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Archives Journalières: 23/10/2019

Nobel 2019 : l’économie comportementale, une expertise au service d’un néolibéralisme à visage (presque) humain

23 mercredi Oct 2019

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The Conversation

  1. Jean-Michel Servet

    Honorary professor, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

 

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Graduate Institute - Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

 

CC BY ND

Les études d’impact de la distribution de moustiquaires ne visent-elles pas finalement à suggérer des pistes d’amélioration de la santé et donc de la productivité des populations ? Punghi / Shutterstock
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L’économie comportementale revêt aujourd’hui deux modalités. La première est un comportementalisme revendiqué : il s’appuie sur des tests menés en laboratoire révélant des biais dans le comportement des individus par rapport aux traditionnelles normes de rationalité de l’Homo œconomicus. Parmi les supposées irrationalités des individus, citons par exemple le fait que les humains tendent à surestimer une perte d’argent par rapport à un gain de même montant. Richard Thaler, lauréat du prix de la Banque de Suède, dit « Nobel d’économie », à l’automne 2017 est la figure la plus connue aujourd’hui de cette régénération du savoir économique.

La seconde modalité du comportementalisme peut être qualifiée d’implicite. Il s’agit d’expérimentations de terrain comparant in vivo des réactions parmi deux échantillons de population ; les uns bénéficient d’un bien ou d’un service, et les autres pas ; ou ils les reçoivent selon des modalités différentes (technique dite de « randomisation »). Les économistes menant ce type d’expérimentations, comme l’économiste française Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et lauréate 2019 du « Nobel » avec les Américains Abhijit Banerjee et Michael Kremer pour leurs travaux sur « l’allègement de la pauvreté globale », prétendent être pragmatiques, même si les présupposés de la première économie comportementale sous-tendent la seconde.

Faible degré d’interdisciplinarité

Dans les tests en laboratoire comme dans les expérimentations de terrain prime le constat chiffré à niveau individuel. Cela au détriment d’une explication, au sens d’une mise en évidence de processus, de logiques de fonctionnement et d’une reconnaissance de déterminations par les particularités socio-économiques et culturelles d’un milieu spécifique. Une caractéristique forte des deux types d’approche du comportementalisme est leur très faible degré d’interdisciplinarité, y compris dans leurs rapports avec les divers courants de la psychologie comme la psychanalyse et de la psychologie sociale.

L’hypothèse centrale de l’argumentation des économistes comportementalistes est la croyance en une uniformité des caractéristiques psychologiques essentielles des humains et des biais qui en résultent dans leurs prises de décisions et dans leurs choix. Le postulat de cette uniformité permet pour les tests devant ordinateurs d’embaucher des étudiants pour leur faire jouer un rôle et d’en tirer des conséquences quant à ce qui serait les choix de vrais chômeurs, de vrais pauvres, de vrais micro-entrepreneurs, de vrais épargnants, ou de potentiels assurés, etc. De même, il est acceptable pour les comportementalistes de mesurer l’impact d’une offre de biens ou services sur la fraction d’une population en la comparant à une fraction similaire qui ne la reçoit pas ou la reçoit sous une modalité différente.

Cette focale sur l’individu (ou au mieux sur le ménage) conduit à une négligence des effets systémiques à échelons intermédiaires (meso) ou globaux des actions humaines. Sont exceptionnellement saisis les effets collatéraux sur le reste de la population. Par exemple, si un prêt est accordé à une partie des entrepreneurs d’une localité, ceux-ci ne capteront-ils pas des clients au détriment de leurs concurrents ne bénéficiant pas d’un prêt ? Et le versement d’intérêts par les emprunteurs n’exerce-t-il pas une ponction financière du fait d’une expatriation de ressources locales ?

Expression d’une bienveillance

La généralisation des résultats obtenus dans ces tests permet l’élaboration de nudges, terme que l’on peut traduire en français par « incitations ». Autrement dit, les individus qui y sont soumis adoptent un comportement jugé positif ou, au contraire, renoncent à un comportement jugé négatif. Ce peut être l’envoi d’un message téléphonique pour rappeler la nécessité de respecter l’échéancier d’un prêt, la prise d’un médicament, l’acquittement d’un impôt, l’absorption d’un médicament ou le respect d’un rendez-vous ; ce peut être la disposition des aliments dans un présentoir, ou un emballage pour diminuer la consommation de produits trop sucrés ou trop salés. Ce peut aussi être l’installation d’un appareil photographique dans des salles de classe pour contrôler la présence de l’enseignant.

