-vous connaître l’identité de votre généreux donateur ? Si vous avez répondu oui, c’est que comme la grande majorité des gens… vous faites le mauvais choix ! »

Ainsi, le jugement individuel devrait, dans cette conception, s’aligner derrière la vérité portée par le chiffre et, à vrai dire, par l’expert. Ce dernier doit livrer les critères du « bon choix » et d’une « bonne vie », avec une visée bienveillante. Surgit ainsi le fantasme scientifique bien décrit par la philosophie John R. Searle dans son livre The Rediscovery of the Mind, paru en 1992 :

« Le fait que certains courants de pensée énoncent des thèses contre-intuitives peut s’expliquer par le fait que ces chercheurs rêvent d’une grande percée de l’étude de l’esprit qui amènerait les hommes comme ce fut le cas avec les grandes découvertes physiques à se rendre compte que les postulats du sens commun sont faux. »

Le bonheur de la monétarisation

Si l’argent ne fait pas le bonheur, les chercheurs semblent par contre se délecter de la monétarisation du bonheur. C’est ainsi que le caractère contre-intuitif des recherches sur le bonheur, évoqué précédemment, se retrouve dans la tentative de chiffrage monétaire qui émerge du champ de ces travaux.

Les chercheurs Andrew Clark et Andrew Oswald nous apprennent par exemple que se marier équivaut en moyenne à un supplément de revenu de 40 000 livres sterling par an, ou que pour compenser la perte de bonheur dû au veuvage, il faudrait verser 170 000 livres sterling par an à la personne. Pour obtenir de tels résultats, les auteurs se basent sur un calcul de régression sur le bonheur qui, à leur sens, peut être utilisé pour mettre en valeur de manière positive ou négative presque tous les évènements de la vie. Ce type de méthodologie est très usité au sein de l’économie du bonheur. Mais son utilisation à des fins de préconisations politiques est surtout portée par la branche anglaise du courant, qualifiée de paternalisme libertaire.

Richard Layard, fervent défenseur de ces pratiques, considère que la création d’une « science du bonheur » est en cours. Sur la base de ces travaux statistiques mais aussi des travaux de neuro-économie menés actuellement, il serait possible d’étudier la réponse au bonheur des personnes et dès lors d’adapter les politiques publiques dans une optique de maximisation du bonheur. C’est ainsi que Layard insiste sur la nécessité de mettre en place des incitations pour éviter les comportements qui peuvent être dommageables au bonheur.

Le bonheur, un objet scientifique ?

Richard Layard, partisan d’une approche welfariste et hédoniste, montre que le niveau de bonheur ressenti est relatif (la perception que j’ai de mes propres revenus dépend du revenu des autres), adaptatif (le bonheur d’une personne n’est que temporairement affecté par une augmentation du revenu) et dépend de notre culture. Il conçoit le bonheur « comme un état biologique bien déterminé » et croit dans la possibilité de dégager des lois du bonheur.

Faut-il mettre tout le monde sous anxiolytiques ? C’est une des questions posées par Layard lorsqu’il explore les moyens les plus appropriés d’atteindre le bonheur, comme le relate l’économiste Lucie Davoine.

Cette proposition provocante de Layard soulève à notre sens un premier problème : elle revient à considérer uniquement les résultats de l’action en termes de bien-être, sans considération pour les moyens. Ce qui pose de nombreuses questions : quelles conséquences prendre en compte pour juger du caractère souhaitable d’une action ? Tous les moyens sont-ils bons, tant que la fin est atteinte ? Mais comment savoir quand celle-ci l’est réellement ? Quel est le bon moment pour juger de l’état en question, puisqu’il est toujours possible de retarder le temps du jugement ? Et si s’il ne fallait « juger de notre heur qu’après la mort », comme le préconisait Montaigne ?

Des risques à ne pas négliger

Une approche trop scientiste du bonheur présente plusieurs risques de dérives.

Premièrement, l’éviction d’autres valeurs centrales de la vie des personnes : justice, liberté, authenticité, etc. Deuxièmement, la confusion entre ce qui importe à l’échelle individuelle et ce qui importe à l’échelle collective, ce qui est de l’ordre du vécu et ce qui est de l’ordre de l’idéal : le risque est alors de renvoyer au niveau individuel ce qui se joue en réalité au niveau plus global des rapports sociaux. Troisièmement, l’éviction de la dimension politique du choix social et du pluralisme des valeurs. Quatrièmement, comme le souligne Anthony Giddens, un renforcement de la croyance dans les systèmes experts, qui passent sous silence les limites de ces méthodes de détermination et d’évaluation du bien-être et qui le réifient.

Cette exhortation à être heureux peut conduire à évincer de l’analyse les contraintes sociales qui s’exercent sur les acteurs et en créer de nouvelles. Selon les mots de Pierre Bourdieu

« On a à ce point intégré des contraintes sociales qu’on les prend pour des éléments de liberté. »

On trouve d’ailleurs un écho à cette affirmation dans le célèbre ouvrage Le meilleur des mondes, de Aldous Huxley :

« Et c’est là, dit sentencieusement le Directeur […] qu’est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu’on est obligé de faire. Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. »

Si l’on ne peut échapper à une réflexion sur le bonheur, on peut toutefois choisir d’échapper à ses lois…

« Nous ne sommes pas en démocratie » ou le tirage au sort comme alternative ?

31 lundi Déc 2018

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The Conversation

  1. Beatrice Mabilon-Bonfils

    -Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS – Université de Cergy-Pontoise, Auteurs fondateurs The Conversation France

« Nous ne sommes pas en démocratie » est l’un des leitmotivs des gilets jaunes, mettant en question la démocratie représentative dans sa consistance et sa forme en appelant parfois de leurs vœux la tenue d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), voire même l’idée d’une assemblée constituante tirée au sort. Les réponses bien pensantes les renvoient immédiatement dans les cordes : « nous vivons un état de droit, nous avons la liberté de paroles et d’opinions, ils ne savent pas ce qu’est LA démocratie ». Un peu comme si la voix des sans voie(x), que nous décryptions dès 2002 dans un article sur la sociologie des votes « périphériques », trouvait aussi une autre alternative que le vote d’extrême-droite.

Bien sûr, la revendication d’un partage plus équitable des richesses est au cœur du mouvement mais cela est loin de l’épuiser. Peut-on questionner la démocratie représentative ? Tel est en substance l’un des enjeux de ce débat.

Démocratie participative

« Dans son principe, comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. » écrit le philosophe Jacques Rancière.

Notre système serait-il alors d’essence aristocratique ? Le principe de l’élection de représentants implique en effet un choix et donc l’établissement de distinctions entre les citoyens. Ce serait donc une idée d’origine aristocratique qui s’oppose à celle, démocratique, d’égale compétence de chacun à prendre les décisions collectives. Pour les grecs et les romains « est démocratique le gouvernement auquel tous participent ». Pour Rousseau d’ailleurs, nul ne peut être obligé d’obéir, qu’aux lois dont il peut être tenu pour auteur.

Or, notre démocratie représentative contemporaine est en crise qu’il s’agisse la montée des extrémismes (notamment de l’extrême droite qui parfois irrigue et/ou instrumentalise le mouvement de gilets jaunes) mais aussi de la montée des abstentionnismes.

L’abstentionnisme comme choix politique

Dans le moment de rupture sociétale que vivent nos sociétés, il est de moins en moins possible d’habiter le monde par les formes classiques de participation politique. Se combinent la montée de nouveaux types d’abstentions et de revendications de démocratie participative.

Il s’agit de ne plus réduire l’abstentionnisme électoral à un « cens caché », développé en son temps par Daniel Gaxie. Ce cens caché qui définirait une forme « censitaire » de suffrage serait constitué du capital culturel de l’individu, générant une désinsertion sociale et un sentiment de compétence politique liée à ce capital. Dès lors il y aurait lien entre abstentionnisme et faible capital culturel et c’est bien sûr une forme d’abstentionnisme « hors du jeu ».

Mais cela ne suffit pas ou plus à qualifier l’abstention politique. Celle-ci ne peut être pensée seulement comme un déni d’intérêt pour la politique professionnalisée et le vote, mais bien aussi comme un choix politique, une forme d’abstentionnisme « dans le jeu » et proprement politique.

Ce qui signifie que les abstentionnistes peuvent aussi se sentir compétents et revendiquer un autre mode politique organisationnel, même si leur position est toujours jugée illégitime au nom de la démocratie… représentative.

Vidéo du YouTubeur Jordanix, 2017.

Repenser la participation politique

Il s’agit donc de repenser le rapport au politique des abstentionnistes (voire d’autres citoyens) mus par des velléités de constructions du monde alternatives et qui ne sont pas nécessairement caractérisés par un faible capital culturel mais bien par une critique du système représentatif où les pouvoirs sont confisqués par une oligarchie verrouillant le système reproductif.

A cette aune, la participation politique peut être vue dans la lignée des travaux d’historiens analysant des pratiques de culture populaire, du carnaval aux soulèvements populaires ou aux arts engagés comme des pratiques renvoyant à la Polis au sens de la cité-état des Anciens Grecs et comme des représentations du monde débouchant sur d’autres formes de participation au Politique, que sont les demandes de démocratie participative et le tirage au sort.

Les carnavals, comme ici à Limoux dans l’Aude (2008) sont d’autres formes de participation populaire où se mêlent culture et politique. Wikimedia, CC BY-ND

La participation politique ne peut pas être envisagée comme un schème culturel imposé d’en haut par les dominants dans une visée de contrôle des périphéries par le centre mais au travers des modes pluriels d’expression politique échappant aux comportements attendus par l’État et l’idéologie dominante.

En attestent les exemples de démocratie participative et d’engagement citoyen comme nouveaux espaces d’élaboration politique qui plaident pour une rupture radicale : de Nuit Debout aux Indignés, de Luttopia à Montpellier (pour un autre accès à la culture) à l’Appel des jours heureux, de l’appel des solidarités au mouvement Colibris, d’Alternatiba(mouvement alternatif politique pour le climat) aux expériences de Fablab, à AequitaZ (associations de SDF qui visent à accroître leur pouvoir d’agir par l’art), à l’expérience « Parlement libre » et plein d’autres encore.

Vers un nouveau mode de gouvernance ?

Un nouveau mode de gouvernance émergeant de la société civile, un nouveau contrat qui fait le pari du collectif serait-il en train d’émerger ?

Le tirage au sort pourrait-il être une autre façon de faire société, de développer le pouvoir d’agir du plus grand nombre. Des exemples anciens et récents de tirage au sort citoyen existent : à Athènes, dans les cités italiennes, en Suisse (pour lutter contre la corruption des élus), dans la Constituante islandaise (2011), en Irlande (convention constitutionnelle), à la Réunion (liste Demorun), dans la ville de Porto Allegre (gestion du budget de la municipalité), dans l’administration de la ville de Berlin et dans les jurys populaires en justice en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Belgique.

L’Islande a par exemple fait l’expérience du tirage au sort politique en 2010. Une Assemblée constituante est alors composée de citoyens volontaires élus par la population ; elle est précédée par la désignation d’une Assemblée nationale de 1000 personnes tirées au sort produisant un cahier des charges précisant les points qui doivent être traités par la nouvelle Constitution.

