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Archives Mensuelles: janvier 2020

Les villes africaines vont-elles exploser ?

31 vendredi Jan 2020

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The Conversation

  1. Irène Salenson

    PhD, chargée de recherches, Agence française de développement (AFD)

AFD (Agence française de développement)

 

CC BY ND
Lagos, Nigeria, le 16 décembre 2019. Pius Utomi Ekpei/AFP
 

On décrit, parfois avec effroi, l’explosion de mégapoles comme Lagos ou Kinshasa, qui compteront plus de 20 millions d’habitants en 2030. Il est vrai que le taux de croissance de la population urbaine africaine est l’un des plus forts du monde – 4 % par an en moyenne entre 1960 et 2010 – et il devrait continuer à être supérieur à celui des autres régions d’ici à 2050.

Une idée reçue : l’Afrique vit un exode rural massif

Pourtant, l’urbanisation africaine se réalise aujourd’hui principalement dans les campagnes et dans les villes petites et moyennes, comme le montre la base de données Africapolis récemment publiée par le Club du Sahel et l’OCDE. Contrairement à ce qu’on imagine, les bourgs ruraux deviennent des villes en se densifiant, et sans grignoter massivement les terres cultivées et irriguées.

En outre, les campagnes ne se dépeuplent pas. Dans certains pays, la population rurale a même augmenté plus rapidement que la population urbaine entre 1990 et 2010 (Égypte, Liberia, Maurice, Zambie, Eswatini). Il n’y a pas d’exode rural massif. Ainsi, dans 22 pays d’Afrique, les deux tiers de la croissance urbaine sont alimentés par les naissances d’enfants de citadins, et non pas par des migrations des campagnes vers les villes. Entre 2010 et 2014, l’indice de fécondité en ville était supérieur à 5 enfants par femme au Mali, au Niger, au Nigeria, en République démocratique du Congo et au Burundi.

Par ailleurs, un phénomène important en Afrique est la transformation de camps de réfugiés en villes. Le camp d’Iriba au Tchad compte à lui seul plus de 141 000 réfugiés du Darfour, la taille d’une vaste agglomération. Lorsque les camps sont éloignés des principaux lieux d’activité économique, l’avenir de leurs habitants est préoccupant.

Un immeuble à Abidjan, juin 2000. Issouf Sanogo/AFP

La croissance urbaine africaine n’est pas synonyme d’étalement spatial au sens de dilution. Dans le monde, les pays riches connaissent un étalement urbain dû à la réduction de la taille des ménages et à l’augmentation du niveau de vie. Ainsi, entre 1990 et 2015, les surfaces bâties se sont accrues de 18,5 % en Europe, tandis que la population n’augmentait que de 1,6 %, ce qui aggrave l’empreinte écologique des villes européennes.

Durant la même période, les villes africaines devenaient plus compactes. En 1990, dans les grandes villes africaines, la densité moyenne de population était de 5 500 habitants/km2 ; elle est de 6 000 habitants par km2 en 2015 (contre 2 500 habitants par km2 à Los Angeles). Cette densification est en grande partie due aux « modes d’habiter ». Selon la Banque mondiale, en 2017 la moitié de la population d’Abidjan (Côte d’Ivoire) et le tiers de la population de Dar es-Salaam (Tanzanie) vivent en moyenne à 3 habitants par pièce.

Multiplication des mégapoles et création de villes nouvelles

Le nombre de grandes métropoles a quand même été multiplié par 10 entre 1970 et 2015 : le nombre des villes de plus de un million d’habitants est passé de 4 à 41 et elles devraient être 67 en 2030. L’Afrique compte aujourd’hui 3 mégapoles (plus de 10 millions d’habitants) : Le Caire, Lagos et Kinshasa. En 2050, 3 autres dépasseront ce seuil : Dar es-Salaam, Johannesburg et Luanda.

Johannesburg, Afrique du Sud, 2017. Mark Hillary/Flickr, CC BY-SA

En raison du rythme élevé de la croissance démographique, ONU-Habitat estime les besoins en Afrique à 4 millions de logements supplémentaires chaque année. Si ceux-ci ne sont pas fournis par une offre formelle et planifiée, ils se développent par auto-construction. C’est pourquoi la population des bidonvilles africains a plus que doublé entre 1990 et 2014, passant de 200 millions à 456 millions d’habitants.

Or, les pays dont la majorité (plus de 80 %) des citadins habite dans des quartiers précaires sont les États les plus pauvres : Soudan, République centrafricaine, Tchad, Mauritanie, Madagascar. Certains de ces pays ont subi des crises politiques, l’État dispose de peu de ressources financières. La probabilité pour que leurs gouvernements réussissent à mettre en place une planification rationnelle anticipant l’ensemble des besoins en logements est très faible. L’un des grands défis de la planification urbaine en Afrique est donc l’intégration au reste de la ville des quartiers dits « informels » – c’est-à-dire leur normalisation. Les politiques répressives vis-à-vis de ces quartiers renforcent les inégalités et l’exclusion. Elles sont souvent inefficaces, puisque le développement de ces quartiers répond à des besoins essentiels pour les populations.

Une autre piste encore est la réalisation de polarités secondaires en périphérie des grandes métropoles, voire la création de villes nouvelles, afin d’éviter l’étalement urbain. Le pays précurseur pour les villes nouvelles modernes est l’Égypte. 22 cités ont été construites entre 1977 et 2000, avec des fortunes variables : cités-dortoirs mais aussi embourgeoisement dans le Grand Caire, villes désertes dans le désert.

Au début des années 2000, le Maroc a à son tour lancé la planification d’une dizaine de villes nouvelles, destinées aux classes populaires et aux classes moyennes. En Algérie et en Angola, d’immenses villes nouvelles ont pu voir le jour grâce aux revenus pétroliers et à la construction à bas coût par des entreprises chinoises. D’autres villes nouvelles visent explicitement les classes aisées, parfois en association avec des parcs de haute technologie, comme Sidi Abdellah en Algérie, Diamniado au Sénégal, Hope City au Ghana, Eko Atlantic City au Nigeria ou Konza Technology City au Kenya.

De nombreux observateurs soulignent le fait que ces villes nouvelles récentes n’attirent pas massivement les populations, en particulier lorsqu’elles sont éloignées des lieux d’emploi et mal desservies, contrairement à ce qui était annoncé par les gouvernements. Cependant, il faut comprendre que ces grands projets servent également à thésauriser des capitaux, dans un contexte de fiabilité limitée du système bancaire, et à entretenir une bulle spéculative.

Construction du district financier (au premier plan) et d’un complexe résidentiel (à l’arrière-plan) dans la nouvelle capitale administrative égyptienne, à quelque 50 km à l’est du Caire, le 8 mars 2019. Pedro Costa Gomes/AFP

La nécessaire implication des États

Si elles en ont les moyens, les autorités publiques peuvent lancer d’importants programmes de construction de logements sociaux. En revanche, si elles laissent libre champ au secteur privé de la promotion immobilière, ce dernier, dans une recherche de rentabilité, offrira peu de solutions pour les populations peu solvables, qui constitueront pourtant la majorité des citadins africains de demain. Une partie des villes nouvelles et gated communities de dernière génération abritera alors uniquement les classes aisées, ce qui risque de renforcer la ségrégation spatiale et les inégalités, tout en ayant un impact négatif pour le climat et l’environnement (les quartiers aisés sont souvent plus consommateurs d’espaces).

Des Français beaucoup plus solidaires qu’on ne le croit

30 jeudi Jan 2020

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The Conversation

 

  1. Pierre Bréchon

    Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs fondateurs The Conversation France

 

CC BY ND
Des travailleurs de l’association Andes, un réseau d’épiceries solidaires. Martin Bureau/AFP
 

Beaucoup de lieux communs sur les Français, véhiculés par l’opinion et les médias, méritent discussion. L’idée d’un Français, toujours mécontent, exaspéré à la fois par le gouvernement et par toutes les élites politiques, est plutôt confirmé par les sondages d’opinion.

Mais qu’en est-il de l’affirmation omniprésente d’une montée de l’individualisme ? L’idée que chacun ne penserait plus qu’à lui-même et défendrait toujours et avant tout ses propres intérêts, sans se soucier des autres, est une idée fausse.

Pour arriver à cette conclusion, je me suis appuyé sur des enquêtes quantitatives faites auprès d’échantillons représentatifs de la population, ce qui permet de mesurer, avec une certaine objectivité, l’état des opinions et des valeurs dans un pays.

J’utilise ici – pour la France – un des grands standards des enquêtes européennes sociopolitiques, la European Values Study, réalisées tous les neuf ans depuis 1981 et dont la dernière étude date de 2018.

Les Français se sentent-ils solidaires d’autrui ? L’altruisme se renforce-t-il ou est-il en recul ?

La générosité, qualité phare pour 44 % des Français

Au cours du questionnaire, onze qualités ont été présentées aux participants, leur demandant d’en citer jusqu’à cinq qui seraient selon eux les plus importantes à encourager chez les enfants. 44 % des répondants ont cité la générosité – en 5e position du palmarès – contre 40 % en 1990, 41 % en 1999, 39 % en 2008. Cette qualité semble donc un peu plus soutenue qu’avant. Sans être aussi plébiscitée que la tolérance et le respect d’autrui (85 %), les bonnes manières (74 %), le sens des responsabilités (64 %), la détermination (46 %).

L’enquête pose aussi depuis 1999 une série de questions pour mesurer le degré d’altruisme des enquêtés : se sentent ils concernés par les conditions de vie de leurs concitoyens ?

Selon le graphique 1 que nous observons, neuf catégories de personnes sont prises en compte, cinq de nature géographique (solidarité avec les gens vivant à proximité ou très loin), quatre de nature sociale (solidarité avec des catégories plus ou moins défavorisées).

Graphique 1 sur la solidarité. La France des valeurs

L’altruisme envers les défavorisés est beaucoup plus fort qu’à l’égard des habitants d’une aire géographique donnée. Notons cependant que la solidarité avec les immigrés est nettement moins affirmée qu’à l’égard des personnes âgées ou des malades et handicapés.

Le graphique 1 montre aussi très clairement qu’en 2018 les pourcentages sont croissants pour quasiment toutes les catégories.

Un altruisme semblable selon l’âge et le genre

Ces chiffres témoignent de la montée des valeurs altruistes dans notre société, qu’on peut confirmer en construisant un indice unique d’altruisme, ci-dessous.

