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Archives Journalières: 28/03/2019

Le grand débat national et la démocratie, un jeu dangereux

28 jeudi Mar 2019

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The Conversation

  1. Luc Rouban

    Directeur de recherche CNRS, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

Le 28 février 2019, le grand débat à Bollène (Vaucluse). Clément Mahoudeau AFP

Le lancement du grand débat et son prolongement au-delà du 15 mars 2019 ont donné à Emmanuel Macron l’occasion de lancer une opération massive de démocratie participative. En témoignent le succès – au moins sur le plan quantitatif – aussi bien du site officiel que des réunions locales organisées dans les municipalités, ou bien encore l’afflux de commentaires spontanés ou recueillis par des sites officieux comme « le vrai débat ».

Pour connaître les demandes des contributeurs en matière de démocratie, qui ont du répondre à un questionnaire (souvent assez mal rédigé) de 34 questions ouvertes, on a fait l’analyse d’un échantillon aléatoire de 600 contributions sur les 46 340 qui avaient été déposées sur le site officiel entre le moment de son ouverture et le 21 février 2019. Statistiquement, l’échantillon présente une marge d’erreur de 4 % avec un taux de confiance de 95 %.

Des problèmes méthodologiques importants

L’analyse des contributions est une affaire complexe. Comme on ne dispose d’aucune variable signalétique précise, on ne peut apprécier la représentativité ni des contributeurs ni de l’échantillon au regard de l’ensemble des 47 millions d’électeurs inscrits. Et c’est là que réside un premier problème politique puisque la restitution officielle des résultats ne pourra légitimer ni la politique d’Emmanuel Macron ni celle des gilets jaunes, ni même refléter la volonté réelle de l’ensemble des citoyens. On peut, néanmoins, estimer que l’on est en face d’un témoignage historique de grande importance puisque cette aventure participative nationale est la première du genre.

Le traitement de ces données a donc dû faire l’objet d’une attention méthodologique particulière de notre part. Tout d’abord, les contributions ont été codées ligne à ligne sans recours à des techniques lexicométriques dont la rapidité apparente s’accompagne d’énormes problèmes : absence de prise en compte des sans réponse, difficulté à restituer les nuances, impossibilité de restituer le sens caché de réponses prenant la forme de questions.

Ensuite, il a fallu écarter les fausses contributions qui ne répondaient jamais à aucune des questions pour se focaliser sur un thème obsessionnel sans rapport avec le questionnaire (du 80 km/h à l’euthanasie, en passant par la protection animale) et qu’on peut assimiler à une volonté de contester le principe même du questionnaire, comme les contributions multiples des mêmes auteurs qui entendaient sans doute fausser les résultats.

Enfin, last but not least, la restitution des réponses peut se faire soit en pourcentages valides, c’est-à-dire en écartant les sans réponse, soit en présentant la proportion de sans réponse. Celle-ci est toujours importante, passant d’un minimum de 11 % à la question sur le non-cumul des mandats à 65 % pour celle portant sur les moyens d’améliorer le civisme. Au total, seuls 9 contributeurs sur 600 ont répondu à toutes les questions.

De cette présentation peuvent découler des interprétations politiques très différentes : soit on met l’accent sur la volonté « majoritaire », qui n’en est pas une, soit sur l’incertitude ou la critique dans lesquelles sont les contributeurs. On a choisi ici la seconde solution.

Une démocratie représentative jugée immorale

L’ouverture du grand débat national n’a pas apparemment réconcilié les contributeurs et les élus. Néanmoins, cette critique porte bien plus sur le comportement des élus, leurs privilèges ou leur indifférence aux électeurs que sur le principe de la démocratie représentative elle-même.

À la question « en qui faites-vous confiance pour vous faire représenter dans la société ? », 26 % des contributeurs répondent « les élus locaux » (désignant généralement le maire), 10 % « les élus en général » et 8 % « les députés » en mentionnant le fait qu’ils connaissent leur circonscription. L’absence totale de confiance, renvoyant « aux citoyens seulement » ou « à personne » ne caractérise que 27 % des contributeurs (voir graphique ci-dessous). Le tropisme local est clair et revient d’ailleurs très souvent dans les réponses aux questions portant sur le renouvellement de la démocratie.

