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Archives Mensuelles: février 2019

La culture matérielle des « gilets jaunes », une lecture anthropologique

28 jeudi Fév 2019

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The Conversation

 

  1. Dominique Desjeux

    Professeur émérite en anthropologie, Université Paris Descartes – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Paris Descartes

 

L’analyse de l’évolution de la classe moyenne au niveau mondial peut aider à mieux comprendre le mouvement des « gilets jaunes » en France.Mathis Boussuge / Shutterstock
 

Toutes les analyses dans les journaux, la radio et la télévision l’ont bien montré, le mouvement des « gilets jaunes » est socialement et politiquement hétérogène. Et pourtant le mouvement a été soutenu pendant longtemps par près de 70 % des Français. L’enquête anthropologique, qui repose sur une l’accumulation d’observations qualitatives plutôt que sur une méthodologie déductive, montre que, derrière l’hétérogénéité sociale, la culture matérielle fait apparaître une communauté de pratiques et de problèmes à résoudre propres à la classe moyenne la moins favorisée en France et dans le monde.

L’analyse présentée ici s’appuie à la fois sur des observations qui ont été faites dans les livings, les cuisines, les salles de bains ou les jardins, en France, en Chine, au Brésil ou aux États-Unis, depuis 1990, et sur les reportages audio et visuels présentés depuis novembre 2018. Dès 2011, avec la montée des dépenses contraintes, on pouvait observer ce que j’ai appelé « le chassé-croisé des classes moyennes mondiales » dont les « gilets jaunes » en sont, pour une part, la résultante.

La peur de la panne

Le mouvement des « gilets jaunes » tient son unité symbolique à un objet matériel, le gilet obligatoire de sécurité jaune fluo dont le prix peut varier de 3 à 7 euros. Sa symbolique est simple et forte : comment être mieux vue quand on est avec sa voiture sur le bas-côté de la route suite à un accident ou à une panne.

La peur de la panne et la crainte d’un accident de la vie, comme le chômage ou une séparation conjugale, sont au cœur des inquiétudes de la vie de la classe moyenne à revenu tendu et irrégulier, dont les « gilets jaunes » dans leur diversité en sont l’expression. La panne menace la plupart des budgets familiaux dont l’équilibre tient bien souvent à l’existence d’un ou plusieurs crédits. Les pannes les plus critiques portent sur quatre objets : celle de la machine à laver qui conditionne l’organisation de la vie domestique, celle du réfrigérateur qui contribue à la gestion des courses alimentaires, celle de la chaudière, au fioul, au gaz ou au bois, qui permet de se chauffer et d’avoir de l’eau chaude et celle de la voiture sans laquelle certains ne pourraient pas aller au travail, conduire les enfants à l’école et à leur activité de loisir, faire les courses et remplir le caddie.

La voiture fait partie des objets dont la panne est la plus redoutée par les ménages. Patat/Shutterstock

Toutes ces incertitudes qui se traduisent par des dépenses imprévues constituent comme un fonds commun à l’hétérogénéité politique et sociale des « gilets jaunes » et des Français qui se reconnaissent dans le mouvement, au moins entre novembre et décembre 2018. Consommation, vie quotidienne et image positive de soi sont en permanence menacée par les coûts de l’énergie (essence, gasoil, gaz, électricité) dont dépendent le chauffage, l’eau chaude, la voiture, l’entretien du jardin, les pratiques de bricolage et les technologies de la communication.

Selon l’Insee, les coûts alimentaires qui, bien qu’ils aient baissé en moyenne dans le budget des ménages de 27 % en 1960 à 15 % aujourd’hui, pèsent beaucoup plus fort sur les revenus les plus bas. À l’inverse, les coûts du logement dans la part du budget sont passés de 8 % à 20 % en 50 ans, et peuvent atteindre 50 % pour les ménages aux revenus les plus bas. La communication digitale représentait moins de 1 % du budget en 1960, puisqu’elle était presque inexistante en dehors de la télévision et du téléphone fixe. Elle atteint 8 % en moyenne aujourd’hui et monte 17 % pour les budgets des plus pauvres, avec l’ordinateur, le téléphone mobile, les tablettes, la télévision et les consoles de jeux.

Quand une dépense de consommation de la classe moyenne à bas revenu dépasse la moyenne de celle de la population, elle est l’indicateur que l’on a à faire à une dépense contrainte socialement, ce qui est un peu plus large que le terme de dépenses préengagées des économistes qui ne tiennent pas compte de la pression des enfants, de l’importance des réseaux numériques ou du sentiment de rejet social quand certains ont l’impression de ne pas pouvoir tenir leur rang dans le mouvement général de la consommation.

Changement des modes de vie

Cette pression est très visible dans le living, la pièce à vivre, qui dans les années 1960 soit n’existait pas, soit représentait une pièce plus formelle, le « salon ». C’est le lieu qui depuis les années 2000 concentre une grande partie des écrans utilisés par la famille de la télévision aux jeux vidéo. On y trouve le « salon complet », avec le canapé, la bibliothèque et le meuble pour la télévision, achetés à crédit. Un insert à bois y a souvent été installé pour économiser l’énergie. Pour les familles monoparentales, le living, la cuisine, la salle de bain et la chambre à coucher peuvent ne faire qu’une seule pièce.

Depuis les années 2000, le salon concentre une grande partie des écrans utilisés par la famille. ThomasDeco/Shutterstock

Depuis 2000, la dynamique générale consumériste qui avait démarré dans les années 1920 aux États-Unis et 1950 en Europe de l’Ouest, s’est déplacée de l’Ouest vers l’Est, avec la montée d’une nouvelle classe moyenne mondiale qui représente près de 2 milliards de personnes aujourd’hui et 5 milliards dans une trentaine d’années. Elle se trouve principalement en Asie et en Asie du Sud-Est, avec la Chine, l’Inde et l’Indonésie, mais aussi ailleurs avec le Brésil, le Mexique, la Russie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, la Turquie ou Israël. Entre 2000 et 2008, les cours du soja ont explosé parce que la classe moyenne chinoise s’est mise à manger de la viande, ce qui a pesé directement sur les coûts de production du porc en France. Les changements de la consommation et des modes de vie déterminent maintenant les changements de société, de la production à la distribution, aux usages des biens et services et à leurs effets sur la pollution, le réchauffement climatique et les risques de guerre.


À lire aussi : Les métamorphoses du consommateur-producteur-distributeur


Le renversement du champ de force au sein de la mondialisation, plus que sa nouveauté, puisqu’elle a existé depuis les débuts de l’humanité, donne un des sens possibles de la revendication des « gilets jaunes » qui se demandent ce qu’ils deviennent dans cet immense maelstrom incontrôlable et avec une mobilité de plus en plus limitée et chère.

Les grandes contradictions

On comprend cette hésitation quand on est conscient que le nouveau contrat social doit prendre en compte quatre grandes contradictions qui paraissent insolubles : celle de l’augmentation du pouvoir d’achat et en même temps celle d’une consommation plus économe, celle d’un soutien aux entreprises pour qu’elles produisent plus de valeur tout en mobilisant moins de matières premières et d’énergie fossiles, celle d’une diminution de la pression fiscale et des dépenses de l’État tout en améliorant la qualité des services administratifs, celle d’une plus grande autonomie locale sans que cela conduise à plus de dépenses de l’État ou à plus de dérogations sur les permis de construire qui concourent à l’ampleur des catastrophes dites naturelles ou la limitation de la vitesse sur les routes mortellement dangereuses.

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« Gilets jaunes », l’incertitude démocratique http://bit.ly/2NeAEg3 

1

12:27 AM – Feb 19, 2019
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Paradoxalement la solution à tous ces problèmes ne tient pas tant d’un « manque de démocratie », quand on voit le nombre de réunions municipales, d’associations, d’États généraux ou de conférences de citoyens qui se sont tenues à travers la France depuis plusieurs dizaines d’années. La solution ne vient pas non plus de son corollaire, le « mépris des élites », mais plutôt d’un manque de méthode, celle qui permettrait d’augmenter les capacités de négociation entre les acteurs pour les amener à construire des compromis acceptables, comme cela se fait dans les pays scandinaves ou en Allemagne. L’urgence écologique, la concurrence internationale et la menace populiste autoritaire peuvent amener les Français à accélérer ce processus d’apprentissage qui autrement demande au moins une génération.

La rumeur, garante de nos libertés ?

27 mercredi Fév 2019

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The Conversation

  1. Autin Louis

    ATER de latin, doctorant en lettres classiques et histoire ancienne, Université Grenoble Alpes

Université Grenoble Alpes

 

Une foule peinte par Jean-Pierre Stora. L’agora des arts

Le 20 avril 2018, le site de Tolbiac, occupé depuis plusieurs semaines par des étudiantes et étudiants en lutte contre la loi ORÉ, était évacué par les services de police. La confrontation entre bloqueurs et CRS donna naissance à ce qui a très rapidement été qualifié de « rumeur de Tolbiac » : un étudiant aurait à cette occasion été grièvement blessé, voire tué. L’information, fut abondamment relayée sur les réseaux sociaux (plus de 10 000 tweets, selon Visibrain pour Le Parisien), avant que, l’événement s’étant révélé contraire à la réalité, des journaux occupant des positions dominantes dans le champ médiatique (Libération et Le Monde) ne rétablissent les faits en s’attaquant à cette fake news et à ses instigateurs.

La distance dépassionnant les débats, cet épisode est l’occasion de revenir sur ce que sont les rumeurs et sur les discours auxquels elles sont en butte. « Le trésor pour l’éternité » que constitue l’histoire, selon l’expression célèbre de Thucydide, est susceptible de guider notre réflexion : car si les réseaux sociaux sont d’invention récente, les enjeux de contrôle de l’information qu’ils impliquent, eux, ne sont pas radicalement différents que dans l’Antiquité.

Psychologie des foules

L’étude des rumeurs comme fait social ne remonte qu’à la Seconde Guerre mondiale, lorsque des sociologues et psychologues américains cherchèrent à comprendre l’influence de ces phénomènes sur l’état d’esprit des populations civiles, dans le but avoué de contrôler les informations circulant hors des canaux de l’officialité. L’existence de rumor clinics, rubriques de journaux, au Boston Herald par exemple, destinées à répertorier et contrôler les rumeurs pendant la Seconde Guerre mondiale, est une bonne preuve de cette dynamique. Mais en réalité, l’orientation très psychologisante donnée par ces premières études, notamment par son principal représentant, Gordon Allport, remonte plus loin. Elle se nourrit de la psychologie des foules, très en vogue au XIXe siècle, à la fois dans les œuvres fictionnelles et dans le domaine scientifique : en 1895, Gustave Le Bon, un antirépublicain (et un plagiaire) convaincu, avait fait paraître Psychologie des foules, ouvrage qui tentait de faire gagner ses galons scientifiques la discipline du même nom. Si ce fut un échec, les études sur les rumeurs procèdent encore d’une approche psychologique, et souvent pathologique : elles sont alors vues comme l’expression d’un inconscient collectif, et implicitement – ou parfois explicitement – assimilées à des maladies quasi épidémiques du corps social.

