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Archives Mensuelles: avril 2019

Peut-on concilier capitalisme et écologie ? Écoutons à nouveau Ignacy Sachs !

30 mardi Avr 2019

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The Conversation

  1. Patrick Criqui

    Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes

Université Grenoble Alpes

 

Sachs est l’un des premiers à avoir travaillé au concept d’« écodéveloppement ». Wikipedia, CC BY
 

La montée de la crise climatique conduit à poser avec une intensité accrue la question de la compatibilité entre le régime économique aujourd’hui dominant au plan mondial et le maintien de conditions écologiques viables sur la planète. Faut-il une rupture avec le système ?

Le système en question c’est bien le système capitaliste, fondé sur une économie de marché globalisée, privilégiant la croissance à tout prix et qui ignorerait la question environnementale, sauf bien sûr à des fins marketing ou de greenwashing. Quant à la rupture, quelle serait-elle ? Le terme en lui-même implique un changement profond et rapide : dans les comportements individuels vers la sobriété, dans les politiques nationales, ou encore dans l’ordre mondial ?

Peut-on concilier capitalisme et écologie ? Question hautement clivante, parce qu’elle embarque de multiples dimensions idéologiques et politiques. Elle n’est pas nouvelle, mais devient absolument cruciale dans cette première moitié du XXIe siècle.

Pour engager une conversation utile à ce sujet, sans doute est-il nécessaire de prendre du recul. Et pour cela, quelle meilleure solution que de revisiter la pensée d’un des pionniers, si ce n’est le père, des concepts du développement durable : Ignacy Sachs.

Une « croissance socialement inclusive et respectueuse de l’environnement »

Né à Varsovie en 1927, Ignacy Sachs a grandi puis étudié l’économie au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Il travaille dans les services diplomatiques polonais en Inde à la fin des années 1950, avant de revenir en Pologne. Il quitte ce pays en 1968 et rejoint à Paris l’École pratique des hautes études (l’actuelle EHESS).

Fort de son expérience de vie dans plusieurs sociétés, il commence alors à déployer une réflexion globale sur les enjeux du développement et définit le concept d’« écodéveloppement ». Son programme de recherche, sans doute plus connu à l’international qu’en France, est simple à définir : il s’agit d’explorer les voies d’une « croissance économique à la fois respectueuse de l’environnement et socialement inclusive ».

C’est donc la définition de l’écodéveloppement, terme qu’il impose à la première Conférence des Nations unies sur l’environnement, en 1972 à Stockholm. C’est clairement un concept précurseur de celui de développement durable, introduit par le rapport Brundtland quinze ans plus tard, en 1987.

En 2008, longtemps après ces premiers travaux et donc avec un recul important, Ignacy Sachs livre pour les archives audiovisuelles de la Fondation de la Maison des sciences de l’homme six entretiens sur « Penser le développement au XXIe siècle ».

Il s’agit sans doute de la meilleure base de départ pour explorer la question « Peut-on concilier capitalisme et écologie ? ».

L’intégralité des entretiens est à retrouver sur le site de la FMSH.

Les « paradigmes échoués » de la fin du XXe siècle

Les expériences de vie et les travaux de recherche de Sachs le conduisent à une analyse sans concession de ce qu’il appelle les « paradigmes échoués » du XXe siècle.

Au Nord, le premier capitalisme, sauvage, a laissé la place à un « capitalisme réformé » durant les trente glorieuses (1945-1975), avant que la « contre-réforme du néo-libéralisme » ne balaye à partir des années 1980 une partie des acquis de la social-démocratie. À l’Est, le bilan du « socialisme réel » est sans appel : sobriété forcée et libertés restreintes, dans une égalité toute relative. Au Sud, le mal-développement domine, avec des inégalités extrêmes et le gaspillage des ressources, naturelles autant qu’humaines.

Seuls échappent peut-être à ce constat certains pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est (la Corée du Sud et les autres « Dragons », puis la Chine et aujourd’hui le Vietnam), dotés d’« États développeurs » efficaces et qui furent les principaux bénéficiaires de la mondialisation économique. Mais en règle générale, les leçons de l’histoire sont des leçons négatives, nous dit Sachs. Pour relever les défis du XXIe siècle, nous sommes donc condamnés à inventer.

Les deux défis du XXIe siècle

Quels sont ces défis auxquels il faut faire face désormais ?

Le changement climatique, bien sûr, dont les manifestations sont aujourd’hui claires, mais qui s’inscrivait déjà sur l’agenda international il y a trente ans, avec le premier rapport du GIEC et les premiers sommets de chefs d’État.

Pour Ignacy Sachs, le second défi est celui du travail. Plus précisément celui de la création d’une offre suffisante de « travail décent » pour une population mondiale qui continuera à croître, de 7,6 milliards aujourd’hui à 10 mds vers 2050. Dans L’homme inutile, l’économiste Pierre-Noël Giraud identifie lui aussi les nouveaux damnés de la terre, ceux qui sont exclus du travail, au Nord comme au Sud.

Sur l’articulation de ces deux défis, deux camps s’affrontent.

D’un côté, on a les « maniaques de la croissance » qui considèrent le maintien de la croissance comme une priorité absolue et « pour ce qui est de l’environnement, on verra après ! ». De l’autre, les tenants de la décroissance, pour lesquels la croissance épuise les ressources et détruit l’atmosphère, sachant que la production matérielle est d’ores et déjà plus que suffisante : il suffit de mieux la répartir. Ce débat entre « cornucopiens et malthusiens » fut illustré, par exemple, dans la controverse entre l’écologiste Paul Ehrlich et l’économiste Julian Simon.

Invoquant Gandhi, Sachs reconnaît la nécessité de la rupture avec le consumérisme effréné et la pertinence de l’autolimitation des consommations. Mais il est sans concession sur la croissance : toute solution conduisant à la freiner peut certes faire du mal au portefeuille des plus riches, mais elle peut aussi signifier l’enfer pour les plus pauvres. Il s’agit donc de piloter l’économie en se tenant éloigné des deux dogmatismes, en considérant des objectifs de croissance et d’emploi, sans doute en inversant les priorités : l’emploi et la croissance.

Inventer un nouvel « État développeur » ?

Il serait vain de revenir aux solutions du passé, toutes ont mal passé l’épreuve de la réalité. En attendant l’émergence et la consolidation d’une économie sociale dans l’économie de marché, il s’agit en priorité de réformer à nouveau le capitalisme. Et d’affirmer le rôle de l’État dans cette perspective d’une « croissance économique socialement inclusive et respectueuse de l’environnement ».

Dans le projet de réforme du capitalisme, Sachs identifie la nécessité absolue d’une régulation sociale et environnementale des marchés. Il faut pour cela une « main bien visible de l’État ». Dans ses conférences de 2008, il identifie cinq priorités, d’une extrême actualité.

  • L’État doit tout d’abord gérer l’interface entre les différents niveaux de gouvernance ; dans la mondialisation, l’État-nation ne doit pas s’effacer mais au contraire s’affirmer comme un élément central pour l’articulation du global et du local.
  • Il doit aussi évidemment être l’élément moteur de la composition des objectifs économiques, sociaux et environnementaux, qui constituent le triangle de base du développement durable.
  • Si les transitions écologiques et sociales appellent une vision à long terme, celle-ci ne doit pas être élaborée de manière technocratique, mais constituer un avenir négocié entre l’État, les entreprises, les représentants des travailleurs et la société civile organisée.
  • Les services sociaux de base principalement garantis par l’État pour les infrastructures, la santé, l’éducation doivent devenir un droit pour tous et, évidemment, dans tous les pays.
  • Enfin, l’État doit jouer un rôle central en matière de recherche et d’innovation, non seulement parce que les intérêts privés sous-estiment les bénéfices sociaux de la recherche, mais aussi parce que celle-ci doit échapper aux critères de rentabilité à court terme.

Poursuivre la réflexion

La pensée d’Ignacy Sachs n’épuise évidemment pas le sujet. Mais elle constitue un socle de réflexion solide pour penser les solutions aux défis du XXIe siècle.

Et il sera possible, et recommandé, de prolonger la réflexion en s’appuyant sur les apports du philosophe pragmatiste américain John Dewey pour le rôle de l’enquête scientifiquedans la formulation des politiques publiques ou pour le « libéralisme d’action sociale » ; mais aussi les analyses détaillées de Pierre-Noel Giraud sur la nécessaire gestion des emplois nomades et sédentaires dans l’économie globalisée ; ou encore la vision schumpetérienne du paradigme économique vert de l’économiste anglais Christopher Freeman.

Mais ce sont autant de sujets à verser à un dossier qui ne sera pas clos avant longtemps : réformer le capitalisme pour surmonter la crise écologique, tout en construisant l’équité et l’inclusion sociale…

Débat : Et si l’on s’inspirait de l’ethnologie pour changer la formation des élites ?

29 lundi Avr 2019

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The Conversation

  1. Christian Bromberger

    Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)

Aix-Marseille Université

 

Créée en 1945, l’Ecole nationale d’administration est régulièrement taxée de former des élites déconnectées des réalités. Patrick Herzog/AFP

Alors que se termine le grand débat initié par le président de la République Emmanuel Macron, voilà qu’est à nouveau remise en cause la fameuse École nationale d’administration(ENA), tremplin vers les plus prestigieux services de l’État. Faudrait-il la supprimer ? La transformer ? Et beaucoup s’interrogent, à juste titre, sur les lacunes dans la formation des hauts fonctionnaires.

Leur cécité sur les modes de vie des gens ordinaires serait due, dit-on, à leur origine sociale. Sans doute la plupart des hauts fonctionnaires sont-ils des « héritiers » issus des classes supérieures de la société. Mais diversifier les origines des candidats à ces formations d’élite ne suffira sans doute pas à les doter d’une vision plus réaliste de la société et du monde.