Du reste, à la question de savoir s’il faut donner un rôle plus important aux syndicats et aux associations, les réponses sont mitigées : 12 % ne savent pas, 48 % répondent positivement mais 40 % négativement. Et les associations inspirent bien plus confiance que les syndicats souvent caractérisés de manière très péjorative : « oui, s’ils s’occupent des salariés et pas de leurs intérêts », « les associations professionnelles apolitiques, pas les syndicats ».

Graphique 1 : En qui avez-vous confiance pour vous faire représenter ? (%). Enquête Luc Rouban/Cevipof (2019)., Author provided

Cela étant, la détestation du personnel politique est toujours là et reste fortement motivée par la fracture qui séparerait l’oligarchie élective de l’ensemble des citoyens, fracture souvent déclinée sur le registre moral. Si 70 % des contributeurs pensent que le non-cumul des mandats est une bonne chose, c’est généralement parce qu’ils estiment que cela permet des carrières et des cumuls de rémunérations injustifiables ou l’absentéisme en séance plénière à l’Assemblée nationale. De la même façon, 62 % d’entre eux voudraient que le nombre d’élus diminue.

Sur ce terrain, néanmoins, les réponses sont nuancées (7 % seulement répondent « tous ») et l’on s’aperçoit qu’une critique très forte s’est développée non seulement contre le personnel politique national mais encore contre les élus départementaux et régionaux. Le département est très souvent considéré comme inutile. On enregistre même des critiques à l’égard du personnel municipal et notamment des conseillers municipaux pléthoriques qui n’ont d’ailleurs plus beaucoup de pouvoir réel, surtout dans les petites communes.

En revanche, et contrairement à ce que l’on pouvait attendre, la suppression du Sénat n’est demandée que par 17 % des contributeurs et celle du Conseil économique, social et environnemental (CESE) par 18 %. La plupart des critiques visent surtout leur mode de recrutement ou la réduction de leurs effectifs en voulant les ouvrir davantage à la société civile.

Le traitement de la question portant sur les moyens de renouer les liens entre les élus et les citoyens a fait l’objet d’une recherche assez poussée en utilisant dix variables ayant chacune 26 modalités afin de restituer au mieux les réponses les plus fréquentes.

Les résultats montrent que trois thèmes se détachent : l’honnêteté morale, le respect de ses engagements, la transparence (16 % des réponses) ; l’écoute plus attentive des citoyens (12 %) ; la présence plus fréquente sur le terrain, la connaissance des réalités de la vie quotidienne (11 %). À cela s’ajoute des items visant plus particulièrement la moralité du personnel politique : qu’ils aient moins de privilèges (9 %), qu’ils n’aient pas de casier judiciaire, qu’ils soient condamnés comme les citoyens ordinaires (5 %).

Graphique 2 : Quels sont les élus dont il faut réduire le nombre ? (%). Enquête Luc Rouban, Cevipof (2019)., Author provided

La mise en place de procédures de démocratie participative, notamment par des sites Internet ou des budgets participatifs locaux est également évoquée, mais moins fréquemment (7 %). Les procédures de démocratie directe comme le référendum ou le référendum d’initiative citoyenne (RIC) sont citées par 9 % des contributeurs et l’idée de mettre en place des assemblées citoyennes tirées au sort par 4 % d’entre eux.

Le RIC en tant que tel, revendication centrale des gilets jaunes, n’est mentionné de manière systématique que par 4 % des contributeurs sur la base de trois questions portant sur les moyens de renforcer la participation des citoyens, d’améliorer la démocratie participative et l’engagement citoyen. Cela peut s’expliquer par la sociologie différente des gilets jaunes et des contributeurs au grand débat qui a pu être notamment mesurée dans le cadre des réunions locales, les seconds étant généralement plus diplômés et plus âgés que les premiers.

