• Actualités régionales
    • Communes limitrophes
    • Régionales
  • Adhésion
  • André Lhote
  • Au-delà du 14 juillet, des interrogations tenaces sur l’usage des armées
  • Auteurs morts en 17, (déjà…)
  • BD « Sciences en bulles » : À la recherche des exoplanètes
  • Bonnes feuilles : Le château d’If, symbole de l’évasion littéraire
  • Comment la lecture enrichit l’éducation des enfants
  • Corruption, contrebande : le drame de Beyrouth et la question de la sécurité dans les zones portuaires
  • Des crises économiques à la crise de sens, le besoin d’une prospérité partagée
  • Evènements
  • Lecture : comment choisir un album qui peut vraiment plaire aux enfants
  • L’économie fantôme de l’opéra
  • L’Europe s’en sortirait-elle mieux sans l’Allemagne ?
  • Maladie de Lyme : attention au sur-diagnostic !
  • Mirmande
    • Pages d’histoire
    • AVAP et PLU
    • Fonds de dotation et patrimoine
  • NutriScore : quand l’étiquetage des aliments devient prescriptif
  • Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?
  • Podcast : le repos, une invention humaine ?
  • Prévoir les changements climatiques à 10 ans, le nouveau défi des climatologues
  • Qui sommes-nous?
  • Réforme de la taxe d’habitation… et si la compensation financière n’était pas le seul enjeu ?
  • Revues de presse et Chroniques
  • S’INSCRIRE AU BLOGUE
  • Scène de crime : quand les insectes mènent l’enquête
  • The conversation – Changement climatique : entre adaptation et atténuation, il ne faut pas choisir
  • Une traduction citoyenne pour (enfin) lire le dernier rapport du GIEC sur le climat

Mirmande PatrimoineS Blogue

~ La protection des patrimoines de Mirmande.com site

Mirmande PatrimoineS Blogue

Archives Mensuelles: mai 2020

Ce que jeûner indique de notre sociabilité

31 dimanche Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Jean-Pierre Corbeau

    Professeur émérite de sociologie de l’alimentation, vice-président de l’Institut Européen de l’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, Université de Tours

Université de Tours

 

CC BY ND
Illustration du jeûne dans la culture occidentale : une assiette vide avec un verre d’eau. Jean Fortunet/Wikimedia, CC BY-SA
 

La distanciation physique respectée (qui ne concerne pas l’impact du son traversant notre bulle proxémique) – n’empêche nullement, dans l’espace public, d’entendre des « confessions » de promeneurs, joggers ou clients attendant devant les commerces de « première nécessité ».

Ils informent à voix haute des « proches virtuels » des évènements de leur intimité confinée et l’on apprend ainsi qu’ils pratiquent un jeûne, que ce soit à l’occasion de Ramadan conclu ce 24 mai ou pour une « détox ».

Paradoxalement, à l’heure où une partie de la population n’a plus la possibilité économique d’accéder à une alimentation suffisante, de multiples médias proposent une offre, mercantile ou non, qui encourage ou justifie cette pratique abstinente. Et d’évoquer le jeûne religieux, thérapeutique, « détox », intermittent, « pour maigrir »… La sociologie peut préciser et compléter cette typologie pour en saisir la « dimension cachée ».

Monothéismes

Le jeûne est commun aux trois religions monothéistes. Ce rituel du jeûne est spécifique à chacune et correspond à des attentes différentes. Dans le judaïsme, le jeûne de Moïse (40 jours) perpétué par le Yom Kippour (limité à une journée) a vertu d’expiation, d’obtention du pardon de Yavhé et de rejeter la souillure potentielle de nos incorporations dans une quête de la pureté qui permit à Moïse de recevoir les Tables de la Loi.

Jésus jeûne aussi 40 jours dans le désert, mais à travers le déni d’aliments il s’agit de renoncer à son corps, à toutes les tentations auxquelles il pourrait être soumis, valorisant ainsi la spiritualité permettant d’approcher Dieu.

Dans l’Islam, le Ramadan correspond au 9e mois du calendrier solaire, celui où l’archange Gabriel révèle le Coran à Mahomet. Le jeûne diurne facilite une réflexion sur soi, un contrôle et une connaissance de son corps réflexif ainsi qu’un temps de partage spirituel qui devient, la nuit tombée, un partage des nourritures, un renforcement du lien social.