La situation est à la fois différente et semblable pour les rumeurs antiques. Très différente, d’abord, car le concept recouvre pour cette période une réalité beaucoup plus large qu’aujourd’hui. Une rumeur, pour nous, c’est d’abord une information non vérifiée, non officielle, et souvent fausse (« ce n’est qu’une rumeur ») ; le terme s’emploie fréquemment pour des ragots sportifs ou mondains – une rapide recherche en fournit mille exemples.

Cette définition ne peut s’appliquer aux rumeurs antiques : certaines sont fausses, d’autres sont vraies, d’autres encore exagérées, mais pas fondamentalement erronées ; les unes contiennent de simples nouvelles, les autres se constituent comme de véritables jugements en prise avec la réalité et donnent à ressentir ce que nous nommerions « l’opinion publique » ; une bonne partie d’entre elles, enfin, sont des reprises pures et simples d’éléments communiqués par le pouvoir. Le fossé avec notre monde est ici perceptible. La rumeur dans l’Antiquité est d’abord un média, au sens propre du terme : un canal par lequel transite un message. Un média non technique, certes, car procédant par le seul langage, mais un média tout de même, donc situé dans un champ médiatique qui, à Rome et à Athènes, se manifeste tout à fait autrement qu’aujourd’hui, présentant une faible diversité de supports de l’information et dépourvu de toute forme de corps intermédiaire garant de la circulation autonome de l’information et de l’opinion, à l’instar de nos journaux. L’avènement de l’imprimerie nous a rendu totalement étranger le fonctionnement des sociétés antiques et médiévales sur ce point, elles où l’oralité occupait une place centrale pour la grande majorité des gens, l’écrit étant plutôt ressenti comme l’apanage des élites sociales et politiques.

Rumeurs détestées

Il y a pourtant une chose que nos rumeurs et celles des Grecs et des Romains ont en commun : les jugements hystériques qu’elles suscitent. La vaste majorité des auteurs grecs et latins, exclusivement des aristocrates défendant leur propre vision de classe, tient en horreur les rumeurs. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elles sont incontrôlables, qu’elles se multiplient et qu’elles peuvent se révéler dangereuses. Essayez donc de stopper un bruit qui s’est répandu comme une traînée de poudre parmi le million d’habitants de la Rome impériale ; tâchez d’en remonter les multiples ramifications pour en éliminer la source : les plus habiles y ont échoué. Néron, très au fait des pratiques de la foule, l’avait d’ailleurs compris : plutôt que de chercher à réprimer directement les on-dit qui l’accusèrent d’avoir déclenché le grand incendie de Rome en juillet 64 apr. J.-C., il désigna des boucs émissaires en la personne des premiers chrétiens pour détourner sur eux le flux des rumeurs (manque de chance, alors même qu’ils jouissaient d’une réputation sulfureuse causée par la mécompréhension de leurs rites, la foule romaine les prit en pitié, et Néron continua d’être accablé par la plèbe).

Pour un aristocrate, la rumeur est d’abord un réseau qui échappe à son pouvoir, voire qui le conteste, et qui rivalise avec lui pour l’acquisition de l’information. Contrôler la course des nouvelles, c’est avant tout asseoir sa domination ; et la haine des rumeurs dans la littérature antique s’explique sans doute par la crainte de voir cette mainmise contestée par des canaux non officiels. Concrètement, ce sentiment se manifeste par des critiques répétées à l’envi et formulées à l’identique : les rumeurs sont toujours fausses ; elles sont produites par des agitateurs professionnels, par des oisifs et des turbulents ; elles ne s’intéressent qu’à la surface des choses et non aux véritables causes des événements, etc.

Hubert Robert (1733-1808), L’incendie de Rome, vers 1771. MuMa Le Havre/Florian Kleinefenn

Naissance des rumeurs

Si les rumeurs antiques n’ont ni la même définition ni la même place dans la société que ce que nous qualifions du même nom, il y a bien aujourd’hui des structures qui jouent le même rôle qu’elles, à savoir diffuser une information hors des circuits officiels, constituer un jugement collectif sur l’actualité ou sur telle ou telle personne, faire pression sur les instances politiques, etc. De fait, les rumeurs ne surgissaient pas de n’importe où : les études qui l’ont envisagée sans se contenter d’y trouver l’expression de fantasmes ou d’angoisses collectifs, mais en y voyant le produit d’interactions sociales bien déterminables, ont souligné qu’elle n’existait que grâce aux structures de sociabilité des classes subalternes qui lui servaient de vecteur.

À Athènes comme à Rome, les rumeurs se diffusent dans les échoppes de barbier, dans les tavernes, aux bains. Or, quels sont les lieux de sociabilité où nous échangeons des informations aujourd’hui ? Ils sont principalement virtuels. Twitter, par exemple, assume la plupart des fonctions listées ci-dessus. C’est le lieu où l’on diffuse les nouvelles : certaines sont proprement officielles, c’est-à-dire rattachables à une source qui fait autorité, étatique ou journalistique ; d’autres ne le sont pas, mais constituent un puissant moyen de se tenir informé d’un événement que les autorités de diverse nature n’ont pas encore relayé. Les réseaux sociaux bruissent de la nouvelle d’un attentat bien plus vite que les médias traditionnels, de la même façon que la nouvelle de la victoire des Romains à Pydna en Macédoine, il y a près de 2200 ans, circule dans les rangs des spectateurs du Cirque bien avant que les courriers officiels n’arrivent au Sénat.

Rumeurs et dissidence

Précisément parce qu’ils représentent des espaces échappant au contrôle de l’État et qu’ils concurrencent par leur efficacité les médias traditionnels, les réseaux sociaux sont en prise aux mêmes commentaires discréditants que le fut la rumeur tout au long de l’Antiquité. L’anonymat constitutif de ces plates-formes est lu comme la marque de la lâcheté des commentateurs. La moindre fausse nouvelle est stigmatisée et devient le symbole du manque prétendu de fiabilité de ces canaux – témoin l’affaire de Tolbiac, précisément. En 168 av. J.-C., le général romain Paul-Émile (dit le Macédonien), partant mener la guerre contre Persée, adressait cette demande aux citoyens de Rome :

« Vous autres, ne prêtez foi qu’à ce que je vous écrirai, à vous et au Sénat, et prenez garde des rumeurs qui se nourrissent de votre crédulité et qui n’ont pas de source ».

Plus de deux millénaires plus tard, les forces de police demandent solennellement, sur Twitter qui plus est (aujourd’hui comme hier), de faire la même chose (en France comme ailleurs), et prépare une loi sur les fake news, songeant à la possibilité d’ordonner la fermeture d’un compte sur les réseaux sociaux.

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Préfecture de police

✔@prefpolice

#Tolbiac Contrairement aux rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux aucun blessé grave, en lien avec l’opération d’évacuation, n’a été recensé. Consultez notre communiqué de presse

1,114

6:46 PM – Apr 20, 2018
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Aujourd’hui comme hier, détenir le monopole de l’information labélisée correcte est un enjeu politique.

Pester contre la lâcheté prétendue de tel ou tel twitteur, dissimulé par l’anonymat de la plate-forme (comme nous l’avons tous fait), ce n’est rien d’autre, en somme, qu’actualiser des discours aristocratiques qui ont toujours accompagné l’accaparement, par les personnes exclues des positions dominantes, de la circulation des nouvelles et de leur commentaire. Dans l’Antiquité, la pauvreté – l’absence de nom, au sens social du terme – était vue comme une sécurité permettant aux classes subalternes toutes les insolences contre le pouvoir, notamment de le critiquer par des rumeurs. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier que l’anonymat ne permet pas, sur Twitter, tout type de harcèlements, plus condamnables les uns que les autres. Mais si le passé peut nous apprendre quelque chose, c’est bien la tendance des commentateurs « autorisés » à tirer de cas marginaux des critiques essentielles censées condamner à jamais les pratiques d’échange d’information situées hors de leurs domaine d’influence.

Nous l’avons vu avec l’affaire de Tolbiac : une fausse nouvelle est érigée comme l’illustration de la dangerosité des réseaux sociaux, sans que personne ne songe à souligner la véracité de la grande majorité de ce qui s’y déroule. Ne méprisons pas les rumeurs d’hier et aujourd’hui. Leur seule circulation est la garantie de notre résistance face aux institutions établies et aux visées de contrôle étatiques. Elle permet de nous constituer en tant que bloc, de prendre conscience de nos intérêts de groupe, de définir les normes auxquelles nous obéissons, d’organiser notre action ou nos réactions (je pense ici aux mécanismes des hashtags, entre autres). Hier comme aujourd’hui, par des rumeurs ou sur Twitter, (s’)informer, commenter, c’est aussi résister.

Pourquoi y a-t-il si peu d’étudiants noirs dans les programmes pour surdoués aux États-Unis ?

26 mardi Fév 2019

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The Conversation

  1. Jason A. Grissom

    Associate Professor of Public Policy and Education, Vanderbilt University

Vanderbilt University

Les étudiants noirs sont sous représentés dans les programmes pour surdoués. Howard County Library System, CC BY-NC-ND
 

Aux États-Unis, les étudiants noirs et latinos sont sous-représentés dans les programmes pour surdoués, qui proposent un enseignement spécialisé et des services adaptés aux besoins des enfants les plus brillants.

Selon les données du ministère de l’Éducation américain, ces deux catégories démographiques représentent 40 % des élèves des écoles publiques, mais seulement 26 % des inscrits aux programmes pour surdoués.

Bien que ce phénomène puisse être lié aux résultats scolaires des différents groupes ethniques (de nombreuses études montrent que les enfants noirs et latinos réussissent généralement moins bien que leurs camarades blancs ou asiatiques, et ce dès la maternelle), d’autres explications peuvent être avancées, comme le démontre une étude que j’ai menée récemment avec Christopher Redding, un étudiant en doctorat de l’université Vanderbilt.

Le fossé entre noirs et blancs dans l’identification des surdoués

Nous sommes partis du nombre de surdoués inscrits dans des classes spécifiques, publiée par la Early Childhood Longitudinal Study (ECLS), qui portait sur un échantillon représentatif d’écoliers, depuis la maternelle jusqu’à la fin du primaire. Ces données sont très utiles, dans la mesure où elles recensent l’évaluation standardisée des performances de chaque élève en maths et en lecture.