Des propositions abondent aussi sous des formes diverses, l’idée a été proposée par plusieurs candidats à la dernière présidentielle, par l’association ATTAC (remplacer le Sénat par une chambre ainsi constituée), par la Fondation Hulot (création d’une troisième chambre tirée au sort), par la Fondation pour l’innovation politique (désignation désormais 10 % des conseillers municipaux par tirage au sort,) par l’Institut Montaigne (conférence citoyenne pour discuter du financement de la protection sociale), par la Fondation Jean Jaurès…

Un nouveau système délibératif ?

Un nouveau « système délibératif « à l’instar de celui que propose le philosophe Jürgen Habermas est-il possible ? Le tirage au sort est-il une tentative crédible ? Tel est, a minima, le mérite des gilets jaunes que de mettre en débat un questionnement hautement politique…

Nous vivons une crise majeure de légitimité et d’efficacité des institutions traditionnelles de la représentation générant défiance, abstentionnisme, radicalisations mais aussi des demandes fortes de démocratie et de solidarité.

Les formes de solidarité de proximité en attestent malgré parfois, certains réflexes poujadistes ou xénophobes qui peuvent coexister.

Comment construire du commun dans une société plurielle, la question ne peut être laissée aux seuls « politiques ». La mise en questions des organisations politique partisanes, des « professionnels de la politique », des formes d’organisation top-down hiérarchisées ainsi que le développement des formes de démocratie participative et d’engagements citoyens différents, constituent un contexte politique favorable à l’émergence d’une autre manière de penser le Politique.

Un essai de politique-fiction, et si le tirage au sort fonctionnait ? Serge Cecconi, Author provided

Essai de politique-fiction. Serge Cecconi, Author provided

Quelle communauté internationale ? Espoirs et illusions à l’heure de l’Amérique de Donald Trump

31 lundi Déc 2018

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The Conversation

  1. Karoline Postel-Vinay

    Directrice de recherche, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

Justin Trudeau à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le 21 septembre 2018. Timothy A. Clary/AFP

L’ouverture de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) offre, chaque année, l’occasion de photographier le paysage diplomatique mondial. C’est également un moment propice pour apprécier les talents théâtraux des chefs d’Etat et de gouvernement : Nikita Khrouchtchev brandissant sa chaussure en 1960, Fidel Castro et son discours-fleuve la même année, Mouammar Kadhafi déchirant la charte de l’ONU en 2009… L’enceinte des Nations unies devient alors, littéralement, une « scène » internationale où une multitude de visions du monde se rencontrent, se confrontent et s’affrontent.

En ce début d’automne, l’inauguration de la 75e session de l’Assemblée Générale n’a pas dérogé à la tradition avec le spectacle du duel oratoire entre Donald Trump et Emmanuel Macron, opposant deux conceptions fort différentes de la diplomatie. Ce qui est toutefois inhabituel c’est que cette joute divise deux membres d’un même camp, l’OTAN, voire d’un même «club», le groupe très restreint des démocraties développées qui forment le G7.

Il y a certes eu dans le passé d’autres affrontements franco-américains, notamment le violent désaccord autour de l’invasion de l’Irak, désaccord exprimé par un célèbre discours de Dominique de Villepin en 2003. Mais aussi dure aura été cette confrontation entre les États-Unis de George W. Bush et nombre de ses alliés d’Europe de l’Ouest, elle n’avait pas la dimension systémique que prend aujourd’hui le clash de visions entre Donald Trump et Emmanuel Macron.

La position nationaliste de Trump s’applique a priori à tous les sujets relevant de la concertation multilatérale, et de ce fait hypothèque la notion même de « communauté internationale ». Ou tout au moins, le nationalisme appuyé de la première puissance mondiale nécessite-t-il de repenser ce qu’on doit – ou ce qu’on peut – attendre de ladite « communauté internationale ». Le sens de ce terme étant, du reste, assez imprécis.

Le règne éphémère de la « communauté des nations »

Qu’entend-on donc par « communauté internationale » ? En principe, on pourrait considérer que celle-ci désigne tout simplement l’ONU. C’est en effet la seule organisation au monde qui réunit tous les États-nations (les nations qui n’ont pas le statut d’État, comme Taiwan ou la Palestine, en étant exclues). Toutefois, dès sa création et jusqu’à la fin de la Guerre froide, l’ONU et son Conseil de sécurité étaient largement paralysés par la logique bipolaire de l’ordre mondial, même si des avancées – comme la mise à l’agenda des questions de développement dans les années 1970 – ont été réalisées durant cette période. Jusqu’aux derniers jours de 1989, invoquer, au singulier, « la communauté internationale », était relativement improbable.

C’est après 1990, qui aura vu la dislocation de l’URSS et une coopération inédite russo-américaine autour de la crise dans le golfe persique, que George H.W. Bush introduit l’idée d’une « communauté des nations » portant et défendant un « nouvel ordre mondial » (dans son discours prononcé devant le Congrès américain au lendemain de l’opération « Desert Storm » au Koweït et en Irak, en mars 1991). Le texte, connu comme le « New world order speech », fait partie du répertoire classique de la politique étrangère des Etats-Unis).

Pendant une décennie, avant que l’Histoire s’empresse de la contrarier, cette idée, la possibilité d’un vrai consensus en faveur de la coopération multilatérale à l’échelle de la planète, semblait viable. L’ONU pouvait, semblait-il, enfin devenir ce que ses concepteurs, au milieu des années 1940, avaient souhaité qu’elle soit ; la garante ultime de la paix et de la prospérité mondiales.

Communauté, système et monstres froids

Imaginer une institution permettant véritablement la communion des États-nations, suppose une part d’idéalisme – ou d’irréalisme, diraient certains – substantielle. En dépit de la multitude de calculs géopolitiques qui ont précédé sa naissance, le projet de l’ONU a bel et bien été porté par un idéalisme dont l’ampleur était proportionnelle à celui du désastre de la Seconde Guerre mondiale.

Cet héritage fondateur a alimenté une forme de culture « onusienne », qu’illustre le récit de la paix planétaire, et qui, tout en se renouvelant (en tenant compte de nouveaux facteurs comme le développement, puis l’environnement), se déroule inexorablement, au-delà des vicissitudes. En d’autres termes, si ce qu’on appelle « communauté internationale » renvoie à l’esprit onusien, alors il s’agit d’un projet ambitieux, voire d’un horizon, plutôt qu’une entité tangible.

Dans la théorie des relations internationales, l’hypothèse que les États forment a priori une « communauté » implique que la coopération, et même la solidarité, sont des mécanismes naturels : à cette hypothèse s’oppose celle du « système d’États », où ces derniers sont des « monstres froids » selon l’expression de Raymond Aron.

Dans Paix et guerre entre les nations (1962), Raymond Aron considère que les « relations internationales n’étant pas sorties de l’état de nature », chaque entité nationale doit survivre « dans la jungle où s’ébattent des monstres froids ». Ils peuvent au mieux coexister.

A mi-chemin entre la « communauté » et le « système », l’hypothèse de la « société d’États » suppose que les États ne coopèrent pas spontanément mais que l’intérêt national de chacun les amènent à se concerter pour établir des règles partagées. Dans cette perspective, la « communauté internationale » a-t-elle jamais existé ?

«Pour l’honneur de la communauté internationale»

On est tenté de répondre que l’entreprise idéaliste d’un Woodrow Wilson, le président américain qui imagina la «Ligue des nations» ou Société des Nations (1920-1946), n’aura pas fait long feu, et que l’espoir de voir se matérialiser le rêve onusien après 1989 aura été fugitif.

Ce rêve a rencontré plusieurs monstres froids : la posture d’un George Bush, défiant le «nouvel ordre» formulé par son père, l’insistance souverainiste des nouvelles puissances – Chine, Inde, Brésil, Russie… –, la montée globale des nationalismes.

Et pourtant ce printemps encore, Emmanuel Macron déclarait que la France était intervenue en Syrie « pour l’honneur de la communauté internationale ». Celle-ci doit donc bien exister, d’autant que nombre de leaders politiques, de commentateurs et de journalistes continuent de l’évoquer quotidiennement. La question alors est non pas de savoir si cette « communauté internationale » existe, mais qui est-elle ?

Trump, le plus gros contributeur de l’ONU

Recouvre-t-elle non pas toutes les nations de la planète, mais les alliés traditionnels des États-Unis, comme c’était le cas en Syrie, où à ces derniers s’étaient rejoints outre la France, le Royaume-Uni ? Il y a clairement, quand on se réfère à « l’honneur » ou le « devoir » de la « communauté internationale » un jugement normatif. Cette communauté est nécessairement juste ; elle défend l’héritage moral de l’après-1945, la lutte pour la dignité humaine dont les fronts se sont progressivement démultipliés – anti-racisme, anti-colonialisme, justice économique, émancipation des femmes, protection des enfants, respect de l’environnement…

Mais une fois posés ces principes généraux, comment décide-t-on qui est inclus et qui est exclu de la communauté ? Cela suppose un exercice d’évaluation, et d’auto-évaluation, pour le moins complexe, et politiquement chargé. Dans l’opposition Macron-Trump à l’Assemblée Générale de l’ONU, on pouvait presque penser que les États-Unis – dont le président semble plus à l’aise avec le dictateur nord-coréen Kim Jong‑un qu’avec ses alliés démocratiques du G7 –, étaient sortis de la communauté internationale qu’ils accueillaient sur leur sol, à New York.

En attendant, et même à l’heure du « America First » de Donald Trump, lesdits États-Unis restent le plus important contributeur aux entreprises multilatérales (fournissant plus de 20 % du budget de l’ONU, suivi par le Japon qui en fournit 10 %), et continuent de ce fait de soutenir la possibilité d’une communauté internationale, quelle que soit son identité.


The Conversation est partenaire du débat «Amis, alliés, partenaires ? Le “club des démocraties” et Donald Trump», organisé, mardi 9 octobre, au Ceri (Sciences Po), 56 rue Jacob, à Paris (75006), à partir de 17h. Inscriptions obligatoires ici.

Quand la musique nous veut du bien

30 dimanche Déc 2018

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The Conversation

  1. David Christoffel

    Producteur, directeur d’antenne et intervenant en création radiophonique, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Extrait des Annales africaines, septembre 1926.Gallica

Au début du siècle dernier, on disait que « le violon calme assez bien les personnes atteintes de kleptomanie », tandis que « le piston est indispensable aux malheureux que tourmente le délire des grandeurs ». On déclinait ainsi, dans quelques Annales africaines de 1924, la liste des instruments dans une sorte de tableau des pathologies : « La caisse donne des jambes aux ataxiques. La flûte combat victorieusement tous les cas d’affaiblissements cérébraux. »

L’histoire est si pleine d’exemples de lyres et de flûtes guérisseuses que, dans leurs compilations de remèdes, les érudits du Cinquecento ne pouvaient faire l’impasse sur la musique. Dans La Magie naturelle de 1558, le polymathe Giambattista della Porta offre une rapide anthologie historique de guérisons musicales :

« Terpender et Avion Methymneus ont guéri les Lesbiens et les Ioniens de graves maladies par l’effet de la musique. Asclepiade, médecin, par le son de la trompette, a guéri les sourds, et par la mélodie de son chant il a réprimé les séditions du peuple. Herminius de Thèbes a guéri ainsi plusieurs personnes de douleurs aiguës des hanches et des cuisses. Thalès de Candie a chassé la peste au son de la harpe, et Hérophile avait coutume d’alléger les infirmités des malades par la musique. »

Musique et sciences cognitives

À la fin du siècle dernier, en recourant dans les années 1990 à la tomographie par émission de positons (TEP), les effets singuliers de la musique s’attiraient les attentions des sciences cognitives. Robert Zatorre et Anne Blood du Montreal Neurological Institute vérifiaient que les mécanismes à l’origine des émotions musicales n’interviennent pas dans les aires auditives (les zones cérébrales « dédiées » à la reconnaissance des sons), mais dans les circuits neuronaux liés à la constitution du système limbique. Et en comparant les sécrétions de dopamine, les neuroscientifiques en sont venus à penser que la musique pouvait objectivement avoir sur le cerveau des effets comparables à des substances pharmacologiques, des drogues ou du chocolat.