Pour compléter ce rapide survol du jeûne religieux, mentionnons l’importance du taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme qui font système, aujourd’hui, avec des théories « new age ».

Jeûner ensemble

L’obligation de confinement a coïncidé avec deux périodes de jeûnes religieux (la fin du Carême et le début du Ramadan) dont la pratique inclue dans un groupe référent, crée une filiation, affirme une appartenance. Ces fonctions rassurent dans un contexte anxiogène bien souvent vécu dans une relative solitude.

Avant d’aborder les autres types de jeûnes, deux remarques doivent être faites d’un point de vue sociologique. D’abord, au moment où se développe une précarité alimentaire avec les conséquences économiques du Covid-19, la revendication d’un excès de rien pour s’opposer à l’excès du trop est parfois un privilège qui exprime une « distanciation sociale » (là l’expression est juste). Ensuite, cette période n’a pas été vécue de la même façon selon que l’on était seul·e, à deux ou plus.

Il faut alors distinguer entre convivialité (vivre ensemble et communiquer de manière agréable) et commensalité (manger ensemble sans nécessairement communiquer et sans obligation de partage d’une nourriture commune).

Notons que ces dernières semaines, ces deux formes de sociabilité eurent souvent recourt à la médiation de nombreuses applications. Comme le télétravail, la convivialité médiatisée ne nécessite pas la présence physique d’un autrui (on exclue les informations sensorielles corporelles – odeur, postillons, chaleur, toucher, etc.- de la communication) et elle permet de « maîtriser » le temps de la relation en mettant fin à la connexion.

La commensalité des « apéro-skype » prolonge – à distance – le partage des boissons et des « victuailles » avec des amis.

Ces pratiques ont diminué le sentiment d’isolement ou les tensions de l’entre-soi.

Ainsi, vous n’avez plus « obligation » de commensalité « physique » et les tyrannies de l’intimité qu’elle engendre, comme devoir s’asseoir en face de l’autre même à contrecœur, échanger alors que nous avons envie de calme etc. Jeûner devient alors un rituel d’évitement.

Apprécier une solitude retrouvée

Cette dimension d’un refus du partage (de l’aliment et de la relation) est pour partie commune avec certaines anorexiques et avec des religieuses jeûneuses du Moyen Âge.

Ces dernières « voyaient dans la nourriture un instrument de pouvoir sur leur moi et sur leur entourage, et un moyen de renoncer à l’un comme à l’autre ».

Béguine de Bruxelles, un ordre qui permettaient à certaines religieuses de s’affranchir des codes de leur époque (1811). Wikimedia, CC BY

Jeûner « distingue » dans un environnement qui valorise le partage et l’abondance alimentaire. On attire le regard des autres, parfois leur compassion ; on existe à travers l’affirmation de sa « singularité ».

Cependant l’émergence de ces comportements alimentaires n’est pas une « génération spontanée ». Elle prolonge des tendances de nos contemporains. Cette tendance est particulièrement vive lorsqu’il n’y a pas peur du manque et chez les femmes qui affichent un rapport au corps plus réflexif. Les individus perçoivent alors les nourritures en considérant la conséquence de leurs incorporations sur leur santé, leur silhouette, leur éthique et l’environnement.

Désirs individualistes

La période du confinement, pendant laquelle les dépenses physiques et les contraintes liées à la sociabilité sont moindres, encourage l’expérimentation d’un jeûne thérapeutique pour éliminer la souillure (au moins symbolique) des incorporations antérieures, pour se débarrasser des toxines, pour « prendre soin de soi ».

La période de jeûne alterne aussi avec la recherche et l’appropriation par un acte culinaire plus ou moins complexe (on a le temps !) de produits sains, éthiques, goûteux construisant une « écologie de soi », une solidarité avec les nouvelles citoyennetés.