Leur permettre en revanche d’ouvrir les yeux sur le quotidien des autres est en revanche une voie à envisager. Comment faire ? On pourrait par exemple introduire dans ces cursus une enquête de terrain, où les élèves devraient s’immerger dans un milieu éloigné de leurs relations sociales habituelles.

Observation participante

La cause semble entendue et rallier tous les suffrages si l’on entend par là un stage de quelques jours dans une mairie, auprès d’un organisme public situé en province ou dans une lointaine banlieue. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Il faudrait plutôt s’inspirer des enquêtes pratiquées par les ethnologues. Pour connaître la société qu’ils étudient, ceux-ci ont mis au point des méthodes fondées sur le temps long et une grande proximité avec la population. S’agit-il de transformer les énarques en ethnologues ? Non pas mais, plus modestement, de réinvestir les acquis de cette discipline et de fournir un enseignement portant sur les thèmes à aborder.

L’enquête doit être de longue durée : on se contentera ici de quelques semaines, d’un mois (ce qui est déjà beaucoup dans un cursus universitaire), quand des ethnologues patentés consacrent de nombreuses années à l’étude d’une société. Il convient alors de vivre avec et comme les autres : pas question de rentrer le soir à la sous-préfecture locale ou, si l’on fait son enquête à l’étranger, au consulat le plus proche où des pairs bienveillants apaiseront les tourments ressentis.

« À Rome, fais comme les Romains », dit le dicton qui est devenu un principe de l’enquête anthropologique. Les maîtres mots de cette démarche sont « l’observation participante » : observer directement, et non pas construire son savoir d’après des sources secondaires, participer dans la mesure de ses compétences et en accord avec la population. Cette relation vécue à un terrain, où l’on procède par écoute, par entretiens souples et non-directifs, et non par des questionnaires auxquels bien des interviewés répondent par ce qu’ils pensent qu’il faut penser plutôt que par leurs convictions propres.

Expérience fondatrice

Il s’agit, par cette méthode empathique, d’arriver à vivre et à penser comme si nous en étions, de parvenir à se représenter ce que l’autre peut ressentir. Pour dire les choses autrement, reprenons les termes de l’anthropologue Dan Sperber ; selon celui-ci le chercheur tente d’accorder « ce qu’il pense que les gens pensent avec ce qu’il pense que lui-même penserait s’il était vraiment l’un d’eux ». De la proximité donc mais aussi de la distance pour s’étonner de ce qui semble aller de soi.

Enquêter dans sa propre société, y compris dans des milieux éloignés, est d’autant plus difficile que nous sommes plus ou moins familiers des pratiques et des codes. Le dépaysement total qu’éprouve l’ethnologue sur un terrain lointain fait ici défaut. Clyde Kluckhohn, un anthropologue célèbre, écrivait à juste titre que « le poisson est mal placé pour découvrir l’existence de l’eau » et le grand philosophe Ludwig Wittgenstein rappelait tout aussi justement qu’« on est incapable de remarquer quelque chose parce que ce quelque chose est toujours devant nos yeux ».

L’étonnement, la distance doivent donc se conjuguer à la proximité et à la participation. Formerions-nous ainsi des hauts fonctionnaires répondant mieux à leur mission ? Sans doute et en tous cas des citoyens plus sensibles au quotidien de leurs contemporains. Quelle que soit la carrière de ces étudiants, cette enquête de terrain demeurera, en tous cas, une épreuve fondatrice, fortement inscrite dans la mémoire, une référence quand il s’agira d’envisager une réforme ou de répondre à des revendications.

Notre-Dame, La Fenice, château des Hohenzollern : pourquoi reconstruire n’est pas construire

28 dimanche Avr 2019

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The Conversation

  1. Mario d’Angelo

    Professeur émérite à BSB, coordinateur de projet à Idée Europe, Burgundy School of Business

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Partenaires

Burgundy School of Business

En 2018, l’incendie du musée national du Brésil avait affecté les Brésiliens et ému le monde, mais le monument et ce qu’il renfermait n’avaient pas le statut d’icône mondiale de la cathédrale parisienne ; un statut acquis au fil du développement d’une conscientisation du patrimoine mondial.

La cathédrale en feu a fait l’effet d’une meurtrissure à la carte postale mentale qui avait imprégné l’imaginaire de plusieurs milliards de personnes au cours des dernières décennies.

Il en surgit une souffrance que l’horizon d’une reconstruction rapide veut soigner : le « nous la rebâtirons » du président Macron a entraîné un certain nombre de décisions : des autorités publiques françaises, de la Fondation du patrimoine, de gens fortunés, de donateurs divers mais nombreux. La reconstruction de Notre-Dame de Paris était bel et bien engagée, un jour seulement après le drame.

La valeur symbolique d’un monument médiatisé est un facteur essentiel d’action dans un projet de reconstruction. Cela touche à une valeur partagée par une communauté et plus celle-ci est large, plus cette valeur est élevée. Elle recouvre plusieurs composantes : mémoire collective, représentation collective, référents identitaires, canon esthétique partagé, intensité communicationnelle.

Le temps des reconstructions

Dans l’histoire récente de quelques grandes reconstructions européennes, aucune n’a bénéficié de cadres symboliques, événementiels et temporels aussi puissants, que ce soit l’opéra La Fenice à Venise, le château royal de Berlin ou Notre-Dame de Dresde (Frauenkirche).

La Fenice en 2016. YouFlavio/Wikipédia, CC BY-SA

Les deux derniers d’ailleurs ne sont pas liés à des accidents mais, hélas, sont des legs de la dernière guerre. Cela leur a conféré un certain attrait médiatique, plus limité que pour Notre-Dame de Paris, les racines événementielles de leur destruction étant maintenant lointaines.

Des deux monuments allemands, c’est la reconstruction du temple de Dresde (1994-2005) qui prit le caractère symbolique le plus universel, renvoyant aux tragédies des villes rasées par les bombardements. Au point que la reine d’Angleterre contribua par un don exceptionnel à la résurrection de l’édifice. S’ajoute à cette valeur symbolique une valeur esthétique car la Frauenkirche était réputée comme l’un des plus beaux lieux de culte du monde luthérien.

Les ruines de la Frauenkirche de Dresde en 1958. Giso Löwe, Bundesarchiv/Wikipédia

Singularité, valeur symbolique, cadre temporel et médiatisation du projet sont cependant insuffisants pour rendre compte des enjeux de reconstruction d’un patrimoine culturel matériel. Une autre dimension, celle de l’objet même de la reconstruction, entremêlée aux précédentes, entre elle aussi en ligne de compte.

Que reconstruire, et comment ?

Ce qui est à reconstruire et comment on le reconstruira devient vite une question cruciale… Pour Notre-Dame, la marge de choix semble serrée. Beaucoup plus qu’elle ne l’a été à Berlin.

Tout le bâtiment de Notre-Dame ayant été scanné, il est possible de faire une réplique exacte de ce qui a été détruit. Ce n’était pas le cas pour le château des rois de Prusse, notamment pour des éléments de décoration intérieure dont les reconstructeurs n’avaient pas de références précises.

En vérité, la question de la copie à l’identique se scinde en deux selon qu’il s’agit de l’aspect extérieur du bâti (son image première) ou de son intérieur (ses fonctions).

Ainsi, le château des Hohenzollern reconstruit présentera trois façades identiques à l’ancien et une façade d’architecture contemporaine. Mais le lieu ne servira plus aux fonctions d’État qui furent les siennes jusqu’à la chute de l’empire allemand en 1918. Il reprendra sa fonction de musée – déjà en place sous la République de Weimar. Cette fonction sera cependant rehaussée grâce à son rattachement à la prestigieuse université Humboldt qui lui a donné son nom de Humboldt Forum et y déposera ses collections scientifiques.

Rien de tel à Paris, où la cathédrale gardera sa fonction religieuse et son caractère spirituel, entraînant la restitution d’intérieurs adéquats à un usage cultuel.

Sur la question des fonctionnalités du lieu à restaurer, il est intéressant de comparer la reconstruction d’un sanctuaire à celle d’un opéra. La décision de reconstruire La Fenice à l’identique concernait le faste du lieu de divertissement artistique distingué accessible au public. Mais en amont du spectacle, on fit bénéficier la production des normes spatiales et techniques les plus modernes.

Là encore, rien de tel est possible à Notre-Dame où l’intérieur du sanctuaire est consubstantiel au culte et vu du public, que celui-ci soit croyant ou visiteur intéressé par le monument.

Quant aux techniques et aux matériaux utilisés, choisira-t-on ceux de la première édification (bois pour les charpentes, réutilisation des pierres d’origine…) ou ceux d’aujourd’hui ? Les réponses seront certainement fonction du temps et du budget alloué à la reconstruction.

À Berlin, on n’a pas hésité à couler du béton pour les cloisons intérieures non visibles tandis qu’à Dresde, on a pu reconstruire en partie avec les pierres de l’ancienne église. Elles avaient été minutieusement référencées durant la période d’indécision et stockées sur le terrain clos où la ruine était conservée. À Paris, « l’identique » ira sans doute aussi jusqu’à utiliser le plus possible d’anciennes pierres pour la voûte.

On pourrait poser l’hypothèse suivante en matière de reconstruction : plus le patrimoine monumental a imprégné les esprits comme un construit social « universel », plus ce symbole pèse dans la reproduction à l’identique de l’image de l’original détruit.