En 1631, La Magie naturelle ou les secrets et miroirs de la nature de Jean‑Baptiste de Porta détaille, entre autres, comment la musique peut soulager les malades. Gallica

D’un côté, la musique est présentée comme une force aux effets magiques. Inattendus, puissants et salvateurs, ses pouvoirs passent pour surnaturels, irrépréhensibles, impossibles à contenir par un homme normalement constitué, à l’exception éternelle des bonimenteurs habitués à s’approprier la responsabilité des incidences hasardeuses qui, statistiquement, ne tombent vraiment bien qu’une fois sur deux. D’un autre côté, la musique est analysée comme une composante aux effets chimiques. Insoupçonnées jusqu’à récemment, ses influences sont désormais traçables et les euphories spécifiques qu’elles procurent s’expliquent alors par une prise directe sur la sécrétion de telle ou telle hormone.

Pouvoirs de la musique

Alors qu’ils semblent antagonistes, les deux côtés présentent tout de même quelques similitudes. La musique offre à la magie, au charlatanisme et aux sciences positives, un espace de dialogue, si ce n’est un terrain d’entente. Pour se défier des crédulités dont les esprits les plus rationnels pourraient être victimes au sujet de la musique, on s’en tient à se moquer de certaines croyances : « le célèbre Sammonicus proposait, très sérieusement, d’appliquer sur la tête des fébricitants le quatrième livre de l’Iliade (le plus beau du poème) afin de calmer, aussitôt, l’accès de fièvre ! De même, la force de la musique a pu s’attirer quelques suspicions de soignants bienveillants qui préféraient, à toute musicothérapie, consigner les ambivalences d’une « arme à double tranchant » :

« Il suffit pour s’en convaincre de voir les crises en série qui se manifestent parfois à l’occasion de certaines fêtes musicales données aux malades des asiles. […] En appliquant les diapasons à des idiots complets et à des déments précoces en stupeur, j’ai vu plusieurs fois la salivation exagérée se manifester nettement, ou d’autres fois un larmoiement non moins caractéristique. »

Dans le Journal de psychologie normale et pathologique, dir. Pierre Janet, Georges Dumas.Gallica

Et ses pouvoirs sont si puissants que le son ne fait pas toujours que du bien. En plus des acouphènes qui peuvent survenir après une exposition prolongée à des volumes sonores importants, on sait le pouvoir spécialement nocif que peuvent avoir certains sons. On connaît les répulsifs sonores utilisés pour éloigner les adolescents de zones urbaines spécifiques. On dispose aussi d’une littérature psychiatrique pour consigner les désordres mentaux que peuvent engendrer certaines situations sonores. On peut citer quelques exemples de punitions par le son : la militante d’Action directe, Helyette Bess, emprisonnée en 1984 à Fleury Mérogis, a dû écouter pendant quelques jours une « radio cassée » que l’Administration pénitentiaire disait ne plus pouvoir arrêter.

À côté des acouphènes et du vocabulaire médical qui fixe les pathologies de l’oreille liées à des traumatismes acoustiques, des termes moins précis circulent, qui se présentent pourtant comme plus caractéristiques, aux implications encore plus préoccupantes. On a par exemple formé le terme « phonophobie » pour parler de la crainte d’entendre (autrement définie comme « hyperacousie de peur »), distincte de la « misophonie » qui relève du trouble neuropsychiatrique qui cible l’intolérance à des sons spécifiques comme le crissement de la craie sur le tableau noir ou de la fourchette sur le verre.

Le sens moral de la musique

En soutenant que la musique peut aider l’individu à chasser la mélancolie ou le mal de dents, on charge la musique d’une utilité sanitaire objective. Dans l’enthousiasme de la puissance curative, l’esprit peut s’échauffer jusqu’à donner à la musique un sens moral. S’il peut toujours paraître excessif de chercher la vérité sur le Bien dans l’écoute de telle symphonie de Mozart, on ne saurait y chercher un soulagement psychologique sans lui prêter une certaine dignité. D’où une perplexité systématique quand la même musique est utilisée comme répulsif. Ainsi, le compositeur Gérard Pesson consigne dans son journal une sorte d’hébétude, en 2013 :

« On savait que la musique de Mozart aidait les vaches à produire du lait. Je lis ce soir qu’elle éloigne aussi certains groupes de jeunes urbains indésirables. Pavarotti serait même, dans ce genre répulsif, la botte fatale ; un seul vibrato du célèbre ténor faisant prendre aux sauvageons leurs jambes à leur cou. »

Depuis, les usages se sont d’ailleurs multipliés : en Écosse, la direction d’un McDonald’s de Glasgow a commencé à diffuser Bach, Mozart ou Haendel dans ses restaurants pour, avec succès, diminuer les bagarres entre clients, alors que la SNCF diffuse de la musique classique à la gare de Rennes ou à la gare Saint-Lazare avec le but avoué de chasser les SDF.

Dans le même temps, la musique classique (entendez : la musique savante occidentale) est convoquée par la littérature de développement personnel, et l’exaltation de ses effets apaisants a gagné le discours des hauts dignitaires des institutions musicales. Ainsi, à l’occasion d’une campagne de promotion en mars 2017, la radio France Musique se présentait en opposition à « un climat médiatique anxiogène », pour s’affirmer comme « la bulle de plaisir qui permet aux auditeurs de s’évader grâce à l’émotion procurée par la musique ».

Capitalisme cognitif

Cet ouvrage fait un panorama historique des théories sur les bienfaits de la musique, en pointant les manières dont ces bienfaits se sont affirmés comme des acquis ancestraux ou des vérités plus scientifiques. À force de faire défiler les études sur l’efficacité de la musique contre la dépression, pour la bonne évolution cognitive des enfants ou la prévention des maladies neurodégénératives, on bascule dans un angélisme qui ferait croire que toute la musique est bonne jusque dans sa consommation la plus distraite.

Devant la prolifération des offres de soin, salons de bien-être et espaces détente présentés comme autant de sas de décompression, la musique pourrait se trouver une nouvelle raison d’être qui sonnerait alors comme une dernière chance de sauver le patrimoine de la musique savante occidentale dans un contexte de consommation culturelle mondialisée, voire télécommandée par les prescripteurs les plus dominants du capitalisme cognitif. Puisque c’est bien au rayon « Bien-être » que l’avenir de la musique classique semble trouver de nouveaux horizons. Les magasins qui proposent à la fois des kits de massage et des chochottes pour se détendre la nuque ouvrent régulièrement leurs gondoles à quelques disques étiquetés « relaxation » ou « bien-être ».

Entre les musiques thérapeutiques, les bols tibétains aux résonances curatives et autres mantras phoniques, les bienfaits venus de la musique renvoient à la bonne vieille opposition entre la médecine des hôpitaux et les médecines dites traditionnelles, parfois appelées « alternatives », quand elles ne sont pas jugées « paranormales ». C’est-à-dire qu’il ne faudrait pas tout mélanger. Mais volontiers ambigus, de grands musiciens sont capables de jouer sur les deux registres quand ils témoignent du pouvoir de leurs concerts d’apporter du bonheur au public. Dans le « dernier long entretien » qu’il donna à Jonathan Cott, Leonard Bernstein disait :

« Je pourrais vous montrer des centaines de lettres de gens qui sont arrivés en chaise roulante à un de mes concerts et en sont ressortis sur leurs deux jambes. »

Comment un chef d’orchestre peut-il en arriver à des tournures aussi miraculeuses ? Personne ne voudrait douter de l’extraordinaire enthousiasme qu’un orchestre sous sa direction peut donner à son auditoire, mais il est curieusement excessif de décrire un effet tellement formidable en des termes aussi magiques. Même si l’idée que la musique est capable de modifier le comportement des individus jusqu’à réparer les dysfonctionnements de leur métabolisme s’inscrit dans une tradition intellectuelle très ancrée dans l’histoire de la pensée.

Une recherche « bols tibétains » sur YouTube.YouTube

Nous reviendrons sur les grands textes qui reconnaissent à la musique une puissance particulière de chasser les idées sombres ou les tensions psychiques qui peuvent désaccorder un individu d’avec lui-même. Cette spécificité musicale était encore très notable quand on a commencé à étudier les phénomènes d’influence collective. Avant que l’expression « psychologie sociale » ne se généralise, on a développé la « psychologie collective ». Alors qu’il réactivait au début du XXe siècle la vieille question de Socrate s’interrogeant sur la possibilité d’éduquer la foule, Pasquale Rossi s’était vite inquiété des figures qui pouvaient exercer une fascination sur les foules. En publiant Les suggesteurs et la foule, il donnait aux compositeurs et aux musiciens un statut à part, en leur prêtant la qualité de « meneurs immédiats », emportant l’empathie des auditeurs par des suggestions si sensibles qu’elles ne les laissent réfléchir à leur adhésion.

La plus ancienne représentation du joueur de flûte de Hamelin, copie d’après le vitrail d’une église de Goslar. Wikipédia

De la musique comme vitamine à la musique comme baume réparateur, les métaphores se sont donc généralisées pour donner des qualités ouvertement thérapeutiques à la musique. Quand on entreprend de dépasser le sens figuré pour littéralement chercher à soigner un ulcère à l’estomac avec des Variations Goldberg, on peut s’en trouver plus hésitant. Il n’est donc pas question de chercher à démêler le bien-fondé au milieu de la magie sans explorer l’ensemble du spectre des discours qui s’engagent sur le sujet, des prosélytes patentés aux moqueurs souvent réducteurs qui évacuent la question avec ironie et désinvolture.