Graphique 2 : Indice d’altruisme. La France des valeurs

L’indice d’altruisme est construit par addition des réponses aux neuf indicateurs précités. L’enquêté pouvant répondre en 5 modalités, de beaucoup (1) à pas du tout (5), l’indice va de 9 à 45. Il est découpé en deux catégories égales pour 2018.

De 1999 à 2008, le niveau global d’altruisme était stable. C’est en fait dans la dernière décennie qu’il se développe. De 2008 à 2018, alors que la crise et la récession économique ont sévi, on aurait pu s’attendre à un repli des individus sur eux-mêmes. C’est l’inverse que l’on observe : la mise en évidence des problèmes sociaux a plutôt renforcé la compassion pour autrui.

Cet indice d’altruisme permet aussi de mieux comprendre le « souci des autres » en observant quelles sont les catégories les plus et les moins altruistes. On n’observe aucune différence de genre, ce qui dément le stéréotype selon lequel les femmes font preuve de plus de compassion que les hommes.

Il est aussi très intéressant de constater que les différences par âge tendent à disparaître. Alors que les 18-29 ans étaient moins altruistes que les autres générations en 2008, ils sont aujourd’hui au même niveau.

En revanche, le niveau d’éducation joue un rôle très important : si 43 % des personnes ayant un faible niveau scolaire font preuve d’un fort altruisme, c’est le cas de 65 % des personnes ayant un niveau scolaire supérieur au baccalauréat.

À travers l’éducation, c’est à la fois les capacités de raisonnements et l’esprit critique qui se transmettent, mais aussi le souci d’autrui et la curiosité pour ce qui se passe en France et dans le monde.

L’enquête confirme par ailleurs que plus on s’intéresse à la politique, plus on tend à être altruiste.

Confiance à autrui

L’altruisme va aussi de pair avec la confiance spontanée aux autres (qui n’est pourtant pas très forte en France). Il est aussi lié à l’adhésion à des associations (tendance stable, autour de 40 % de la population) et par la pratique du bénévolat : ainsi 22 % des habitants en France ont effectué du travail bénévole au cours des 6 derniers mois.

Cette forme d’engagement serait d’ailleurs en hausse sensible selon France Bénévolat.

La confiance à autrui est un élément déterminant : chez les personnes les plus méfiantes, le niveau d’altruisme est de seulement 31 % contre 75 % pour les plus confiants.

Plus on est sociable, plus on participe à des réseaux d’entraide ou simplement à des actions collectives, culturelles ou de loisirs, plus augmente aussi notre « souci des autres », notre degré d’attention envers eux (graphique 3). La participation associative et le bénévolat dépendent peu de l’âge, mais beaucoup plus du niveau d’éducation et de la situation sociale.

Graphique 3 : Niveau d’altruisme selon la confiance à autrui et la participation protestataire. La France des valeurs

Politique et religion

L’altruisme est fortement lié aux orientations politiques des individus. Il est de 70 % chez les personnes les plus à gauche (niveau 1 et 2 d’une échelle en 10 positions) et de 40 % à droite (niveau 9 et 10). Il est plus affirmé chez ceux qui dénoncent les fortes inégalités de revenus. Il est aussi plus développé chez ceux qui s’impliquent dans différents types d’actions (pétitions, manifestations, boycotts, grèves).

Chez les plus protestataires, 67 % sont classés comme altruistes. L’altruisme peut donc être lié à des attitudes de citoyens critiques et engagés, qui sont fréquentes dans notre pays, comparé à d’autres parties de l’Europe.

Du point de vue religieux, l’altruisme est surtout développé chez les musulmans (65 %) et les catholiques pratiquants réguliers (62 %).

L’altruisme est donc aussi renforcé par les préceptes religieux appelant à l’amour du prochain et à des actes de charité. Les motivations de l’altruisme peuvent être très diverses, aussi bien religieuses que politiques !

On peut bien sûr remarquer que témoigner d’une forte compassion pour autrui ne se traduit pas forcément par des comportements et des actes altruistes et que, d’une manière générale, les individus sont plus facilement solidaires de causes ou personnes leur étant proches.

Délicat passage à l’acte

Selon un sondage IFOP de 2016, deux tiers des Français se disaient altruistes ; or la même proportion estimait aussi que leurs compatriotes n’aidaient pas beaucoup leur prochain.

Ainsi ces affirmations altruistes témoignent en partie d’une volonté de se présenter de manière positive : il est plus facile de se dire généreux qu’égoïste. Et aussi assez facile de dénigrer les autres !

Mais un sondage Ipsos de 2015, montrait que beaucoup avaient mauvaise conscience de ne pas être plus solidaires, l’altruisme étant perçu comme une source de contacts enrichissants : en aidant, on trouve aussi de la satisfaction et de la réalisation personnelle.

Trouver des données permettant de mesurer l’altruisme en actes est cependant un exercice complexe. Les déclarations fiscales permettent une mesure très objective mais cantonnée à un certain type d’altruisme.

Les dons, révélateurs d’une tendance générale

En étudiant ces dernières, on observe que 5 millions de ménages déclarent un ou plusieurs dons, ce qui représente 21 % de l’ensemble des foyers fiscaux qui payent des impôts.

Si la tendance est à la baisse, elle révèle cependant que le don par foyer est plus important qu’avant, soit 507 € en moyenne en 2018 contre 404 € en 2013.

Ceux qui ont davantage de revenus donnent nettement plus que ceux qui en ont moins, ce qui est d’autant plus logique que les dons donnent droit à des déductions fiscales. Mais, rapporté à leur niveau de vie, l’effort contributif semble à peu près de même ampleur selon les catégories.

C’est particulièrement net pour les jeunes de moins de 30 ans : ayant de faibles revenus, leurs dons moyens sont moins élevés mais leur effort contributif est aussi important que celui les plus riches. Les dons concernent principalement deux secteurs : l’aide à la recherche médicale et l’action humanitaire et caritative.

Au final, la thèse d’une montée de l’individualisme, qui se voudrait une conséquence inévitable de la modernité, n’est pas confirmée.

Avec le développement du niveau de vie et l’émergence d’une société de la connaissance, les Français semblent capables de se montrer désormais plus altruistes et généreux, notamment quand les causes les touchent. En témoignent ces jours-ci les montants assez conséquents des caisses de grèves.

« La finance a besoin de plus de superviseurs », conversation avec Joseph Stiglitz

29 mercredi Jan 2020

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The Conversation

  1. Gunther Capelle-Blancard

    Professeur d’économie (Centre d’Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

  2. Anne-Laure Delatte

    Directrice Adjointe au CEPII, responsable du programme de recherche Macroéconomie et finance internationales, CEPII

CEPII

 

CC BY ND
L’économiste américain était l’invité de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en octobre 2019. Univ-paris1.fr

Joseph Stiglitz, lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2001, était l’invité d’une conférence exceptionnelle à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur le thème « finance et société ». Interrogé par Gunther Capelle-Blancard, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Anne-Laure Delatte, conseiller scientifique au CEPII, et les étudiants de l’École d’économie de la Sorbonne, il a notamment été question du rôle et de la place de la finance, de la taxation des transactions financières et de la finance durable. Voici un bref résumé des échanges.


Dans votre nouvel ouvrage, vous vous livrez à une analyse profonde des problèmes économiques et sociaux actuels, et de ses causes. Il y est notamment question de la finance, qui « a éminemment contribué à créer le malaise économique, social et politique actuel »…

Ces dernières décennies, la part du secteur financier dans le PIB est passé de 2,5 % à 8 % aux États-Unis. Il est certes impossible d’avoir une économie qui fonctionne bien sans un système financier efficace. Mais l’essor du secteur bancaire et financier ne s’est pas traduit par une économie plus performante. Nous avons dû subir en 2008 une grave crise financière, et ces dernières années ont été marquées par une croissance faible et une forte hausse des inégalités. Pendant ce temps, les salaires dans la finance ont considérablement augmenté, et les banques se sont rendues coupables de pratiques abusives, en particulier auprès des populations les plus pauvres.

« Depuis 2008, les salaires dans la finance ont considérablement augmenté ». Univ-paris1.fr

L’essentiel du débat porte sur la régulation et vise à limiter les préjudices causés par le secteur financier. Mais presque personne ne parle d’un point pourtant fondamental : quelle est l’utilité du secteur financier ? Il faut revenir aux fonctions essentielles, à savoir collecter l’épargne des ménages et fournir des financements aux entreprises pour qu’elles puissent croître et créer plus d’emplois.

Le secteur bancaire et financier n’a pas rempli correctement ses fonctions. Les autorités de régulation ont également failli. En Europe, avant la crise, le président de la Banque centrale européenne d’alors, Jean‑Claude Trichet, s’inquiétait de salaires trop élevés, et son successeur Mario Draghi un poids excessif de l’État providence. Mais la crise n’est pas due à de salaires trop élevés ou à un État trop fort !

On parle beaucoup depuis la crise du poids excessif de la finance. Dans une société idéale, faudrait-il davantage de banquiers ou d’ingénieurs ? Avez-vous un message particulier à adresser aux étudiants qui se destinent à travailler dans la finance ?

Une société a besoin des deux, des banquiers et d’ingénieurs. Mais surtout, il faudrait davantage de superviseurs.

Si j’ai un message à faire passer, c’est au sujet de la turpitude dans le milieu bancaire. Une étude en économie expérimentale montre que les individus, lorsqu’ils revêtent leurs habits de banquiers, deviennent malhonnêtes.

L’expérience est la suivante : vous lancez un dé et devez annoncer le résultat obtenu que vous êtes le seul à observer ; vous recevez alors le montant indiqué par le dé. Si vous annoncez que le dé tombe sur 1 vous gagnez 1 dollar, sur 2, vous gagnez 2 dollars et ainsi de suite sauf pour 6 où vous ne gagnez rien. Cette expérience a été réalisé à de nombreuses reprises et les individus ont en général tendance à mentir sur le résultat. Mais surtout l’étude montre que c’est encore plus vrai pour les individus qui se présentent comme banquiers.

Il y a 30 ans déjà, vous avez publié un article de référence sur la taxation sur les transactions financières. Quelle est votre opinion sur ce sujet aujourd’hui ?