L’analyse des résultats scolaires de ces enfants nous a permis de dégager deux schémas distincts. Les Latinos ont, en moyenne, de moins bons résultats que les blancs, ce qui explique qu’ils soient moins nombreux à bénéficier du cursus pour les surdoués. En revanche, les noirs ont, aujourd’hui encore, deux fois moins de chances d’être intégré à un programme pour surdoués que les blancs, à résultat égal.

Autrement dit, un enfant noir et un enfant blanc dotés des mêmes capacités en lecture et en maths n’auront pas la même probabilité d’être identifiés comme surdoués. Cette conclusion est pour le moins surprenante.

En menant des analyses complémentaires, nous avons constaté que l’origine sociale de l’élève – le niveau d’éducation de ses parents ou le revenu du foyer, par exemple – ne permettait pas d’expliquer ce phénomène.

C’est en nous intéressant à ce qui se passe dans les établissements scolaires que nous avons isolé deux facteurs potentiels susceptibles d’influer sur cette différence entre noirs et blancs.

Tout d’abord, les noirs ne sont généralement pas inscrits dans les écoles proposant des programmes pour surdoués.

L’origine ethnique des enseignants peut avoir un impact sur qui sera sélectionné pour intégrer les programmes de surdoués. US Department of Education, CC BY

Ensuite, les enfants noirs ont beaucoup moins de chances d’être choisis pour des programmes adaptés si leur professeur est blanc. Et les différences sont flagrantes.

Pour les élèves noirs avec un professeur noir, la probabilité de suivre des cours pour surdoués est quasiment la même que pour les élèves blancs de même niveau. Ce chiffre est divisé par trois quand l’enseignant est blanc.

On ne retrouve pas ce lien de causalité entre diagnostic et couleur de peau de l’enseignant chez les élèves blancs, latinos ou asiatiques.

Enseignants noirs contre enseignants blancs

Pourquoi l’origine ethnique de l’enseignant influe-t-elle sur la probabilité de diagnostiquer un enfant noir surdoué ?

On peut l’expliquer de bien des manières : les élèves noirs manifestent peut-être davantage leurs capacités intellectuelles face à des instituteurs qui leur ressemblent ; les parents se sentent peut-être plus à l’aise pour demander que l’on fasse passer un test de QI à leur enfant quand ils viennent du même milieu que l’enseignant.

Mais la raison principale est sans doute liée à la manière dont les professeurs appréhendent les facultés intellectuelles des élèves noirs. S’ils partagent le même milieu social, la même culture et le même langage, ils sont plus à même de déceler des capacités ou talents exceptionnels chez l’enfant, là où des enseignants blancs pourront y être moins sensibles.

Des études montrent également que les attentes des instituteurs blancs quant à la réussite de leurs étudiants noirs sont généralement plus faibles que celles de leurs collègues noirs. Rappelons qu’aux États-Unis 83 % des enseignants sont blancs.

Quelle méthode d’identification ?

Pour pouvoir suivre des cours pour surdoués, les enfants doivent d’abord être évalués.

Les procédures varient selon les académies mais, dans la plupart des cas, tout commence par une demande de diagnostic de la part d’un membre du corps enseignant. Les élèves qui ne font pas l’objet d’une recommandation ne seront probablement pas identifiés, ce qui constitue un véritable obstacle dès lors que l’enseignant ne parvient pas (ou ne cherche pas) à identifier un élève surdoué.

Pour résoudre ce problème, on pourrait envisager de limiter le rôle du professeur dans l’identification des surdoués, par exemple en faisant passer des tests à l’ensemble des élèves. Ceux qui présentent un fort potentiel auraient ainsi accès à un cursus adapté, même lorsqu’ils appartiennent à une minorité désavantagée.

Jusqu’à présent, les académies qui ont mis en place ce « dépistage universel » ont constaté une nette augmentation du nombre de surdoués chez les élèves noirs, latinos, et issus de foyers à faibles revenus (un autre groupe sous-représenté, selon notre étude).

Tout laisse à penser que les surdoués qui intègrent des programmes adaptés sont à la fois plus motivés et réussissent mieux. Chez les enfants issus de minorités marginalisées, le phénomène est encore plus marqué.

Tous les enfants surdoués doivent pouvoir bénéficier des mêmes chances et être en mesure de développer leur potentiel, quelle que soit leur couleur de peau ou leur origine sociale. Les académies doivent vraiment s’attaquer à ce problème – par le biais du dépistage universel ou d’une meilleure formation des enseignants à la détection des élèves surdoués – afin de s’assurer que les programmes sont accessibles à tous ceux qui en ont besoin.

Pensée des « gilets jaunes » : trois ingrédients à prendre en compte

25 lundi Fév 2019

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The Conversation

 

  1. Jacques Gerstlé

    Professeur émérite de sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

  2. Michel Borgetto

    Professeur de droit public, directeur du Centre d’études et de recherches en sciences administratives et politiques (CNRS), Université Paris 2 Panthéon-Assas

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

A Bordeaux, le 16 février 2019. Nicolas Tucat / AFP
 

Devant cet objet politique mal identifié que constitue le mouvement des « gilets jaunes », le regard porté sur différents types de considérations semble s’imposer. La satisfaction dans la vie et la confiance interpersonnelle ont été récemment mises en avant pour expliquer les comportements électoraux observés en 2017 et ont été remobilisées pour éclairer le mouvement des « gilets jaunes ». Parmi les objectifs de cette étude figure la compréhension des « ressentis subjectifs et du socle intellectuel de leurs idéologies » : « Dans les deux cas (2017 et crise des « gilets jaunes »), la vieille opposition gauche-droite a laissé place à un nouvel antagonisme, dans lequel les variables de bien-être subjectif ou de confiance à l’égard des institutions ou des personnes jouent un rôle central et sous-estimé jusqu’alors. »

Ce tableau nous semble devoir être précisé par l’évocation de deux autres considérations qui permettent de désagréger la notion de « satisfaction dans la vie ». En premier lieu, le souci du court terme dans les revendications des « gilets jaunes » et, en second lieu, la domination de valeurs matérialistes au sens de Ronald Inglehart.

Court terme et valeurs matérialistes

Dès l’origine du mouvement, le pouvoir d’achat a été élevé en tête des préoccupations avec le rejet de la hausse des taxes sur les carburants et, d’une manière plus générale, le mouvement anti-fiscal. Sur les ronds-points combien d’enquêtes ou de micro-trottoirs n’ont pas révélé l’angoisse généralisée de la sécurité économique à brève échéance voire l’angoisse alimentaire dès le 10 du mois ? « Remplir le frigo à la fin du mois » est ainsi apparu comme une urgence élémentaire, tout à fait légitime, qui traduit bien l’horizon temporel très proche des « gilets jaunes ». Au souci de la « fin du monde » (la transition écologique) les « gilets jaunes » substituent plus volontiers le souci de la « fin du mois ».

Selon l’étude récente du Cepremap et du Cevipof précitée, « près de 70 % de ceux qui soutiennent les « gilets jaunes » fortement vivent dans un ménage dont le revenu disponible net est inférieur à 2 480 euros – soit le revenu médian en France. Et 17 % vivent dans un ménage avec moins de 1 136 euros. En outre, 24 % des soutiens (des « gilets jaunes ») déclarent s’en sortir « très difficilement » avec le revenu de leur ménage, soit deux fois plus que la moyenne ». Ces chiffres atténuent légèrement l’état dramatique de la population suggéré par des représentations médiatiques un peu hâtives.

Cette « courtermisation » du politique rejoint le caractère matérialiste de la revendication. Dans son ouvrage précité, Ronald Inglehart met au jour, dès 1977, la dichotomie des valeurs matérialistes et post-matérialistes.

Les premières sont attachées à la satisfaction de la sécurité sous toutes ses formes, physiques et économiques principalement. Il s’agit d’obtenir des biens matériels de première nécessité assurant la sécurité physique (protection, emploi, alimentation…) des individus. Travaillant sur des séries chronologiques de données empiriques, Inglehart met en évidence que les générations socialisées au cours de périodes marquées par les privations de toutes sortes sont amenées à développer des valeurs matérialistes. Ainsi en va-t-il des cohortes d’individus socialisés dans l’Allemagne ou le Japon dévastés d’après-guerre.

Puis les « trente glorieuses » marquées par un développement économique constant, de nature à assurer des sociétés où le confort et l’abondance se généralisent, connaissent l’éclosion de cohortes aspirant à des valeurs post-matérialistes (l’égalité des sexes, la protection de l’environnement, la satisfaction au travail…). On a ainsi pu donner une interprétation de Mai 68 comme l’aboutissement de ces revendications post-matérialistes.

Certes, le court terme n’y était pourtant pas exclu des slogans, comme l’atteste l’injonction à « jouir sans entrave ». Les valeurs matérialistes des « gilets jaunes » semblent confirmer l’hypothèse d’Inglehart moins en termes générationnels qu’en termes de segments sociaux. Les groupes sociaux qui souffrent le plus d’un défaut de bien-être confirment leur aspiration à la satisfaction de revendications matérialistes et à court terme. Les « gilets jaunes » ont, pour le moins, problématisé au grand jour, et parfois violemment, une situation insatisfaisante, c’est-à-dire qui révèle un écart entre l’état de choses existantes et ce qui paraît souhaitable.

La « déconnexion » des élites politiques

Dès lors, on comprend mieux l’incompréhension totale entre le « peuple » des « gilets jaunes » qui demandent l’accès à plus de biens normalement accessibles à tous et les « élites » supposées « capter » les ressources de bien-être et les ressources de la volonté générale pour parler comme Mudde et Kaltwasser, et donc les en priver.

Cette incompréhension devient particulièrement sensible dans le rejet du politique comme étant le lieu d’épanouissement des élites. Or l’une des fonctions essentielles du politique consiste à prévoir, à anticiper l’avenir et donc elle est caractérisée par l’analyse des perspectives à long terme. On se rappelle du « gouverner c’est prévoir » de Pierre Mendès-France. D’où les critiques si fréquentes dans le discours des « gilets jaunes » à propos de la « déconnexion » des élites politiques avec les réalités socio-économiques et la justification de la défiance qu’elles suscitent pour cause de temporalités incompatibles.

À ces deux types de considérations, on peut, en effet, ajouter une troisième dimension constituée par l’axe confiance-défiance, forme simplifiée du capital social dont ils sont dépourvus. Les « gilets jaunes » ont été souvent caractérisés par leur isolement social auquel la réunion récurrente sur les ronds-points comme les manifestations du samedi venaient apporter un antidote qui permet de retrouver la convivialité et la solidarité perdues.

L’écueil des finances publiques

Que tirer de cette triple opposition entre court et long terme, valeurs matérialistes et post-matérialistes et confiance et défiance pour la sortie de crise ?