Mais on n’oubliera pas que reconstruction et objet de la reconstruction s’inscrivent aussi dans un ensemble de règles. Pour un monument classé s’appliquent des réglementations assez contraignantes légitimées par le besoin d’une (certaine) authenticité. Cette notion, centrale pour les professionnels de la conservation, l’est au final aussi pour les publics – bien que ceux-ci la reçoivent et la perçoivent à travers un storytelling. Les propriétaires et les parrains du lieu doivent donc s’en préoccuper. Dans le cas de Notre-Dame de Paris, son universalité et sa fonction cultuelle ont depuis longtemps bâti un récit que les flammes du 15 avril ont révélé d’une manière très parlante.

Le choix du mode de financement

Les financements choisis ne sont pas neutres, ni dans le processus de reconstruction ni dans ses résultats.

Un financement exclusif par le budget public, d’autant plus logique pour les tenants d’une conception stricte du bien commun qu’un patrimoine est propriété d’État, rend pour tenants du mécénat participatif une reconstruction moins notoire en la confinant aux arcanes techno-bureaucratiques.

Le recours à une souscription – choix certes contraint par les déficits publics – revient à l’inverse à donner une dimension participative à la reconstruction. Mais la donne en est modifiée, surtout avec les moyens actuels permettant de sensibiliser le plus grand nombre, en France et au-delà, à une telle opération.

De ce fait, la durée de l’opération devient un paramètre important de la conduite de la reconstruction. Les donateurs s’empresseraient-ils autant si l’on affichait une période indéterminée (on rebâtit mais on ne sait pas pour quand) ? Ou même si la durée annoncée dépassait le seuil psychologique des 10 ans ? À Dresde, Venise (et aussi pour le château de Windsor ravagé par les flammes en 1992), les opérations ont été conduites sur des durées courtes, inférieures à 10 ans.

Et à Berlin, 17 ans reste un délai court pour faire ressortir de terre l’immense palais qui sera inauguré en septembre prochain.

Bottom up et top down

À Berlin, l’initiative était partie d’en bas. Deux associations se constituent en 1998, alimentant débats et controverses. La décision formelle de la reconstruction, en 2002 revint au Bundestag, régime parlementaire oblige. Il vota la loi marquant le début officiel des travaux. À Paris, c’est le président, clé de voûte des institutions, qui proclame depuis le lieu du sinistre encore en cours, la reconstruction du monument.

Pour le prestigieux temple de l’art lyrique vénitien (comme auparavant pour le Liceo de Barcelone en 1994), la décision officielle a relevé des municipalités et ministères de la culture concernés. Mais l’ouverture de souscriptions y était le corollaire du caractère patrimonial des opérations à conduire. Ces projets n’auraient pas motivé de geste donateur de même ampleur s’ils s’étaient juste agi de rebâtir une salle moderne.

La souscription crée un pont entre le processus technique, politique et administratif, d’une part, et la communauté dont l’investissement symbolique se traduit par une opération sonnante et trébuchante.

On doit donc s’attendre à Paris à ce que les dons ne soient pas de simples chèques en blanc. Tous les actes décisifs sur le monument en devenir devront être motivés et expliqués : à l’heure où l’on s’interroge sur les vertus de la démocratie participative, voilà un exercice d’application grandeur nature.

L’incompétence professionnelle et sociale, première cause d’une mauvaise ambiance de travail

27 samedi Avr 2019

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The Conversation

 

  1. Angela Sutan

    Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business

  2. Ludivine Martin

    Researcher, Luxemburg Institute of Socio-Economic Research (LISER)

Burgundy School of Business

 

Plus d’un salarié sur trois déclare « être en contact avec des gens impolis » et « avoir des personnes qui prennent plaisir à faire souffrir » au travail. Dean Drobot/Shutterstock

Dans la nouvelle série de l’humoriste britannique Ricky Gervais, After Life, nous assistons à la discussion suivante entre un manager et son employé. Manager : « Tu ne peux pas continuer à être impoli avec les gens… Je vais peut-être devoir te laisser partir. » Employé : « Tu ne le feras pas… parce que tu es un mec gentil. Alors je vais profiter de toi… Tu me donneras un avertissement, je vais l’ignorer. Tu me donneras un autre avertissement. Je vais l’ignorer. Je continuerai à faire ce que je veux. Tu finiras par abandonner, et je gagnerai. »

Ricky Gervais met le doigt, comme il sait si bien le faire (souvenez-vous du réalisme presque gênant de sa création précédente, The Office), sur une interaction entre un manager qui cherche à préserver la bonne marche de son équipe en essayant de faire changer le comportement d’un employé impoli, et un employé qui semble pratiquer envers lui du harcèlement vertical ascendant.

La bonne marche d’une équipe se compose, entre autres, d’une bonne ambiance de travail et de la réalisation des tâches spécifiques que l’équipe doit réaliser. Le premier élément dépend par exemple de la politesse de tous, le deuxième de la compétence et de l’effort des collaborateurs. Puisque cette bonne marche assure le bien-être de ses membres, elle peut être considérée comme un bien commun de l’équipe, auquel tous les membres peuvent contribuer, et dont tous en profitent. En cherchant à s’assurer de cette bonne marche, le manager peut être considéré comme bienveillant.

Bande-annonce principale de la série « After Life » sur Netflix.

Or, en étant impoli, l’employé en question détruit ce bien commun. Il le détruit également en harcelant son manager. Dans la réalité, ce type de harcèlement peut aussi se traduire par de véritables activités de sabotage du travail du manager et de l’organisation.

Comportement de punition antisociale

La simple situation d’impolitesse que l’on retrouve dans la série After Life est beaucoup plus courante qu’on ne pourrait le penser. D’après l’Observatoire de la santé psychologique au travail, entre 2013 et 2017, en France, on a identifié qu’« être en contact avec des gens impolis » et « avoir des personnes au travail qui prennent plaisir à me faire souffrir » sont des situations qui touchent 35 % des individus, ce qui génère un stress considérable. Plus d’une personne sur 3 ose donc reconnaître qu’elle est en souffrance au travail du fait de ces comportements.

Ce type d’action, impolie et impertinente, est ce que l’on appelle, en économie comportementale, un comportement de punition antisociale. Identifiée expérimentalement par l’équipe du professeur Simon Gaechter de l’Université de Nottingham, cette punition antisociale se matérialise de la sorte : lors de la mise en place de contributions volontaires au bien commun au sein d’une équipe, si les individus ont la possibilité à la fois d’observer les contributions des autres et de punir certains d’entre eux, certains individus vont avoir tendance à punir ceux qui contribuent le plus ! Ceci arrive d’autant plus que le punisseur est lui-même un passager clandestin, c’est-à-dire une personne qui ne contribue pas, mais bénéficie du bien commun.

Le harcèlement vertical ascendant peut conduire à des activités de sabotage du travail. Photographee.eu/Shutterstock

Nous avons également observé ce type de comportement dans les travaux liés au projet TWAIN : lors de l’exécution de tâches, nous avons remarqué que certains individus entreprenaient des actions qui empêchaient spécifiquement les individus performants de travailler. Enfin, rappelons-nous du travail précurseur des sociologues Michel Crozier et Erhard Friedberg, qui avaient déjà décrit ce type de comportement dans leur ouvrage « L’acteur et le système (1977) ».

Passager clandestin

Il y a une corrélation positive entre incompétence, comportement de passager clandestin, et désir de punition de son manager bienveillant et de son institution. L’explication par l’équipe de recherche européenne menée par Benedikt Herrmann de l’Université de Bath est la suivante : plus un individu a un comportement de passager clandestin (caractérisé par des actions visant à le maintenir à une place à laquelle il ne peut pas légitimement prétendre), plus il a été, certainement, par le passé, « puni » par la société du fait de ce comportement.

L’absence de compétence rentre dans cette catégorie : l’individu a pu ressentir comme une punition de la société entière le fait qu’il n’ait pas accédé à un travail intéressant, bien rémunéré, etc. Il va donc développer une forme de vengeance dirigée contre l’individu qui montre, aux yeux de tous, qu’un autre type de comportement (la coopération, la contribution au bien commun) existe : son manager ! Car le manager est la seule personne contre laquelle il peut agir, pour solder certaines dettes du passé…

Le harceleur, car ce comportement est bien du harcèlement, voit son action comme un moyen de progresser en termes de statut. Lorsque l’accès au statut ne peut se faire par la compétence (qu’il n’a pas),

ni par la contribution (qu’il ne fait pas), il se fait par la punition des contributeurs.

Le manager a pu avoir à son égard des actions altruistes (mise en place d’un esprit d’équipe, à travers des événements partagés et des incitations à sa formation, etc.). Cette action a été visible et reconnue par les collaborateurs, y compris par l’employé en question. Mais le punisseur s’autopersuade que les actions du manager altruistes à son égard sont avant tout des modalités de signalement de la part de celui-ci pour lui montrer à quel point il est, lui, le manager, au-dessus, en termes de bienveillance, de compétence ou de productivité.

Des mécanismes encore plus vicieux sont alors mis en œuvre par le harceleur. Pour créer son statut sur une dimension autre que celle liée à la compétence ou à la contribution, il s’attache, premièrement, à proclamer son statut supérieur (« savez-vous qui je suis ? ») sur une dimension subjective, non mesurable, qui lui permet de se penser omnipotent (et de faire abstraction de toutes les règles éthiques, morales ou sociales, qui ne s’appliqueraient pas à lui).

Il arrive que les collègues taisent les comportements qui contribuent à une mauvaise ambiance de peur d’aggraver la situation. Kaspars Grinvalds/Shutterstock

Deuxièmement, si les membres de son équipe ne le punissent pas immédiatement pour ses actions (car les collègues prennent rarement position dans les affaires de harcèlement), s’installe un engourdissement culturel (les autres individus acceptent et incorporent ces comportements déviants, par la simple inaction). Enfin, on peut assister à une situation d’ignorance justifiée lorsque les autres collègues ne parlent pas de ces comportements car ils ont peur de fragiliser encore plus l’ambiance au travail ! Ces trois éléments peuvent expliquer le manque de réaction de la part du manager et des collaborateurs.