Un des principes de base de la fiscalité est qu’il vaut mieux taxer les mauvaises choses que les bonnes ; c’est pourquoi il vaut mieux avoir des taxes sur la pollution que taxer le travail, par exemple. Il faut créer des effets incitatifs tout en décourageant les mauvais comportements. Et puis, l’un des effets positifs est bien sûr de collecter des recettes pour financer les dépenses publiques.

Par ailleurs, une grande partie de l’activité sur les marchés financiers est improductive, voire néfaste. C’est le cas notamment du trading à haute fréquence, qui peut totalement désorganiser les marchés boursiers, comme en 2010 où des milliers de milliards de dollars ont été effacés de la bourse américaine en quelques minutes, sans que cela ne repose sur quoi que ce soit de concret…

J’ai fait partie d’une commission constituée après ce flash crash, où j’ai proposé de mettre en place une règle simple pour enrayer ce phénomène en fixant la durée minimale des ordres de bourse à dix millisecondes. On m’a alors répondu : « tu veux retourner à l’âge de pierre ? »

« On m’a accusé de vouloir retourner à l’âge de pierre lorsque j’ai proposé de fixer la durée minimale des ordres de bourse à dix millisecondes ». Univ-paris1.fr

Il n’y aucune utilité sociale dans le fait d’avoir des marchés qui vont si vite. Aucune décision rationnelle ne se prend en une milliseconde, ou même en dix. Une taxe sur les transactions financières bien conçue pourrait corriger cette situation. Je pense qu’il y a des chances que cette mesure soit mise en place si un président démocrate arrivait au pouvoir. Ne serait-ce qu’en raison des recettes possibles. L’estimation est que cette taxe générerait environ 800 milliards de dollars de recettes aux États-Unis entre 2019 et 2028… Ce n’est pas immense, mais c’est mieux que rien. Vous pouvez déjà faire beaucoup avec cet argent.

Pour conclure, pouvons-nous faire confiance aux banques dans la lutte contre le changement climatique ?

L’un des rares avantages du changement climatique est que si Manhattan devait finir sous les eaux, ce serait la fin de Wall Street ! C’est une boutade évidemment…

Plus sérieusement, de nombreuses initiatives sont à saluer. Les banques commencent à orienter leurs activités pour répondre au défi du changement climatique, même si cela risque de prendre du temps ; les obligations « vertes » (green bonds) vont également dans la bonne direction ; les banques centrales commencent à s’intéresser au risque systémique engendré par l’exploitation des énergies fossiles ; plusieurs pays exigent désormais que les entreprises et les fonds de placement communiquent sur le risque carbone ; enfin, il faudrait des banques publiques « vertes », car il est probable que le secteur privé n’agisse pas assez vite. L’État de New York en a d’ailleurs créé une, et celle-ci fonctionne très bien.

Version intégrale de la conférence de Joseph Stiglitz à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 23 octobre 2019.

Cet article a été co-écrit avec la participation des étudiants du Master CIEF (Communication et information économique et financière) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Où sont passées les 400 millions de tonnes de CO₂ rejetées par les incendies australiens ?

28 mardi Jan 2020

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The Conversation

 

Le 9 janvier 2020, la Nasa capture les images des incendies ravageant l’île Kangourou, située au sud de l’Australie. Nasa

uteursCathy Clerbaux

  1. Directrice de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Sorbonne Université

  2. Pierre Coheur

    Professeur, chimie de l’environnement, Université Libre de Bruxelles

Déclaration d’intérêts

Cathy Clerbaux a reçu des financements du CNES (Centre d’Etudes Spatiales), France, et du programme européen H2020 (ERC-advanced IASI-FT) pour financer les travaux de recherche de son équipe

Pierre Coheur receives funding from ESA and Belspo (Prodex arrangements) and EUMETSAT (ACSAF project). He is also supported by the Fondation ULB.

Partenaires

Sorbonne Université

Université Libre de Bruxelles

AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

CC BY ND
 

Après des mois de temps exceptionnellement chaud et sec, des centaines d’incendies ont carbonisé une superficie de l’Australie dépassant les 10 millions d’hectares, soit trois fois la surface de la Belgique. Des milliers de maisons ont été détruites et on déplore, selon un dernier bilan, une trentaine de morts.

Outre les dégâts incommensurables causés à la faune et à la flore, les feux émettent également une quantité massive de gaz et de particules dans l’atmosphère. Vu de l’espace, le spectacle est impressionnant : en deux semaines, depuis le 31 décembre 2019, les fumées portées par les vents ont fait le tour de la Terre et sont revenues près de leur point de départ, dans la région de Sydney.

Monoxyde de carbone mesuré par la mission satellite IASI dans les fumées des feux australiens, entre le 03 et le 13 janvier 2020. Plus la couleur est foncée, plus la concentration de CO est élevée. Maya George/LATMOS/IPSL

L’atmosphère sous surveillance

Notre équipe surveille la composition de l’atmosphère en continu depuis 13 ans, grâce à IASI, un instrument exceptionnel embarqué à bord des satellites Metop. Ces satellites météorologiques surveillent l’atmosphère depuis une orbite polaire, à environ 800 km d’altitude ; ils passent matin et soir à chaque endroit du globe.

IASI est ce qu’on appelle un spectromètre à transformée de Fourier, enregistrant le rayonnement infrarouge émis par la surface de la Terre. Quand ce rayonnement traverse l’atmosphère, il interagit avec les molécules qui se trouvent sur le trajet, entre le sol et le satellite. Si le ciel est clair, l’analyse du signal reçu fournit une information des concentrations des gaz à l’endroit de la mesure ; si le ciel est nuageux, l’observation n’est possible qu’au-dessus du nuage.

Comme chaque gaz possède une signature spécifique, un peu comme un code barre pour un article de supermarché, les passages successifs du satellite permettent de surveiller, depuis l’espace, les gaz qui se déplacent autour du globe. Les trois instruments IASI fournissent plus de 3,5 millions d’observations chaque jour. Si vous mettez 10 minutes à parcourir cet article, ce sont plus de 25 000 observations à analyser qui se seront accumulées pendant ce laps de temps…

Une mesure de l’instrument IASI à partir de laquelle on peut estimer les concentrations des gaz qui composent l’atmosphère à l’endroit de la mesure. Chaque molécule de gaz a une signature qui lui est propre dans l’infrarouge. Maya George/LATMOS/IPSL

Des feux partout

Nous disposons désormais d’une base de données colossale qui nous permet de suivre, au jour le jour, à la fois les émissions de gaz observées de manière fréquente ou récurrente (pics de pollution, gaz à effet de serre, surveillance de la couche d’ozone en Antarctique) et les évènements qui se produisent à des endroits et des moments inattendus, comme les éruptions volcaniques ou les grands feux.

Pour les méga-incendies, les cartes des six derniers mois montrent une situation exceptionnelle, avec différentes régions du globe en proie aux flammes durant des semaines : outre les feux récurrents dans les régions qui pratiquent l’agriculture sur brûlis – Afrique et Indonésie tout particulièrement –, les observations quotidiennes montrent des fumées consécutives aux feux dévastateurs de 2019 qui ont eu lieu dans les régions boréales en juillet-août, en Amazonie entre août et octobre, et en Australie depuis septembre.

Que voit-on par satellite ?

La composition de l’air que nous respirons est bien connue des scientifiques : il s’agit essentiellement d’azote et d’oxygène (à 99,9 %) ; avec des concentrations bien moindres, on retrouve aussi des quantités significatives de gaz comme la vapeur d’eau (H20), le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), les oxydes d’azote (NOx), l’ozone (O3), le monoxyde de carbone (CO), etc. Ils constituent « le fond de l’air » et, comme ils interagissent avec la radiation infrarouge, ils sont visibles sur les données du satellite.

Ce qu’on peut observer depuis l’espace, c’est qu’en plus des cendres et du carbone-suie (particules), les feux de végétation émettent un cocktail de gaz toxiques qui peut varier en fonction du type de végétation brûlée (forêt, savane, toundra, broussailles, etc.). Ces fumées composées de gaz et de particules se déplacent ensuite au gré des vents, plus ou moins loin selon leur persistance dans l’atmosphère et leur altitude d’injection.

Les panaches de fumée sont principalement composés de CO2 et de CO – deux gaz directement lié à la combustion – et de particules (suies). Une multitude d’autres composés sont aussi présents (HCN, NH3, composés organiques volatiles, etc.), mais certains restent moins longtemps dans l’atmosphère et ne sont vus du satellite que tout près des feux.

À quelle altitude s’échappent les fumées ?

Durant la première semaine de janvier 2020, une succession exceptionnelle de « nuages de feu » a été observée. Les scientifiques utilisent le terme pyrocumulonimbus pour désigner ces nuages gigantesques qui s’élèvent parfois au-dessus des panaches de fumée des feux ou des éruptions volcaniques.

Vue des fumées australiennes depuis la Station spatiale internationale, le 4 janvier 2020. NASA

La formation de pyrocumulus requiert que les feux brûlent suffisamment pour créer un courant d’air surchauffé qui s’élève très rapidement. Lorsque l’air chaud monte et se répand, il se refroidit, ce qui entraîne la condensation de la vapeur d’eau et la formation de nuages. Dans certaines conditions, de puissants courants ascendants peuvent créer des nuages qui s’élèvent sur plusieurs kilomètres et se transforment en véritables orages lorsqu’ils atteignent le sommet de la troposphère – transformant un pyrocumulus en pyrocumulonimbus. Ces orages présentent de sérieux risques pour les pilotes d’avion en raison des fortes turbulences, et peuvent rendre les feux encore plus incontrôlables en créant des « tornades de feu ».

Les nuages de feu ont fait monter les fumées à des hauteurs inhabituelles dans l’atmosphère, comme l’a confirmé le satellite Calipso qui a observé des particules liées aux feux entre 15 et 19 kilomètres, notamment le 6 janvier 2020. À cette altitude, les suies sont transportées très efficacement par le courant-jet (jet-stream) – un vent rapide et confiné qui se déplace d’ouest en est. Il s’agit d’une sorte de « couloir aérien » qui explique que pour un vol Paris-New York l’aller prendra 45 minutes de plus que le retour !

Jusqu’où les panaches de feux peuvent-ils aller ?

Un élément de compréhension important est que tous les gaz n’ont pas la même persistance dans l’atmosphère. Pour un gaz donné, celle-ci dépend de sa capacité à réagir avec d’autres gaz (réaction chimique), à être détruit par le rayonnement solaire (réaction photochimique) ou à se redéposer sur le sol (dépôt sec ou humide).