Si on les projette sur les propositions qui devront émerger du « Grand Débat national », on est amené à retenir quelques hypothèses. S’agissant tout d’abord du terme auquel les décisions devront correspondre, il semble nécessaire qu’il y ait des mesures complétant celles du 10 décembre concernant la prime de fin d’année, l’augmentation du salaire des travailleurs payés au smic de 100 euros en 2019, l’annulation pour cette année de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2 000 euros par mois et la défiscalisation des heures supplémentaires dès 2019.

Le Président avait compris la très forte attente de mesures à court terme puisqu’il a déclaré dans son discours : « Je demande au gouvernement et au parlement de faire le nécessaire afin qu’on puisse vivre mieux de son travail dès le début de l’année prochaine ».

On voit bien que des mesures complémentaires d’ordre économique ne pourront être que limitées compte tenu de l’état des finances publiques. Il faudra cependant s’efforcer de trouver des mesures de nature à satisfaire des aspirations à court terme, même si elles seront de toute façon considérées comme insuffisantes par les « gilets jaunes » compte tenu du rejet massif du Président (mais pas nécessairement par le reste de tous les autres Français qui restent très largement majoritaires).

Si on connaît les principaux facteurs du bien-être subjectif (le revenu, le statut d’emploi, l’âge et le niveau d’éducation), on ne voit guère que la redistribution pour être utile à la réparation à court terme. Mais on se heurte là à l’écueil des finances publiques, sauf à infléchir la politique économique et sociale suivie depuis 2017 (un point abordé dans un second article à venir). On pourra, toutefois, remarquer que le Grand Débat est national et qu’en ce sens il n’est pas supposé déboucher sur la satisfaction des demandes exclusives des « gilets jaunes » mais bien de tous les citoyens français. En ce sens la distinction entre confiance et défiance doit être prolongée.

La fabrication d’une crise : déconstruire la rhétorique anti-immigrationde Donald Trump

24 dimanche Fév 2019

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The Conversation

  1. Jérôme Viala-Gaudefroy

    Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Université Paris Nanterre

Le mur sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis (ici côté Ciudad Juarez, côté mexicain). Joe Raedle/AFP

L’utilisation de « l’urgence nationale » par Donald Trump pour débloquer des fonds pour la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique n’est pas une surprise. Depuis longtemps, et récemment encore dans son discours sur l’état de l’Union, le 5 février 2019, le président Trump a construit une rhétorique bien huilée sur la menace et le danger permanent des « étrangers illégaux et criminels ».

Si tous les présidents américains depuis Bill Clinton dans les années 90ont parlé du problème des immigrés illégaux, aucun n’a à ce point dramatisé la situation. Voici donc une courte analyse de la stratégie rhétorique qui vise à fabriquer une crise.

Donner des chiffres pour faire peur

Il n’y a rien de plus efficace que des chiffres pour faire peur, et convaincre un auditoire, qu’une situation est « objectivement critique ». C’est ce que fait Donald Trump ici en déclarant, notamment dans son discours sur l’état de l’Union :

« Les agents de contrôle de l’Immigration et des Douanes (ICE) ont arrêté 266 000 criminels étrangers, dont 10 000 accusés ou condamnés pour voie de fait, 30 000 pour crime sexuel et 4 000 pour homicide ou assassinat ».

Donald Trump cite ici des chiffres qu’il a utilisés dans son discours sur l’immigration, le 8 janvier 2019, et twitté le 13 janvier suivant. Comme le note le Washington Post le problème est que ces chiffres sont approximatifs, voir trompeurs. Ils comprennent, par exemple, les « infractions sérieuses et non violentes ». Et les totaux incluent « tous types d’infraction, y compris l’entrée (ou la réentrée) illégale sur le territoire ».

Même le cœur de l’argument – les immigrés illégaux commettent plus de crimes – est contredit par plusieurs études universitaires indépendantes : celles-ci concluent que l’immigration illégale n’augmente pas le taux de criminalité (y compris pour les crimes de sang, l’utilisation de drogues illicites) et que les sans-papiers sont en réalité moins susceptibles d’enfreindre la loi.

Pire encore, l’affirmation de Donald Trump que la ville frontière d’El Paso (Texas) avait « l’un des taux les plus élevés de criminalité » a été totalement réfuté (ici, ici, ou ici). De même, l’allégation du Président selon laquelle « le mur à San Diego a presque complètement mis fin aux traversées illégales de la frontière » est, au mieux, discutable et incomplète.

Choisir les mots pour convaincre

Le « cadrage » cognit) est une technique de communication qui consiste à utiliser un langage spécifique pour « cadrer » un sujet dans des termes négatifs ou positifs en s’appuyant sur des représentations mentales préconçues.

Ainsi, désigner les immigrés sans papiers comme des « étrangers criminels illégaux », comme le fait le Président, implique que toutes ces personnes, avant même d’avoir franchi la frontière (comme celles des « caravanes »), ont déjà enfreint la loi. Il ne tient pas compte du fait que certaines d’entre elles peuvent être des réfugiés qui demanderont l’asile, et qui de ce fait ne sont pas techniquement des « immigrés », et encore moins illégaux (du moins jusqu’à ce que leur demande soit éventuellement rejetée).

En réalité, c’est bien plutôt la nouvelle politique du gouvernement Trump – qui consiste à obliger les demandeurs d’asile à rester au Mexique dans l’attente du résultat de leur demande – qui risque d’être illégale.

L’expression d’« étrangers illégaux » est assez rare dans un discours sur l’état de l’Union, mais ce n’est pas non plus une innovation. Elle a été utilisée par Bill Clinton en 1995. Ce n’est pas pour autant un terme neutre. Elle présente l’immigré par le biais du cadrage cognitif du crime.

Comme l’explique très bien le think tank libertarien CATO Institute, choisir le terme « étrangers illégaux » plutôt que « immigrants sans papiers » est susceptible d’influencer l’opinion d’une personne plutôt conservatrice contre l’immigration parce qu’elle « tend à soutenir davantage l’ordre et la structure, et à être perturbée par l’illégalité ».

Faire de l’« étranger illégal » un ennemi sauvage

En revanche, ce qui relève de l’innovation, et apparaît comme une marque de fabrique de la rhétorique trumpienne, est l’utilisation de l’immigré dans le processus de construction d’un ennemi central. Contrairement à ces prédécesseurs de l’ère moderne, Trump désigne un autrui menaçant qui se situe à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de la frontière.

A l’intérieur, c’est le danger immédiat du « gang sauvage MS-13 (qui) opère dans plus de 20 états américains. » La réalité de ce gang latino-américain particulièrement violent est toute autre : avec moins de 10 000 membres, le MS-13 représente « moins de 1 % des membres de gangs qui existent dans tout le pays ». Aussi cruels soient-ils, ils ne constituent pas une menace nationale.

A la frontière, cet autrui, c’est aussi, selon le Président, « le coyote (nom donné aux passeurs, ndlr) impitoyable, les cartels, les dealers et les trafiquants sadiques d’êtres humains et de sexe », ainsi que « les passeurs qui utilisent les enfants immigrés comme des pions pour exploiter nos lois et avoir accès à notre pays ». Avec de telles pratiques barbares, ces criminels symbolisent la peur du chaos et de l’anarchie :

« L’état d’anarchie de notre frontière du Sud est une menace pour la sécurité des biens et des personnes, et pour le bien-être financier de toute l’Amérique. » (Donald Trump)

Ce qui est en jeu, c’est donc bien la loi, l’ordre et la civilisation. C’est l’argument pour l’utilisation d’un vocabulaire de guerre : ordonner l’envoi d’« un nouveau contingent de 3.750 soldats sur notre frontière du Sud pour se préparer à cette incroyable attaque et appeler les Américains à « défendre une frontière du sud très dangereuse ». au nom de l’amour et de la loyauté de nos concitoyens et de notre pays

Cette guerre n’est pas uniquement métaphorique. Elle fait des victimes :

« D’innombrables Américains […] assassinés par des criminels étrangers illégaux et des « dizaines de milliers d’Américains innocents tués par des drogues mortelles qui traversent la frontière et inondent nos villes. »

Lors du discours de Donald Trump à la Maison Blanche, le 15 février 2019, deux personnes brandissent la photo d’une proche victime d’un homicide en lien avec l’immigration clandestine. Brendan Smialowski/AFP

Cette vision des immigrés comme un « Autre sauvage » n’est pas sans rappeler la rhétorique de la frontière sur les Amérindiens au XIXe siècle.

Ajouter une pincée de détails lubriques

Ce sauvage est d’autant plus barbare qu’il est également un prédateur sexuel :

« Une femme sur deux est agressée sexuellement […] des milliers de jeunes filles et de jeunes femmes sont “passées clandestinement” pour être vendues comme “prostituées ou esclaves moderne”. ». (Donald Trump, discours sur l’état de l’Union)

Au-delà du manque du manque de fiabilité statistique, le thème de crimes sexuels est l’un des sujets de prédilection de Donald Trump.

Son discours qui avait lancé sa campagne présidentielle, le 16 juin 2015, avait déjà fait les gros titres parce que le candidat Trump accusait le Mexique d’envoyer des violeurs aux États-Unis. Plus tard, il a fait un commentaire similaire à propos des « caravanes » d’immigrés qui se dirigeaient vers les États-Unis depuis l’Amérique centrale.

Plus tôt cette année, il a même donné quelques détails explicites sur « des femmes attachées, immobilisées, du ruban adhésif autour de leur visage, sur leur bouche [qui] dans bien des cas, ne pouvaient même pas respirer ». Une histoire qu’il a répétée une dizaine de fois, le mois dernier, sans offrir la moindre preuve qui puisse la confirmer.

Ce genre de récit n’a pas besoin d’être vrai. Il a juste besoin de donner le sentiment d’être vrai pour servir son but politique. De telles histoires sont davantage susceptibles d’engendrer une réaction forte chez un auditoire plus conservateur, le genre et la sexualité étant des caractéristiques du langage nationaliste. Elles reflètent une philosophie qui considère la puissance comme une vertu et le contrôle comme primordial.

Utiliser la métaphore du « corps » de « la nation »

Que ce soit au niveau littéral ou métaphorique, les récits de viols sont utilisés par les locataires de la Maison Blanche pour focaliser la colère du public contre les ennemis de l’Amérique. Ainsi Saddam Hussein avait soi-disant commis le viol du Koweït et avait construit des salles de viol… De telles histoires exploitent la métaphore de la nation comme « corps ».

Dans le cas de Trump, un parallèle peut être fait entre le viol et l’invasion de la nation par des étrangers illégaux. Dans son discours sur l’immigration du 8 janvier 2019, le Président parle d’ailleurs de « ceux qui ont violé notre frontière ».

Ce schéma du corps est susceptible d’activer des sentiments particulièrement forts chez un auditoire conservateur ou nationaliste, qui tend à avoir une vision du monde genrée basée sur la force et la puissance. Pour l’écrivain féministe Soraya Chemaly, « le viol, c’est la guerre ; les violeurs sont les gagnants, les violés sont les perdants. La honte, selon l’usage de Trump, est réservée aux violés, pas aux violeurs ».