Cette problématique individualiste se retrouve dans la restriction cognitive (avec parfois un projet esthétique de maigrir (par exemple pour séduire au moment des « retrouvailles »). Ainsi une majorité de Français dit avoir grossi pendant le confinement (enquête réalisée par l’Ifop pour Darwin Nutrition et relayée par Le Parisien et BFMTV le 6 mai), 14 % ont maigri et 29 % ont conservé leur poids.

Beaucoup ont aussi exprimé l’envie ne pas commettre d’excès d’alcool : abstinence intermittente de consommations alcoolisées tout en conservant le plaisir régulé de boire occasionnellement.

Les jeûnes représentent ainsi, dans ces contextes de reconstruction de soi pour mieux aborder le futur, des désirs de se référer à des groupes qui rassurent en temps de crise. Mais le jeûne affirme aussi un individualisme qui refuse un pouvoir particulier ou construit, de façon égotique, un projet optimiste (nouveau modèle alimentaire, nouvelle silhouette, parfaite santé). Gageons que l’heure du déconfinement et du « dé-jeûner » sera celle de la valorisation d’aliments porteurs de sens.

Jeûner est-il bon pour la santé ?

31 dimanche Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Régis Hankard

    PU-PH, Professeur de Pédiatrie, Inserm UMR 1069 « Nutrition, Growth Cancer » & Inserm F-CRIN PEDSTART, Institut Européen de l’Histoire et des Cultures de l’Alimentation,Université de Tours, CHU de Tours, Inserm

Inserm

 

CC BY ND
J-Lo (la chanteuse et actrice Jennifer Lopez) est une adepte du jeûne intermittent. Amy Sussman / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
 

Excès de gourmandises ou à l’inverse régimes alimentaires « sains » promus par les stars, parfois un peu obsessionnels : nos pratiques culinaires et alimentaires ont pris une place prépondérante durant le confinement.

En perturbant nos émotions le confinement a entrouvert la porte aux troubles des conduites alimentaires.

Manger est aussi un acte moral. Ainsi, la période récente du Ramadan rappelle que le jeûne peut être vécu comme un acte expiatoire de ses péchés, pour « se laver » de comportements commis. Il peut procéder d’une démarche identitaire et permettre de se reconnaître entre coreligionnaires. Il participe aussi d’une autre façon d’envisager l’alimentation voire, son rapport aux autres. Cette pratique interroge souvent, notamment sur les impacts physiologiques qu’il peut avoir sur les individus. Quel est en effet l’effet du jeûne sur l’organisme ?

Nous avons besoin de glucose

Le fonctionnement de notre corps ne fait pas de « pauses ». Il lui faut un apport constant de « carburant », principalement du glucose. Un homme de poids moyen, soit 70 kg, consomme environ 180 g de glucides par jour dont 140 g par le cerveau. Ces glucides sont des assemblages de glucose et d’autres « sucres ». Ils se trouvent entre autres dans le pain, les féculents et représentent plus de 50 % de nos apports quotidiens en énergie (les « calories »).

Le jeûne s’accompagne d’une réponse adaptée de l’organisme, décrite dans un article célèbre et cité de tous les spécialistes.

En effet, certains organes comme le cerveau sont particulièrement sensibles à la privation de glucose. Un manque de glucose peut mener à une perte de connaissance et des convulsions peuvent survenir. Il est donc indispensable que le cerveau en dispose de façon constante. Pour maintenir un apport de glucose suffisant, notre comportement va se modifier avec une moindre activité, afin de limiter la consommation de glucose. Mais ce n’est pas la seule adaptation.

Nos « réserves » de glucose qui sont stockées sous forme de glycogène dans le foie vont être mobilisées. Cette réserve est faible. Aussi quand nous ne mangeons pas, du glucose est fabriqué à partir d’autres constituants de notre organisme, les protéines qui se trouvent dans les muscles. En d’autres termes, lorsque nous ne mangeons pas nous sommes obligés de puiser dans nos muscles pour fabriquer du glucose.

Pas de stock de protéines

Il n’y a pas de « stock » de protéines et si nous les perdons nous perdons des fonctions : la force physique mais aussi la faculté à fabriquer des anticorps qui nous protègent des infections. Les protéines que nous mangeons tous les jours, la viande, les laitages, les œufs, mais aussi les protéines des végétaux sont indispensables au bon fonctionnement de notre corps.