Chacun peut toujours se lancer dans des introspections vertigineuses au moment d’écouter de la musique et se trouver en proie à des réactions primales. « Inconsciemment, nous réagissons toujours au son comme des hommes préhistoriques », explique le musicologue Joachim Ernst-Berendt qui excite une capacité d’évolution dans nos réactions à la musique, une volonté d’en découdre avec le risque de perte de contrôle de nos émotions à son contact. À moins de pactiser avec nos ressorts ancestraux, tel Pascal Quignard qui cherche dans les origines le gage d’une vérité de la musique susceptible de valoir pour toutes les musiques et pour toutes les cultures : « La musique est une imitation des langages enseignés par les proies lors de la reproduction du chant des proies à l’heure de leur reproduction. »

L’histoire moderne de la pensée médicale de la musique a essayé de rationaliser la réputation thérapeutique de la musique, en multipliant les expériences pour objectiver les phénomènes vertueux investis par les médecins et en organisant un pont entre la pensée antique des bienfaits musicaux et les tentatives de rationalisation de ces effets dans les parcours de soins modernes. Là où les Anciens (Pythagore, Platon ou Tinctoris) ont cherché à repérer les musiques susceptibles de donner courage et d’apaiser les âmes en peine, les exemples se sont multipliés à l’âge classique pour installer une mythologie de la musique roborative.

« La musique vous veut du bien » de David Christoffel, éditions PUF. Editions Puf

Jusqu’à ce qu’au début du XXe siècle, par exemple, on cherche à soigner un patient souffrant d’anidrose (une pathologie qui procède d’un déficit de transpiration) en lui jouant la Chevauchée des Walkyries, pour mettre en application les travaux du docteur Warthin du Michigan qui avait constaté qu’en état hypnotique, le corps se couvrait de sueur à l’audition de la fameuse partition de Wagner. C’est aussi l’époque où l’on faisait des expériences de suggestions musicales sur des animaux comme les éléphants et les chevaux.

L’investigation scientifique n’a pas dissipé l’attente magique. L’une n’étant peut-être pas réellement exclusive de l’autre.


David Christoffel a publié « La musique vous veut du bien », éditions Puf, 2018.

Nos problèmes environnementaux à la lumière de Marx

30 dimanche Déc 2018

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The Conversation

  1. Ted Benton

    Emeritus Professor of Sociology, University of Essex

University of Essex

On célèbre en cette année 2018 le bicentenaire de la naissance du philosophe allemand. Montecruz Foto/Flickr, CC BY-SA

« Et tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol. Tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. »

– Karl Marx, « Le Capital » (Livre 1)

Suite à l’effondrement de l’Union soviétique et à une profonde transformation de l’économie chinoise, le capitalisme semble s’être imposé partout comme l’unique modèle possible. Dans un tel contexte, les idées de Karl Marx (1818-1883) pourraient être reléguées en toute sécurité dans les poubelles de l’histoire. Mais le crash financier mondial de 2008 et ses désastreuses conséquences l’auront fait ressortir de la corbeille !

Pour le meilleur ou pour le pire, les idées du philosophe allemand auront affecté notre monde plus profondément qu’aucun autre penseur social ou politique. Mais à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance célébré cette année, le débat sur la pertinence de sa pensée semble toujours dominé par une compréhension « traditionnelle » de sa doctrine.

Les commentateurs, qu’ils soient hostiles ou partisans, se focalisent en effet sur sa critique de l’exploitation et de l’inégalité au sein du capitalisme et de l’impérialisme, et du conflit pour transformer la société grâce au socialisme.

Hélas, il y a peu – bien trop peu – de débats portant sur les relations entre les humains et la nature telles que Marx les a analysées.

Après tout, la destruction régulière, et qui va s’accélérant, des conditions essentielles à toute forme de vie, notamment humaine, par le capitalisme moderne est sans doute le défi principal auquel se trouve confrontée notre humanité contemporaine. Le changement climatique étant l’un de ses symptômes les plus dévastateurs.

Mais cela va plus loin, avec la pollution toxique des océans, la déforestation, la dégradation des sols et, plus tragique encore, une perte absolument inédite de la biodiversité.

« L’histoire de la nature et l’histoire des hommes dépendront l’une de l’autre aussi longtemps que les hommes existeront » – Karl Marx. Stephen Bonk/shutterstock

En réalité, une étude récente a démontré que la problématique – à savoir cette relation discordante entre les hommes et le monde naturel – a bien représenté un thème central dans la réflexion de Marx tout au long de sa vie. Ses idées à ce sujet restent précieuses – voire indispensables – mais son héritage fait aujourd’hui obstacle. Un nouvelle approche s’impose.

Loin de la nature

Les premiers manuscrits philosophiques de Marx, ceux de 1844, sont surtout connus pour le développement du concept de « travail aliéné » dans le contexte du capitalisme. On pourra déplorer que les spécialistes aient plus rarement souligné que, pour Marx, la source fondamentale de cette aliénation résidait aussi dans notre éloignement vis-à-vis de la nature.

Cet éloignement commence avec la compartimentation des terres communes, laissant de nombreux habitants des zones rurales dans l’obligation de vendre leur force de travail à la nouvelle classe industrielle. Marx évoque également les besoins spirituels et la perte d’un mode de vie proche de la nature dans lequel la population avait trouvé un sens.

Pour Marx, la transformation des terres communes en propriétés privées fit passer l’Angleterre du féodalisme au capitalisme. Cristian Teichner/shutterstock

Le thème développé dans ces premiers manuscrits consiste en une vision de l’histoire où l’exploitation des travailleurs et de la nature vont de pair. Pour Marx, la future société communiste résoudra les conflits parmi les humains, et aussi entre les humains et la nature ; les hommes pourront enfin satisfaire leurs besoins en harmonie les uns avec les autres et avec l’ensemble du monde naturel :

« L’homme vit de la nature – signifie que la nature est son corps, avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature. »

Dans ses écrits, Marx apporte une contribution de premier plan pour éclairer la relation entre l’homme et le monde naturel ; il met ainsi fin à une longue tradition philosophique où les êtres humains sont considérés comme séparés de la nature ; il affirme le besoin, à la fois physique et spirituel, d’une relation authentique et dynamique de l’homme avec la nature, affirmant que ce rapport a été mis à mal à l’avènement du capitalisme.

Le problème, c’est le capitalisme, pas l’humanité

Dans ses ouvrages plus récents, Marx poursuit cette analyse à l’aide de son concept clé de « modes de production ». Selon lui, chacune des différentes formes de société humaine ayant existé possède sa propre façon d’organiser le travail pour satisfaire ses besoins vitaux – par une action sur et avec la nature –, et pour distribuer les fruits de ce travail.

Les sociétés de chasseurs-cueilleurs lui apparaissent ainsi généralement égalitaires et durables ; concernant les sociétés féodales ou esclavagistes, aux relations sociales marquées par l’inégalité et l’exploitation, elles ne possèdent cependant pas cette dynamique destructrice sans fin propre au capitalisme industriel.

Ce concept de « modes de production » empêche toute tentative d’expliquer notre crise écologique en des termes abstraits tels que « démographie », « avarice » ou « nature humaine ». Car chaque forme de société possède sa propre écologie. Et les problèmes écologiques auxquels nous faisons face sont ceux du capitalisme – et non du comportement humain en tant que tel ; il nous faut dès lors comprendre comment ce système interagit avec la nature pour résoudre ces problèmes.

Marx a lui-même initié une réflexion profonde à ce sujet. Dès les années 1860, il écrit à propos de la dégradation des sols, un problème majeur à l’époque. Il montre comment la division entre villes et campagnes conduit immanquablement à une perte de la fertilité des sols et au développement de la pollution et des maladies dans les centres urbains.

Des auteurs contemporains ont développé ces idées : on peut ainsi citer feu James O’Connor ou encore le sociologue John Bellamy Foster, qui identifia une tendance endémique du capitalisme à générer une « faille éologique » ; il y a aussi les penseurs associés, au Royaume-Uni, au Red Green Study Group.

Si j’ai indiqué plus haut que les réflexions de Marx sur l’homme et la nature étaient essentielles, elles demeurent également problématiques. À certains moments de son œuvre, il semble en effet célébrer les immenses progrès de productivité et de contrôle sur les forces de la nature accomplis par le capitalisme ; le socialisme n’apparaissant comme nécessaire que pour partager équitablement les bénéfices.

Si de récentes recherches ont remis en cause cette interprétation, elle aura été historiquement très influente. Et les désastres engendrés par l’industrialisation à marche forcée de Union soviétique sous Staline doivent certainement beaucoup à cette manière de voir les choses.

J’aimerais pour conclure souligner ceci : les nouveaux marxistes environnementaux soutiennent, à juste titre, que le capitalisme n’est pas durable écologiquement et que le socialisme est nécessaire pour établir un lien rationnel avec le monde naturel. Mais pour construire un mouvement capable de transformer la société de cette façon, nous devons nous souvenir de l’accent mis par Marx sur nos besoins matériels et spirituels, qui ne pourront être satisfaits sans une relation gratifiante et respectueuse avec la nature. Bref, nous avons aussi besoin d’un marxisme « vert » et écologique.

Comment bien mentir aux enfants : Trump, le Père Noël et la théologie d’après Platon

29 samedi Déc 2018

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The Conversation

  1. Anthony Feneuil

    Maître de conférences en théologie, Université de Lorraine

 

Détail de l’Ecole d’Athènes, de Raphaël. Wikipédia

Une nouvelle vidéo de Donald Trump a fait réagir ces derniers jours : le roi du mensonge s’est fait pour une fois l’apôtre de la vérité, et il a implicitement révélé à un enfant de 7 ans que le Père Noël n’existait pas… Mais n’a-t-il pas eu raison de le faire ? Ne faut-il pas dire la vérité aux enfants sur le Père Noël ? S’agissant de l’un des marronniers de la fin d’année, il est temps de clore le débat en rappelant le raisonnement de l’un des plus grands défenseurs de la vérité, le philosophe athénien Platon (Ve s. av. JC).

Platon et les histoires de grands-mères

Il n’est pas attesté que Platon ait cru au Père Noël, mais l’on sait qu’il a réfléchi à l’éducation des enfants, et à la place du mensonge dans celle-ci. Dans le livre II de La République, il se scandalise que l’on puisse raconter aux enfants des histoires choquantes et violentes, où les dieux se font la guerre, se trompent, s’entretuent jusqu’à parfois se manger entre eux. Les dieux ne sont-ils pas, en vérité, meilleurs que les humains, et donc exempts de leurs défauts ? Et si l’on donne en spectacle aux enfants des divinités avides de pouvoir, violentes et jalouses, comment espérer que les futurs citoyens qu’ils deviendront se comportent mieux que les dieux qu’on leur donne en modèle ? Ne devrait-on pas abandonner toutes ces histoires à dormir debout, et s’en tenir à une éducation faite de sciences et de philosophie ?

Peinture de la série des « Peintures noires ». ici « Saturne dévorant son enfant. Wikipédia

La réponse de Platon est moins tranchée qu’on pourrait le croire. Il ne blâme pas le mensonge en tant que tel, mais uniquement le mensonge sans beauté (377d). Au contraire, il admet que les « discours faux » doivent occuper la première place dans l’éducation des jeunes enfants, et donc aussi la plus importante, puisqu’ils modèlent une matière encore « jeune et tendre » (377a). Autrement dit, lorsqu’il réfléchit à la meilleure éducation possible pour les citoyens, Platon ne préconise pas d’arrêter de mentir aux enfants. Pourquoi ? Sans doute parce que ne pas leur mentir serait prendre le risque qu’ils n’écoutent plus du tout. Il ne suffit pas que la vérité soit dite, il faut encore les oreilles pour l’entendre. Or la vérité est souvent moins intéressante, moins pittoresque, moins séduisante, que les inventions mythologiques. Pour être comprise, elle demande effort, arrêt et réflexion. Sa recherche est coûteuse, elle n’est jamais assurée, et elle s’accorde mieux avec le repos qu’avec le mouvement. C’est pourquoi les enfants, êtres en développement et par excellence mouvementés, sont moins mus par les raisons que par les récits et les croyances irrationnelles. Si d’ailleurs ils s’intéressaient directement au vrai et au raisonnable, auraient-ils encore besoin d’être éduqués ? L’éducation consiste justement à faire au maximum de ces êtres sensibles et passionnés que sont les enfants, des êtres rationnels.