Prévenir et guérir

Comment en finir avec ces comportements ? Il vaut mieux, évidemment, prévenir que guérir.

Pour prévenir, les organisations pourraient anticiper le problème en mettant en place en amont des procédures de recrutement plus longues, dans lesquelles le penchant pour ce type de comportements envieux pourrait être identifié (par des tests ou par la vérification minutieuse des références comportementales des candidats). En mettant à la disposition des managers des outils de recrutement développés avec des psychologues sur la base de recherches empiriques, on pourrait donc permettre aux organisations de se prémunir contre des mauvais recrutements. Malheureusement, beaucoup d’entreprises aujourd’hui sont obligées de fonctionner en flux tendu en faisant rentrer trop rapidement dans les équipes des individus qui n’ont pas assez de compétence, pas de passion pour le travail en question, et qui considèrent le travail comme subi et pas choisi, ce qui conduit à ce type de cercle vicieux.

Pour guérir, il existe des moyens légaux qui peuvent être déployés par les services RH pour venir en aide aux managers et aux équipes qui font face à ce problème, à condition que le problème soit signalé rapidement. Il faudrait donc travailler avec les managers sur la prise de conscience de comportements déviants, sur les dangers d’une bienveillance tous azimuts qui rimerait avec inaction, et sur des formations des managers et autres collaborateurs à la mobilisation de mécanismes de défense.

La taxation sur la fortune disparaît en Europe, mais revient dans le débat aux États-Unis

26 vendredi Avr 2019

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  1. Éric Pichet

    Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School

Kedge Business School

 

L’ancien candidat à la présidentielle Bernie Senders propose d’alourdir les droits de succession pour réduire les inégalités. A. Katz/Shutterstock
 

Aux États-Unis, les inégalités ont fortement crû au cours des 40 dernières années puisque 1 % des ménages captent désormais 20 % des revenus avant impôts contre 10 % en 1980 (en France les 1 % les plus riches n’engrangent que 8 % des revenus avant impôts comme en 1980). Même si la fiscalité y est – comme en France – redistributive, les inégalités après impôts mesurées par l’indice de Gini y restent beaucoup plus fortes (outre-Atlantique, l’indice passe de 0,47 avant impôts à 0,41 après impôts, en France de 0,45 et 0,29).

Pour y remédier, les élus démocrates veulent user de l’outil fiscal. Début avril, la sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren a préconisé une taxe de 2 % par an sur les fortunes comprises entre 50 millions et 1 milliard de dollars (soit 75 000 ménages), et même 3 % au-delà. La députée Alexandria Ocasio-Cortez a de son côté suggéré une tranche marginale de l’impôt sur le revenu (IR) à 70 % sur les revenus annuels au-delà de 10 millions de dollars concernant 16 000 foyers (en 2019, elle est de 37 % au niveau fédéral mais peut atteindre 49 % à New York ou en Californie avec l’impôt des États et des municipalités).

Enfin, concernant les droits de succession, actuellement de 40 % mais seulement au-delà de 11 millions de dollars, le sénateur du Vermont et ancien candidat à la présidentielle Bernie Senders a proposé de les passer à 45 % au-delà de 3,5 millions de dollars (soit 8 000 personnes par an), et même à 77 % au-delà du milliard de dollars.

Aux États-Unis, les inégalités se creusent depuis 40 ans. Gabriel12/Shutterstock

Toutefois, à la différence des pays qui avaient établi un impôt sur la fortune englobant les high net worth individuals (les détenteurs de patrimoines dépassant la barre du million de dollars), on remarquera que ces propositions se limitent aux ultra high net worth individuals(les détenteurs de patrimoines supérieurs à 30-50 millions de dollars) ou aux très hauts revenus.

Ces propositions ont déclenché un vif débat, alimenté entre autres par les conclusions de mes recherches. Comme pour l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en France, l’intention est louable mais elle se traduirait inévitablement par une expatriation de milliardaires ou par la mobilisation des meilleurs avocats pour traquer les failles d’une des fiscalités les plus complexes au monde.

Un impôt en voie de disparition

Si l’abrogation de l’ISF en 2018 est un symbole politique fort en France, elle n’est que le dernier avatar de l’effacement progressif de l’impôt sur la fortune depuis 25 ans dans l’Union européenne (UE), initié par l’Autriche en 1994, suivi du Danemark en 1995, de l’Allemagne et de l’Irlande en 1997, des Pays-Bas en 2001, de la Finlande en 2006 et enfin de la Suède de 2007.

En 2019, l’impuesto sobre patrimonio espagnol est le seul véritable vestige de cet effacement. En effet, après l’avoir supprimé en 2007 et face à la dégradation de ses comptes publics, l’Espagne l’a rétabli en 2011 dans une configuration très proche du précédent (qui s’inspirait lui-même très largement de l’ISF français) avec huit taux généralement compris entre 0,2 % à 2,5 % (variables selon les régions), mais plafonné à 70 % du revenu imposable et avec de nombreuses exonérations (œuvres d’art, droits intellectuels, valeur nette des entreprises, etc.).

Face à ses problèmes budgétaires, Madrid a rétabli en 2011 l’impôt sur le patrimoine supprimé quatre ans plus tôt. Marcos del Mazo Valentin/Shutterstock

Seule inflexion notable de la nouvelle mouture, le seuil d’imposition a été substantiellement relevé de 100 000 à 700 000 euros réduisant le nombre d’assujettis d’1 million à 160 000.

Quant à la Belgique, si elle a introduit à compter du 1er janvier 2019, un prélèvement fiscal de 0,15 % sur les seuls comptes-titres supérieurs à 500 000 euros, ce dernier comporte de nombreuses exemptions, comme les contrats d’assurance-vie, les fonds d’épargne-pension ou encore les actions au nominatif pur. Il ne peut donc que difficilement être qualifié d’impôt sur la fortune…

Luxe de pays riches

Ailleurs en Europe, l’impôt sur la fortune ne concerne plus que trois pays très riches : la Suisse, la Norvège et… le Liechtenstein.

En Suisse, il s’agit d’un vieil impôt cantonal qui fait office de droits de succession quasi inexistants (sauf dans quatre cantons et à des taux toujours inférieurs à 4 % du patrimoine) : il varie donc d’un canton à l’autre, certains l’ignorant totalement. Le seuil d’imposition de la « fortune » est en général très bas (parfois dès 30 000 francs suisses – 26 300 euros – de patrimoine net) mais le taux, progressif, est très faible et ne dépasse jamais 1 % par an.

La Suisse a mis en place un double bouclier fiscal pour limiter l’imposition globale sur la fortune. Roman Babakin/Shutterstock

Ainsi, dans le canton de Vaud, le seuil d’imposition est de 50 000 francs suisses – 44 000 euros –, le taux d’imposition passant de 0,09 % à 0,30 % (le barème officiel comporte 20 pages) au-delà de 2 millions de francs suisses – 1 754 000 euros. Un des principes fiscaux helvétiques postulant que l’imposition sur le patrimoine ne doit grever que le revenu découlant de ce patrimoine, un double bouclier fiscal a été mis en place pour limiter l’imposition globale sur la fortune à 60 % des revenus ou à 0,6 % de la valeur du patrimoine. Frappant une large base à un taux faible, l’impôt sur la fortune suisse est un modèle d’efficacité budgétaire, représentant 4,4 % des produits fiscaux (et 1 % du PIB, soit quatre fois plus que le défunt ISF français).

En Norvège, on trouve un impôt communal sur le patrimoine de 0,7 % maximum auquel s’ajoute un impôt national de 0,4 % sur une base également très large d’environ 75 000 euros. Enfin, et à titre anecdotique, le Liechtenstein impose également le patrimoine avec des taux allant de 0,16 % à 0,85 % par an en lieu et place de l’impôt sur les revenus du capital.

Emmanuel Macron suit ses voisins

Dans un espace économique de libre circulation des hommes et des capitaux, le faible rendement de l’impôt sur la fortune et surtout le coût de l’expatriation des capitaux qu’il génère a eu raison d’un impôt parfois plus que centenaire (1892 pour les Pays-Bas et 1893 pour l’Allemagne). Si le coût de la collecte de l’ISF était modeste (autour de 2 % des recettes, selon le Conseil des prélèvements obligatoires), j’ai montré dans une étude parue en 2007 et actualisée en 2016 que le manque à gagner de l’expatriation des patrimoines, indéniable mais très difficile à estimer, était de deux ordres : budgétaire (pour les finances publiques), et économique (pour l’économie française).

Selon mes estimations, depuis sa création en 1988 l’ISF a généré une expatriation légale de capitaux supérieure à 200 milliards d’euros représentant en 2017 (dernière année de perception) une perte de recettes fiscales de l’ordre de 7,5 milliards d’euros par an, soit supérieure à des recettes de 5 milliards d’euros. Le départ de ces capitaux a privé l’économie française de dizaines de milliers d’emplois et réduit la croissance d’environ 0,2 % de PIB chaque année. En supprimant l’ISF et écartant la possibilité de le rétablir dans l’immédiat malgré certaines revendications, le président Emmanuel Macron n’a donc fait qu’appliquer une logique budgétaire et économique déjà suivie par nos voisins. Il a toutefois annoncé, lors de sa conférence de presse sur les conclusions du grand débat national, que l’efficacité de cette réforme sera évaluée en 2020.