Le maintien d’une quantité suffisante de protéines est tellement critique pour notre santé que notre organisme a trouvé une parade. Lorsque le jeûne se prolonge au-delà de plusieurs jours, la mobilisation de notre tissu adipeux va produire des cétones qui sont un bon carburant pour le cerveau.

L’utilisation des cétones permet de limiter la production de glucose à partir des protéines qui sont « économisées ». Ce mécanisme, comme d’autres non détaillés ici, permet notre survie en situation de jeûne prolongé. L’odeur « acétonique » de l’haleine, cette « mauvaise haleine » est d’ailleurs un signe bien connu chez les petits enfants lors d’une gastro-entérite avec vomissements importants qui les privent d’alimentation.

Alors, peut-il y avoir un bénéfice pour la santé à jeûner ?

Une pratique dangereuse dans certains cas

L’adaptation de l’organisme au jeûne est faite pour limiter l’impact négatif d’une privation alimentaire sur notre santé. Cette situation n’est donc pas « normale ». Certaines maladies compromettent cette adaptation.

Prenons l’exemple du diabète ou la régulation de l’utilisation du glucose par l’organisme ne fonctionne pas bien et nécessite des médicaments et/ou de l’insuline. Dans cette situation le jeûne majore le risque de survenue d’hypoglycémies dont les conséquences peuvent être graves. Les personnes atteintes de cette maladie savent bien que le risque lié aux « hypos »(pas assez de sucre dans le sang) est plus important que celui lié aux « hypers » (trop de sucre dans le sang).

Certaines maladies rendent aussi cette adaptation plus difficile à mettre en place. C’est le cas par exemple des personnes dont le poids est insuffisant, « dénutries », du fait d’une maladie comme l’anorexie mentale ou le cancer.

Le jeûne est souvent cité en situation de cancer. Une expertise collective du réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) n’a retrouvé aucun argument en faveur d’un rôle bénéfique sur la prévention ou le traitement des cancers et a même pointé son rôle délétère. Il n’est donc pas recommandé.

Corriger nos habitudes alimentaires au quotidien avec bon sens

Lorsque la période de jeûne permet de corriger certaines habitudes alimentaires comme de manger trop et/ou trop calorique il peut y avoir un bénéfice au travers de la perte de poids lorsque nous sommes en excès pondéral.

L’effet est le plus souvent fugace car la prise en charge de l’obésité/surpoids impose une remise en question de ses habitudes de vie au long cours et non par « à-coups ». Manger plus équilibré, c’est-à-dire moins de produits gras et sucrés et restaurer une activité régulière et adaptée sont les clefs d’un contrôle pondéral. L’effet transitoire « bénéfique » de périodes de restriction/jeûne ne fait généralement que renforcer la mésestime de soi.

Peut-être serait-il temps de changer de comportements alimentaires ? Shutterstock

La dimension « détoxifiante » du jeûne est parfois mise en avant. L’effet escompté correspond plus à une représentation mentale de purification « je m’exclus temporairement des toxiques qui sont néfastes et cela va me permettre d’évacuer ceux que j’ai en moi ».

Cela dépend du tissu où les toxiques/polluants sont « stockés » comme les dioxines et métaux lourds dans le tissu adipeux. Le re-largage des toxiques répond le plus souvent à modalités très éloignées des représentations que l’on a (impuretés dans une cuve qui s’évacuent avec le rinçage du contenant).

Le délai nécessaire à la mobilisation des toxiques est le plus souvent prolongé et souvent mal connu. Là encore l’attitude la plus pertinente relève plus d’un contrôle au quotidien des toxiques alimentaires et de l’amélioration globale de la qualité des aliments.

L’alimentation reste une dimension extrêmement investie de notre vie et de notre relation aux autres. Bon sens et écoute mutuelle sont indispensables pour aborder sereinement ce qui fonde nos habitudes alimentaires. Le jeûne prolongé est déconseillé car il met notre organisme à rude épreuve.