De l’importance de bien mentir

L’enjeu n’est donc pas de savoir s’il faut mentir aux enfants. On ne peut pas faire autrement. Mais on peut mentir plus ou moins bien. Et pour une bonne éducation, on se souciera donc de bien mentir. C’est pourquoi il faudra corriger les récits mythologiques à la lumière de la vérité, faute de pouvoir les abandonner. On fera en sorte qu’ils encouragent à bien agir et à plutôt s’orienter vers la vérité que s’en éloigner. Transposons à notre questionnement initial : la question ne sera pas de savoir s’il faut mentir aux enfants à propos du Père Noël, mais comment leur mentir, c’est-à-dire à quel Père Noël les faire croire. Récompense-t-il les enfants sages ou tous les enfants sans distinction ? Habite-t-il dans le ciel ou au Pôle Nord ? Vit-il seul ou dirige-t-il une usine de lutins ? Ces questions, dont la valeur scientifique n’est certes pas démontrée, orientent pourtant vers autant de choix éducatifs à portée individuelle aussi bien que collective.

A quel Père Noël faut-il faire croire les enfants? Wikipédia

Accepter le mensonge pour faire vivre la vérité

La réflexion platonicienne ne vaut-elle que pour les enfants ? Il est peut-être significatif que Platon, dans le fil de cette discussion, utilise un mot spécial, celui de théologie, pour désigner justement ces discours qui ne sont plus tout à fait mythologiques (les croyances religieuses traditionnelles) mais ne sont pas encore philosophiques (c’est-à-dire justifiés scientifiquement). La théologie est une démarche par laquelle les croyances traditionnelles sont rectifiées sans être supprimées, le mensonge amélioré, raffiné, mais pas dissipé – et c’est là sa force. Non par complaisance pour le faux – aucun philosophe n’aime autant la vérité que Platon, ni n’insiste avec plus de force sur sa différence d’avec l’opinion et l’erreur – mais parce que le mensonge est pour Platon un mal nécessaire, l’humain étant ce qu’il est, motivé d’abord par ses émotions et ses croyances, avant de l’être par sa raison. Cette rectification et ce raffinement du mensonge ne se font d’ailleurs pas eux-mêmes sans rapport à la vérité : ils supposent l’exercice philosophique, en vue d’accorder entre elles les croyances de prime abord irrationnelles et les vérités scientifiques.

Cette lucidité quelque peu pessimiste de Platon, encore une fois, philosophe de la vérité par excellence, devrait peut-être nous alerter quant à la difficulté d’un rapport direct à la vérité. À supposer même, comme il le pense, qu’un tel rapport soit possible, on ne peut le promouvoir sans se condamner par là à l’impuissance. C’est le cas dans l’éducation des enfants, mais aussi lorsqu’on se demande comment répondre aux « fake news », « fake meds » ou autres fondamentalismes religieux. Le mensonge ne s’attaque pas de front, mais de biais : si l’on n’a que les statistiques, aussi vraies soient-elles, à opposer aux fausses médecines, l’enquête journalistique aux fausses nouvelles et le rationalisme critique aux croyances brutales, on risque bien de ne rien leur opposer du tout. Le Trump bonimenteur n’a pas de meilleur allié que le Trump démystificateur (« croire encore au Père Noël à 7 ans ? – haha »), et les constructions mythologiques nationalistes ou religieuses les plus naïves s’accommodent fort bien d’un « réalisme » politique tout à fait désenchanté. Car s’il faut choisir entre la vérité et le mensonge, nous choisissons le plus souvent le mensonge. Dans cette situation, ne serait-ce pas d’un peu de théologie, au sens platonicien du compromis entre la vérité et le mensonge, et du travail de la vérité dans le mensonge, dont nous pourrions avoir besoin ?

Les « sans religion » : la nouvelle religion ?

28 vendredi Déc 2018

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The Conversation

  1. Anne-Laure Zwilling

    Anthropologue des religions, CNRS, Université de Strasbourg

Université de Strasbourg

Le rassemblement de la ‘Raison’ regroupe plusieurs mouvements de non-croyants s’opposant à l’ingérence de la religion dans la politique, ici à Washington DC, États-Unis, 2012. BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Dans les pays où l’on demande aux citoyens d’indiquer leur religion dans les recensements, ou bien dans les sondages questionnant sur l’appartenance religieuse, il a longtemps été courant de proposer une liste de réponses possibles, le dernier item de la liste étant « aucune de ces réponses » (en anglais « none of the above »).

C’est donc en tant que nones que ceux qui ne déclaraient pas d’appartenance religieuse ont d’abord été désignés ; en français, on parle de « sans religion ».

Ce groupe a longtemps été un peu laissé de côté par les sociologues des religions. D’abord parce que le nombre de nones n’était, jusque vers les années 1970 environ, pas très élevé, mais aussi parce que ces sociologues s’intéressaient avant tout aux croyances, et que les nones semblait être un ensemble de personnes sans convictions. Jusqu’à récemment, on concevait en effet ce groupe un peu en creux : c’était le groupe de ceux qui étaient « sans » religion, qui « n’avaient pas » de croyances, qui « n’étaient pas » membres d’une Église. Bref, on le pensait en négatif, par rapport à une appartenance religieuse : le terme « non-religion » fait alors référence à tout ce qui n’est pas « religieux ».

Deux éléments ont conduit désormais les chercheurs à s’intéresser davantage à ces « non-religieux » : l’augmentation du nombre de personnes se déclarant sans religion (plus de 23 % de personnes, en moyenne, déclaraient ne pas appartenir à une religion, dans l’enquête européenne de 2008), mais aussi la prise en compte croissante de la diversité de ce groupe.

Map des « sans religion » par aires géographiques selon des données de 2006 selon pourcentage de la population, basée sur le Dentsu Communication Institute et Zuckerman. Emilfaro/Wikimedia

La religion, un ensemble d’éléments

En effet, lorsqu’on s’intéresse à la religion des personnes, on voit qu’il faut prendre en compte un ensemble d’éléments. Selon le lieu et le temps, les sociologues ont pu inclure dans cette définition les convictions, les visions du monde, les pratiques religieuses individuelles et collectives, l’engagement dans des activités liées à la religion, ou encore ce que les personnes disent d’elle-même. Soit, en termes plus techniques : les croyances, les dogmes, les pratiques et rituels, la militance, l’autodéclaration.

S’il est vrai que ces différents éléments sont souvent liés, on constate de plus en plus souvent des variations importantes : on peut être très pratiquant sans avoir des convictions très fortes, on peut être très engagé sans être pratiquant, etc. Ainsi, on va rencontrer de plus en plus fréquemment telle personne se disant chrétienne mais n’étant pas baptisée, très engagée dans sa paroisse mais n’étant pas sûre de l’existence de Dieu ; ou encore telle autre convaincue que Dieu existe et priant régulièrement, mais n’appartenant à aucun groupe religieux.

En France, par exemple, selon un sondage Ipsos de 2010, 2 % de non-croyants affirment lire la Bible au moins une fois par semaine. On a pu également lire récemment le manifeste de Hendrikse Klaas, un « pasteur athée », Croire en un Dieu qui n’existe pas.

Dans la religion, toutes les modalités de combinaison de ces différentes dimensions existent, et on retrouve dans la non-religion les mêmes variations. Cela fait donc en définitive de la non-religion un groupe peu homogène et mal connu. Voilà pourquoi la non-religion a été le sujet principal du colloque annuel de notre réseau de recherche sur les religions en Europe et au-delà, Eurel.

Un large éventail de visions du monde

Comme la religion, la non-religion inclut un large éventail de visions du monde, incluant des nouveaux athées qui « militent » contre la religion, aussi bien que des personnes affirmant qu’on ne peut rien savoir de l’existence ou de la non-existence de Dieu (agnostiques) mais qui peuvent être des pratiquants, ou encore des personnes totalement indifférentes à la religion et à la religiosité.

Richard Dawkins, athée militant, conférence TED, 2015.

Pourtant, le plus souvent, la non-religion tend à se former en relation, en opposition et dans différents dialogues avec les formes dominantes de religion. De ce fait, celles-ci prendront aussi des formes différentes. De même, la place que la société accorde à la religion va influer sur la façon dont s’exprime la non-religion.

Dans certains pays comme la France ou l’Espagne par exemple, la non-religion peut être une forme de combat contre la domination d’un groupe religieux très fortement présent, elle est donc assez militante ; alors que dans d’autres sociétés, plus indifférentes sur le plan religieux (comme au Royaume-Uni actuellement), c’est presque la position « par défaut ».

Une majorité silencieuse

Dans de nombreuses sociétés européennes, le groupe des non-religieux est en train de devenir une majorité. Cette majorité est souvent silencieuse puisqu’il ne s’agit que rarement de groupes constitués, et qu’il n’y a que très peu de revendications collectives.

Ainsi, en 2016, Linda Woodhead a affirmé qu’au Royaume-Uni, « “no religion” is the new religion » (« la nouvelle religion, c’est la non-religion »).

Cette affirmation devient vraie en France également, pays qui se place au 4e rang par l’importance de l’athéisme avec 29 % de personnes se déclarant « athées convaincues », et où l’on enregistre entre 2005 et 2010 une baisse de 21 % du nombre de personnes se disant religieuses, selon un sondage RedGallup de 2012.

Certains célèbrent la diversité de leur non-croyance lors d’événements fédérateurs comme la Sunday Assembly Church, une « église » sans religion, fondée par deux comédiens britanniques.

Certains chercheurs pensent également qu’il pourrait y avoir une part importante de « non-religieux » parmi les personnes qui déclarent appartenir à une religion majoritaire historiquement bien implantée, comme l’Église luthérienne dans les pays scandinaves, ou l’Église catholique en France, en Espagne ou en Italie. Le politologue Yann Raison du Cleuziou parle ainsi des « catholiques passagers » en France dans Qui sont les cathos aujourd’hui ? (2014) et le sociologue Jörg Stolz des « distanciés » en Suisse, Religion et spiritualité à l’ère de l’ego (2015).

Il faudrait cependant étudier de près cette question, pour déterminer à quel point l’appartenance peut aller au-delà de l’adhésion formelle au groupe religieux.

Impacts culturels, sociaux et… économiques

Notre colloque d’Oslo a également cherché à analyser comment les différents contextes nationaux peuvent influer sur ce rapport au croire, et notamment en quoi et comment le cadre social, historique et culturel de la religion dominante dans un espace géographique donné va contribuer au « formatage », à la définition de la non-religion (voir ainsi les interventions d’Ethan Quillen ou Chris Cotter).