Certains gaz sont très réactifs et sont détruits en quelques secondes ou quelques minutes. Même s’ils sont émis en concentration élevée, ils sont détruits quasi instantanément et sont, pour la plupart, invisibles depuis l’espace. D’autres gaz restent quelques heures ou quelques jours. Ils sont détectables par les satellites mais uniquement à proximité immédiate de la source d’émission. Certains gaz, quant à eux, persistent dans l’atmosphère plusieurs mois ou plusieurs années, ce qui leur permet d’être transportés loin de leur source d’émission.

Carte des vents au 8 janvier 2020. Pour faire le tour de la Terre d’ouest en est, les fumées consécutives aux feux australiens ont pris deux semaines. Earth wind map

Selon les vents dominants, faire le tour de la Terre leur prendra entre deux et quatre semaines, ce qui est facilement observable par nos instruments puisque nous disposons des cartes deux fois par jour. C’est le cas du CO (dont la durée de vie est d’environ deux mois) et du CO2 qui reste plusieurs dizaines d’années dans l’atmosphère. Mais l’équateur agit comme une sorte de barrière dynamique qui empêche les masses d’air de l’hémisphère Nord de se mélanger avec celles de l’hémisphère Sud (et vice et versa).

Les gaz à effet de serre constituent une exception car leur durée de vie de plusieurs années, parfois plusieurs dizaines d’années, leur permettent à long terme de se répartir partout sur la planète.

En ce qui concerne les fumées australiennes, elles ont donc circulé à latitude constante, partant de la région de Sydney puis passant par l’Amérique du Sud, en survolant des parties de l’Antarctique, puis en revenant dans la zone d’émission par l’ouest.

Le déplacement du CO enregistré entre le 3 et le 13 janvier 2020 (LATMOS/ULB).

Les cendres et le monoxyde de carbone n’atteindront donc pas l’hémisphère Nord et seront dissipés avant. En revanche, le CO2 se répartira partout et participera au réchauffement climatique global dans des proportions significatives.

D’après des estimations réalisées mi-janvier, 400 millions de tonnes de dioxyde de carbone auraient été rejetées dans l’atmosphère par les feux australiens, soit presque l’équivalent des 445 millions de tonnes rejetées par la France durant toute l’année 2018…

Félix Fénéon et Jean Grave, des passeurs entre art et anarchisme

27 lundi Jan 2020

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The Conversation

 

  1. Constance Bantman

    Chercheuse associée, Université Sorbonne Paris Nord – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Université Sorbonne Paris Nord

 

CC BY ND
Félix Fénéon à la Revue blanche (1896), gouache sur carton de Félix Vallotton. Wikipédia
 

L’exposition « Felix Fénéon, Les Temps Nouveaux » fermera ses portes au Musée de l’Orangerie le 27 janvier, avant de s’envoler pour le MoMA à New York. C’est l’occasion bienvenue de (re)découvrir les liens créatifs et amicaux existant entre les cercles artistiques et anarchistes de la Belle Époque.

La référence du titre aux « Temps Nouveaux » convie à cette exploration une autre figure méconnue mais essentielle dans ces échanges artistiques et politiques : Jean Grave (1854-1939), l’éditeur, justement, du journal anarchiste Les Temps Nouveaux (1895-1914) et de son prédécesseur La Révolte (1887-1894). Un écho au portrait de Fénéon par Signac se trouve ainsi dans le portrait, par le même Signac, du peintre néo-impressionniste Maximilien Luce lisant La Révolte) – témoignage de ces amitiés artistiques et militantes et de l’importance de l’engagement anarchiste pour de nombreux néo-impressionnistes. Fénéon comme Grave illustrent tous deux cette symbiose.

Jean Grave dessiné par l’illustrateur suisse Theophile Steinlen. Gallica

« Mon cher Grave »

Moins charismatique, visionnaire et éclectique que Fénéon, Grave est un militant anarchiste qui attire la sympathie et l’admiration de nombreux artistes contemporains. « Ma collaboration vous est acquise d’avance », lui promet Hermann Paul, tandis que Camille Pissarro « ne demande pas mieux » que de lui faire des dessins, comme « La Charrue » ; tous l’appellent amicalement « mon cher Grave ».

Grave et Fénéon ont en commun leurs multiples intérêts : Grave est un activiste, auteur de livres de pédagogie reconnus et de romans (moins réussis que les nouvelles en trois lignes de Fénéon cependant). Tous deux sont des hommes de réseaux très connectés, et néanmoins très discrets. Grave est un militant tandis que Fénéon est un critique d’art, collectionneur et auteur, qui s’associe à l’anarchisme pendant sa période « héroïque » (fin des années 1880-début des années 1890), durant laquelle de nombreux artistes et écrivains d’avant-garde s’intéressent à l’anarchisme.

La diffusion de la doctrine de la « propagande par le fait », visant à déclencher la révolution « par la parole, par l’écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite » suscite alors une vague d’attentats d’inspiration anarchiste, comme la bombe de Ravachol en 1892 puis l’assassinat du président Sadi Carnot en 1894. Voilà pourquoi Grave et Fénéon comparaissent côte à côte lors du célèbre Procès des Trente, où ils sont accusés puis acquittés d’Association de Malfaiteurs, au pic de la fièvre anti-anarchiste de l’époque ; une coupure du Figaro d’août 1894 les représentant tous deux au procès figure d’ailleurs à l’Orangerie.

Mais c’est moins le terrorisme que l’art qui lie ces deux figures de passeurs. Une grande exposition a déjà été consacrée à l’art des Temps Nouveaux au Musée d’Orsay, en 1988. Plus récemment, la prestigieuse Duke University, aux États-Unis, a rendu hommage à ces œuvres. Dans les pages des journaux édités par Grave, en couverture de ses livres et brochures, dans les tombolas au profit du journal, on croise entre autres Signac, grand ami de Fénéon et fidèle soutien de Grave, Angrand, Cross, Van Rysselberghe, Willette et Kupka.

Illustration de Kupka dans Les Temps Nouveaux, 24 fevrier 1906. BnF

La collection de lithographies vendue au profit des Temps Nouveaux en 1912 donne un minuscule aperçu d’une œuvre à faire saliver les collectionneurs… et souvent restée invendue à l’époque

Théorie politique de l’art

Les journaux de Grave, de tendance dite « communiste anarchiste », sont dans la ligne du journal Le Révolté (1879-1885), créé à Genève par Pierre Kropotkine et Élisée Reclus pour diffuser leurs théories anarchistes. Mais c’est Grave, leur protégé, qui en fait à partir des années 1880 et contre leur avis, un lieu essentiel pour diffuser et conceptualiser ce qu’on appelle alors « l’art social », c’est-à-dire une théorie politique de l’art.

Les journaux de Grave, souvent arides et dogmatiques, font pendant au Père Peinard (1889-1894) édité par Émile Pouget, célèbre pour son argot, son humour et son association avec les avant-gardes ; Félix Fénéon y contribue d’ailleurs, de même que Maximilien Luce, Lucien Pissarro et Felix Vallotton.

L’apport financier de tous ces artistes à la propagande anarchiste, toujours fauchée, est inestimable. En retour, ils puisent dans l’anarchisme des thèmes et modes de représentation qui vont au-delà de leur contribution à la presse anarchiste. Les conceptions et idéaux anarchistes de Kropotkine, Reclus et de l’anarchiste Charles Malato imprègnent par exemple le chef d’œuvre de Signac, Au Temps d’Harmonie (présent à l’Orangerie), qui célèbre le pouvoir libérateur de la machine, l’union paisible entre l’homme et la nature, le rôle des arts et des loisirs dans la société future… Ainsi existent un vrai dialogue et un échange à la fois amical, philosophique, esthétique et financier entre art et anarchie.

Paul Signac, Au temps d’harmonie, 1893-95. Wikipedia

Certes, il ne faut pas gommer des tensions importantes dans ce dialogue. Tous les progressistes de l’époque sont loin d’être férus d’anarchisme, pour commencer : Grave s’attire les foudres de nombreux auteurs, et surtout d’Émile Zola, en reproduisant sans autorisation leurs œuvres dans le supplément littéraire de La Révolte. Certains artistes se désengagent de l’anarchisme après la propagande par le fait. Parfois, c’est simplement l’indifférence progressive de certains ou la lassitude de travailler gratuitement pour la propagande qui l’emportent.

Artistes et anarchistes s’opposent sur la hiérarchie entre création artistique et utilisation politique. Ainsi, Fénéon définit le néo-impressionnisme par la couleur et le style, sans parler de politique ; Signac, dans les colonnes de La Révolte, insiste sur l’indépendance de l’artiste et refuse de suivre une ligne politique rigide. En 1914, ce même Signac est profondément déçu lorsque Grave renonce brusquement à l’antimilitarisme anarchiste pour soutenir l’effort de guerre, et ne s’en cache pas : « un de mes grands chagrins de ces horribles temps, a été causé par votre évolution au début de la guerre […] Je n’ai pu comprendre que vous admettiez la guerre ».

De la politisation à la marchandisation

En filigrane, l’exposition témoigne enfin de la singulière évolution d’un courant artistique initialement associé à la propagande prolétaire et révolutionnaire anarchiste. Luce, qui s’excusait dans une lettre à Grave de ne pas pouvoir soutenir financièrement le journal car « c’est la dèche, la dèche noire », se vend aujourd’hui fort bien. Le portrait de Fénéon par Signac (qui sert d’affiche à l’exposition), prêté par le MoMA, était déjà à l’affiche d’une autre exposition à Paris il y a deux ans, à la luxueuse Fondation Vuitton. Il est désormais décliné en marque-page, boule à neige et porte-clefs. On peut sans prendre trop de risques supposer que Fénéon comme Grave auraient été quelque peu sceptiques face à cette marchandisation… St-Tropez, qu’affectionnaient tant les Néos proches de Fénéon comme de Grave, qui voyaient dans le sud de la France l’incarnation de l’utopie anarchiste, « le plus beau pays du monde » selon Signac, est devenue ce que l’on sait.

Ainsi vont souvent les avant-gardes, certes. Ces ironies font sourire et, pour les historiens de l’art, appellent recherches. Pour en comprendre pleinement l’histoire et le sens, cependant, il est essentiel de ne pas perdre de vue les origines anarchistes et prolétaires de ces œuvres.