Un nouveau visage pour la Ve République

La série de questions portant sur les moyens d’améliorer la représentation ou de promouvoir la démocratie participative suscite des réponses qui viennent dessiner un nouveau visage à la Ve République.

Pour 46 % des contributeurs, il faudrait introduire au moins une dose de proportionnellepour améliorer la représentation des sensibilités politiques. On remarque que les solutions innovantes ne font pas vraiment recette : le changement complet du mode de scrutin (scrutin majoritaire à un tour ou jugement majoritaire) n’attire que 4 % des contributeurs, alors que le recours systématique au tirage au sort est encore plus rarement évoqué (2 %). Un tiers des contributeurs ne répondent pas à la question.

Les avis sont bien plus tranchés, en revanche, en ce qui concerne la participation électorale. L’argument de l’immoralité politique reste toujours en arrière-fond, mais 76 % des contributeurs demandent la reconnaissance du vote blanc. Pour 32 % des contributeurs, une proportion importante de votes blancs, qu’ils définissent de manière très variable, devrait pouvoir déclencher de nouvelles élections avec interdiction aux premiers candidats de se représenter.

À cela s’ajoute le fait que le tiers des contributeurs demandent que l’on passe au vote obligatoire. La lecture des propositions montre qu’il existe une volonté de s’émanciper de l’offre politique et de recentrer la vie démocratique sur la demande émanant des citoyens.

Graphique 3 : Comment améliorer la démocratie participative (%). Enquête Luc Rouban, Cevipof (2019)., Author provided

Du reste, c’est bien dans la formulation de cette demande que s’affirme la volonté de renforcer la démocratie participative, notamment au niveau local. On remarque dans de très nombreuses contributions une demande de pédagogie et de lisibilité de l’action publique jugée opaque, trop complexe, indéchiffrable.

La mise en place « d’une démocratie plus participative » appelle donc des réponses nuancées qui ne font pas systématiquement appel au RIC, mais plutôt à des référendums bien ciblés et encadrés. La démocratie directe n’est pas considérée comme une solution-miracle et de nombreuses contributions s’orientent plutôt vers des débats citoyens ou sur les possibilités qu’offre Internet pour donner son avis notamment sur des projets locaux.

Vers une démocratie illibérale ?

L’arrière-fond populiste et moralisateur reste, néanmoins, très présent dans la tonalité des contributions. Cette dimension autoritaire se retrouve avec encore plus de force dans les réponses aux questions portant sur le civisme, les valeurs de la République et l’immigration.

Si la défense des valeurs de la République appelle, pour plus d’un quart des contributeurs, un effort renouvelé d’éducation, autant de la part des parents que de l’institution scolaire, c’est souvent sur un registre critique à l’égard des communautés religieuses ou de la communautarisation de la société française. Plus de 20 % des contributeurs en appellent, d’une manière ou d’une autre, à « la fin du laxisme », demandent un service militaire ou civique, voire un serment d’allégeance aux valeurs républicaines, notamment de la part des immigrés.

Les réponses aux questions portant sur l’engagement citoyen recèlent souvent la même tonalité de contrainte civique. Mais, là encore, il faut se méfier du taux de sans réponse qui atteint 43 % pour la question sur les valeurs de la République et 49 % sur l’engagement citoyen. L’incertitude reste toujours la réponse majoritaire.

Les avis sont plus tranchés, mais aussi plus partagés, en matière de laïcité (34 % de sans réponse) et d’immigration (33 % de sans réponse). En matière de laïcité, les réponses sont réparties en deux groupes à peu près égaux. Le premier insiste sur le fait que l’État doit rester neutre et laisser la question religieuse dans la sphère privée, que l’éducation reste le meilleur moyen de compréhension et de tolérance, que la loi de 1905 suffit et que l’on n’a pas besoin de la modifier. Le second est plus ouvertement critique à l’égard de l’islam, condamne le port de signes religieux dans l’espace public, exige plus de fermeté face aux communautarismes.