Donald Trump, à Mc Allen (Texas), près du fleuve Rio Grande, le 10 janvier 2019, lors d’un déplacement sur la thématique du mur. Jim Watson/AFP

La peur de l’invasion est, de plus, illustrée par le récit de l’une des invités d’honneur du Président, lors du discours sur l’état de l’Union, Deborah Bissel, dont les parents ont été cambriolés et tués dans leur maison de Reno, au Nevada par un étranger clandestin. Cette affaire de violation de domicile n’est pas une coïncidence, elle établit un parallèle avec l’invasion illégale du pays par de dangereux étrangers.

Utiliser l’image de l’inondation

L’immédiateté de la menace est renforcée par la métaphore de la nation comme contenant menacé par une inondation dangereuse. Il s’agit là d’un trope classique du discours anti-immigré dans lequel le liquide est associé directement aux immigrés, ou bien aux substances illégales qu’ils sont supposés apporter.

Ce sont les drogues qui, selon le président « inondent nos villes » ou bien « le déferlement des membres du gang MS-13 qui reviennent dans le pays ». L’arrivée d’immigrants est ici présentée en termes de quantité excessive de liquide qui pénètre dans un contenant.

D’où le danger de « frontières ouvertes », de « zones sans défense » ou de « failles » dans la loi. Cela justifie, dès lors, la construction d’un mur de protection contre cette inondation. La conclusion est alors naturellement que « les murs fonctionnent et les murs sauvent des vies ».

Faire un récit avec un méchant, une victime et un héros

Comme tout bon récit, cette histoire doit avoir des personnages clairement identifiés : des méchants et des victimes – les Américains mais aussi les « 300 femmes et filles sauvées de l’horreur de cette horrible situation ».

Elle a également besoin de héros, incarnés par « nos courageux agents de contrôle de l’Immigration et des Douanes » et les « braves hommes et femmes des forces de police ».

Mais, en fin de compte, le vrai héros de cette histoire est bien Donald Trump lui-même. Il est à la fois le protecteur des héros du quotidien et le bâtisseur de murs qui visent à protéger le corps-nation.

Fractures territoriales et sociales : portrait d’une France en morceaux

23 samedi Fév 2019

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The Conversation

  1. Thomas Vitiello

    Chercheur associé au CEVIPOF, Sciences Po – USPC

  2. Bruno Cautrès

    Chercheur en sciences politiques, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

La France en morceaux. Elabe/DR, Author provided

Alors que de nombreux Français partagent aujourd’hui un sentiment d’inégalité et d’injustice, voire de déclassement, le Baromètre des Territoires explore l’impact des fractures sociales et territoriales sur le récit national.

Ce Baromètre, lancé par le cabinet d’études et de conseil ELABE et l’Institut Montaigne, a interrogé 10 010 personnes divisées en 12 sous-échantillons régionaux de 800 individus (1 200 en Ile-de-France) représentatifs de la population résidente de chaque région administrative métropolitaine, âgée de 18 ans et plus.

En croisant entre elles des données portant sur le lien social, le sentiment de justice sociale, l’évaluation de sa vie personnelle, de son cadre de vie, de son habitat et de son accès aux infrastructures, etc., le Baromètre des Territoires interroge le rapport des Français à leur territoire. La France d’aujourd’hui est-elle une mosaïque de territoires qui s’opposent ou est-elle composée d’une pluralité de situations socio-économiques qui transcendent d’éventuelles fractures territoriales ? Quel jugement portent les Français sur le territoire où ils vivent ? Est-il un lieu où l’on peut réaliser son projet de vie ou, au contraire, un lieu où l’on est assigné à résidence ?

Mobilités et choix de vie : le territoire à la croisée des chemins

Pour de nombreux Français, il existe simultanément un sentiment d’enfermement territorial ou d’entrave à la mobilité spatiale et un choix de lieu de vie motivé par des raisons familiales ou professionnelles. Cette ambivalence s’exprime dans le rapport que les Français entretiennent avec le territoire dans lequel ils vivent et ce qui les a conduits à s’y installer : 44 % se sentent « coincés » là où ils habitent, mais dans le même temps plus de la moitié d’entre eux déclarent avoir fait le choix de vivre dans ce territoire qui les enferment (19 % vivent là où il avaient envie de vivre et 38 % y sont venus travailler ou étudier).

Si la mobilité n’est ni bonne, ni mauvaise en soi, elle peut être perçue de manière radicalement différente en fonction des circonstances dans lesquelles elle se réalise, et surtout du fait d’être choisie ou non. Des mobilités personnelles, professionnelles et spatiales voulues et recherchées peuvent être un facteur d’épanouissement personnel et professionnel pour certains groupes favorisés, alors qu’elles peuvent être un facteur de précarité pour les groupes défavorisés, notamment si elles sont subies. Tout comme une absence de mobilité peut donner lieu à un enracinement assumé et choisi ou à un enfermement contraint sur un territoire.

En considérant la mobilité non seulement selon sa présence ou son absence, mais aussi selon le fait qu’elle soit voulue ou non, nous avons identifiés quatre situations type de rapport à la mobilité (Tableau 1).

Tableau 1. DR, Author provided

En utilisant des méthodes statistiques multivariées, nous avons attribué chacun des 10 010 répondants au Baromètre des Territoires à une de ces quatre mobilités-types.

Une mobilité positive

Elle traduit un certain détachement vis-à-vis du territoire. Les individus qui sont dans cette situation sont optimistes vis-à-vis de l’avenir, le territoire où ils vivent est davantage l’espace qui rend possible (par ses qualités, par ses infrastructures, etc.) un projet de vie et une aspiration à bouger. Le haut niveau de capital social et culturel de ces individus leur permet de vivre leur projet de vie hors de toute considération territoriale, même s’ils se sentent bien là où ils vivent.

Les «Affranchis» Institut Montaigne

Ces Français sont des « Affranchis » et représentent 21 % de la population. Ils sont surreprésentés parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures et les étudiants. Plus de 6 « Français affranchis » sur 10 résident dans des agglomérations de 100 000 habitants et plus, dont l’agglomération parisienne, et ils vivent davantage en centre-ville que les autres catégories de Français.

Politiquement, un quart d’entre eux se sent proches de La République en marche ou du MoDem, et ils ont très largement voté pour Emmanuel Macron lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2017 (42 %).

Un enracinement choisi sur un territoire

Celui-ci traduit un attachement au territoire local et à ses racines. Les individus qui sont dans cette situation se sentent globalement bien là où ils vivent et goûtent au bonheur de « vivre au pays », dans des territoires qui leur offrent le cadre d’une vie sociale riche et de bonne qualité. Ces Français sont des « Enracinés » et représentent 22 % de la population.

Les «Enracinés» Institut Montaigne, Author provided

On trouve dans ce groupe une proportion très importante de seniors et de retraités : un tiers d’entre eux a plus de 65 ans, 6 sur 10 ont plus de 50 ans, et 38 % sont des retraités (qui ne représentant qu’un quart de la population française). Pour moitié ils résident dans une commune rurale ou dans une agglomération de petite taille, et près de trois quarts sont propriétaires de leur logement et vivent en maison individuelle. Ils sont surreprésentés dans les territoires autour de villes moyennes mais aussi dans des territoires isolés, peu urbanisés.

Politiquement, ils se distinguent par une proximité partisane plus prononcée pour les partis de droite que les autres catégories de Français. 24 % d’entre eux ont voté pour François Fillon lors du 1er tour de l’élection présidentielle et 24 % pour Emmanuel Macron.

Un enracinement contraint sur un territoire

Il traduit une certaine assignation à résidence. Ces individus sont figés sur place à cause d’un faible capital social et culturel, mais aussi à cause d’un fort ressenti des inégalités sociales et économiques sur leur territoire. Ces Français sont des « Assignés » et représentent 25 % de la population.

Les «Assignés». Institut Montaigne, Author provided

La sociologie des « Français assignés » dessine une France qui va mal et qui souffre des inégalités sociales. Elle est majoritairement composée de quadragénaires et de quinquagénaires des classes populaires : 59 % d’entre eux ont entre 35 et 64 ans, et 57 % sont des employés, des ouvriers ou des retraités CSP-. Parmi les quatre catégories de Français, ce sont ceux dont la part ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur est la plus basse.

On constate une surreprésentation de « Français assignés » dans les communes rurales, c’est-à-dire dans des bourgs et petites villes en situation intermédiaire ou dans des zones isolées, peu urbanisées et hors de l’influence des grands pôles. Les « Français assignés » sont aussi largement présents dans des zones plutôt denses en situation peu favorable.

Politiquement, ils sont 48 % à déclarer n’avoir aucune préférence partisane et 19 % à se sentir proches du Rassemblement national. Enfin, ils sont 37 % à avoir voté pour Marine Le Pen lors du 1er tour de l’élection présidentielle, et 29 % à s’être abstenu ou à avoir voté blanc ou nul.

Une mobilité subie

Elle traduit une certaine incertitude territoriale. Ces individus aspirent certes à la mobilité, mais celle-ci est davantage contrainte et subie que pour les individus en situation de mobilité-positive. Leurs aspirations se heurtent à leur situation socio-économique peu favorable. Ces Français sont « Sur le fil » et représentent 32 % de la population.

Les Français «sur le fil». Institut Montaigne, Author provided

Sociologiquement, les « Français sur le fil » sont à l’image de la structure sociodémographique de la France en termes d’âge et de catégories socio-professionnelles, avec une légère surreprésentation des classes moyennes inférieures et des classes populaires. C’est parmi eux que l’on trouve la proportion la plus importante de locataires.

Si 32 % des « Français sur le fil » se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2017, ceux d’entre eux qui ont voté ont distribué leurs voix quasi identiquement entre les quatre principaux candidats : 23 % pour Emmanuel Macron, 22 % pour Marine Le Pen, 19 % pour Jean‑Luc Mélenchon et François Fillon. 52 % d’entre eux déclarent n’avoir aucune préférence partisane.

Emanciper les Français socialement pour leur permettre de choisir leur parcours de vie et leur territoire

Nos analyses montrent que ces quatre catégories de Français se côtoient, voire se croisent, assez largement au sein de l’ensemble des territoires géographiques qui composent le pays. Il n’y a pas de « spécialisation » de certaines régions qui ne comprendraient qu’un ou deux des quatre groupes. Ce n’est pas le territoire qui, par lui-même, assigne les individus à résidence ou les projette dans la mobilité. Le territoire peut sans aucun doute être facteur aggravant ou favorisant, mais c’est davantage le sentiment d’avoir choisi la vie que l’on mène et son niveau de vie qui façonnent la relation des Français à leur territoire que l’inverse.