Géographie de la pandémie de Covid-19 en France et en Allemagne : premiers enseignements

30 samedi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Michel Deshaies

    professeur de géographie, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

CC BY ND
Un policier français utilise un drone pour contrôler les environs de la frontière franco-allemande à proximité de Strasbourg, le 9 avril 2020. Frederick Florin/AFP
 

La pandémie de Covid-19 qui s’est propagée depuis la Chine au reste du monde au cours de l’hiver 2020 a particulièrement touché l’Europe occidentale qui, le 21 mai 2020, concentrait plus d’un million de cas (1 320 000), soit 26 % des cas recensés dans le monde. Le plus frappant peut-être est l’importance de la mortalité en Europe occidentale, puisque ces pays déploraient le 21 mai plus de 157 000 décès, soit 48 % du total mondial. Si la France et l’Allemagne affichaient à peu près le même nombre de cas (environ 180 000), elles se différenciaient fortement par la mortalité : 28 135 décès liés au Covid-19, soit 431/million d’habitants en France, contre 8 144 décès, soit 97/million d’habitants en Allemagne.

Un tel contraste peut paraître paradoxal dans la mesure où, dans les deux pays, on a constaté une multiplication simultanée des cas au cours du mois de février. Il apparaît aujourd’hui clairement que les dirigeants allemands avaient bien anticipé la crise, ce qui n’a pas été le cas en France où l’évolution de la pandémie a rapidement saturé un système hospitalier profondément affaibli depuis des années. Cette situation a été aggravée par le fait que la pandémie s’est concentrée dans certaines régions.

Contrastes majeurs entre régions frontalières

En Allemagne comme en France, on observe de grands contrastes géographiques dans la densité des cas attestés. Mais ces inégalités correspondent à des schémas d’organisation spatiale très différents dans les deux pays. Il est trop tôt pour pouvoir comprendre les mécanismes par lesquels ces schémas ont favorisé, ou entravé, la propagation du virus. L’étude de la répartition spatiale des densités de cas et de mortalité peut contribuer à les éclairer.

Michel Deshaies, Author provided

La répartition spatiale de la pandémie de Covid-19 en France et en Allemagne peut être étudiée à travers les statistiques fournies par Santé publique France et par l’Institut Robert Koch. La cartographie présentée ici repose sur un certain nombre de choix qui ont pu être validés par la comparaison des régions frontalières, Sarre et Moselle d’une part, Alsace et Breisgau d’autre part, où les densités de cas sont proches ; ce qui semble montrer que les échanges transfrontaliers ont joué ici un rôle dans la propagation du virus. Ces régions frontalières illustrent aussi les contrastes de mortalité : alors que la Moselle et la Sarre comptent chacune 1 million d’habitants, on dénombrait le 21 mai, 786 décès en Moselle contre 157 en Sarre.

Tandis qu’en France, ce sont les régions de l’Est et du Nord, ainsi que la région parisienne qui concentrent les deux tiers des cas, en Allemagne les régions les plus frappées sont les deux Länder du sud, Bavière et Bade-Wurtemberg, ainsi que la Rhénanie-du-Nord Westphalie.

Quelles zones sont le plus durement frappées dans les deux pays ?

La cartographie montre deux France, de part et d’autre d’une diagonale nord-ouest/sud-est passant approximativement par Le Havre, Lyon et Marseille. Au nord de cette ligne, presque tous les départements ont une densité de cas supérieure à 100/100 000 habitants. Au sud, au contraire, seuls quelques départements dépassent le seuil des 100 cas/100 000 habitants, le long du Val de Loire. Toute la façade atlantique, ainsi que l’essentiel de la Nouvelle-Aquitaine et de l’Occitanie se caractérisent par une densité de cas faible à très faible.

Dans la France du Nord, les deux foyers principaux de la pandémie sont l’Alsace-Moselle et l’Ile de France qui, à elle seule, représente 38 % des cas, soit deux fois plus que sa part dans la population française. Entre le foyer du nord-est et l’Ile de France, tous les départements de l’est et du centre-est sont également très affectés. La Picardie et la région lyonnaise apparaissent comme des foyers secondaires. En revanche, les Alpes, tout comme le Nord et le Pas-de-Calais, sont les régions les moins affectées dans cette partie de la France. Cela est surprenant quand on songe que ces régions sont frontalières de deux pays où l’épidémie est la plus intense au monde, la Belgique et l’Italie. Les circulations transfrontalières ne semblent pas avoir eu les mêmes effets qu’entre l’Allemagne et la France.