Il en va de même en matière d’immigration, même si le centre de gravité est plus à droite de l’espace politique : 24 % des contributeurs demandent une immigration plus sélective laissant passer les réfugiés politiques mais pas les réfugiés économiques, une politique calée sur les besoins du marché du travail et sur la qualification des immigrés, alors que 20 % des contributeurs affirment qu’il faut arrêter toute immigration car celle-ci est jugée déjà excessive. Par ailleurs, 42 % des contributeurs répondent par l’affirmative à la question portant sur le fait de savoir s’il faut établir une politique de quotas en matière d’immigration. Seule une minorité défend l’idée d’un meilleur accompagnement des immigrés voire d’un accueil plus ouvert. On retrouve ici la structure des attitudes politiques que mesurent très régulièrement les sondages en matière d’immigration.

Graphique 4 : La politique migratoire souhaitée par les contributeurs (%). Enquête Luc Rouban, Cevipof (2019)., Author provided

Des réponses ambiguës et contradictoires

Il ressort donc de la lecture de cette première synthèse que le grand débat, notamment sur le terrain démocratique, peut se révéler être un jeu dangereux pour le gouvernement. Tout d’abord parce que la question méthodologique est décisive et que la restitution des réponses, comme leur interprétation, dépendent étroitement du taux de sans réponse et de sa prise en compte.

Sur bien des questions, l’incertitude demeure et seuls les contributeurs les plus radicaux ou les plus engagés ont parfois répondu – ce qui laisser toujours béante la question de savoir quelle est la représentativité réelle de ce grand débat.

Des réponses parfois contradictoires (ici, à Bollène, le 28 février). Clément Mahoudeau/AFP

Ensuite, parce que les réponses témoignent d’une insatisfaction de fond quant au fonctionnement de la Ve République sans proposer pour autant des solutions foncièrement cohérentes. Il en va ainsi, notamment, de la demande contradictoire qui associe la réduction du nombre des élus et la recherche d’un contact plus étroit entre eux et les citoyens.

Il est indéniable que bon nombre de réponses vont clairement dans le sens des propositions d’Emmanuel Macron, tant dans le domaine de la réduction du personnel politique que de la dose de proportionnelle à instiller dans les élections ou bien de la limitation du cumul des mandats dans le temps. Les réponses sont, par ailleurs, en retrait face aux demandes plus radicales de démocratie directe des gilets jaunes.

Le gouvernement risque donc d’être coincé entre décevoir un mouvement de contestation puissant, que confirme le succès du grand débat, et s’engager dans une politique de réforme institutionnelle allant bien au-delà de ses projections, qui appellerait une nouvelle décentralisation bien plus ambitieuse, une refonte du Sénat et du CESE et un retour, horror referens, à la pratique gaullienne du référendum, qui fait tant peur au personnel politique – qu’il soit de l’ancien ou du nouveau monde.

Qui a peur du métissage ?

28 jeudi Mar 2019

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The Conversation

  1. Erick Cakpo

    Historien, chercheur, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

Le métissage de la famille royale britannique a été entériné officiellement avec le mariage du Prince Harry et l’Américaine Meghan Markle, un sujet qui a ravi la presse people. Daniel Leal-Olivas/AFP

Le récent attentat de Christchurch qui a fait cinquante morts et des dizaines de blessés s’inscrit dans la longue liste des crimes commis par les suprémacistes blancs.

Cette mouvance dont se réclame explicitement l’auteur, un homme de 28 ans, notamment à travers le manifeste de 74 pages qu’il a mis en ligne avant le carnage, fustige, sur fond de revendications identitaires, l’immigration voire la « colonisation » à laquelle l’Europe serait en proie de manière galopante. Derrière ces mots aux relents xénophobes, se cache une véritable phobie, celle du mélange, disons du métissage des peuples et des cultures.

Cette peur du métissage, essentiellement fondée sur du fantasme, est cependant soutenue par une longue tradition intellectuelle européenne sur laquelle les suprémacistes contemporains continuent de bâtir leur conviction.

