La formation des directeurs d’hôpital public, une singularité française

Les hôpitaux sont des structures présentes et clairement identifiées dans tous les systèmes de santé à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. Pourtant, la formation des managers hospitaliers varie fortement d’un pays à l’autre, comme le montre un rapport de la fédération européenne HOPE. À l’intérieur de ce paysage, le cas français présente des spécificités qui rendent la comparaison internationale difficile.
Au même titre que les diplomates ou les ingénieurs « généralistes » des mines ou des ponts et chaussées, être directeur d’hôpital en France, c’est appartenir à la haute fonction publique. Les directeurs d’hôpital exercent ainsi une profession dont l’accès dépend de la réussite à un concours national et d’une formation unique. Leur identité professionnelle est avant tout liée à une expertise commune ouvrant sur un statut : celui de haut fonctionnaire.
Au-delà d’être un corps dont les conditions de recrutement, de travail et de rémunération sont définies par l’État, le directeur d’hôpital public exerce plus fondamentalement un métier de l’État-providence, historiquement construit pour faire face au besoin que la santé soit prise en charge par l’organisation politique.
En effet, c’est au cours des années 1940, dans une logique d’étatisation de la gestion du système sanitaire, mais aussi de reconstruction politique et administrative plus générale, qu’est conçu le corps des directeurs d’hôpital. Comme c’est le cas des autres hauts fonctionnaires, une volonté de formation commune, donc d’un socle de connaissances et de vision partagé par tous les directeurs d’hôpital, se révèle nécessaire à la création de ce corps d’État.

Cursus généraliste et management
En France, le directeur d’hôpital serait donc un haut fonctionnaire presque comme les autres : recruté sur concours, jouissant d’un statut social prestigieux, et formé dans une grande école publique, l’École des hautes études en santé publique (EHESP, à laquelle sont rattachées les deux auteures de cet article).
Le recrutement dans cette école se fait par voie de concours (externe, interne ou 3e concours), accessible aux titulaires d’un diplôme de niveau licence. Les épreuves, fixées par le ministère chargé de la santé, sont essentiellement composées de droit, de sciences sociales et d’économie. Ces matières orientent fortement les profils des candidats reçus : à titre illustratif, en 2018, plus de 62 % des lauréats avaient un master d’un Institut d’études politiques ; ils étaient 68 % en 2017. Il va de soi que si les épreuves étaient composées de philosophie ou de biologie, le profil des candidats admis serait tout autre.
Une formation unique prépare en deux ans les lauréats du concours à la prise de poste. Comme dans les autres grandes écoles, les enseignements suivis sont majoritairement généralistes, pour répondre au besoin d’embrasser la diversité des métiers que recouvre cette profession, face à des réalités quotidiennes qui varieront fortement une fois sur le terrain.
À l’intérieur d’un cursus généraliste et de santé publique, les savoirs managériaux prennent une place importante, comme en témoigne un élève directeur :
« On n’a finalement que très peu de matières intitulées “management”, mais on a beaucoup de touches apportées au travers des autres cours : parmi tout ce que l’on a pu apprendre, le management représente un tiers de notre formation. Mais le management c’est aussi ce que l’on apprend sur le terrain de nos stages, tous centrés sur le management de projet et le management d’équipe ».
Aux États-Unis, des directeurs issus du business
Bien qu’il existe peu d’études comparatives, un premier constat est flagrant : il n’existe pas ailleurs en Europe ni en Amérique du Nord d’école équivalente à l’EHESP, lieu de transmission de la culture commune de tous les futurs directeurs d’hôpital et des autres acteurs de santé publique.
De fait, dans aucun de ces pays les métiers de direction de l’hôpital public ne sont réservés à un corps professionnel statutaire. Dans la plupart des pays européens, les directeurs d’hôpital ne sont tout simplement pas des professions réglementées.
Les critères de sélection diffèrent donc grandement d’un système à l’autre. Il faut parfois pouvoir justifier d’un niveau d’études, comme c’est le cas en Irlande ou en Allemagne, où les managers hospitaliers doivent a minima avoir obtenu un master. Une expérience préalable en gestion hospitalière peut aussi être exigée, comme en Italie, où 5 ans d’expérience sont demandés, et où une formation d’adaptation à l’emploi a lieu dans les 6 mois suivant la prise de poste.
Aussi, certains diplômes, bien que n’étant pas une condition sine qua non, peuvent être devenus dans la pratique incontournables, comme le diplôme en administration hospitalière lancé par l’association des hospital officers en Angleterre, ou comme le MBA de l’Institut pour les sciences de gestion hospitalière en Autriche.
La formation antérieure et le profil professionnel des directeurs d’hôpital varient également : en France, les directeurs restent des généralistes avec une formation en sciences sociales et en management, tandis qu’en Norvège environ un tiers des professionnels à ce poste sont des médecins. Par comparaison, une récente enquête menée par le NHS (le service médical et de soins de santé financé par le gouvernement britannique) montre qu’en Angleterre, seulement 3 % des chefs d’établissements sanitaires ont une formation médicale.
Le National Health Service britannique : un seul modèle, quatre systèmes http://bit.ly/2jGRlWq
Dans les pays d’Amérique du Nord, on se réfère au directeur d’hôpital par l’acronyme CEO, pour Chief Executive Officer, soit l’équivalent du français PDG. Il y a là un indice sémantique : comme en témoigne David Pate, CEO de l’hôpital Luke’s Health System dans l’Idaho (USA), beaucoup des chefs d’établissement sont ici issus du business, du monde des affaires.
Identité forte
Les conseils d’administration des établissements américains fixent librement les critères de recrutements des directeurs, bien que dans la réalité la plupart des chefs d’établissements soient titulaires d’un master en santé publique (MPH) ou en administration hospitalière (MHA). Le New York Times révélait récemment que le profil des chefs d’établissement a considérablement évolué au fil du temps : en trente ans, le nombre de CEOs hospitaliers non-issus d’une formation médicale a été multiplié par 30, réduisant en 2017 à 5 % la part des directeurs médecins ou issus des sciences de l’infirmier.
Depuis la création de la profession dans les années 1940, les discussions sur le contenu de la formation des dirigeants de l’hôpital public en France ont considérablement évolué. Si les compétences gestionnaires et managériales communes, ainsi que l’appartenance à la haute fonction publique, ont contribué pendant des décennies à la définition d’une identité forte de ce corps professionnel, les évolutions récentes déplacent considérablement les termes de la réflexion.