26 dimanche Jan 2020

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The Conversation

Eric D’Ortenzio
  1. Docteur en médecine, spécialiste en santé publique, épidemiologiste, Inserm

Inserm

 

CC BY ND

Annulation des festivités du Nouvel An chinois à Pékin, mise en quarantaine de plusieurs villes… À peine 15 jours après avoir annoncé la découverte d’un nouveau virus responsable de pneumonies sévères, les autorités chinoises prennent des mesures drastiques pour contenir l’épidémie, qui a déjà fait 18 victimes. Ces dispositions exceptionnelles sont-elles justifiées ?

Le point sur la situation avec Eric D’Ortenzio, médecin épidémiologiste, chercheur à l’Inserm et coordinateur scientifique du consortium REACTing, destiné à harmoniser les recherches pour faire face aux crises sanitaires dues aux maladies infectieuses émergentes.


On recense plus de 600 cas dʼinfection majoritairement en Chine, mais aussi dans une dizaine de pays d’Asie, ainsi qu’aux États-Unis. Peut-on déjà parler d’épidémie, voire de pandémie ?

Oui, on peut parler d’épidémie en Chine. Quand un nouveau virus est détecté sur un territoire, quelques cas suffisent à qualifier l’événement d’épidémie.

En revanche, il est encore trop tôt pour parler de pandémie, car pour cela il faudrait que les cas importés dans les autres pays diffusent, que les malades contaminent d’autres personnes. Cela ne s’est pas encore produit.

Que sait-on de ce nouveau virus et de sa provenance ?

Ce virus, baptisé 2019-nCoV, appartient à la famille des coronavirus, dans laquelle figurent aussi les virus du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) et du MERS (Middle East respiratory syndrome). Le virus de Wuhan n’avait cependant encore jamais été décrit.

Il s’agirait d’un « cousin » du SRAS, qui avait été responsable d’une épidémie au début des années 2000. Celle-ci s’était traduite par 774 décès.

Les premières analyses ont révélé que la séquence du matériel génétique (constitué d’ARN) du 2019-nCoV présente 60 à 70 % d’homologie avec celle du SRAS. Il est cependant encore trop tôt pour dire précisément en quoi les deux virus diffèrent.


À lire aussi : MERS : comment ce virus a émergé et ce que l’on peut faire


Quels symptômes provoque-t-il ? Que sait-on de sa virulence ?

Sans tirer de conclusions hâtives, on constate que sa symptomatologie est relativement classique. Elle évoque celle du SRAS et des coronavirus sévères : fièvre, toux, difficultés respiratoires…

Chez certains patients, l’infection demeure bénigne, mais d’autres vont développer des formes graves se traduisant par une détresse respiratoire et une pneumonie sévère. Les décès surviennent suite aux défaillances simultanées de plusieurs organes (reins…). Actuellement, sur 295 patients étudiés, la moyenne d’âge semble supérieure à 40 ans, et les personnes concernées seraient plutôt des hommes. Les décès constatés ont souvent concerné des personnes avec des pathologies sous-jacentes telles qu’hypertension, diabète, etc.

Les chiffres actuels indiquent que la mortalité de ce virus serait de 3 à 4 %. Par comparaison, le taux de létalité du SRAS était proche de 10 %, et celui de la grippe est de moins de 1 pour 1 000. Mais le taux de létalité du virus de Wuhan pourrait être amené à évoluer dans les jours à venir, en fonction de l’évolution de l’épidémie. C’est la raison pour laquelle le comité d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne s’est pas encore prononcé sur la pertinence de déclarer la situation comme urgente.

On manque encore de données sur la sévérité et la transmissibilité du virus, or ce sont des questions cruciales. Il faut être vigilant, mais inutile de déclencher une panique sans raison.

La conférence de presse de l’OMS du mercredi 22 janvier consacrée au virus de Wuhan.

En parlant de transmission, d’où vient ce virus ?

Les coronavirus sont des virus zoonotiques, c’est-à-dire que leurs réservoirs naturels sont des animaux. La chauve-souris est souvent un réservoir naturel pour les coronavirus : elle les héberge dans son organisme, mais ne tombe pas malade. On ne connaît pas encore le réservoir du virus 2019-nCoV (ndlr : celui-ci partagerait un ancêtre commun avec le coronavirus du SRAS, ancêtre qui ressemble à un coronavirus de chauvesouris, HK9-1). Le passage à l’être humain se fait généralement via un autre animal, que l’on appelle un hôte intermédiaire. Pour le SRAS, ce rôle a été joué par la civette masquée (ou civette palmiste à masque, Paguma larvata) un petit mammifère consommé en Chine. Dans le cas du MERS, il s’agissait du dromadaire.

L’être humain se contamine au contact de cet hôte intermédiaire : dans le cas présent, on a découvert que sur le marché de Wuhan, la ville d’où est partie l’épidémie, des animaux vivants étaient vendus, voire tués sur place (notamment à nouveau la civette masquée, mais aussi des rongeurs, des serpents…). Les chercheurs mènent actuellement des analyses pour déterminer si certains de ces animaux contiennent des coronavirus. Si c’est le cas, ils les séquenceront pour les comparer avec ceux qui ont été trouvés chez les humains. Identifier le réservoir naturel est plus compliqué que trouver l’hôte intermédiaire, cela demande davantage d’investigations.

Pour que le virus puisse passer de son réservoir naturel à un nouvel hôte, il faut que son matériel génétique subisse un certain nombre de modifications. Il en est de même pour qu’il passe de cet hôte intermédiaire à l’être humain. Si le virus acquiert la capacité à se propager directement d’humain à humain, une chaine de transmission peut se mettre en place. C’est donc l’accumulation de plusieurs événements qui mène à une épidémie.

Comment le 2019-nCoV se transmet-il ?

Le virus de Wuhan se transmet entre humains, c’est une certitude : des personnels soignants qui avaient pris en charge des patients sont à leur tour tombés malades, alors qu’ils n’avaient pas visité le marché d’où est partie l’épidémie. Ce qu’on ne sait pas c’est à quel point le virus est transmissible. Faut-il un contact très rapproché, ce qui limiterait les risques ? Ou au contraire la transmission se fait-elle facilement ? Cette donnée est fondamentale pour analyser l’évolution de l’épidémie et sa propagation. Actuellement, entre 80 et 100 cas sont officiellement déclarés par jour.

Au niveau des paramètres qui influencent la transmission figurent l’infectiosité du virus, la charge virale (le nombre de virus) qu’on va trouver dans les sécrétions (postillons…), la survie du virus dans l’environnement (reste-t-il infectieux s’il est déposé sur une poignée de porte, un lavabo…) ainsi que la vulnérabilité de la personne infectée : nous ne sommes pas tous égaux face à l’infection.

En outre, les coronavirus mutent assez fréquemment. À chaque réplication, le virus subit de petites modifications. Celles-ci ne sont pas assez importantes pour provoquer une différence dans la symptomatologie ou la transmissibilité, mais leur accumulation peut faire qu’à un moment donné, le virus se retrouve mieux adapté à l’être humain, ce qui peut se traduire par une transmission facilitée.

Enfin, de nombreuses inconnues demeurent encore, telles que la période d’incubation. Plusieurs chiffres ont été cités, initialement on la pensait de 14 jours, puis on l’a ramenée à 7 jours. Il est trop tôt pour se prononcer, elle se situe peut-être entre les deux.

Comment se protéger ? Les masques sont-ils efficaces ?

Oui, en empêchant la projection de postillons, les masques constituent une barrière efficace. Concernant les autres mesures : il faut se laver les mains régulièrement, et se signaler aux autorités sanitaires en cas de doute. L’isolement des malades et la recherche active des personnes avec lesquels ils ont pu être en contact, pour les tester et les faire suivre médicalement, constitue aussi une mesure importante. Pour l’instant, il n’existe pas de traitement antiviral. Des discussions sont en cours pour mettre en place des essais afin de déterminer quelles molécules pourraient être efficaces.

C’est une avancée par rapport aux autres épidémies : désormais on est capable de mettre en place de la recherche sur traitement ou sur vaccins en cours d’épidémie. Il ne s’agit pas seulement de progrès techniques, mais aussi d’une prise de conscience de la communauté scientifique, qui a tiré les leçons des flambées d’Ebola en Afrique de l’Ouest. On a compris que la recherche doit se mettre en place en temps réel, durant l’épidémie. C’est ce que nous faisons à l’Inserm, avec REACTing.

En matière de vaccin, la proximité avec le SRAS et le MERS pourrait permettre d’utiliser les recherches menées sur ces deux virus. Il semblerait par exemple que soit évaluée la possibilité de relocaliser un vaccin contre le MERS en cours de développement.

Les autorités chinoises ont mis en quarantaine non seulement Wuhan (10 millions d’habitants), mais aussi les cités voisines de Huanggang (7 m. ha.) et Ezhou (1 m. ha). Que penser de cette mesure ?

Il s’agit d’une mesure très forte, assez inhabituelle. On peut imaginer que cela peut avoir un impact sur la propagation du virus, puisqu’on va limiter les déplacements des personnes. En coupant les transports, on va réduire la transmission dans le pays et à l’étranger. Cependant, il est difficile de dire si c’est une bonne mesure, car il peut y avoir des effets pervers, notamment en raison de ce que cela peut provoquer chez les habitants : stress, mouvements de panique… Si par le passé, dans certains endroits, des quarantaines ou des cordons sanitaires ont déjà été mis en place (notamment pour contenir la peste), c’est probablement la première fois que des dispositions de cette ampleur sont prises.

En matière de gestion de crise, comment se passe la coopération internationale ?

La Chine a des experts scientifiques de haut niveau, des laboratoires sécurisés… Il n’y a pas de problème à ce niveau. C’est la communication et le partage d’information qui pourraient pêcher. Néanmoins, contrairement à ce qui s’était passé lors de l’épidémie liée au SRAS, où des informations avaient été retenues, sur cet événement la séquence des événements a été plus rapide.

L’information concernant les premières pneumonies a été rendue publique fin décembre, et le 7 janvier les autorités chinoises annonçaient déjà l’identification d’un nouveau coronavirus, tout en partageant les séquences du matériel génétique. C’est impressionnant.

Concernant le nombre de cas, c’est plus compliqué. Des experts ont rapidement produit des modélisations de l’épidémie évaluant à 1500 voire 2000 le nombre d’infections, soit largement plus que les 500 ou 600 cas déclarés par les autorités chinoises. Mais obtenir un décompte précis n’est pas facile : il faut mettre en place une surveillance active, rechercher les malades, etc.