Ces interventions visent à améliorer, sans contraintes apparentes, le bien-être de ceux et celles qui en bénéficient. Ces nudges font ainsi une grande partie du succès des comportementalistes lorsque ces derniers parviennent à mettre en évidence les bénéfices de leur utilisation dans différents contextes.

On peut donc voir dans ces travaux l’expression d’une bienveillance. Plus exactement d’une bienveillance qui s’inscrit dans une idéologie néolibérale qui souhaiterait se doter d’un visage plus humain. Plusieurs éléments l’indiquent, comme je le décrypte dans « L’économie comportementale en question », un ouvrage paru aux éditions CLM au printemps 2018.

Études de marché

Par exemple, les propositions des économistes comportementalistes se caractérisent par une prédilection pour une régulation marchande de la production, des échanges et de leur financement. Même lorsque leur expérimentation a pour objet la réduction de la corruption, on constate ce primat du marché étendu à la gestion du champ politique. Les électeurs sont pensés comme des acheteurs de biens et services que la corruption leur ferait acquérir plus cher que leur valeur réelle.

« Économie comportementale : un regard critique », interview de Jean‑Michel Servet pour Xerfi canal, 2018.

Quant aux expérimentations qui concernent la demande potentielle de certains produits ou services, ou des modalités de leur distribution, elles peuvent être vues comme de vastes études de marché dans les pays en développement ou émergents en matière d’offres de microcrédits, de produits pour purifier l’eau, d’installation de compteurs d’eau, de panneaux solaires pour fournir de l’électricité, etc.

Régulation par le marché

Même lorsque la finalité de commercialiser un produit ou un service par une institution marchande à caractère lucratif n’est pas la proposition exclusive, c’est bien ce type d’organisation qui paraît la solution normale et préférable. Elle l’est explicitement par rapport à une gestion étatisée. Pour ce qui est d’une gestion collective délocalisée de ressources communes (ce qu’on appelle les « Communs ») sous contrôle de parties prenantes, elle est tout simplement quasi absente du fait d’une confusion entre bien public et bien commun ainsi que d’une préférence pour les solutions individualisées.

Les comportementalistes ont également tendance à étudier la création des conditions permettant un bon fonctionnement de l’économie (par ailleurs régulée essentiellement par le marché). On le constate dans des centaines d’expérimentations : avec la distribution de moustiquaires (la meilleure santé des populations n’augmente-t-elle pas la productivité des travailleurs ?) ; la diffusion de vermifuge auprès d’écoliers (celle-ci est supposée améliorer leur fréquentation et donc leurs résultats scolaires en vue de leur future qualification), etc.

Les économistes comportementalistes, à travers les objectifs de leurs tests et expérimentations, sont donc les experts d’un État qui n’est pas/plus lui-même producteur de biens et de services, mais dont le rôle est de créer et de soutenir le meilleur fonctionnement possible de la concurrence et du respect de la propriété privée. Capacités d’expertise qui s’étendent aujourd’hui aux organisations multilatérales et bilatérales de coopération comme aux fondations qui jouent le rôle de supplétifs de services publics que les restrictions budgétaires ne permettent plus ou pas d’assurer.

Le retour d’une géopolitique archaïque serait un désastre stratégiqu

23 mercredi Oct 2019

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The Conversation

La Ratification du traité de Münster, Gerard Terboch, 1648. Wikipedia

  1. Nicolas Tenzer

    Chargé d’enseignement International Public Affairs, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

CC BY ND

La tentation d’une normalisation des relations avec le régime russe ne vient pas de nulle part. Elle n’est que la continuation de la pusillanimité de l’Occident devant l’invasion de l’Ukraine et de son absence de toute volonté de mettre fin aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis en Syrie depuis bientôt neuf ans.