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« On a parfois transféré des compétences, mais quand les ennuis sont là, c’est toujours l’État » : Emmanuel Macron propose un nouvel acte de décentralisation pour début 2020 et de supprimer « les doublons »

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ISF : « Nous regarderons en 2020 son efficacité », poursuit le chef de l’État. « C’est une réforme pour produire, pas un cadeau pour les plus fortunés » pic.twitter.com/UYrlsM0dsu

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6:41 PM – Apr 25, 2019
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La fiscalité immobilière la plus élevée d’Europe

Si la fin de l’ISF et la création de la flat tax sur les revenus du capital en 2018 abaissent la fiscalité du patrimoine (les impôts sur le capital des ménages, stocks et flux inclus) qui était de 6,1 % du PIB en 2015, elle se situe toujours aujourd’hui au-dessus de la moyenne de l’UE(3,9 %) et surtout de notre principal partenaire allemand (1,8 %).

Quant à la fiscalité de l’immobilier, elle reste de loin la plus élevée en Europe, la France étant le seul grand pays à pratiquer 6 types d’imposition patrimoniale à chaque étape du cycle économique : sur l’acquisition (et la vente) via les droits d’enregistrement, la détention avec les impôts fonciers et l’IFI, les revenus du patrimoine, les mutations avec les droits de succession et de donation, et enfin les plus-values.

Trois de ces impôts étant progressifs (le taux marginal d’imposition des revenus fonciers est de 62 %, l’IFI de 1,5 % et les droits de succession à 45 % en ligne directe et 60 % sans lien direct), le rendement locatif après impôts est souvent négatif pour les gros patrimoines. Au total, selon Eurostat, la France est le pays qui taxe le plus l’immobilier à 4,9 % du PIB en 2017 contre 2,6 % dans l’UE et 1,1 % en Allemagne.

Services publics : la grande excuse du grand débat

26 vendredi Avr 2019

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  1. Yannick Prost

    enseignant en relations internationales (Sciences Po) – responsable de l’unité d’enseignement « aire juridique et administrative' » (Master Lisi, UFR EILA, Université Paris VII Denis DIderot), Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

Le 15 avril 2019, à Paris. Des personnels de l’APHP en grève. Kenzo Tribouillard / AFP

Les annonces censées être « disruptives » du président auront été largement commentées dans la presse suite aux fuites favorisées par le contexte propre à l’incendie de Notre-Dame, et les deux mesures emblématiques – la fin des fermetures de classes et d’hôpitaux jusqu’à la fin du quinquennat et la suppression de l’ENA – résument jusqu’à la caricature la primauté de la communication sur la vision qui devrait orienter l’avenir des services publics.

Les choix seront sans doute précisés au fil des prochains mois, car les premières annonces attendues à la fin de cette semaine ne sauraient résumer la politique suivie par Macron, qui s’avère plus ambitieuse et complexe. Certes, il fallait répondre à une mobilisation sociale qui se serait exprimée au cours du grand débat et entendue par un président arbitre. Mais ce dernier entend bien reprendre la mise en œuvre d’une ligne politique constante qui structure la réforme des services publics depuis une douzaine d’années.

Au-delà, et en lien avec l’esquisse des choix institutionnels, il cherche à consolider la base politique du macronisme en l’équilibrant avec une main tendue aux territoires et notamment aux maires, largement absents des effectifs de la LREM.

Le grand débat, un énorme bouillon nécessaire mais biaisé

Clore le grand débat national nécessitait, à l’évidence, l’annonce de mesures en faveur du renforcement ou de l’amélioration des services publics, mais fonder la légitimité de celles-ci sur la synthèse des remontées de cet exercice foisonnant s’avère un pari risqué.

Le grand débat aura été un exercice singulier, une catharsis, un coup politique intelligent, mais dont l’objet n’est pas de connaître les attentes des Français et les besoins de réforme. Il s’est avéré peu représentatif de la population, mal éclairé sur les particularités et la complexité des politiques publiques et de l’organisation des services, biaisé par l’orientation des questions fermées pour ce qui concerne les réponses en ligne. À l’arrivée, ses contributions auront été résumées par un pouvoir exécutif seul juge de ce qu’il faut lire dans les émanations de cet énorme bouillon.

Parmi les propositions remontant de ces contributions, celles convergentes avec le plan initial des réformes sont mises en exergue pour justifier les choix faits depuis longtemps. « La réduction de la pression fiscale » – aussitôt reprise dans l’allocution du 8 avril par le premier ministre Édouard Philippe – est emblématique d’une réduction des contradictions, alors que le besoin de davantage de services publics s’était tout autant exprimé, y compris depuis longtemps dans plusieurs sondages d’opinion. Ce qui manquait, au fond, était de poser la question suivante : les services publics, pour quelle priorité, au nom de quelle justice sociale ?

Bataille idéologique et contraintes budgétaires réelles

En la matière, le gouvernement d’Édouard Philippe s’était engagé, dès le début, dans une œuvre réformatrice aux fortes ambitions affichées. Mais il ne faisait que s’inscrire dans une continuité qui remonte au début de ce siècle (voir ci-dessous). La transformation des services publics, déclinaison de la réforme de l’État, résulte de la conjonction d’une bataille idéologique et de contraintes budgétaires réelles.

Ces contraintes sont ambiguës : l’endettement n’est pas propre à une croissance des coûts de l’État, mais résulte en partie de la socialisation du désastre entraîné par la crise financière de 2008, et du gonflement des prestations sociales. Celui-ci ne correspond pas au fonctionnement des services publics, mais à l’atténuation des conséquences des inégalités sociales et du décrochage d’une partie de la population dans une économie par ailleurs de plus en plus privatisée.

Sur le plan idéologique, l’hostilité aiguë d’un courant de pensée économique né aux États-Unis à la fin des années 1960, financé par les milieux d’affaires et conservateurs via un réseau puissant de think tanks et de chaires universitaires, en réaction à l’expansion très rapide de l’État-providence et des mesures de discrimination positive au profit des minorités, a pu trouver en Europe un écho profond. Il est devenu une forme de pensée dominante.

Transformations brutales et baisse rapide des effectifs

En France, suite aux timides « stratégies ministérielles de réformes » engagées sous Jean‑Pierre Raffarin au début des années 2000, la réforme de l’État a pris la forme de transformations brutales de structures et d’une baisse rapide des effectifs au cours de la Revue générale des politiques publiques sous Nicolas Sarkozy : 176 000 agents en moins dans la fonction publique d’État entre 2005 et 2009.

La modernisation de l’action publique, conduite sous François Hollande, a pris un tour plus ambigu, cherchant à poursuivre le mouvement – notamment en réduisant la présence de l’administration territoriale –, tout en remplissant la promesse faite en matière d’éducation : +54 000 postes sous le quinquennat.

En outre, François Hollande a dû affronter une situation sécuritaire très sensible qui nécessitait de renforcer les effectifs dans ce domaine. En définitive, les effectifs de la fonction publique d’État ont légèrement augmenté, mais au détriment de certains ministères et d’un affaiblissement des services déconcentrés.

En revanche, le nombre d’agents de la fonction publique territoriale, lui, a nettement progressé : +21 % entre 2002 et 2015 jusqu’au frein brutal mis à la hausse des dépenses des collectivités locales au milieu de la décennie. Au-delà des transferts de compétences entraînés par la décentralisation, c’est un choix des collectivités territoriales d’assurer une forte présence d’agents auprès des usagers, désormais remis en cause.

L’actuel gouvernement a poursuivi l’impératif de la réduction des services publics en annonçant la suppression de 120 000 postes sur la durée du quinquennat. Or l’état inquiétant des hôpitaux publics, qui se traduit par des mouvements sociaux ou des drames emblématiques – cette patiente décédée au service des urgences de l’hôpital Lariboisièreaprès douze heures d’attente sans prise en charge –, interdit de couper dans des effectifs des hôpitaux au bord de l’implosion. En définitive, c’est bien la fonction publique d’État (y compris l’Éducation nationale, qui vient de rendre 1800 postes dans la dernière loi de finances) et les collectivités territoriales qui sont visées.

Toujours les mêmes leviers

Les réformes successives tendent à recourir aux mêmes leviers. En premier lieu, elles visent à réduire les effectifs d’agents publics, en privilégiant le regroupement des structures. Ainsi, le renforcement des compétences de l’intercommunalité au détriment des communes, et des régions aux dépens des départements, répond à un souci de rationalisation, mais aussi de réduction du nombre d’agents par mutualisation. Une telle évolution contredit la logique de la décentralisation (« renforcer la proximité des services publics et de l’usager ») et la demande de maillage territorial des citoyens, clairement exprimée lors de ces derniers mois.

Ensuite, la réduction de la dépense porte sur l’investissement et la masse salariale. En laissant se dégrader les conditions de travail – rendues objectivement plus difficiles dans certaines zones (police, enseignement, services hospitaliers) – et en comprimant la masse salariale et les rémunérations, l’État comme acteur politique met alors en difficulté l’État employeur.

Car l’attractivité de la fonction publique diminue : dans son avis sur l’évolution des métiers de la fonction publique, le Conseil économique, social et environnemental conclut que « la rémunération insuffisante de certains métiers, au regard de la situation générale du marché de l’emploi et du niveau de qualification requis pour répondre aux besoins de la société » explique déjà les difficultés à recruter sur certaines disciplines de l’enseignement, ou sur les métiers de l’informatique et du numérique.

Par ailleurs, le gouvernement espère des gains de productivité en développant les services numériques à l’usager. Le déploiement de ces derniers permettrait aussi de résoudre le casse-tête de la dispersion des usagers dans des territoires ruraux.