Par ailleurs, les rapports au territoire et aux mobilités sont multiples en France. Si plus d’un tiers des Français vit positivement une certaine mobilité professionnelle et géographique sur le territoire national, les deux tiers restants n’aspirent pas nécessairement à ce modèle de vie. Une partie conséquente de nos concitoyens est heureuse et a choisi de s’enraciner sur un territoire, et une autre partie se satisferait d’une meilleure qualité de vie, matérielle et immatérielle, sur son territoire mais sans nécessairement passer par une mobilité accrue.

Les implications de ces deux résultats – importance du sentiment d’avoir choisi son parcours et pluralité des rapports à la mobilité – sont considérables pour les décideurs publics et les acteurs socio-économiques présents sur les territoires. Les aspirations aux mobilités ne sont pas les mêmes pour tous les Français, et même si elles l’étaient, certains se retrouveraient empêchés de les réaliser.

Il apparaît donc indispensable de dépasser l’idée d’un modèle de développement unique sur un territoire, comme si la population y était homogène. L’enjeu est bien davantage de redonner le pouvoir de choisir leur parcours de vie aux Français qui l’ont perdu, afin que chacun puisse choisir de partir comme de rester pour réaliser son projet de vie sur le territoire qu’il souhaite.

Et si c’était le réchauffement climatique qui provoquait la stagnation séculaire ?

22 vendredi Fév 2019

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The Conversation

  1. Jean-Louis Combes

    Professeur d’économie, Université Clermont Auvergne

  2. Pascale Combes Motel

    Professeur des Universités, Université Clermont Auvergne

Université Clermont Auvergne

 

L’inaction contre le changement climatique pourrait coûter entre 1% et 3% de PIB tous les ans d’ici à 2060, selon l’OCDE. Tatiana Grozetskaya / Shutterstock

Beaucoup d’inquiétudes se font jour actuellement sur les possibilités de connaître dans un avenir prévisible un épisode de croissance similaire à celui des « trente glorieuses ». Sur le plan intellectuel, la théorie de la stagnation séculaire a connu récemment un regain d’intérêt. La stagnation séculaire peut être définie comme une période durable de faible croissance économique et une situation de baisse des taux d’intérêt réels résultant d’un excès d’épargne par rapport à l’investissement souhaité.

Beaucoup d’économistes classiques comme David Ricardo, Thomas Malthus, ou Jean de Sismondi étaient stagnationnistes dans la mesure où ils prédisaient un état stationnaire. Les théories modernes de la stagnation sont l’héritage de John Maynard Keynes (1936) et de Alvin H. Hansen (1938) dans le contexte difficile des années 1930. Ils insistent en particulier sur la faiblesse structurelle des incitations à investir. Il faudra attendre les soubresauts de la crise financière globale pour voir resurgir cette théorie dans une conférence de Lawrence Summers (1993). Celle-ci s’est maintenant bien installée dans le paysage académique comme le montre en particulier, pour n’en citer que quelque uns, les ouvrages récents de Teulings et Baldwin (2014) ou de Summers (2018).

Le rôle des contraintes environnementales

Pour expliquer ce phénomène, plusieurs facteurs explicatifs ont été avancés (Barry Eichengreen, 2015). Ainsi pour Bernanke (2005), le ralentissement de la croissance démographique pourrait générer un excès mondial d’épargne en raison, entre autres, des incertitudes pesant sur les systèmes de retraite. Pour Gordon (2012), il s’agit plutôt d’une conséquence de la nature des innovations technologiques de la troisième révolution industrielle qui permettent d’améliorer le bien-être mais sans accroître significativement le potentiel de croissance. D’autres auteurs insistent davantage sur les conséquences des mécanismes de désendettement privé et public qui pénalisent la demande effective.

Si tous ces arguments ont une part de vérité, ils ignorent le rôle majeur que jouent aujourd’hui les contraintes environnementales. Les penseurs classiques avaient déjà souligné leur importance. Ainsi, chez Ricardo (1817) la baisse tendancielle des taux de profit qui conduit à l’état stationnaire est la conséquence de l’accroissement des salaires. Celui-ci résulte de l’augmentation des prix des produits agricoles de subsistance, consécutive à la mise en valeur de terres moins fertiles pour faire face aux besoins d’une population croissante. C’est dire que pour Ricardo, la rareté et le caractère non reproductible de la terre contraignent durablement la croissance.

Les économistes classiques introduisaient les contraintes environnementales dans leurs théories dès début du XIXᵉ siècle.Jack Frog/Shutterstock

À notre époque, les contraintes environnementales pourraient prendre plusieurs formes. La première concerne les conséquences des politiques climatiques d’atténuation qui génèrent une majoration des coûts des énergies carbonées. Dans quelle mesure en résultera-t-il un ralentissement de la croissance ? Une hypothèse centrale est celle du degré de substituabilité entre l’énergie et la combinaison capital-travail. Si les facteurs de production sont faiblement substituables (ou complémentaires) alors le renchérissement des prix de l’énergie contraindra fortement l’accumulation productive et par conséquent, la croissance. Bien qu’aucun consensus n’ait encore émergé sur la valeur exacte des paramètres à considérer, on ne peut pas exclure que, dans un horizon proche et dans certains secteurs particulièrement énergivores, les possibilités de substitution soient très limitées.

Une autre question est celle relative à la modification du mix énergétique, c’est-à-dire à la possibilité de réduire la part des énergies fossiles dans la consommation énergétique. Elle peut être abordée en faisant référence au pic pétrolier. Ce moment, qui ne doit pas être confondu avec celui de l’épuisement de la ressource, correspond à une situation où la quantité maximale de pétrole extraite en une année ne peut plus augmenter. Dans les technologies actuelles, une telle situation générerait forcément un ralentissement de la croissance qui dépend de la croissance des flux de pétrole extraits. On assisterait alors à la réalisation de la prédiction du rapport Meadows (1972) sur les limites de la croissance. Il faut noter que certaines études prédisent un pic pétrolier, toutes techniques confondues, entre 2020 et 2050.

Le coût de l’inaction

L’évolution des émissions de CO2 peut être décrite par une identité connue sous le nom d’équation de Kaya (1997). Celle-ci décompose son évolution en quatre éléments : la croissance démographique, la croissance du PIB par tête, l’évolution du mix énergétique et celle de l’efficacité énergétique. Par conséquent, si la communauté internationale souhaite réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors elle sera confrontée à une donnée exogène, à savoir la forte augmentation de la population mondiale. En absence de progrès significatifs en matière d’efficacité énergétique et de changements notables dans le mix énergétique (ce dernier a même tendance à se détériorer avec l’exploitation accrue du charbon dans certains pays), le respect de la contrainte climatique signifierait inéluctablement un ralentissement de la croissance.

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Mais si les politiques climatiques ont un coût, celui de l’inaction est bien plus grand encore. Ainsi, pour prendre un seul exemple, on peut considérer le rapport de l’OCDE (2016) préparatoire à la COP21 de Paris. Ce rapport simule les conséquences économiques du changement climatique. Malgré les incertitudes concernant le fonctionnement du système climatique, les experts considèrent que, sans mesures d’atténuation (et uniquement avec des mesures d’adaptation au changement climatique provoquées par la réaction des marchés), on enregistrerait des pertes de PIB annuel entre 1 % et 3 % d’ici à 2060 (correspondant à un doublement de la concentration en CO2 et à un réchauffement compris entre 1,5°C et 4,5°C). Les conséquences seraient particulièrement négatives en Afrique et en Asie, l’impact négatif transitant principalement par la baisse des rendements des cultures et de la productivité du travail, puis par l’élévation du niveau des océans.

Si le changement climatique affecte l’ensemble des secteurs, il peut considérablement fragiliser le secteur financier dont l’importance pour la croissance est largement reconnue. Ainsi le changement climatique pourrait générer des risques physiques (directs ou indirects par le jeu des mécanismes assurantiels) ou liés à la transition énergétique avec la problématique des « actifs échoués », c’est-à-dire les actifs liés aux énergies fossiles qui verraient leur valeur diminuer. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, insiste sur la nécessité de dépasser ce qu’il appelle la « tragédie des horizons », c’est-à-dire la dichotomie entre un horizon de court terme qui est celui de la finance et un horizon de long terme approprié pour traiter des contraintes environnementales.

Le 22 février : quand Ramsès II ressortira de l’ombre

21 jeudi Fév 2019

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The Conversation

  1. Christian-Georges Schwentzel

    Professeur d’histoire ancienne, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

Ramsès II incarné par Yul Brynner dans Les dix commandements, 1956.

Au fond du grand temple d’Abou Simbel, édifié au sud de l’Égypte, la statue de Ramsès II sera illuminée par le soleil levant, le 22 février. Que signifie cet éclairage programmé à dates fixes depuis plus de 3000 ans ?

Le plus célèbre temple pharaonique

Tout le monde connaît le grand temple d’Abou Simbel. C’est non seulement le plus célèbre des sanctuaires édifiés par Ramsès II au cours de son long règne (1279-1213 av. J.-C.), mais aussi de tous les temples pharaoniques. Révélé au public en 1813 par des gravures de l’explorateur suisse Jean Louis Burckhardt, il a fait l’objet d’un sauvetage spectaculaire, à la fin des années 1960, qui lui a permis de ne pas être englouti par les eaux du lac Nasser.

Ce sont aussi les ouvrages de l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt qui jouèrent un rôle non négligeable dans la diffusion des connaissances sur cet extraordinaire monument.

Abou Simbel. Vue panoramique du grand temple, à gauche, et du petit temple, à droite. Wikipédia, CC BY

Le sanctuaire a été creusé dans la montagne ; c’est en grande partie une grotte artificielle. Sa façade est constituée de quatre colosses d’une vingtaine de mètres de haut, directement sculptés dans la roche, figurant Ramsès assis sur son trône. Aux pieds du pharaon se tiennent douze statues, de dimension réduite, figurant des membres de la famille régnante. La « grande épouse royale » Néfertari a le privilège d’apparaître à deux reprises, même si le haut de sa couronne ne dépasse pas le genou de son époux. La reine Touy, mère de Ramsès II, figure elle aussi deux fois : ce qui se comprend aisément, puisqu’elle eut l’immense mérite de porter en son sein le futur pharaon. On reconnaît encore six princesses et deux princes : l’héritier Amonherkhépéshef, fils de Néfertari, et Ramsès, enfant que le pharaon eut de sa deuxième épouse, Isis-Nofret. À travers la famille royale, c’est la puissance procréatrice du souverain qui est affichée et mise à l’honneur.