On cherche également comment la non-religion joue sur la perception sociale de la minorité et de la majorité religieuses (comme l’expliquent Cristiana Cianitto et Rossella Bottoni ou encore Atko Remmel.

Par ailleurs, quel sera l’impact social et culturel lié à la présence croissante de ces groupes, comme l’analyse Stéphane Papi pour le Maroc par exemple ? Comment cela se manifestera-t-il selon les pays ?

Être athée au Maroc, un documentaire diffusé sur Arte (2016).

Certains, comme Jorge Botelho Moniz, vont s’interroger sur le rapport entre non-religion et religion : y a-t-il dialogue ou conflit entre les deux, et si oui qui s’exprime, et au nom de qui ? Plus largement, comment la non-religion est-elle représentée sur les plans politique, culturel et social (voir Anne Lancien notamment), quelle place peut-elle tenir et, comme le souligne Nóra Lengyel, quelle influence peut-elle avoir ?

Enfin, l’existence de la non-religion a également des implications juridiques. Il existe en Europe de nombreux pays dans lesquels l’appartenance religieuse a une importance légale ou administrative. Par exemple, cette appartenance a une incidence sur les impôts en Allemagne ; dans plusieurs pays, les groupes religieux qui bénéficient d’une reconnaissance juridique bénéficient de certaines facilités financières ou juridiques.

Comment la non-religion s’inscrit-elle dans ces configurations, par exemple dans le cas du Brésil étudié par André Luiz Pereira Spinieli ou de l’Italie décryptée par Francesco Alicino ?

Pour une place légale de l’athéisme – Jean‑Yves Méreau, éditions L’Harmattan.

Cerner les convictions (non)-religieuses

La diversité du groupe, son manque apparent de visibilité, le rendent d’autant plus difficile à cerner pour les chercheurs. Il faut alors se demander comment il est étudié et pris en compte, par exemple comment la population non-religieuse est analysée dans les recensements, comment elle est exposée dans les statistiques sur l’appartenance religieuse, et s’il y a éventuellement des zones d’ombre, des lieux non explorés. C’est notamment ce qu’explorent Teemu Taira, Tatiana Podolinska et Juraj Majo ou Sivert Urstad.

En retour, l’étude de la non-religion questionne la façon dont sont saisies et définies les modalités de l’appartenance religieuse (voir les travaux de Sofia Nikitaki ou de Timothy Stacey).

Pas plus que le « croire », en définitive, le « ne pas croire » n’est facile à mesurer par des enquêtes.


Le colloque Formatage de la non-religion dans la société post-moderne, perspectives institutionnelles et juridiques, coorganisé par Eurel et le projet « Good Protestant, Bad Religion ? Formatting Religion in Modern Society » (GOBA) de l’Université d’Oslo, s’est tenu à Oslo les 26 et 27 septembre 2018.

Vu du Moyen Âge: Quand les Kévin s’appelaient Jean, ou ce que nos prénoms disent de nous

27 jeudi Déc 2018

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The Conversation

  1. Florian Besson

    Docteur en histoire médiévale de l’Université Paris-Sorbonne et ATER à l’Université de Lorraine (Metz), Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

Les capitouls de Toulouse en 1440-1441. Chronique 135 de l’année 1440-1441 : la porte de Pouzonville. Feuillet parchemin, latin, 26,5 x 38 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, BB273/9.

Le web regorge de trésors : notamment cette magnifique carte interactive permettant de voir le prénom masculin et féminin le plus donné à une période.

Le plus frappant est d’observer la grande cohérence dans les vagues de prénoms : on a ainsi des Emma, puis des Léa, puis des Louise ; du côté garçons, on pourrait distinguer une ère des Nicolas, puis des Enzo et, surtout, un temps, des Kévin.

Cette domination nationale d’un prénom pendant deux ou trois ans souligne que le fait de nommer un enfant, s’il relève bien d’un choix individuel – témoins ces quelques Pikachu ou Agamemnon qui se promènent dans la société –, reste étroitement dépendant du contexte et des effets de mode. Il n’en était pas autrement au Moyen Âge.

Un petit stock de noms

L’une des différences fondamentales entre aujourd’hui et la période médiévale tient dans le petit nombre de noms utilisés durant celle-ci. En gros, quatre ou cinq prénoms suffisent pour nommer environ 30-50 % de la population.

Dans ce petit stock onomastique émergent des grands hits. Le plus porté, durant toute la période médiévale, est Jean. Le prestige du saint, qui a baptisé le Christ, explique ce succès. Le prénom offre en outre l’avantage de pouvoir aisément être décliné dans toutes les langues européennes : John, Juan, Ivan, Jan, Yoan, Giovanni… En fonction des époques et des moments, le prénom est porté par 20-25 % de la population masculine, voire même jusqu’à 40 %. Un garçon sur 3 ! Le plus frappant est de voir la permanence de ce prénom : c’est encore le prénom le plus donné en France jusqu’en… 1957 ! Ce qui en fait, probablement, l’un des prénoms les plus portés de l’histoire.

La société médiévale semble ainsi présenter le visage d’une société moins marquée par la diversité : aujourd’hui, même le prénom le plus donné en 2017, Louise, n’a en réalité été donné qu’à 5000 bébés…

Mais en même temps, il ne faudrait pas caricaturer. Si cinq prénoms suffisent à nommer 40 % de la population masculine, les vingt prénoms les plus donnés dans le royaume de Jérusalem n’en nomment que 63 % : en tout, on relève entre 250 et 380 prénoms en circulation. Le système onomastique médiéval concilie donc une très forte concentration et un très fort éparpillement. C’est surtout le cas pour les hommes, l’onomastique féminine étant plus variée : les femmes, en effet, n’ont pas à assurer la continuité de la famille, on les appelle donc comme on veut, d’où cette multiplicité de noms originaux.

Guigues Iᵉʳ, dans l’Album du Dauphiné – tome IV (1839), lithographie des Dauphins. Alexandre Debelle

Cela dit, celle-ci reste dérisoire par rapport à aujourd’hui. Neuf prénoms sur dix sont désormais portés par moins de 3000 personnes en France, ce qui traduit une recherche de l’originalité qui est complètement opposée aux préoccupations de l’homme médiéval, qui veut avant tout faire partie d’une communauté.

Ces noms viennent le plus souvent d’une histoire familiale. Certaines familles s’en font une spécialité : ainsi des comtes d’Albon qui se nomment tous Guigues pendant cinq générations successives. La continuité du prénom traduit la continuité du lignage et est dès lors mise au service d’un message politique fort, en des temps d’instabilités.

Guigues II d’Albon, fils de Guigues Iᵉʳ d’Albon, par Alexandre Debelle (1805-1897). Wikipédia

Un prénom va ainsi être lié à une famille, qui en fait un usage quasiment exclusif. Dans les États latins d’Orient, les comtes de Tripoli s’appellent Raymond, les princes d’Antioche Bohémond, les rois de Jérusalem Baudouin : à chaque fois, on prend le prénom du fondateur de l’entité politique. Même dans les milieux sociaux les plus modestes, les médiévaux ont tendance à nommer les enfants d’après un grand-père, un oncle, un parrain. À Florence, en 1463, on croise ainsi un Andrea, fils de Berto, fils d’Andrea, fils de Berto, fils d’Andrea, fils de Berto, fils d’Andrea. Le nom se fait conservatoire de la mémoire familiale, sur sept générations, comme peuvent encore l’être aujourd’hui les « ben » ou « ibn » des noms arabes.

Jean II, duc de Bourgogne, dit Jean Sans Peur, en 1404-1405. Portrait d’après Jean Malouel, anciennement attribué à l’école de Jan Van Eyck (les « Jean » étaient vraiment partout !

Plus encore, les prénoms participent de l’identité de la famille : ils sont réactivés à chaque génération pour mieux mettre en scène la cohérence de ce groupe lignager. D’où la pratique de « l’enfant refait », qui consiste à donner à un enfant le prénom de son frère mort-né ou mort jeune. Il s’agit bien d’affirmer que les individus s’inscrivent dans une continuité qui les dépasse, et la réutilisation du prénom dit la survie du groupe familial.

Nos prénoms à nous ne disent plus ça (ou rarement) : nous ne portons plus les prénoms de nos ancêtres (à part à la limite en deuxième prénom), encore moins ceux de nos frères et sœurs décédé·e·s avant nous. Cette évolution est le symbole d’une société dans laquelle le lien aux générations passées est souvent plus ténu, voire coupé.

Les noms évoluent

Cette domination de quelques noms ne doit pas cacher des évolutions, inscrites dans le long terme. Il y en a deux : la première est le passage des noms germaniques aux noms latins. Quand on étudie le Haut Moyen Âge, les noms nous semblent peu familiers : au hasard, je cite quelques-uns des paysans de Mitry en 864, tels qu’on les connaît grâce à un polyptyque : Gausselmus, Gotilda, Leutfridus, Teodevinus, Teuthardus, Teodeilda, Bernegarius… On ne reconnaît guère de sonorités ! Au contraire, à partir du XIe siècle, ces noms vont céder la place à des noms latins. Évidemment, l’espace germanique résiste mieux, mais même là, les Leufric et autres Grimhildes déclinent. De même dans l’espace scandinave, selon une chronologie un peu différée qui traduit la « latinisation » de l’Europe médiévale.

L’autre évolution est tout aussi importante : il s’agit de l’augmentation constante du nombre de noms de saints. Au début du XIIe siècle, en moyenne, sur les 5 noms les plus portés, un seul est un nom de saint ; à la fin du XIIIe siècle, 4 sur 5 le sont. Cette augmentation traduit et recoupe la christianisation en profondeur de la société, et illustre ainsi le formidable travail de modelage des esprits qu’a accompli l’Église catholique au fil des décennies.

Sainte Anne et les trois Marie (enluminure par Jean Fouquet du Livre d’heures d’Étienne Chevalier, inspirée par La Légende dorée.Wikipédia

Dès cette époque apparaissent des choix « nationaux », au sens que le Moyen Âge donne à ce mot. Les Vénitiens privilégient ainsi Marc, leur saint patron, tandis que les Génois affectionnent Guillaume. En Angleterre, « Thomas » cartonne au XIIIe siècle, en écho à la diffusion du culte de Thomas Becket, tandis que les Français se montrent fidèles à Martin, saint patron du royaume.

Les prénoms participent ainsi de la construction des identités nationales. D’autant plus qu’avec l’émergence des langues vernaculaires, au XIIe-XIIIe siècle, ces prénoms latins vont à leur tour évoluer : Wilhelmus va ainsi donner William en anglais, Guillaume en français et Wilhelm en allemand. Ludovicus donnera Louis ou Ludwig, Petrus Pierre ou Peter, etc. Cela dit, les sociétés médiévales sont marquées par une coprésence de plusieurs langues, et, pour les médiévaux, toutes les variantes de ces prénoms ne forment probablement qu’un seul et même nom. On voit ainsi des gens se désigner comme Johann, Johannes ou Giovanni, en fonction du contexte, des acteurs avec qui ils interagissent, etc. Là encore, nous ne fonctionnons pas différemment : un Jean‑Baptiste pourra se faire appeler Jean‑Ba, JB…

Comment prénommer cet enfant ? Evrard d’Espingues, 1463, BNF, Paris.