L’entrée principale de la Cour des comptes, rue Cambon à Paris. TouN/Wikimedia, CC BY-SA

Dans son rapport sur la relation aux usagers et modernisation de l’État (datant de 2016), la Cour des comptes notait sur le premier point que le sous-investissement dans ce domaine avait limité l’impact du numérique sur la réorganisation de l’État. Plus récemment, elle ajoutait que les infrastructures des services numériques dans les territoires ruraux se traduisaient par « des insuffisances persistantes dues à la couverture de qualité inférieure à celle des zones urbaines (tant pour le numérique mobile que pour la fibre). Ainsi 7,5 millions de personnes ne disposent que d’une couverture de médiocre qualité.

En outre, l’institution de la Rue Cambon rejoint le Défenseur des droits pour mettre en garde contre la fracture numérique, qui ne saurait se réduire aux personnes âgées :

« La fracture numérique est également une fracture sociale et culturelle. Le taux de connexion à Internet varie ainsi de 54 % pour les non-diplômés à 94 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur. » (rapport 2019)

La montée des frustrations et des insatisfactions

Enfin, les modes de fonctionnement, qui nourrissent sans fin le café du commerce sur les services publics, se trouvent également autant dans les préconisations des réformes que des attentes des agents, sans que l’on observe d’évolutions positives.

Le baromètre social Acteurs Publics/BCG montre la montée des frustrations et des insatisfactions des agents (dans l’ordre d’importance) en matière de formation, de qualité de vie au travail, d’anticipation des besoins en emploi, de parcours professionnels et d’accompagnement des mutations. L’évolution très rapide des missions, les cloisonnements, les logiques essentiellement budgétaires s’opposant aux mobilités favorisent une perte de sens général.

Face à cette situation, l’encadrement se sent lui-même impuissant. Objets d’un populisme bien commode dénonçant « la technostructure » et l’énarchie, les hauts fonctionnaires ont vu leur statut social et leur pouvoir d’achat décrocher par rapport au secteur privé. Sans marge de manœuvre managériale, ils ne peuvent donner comme horizon à leurs équipes qu’une réduction sans fin des moyens.

Pendant le grand débat, les affaires continuent

Pendant les travaux (du grand débat), les affaires ont continué. Les chantiers engagés par la phase de concertation CAP 2022, avaient paru un moment s’enliser.

Le contexte de la relance du projet européen par le président nécessite de retrouver une crédibilité budgétaire face à l’Allemagne. Par ailleurs, les attentes d’un électorat de centre-droit ayant voté pour une réduction de la pression fiscale et la ligne suivie par des ministres ayant soutenu ou participé à la RGPP ont orienté cette revue des missions et du fonctionnement des services publics, essentiellement selon une approche comptable. C’était oublier, au passage, que les modèles étrangers performants qui inspiraient la réforme avaient toujours bénéficié d’un investissement important dans la phase initiale des transformations.

Alors que les réunions du grand débat devaient imaginer le service public de demain, les administrations et les cabinets peaufinaient leurs chantiers. Ainsi, dans un domaine essentiel comme l’Éducation (le plus gros employeur des services publics), le projet de loi « pour une école de la confiance » vient modifier les règles de déploiement de l’encadrement des écoles élémentaires en milieu rural, y ouvrant la voie à des réductions d’effectifs.

Par ailleurs, l’avant-projet de loi sur la transformation de la fonction publique a été mené à son terme, malgré une forte opposition des syndicats, et devrait être présenté prochainement au Parlement. Il traduit la volonté de réduire la place du statut de la fonction publique au profit d’une ouverture accrue aux agents contractuels, ainsi que d’alléger les procédures du dialogue social en réduisant la capacité de contrôle des commissions administratives paritaires sur les nominations.

Externalisation et privatisation dans le viseur

Enfin, un plan de départs volontaires est ébauché et s’appuiera sur un mécanisme de rupture conventionnelle aligné sur celui en vigueur dans le privé. Au même moment, le projet de loi visant à privatiser Aéroport de Paris exprimait une constante de la doctrine sous-tendant les réformes successives des services publics, à savoir que l’externalisation et la privatisation des tâches offraient une amélioration automatique de l’efficience et de la qualité des services.

Les critiques sur la gestion privée du réseau autoroutier ou le résultat de la privatisation de l’aéroport de Toulouse devraient pourtant modérer un tel enthousiasme, et une coalition parlementaire inédite LR-PS tente actuellement de faire échouer ce projet.

Au final, la voie tracée par le discours du président laisse penser que la ligne des réformes ne déviera pas, quitte à en partager l’exercice avec les collectivités qui pourraient bénéficier d’une part accrue dans la mise en œuvre des missions de services publics.

Seront-elles davantage capables de résoudre la contradiction entre réduction de la dépense publique et maintien d’un haut niveau de qualité et de présence des services publics ?

Notre-Dame de Paris : plaidoyer pour une intervention lente et raisonnée

25 jeudi Avr 2019

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  1. Bruno Phalip

    Professeur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie du Moyen Âge, Université Clermont Auvergne

Université Clermont Auvergne

 

Clermont-Ferrand, charpente dotée de grands arcs diaphragmes en briques réalisée par Viollet-le-Duc. Seule la croupe date du début du XVIᵉ siècle ; la restauration de la fin du XXᵉ siècle a contribué au remplacement d’environ 50% des bois anciens. B. Phalip, Author provided

« Pour ceux qui savent que Quasimodo a existé, Notre-Dame est aujourd’hui déserte, inanimée, morte. On sent qu’il y a quelque chose de disparu. Ce corps immense est vide ; c’est un squelette ; l’esprit l’a quitté, on en voit la place et voilà tout. C’est comme un crâne où il y a encore des trous pour les yeux, mais plus de regard. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, livre IV, chap. 3)

La douloureuse perte par incendie de la charpente (XIIe-XIXe siècles) de Notre-Dame de Paris ne peut faire oublier ni les « restaurations » aventureuses et interventionnistes d’autres charpentes médiévales, telles que celle de la cathédrale de Bourges (2009-2014), ni les négligences ou le manque de moyens pour mettre hors d’eau celles de monuments équivalents comme à la collégiale d’Eu en Normandie.

Tous les spécialistes des charpentes médiévales sont à même de produire d’autres exemples, tant les études d’archéologie du bâti ne sont pas encore totalement entrées dans les mœurs, afin de conduire à un entretien respectueux, comme à des interventions (minimalistes ?) tenant notamment compte des avis d’archéologues lorsqu’ils sont sollicités : tels Patrick Hoffsummer (Liège), Jean‑Yves Hunot (CNRS Tours) ou encore Frédéric Epaud (Archéologie, Maine-et-Loire).

Reims, la ville et la cathédrale en 1916. Base Mérimée, inventaire et monuments historiques.

Réduire la fatalité

Le premier constat est rude, mais il peut avoir des vertus, afin de ne pas ajouter l’erreur ou encore l’oubli, à l’accident toujours possible. La fatalité doit être réduite par la conscience, la prévention et l’étude. Eugène Viollet-le-Duc, Henri Deneux ou Friedrich Ostendorf furent parmi les meilleurs connaisseurs de la charpenterie en France et en Allemagne entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

Par leurs études, ils contribuèrent à des relevés architecturaux non remplacés, comme à la réalisation de maquettes conservées. Le risque existait car bien des charpentes de cathédrales ou d’abbatiales avaient brûlé dans le courant du XIXe siècle, ou nécessitaient d’être reconstruites : Chartres, Rouen, Saint-Denis, Clermont-Ferrand. Ces sinistres conduisirent à débattre de l’usage de nouveaux matériaux comme la fonte, le fer ou la brique afin de bâtir de grands arcs, comme des structures assemblées et boulonnées résistantes au feu. Il s’agissait de faire entrer la modernité dans la préservation du monument.

Mais, encore faut-il s’entendre sur ce que l’on nomme et présente comme des « nécessités » absolues d’intervention dans la précipitation. Ce sont des accidents, des négligences, mais aussi des conflits qui meurtrissent les cathédrales. Ainsi, quasiment dès leur érection, dans de nombreux cas, les incendies affectent partiellement ou totalement les édifices une à plusieurs fois par siècle : Saint-Benoît-sur-Loire en 974, 1002, 1005 et 1026. Cela est d’ailleurs bienvenu lorsque les chapitres des cathédrales préparent fort à propos une reconstruction.

Reims, la cathédrale, reconstruction de la charpente en éléments de béton préfabriqués après 1918. La couverture provisoire est visible. Base Mérimée, inventaire et monuments historiques.

Il en est ainsi de grands chantiers romans (abbatiale de Vézelay), mais aussi gothiques souvent justifiés par des incendies : cathédrales de Chartres, Reims, Rouen, ou de Canterbury. En 1870, c’est la charpente de la cathédrale de Strasbourg qui disparaît lors du conflit franco-prussien. Plus tard, c’est l’abbatiale (Saint-Rémi) et la cathédrale (Notre-Dame) de Reims dont les charpentes médiévales brûlent lors du premier conflit mondial. Henri Deneux en avait réalisé des maquettes. Il en est de même à Noyon, Soissons ou Vauclerc (Aisne), détruites lors de ce conflit. Des accidents anciens ou plus récents encore s’y ajoutent pour les cathédrales de Metz (1877) ou de Nantes (1972).

D’inestimables édifices civils, religieux ou sites, enfin, ont été perdus lors du second conflit mondial, partout en Europe. La France n’est pas seule concernée : (cathédrales de Saint-Malo, Rouen ou de Nevers en France ; Cologne, Dresde, Monte-Cassino, Rotterdam, Tournai, Varsovie…).

Quelques chantiers exemplaires

Face à ces pertes, risques et « nécessités » quelques chantiers, souvent exemplaires dans leurs pratiques d’entretien et de restauration, sont susceptibles de montrer des voies possibles grâce à des collaborations volontaires, des prudences dans l’intervention, comme dans les matériaux et pratiques, mais aussi de patientes recherches.