Le métissage serait-il une synthèse contre nature ou une confluence harmonieuse des altérités ? Mot issu du latin mixtus, « mélangé », il est aujourd’hui passé du registre biologique pour rejoindre le domaine culturel, philosophique voire poétique, dépouillé ainsi de son répertoire identitaire. Il n’est pas un état, mais un processus qui a accompagné les découvertes, puis les conquêtes, la colonisation et les grands déplacements des populations à travers les guerres, les déportations, les migrations, etc.

« Métis c’est une création coloniale »

La peur du mélange qui caractérise les modes de pensée suprémacistes est gouvernée par la tendance à rapprocher la notion de métissage de celle de race. Cette peur est nourrie par l’argumentaire essentialiste qui accompagne depuis le XVIe siècle les différentes représentations du mot « race » et par conséquent le métissage.

En réalité, le terme « métissage », dans son utilisation première, renvoie à la différence physique et biologique. Évoquant au premier chef la reproduction physique, le métissage symbolise dans l’imaginaire racialisant l’union de deux êtres séparés par la différence de leurs apparences. Ainsi, par cet acte, ils rompraient la continuité des puretés originelles et fixes.

Cette idée de corruption trouve son élaboration dans le contexte colonial qui fait peser sur la notion de métissage un mode de catégorisation. « Métis c’est une création coloniale », fait dire le romancier congolais Henri Lopes au narrateur de son récit, Le Chercheur d’Afriquesparu aux éditions du Seuil en 1990.

Famille non identifiée, probablement à Osnaburgh House (Ontario/Canada). Ce portrait de famille illustre la rencontre de deux cultures. Le père porte un complet européen agrémenté d’une montre de poche. La mère, vraisemblablement métisse, tient son enfant installé dans une planche porte-bébé, un accessoire traditionnel des Premières Nations. Son châle est un reflet de la culture métisse ; plusieurs femmes et filles en portaient (1886). Robert Bel Library and Archives Canada/Flickr, CC BY-SA

Un « acte honteux »

L’installation des Européens dans les Tropiques via les sociétés esclavagistes coloniales n’ayant pas pu empêcher des unions mixtes, très tôt, ce mélange devient la cible d’une stigmatisation que révèlent déjà les chroniques du XVIIe siècle en ces mots : « désordre », « crime que déteste Dieu », « acte honteux »…

Ainsi l’idée de naissance d’individus bâtards, mixtes, dont il faut fustiger le caractère anormal, irrégulier, dégénérescent comme perte de la « pureté identitaire », reste historiquement liée « au statut imprécis, sans place prévue entre le colonisateur et le colonisé » comme le précise l’anthropologue et historien français Jean‑Luc Bonniol.

Code noir, ou Recueil d’edits, déclarations et arrêts concernant les esclaves nègres de l’Amérique, avec un recueil de réglements, concernant la police des isles françoises de l’Amérique et les engagés, édité en 1743.Royaume de France/Wikimedia

Ce statut de « trouble appartenance », pour lui donner plus de relief, est justifié par des arguments théologiques, tant le métis est le résultat impur d’une transgression : celle d’avoir goûté au fruit défendu de l’étranger/ère de race inférieure païenne et pécheresse issu·e de l’esclavage.

Ce métissage colonial fut d’autant plus considéré comme un péché qu’il s’est toujours produit dans des situations d’illégitimité et de clandestinité au point de conduire l’article IX du Code noir à décréter l’interdit, hors mariage, des relations sexuelles entre Blancs et Noirs.

Le puissant impact des théories raciales

L’héritage laissé par le contexte colonial, dont les suprémacistes s’en font encore aujourd’hui l’écho, connaît sa plus probante élaboration dans la construction qu’en réalisent certains tenants des théories raciales au XIXe siècle.