Mythes et mondes sociaux

Les prénoms de saints ne sont cependant pas les seuls que l’on peut donner à ses enfants. On assiste en effet à l’apparition de prénoms qui sont étroitement liés aux grandes œuvres littéraires ou artistiques du temps. C’est ainsi que l’on croise, au tournant du XIIe siècle, des Roland et des Olivier puis, un siècle plus tard, des Lancelot ou des Gauvain, témoins du succès de la littérature arthurienne. Aujourd’hui, le prénom « Khaleesi », en référence au titre de Daenerys dans la série Game of Thrones, est l’un des plus donnés chaque année aux États-Unis : c’est exactement le même phénomène d’admiration, mêlée de connivence culturelle, qui poussait un seigneur de 1232 à nommer son fils Lancelot. D’abord réservés à l’aristocratie, ces prénoms se diffusent ensuite dans la bourgeoisie urbaine, ce qui montre que cette littérature n’est plus réservée aux seuls seigneurs.

Car les prénoms sont étroitement liés au niveau social. Pour le royaume de Jérusalem, à nouveau, les résultats sont éclairants : Peter est le prénom bourgeois par excellence (porté par 10 % des hommes de cette classe sociale) alors qu’il n’est qu’au 6e rang pour les nobles. Si on prend plus de prénoms, on voit que parmi les bourgeois, le trio Peter-Bernard-Robert fait 20 %, alors qu’il ne fait que 3 % chez les nobles ; Jean, Guillaume et Hugues font 20 % chez les nobles, seulement 7 % chez les bourgeois. Le choix d’un prénom est donc entièrement libre : aucune loi n’interdit à un bourgeois de nommer son fils Hugues. Mais, à l’échelle du groupe, ces choix obéissent en réalité à des hiérarchies sociales. C’est encore plus clair pour le « nom de famille », qui n’est porté que par une minorité de paysans mais par la quasi-totalité des nobles. La ville est souvent le laboratoire où s’inventent de nouveaux prénoms : dans la seconde moitié du XIIIe, les habitants de Florence s’appellent Philippe ou Antoine, tandis que les ruraux s’appellent Martin, qui est devenu une insulte en ville car apparaissant comme un prénom trop ancien. On sait bien qu’aujourd’hui une petite fille nommée Marie-Gertrude risque fort de se faire moquer à l’école…

Les prénoms mettent ainsi en jeu un ensemble de phénomènes extrêmement complexes. Ils parlent de notre rapport aux autres, aux ancêtres, aux morts, à la mémoire, à Dieu. Ils renvoient à des processus culturels majeurs : diffusion d’une religion, d’une langue, construction d’une identité nationale. Ils soulignent aussi l’écart qui nous sépare du Moyen Âge : même si la plupart des prénoms donnés aujourd’hui l’étaient aussi à cette période, ces siècles étaient dominés par la recherche d’une continuité, tandis que nous valorisons l’originalité.

Enfin, les noms peuvent également être liés aux structures politiques. En particulier, le prestige de la dynastie capétienne s’exprime aussi par le nombre de gens qui, dans le royaume, prennent les noms de Robert, Hugues et Eudes – alors que dans le Languedoc, ces prénoms ne sont pas portés avant la conquête de la région par le roi de France. La construction de l’unité du royaume passe ainsi, en partie, par les prénoms. Verra-t-on en 2018 ou en 2019 une vague d’« Emmanuel » en France ? On espère en tout cas qu’on n’aura pas trop de Jupiter…


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Révéler les secrets des pyramides avec les particules cosmiques

26 mercredi Déc 2018

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The Conversation

  1. Francois Vannucci 
    Francois Vannucci est un·e ami·e de The Conversation

    Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris Diderot – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Paris Diderot

  • Les pyramides ont encore des secrets bien cachés à l’intérieur de pièces innaccesibles. Les particules cosmiques offrent un nouvel outil d’analyse.

La radiographie est une manière non intrusive d’explorer l’intérieur de la matière. Les rayons X sont utilisés depuis longtemps pour ausculter le corps humain. Une nouvelle technique s’est développée pour sonder des structures beaucoup plus massives : la muographie.

En 1895 Wilhelm Röntgen produit la première radiographie de l’histoire. Elle est montrée sur la figure. Il s’agit d’une main exposée à un rayonnement nouveau. Röntgen vient de découvrir les rayons X, des photons d’énergie mille fois supérieure à celle des photons visibles. Ce rayonnement provenait de rayons cathodiques étudiés alors : les jets d’électrons observés dans des tubes similaires aux anciens téléviseurs, dans lesquels règne le vide, frappent l’extrémité du tube et la paroi ainsi bombardée émet alors ce rayonnement invisible appelé « pénétrant » car il traverse une épaisseur de matière non négligeable. Une plaque photographique en est impressionnée et Röntgen eut l’idée d’interposer la main de sa femme sur leur parcours. Le rayonnement est plus ou moins absorbé par la matière traversée, et les os des doigts, et encore mieux l’alliance bien visible, atténuent le flux beaucoup plus que la chair, d’où la photo. On voyait pour la première fois l’intérieur du corps humain de manière indolore.

La première radiographie de Wilhelm Röntgen.

La radiographie d’une pyramide joue sur le même principe, elle est aujourd’hui utilisée pour rechercher des niches secrètes. Encore faut-il disposer d’un rayonnement plus pénétrant que les rayons X qui s’arrêtent sur quelques centimètres de matière. Les neutrinos traversent toute la Terre sans perte, mais ils demandent des détecteurs pharaoniques ! Les muons offrent l’outil adapté.

Les muons sont des particules élémentaires similaires aux électrons mais de masse 200 fois supérieure. Leurs propriétés sont telles qu’ils traversent facilement des dizaines de mètres de roches si leur énergie est suffisante. Les muons subissent les interactions électromagnétiques, ils perdent ainsi 700 MeV (unité d’énergie communément utilisée) à la traversée d’un mètre de fer. Mais ils ne sentent pas les interactions fortes et leur trajectoire dans la matière est quasi-linéaire. Ayant une charge électrique, ils sont facilement repérables. Pourtant, il n’est pas question de construire un accélérateur au milieu du désert de Gizeh pour l’occasion. Il faut donc se rabattre sur des muons d’origine naturelle, et ici les rayons cosmiques sont mis à contribution.

Les rayons cosmiques

On appelle rayons cosmiques des particules venant du ciel. Ils furent identifiés en 1912 par Victor Hess.

On avait noté qu’un électroscope se déchargeait continument au cours du temps, même maintenu sous une cloche vide. Cela suggérait la présence de particules chargées dans l’espace ambiant. Deux explications pouvaient s’envisager : ce rayonnement provenait soit d’une radioactivité globale de la Terre, qui existe en tout état de cause, soit d’une émission provenant du cosmos. L’expérience devait départager ces deux hypothèses.

Un premier essai infructueux fut tenté au sommet de la tour Eiffel ; il fallait aller plus haut. Hess n’hésita pas à monter en ballon pour atteindre l’altitude de 5 000 m, observant la décharge de l’électroscope au fur et à mesure de l’ascension.

Victor Hess dans son ballon.

Il apparaissait qu’elle devenait plus rapide avec la hauteur ; le flux de particules y était donc plus intense qu’au niveau du sol. Un rayonnement nous tombait du ciel, ouvrant tout d’un coup l’Univers entier à l’investigation des chercheurs. Après la révolution de Galilée quadruplant le ciel observable grâce à sa lunette, on inaugurait une nouvelle manière d’explorer le firmament.

Un rayonnement cosmique nous tombe constamment sur la tête. Des rayons primaires nous viennent du fin fond de l’univers, ce sont essentiellement des protons, les mêmes objets que l’on trouve à l’intérieur des atomes. Ils peuvent être animés de très grandes énergies, on en a observé portant des énergies équivalentes à celle d’une balle de tennis frappée par un joueur de haut niveau. Mais ces rayons n’atteignent pas la surface terrestre. Ils interagissent rapidement dans la haute atmosphère en produisant des gerbes, c’est-à-dire des cascades très denses de particules secondaires dont le nombre peut atteindre plusieurs milliards et qui arrosent des kilomètres carrés à l’arrivée sur Terre.

Avant l’ère des accélérateurs, les rayons cosmiques offraient du grain à moudre aux physiciens qui gravissaient les montagnes pour étudier la grande variété des particules constituant les gerbes. En 1932, Anderson y découvre une première trace d’antimatière. Plus tard, on y identifia une nouvelle classe d’objets : les particules étranges. De plus, on y découvrit le muon. En fait, au niveau de la Terre, les rayons cosmiques sont essentiellement de cette nature. Tous les autres types, à l’exception des neutrinos, ont rapidement ré-interagi ou se sont désintégrés dans l’épaisseur de l’atmosphère. Le muon peut traverser beaucoup de matière et son temps de vie est suffisamment long. Au final, les muons arrosent la Terre à hauteur d’une centaine par seconde sur chaque mètre carré.

Comment détecte-t-on un muon ?

Un muon portant la charge électrique élémentaire sème sur son passage dans la matière des électrons peu énergiques qu’il arrache aux atomes : c’est le phénomène d’ionisation. Des détecteurs emplis d’un gaz donnant le milieu à ioniser, pourront repérer leur passage. Il s’agit de recueillir un signal exploitable. Après amplification par un champ électrique, les électrons produisent un courant assez élevé pouvant être perçu par une électronique associée. L’électrode qui recueille le signal peut être segmentée en pistes ce qui permet de mesurer précisément le passage du muon en une dimension par le numéro de la piste touchée. À partir de plans croisés de telles chambres, on recueille l’information complète d’un point dans l’espace. Associant plusieurs dispositifs similaires, on forme un télescope qui permet de suivre la trajectoire des muons dans l’espace. Le signal des électrons est très rapide, cela fixe l’instant du passage à la microseconde près, et la résolution spatiale des détecteurs peut être meilleure que le 1/10 mm.

Une pyramide mise à nu

Dès 1968, Luis Alvarez, qui gagna le Prix Nobel pour avoir amélioré la technique des chambre à bulles, eut l’idée de détecter des muons traversant la pyramide de Khéphren pour y chercher des chambres secrètes. Le projet ne donna rien, le détecteur était trop limité, mais l’idée perdura. D’autres équipes s’intéréssèrent aux pyramides tant mexicaines qu’égyptiennes.

Récemment, une collaboration internationale lança la mission ScanPyramids pour s’attaquer à la grande pyramide de Khéops. On mesura la direction d’arrivée des muons cosmiques émergeant de la structure de pierre, en recherchant dans leur flux une anomalie. On a dit que le flux avoisine les 100 particules par seconde et m2 ; c’est le flux moyen sans absorption. Ces muons tombent majoritairement selon la verticale, mais ils ont une distribution angulaire très large et certains arrivent presque rasant, ce sont ces derniers qui nous intéressent.

https://player.vimeo.com/video/243085434
Scan Pyramids.