L’OMS a insisté sur l’importance de poursuivre dans la voie de la transparence, notamment concernant l’échange des données. Au sein de l’institution, il existe désormais un groupe recherche sur les épidémies qui réunit de nombreux experts afin de réfléchir aux modélisations, aux essais cliniques, etc.

Et en France, comment se prépare-t-on ?

Quand une épidémie se déclare, notre volonté est de réunir très rapidement les chercheurs français afin de déterminer quelles sont les recherches à lancer en priorité.

En ce moment, nous avons des discussions sur les modélisations mathématiques nécessaires pour évaluer et anticiper la progression éventuelle du virus en France, en prenant en compte le trafic aérien notamment. Nous sommes en contact étroit avec les ministères de la Recherche et de la Santé.

Et dès que les autorités chinoises auront partagé des échantillons du virus, nous allons nous lancer dans l’identification des cibles thérapeutiques potentielles.

25 samedi Jan 2020

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The Conversation

 

  1. Delphine Minchella

    Enseignant-chercheur en Management stratégique – Laboratoire Métis EM Normandie, École de Management de Normandie – UGEI

École de Management de Normandie

Union des Grandes Ecoles Indépendantes (UGEI)

 

CC BY ND

En ce moment se tient à la Conciergerie, à Paris, une exposition consacrée à Marie-Antoinette (Marie-Antoinette, métamorphoses d’une image), plus de deux siècles après son exécution. Comment expliquer la persistance de cette fascination, qui traverse les siècles sans s’émousser, et qui s’étend bien au-delà de nos frontières nationales ?

Une reine exécrée

De son vivant, Marie-Antoinette était la cible favorite de la colère populaire, la source de tous les maux. Les nombreux pamphlets qui se distribuaient alors sous le manteau lui prêtaient l’âme la plus noire, et la volonté farouche d’affamer le peuple pour laisser son pays d’origine, l’Autriche, conquérir plus aisément la France. La calomnie n’avait pas de limite : pendant son procès, on alla jusqu’à l’accuser d’avoir eu des relations incestueuses avec son petit garçon. Il fallait qu’elle souffre : Alors que son époux, Louis XVI, fut conduit à l’échafaud dans un carrosse sobre aux volets baissés, Marie-Antoinette, elle, n’eut droit qu’à une charrette crasseuse et découverte, assise dos au cheval, livrée ainsi sans restriction aux innombrables grimaces méprisantes, insultes et crachats.

Reconstitution de la cellule de Marie-Antoinette à la Conciergerie. Wikimédia commons/André Lage Freitas, CC BY-SA

En ce 16 octobre 1793, il aurait été bien difficile de trouver quelque citoyen pour la défendre, et plus encore, il aurait été fou d’imaginer que deux siècles après, elle continue d’exister dans la mémoire collective, non plus comme quelqu’un d’exécrable, mais comme une icône aux multiples facettes. Les faits sont là et ils sont tenaces : aujourd’hui, Marie-Antoinette fait vendre, dans tous les secteurs culturels : superproductions cinématographiques, livres, expositions, pièces de théâtre, BD, ouvrages pour enfants… jusqu’aux jeux vidéo, et ce, à l’échelle mondiale. Pas de fêtes de fin d’année sans que plusieurs nouveaux ouvrages lui soient consacrés.

Lavée de tout reproche

Dès le début du XIXe siècle, avec la Restauration des Bourbons sur le trône de France, les publications dédiées à Marie-Antoinette se multiplient. Pour les premières, il s’agit principalement d’ouvrages écrits par d’anciens proches, exilés à temps pour sauver leur tête. Pour eux, il était question de rétablir la vérité sur celle qu’ils avaient côtoyée au quotidien.

Marie-Antoinette par Elisabeth Vigée-Lebrun. Wikimédia commons, CC BY

À travers leurs nombreux récits, se dessine alors une femme, non pas exempte de défauts, mais tellement humaine : qui fuit l’étiquette contraignante de la cour et le difficile exercice du pouvoir, qui tente de multiplier les moments plaisants et légers (escapades au Petit Trianon en comité réduit) puis, plus tard, qui se consacre pleinement au bien-être de ses enfants. Nous entrons ainsi dans l’intimité de Marie-Antoinette.

La deuxième grande vague de publications a pour principale source la correspondance de Marie-Antoinette, et par chance celle-ci est particulièrement riche. Dès son arrivée en France, alors âgée de 14 ans, Marie-Antoinette entreprend une relation épistolaire très régulière avec sa mère, l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Cette dernière, espérant conseiller sa fille pour le mieux, lui demande de lui livrer force détails sur son quotidien.

À ces échanges s’ajoutent les lettres quasi quotidiennes de Mercy d’Argenteau, diplomate rattaché au service de Marie-Antoinette, qui rapporte fidèlement à l’impératrice tous les faits et gestes de la jeune Dauphine. Toutes ces lettres furent conservées aux archives de Vienne, et c’est grâce à ces précieux documents que nous savons, par exemple, que Marie-Antoinette jeune adolescente était proprement scandalisée par les mœurs dissolues de Louis XV, et qu’au nom de l’honnêteté, elle se refusait à adresser la parole à la maîtresse du roi.

Lettre de Marie Antoinette à Madame Elisabeth. Wikimédia commons

Beaucoup plus tard seront découvertes des copies de lettres qu’elle écrivit à Fersen, ce qui nous renseigne en particulier sur son ressenti pendant la période révolutionnaire. Enfin, dernière pièce remarquable à citer : les minutes de son interminable procès qui mettent à jour une femme épuisée par les épreuves, mais dont le courage et la dignité forcent le respect.

La voix de la reine

À travers l’ensemble de ces documents, c’est la voix de Marie-Antoinette elle-même que nous entendons. Soudain, ses agissements ne sont plus librement interprétés, mais sont au contraire saisis à la lumière de ses propres réflexions. Rétrospectivement, il est possible de dire qu’elle a commis des erreurs, mais à lire ses raisonnements, nous voyons que son intention première ne fut jamais noire.

Ainsi, c’est de sa bouche que nous apprenons la raison pour laquelle elle refuse de fuir seule quand elle le peut encore : elle veut partager le sort de son mari, si funeste doive-t-il être, et ne conçoit pas un instant de bonheur si elle est loin de ses enfants. Nous voyons ainsi plusieurs personnages se dessiner : une princesse encore enfant, une femme qui entend vivre à sa guise, une mère dévouée, et enfin une martyre de la Terreur.

Marie-Antoinette en mère dévouée et aimante. Allociné/Ad Vitam

Les ressorts de la fascination

Toutefois, considérer que toutes les personnes qui s’intéressent à Marie-Antoinette connaissent sa biographie sur le bout des doigts, et que cela explique la fascination qu’elle exerce est certainement une erreur. Sans les mépriser, il est peu probable que Madonna ou Rihanna aient lu ses correspondances avant d’avoir envie de s’habiller « comme Marie-Antoinette ».

La chanteuse Rihanna, inspirée par Marie-Antoinette. Compte Twitter de Rihanna

En fait, chacun retient ce qu’il veut d’elle : Sofia Coppola se concentre sur son existence à Versailles dans son blockbuster éponyme (2006) ; Robert Hossein, pour sa pièce « Je m’appelais Marie-Antoinette » (1993), retrace les grands moments de son procès et laisse le public choisir le verdict ; Stefan Zweig, dans sa biographie (1932) s’attarde sur sa psychologie de femme, alors que le jeu vidéo « Marie Antoinette et les disciples de Loki » (2012) ne garde d’historique que le contexte.

Il ressort alors que cette fascination vient de l’univers qui s’est cristallisé autour de son nom, l’art de vivre de l’Ancien Régime déclinant : une mode vestimentaire féminine qui commençait à rechercher davantage d’élégance et de féminité, ou encore l’extrême courtoisie qui régnait dans les échanges (du moins, dans la haute aristocratie).

Une version pop de Marie-Antoinette.

L’époque de Marie-Antoinette est celle des cocons raffinés, de la douceur de vivre, de la recherche de l’intimité, du développement de l’amitié, et d’un retour rousseauiste à la nature. La fin tragique de Marie-Antoinette, sa chute vertigineuse, ont comme placé sous verre toute cette époque, son époque – désormais à jamais révolue.

Quand les grands chefs dégustent : les incertitudes de l’évaluation à la lumière des étoiles Michelin

24 vendredi Jan 2020

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The Conversation

  1. Charles Hadji

    Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes

Université Grenoble Alpes

 

CC BY ND
“L’auberge du Pont de Collonges, restaurant lancé par le chef Paul Bocuse, près de Lyon, a perdu sa troisième étoile. Philippe Desmazes/AFP
 

Le Guide Michelin vient de retirer leur troisième étoile aux grands chefs cuisiniers Marc Veyrat, puis feu Paul Bocuse. L’émoi provoqué est considérable.

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’évaluation, notamment dans le cadre scolaire, c’est une occasion remarquable pour réfléchir aux incertitudes de cette pratique qui, moins que jamais, ne peut prétendre être une mesure.

La question des référents légitimes

L’émotion suscitée par cet événement témoigne de l’importance pour le public de la gastronomie, bien sûr. Mais elle dit aussi combien la légitimité des évaluateurs, dans quelque cadre que ce soit, interroge.

Évaluer, c’est dire dans quelle mesure une réalité donnée (en l’occurrence, le plat servi) paraît acceptable par référence à une réalité attendue (le plat parfait). Toute évaluation met en jeu un « référent », qui exprime ce qu’on pense être légitimement en droit d’attendre de la réalité évaluée. Reste à savoir ce qui fonde cette légitimité.

Ce fondement sera objectif quand (et si) on peut fixer de façon indiscutable ce qu’on est en droit d’attendre de la réalité évaluée. On est par exemple en droit d’attendre d’un élève de CM2 qu’il maîtrise les programmes de sa classe. Certes, les programmes ont fait l’objet d’une discussion préalable (et souvent passionnée). Mais, le programme étant fixé, et publié, sa légitimité devient indiscutable au sein de l’institution scolaire. D’une façon très générale, on est légitimement en droit d’attendre que l’école instruise, que la police protège, que l’hôpital soigne, etc.