Notre incapacité à adopter une position ferme devant les risques dont est porteur l’accord du 1ᵉʳ octobre sur le Donbass et notre entêtetement à croire à des négociations avec la Russie sur la Syrie ne relèvent pas seulement d’une forme d’abandon de nos principes et ne font pas que traduire un retrait stratégique. Ces attitudes s’ancrent dans une vision ancienne de la géopolitique. Certes, du côté de l’Allemagne, on pourra, dans le cas de l’Ukraine, évoquer des intérêts économiques à courte vue, notamment sa défense de l’oléoduc Nordstream 2, danger majeur pour la sécurité énergétique de l’UE et gain stratégique et financier pour le régime russe. Mais c’est d’abord notre conception des relations internationales qui est en cause.

La géopolitique, un concept flou

Parler de géopolitique archaïque mérite quelques explications. L’emploi du terme lui-même, forgé en 1900 par le Suédois Rudolf Kjellén, est régulièrement discuté en raison de l’idéologie de ses premiers penseurs et de son utilisation par le régime nazi. Il renvoie souvent à une vision fondée sur les seuls « intérêts » de l’État et épouse un fort déterminisme géographique, voire historique. Depuis, certains auteurs ont abandonné ce biais en introduisant dans leurs analyses la dynamique des peuples, des éléments de contexte micro-géographiques et une approche plus empirique. On pourra certes conclure que la géopolitique est tout sauf une science exacte et reconnaître que, comme l’écrit Frédéric Lasserre, « il est difficile de théoriser la géopolitique de façon crédible ». Souvent, y compris l’auteur de ces lignes lorsqu’il plaidait pour une conception géopolitique de l’Europe, on utilise aussi le mot géopolitique, faute de mieux, pour faire valoir une conception du monde ou d’une région vus sous l’angle des relations internationales et de la sécurité, et pas seulement de l’économie et des institutions.

Il est révélateur que, consciemment ou non, certains responsables politiques ou analystes de la vie internationale puisent des concepts ou des modes d’argumentation dans le vocabulaire et les axiomes anciens de la géopolitique pour défendre leur point de vue. Car soyons nets : ces concepts permettent de justifier théoriquement, donc idéologiquement, une vision du monde qui leur préexiste. Certes, il n’est guère possible, dans le champ des relations internationales comme dans celui de la politique en général, de prétendre échapper soi-même à ces conceptions portées par des convictions et des valeurs. Mais celles-ci, et c’est inquiétant, peuvent conduire à écarter les faits. Les concepts en question sont notamment ceux de réalisme, de stabilité, d’histoire et d’États. Aucun n’est illégitime, mais leur usage peut être détourné et leur sens corrodé.

Détail du tableau Les Ambassadeurs de Hans Holbein le jeune, 1533. Wikipedia

La querelle du réalisme

Le réalisme est un terme souvent utilisé par certains géopolitologues afin de constater un rapport de puissance à un moment donné. Mais ce réalisme-là n’a que peu à voir avec le réalisme critique de Raymond Aron qui se démarquait des « pseudo-réalistes » : ceux-ci, expliquait-il, adoptent de ce terme une acception théorique et fondée essentiellement sur les seuls rapports de force et ont une vision quintessenciée de la continuité de la politique étrangère des États et de l’intérêt national.

On voit surgir ce réalisme autoproclamé oublieux des menaces chez d’anciens hauts responsables, tels Hubert Védrine, pour qui « il fau[drai]t prendre notre perte […] sur la Crimée et la Syrie » et qui n’hésite pas à étendre ce cynisme défaitiste à l’ensemble de l’Ukraine. Selon cette acception, le réalisme ne cherche aucunement à analyser les menaces qui pèsent sur notre sécurité et sur nos principes. Le réalisme se réduit dès lors à l’acceptation du présent. Mais que vaut un réalisme qui ne part pas, dès le départ, d’une reconnaissance des risques et qui considère, sans la moindre démonstration élaborée, qu’une agression ne peut être contrée ? Un réalisme conséquent suppose au contraire d’analyser les rapports de force en cherchant ce qui peut permettre de les modifier à notre avantage. Chercher à les déplacer suppose de prendre en considération, comme le soulignait déjà Aron, non seulement les forces militaires et la puissance économique, mais aussi la force que peuvent porter la volonté et la mobilisation psychologique des populations.