Le principe est donc simple. Comme pour la main de Mme Röntgen, on utilise l’imagerie par absorption. Plus ou moins de muons arrivant d’une direction donnée indique la quantité de matière présente sur le parcours. Le flux mesuré dépend de l’épaisseur traversée, et une structure vide donnera un excès relatif de particules émergeantes. Si donc, dans une direction donnée, une cavité est cachée, le flux correspondant sera légèrement augmenté par rapport aux directions voisines puisque l’atténuation sera moindre. On obtient ainsi une photo “en creux”, au contraire de celle de Mme Röntgen.

La mission utilisa des détecteurs légers, facilitant leur transport et minimisant la perturbation des particules à détecter. Ainsi, trois télescopes furent pointés vers la pyramide. Chacun comprenait quatre plans de chambres empilées, couvrant une surface de 50cmx50cm montés sur une structure manœuvrable. Les modules étaient scellés avec suffisamment de gaz assurant un bon fonctionnement durant plusieurs mois. Au total, le dispositif permet une résolution angulaire sur la direction des muons telle qu’elle se traduit par une précision de 1m à 150m de distance. C’est suffisant pour le but recherché. La prise de données dura plusieurs mois afin d’accumuler suffisamment de statistique.

Dans un premier temps, l’observation retrouva les cavités déjà connues présentes près des arêtes, là où l’épaisseur de pierre n’est pas trop grande. Ceci validait la méthode. Les niches se révélèrent avec une sensibilité de un muon en excès par jour. Puis la mission se prolongea avec des détecteurs plus performants permettant davantage de statistique. La récompense s’ensuivit : une gigantesque salle de 30 m de long fut découverte au-dessus de la Grande Galerie qui mène à la chambre du roi. Sa fonction n’est pas encore claire.

Cette technique muographique n’est d’ailleurs pas limitée aux pyramides, elle est utilisée pour suivre l’évolution interne d’un volcan. Ici aussi les muons proches de l’horizontale traversent la montagne et leur flux est plus ou moins atténué suivant la quantité de matière traversée. Lave et roche ont des densités différentes, on peut donc ausculter le conduit interne à distance, sans danger et en temps réel. Un tel appareillage a été monté au voisinage du volcan de la Soufrière en Guadeloupe.

Peut-on savoir qui était réellement Jésus ?

25 mardi Déc 2018

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The Conversation

  1. Christian-Georges Schwentzel

    Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

« Le Christ dans le désert », Ivan Kramskoï, 1872, Moscou, galerie Tretiakov. Wikipédia

Jésus est le personnage de l’Antiquité sur lequel on a, de loin, le plus écrit. Mais que sait-on réellement sur la figure historique du Christ ? Dans quelle mesure une approche scientifique est-elle possible ?

Deux siècles de recherches scientifiques sur Jésus

Hermann Samuel Reimarus (1694-1765) est le premier chercheur qui s’intéressa au personnage historique de Jésus. Son livre ne fut publié qu’après sa mort (Von dem Zwecke Jesu und seiner Jünger, Berlin, 1784). Le Galiléen fut, selon Reimarus, un révolutionnaire juif, mis à mort par les Romains. C’est alors que certains de ses disciples, refusant sa mort, auraient volé son corps et fait croire en sa résurrection. Ils auraient également inventé le thème du retour prochain du Messie.

Un peu plus tard, David Friedrich Strauss (Das Leben Jesu, Tübingen, 1835) souligne les discordances entre les Évangiles qui ne reposeraient sur aucune réalité historique. Il ne s’agirait que d’un ensemble de mythes. Poussant cette tendance à l’extrême, Bruno Bauer va jusqu’à nier l’historicité de Jésus. Une thèse récemment reprise par Michel Onfray.

Moins sceptique, Ernest Renan (Vie de Jésus, Paris, 1863) dépeint un « doux rêveur de Galilée » et un « charmeur » transformé en messie, malgré lui, par le besoin d’adorer de ses partisans. « Il n’arrive de miracles, écrit Renan, que dans les temps et les pays où l’on y croit, devant des personnes disposées à y croire ».

Au début du XXe siècle, Albert Schweitzer (Von Reimarus zu Wrede, Tübingen, 1906) dresse un bilan plutôt négatif des recherches réalisées, considérant que Jésus demeure une véritable énigme historique.

La Sainte Face de Jésus. Icône anonyme, vers 1100. Moscou, galerie Tretiakov. Wikipédia

Démythologiser Jésus

En 1926, la recherche est relancée par Rudolf Bultmann (Jesus, Tübingen, 1926) qui présente les Évangiles comme des recueils de légendes, élaborées après la mort de Jésus par les premiers chrétiens. Il se propose de « démythologiser » ces textes afin de retrouver le Jésus véritable. Il entreprend un travail de décorticage de ce qu’il considère comme les couches successives de discours et de traditions qui seraient venues se superposer à un noyau dur de propos authentiquement tenus par Jésus. Les successeurs de Bultmann cherchèrent, à leur tour, à repérer des traces du Jésus historique dans, ou plutôt « sous » les Évangiles. Les éléments retenus comme authentiques sont ceux que les chercheurs jugent les plus plausibles, mais leurs critères de plausibilité demeurent discutables.

En 1985, Robert Funk fonda, aux États-Unis, le fameux Jesus Seminar qui regroupa jusqu’à 150 chercheurs. Le but de cette équipe, qui se réunissait deux fois par an, était d’analyser les paroles et les actes attribués à Jésus dans les sources antiques. Les différents passages des Évangiles étaient soumis au vote des participants qui devaient ainsi départager les propos authentiques des inventions tardives. Les méthodes du Jesus Seminar firent l’objet de nombreuses attaques et moqueries, relayées par la presse.

La thèse du travestissement

La démythologisation de Jésus a conduit à mettre en évidence le noyau « juif » des Évangiles.

Jésus appartenait au judaïsme. Mais, une fois ce positionnement admis, le problème de la définition de Jésus demeure presque entier, car le judaïsme du Ier siècle n’était nullement unifié. Entre les sadducéens, les pharisiens, les esséniens et les autres mouvements se revendiquant du judaïsme, diverses manières d’être juif coexistaient. Reste donc encore à savoir de quel mouvement Jésus était le plus proche.

Ed P. Sanders (Jesus and Judaism, Londres, 1985) voit en Jésus un prophète de la restauration d’Israël : il annonçait l’avènement d’un royaume et était perçu comme un souverain. L’aristocratie juive et le pouvoir romain ne s’étaient donc nullement trompés en le condamnant à mort pour aspiration à la royauté.

Pour Geza Vermes (Jesus the Jew, Londres, 1973), par contre, Jésus était un sage juif enseignant dans les synagogues. Son message initial aurait ensuite été dénaturé, notamment par l’évangile selon Jean. Le vrai Jésus aurait été travesti par les spéculations théologiques de ses héritiers qui auraient assuré sa promotion au rang de Dieu.

Plus polémique encore, Hyam Maccoby (The Mythmaker, New York, 1987) affirme que le personnage historique de Jésus, très proche des pharisiens, aurait été radicalement déformé après sa mort. Le coupable de cette manipulation serait Paul, inventeur du christianisme, alors que Jésus n’aurait pas lui-même été chrétien. Paul se serait inspiré de certains cultes polythéistes pour forger la religion chrétienne, en plaquant du paganisme sur le judaïsme pharisien de Jésus.

Le théâtre de Sepphoris non loin de Nazareth d’où est originaire Jésus. Carole Raddato from FRANKFURT, Germany/Wikipédia, CC BY

Replacer Jésus dans son contexte

L’approche historique consiste aussi à mener l’enquête sur le contexte dans lequel vécut le Christ. C’est ce que fit John Dominic Crossan (The Historical Jesus, San Francisco, 1991). Il en déduit que Jésus, juif rural, se fit le promoteur d’un égalitarisme social qui le conduisit irrémédiablement à entrer en conflit avec l’aristocratie cléricale de Jérusalem. L’étude du contexte historique suggère que Jésus fut une figure de la résistance des petits paysans galiléens face aux opulentes villes de Sepphoris et Tibériade, dont le récent essor avait profondément bouleversé les pratiques agricoles traditionnelles. L’urbanisation de la Galilée aurait eu des conséquences néfastes pour les paysans fragilisés par le développement de la monoculture, seule capable de répondre aux besoins des citadins. La disparition des fermes autosuffisantes consacrées à la polyculture aurait ainsi aggravé le sort des campagnards exploités.

Un des apports de l’œuvre de Crossan est d’accorder une grande importance aux témoignages archéologiques, bien qu’ils soient peu nombreux et souvent controversés. On retient surtout, une inscription découverte à Césarée Maritime mentionnant le nom de Ponce Pilate, le gouverneur romain qui valida la condamnation à mort de Jésus ; la cheville droite, transpercée d’un clou, d’un condamné à mort, crucifié au Ier siècle ; l’ossuaire supposé du grand-prêtre Caïphe ; les ruines de Capharnaüm où aurait été identifiée la maison de Pierre sous les restes d’une église byzantine et un bateau de l’époque de Jésus retrouvé dans le lac de Tibériade.

Toujours à partir de l’étude du contexte historique, Reza Aslan (Zealot, New York, 2013) présente Jésus comme un rebelle en lutte contre la domination romaine et ses alliés locaux. Il aurait développé un discours anti-élite dans le but notamment de déstabiliser l’aristocratie sacerdotale de Jérusalem.

Inscription de Ponce Pilate retrouvée à Césarée Maritime. Copie conservée au Musée archéologique de Milan. Reinhard Dietrich/Wikipédia, CC BY

Quelques principes méthodologiques

Les objectifs de l’historien de Jésus me paraissent être les suivants :

  • proposer une approche profane, sans miracles ni résurrection (si ce n’est comme des thèmes du discours), en écartant, par la même occasion, toute idée de destin ou de volonté divine ;
  • partir d’une présomption d’authenticité concernant les sources, l’hypothèse d’une réécriture ou d’une déformation postérieure ne pouvant être admise qu’après avoir épuisé toutes les autres possibilités ;
  • traiter les Évangiles comme les autres textes antiques, notamment les biographies de grands personnages (Vies de Plutarque, Res Gestae d’Auguste…) ;
  • tenter de construire une chronologie de la carrière de Jésus, malgré les divergences entre les Évangiles ;
  • replacer Jésus dans son contexte historique et social : la Galilée et la Judée sous domination romaine ;
  • comparer Jésus avec les autres leaders du moment (messies juifs anti-romains, rois hellénistiques, empereurs romains) et aux héros de la mythologie gréco-romaine, afin d’identifier d’éventuelles thématiques communes (filiation divine du chef, message de « Bonne Nouvelle », guérisons miraculeuses…) ou bien des divergences (virginité de Marie, résurrection terrestre de Jésus…) ;
  • proposer une finalité, c’est-à-dire des causes et des conséquences : pourquoi Jésus fait-il ce qu’il fait ? Comment y parvient-il ? Peut-on trouver, dans les Évangiles, les indices d’une stratégie de communication de Jésus ?

Le Jésus historique apparaît alors comme un leader toujours en devenir, à la manière de beaucoup d’hommes politiques : il s’adapte aux circonstances ; il lui arrive même de changer d’avis. Cette perspective permet de comprendre ses succès et ses échecs, comme pour tout autre grand personnage de l’histoire antique.


Christian-Georges Schwentzel a publié « Les Quatre Saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine », éditions Vendémiaire.

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