Ces mots de Joseph-Arthur Gobineau qualifiés de « péché originel de l’anthropologie » par Claude Lévi-Strauss, en donnent la dimension :

« L’homme dégénéré mourra définitivement, et sa civilisation avec lui, le jour où l’élément ethnique primordial se trouvera tellement subdivisé et noyé dans des apports de races étrangères, que la virtualité de cet élément n’exercera plus désormais d’action suffisante… »

Cet écho traverse encore la moitié du XXe siècle, à l’instar de l’influence qu’il eut sur le Dr Edgar Bérillon qui, dans la Revue de psychologie appliquée, publiait en 1927 un article sur « Le métissage : son rôle dans la production des enfants anormaux », article dans lequel il voyait dans le métissage une cause essentielle de dégénérescence physique et mentale ; ou encore le prix Nobel de biologie Charles Richet, membre de l’Institut, qui, au nom du progrès et de la civilisation, préconisait l’interdiction des unions entre Blancs et non-Blancs.

« Les quatre races d’hommes : la race blanche, la plus parfaite des races humaines, habite surtout l’Europe, l’ouest de l’Asie, le nord de l’Afrique, et l’Amérique », extrait d’un ouvrage inspiré des thèses racialistes d’auteurs comme Gobineau. « Le Tour de la France par deux enfants », manuel scolaire de G. Bruno (1877). Wikimedia

Conforter sa propre identité

Afin de conjurer le sens négatif du terme et faire évoluer les travaux sur les identités et par conséquent sur le métissage, certains anthropologues contemporains comme Jean‑Loup Amselle et François Laplantine, de même que certains biologistes (André Langaney et Albert Jacquard) ont révélé que toutes les composantes humaines sont, dès l’origine, intrinsèquement « mixées », métissées.

Ainsi, dans sa théorie des « branchements », Jean‑Loup Amselle considère qu’aucune identité, aucune civilisation ou culture ne peut prétendre à une pureté originelle, chaque composante pouvant se définir comme un patchwork de patchwork, un produit de tous les collages antérieurs. Il pousse à mettre au centre de la réflexion sur les identités l’idée d’une triangulation, c’est-à-dire le recours à un élément tiers pour façonner sa propre identité.

De ce fait, notre monde globalisé ne pouvant être perçu comme le produit d’un mélange de cultures elles-mêmes vues comme des univers étanches, l’anthropologue appelle à débrancher les civilisations ou les identités de leurs origines supposées. De manière efficace, le chercheur pose le postulat suivant :

« c’est en se pensant ou en se réfléchissant dans les autres que l’on conforte le mieux sa propre identité ».

« Ce qui nous sauve aujourd’hui dans un monde intolérant »

Parallèlement à l’Occident, dans d’autres contrées du monde comme dans les mondes créoles, l’existence du fait métis prend une dimension démographique, politique et culturelle exceptionnelle par rapport aux métissages postcoloniaux.

Dans les mondes créoles, le champ de création par métissage fut sans précédent puisque, de biologique, le processus affecta tous les domaines de la vie (le travail, les rythmes de vie, l’alimentation, l’habitat, l’habillement, les perceptions du monde, les rapports sociaux, les croyances, les arts, le langage, etc.) au point de constituer une nouvelle culture aujourd’hui reconnue comme patrimoine de l’humanité : la culture créole.

Gisèle Pineau, rencontre à la librairie Mollat, 2014.

La romancière et essayiste guadeloupéenne Gisèle Pineau, dans sa contribution « Écrire en tant que Noire », in Penser la créolité, illustre la manière dont le métissage comme culture ou comme identité peut être assumée :

« Nous n’avons cessé de mélanger nos races, et nos sangs avec les autres peuples échoués au Nouveau-Monde, Indiens, Orientaux, Européens, Chinois, et cetera… Nous sommes des bâtards et c’est peut-être ce qui nous sauve aujourd’hui dans un monde intolérant qui voit monter le fascisme et éclater de nouvelles persécutions racistes dans l’Europe démocratique […] Une nouvelle humanité s’est bâtie ici. Nous avons investi l’espace et ouvert l’horizon, enjambé la mer et mêlé les mondes en présence. »

En somme, c’est surtout parce que le métissage, au sens moderne du terme, demeure une « notion piège » qu’il faut mettre en garde contre son utilisation galvaudée qui, via le contexte des colonisations européennes dans lesquelles il prit corps, continue de servir de support aux idéaux de gradations, de stigmatisations et d’exclusions.

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