Faire fond sur de prétendus « intérêts éternels » est également erroné. Ainsi, l’intérêt bien compris de la Russie, économique et de sécurité, serait d’avoir à l’égard de l’Occident une attitude coopérative et non hostile. Ce que le régime défend n’a rien à voir avec de tels intérêts, mais avec une volonté avant tout idéologique de destruction d’un ordre international fondé sur des principes libéraux.

Vladimir Poutine contemple une carte de la Russie dans sa résidence de Novo-Ogarevo, le 11 août 2006. À cette époque, les cartes russes ne contestent pas encore l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine. Dmitry Astakhov/AFP

La stabilité, ou le fixisme géostratégique

Dans cette conception, peu importe l’aspiration des peuples à la liberté. Le droit international, faute de garant résolu, n’aurait guère d’importance puisqu’il ne serait que le résultat momentané de rapports de force qui évoluent régulièrement. L’idée qu’il faille imposer un effet de cliquet à ses progrès afin d’éviter un retour en arrière ne serait qu’une manifestation d’idéalisme et ne contribuerait pas à la stabilité de l’ordre international : d’un côté, il attiserait les revendications de droits ; de l’autre, il empêcherait la puissance de s’exercer pour corriger les erreurs passées. Il serait contre nature. Cette conception archaïque de la géopolitique considère dès lors souvent les protestations – voire les révolutions – populaires comme le premier danger.

Cette défiance s’est notamment exprimée devant ce qu’on a appelé les « printemps arabes » et, plus récemment, l’insurrection pour la liberté à Hong Kong. Ces mouvements sont perçus comme un saut dans l’inconnu. Brandissant les menaces dont ils seraient porteurs, notamment l’islamisme ou le chaos, certains, comme l’ancien président Nicolas Sarkozy, célèbrent la stabilité des régimes et glorifient les hommes forts. C’est aussi au nom de la stabilité que certains estiment qu’Assad, quoique criminel contre l’humanité, représente « la moins pire des solutions », alors que, par le massacre de son peuple, le ciblage délibéré des opposants modérés et la libération des djihadistes de Daech, il constitue en fait le premier facteur d’instabilité de la Syrie. D’autres encore, tels Donald Trump, tiennent le même raisonnement pour l’Égypte et veulent voir dans le président Sissi un rempart contre le terrorisme et contre l’extrémisme islamiste, alors que l’expérience historique montre que les régimes autoritaires alimentent ces phénomènes.

Cet éloge de la stabilité à tout prix va de pair avec une autre constante de cette ancienne géopolitique : le relativisme culturaliste. Dans cette conception du monde, certains pays, en raison de leurs traditions, de leurs structures sociales ou de leurs religions, ne seraient jamais mûrs pour la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Il n’est pas fortuit qu’un think tank proche du régime russe défende ainsi, dans son intitulé même, le « dialogue entre les civilisations », chacune étant supposée avoir sa propre voie de développement. Cette ancienne géopolitique a un ennemi : l’universalisme.

L’histoire magnifiée et écartée

Cette stabilité, selon la vulgate de ces autoproclamés réalistes, ne proviendrait que d’un accord entre les Grands pour se partager des zones d’influence. Quant à l’histoire longue, elle serait mise au service d’une vision « continentale » dont seraient logiquement exclues les révolutions pour la liberté, notamment celles qui ont conduit à l’autonomie des pays d’Europe centrale et orientale et à l’indépendance des pays de l’ancienne URSS, de même que les mouvements luttant pour la préservation de l’indépendance de Taïwan et de l’autonomie de Hong Kong par rapport à la Chine continentale.

Sans toujours en percevoir la portée, certains dirigeants privilégient ainsi l’histoire longue de la Russie ou de la « Chine éternelle », de même qu’ils expliquent l’Iran par l’héritage perse ou la Turquie par celui de l’Empire ottoman. Que des responsables politiques de ces pays utilisent et détournent ces réminiscences historiques à des fins de propagande, comme l’a bien montré Bruno Tertrais, est une chose ; que d’autres, politiques ou journalistes, chez nous, leur donnent un certain crédit en est une autre.