Grand temple d’Abou Simbel. Rê-Horakhty tenant deux hiéroglyphes du nom de couronnement de Ramsès II. Wikipédia, CC BY

Un pharaon qui est bien plus qu’un simple mortel, comme le proclame, dans une niche aménagée au-dessus de la porte du temple, une statue de Rê-Horakhty, divinité solaire, tenant dans ses mains les hiéroglyphes qui composent le nom de couronnement de Ramsès II. Il s’agit d’une sorte de rébus soulignant l’assimilation entre le pharaon et l’astre du jour.

Une fois passé sous cette porte, on pénètre dans une grande salle hypostyle, soutenue par des piliers représentant encore Ramsès. Les bas-reliefs qui tapissent les murs glorifient le pharaon comme un puissant chef de guerre, guidé par les dieux. On le voit debout sur son char, lors de la fameuse bataille de Qadesh, chargeant tout en tirant à l’arc et semant un indescriptible carnage dans les rangs ennemis.

Il apparaît aussi comme un souverain pieux rendant un culte aux grands dieux de l’Égypte et, par un étonnant dédoublement, à lui-même divinisé.

Puis on traverse une seconde salle hypostyle, plus petite, et, enfin, on pénètre dans la pièce la plus sainte, le sanctuaire à proprement parler. Le mur du fond est aménagé en banquette où se tiennent quatre statues de divinités assises. De gauche à droite : Ptah, Amon, Ramsès déifié et Rê-Horakhty. Le pharaon trône parmi les plus grands dieux du royaume.

Ramsès a également fait aménager un deuxième temple, plus petit, qu’il a dédié à Néfertari, souvent considérée comme son épouse préférée. Mais son statut exceptionnel était peut-être dû au fait qu’elle avait donné naissance au prince héritier, Amonherkhépéshef ; ce qui lui donnait une longueur d’avance sur Isis-Nofret.

En façade, ce sont quatre Ramsès colossaux, debout, mais aussi deux Néfertari à peu près de la même taille qui accueillent le visiteur. Une exception puisque la reine est cette fois placée au même niveau que le pharaon. Selon une inscription de la façade, le sanctuaire honorait « Néfertari par amour de laquelle se lève le Soleil ».

Les statues d’Amon et de Ramsès illuminées par le soleil levant. Muhammad Fawzy/Egypt Today

Un message de pierre et de lumière

Alors que, dans le grand temple, Ramsès est assimilé à Rê-Horakhty, le soleil qui se lève à l’horizon, Néfertari, elle, se confond avec Sothis, divinité de l’étoile Sirius, elle-même associée à Hathor et Isis. Cet astre apparaît à l’horizon en même temps que le Soleil levant lors du Nouvel An égyptien (18-20 juillet), soit juste avant le début de la crue annuelle du Nil qui devait fertiliser les terres du royaume. C’est pour cette raison que les prêtres avaient associé cette apparition concomitante de l’astre du jour et de l’étoile Sothis au début de la saison de l’Inondation. Le phénomène astronomique passait pour le véritable déclencheur de la crue.

Les deux sanctuaires d’Abou Simbel proclament donc l’identité du pharaon et du Soleil, ainsi que de la reine et de l’étoile, leur union garantissant la fertilité du royaume. Un bas-relief du petit temple nous montre Néfertari, métamorphosée en Sothis, s’apprêtant à jouer son rôle érotico-céleste auprès de son époux, incarnation du Soleil. Cet érotisme religieux, garant de bonheur, était caractéristique des croyances pharaoniques.


À lire aussi : Les prêtresses de l’Égypte ancienne : entre érotisme et religion


Le 22 février, à l’aube, deux des statues divines trônant sur leur banquette de pierre, au fond du sanctuaire, sont successivement illuminées : d’abord celle du dieu Amon, puis celle de Ramsès. Un déplacement de lumière calculé par les architectes des temples, afin que le dieu transmette au pharaon sa toute-puissance. Ramsès illuminé est symboliquement réinvesti de l’éclat divin.

Le 22 octobre, l’éclairage se fait dans un sens différent : d’abord Rê-Horakhty, puis Ramsès. Cette fois, c’est le dieu solaire qui transmet son rayonnement au pharaon. Ainsi, Ramsès s’inscrit dans un cycle de perpétuelle régénération.

La momie d’un grand rouquin

Si Ramsès est aujourd’hui une figure mondialement connue, c’est aussi grâce à sa momie qui a traversé les millénaires, malgré les pillages des tombeaux pharaoniques. Retrouvée en 1881, elle est démaillotée quelques années plus tard, puis déposée au musée du Caire où elle commence à se détériorer sous sa vitrine non étanche.

En 1976, accompagnée de l’égyptologue Christiane Desroches Noblecourt, la dépouille part en avion se faire soigner à Paris. Sans doute une première pour une momie pharaonique. Le corps de Ramsès est accueilli au Bourget par la ministre des Universités et la Garde républicaine. Après un traitement de plusieurs mois, il reprendra le chemin de l’Égypte.

L’étude de la momie a révélé un homme mort entre 85 et 92 ans, un âge exceptionnellement avancé pour l’époque. Il était plutôt grand (1,75 mètre) et paraît avoir été roux. Il souffrit de terribles problèmes dentaires et de spondylarthrite ankylosante ; ce qui l’empêcha de se tenir droit durant les dernières années de sa vie.

Un colosse et une salle du trône à Héliopolis

Durant son long règne de presque 67 ans, Ramsès II mena une intense politique architecturale du nord au sud de l’Égypte. Il n’est pas rare que des fouilles archéologiques révèlent de nouveaux monuments datables de son règne, comme les fragments d’un colosse découvert en 2017, sur le site de l’ancienne Héliopolis.

A l’automne 2018, les vestiges d’une estrade en pierre précédée d’un escalier ont été exhumés, également à Héliopolis. Le pharaon devait y faire installer son trône lors de cérémonies.

Estrade sur laquelle devait être placé le trône. Héliopolis. Ministère égyptien des Antiquités/AP

Ramsès, la légende

Ramsès II ne sombra jamais dans l’oubli. Au Ier siècle av. J.-C., Diodore de Sicile (Bibliothèque historique I, 47) le nomme Osymandias, déformation du nom de couronnement de Ramsès II : Ousermaâtrê. Tacite évoque, quant à lui, le grand conquérant Rhamsès (Annales II, 60).

Bien plus tard, en 1817, Shelley chante Ozymadias, king of kings.

En 1956, Yul Brynner incarne le pharaon immortel dans le très coûteux péplum de Cecil B. DeMille : Les Dix Commandements. L’acteur offre au public un Ramsès très convaincant dont les tenues et coiffures s’inspirent directement des représentations antiques du pharaon.

Ramsès est aussi devenu un personnage de fiction remarqué. Il est le héros de La Momie, roman d’horreur d’Anne Rice, publié en 1989.

Enfin, depuis 2017, le pharaon se trouve à l’affiche en France, avec la pièce de théâtre Ramsès II, de Sébastien Thiéry. Un thriller jouissif et fou qui n’est pas du tout une pièce historique sur l’Égypte ancienne !

La « ligue du LOL », une affaire de cyberharcèlement choquante, mais hélas classique

20 mercredi Fév 2019

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The Conversation

  1. Bérengère Stassin

    maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

Le cyberharcèlement vise principalement les femmes et les homosexuels. Pixabay, CC BY

Le 8 février dernier, un article de Libération révèle qu’une trentaine de journalistes et communicants parisiens membres d’un groupe Facebook, appelé « la ligue du LOL », sont accusés de s’être adonnés à des actes de cyberharcèlement entre 2009 et 2012, en particulier sur Twitter.

Si l’objectif premier de ce groupe était de faire des blagues en privé, certains membres ont progressivement dérivé vers la cyberviolence. Retour sur une affaire malheureuse, mais malheureusement classique de cyberharcèlement.

Sexisme, homophobie, grossophobie : les ingrédients classiques de la cyberviolence

Des études, et notamment des études dédiées au monde adolescent, en France ou à l’étranger, le montrent : la cyberviolence est avant tout une violence de genre. Une violence faite d’insultes sexistes et homophobes, de menaces et de moqueries liées à l’apparence physique, de photomontages dégradants et humiliants, de diffusion non consentie de photos et vidéos intimes (revenge porn).

À cela s’ajoutent le racisme et les insultes liées aux origines ou à la religion ou encore l’usurpation d’identité. Il en est de même dans le monde adulte, comme le montrent les nombreux discours de haine qui s’immiscent à différents endroits du web.

Dans les cas de cyberviolences exercées à l’encontre de célébrités, ces dernières années, on retrouve à chaque fois le même schéma : ce sont plutôt des hommes hétérosexuels qui s’en prennent plutôt à des femmes (Zoë Quinn, Nadia Daam, Marion Seclin, Éloïse Bouton) ou à des hommes homosexuels (Bilal Hassani). Mais cela ne veut pas dire que des femmes ne participent pas à ces raids numériques et que des hommes hétérosexuels n’en sont jamais victimes.

En ce sens, la ligue du LOL n’innove en rien, si ce n’est que les propos n’émanent pas d’adolescents en pleine construction identitaire ou de trolls anonymes pour qui la cyberviolence est une forme d’exutoire, mais de journalistes et de communicants, de professionnels bénéficiant d’une certaine autorité, aimant à se revendiquer pour l’égalité et commandant désormais des articles sur les implications du mouvement #MeToo.

Le témoignage de leurs victimes est pourtant sans appel : ils se sont bien adonnés à de la discrimination, ont publié en ligne des contenus sexistes, grossophobes et homophobes, parfois de manière répétée donc harcelante.

Leur autorité et leur pouvoir les a longtemps protégés, comme ils protègent dans le monde du travail en général ceux et celles qui s’adonnent au harcèlement moral ou sexuel. Leurs jeunes victimes, débutant dans le métier et espérant intégrer un jour les médias pour lesquels ils travaillent et où ils occupent parfois des postes à responsabilité, n’ont pas osé les dénoncer :

« C’était des journalistes qui étaient dans des médias importants, dans des médias influents, dans ceux dans lesquels nous, en tant que jeunes femmes journalistes, on avait aussi envie de travailler. Et la ligue du LOL, c’étaient des gens qui avaient plus de 5 000 followers, sur les réseaux sociaux et donc qui avaient un pouvoir de nuisance, par tous les gens qu’ils rameutaient avec eux. » (Léa Lejeune)

C’était pour rire

Les différents mea culpa des harceleurs du LOL publiés ces derniers jours tentent, sous couvert de l’humour et de la bêtise, de minimiser les actes. Ainsi peut-on lire qu’il s’agissait de « titiller de manière bête », de « gamineries », d’« un grand bac à sable », d’une « cour de récré ».