À lire aussi : École : l’évaluation, capable du meilleur, coupable du pire


Ce fondement sera subjectif si ce qu’on est en droit d’attendre relève de l’opinion, peut se discuter d’un point de vue social, ou politique et n’est pas « scellé » dans un texte à valeur de loi. C’est le cas quand l’évaluation porte sur des « objets » tels qu’un livre, un film, un repas, une prestation hôtelière, etc. Il faut alors pouvoir se doter d’un référent pouvant faire consensus.

Guide Michelin 2020 : Le restaurant de Paul Bocuse perd sa troisième étoile (France 24).

Enjeu démocratique

La question à laquelle doit répondre l’évaluateur peut être exprimée ainsi : « la prestation a-t-elle procuré la satisfaction qu’on était en droit d’en attendre ? ». Mais qu’est-on en droit d’attendre d’un « bon » repas ? Les avis pourront être très différents, selon les clients, les critiques, et les guides gastronomiques.

Quand les attentes pouvant servir à la construction du référent sont a priori discutables, la solution serait de les soumettre à un examen collectif, effectué par des représentants légitimes des personnes concernées par l’évaluation, pour parvenir à un référent partagé, c’est-à-dire construit en commun, et accepté par les acteurs.

Pour parvenir à un ensemble d’attentes ayant un maximum (ou, en tout cas, un minimum) de légitimité, il faudrait donc en débattre sereinement, en acceptant l’idée que personne n’est propriétaire de la seule et vraie grille d’appréciation. On pourra parler alors d’évaluation démocratique.

Un tel « débat » exige le respect de chacun de ceux qui y participent, les arguments d’autorité ne pouvant être de mise puisque, au fond, chacun peut être jugé expert pour ce qui relève de sa satisfaction personnelle.

Le Guide Michelin, dans son édition 2018. Shutterstock

Des jugements pas si transparents ?

Un tel travail de construction participative du référent constitue, il est vrai, un défi. Car il contraint à privilégier le dialogue, et à parier sur l’intelligence collective. On en est encore loin dans le domaine gastronomique.

Le domaine scolaire n’est pas davantage épargné, car les programmes ne dictent pas les attentes d’une façon univoque. La marge d’interprétation est grande. De nombreuses autres attentes se surajoutent à celles qui découlent directement des programmes. Et l’élève a ses propres attentes. Un effort de clarification sera toujours nécessaire.

Personne, fût-ce le Guide Michelin, ou le professeur agrégé, ne peut avancer que son point de vue est infaillible. Le point de vue des personnes évaluées n’est pas davantage supérieur aux autres. Mais celui qui est évalué à travers ses productions est en droit d’exiger la transparence sur la « cuisine » ayant produit le jugement qui le touche, surtout s’il l’accable. Le restaurateur a le droit de savoir « à quelle sauce » il a été mangé. L’élève aussi.

Ce que peuvent alors exiger les évalués est de trois ordres :

  • la production de preuves de la réalité effective de l’évaluation (le critique a bien lu le livre ; des inspecteurs sont bien venus goûter les plats au restaurant)
  • l’énonciation des « attendus » du jugements (quelles sont les raisons pour lesquelles la troisième étoile a été retirée ?), ce qui implique nécessairement le renvoi à un référent que l’on peut présenter, et défendre
  • le droit d’être respecté dans son travail, et traité de façon honnête, et sérieuse.
« L’inaccessible étoile », Complément d’enquête (France 2, 2019).

Rapports de force

Si la liberté de « lecture » critique est inaliénable, cela ne signifie pas que l’évalué doive s’inscrire dans un rapport de soumission. Car l’évaluation est toujours un rapport de force. Des intentions, ou arrière-pensées, peuvent venir parasiter le jugement formulé par le critique, comme par l’enseignant-évaluateur.

La nouvelle direction du guide gastronomique n’avait-elle pas l’intention de faire des exemples, pour d’une part affirmer son autorité, et d’autre part montrer que personne ne pouvait (ou : ne pourra plus) se reposer sur une situation acquise ? N’est-ce pas ce qu’ont tendance à faire les professeurs de classes préparatoires, lors du premier devoir noté, pour remettre les élèves à leur place, quand bien même ils avaient eu jusqu’alors de très bons résultats ? Et leur faire prendre conscience de l’importance de l’effort à fournir ?

Plus qu’à dire la vérité sur un niveau de réussite, l’évaluation sert alors à envoyer un message, qui concerne le rapport entre l’évaluateur et les évalués. Ce qui est d’autant plus grave qu’il n’est pas possible d’échapper à l’évaluation.

Comme l’exprime un chef ayant vécu l’expérience d’une perte de troisième étoile, en refusant aux chefs sanctionnés le droit de ne plus être référencés dans le guide, Michelin dit aux restaurants : « Vous n’avez pas d’autre choix que de vivre sous la pression de notre guide ». Dans tout rapport de type évaluatif, la tentation d’abuser de son pouvoir est très forte.

En définitive, les problèmes auxquels un évaluateur doit faire face sont davantage d’ordre éthique que technique. Tous les évaluateurs devraient en avoir conscience, car on ne peut faire fi, dans son jugement, de la personne de l’auteur, du cinéaste, du restaurateur, de l’hôtelier ou de l’élève.

Réforme des retraites : les limites du projet français révélées par l’expérience italienne

23 jeudi Jan 2020

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The Conversation

  1. Francesco Saraceno

    Directeur adjoint du département des études à l’OFCE, Sciences Po – USPC

  1. Angelo Marano

    Économiste au sein de l’administration italienne

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

CC BY ND
Malgré les mesures destinées à réduire les dépenses publiques, l’Italie consacre plus de 16% de son PIB aux versements des pensions de retraites. Kolibrik / Pixabay.com
 

Au cours des années 1990, l’Italie, comme la Suède et la Pologne, a mis en place le système notionnel à cotisations définies : d’une part, le régime continue à être financé par répartition (le paiement des pensions est assuré par les cotisations sociales des travailleurs actuels) ; d’autre part, un compte virtuel est établi pour chaque travailleur, sur lequel s’accumulent ses cotisations sociales, avec un rendement – comptabilisé annuellement sur le solde – égal à la croissance moyenne du PIB sur les cinq dernières années.

Au moment de la retraite, le capital notionnel de chaque individu est converti en pension, multipliée par des coefficients dépendant de l’âge à la liquidation et reflétant l’espérance de vie à la retraite, révisés tous les deux ans. Partir à la retraite avec un capital constitué de 200 000 euros donnerait ainsi droit à une pension mensuelle de 760 euros à 63 ans et de 862 euros à 67 ans.

Le taux de cotisation est de 33 % pour les employés (les deux tiers sont payés par l’entreprise) ; pour les travailleurs indépendants et autres catégories, les cotisations convergent vers le même taux. En 1995, l’âge de départ à la retraite était librement fixé entre 57 et 65 ans. Toutefois, ces seuils ont été progressivement relevés et indexés sur l’espérance de vie.

Effets sur l’emploi des jeunes

En plus du régime public, des fonds de pension privés complémentaires à prestations définies ont été mis en place. Ils sont financés essentiellement par le TFR (trattamento di fine rapporto ou indemnités de fin de contrat), un élément de salaire différé équivalent à 6,91 % du salaire annuel des Italiens. Environ 30 % des actifs sont actuellement inscrits dans un fonds de pension, bien que les rendements soient décevants et les coûts assez élevés.

La dépense publique au titre des retraites est d’autant plus élevée que le vieillissement de la population pose un sérieux problème en Italie. À cela s’ajoutent la stagnation des salaires, une économie souterraine importante et l’expansion des emplois précaires. En conséquence, malgré les réformes, la pression financière sur le régime de retraite n’a pas cessé et l’intervention vigoureuse mise en œuvre en Italie à la suite de la crise des finances publiques en 2011 a fait passer à 66 ans l’âge de départ à la retraite (il est de 67 ans actuellement) avec très peu de possibilités de retraites anticipées.

De ce fait, un grand nombre de travailleurs âgés sont encore en activité, ce qui empêche les entreprises de les remplacer par une main-d’œuvre plus jeune, moins coûteuse et plus qualifiée, avec des effets sur le chômage des jeunes dont le taux est l’un des plus élevés en Europe, ainsi que sur la productivité et le coût du travail.

Touteleurope.eu/Eurostat (avril 2019)

Il a fallu imaginer des interventions ponctuelles et coûteuses pour accroître les possibilités de retraite anticipée, ce qui a mis en péril les règles du régime de retraite. En l’absence de véritable reprise économique, les dépenses de retraite ont atteint selon l’OCDE 16,2 % du PIB en 2017, le deuxième taux le plus élevé de l’Union européenne.`

OCDE.

Bien qu’en Italie la question des retraites ait été traitée en temps voulu, avec la volonté explicite (comme en France) de sauvegarder et renforcer l’offre publique tout en harmonisant les différents régimes, des problèmes se posent encore et de nouvelles interventions sont nécessaires. Quelques points méritent d’être soulignés, car ils pourraient s’avérer utiles dans le débat français actuel.

Un régime mal adapté au contexte

Tout d’abord, le régime de retraite ne peut être sorti d’un cadre économique plus large. En l’absence d’une dynamique démographique, économique, professionnelle et salariale équilibrée, aucun des deux systèmes, par capitalisation ou par répartition, ne survivra. Promouvoir l’investissement et une croissance économique durable avec un taux d’emploi et des salaires élevés serait sans nul doute la meilleure stratégie, quel que soit le cadre.

En outre, la réduction constante de la part du PIB consacrée au travail et la persistance du chômage laissent croire que l’objectif originel (un financement total du système par les cotisations sociales) n’est pas réaliste. Plutôt que d’imposer des cotisations élevées sur des salaires ou de diminuer les prestations, il serait plus judicieux de remplacer partiellement les cotisations salariales par des fonds issus de l’élargissement de l’assiette fiscale (impôt sur la fortune, spéculation financière, etc.).

Ces considérations sont également valables pour la France, où il est prévu que la part des dépenses dans le PIB soit globalement constante à l’avenir (plus ou moins 15 % à l’horizon 2050). Cependant, les recettes attendues risquent d’entraver la viabilité de cette solution.

Le nouveau système italien apparaît comme une alternative valable au système traditionnel de prestations définies, dès lors qu’il s’applique aux salariés traditionnels dont les salaires et les cotisations sont élevés et les carrières, longues et ininterrompues. Tout ceci ne correspond plus vraiment au marché du travail actuel. Différents outils sont également nécessaires pour garantir des retraites adéquates au segment le plus faible du marché de l’emploi, tels que la garantie d’un cumul minimum par année de cotisation, les cotisations imputées, la possibilité de cumuler les pensions versées au titre de l’assistance sociale et de la sécurité sociale.