Dans cette vision éternitariste de la politique, là aussi, curieusement, à force de trop compter, l’histoire ne compte plus du tout. Revenue à un temps antérieur à l’École des Annales, les aspirations populaires, le mouvement des idées et leur impact sur la pensée, les différences au sein des pays, sont écartés au profit d’une vision géographique propre aux débuts de la géopolitique. Cette vision essentialise par exemple les luttes sectaires pour expliquer les rivalités du Moyen-Orient, sans voir qu’elles n’en fournissent pas une explication globale et sont instrumentalisées.

Petites nations contre grands États

Dans cette vision, outre les peuples, les « petites nations » dont parlait Kundera n’auraient qu’un droit résiduel de cité. Elles ne seraient qu’un obstacle pour la paix, des « problèmes » qui ne pourraient que faire obstacle aux « grands accords » si elles manifestaient par trop leur volonté. Comptent d’abord les grands pays. Seules les positions des principales puissances devraient être prises en compte dans cette « géopolitique » cruelle et, pour tenter d’empêcher un affrontement généralisé, le sacrifice des « petits » pourrait être nécessaire, y compris au profit d’États qui ne partageraient pas nos idéaux. D’une certaine manière, ce qui s’est passé en Europe entre 1989 et 1992 serait oublié, voire effacé – y compris parfois au sein de ces nations elles-mêmes –, au profit de l’histoire exclusive des « grandes nations » et cet héritage de l’émancipation du communisme, qui passait forcément par l’affirmation nationale, ne serait que marginal par rapport à une prétendue « grande histoire ».

Carte postale de propagande nazie de 1939 proclamant. Wikipedia

Cette vision illibérale et arrogante se manifeste régulièrement et l’Ukraine, qui n’est pas exactement une petite nation, paraît parfois considérée comme un obstacle ou un facteur d’irritation. On voit poindre chez certains politiques la tentation implicite d’une naturalisation des appartenances : la Crimée, voire l’Ukraine, seraient « naturellement » russes et certains, y compris des opposants à Poutine et certains journalistes, convoqueront de manière contestable l’histoire pour s’opposer au droit.

Une telle vision « géopolitique » ne peut qu’aller dans le sens du Kremlin qui, comme Timothy Snyder l’a magistralement montré dans The Road to Unfreedom, promeut cette conception ethno-naturaliste de l’histoire russe en bannissant la considération de la volonté personnelle au profit d’ensembles territoriaux déshumanisés. Le pouvoir russe, nationaliste et autoritaire, n’a eu de cesse de contrer les revendications nationales lorsque celles-ci s’appuyaient sur le désir de liberté. En revanche, ce même pouvoir russe n’a jamais hésité à reprendre à son compte un discours fondé sur la « nature » du peuple russe, voire sur son caractère ethnique, pour englober les populations qu’il entendait assimiler. Cette conception s’étend logiquement à la religion – l’orthodoxie dont le régime nie au passage la diversité – et à la langue, comme l’avait déjà fait Hitler au moment de la crise des Sudètes. Dans le cas de l’Ukraine, les russophones du Donbass et de Crimée seraient réputés favorables au régime alors même qu’une majorité d’entre eux se sentent ukrainiens pour des raisons politiques, bien qu’ils parlent d’abord le russe.

Non seulement la pénétration accrue dans les esprits des dirigeants de l’Ouest de cette vision géopolitique ancienne serait désastreuse pour les peuples en lutte pour la liberté, mais elle menacerait aussi les pays européens. En se montrant compréhensif envers le discours des États autoritaires, voire en reprenant leurs thèmes de propagande – ces grands États auraient été « humiliés » par ceux qui résistent à leurs coups de force et il faudrait « respecter » leurs régimes en raison de l’histoire –, c’est précisément l’histoire des luttes pour la liberté et les conquêtes du droit qu’on efface. Au nom de l’histoire longue, on annihilerait celle du présent. Penser que les démocraties pourraient survivre en étant entourées d’États ayant voué à la mort les principes libéraux est une illusion tragique. Et cette histoire ainsi annoncée, selon les mots de Hegel, ne serait qu’un charnier.

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