Interrogé sur cette affaire par la journaliste Louise Tourret, le spécialiste de la violence scolaire Éric Debarbieux déclare :

« Cette ligne de défense de la ligue du LOL me frappe car elle est similaire à celle utilisée par des élèves. “On ne se rendait pas compte que c’était du harcèlement”, disent les membres… Mais, passé 6-7 ans, cette excuse ne tient plus ! »

Au départ, ce groupe est destiné – comme son nom l’indique – à faire des blagues et à se moquer, en privé, de certaines personnes. Alors ils tweetent « pour rire » toutes sortes de propos sur un réseau qui à cette époque n’a pas encore connu le succès et l’audience qu’il connaît aujourd’hui. Ils sont dans l’entre soi – masculin et parisien –, et « entre pairs », ils se payent la tête de ceux et de celles qui ne leur reviennent pas, sans imaginer un instant, qu’avec leurs « blagues » sexistes et homophobes, ils participent à un réel cyberharcèlement. Vincent Glad, le créateur de la ligue, a déclaré :

« J’ai créé un monstre qui m’a totalement échappé. »

Un cyberharcèlement ayant de réelles conséquences sur les victimes :

« Je vivais dans la peur, vraiment. Et il y a toujours cette tension de : Quand est-ce que ça va tomber et sous quelle forme ? » (Florence Porce).

« Pour moi, la ligue du LOL c’est des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites… Clairement ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste. » (Lucile Bellan).

Lucile@LucileBellan
 · Feb 8, 2019

On m’avait prévenue mais c’est toujours aussi difficile de voir que la ligue du lol s’en sort à bon compte. À part @HenryMichel et @alphoenix personne de cette sale team pour assumer et s’excuser.

Lucile@LucileBellan

Mon témoignage fait partie de ceux ignorés par l’article mais pour moi La ligue du LOL c’est des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites… clairement ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste.

179

6:36 PM – Feb 8, 2019
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Un cyberharcèlement passé sous silence à l’époque mais qui refait surface une décennie plus tard, lorsque de vieux tweets et messages sont déterrés.

Fragmentation des actions et pérennité des traces numériques

Cette affaire du LOL illustre très bien les rouages du cyberharcèlement et les mécanismes selon lesquels des attaques individuelles et ponctuelles se transforment – par le fonctionnement propre au web aux réseaux sociaux – en véritable harcèlement de meute.

Des cyberviolences exercées de manière répétée constituent bien une forme de cyberharcèlement, mais un contenu « violent » posté une fois par une personne peut aussi se transformer en cyberharcèlement, et ce, par les likes, retweets, partages et commentaires dont il peut faire l’objet. Toutes ces « approbations » lui confèrent un caractère répétitif : « Liker, c’est déjà harceler », scandait le slogan de la deuxième journée de mobilisation nationale contre le harcèlement scolaire (3 novembre 2016). Chacun apporte donc sa pierre à l’édifice.

La répétition peut également venir de la pérennité des traces numériques. Les insultes, les photos intimes ou humiliantes postées à l’insu des victimes sont généralement supprimées des sites sources, mais leur copie et leur partage font qu’elles sont toujours stockées quelque part. Soumises à l’« intelligence des traces », elles peuvent ressurgir à tout moment, des mois, voire des années plus tard, entachant à nouveau l’image et la réputation de la victime, mais entachant également l’image et la réputation des agresseurs, comme en font actuellement l’expérience les harceleurs du LOL, dont certains ont été suspendus par les rédactions qui les emploient.

Insulter une fois une personne en ligne peut donc avoir des conséquences nettement plus importantes que de l’insulter une fois en face à face.

De l’école au monde du travail en passant par l’université

Cette affaire du LOL montre que la cyberviolence est un fléau qui frappe partout, à tout âge et dans tous les milieux : cyberviolence à l’école, entre élèves ou à l’encontre des enseignants, cyberviolence conjugale, cyberviolence au travail, mais aussi à l’université (fac de lettres ou de sciences, école supérieure ou IUT) où régulièrement, au sein de promotions, des « affaires » éclatent et prouvent que le harcèlement scolaire ne s’arrête pas avec l’obtention du baccalauréat.

Les révélations concernant la ligue du LOL ont permis aux langues de se délier et d’anciennes étudiantes de l’école de journalisme de Grenobleont dénoncé l’existence d’un groupe similaire sur Facebook : l’ultim hate. Et il ne serait pas étonnant que d’autres révélations – dans le champ de la presse ou dans tout autre champ – soient faites ces prochains jours.

L’article de Libération qui a déclenché toute l’affaire. Libération

Cette énième affaire ne fait que réaffirmer la nécessité de renforcer les campagnes de prévention, mais surtout de développer des dispositifs éducatifs à destination des élèves. Car c’est dès le plus jeune âge qu’on lutte contre le harcèlement et les discriminations : l’éducation aux médias sociaux et à l’intelligence des traces, l’éducation à l’empathie et le développement des compétences émotionnelles, mais surtout l’éducation à l’esprit critique.

Il faut plus que jamais apprendre aux élèves à réfléchir aux contenus qu’ils consultent, publient ou relaient, mais surtout à résister à toute forme d’emprise et à dépasser certains préjugés et stéréotypes liés au genre, à l’origine, à l’apparence physique ou à la classe sociale, à dépasser et à se prémunir des discours de haine. Le droit à une scolarité sans harcèlement, consacré par l’Assemblée nationale le 13 février dernier, allait d’ailleurs en ce sens.

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Une nouvelle lecture de la Grande Dépression des années 1930 en France

19 mardi Fév 2019

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The Conversation

  1. Angelo Riva

    Economiste, Professeur de finance à l’European business school, INSEEC Business School

  2. Eric Monnet

    Economiste, professeur affilié, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

  3. Patrice Baubeau

    Maître de conférence HDR, Histoire, histoire économique, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

  4. Stefano Ungaro

    Chercheur Postdoctoral, Paris School of Economics – École d’économie de Paris

Université Paris Nanterre

INSEEC Business School

INSEEC U.

 

En France, les conséquences de la crise bancaire de 1930-1931 ont été graves. Anonyme

Cet article s’appuie sur le working paper intitulé « Flight-to-safety and the credit crunch : A new history of the banking crisis in France during the great depression ») publié par le Centre for Economic Policy Research.


La crise bancaire de 2008 a entraîné le monde dans ce qu’il est désormais d’usage d’appeler la « grande récession », en référence à la Grande Dépression des années 1930, la seule crise économique d’envergure comparable.

Comment une crise bancaire entraîne-t-elle une crise économique ? Les réponses traditionnelles sont toutes fondées sur l’analyse des paniques bancaires des années 1930 aux États-Unis, le seul pays pour lequel existent de larges bases de données en raison d’une régulation bancaire qui imposait aux banques la transmission périodique au régulateur de bilans harmonisés.

Ces réponses mettent en évidence le rôle de facteurs monétaires comme la diminution de la liquidité (Friedman et Schwartz, 1963), et non monétaires comme une moindre efficacité de l’allocation du crédit (Bernanke, 1983). L’effet monétaire réduirait la base monétaire par le gel de dépôts dans les faillites bancaires ; l’effet non monétaire augmenterait le coût de l’intermédiation à cause d’un durcissement des asymétries d’information, les entreprises recherchant des nouveaux partenaires bancaires à la suite des faillites.

Fuite vers la sécurité

La crise dite des subprimes a pourtant mis en exergue un mécanisme alternatif fondé sur la « fuite vers la sécurité » des banques et des investisseurs en raison de leur perception accrue du risque systémique du système bancaire (Gorton et Metrick, 2012, Caballero et Krishnamurthy, 2008). En réexaminant l’histoire de la Grande Dépression américaine, Mitchener et Richardson (2016) ont montré le rôle clé de ce phénomène.

Dans un article récent, nous proposons une nouvelle interprétation de la Grande Dépression en France fondée sur cette fuite vers la sécurité. Initialement plus modérée que dans d’autres pays comme les États-Unis et l’Allemagne, la crise économique française a été très persistante. Après les paniques bancaires de 1930-1931, l’indice de la production industrielle est resté inférieur de 30 % à son sommet de 1929. Les recherches antérieures ont minimisé le rôle de ces crises bancaires, soulignant plutôt celui de l’adhésion obstinée de la France à l’étalon-or jusqu’en 1936, un système de change fixe fondé sur la parité en or des monnaies.

Les principaux établissements de l’époque ont été davantage épargnés par la crise que le reste du système bancaire français. Auteurs

En l’absence de statistiques bancaires complètes pour la France de l’entre-deux-guerres, la méthode habituelle de calcul des séries de crédits et de dépôts bancaires reposait sur les bilans des quatre plus grandes banques commerciales – facilement disponibles – qui étaient supposées représenter grosso modo la moitié du secteur bancaire à la suite d’une enquête de la Banque de France portant sur l’année 1939. Puisque ces grandes banques n’avaient pas connu de difficultés en 1930 et 1931, il n’y avait aucune preuve d’une crise majeure, bien que quelques historiens aient signalé un nombre important de faillites bancaires.

Plus de la moitié du système bancaire ravagé

Sur la base de recherches archivistiques approfondies, nous avons ont réuni et harmonisé les bilans de plus de 400 banques françaises pendant l’entre-deux-guerres et enrichit cette base avec des données couvrant les caisses d’épargne, la Banque de France et d’autres institutions financières non bancaires. Nous montrons que, dans le cas français, la fuite vers la sécurité était le principal mécanisme de transmission des crises bancaires à l’économie réelle. Très asymétrique, la crise a épargné les grandes banques, mais elle a ravagé le reste du système bancaire qui représentait en 1929 bien plus que la moitié du système bancaire français.

La crise bancaire a déclenché cette fuite vers la sécurité via le transfert des dépôts des banques vers les caisses d’épargne et la banque centrale. Les banques françaises n’étaient pas réglementées à l’époque alors que les caisses d’épargne bénéficiaient d’une garantie implicite de l’État qui absorbait la totalité de leurs ressources.

Les quatre principales banques françaises ont rapidement augmenté leurs dépôts à la Banque de France après la crise de 1929. Auteurs

Puisque les crises bancaires ont principalement conduit à ce transfert des dépôts, la masse monétaire totale n’a pas diminué. Pourtant, la Banque de France et les caisses d’épargne ont investi les nouvelles ressources pour réduire la dette publique et augmenter les réserves d’or dans la perspective de sécuriser l’adhésion à l’étalon-or. Aucune autre institution financière n’est parvenue à remplacer le rôle du système bancaire dans le financement des entreprises alors que l’État et la banque centrale n’ont pas mis en place de politiques de relance.

Ainsi, le total des prêts aux entreprises a fortement diminué : le ratio entre crédit et masse monétaire est passé de 40 % avant la crise à 20 % en 1931 et est resté à ce niveau tout au long des années 1930. Cette nouvelle interprétation de la Grande Dépression française montre la nécessité d’une vision globale du système financier pour comprendre les canaux et les conséquences des crises bancaires… et tenter de les prévenir.

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