En ce domaine, le temps long est gage d’assurance, tandis que l’intervention trop immédiate signifie la précipitation et les choix techniques inappropriés. Il s’agit donc bien, à Paris, de résister à l’émotion qui submerge et exige la restauration aux effets immédiats, visibles à court terme, tandis que la sagesse suggère au contraire la réflexion et réclame l’étude, avant intervention.

De telles études et interventions réfléchies existent en France et en Europe, qui supposent de belles études d’archéologie du bâti, d’exemplaires recherches historiques et surtout une grande patience fondée sur de solides expériences. Ce sont, entre autres exemples, les cathédrales de Tournai en Belgique, de Lyon et d’Auxerre en France, de Strasbourg et de Fribourg-en-Brisgau de part et d’autre du Rhin.

Chacune de ces cathédrales a pu subir autant de vicissitudes que Notre-Dame de Paris et pourtant chacune inscrit son entretien, ses actions dans le temps long. Tournai est un immense chantier qui réunit tous les intelligences et savoir-faire du pays en une lente Brabançonne (hymne belge) résolue. Des messes y sont dites pour la Nation et son roi. Bien sûr, tout est discuté, soumis à la critique (couverture de plomb en remplacement de celle en ardoise) et débattu, mais ces choix se font toujours en étant accompagnés d’études exhaustives (notamment par l’archéologue du bâti Laurent Delehouzée), d’interventions sérieuses et justifiées.

Soissons, les grandes arcades de la nef en 1918. Base Mérimée, inventaire et monuments historiques, Author provided

Tous les niveaux institutionnels y sont parties prenantes ce qui explique à la fois la lenteur du chantier et la force du sens donné à l’entreprise. Les chantiers de Lyon et d’Auxerre sont plus modestes dans leurs moyens, tout en étant accompagnés de belles études archéologiques : Centre d’études médiévales d’Auxerre, Christian Sapin et son équipe ; Ghislaine Macabéo et Nicolas Reveyron du laboratoire ArAr. Enfin, Strasbourg et Fribourg-en-Brisgau expérimentent des interventions raisonnées où le remplacement des pierres est limité.

L’utilisation des biocides (produits dits phytosanitaires) est interdite et les échanges scientifiques sont nombreux entre les deux villes afin de préconiser des techniques de nettoyage par cataplasmes (procédé Tollis) et non les gommages très abrasifs pour la pierre.


À lire aussi : Pourquoi il faut « réensauvager » les monuments historiques


Chaque restauration est brutale pour un édifice vieux de sept à huit siècles ; l’entretien seul est plus respectueux. Les institutions françaises vont devoir maintenant choisir entre un parti « brutaliste » dénoncé naguère par l’architecte des Monuments historiques Achille Carlier et une vision à long terme préconisant les meilleures chaux de restauration sans additifs, le respect du biofilm, l’abandon des biocides dans le traitement de la pierre historique, la systématisation des études d’archéologie du bâti aux relevés exhaustifs, la surveillance des travaux, la maîtrise des impacts, comme la transparence des débats. La Nation peut être associée ; c’est un exercice long et difficile, inhabituel, mais c’est aussi le gage d’une association étroite entre une action collective aux résultats satisfaisants (garder l’ancien et respecter les parties restaurées par Viollet-le-Duc). Le mot patrimoine est inutile qui est brandi à tort et à travers alors que le monument se doit d’être respecté.

Faut-il faire la sieste ? Les réponses de cinq experts

24 mercredi Avr 2019

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The Conversation

 

  1. Alexandra Hansen

    Chief of Staff, The Conversation

  2. Lionel Cavicchioli

    Chef de rubrique Santé

Interviewés

  1. Jennifer Zaslona

    Post-Doctoral Fellow, Sleep/Wake Research Centre, Massey University

  2. Kathleen Maddison

    Research Fellow & Lecturer, Centre for Sleep Science, University of Western Australia

  3. Michelle Olaithe

    Research Associate, Faculty of Science, School of Psychological Science, University of Western Australia

  4. Raymond Matthews

    Research Fellow, Sleep and Chronobiology Laboratory, Behaviour-Brain-Body Research Centre, University of South Australia

  5. Shona Halson

    Associate professor, Australian Catholic University

Partenaires

Il n’est pas rare, durant la journée, de ressentir le besoin de s’allonger un peu, et ce sans raison particulière, même si la matinée n’a pas été particulièrement chargée ou si la nuit précédente a été bonne. Mais que se passera-t-il si l’on cède à l’envie de faire la sieste ? À en croire certains, la nuit suivante sera assurément ruinée… Est-ce vraiment le cas ?

Pour tirer les choses au clair, nous avons demandé demandé à 5 experts si s’adonner à la sieste est une bonne idée.

Quatre experts sur cinq ont répondu oui

Voici leurs réponses détaillées :


Aucun des auteurs n’a d’intérêts ou d’affiliations à déclar

Comment notre cerveau guide nos habitudes

23 mardi Avr 2019

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The Conversation

 

  1. Dezső Németh

    Professeur de psychologie, IMéRA

Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA)

 

Apprendre à programmer et re-programmer les habitudes et comportements automatiques est un défi scientifique majeur. Les avancées de la recherche sur la plasticité du cerveau ont de larges implications, notamment pour les sciences de la santé visant à vaincre les comportements nocifs, tels que les dépendances et les comportements obsessionnels-compulsifs. Elles peuvent également permettre des innovations considérables dans les programmes de formation visant l’amélioration des comportements automatiques, notamment les compétences impliquées dans la communication, les activités sportives ou encore le violoncelle ou le piano.

Nocivité des habitudes

Les habitudes sont des comportements automatiques, récurrents et souvent inconscients. Elles sont inscrites dans le tissu de notre vie : ce sont elles qui nous permettent d’accomplir automatiquement des routines complexes tandis que nos pensées, notre attention et nos actions délibérées sont dirigées vers d’autres tâches. Pourtant, les habitudes peuvent être immensément destructrices, appuyant des comportements inadaptés comme l’usage de drogues ou le maintien de dépendances comportementales. Au sein de l’Union européenne, comme un peu partout dans le monde, les systèmes de santé sont confrontés à un nombre croissant de personnes souffrant de dépendances comportementales. Les réflexions se multiplient pour trouver des moyens d’aider les personnes concernées à surmonter leurs « mauvaises habitudes ».

Nous avons tous, par moments, besoin de « formater » certaines habitudes, un peu comme on formate un disque dur pour y inscrire de nouveaux éléments. Changer de comportement habituel se révèle nécessaire dans notre communication verbale et non verbale lorsque nous passons d’un environnement social à un autre, comme le déménagement d’une petite ville à une grosse agglomération, ou le passage d’une formation supérieure à un environnement de travail. Dans ces situations, remodeler notre comportement automatique est nécessaire pour s’adapter à un environnement nouveau ou modifié.

Apprentissage et mémoire

Le but de mes recherches est d’acquérir une compréhension mécanique de l’évolution des comportements habituels, du stade de l’acquisition à celui de la reconfiguration. Pour ce faire, nous examinons les processus d’apprentissage et de mémoire qui sous-tendent l’apprentissage et la redéfinition des habitudes. Dans mon laboratoire, nous nous appuyons sur des méthodes de neuropsychologie, de psychologie du développement et de neurosciences cognitives. Par exemple, nous nous servons de la stimulation cérébrale non invasive pour étudier la relation causale entre le cerveau et le comportement, et nous utilisons l’électroencéphalographie afin de voir les oscillations cérébrales pendant les processus d’apprentissage et de mémoire.

Des recherches récentes ont montré que les réseaux neurocognitifs qui sous-tendent l’apprentissage et la mémoire peuvent interagir de façon coopérative ou concurrentielle. Un vaste corpus de recherches menées dans différents laboratoires – y compris le mien – a démontré que les fonctions exécutives et de contrôle – dépendantes du lobe frontal – plus faibles, étaient associées à de meilleures performances d’apprentissage statistique. Cela peut être interprété comme le marqueur d’une relation concurrentielle-antagoniste entre les processus contrôlés et spontanés.

En d’autres termes, il existe une concurrence entre les processus de vérification d’hypothèses et les processus d’apprentissage automatiques, motivés par la présence d’un stimulus. Puisque le cortex frontal est responsable des fonctions de contrôle, et des processus de vérification des hypothèses (un type de pensée) et que les structures sous-corticales sont responsables des comportements spontanés et automatiques, la plus grande implication des premiers processus entrave l’apprentissage d’habitudes et de nouvelles compétences.

Par exemple, nous avons constaté que l’apprentissage de séquences probabilistes se révèle meilleur sous hypnose. L’hypnose est une manipulation expérimentale qui affaiblit les connexions fonctionnelles de la région du cortex frontal : elle réduit la fonction cognitive de contrôle. Certaines études suggèrent que les fonctions de contrôle diminuent tout au long de l’hypnose : en effet, nous avons pu observer une connectivité fonctionnelle plus faible dans des régions frontales du cerveau. L’hypnose pourrait donc stimuler les processus d’apprentissage sous-jacents à la formation d’habitudes.

Une séance d’hypnose médicale. Infirmiers.com, CC BY-NC

Connectivité cérébrale

Des études antérieures avaient révélé une concurrence entre les différents processus neurocognitifs qui sous-tendent l’apprentissage des habitudes et des compétences. Mais la communication neuronale des régions cérébrales associées (connectivité fonctionnelle) n’avait pas été réellement étudiée. L’an dernier, nous avons cherché à combler cette lacune en étudiant la connectivité fonctionnelle du cerveau qui favorise les processus d’apprentissage chez les humains avec une électroencéphalographie de haute densité avec 128 canaux.