Un déplacement du risque macroéconomique

Alors que le projet du gouvernement français et son principe d’universalité vise spécifiquement les profils « atypiques » (qui le sont de moins en moins), la protection accrue de ces travailleurs dépendra des détails encore inconnus de la réforme. S’il est vrai qu’en ce sens, la proposition d’une pension universelle minimum de 1 000 euros par mois est rassurante, le simple cumul de points pour les emplois temporaires et mal payés ne garantit pas que les cotisations seront suffisantes pour une pension équitable au-delà du minimum social.

L’expérience italienne met également en lumière un autre point critique du projet du gouvernement français : la tendance à déplacer le risque macroéconomique sur les individus.

En Italie, afin de garantir la viabilité des finances publiques, le rendement des cotisations est indexé sur la croissance passée du PIB. En liant la valeur du point à la viabilité à moyen terme, le gouvernement français semble avoir en tête un mécanisme similaire, qui ferait peser les risques économiques, démographiques et financiers sur les individus plutôt que sur la collectivité.

Comme on l’apprend en première année de microéconomie, les assurances améliorent l’efficacité en permettant la mutualisation du risque. Si on laisse le risque peser sur les épaules des travailleurs, l’efficacité de l’assurance collective est entravée. Le développement des régimes de pension complémentaire n’atténuera pas le problème dans la mesure où tous les fonds de pension appliquent aujourd’hui le principe de la cotisation définie pour éviter toute responsabilité en cas de mauvais rendement des systèmes privés d’épargne retraite.

Enfin, on relèvera une contradiction : alors qu’en 1995 l’Italie adoptait un modèle qui devait laisser la liberté aux salariés de partir en retraite à n’importe quel âge (la retraite étant calculée selon un principe actuariellement équitable), elle en est venue à imposer, en 2011, l’un des âges minimaux de départ à la retraite les plus élevés au monde, ce qui s’explique par le besoin de réduire immédiatement les dépenses.

Touteleurope.eu/Missoc (au 1ᵉʳ janvier 2019)

En effet, l’augmentation permanente de l’âge de la retraite autorise une réduction brutale et non négligeable des dépenses liées à la retraite, quoiqu’avec des coûts substantiels assumés par les familles et les entreprises. Introduire un système dans lequel les considérations de stabilité financière sont susceptibles d’altérer fortement la liberté du travailleur modifie fondamentalement l’approche actuarielle de la réforme des retraites.

En ce sens, l’approche initiale du gouvernement français, qui prétendait n’avoir aucun problème de stabilité financière en tête au moment où il a proposé sa réforme, semblait plus justifiée que le glissement ultérieur vers la viabilité. La lettre envoyée par Édouard Philippe aux partenaires sociaux annonçant le retrait temporaire de l’âge pivot est donc révélatrice, dans la mesure où le premier ministre a explicitement lié ce retrait à d’autres moyens de garantir la viabilité.

En conclusion, l’expérience italienne semble offrir de bonnes indications sur les écueils que présente le projet français. Ce sont les points principaux qui devraient être abordés dans les mois qui viennent.

Se saisir du numérique, un défi pour la littérature québécoise

22 mercredi Jan 2020

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The Conversation

  1. Karen Cayrat

    Doctorante au CREM |SIC, Langue et Littérature françaises|Traductrice -interprète, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

CC BY ND

Si de nombreuses communautés de lecteurs telles que Babelio ou Goodreads se sont constituées au fil de ces dernières années sur la Toile, les acteurs du milieu littéraire ne sont pas en reste. Alors qu’en France, la ligue des auteurs professionnels qui rassemble un collectif d’auteurs et une fédération d’organisations propose de penser les conditions de création et de militer en faveur d’un statut d’auteur, suite aux mouvements #payetonauteur et #auteurencolère, depuis cet automne, outre-Atlantique, une communauté inédite de pratiques s’esquisse au Québec, sous l’impulsion d’une structure atypique : Rhizome, qui promeut le décloisonnement et le rayonnement de la littérature québécoise.

Rhizome : des connexions aux interactions

Fort d’une démarche originale nourrie par la recherche et l’innovation, l’organisme Rhizome « générateur de projets interdisciplinaires » accompagne, depuis une vingtaine d’années, les auteur·e·s dans leurs projets et les encourage à se saisir de formes dites hors du livre allant des spectacles, aux œuvres numériques en passant par les performances ou les installations.

Sensible aux évolutions technologiques, Rhizome s’attache également à exploiter les possibilités qu’offrent l’environnement digital aussi bien dans ses productions que dans leur diffusion et dispose ainsi de ses propres éditions qui, outre un format papier, se déploient sur le web.

Les rencontres, collaborations et partenariats qui nourrissent et fortifient Rhizome l’amènent aujourd’hui à impulser une dynamique nouvelle avec le lancement d’une communauté de pratique consacrée à la place de la littérature québécoise en ligne.

Ce projet qui mobilise 13 acteurs représentatifs du milieu littéraire québécois entend mieux comprendre l’impact des technologies sur la « création, la diffusion et l’image de la littérature actuelle ».

Penser la littérature ensemble

L’idée est d’inviter les divers acteurs à se saisir des outils numériques, à des fins analytiques pour mieux investir et maîtriser cet environnement, tout en amorçant une réflexion autour des questionnements liés à la découvrabilité, la pérennisation, et la reconnaissance des œuvres papier, numériques, scéniques ou médiatiques.

Les échanges et rencontres doivent aussi permettre aux professionnels de travailler et d’unifier à la fois leur image et présence en ligne. Par ailleurs, l’adoption d’un plan d’action est en jeu, pour accroître l’efficacité digitale du milieu littéraire québécois, voire aboutir à l’instauration d’états généraux.

Animée par Catherine Voyer-Léger, lauréate du Prix littéraire Jacques-Poirier-Outaouais 2019 et blogueuse, la communauté se donne jusqu’à l’hiver 2020 pour atteindre les divers objectifs qu’elle se fixe. D’une part, il s’agira d’accorder une meilleure visibilité à la littérature québécoise sur le web et de dégager des stratégies qui permettront aux différents acteurs de réduire la charge de travail induite par les communications et leur gestion de l’espace numérique. Un autre volet devrait permettre au public de s’orienter plus aisément dans le repérage des contenus littéraires québécois sur les plates-formes et réseaux en améliorant leur présentation. Enfin, une autre visée du projet consiste à accroître la pertinence, la fiabilité et la mise à jour des informations relatives à la littérature québécoise en ligne.

Le numérique, un enjeu prépondérant pour la culture québécoise

Parfaitement conscient du tournant que représente le numérique, le Conseil des arts et des lettres du Québec s’était associé à la firme SOM dès 2011, dans le cadre du projet @LON, afin de mener à bien une enquête consacrée à l’utilisation des technologies par les artistes et écrivains en vue d’évaluer leurs besoins pour les prochaines années.

Les résultats obtenus ont révélé que ces derniers démontraient un intérêt grandissant pour celles-ci et envisageaient d’y avoir davantage recours :

  • 96 % affirmaient y faire appel au cours de leurs recherches,
  • 92 % des répondants les jugeaient essentielles pour l’avenir de la culture québécoise, tandis que
  • 51 % dénonçaient néanmoins leur aspect chronophage qui tend à réduire le temps dédié à la création.

Enfin les sites web, blogs, réseaux sociaux bénéficiaient d’ores et déjà aux personnes interrogées et jouaient un rôle important dans la diffusion, la promotion et la valorisation de leurs œuvres.

Aujourd’hui le large éventail de mesures du plan culturel numérique du Québec accompagne de mieux en mieux les libraires, bibliothécaires et éditeurs de même que l’ensemble des acteurs culturels face au digital.

Une littérature impactée

Ces préoccupations font écho aux profondes mutations qui sont actuellement à l’œuvre au sein du milieu littéraire francophone. En effet, des déplacements s’opèrent. Désormais, la littérature s’émancipe du livre et conquiert le public à travers des formes nouvelles qui vont jusqu’à investir l’espace numérique.

Les technologies ne sont donc pas sans effet sur les pratiques de lecture et d’écriture dont l’évolution s’est progressivement intensifiée et accélérée des deux côtés de l’Atlantique. Si le livre numérique connaît une embellie en France, au Québec son prêt en bibliothèque suscite un certain engouement. Selon les statistiques recueillies par l’entreprise De Marque, spécialisée dans la distribution de contenus culturels numériques, principalement des livres, les Québécois auraient emprunté plus de 7 millions d’ebooks en 2018 un bond de 40 % par rapport à l’année 2017. Mais les lecteurs ne sont pas les seuls à se laisser séduire.

De plus en plus d’auteurs osent le changement de support et n’hésitent plus à expérimenter les formes et écritures multiples que rassemble la littérature numérique. Alors que certains montrent un intérêt marqué pour la twittérature à l’image de Jean‑Yves Fréchette, directeur de l’Institut de twittérature comparée de Québec-Bordeaux, d’autres cherchent à éprouver les limites de l’hypertexte, produisent des œuvres interactives, ou conçoivent comme Stéphane Bataillon des instapoèmes pour ne citer que ces quelques exemples.

Dans cet espace, le texte s’ouvre, s’anime, s’enrichit d’une dimension multimédia. En d’autres termes, le numérique bouscule notre rapport à l’écriture, mais plus encore au langage, ce « matériau à partir duquel se construit la littérature » comme l’affirme Simon Dumas, poète et directeur artistique de Rhizome. C’est donc la littérature dans son ensemble, ainsi que sa représentation qui s’en trouvent, de fait, modifiées.

La création de cette communauté de pratiques intervient tandis que la littérature québécoise traverse une période d’effervescence et constitue un rempart contre les inquiétudes que peuvent éprouver les professionnels à l’égard du numérique, des craintes qui s’étaient déjà manifestées aux environs 2010 en particulier avec l’arrivée de Google Books.

Car si « les technologies viennent secouer le livre », comme le souligne très justement Simon Dumas « elles n’ambitionnent pas pour autant sa destruction », mais tentent plutôt d’entrer en résonance avec lui pour nouer un véritable dialogue, qu’il s’agit aujourd’hui d’étoffer.

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