Nous avons mesuré et analysé la connectivité fonctionnelle entre les régions corticales pendant les premières, deuxièmes et troisièmes périodes de la tâche d’apprentissage. Plus la connectivité des régions cérébrales antérieures était faible, meilleure était la performance d’apprentissage implicite. Ces corrélations ont augmenté au fur et à mesure que l’apprentissage progressait.

Le résultat est intéressant car cette région du cerveau est liée à l’accès à la représentation en mémoire. Cela signifie que lorsque nous ne pouvons pas accéder à notre mémoire – au matériel précédemment appris – nous pouvons apprendre de nouveaux modèles de notre environnement, donc de nouvelles compétences ou de nouvelles habitudes.

Les représentations de notre mémoire à long terme, notre connaissance du monde, peuvent inhiber totalement l’apprentissage de nouvelles compétences et habitudes. Nos résultats démontrent que les réseaux dynamiques antagonistes du cerveau jouent un rôle important dans l’apprentissage.

Remodelage des comportements devenus automatiques

En résumé, la compréhension des systèmes d’apprentissage et de mémoire qui sous-tendent les habitudes et les comportements automatiques peut nous amener à penser de nouvelles méthodes et techniques pour stimuler non seulement l’apprentissage mais aussi le remodelage de nos comportements automatiques. Des méthodes comportementales et neuroscientifiques pourront stimuler le remplacement d’anciennes habitudes par de nouvelles. Au-delà de leur signification scientifique fondamentale, ces résultats ouvriront la porte à des solutions translationnelles telles que le développement de nouvelles formations comportementales, de nouvelles techniques de psychothérapie et de nouvelles thérapies pharmacologiques afin de surmonter les anciennes habitudes et de formater les comportements automatiques !

L’industrie sociale et solidaire : mais si, c’est possible !

22 lundi Avr 2019

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The Conversation

  1. Michel Berry 
    Michel Berry est un·e adhérent·e de The Conversation

    Fondateur de l’école de Paris du Management, Mines ParisTech

Mines ParisTech

 

Vitamine T est aujourd’hui la plus grosse entreprise d’insertion de France. Vitamine T

Les projets d’insertion de personnes en difficulté sont bien perçus sur le plan moral, mais moins sur le plan économique. On les assigne à la sphère sociale, c’est-à-dire à la réparation des dégâts de l’économie, rarement à la sphère économique et à la réussite entrepreneuriale et industrielle. Pourtant, des exemples comme celui de Vitamine T montrent un professionnalisme et une ingéniosité qui devraient changer le regard porté sur ces aventures humaines et économiques.


André Dupon, après avoir vécu heureux chez les Orphelins et apprentis d’Auteuil, a voulu rendre à la société ce qu’elle lui avait donné. Travailleur social auprès du juge pour enfants du tribunal de Lille, il ne peut rester inactif face à la croissance vertigineuse du chômage à la fin des années 1970. En 1978, il crée Vitamine T, qui a pour but de réinsérer les chômeurs dans la vie active.

De la compassion à la professionnalisation

Andre Dupon/Vitamine T.

L’aventure commence dans l’euphorie. Des entreprises du Nord lui font confiance, des retraités de la Banque de France déploient des collecteurs de monnaie dans les aéroports pour financer des formations, etc. Dans cette ambiance, André Dupon innove tous azimuts, mais rencontre nombre d’échecs, et se rend vite compte que la bonne volonté ne suffit pas. Travailleur social rodé aux hommes et non aux chiffres, il décide de se former sérieusement.

Il apprivoise les méthodes de management et dégage une vision : il faut explorer des niches économiques originales et porteuses pour s’affranchir des financements publics et construire un modèle durable et professionnel. Par ailleurs, les personnes à accompagner étant uniques, il faut leur offrir une palette d’activités la plus large possible. Ainsi voient le jour des entreprises de propreté, d’entretien d’espaces verts, de BTP, de services, et le groupe doit grandir rapidement pour augmenter son impact. Comme dans l’économie traditionnelle, des opportunités jaillissent et, en 2008, il saisit une occasion unique qui change tout.

Un pari fou qui fait changer d’échelle

En 2008, une usine Thomson de la banlieue lilloise doit fermer. Il reste 130 salariés sur les 8 000 de son apogée. Certains se rendent toujours à l’usine, n’ayant pas annoncé leur licenciement à leurs familles. André Dupon, alerté par les autorités locales, a une idée folle : transformer l’usine en start-up de traitement des déchets électroniques. Il propose au tribunal de commerce de Nanterre de racheter l’ensemble pour 1 euro symbolique et de reprendre les 130 salariés. Trois projets concurrents proposent tous, classiquement, de démonter la friche.

« J’avais pris des contacts avec de grands groupes et avais obtenu du ministère du Travail que les anciens salariés perçoivent leur allocation chômage quelques mois supplémentaires, le temps que nous trouvions un modèle économique viable pour les embaucher en CDI. Contre toute attente, le tribunal de commerce a retenu notre dossier. Inutile de dire que j’ai passé une nuit difficile car nous faisions un pari insensé. Les employés me prenaient d’ailleurs pour un patron exotique : ils avaient construit des appareils électroménagers pendant des décennies, voilà qu’ils devaient les détruire ! L’expérience a réussi au-delà de nos espérances. »

L’entreprise créée en 2008 traitait 4 000 tonnes de déchets électroniques par an ; aujourd’hui, elle en traite 100 000 pour un chiffre d’affaires de 18 millions et un bénéfice de 2,3 millions d’euros. Elle a provoqué une croissance fulgurante du groupe, passé de 600 à 4 000 salariés, avec aujourd’hui 18 filiales spécialisées et un chiffre d’affaires global de 80 millions d’euros.

Les deux tiers des salariés sont en parcours d’insertion, 62 % trouvent un emploi stable à l’extérieur ou décident de suivre une formation, les autres pouvant rester chez Vitamine T. Rejointe par 1 000 personnes par an, c’est la plus grosse entreprise d’insertion de France. Les financements publics se limitent à 13 % et rémunèrent des éducateurs et des conseillers qui aident les personnes en insertion.

Une innovation sociale permanente

Ce succès tient aussi à l’innovation sociale. Vitamine T est sans cesse en quête de méthodes pour aider les exclus à reprendre en main leur destin. Ainsi, le programme 1 000 emplois, 1 000 destins, remporté auprès du ministère du Travail et financé à 50 % par Vitamine T, va-t-il disséminer des équipes de coaches dans les zones difficiles, jusqu’au pied des cages d’escalier ou dans les bars à chicha, pour proposer aux jeunes de tester un emploi : le schéma traditionnel – formation, contrat aidé, accès à un emploi durable – ne fonctionne plus auprès d’individus ballottés de difficulté en difficulté.

L’histoire aurait pu se résumer à une remarquable aventure entrepreneuriale issue du monde de l’économie sociale et solidaire (ESS), mais elle va bien au-delà.

Un modèle capitalistique original

Car André Dupon poursuit un but, ranimer l’étincelle chez ceux qui se pensent exclus à jamais du travail et de la société, et il ne veut pas que les préoccupations financières l’en détournent.

Tout d’abord, puisqu’il vise une activité industrielle, il lui faut trouver des capitaux, problème sur lequel butent les associations et les coopératives. Des entreprises privées sont associées comme actionnaires dans huit filiales, en renonçant à percevoir des dividendes et à sortir du capital. Au début, elles l’ont fait pour des raisons compassionnelles ou pour afficher une politique RSE. Maintenant, elles y trouvent également leur intérêt parce qu’elles cherchent à recruter et que Vitamine T les y aide, ou encore parce qu’elles doutent de pouvoir prospérer dans un environnement qui se délite. En tout cas, les offres de partenariat se multiplient. De même, les diplômés postulent toujours plus nombreux. Les banques coopératives, ainsi que France Active, acteur de l’épargne solidaire, appuient la démarche.

Une gouvernance pour tenir fermement le cap social

Combiner performance économique et insertion sociale ne va pas de soi : il faut parfois prendre des décisions économiques au détriment du social. Ainsi, le marché de deux entreprises du groupe s’est effondré et il a fallu licencier des collaborateurs permanents. Pour André Dupon, il faut avancer sur une ligne de crête sans compromission, et c’est le dispositif de gouvernance qui le permet.

Le groupe est détenu par une association de loi 1901, garante de sa vision et de sa stratégie. Elle est présidée par un des fondateurs, Pierre de Saintignon. Son conseil d’administration est composé pour moitié de patrons du Nord imprégnés d’un modèle social, ainsi que du recteur de l’université catholique de Lille, d’un sociologue, de deux philosophes et de trois dirigeants d’associations de travail social. Elle possède une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) qui fait fonction de holding gérant les 18 filiales. André Dupon en est le président exécutif depuis près de 15 ans sans être propriétaire d’une seule action. Dans ce rôle, il est soumis à un conseil de surveillance nommé par le conseil d’administration de l’association. Enfin, un comité d’éthique accueille des universitaires et des patrons d’industrie.

Un entrepreneur classique n’aurait pas crée un tel dispositif, mais, pour André Dupon, cela l’aide à garder le cap social et lui permet d’éviter que ses successeurs ne soient tentés, ou contraints, de se détourner de ce cap. Par précaution, il a mis en chantier la création d’une fondation sur le modèle suédois des fondations actionnaires, qui sanctuarise les capitaux de manière irrévocable et incessible. Elle remplacerait l’association loi de 1901 qui détient aujourd’hui le groupe.

Vitamine T montre qu’un groupe non centré sur le profit peut connaître un taux de croissance vertigineux tout en gardant son ADN, même dans des activités à forte intensité capitalistique. Mais c’est à condition d’être ferme sur le professionnalisme et clair sur l’impact sociétal souhaité, de le faire partager à toutes les parties prenantes et de trouver la combinaison de véhicules institutionnels la plus adaptée.

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