En Allemagne, il existe aussi de forts contrastes. L’ensemble du sud du pays est très affecté par l’épidémie, le principal foyer étant le piémont des Alpes bavaroises jusqu’à Munich. La partie ouest est moins affectée, avec cependant de forts contrastes entre des régions à faible densité de cas et des foyers assez actifs, dans les régions d’Aix-la-Chapelle et de Münster. Ces deux foyers sont séparés par la région urbaine de la Ruhr, où la densité de cas est relativement faible. Enfin, tout le nord et l’est du pays (les nouveaux Länder) se caractérise par une très faible densité de cas. C’est particulièrement vrai des régions littorales de la mer du Nord et de la Baltique, ainsi que des régions rurales de l’est. Par contre, les deux villes principales, Berlin et Hambourg, sont des foyers secondaires.

Quelques éléments d’explication

Comment interpréter ces différences spatiales ? En Allemagne, beaucoup de cas attestés correspondent à des retours de voyages en Italie du Nord, ou de stations de sports d’hiver italiennes ou autrichiennes, où les cas sont nombreux ; ce qui pourrait expliquer pourquoi ce sont les régions du sud les plus affectées, en particulier le débouché de la voie de passage principale vers l’Autriche et l’Italie.

On note aussi une composante socio-économique, dans la mesure où ce sont essentiellement des régions riches qui ont été affectées, alors que le cœur des villes pauvres de la Ruhr, ainsi que les régions les moins prospères du nord et de l’est, sont largement épargnées par la pandémie.

En France, si le foyer de l’est correspond à un schéma en lien avec la circulation de la dorsale rhénane, le foyer parisien semble répondre à une autre logique spatiale, peut-être en lien avec des contaminations en provenance de l’international. Il est aussi frappant de constater que le couloir de circulation principal du pays, l’axe Paris-Lyon-Marseille, est jalonné par une forte densité de cas. Loin d’être accidentelle, la répartition spatiale de l’épidémie de Covid-19 est ainsi révélatrice des structures géographiques des deux pays.

Le SARS-CoV-2 remet en cause la doctrine « Un pays, deux systèmes » en Chine

30 samedi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Frédéric Keck

    Directeur du laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France

 

CC BY ND
La police ordonne aux manifestants hostiles à la nouvelle législation sur la sécurité de se disperser, dans le quartier de Causeway Bay, à Hong Kongn le 24 mai 2020. Isaac Lwrence/AFP
 

La République populaire de Chine profite de la fin de l’épidémie de SARS-CoV-2 sur son territoire pour reprendre la main sur Hongkong après un an de contestation. Depuis juin 2019, en effet, les manifestations se sont multipliées à Hongkong contre la loi d’extradition proposée par Carrie Lam, cheffe de l’exécutif de la « Région administrative spéciale », pour transférer en Chine les citoyens chinois ayant transgressé la loi à Hongkong.

Les lieux où s’exprime la liberté d’opinion à Hongkong (universités, journaux, librairies, parcs publics…) se sont vidés sous le double effet de la répression par la police des mouvements de contestation et de la crise sanitaire.

Le souvenir encore vivace des événements de 2003

Le gouvernement de Pékin met tout en œuvre pour que la crise du SARS-CoV-2 ne répète pas le scénario du SARS-CoV en 2003 : un coronavirus venu des chauve-souris vivant dans le centre de la Chine et transmis aux humains par l’intermédiaire des civettes consommées dans les marchés pour la médecine chinoise traditionnelle au Guangdong avait alors infecté environ 8 000 personnes, dont 10 % étaient décédées. Hongkong avait été particulièrement touchée, avec près de 1 800 cas et 300 morts, et son économie s’était retrouvée à l’arrêt pendant plusieurs mois.

Le 1er juillet 2003, trois semaines après que l’Organisation mondiale de la Santé ait déclaré Hongkong « free of SARS » (« débarrassée du SARS »), 500 000 personnes (soit 10 % de la population) manifestèrent contre un projet législatif sur la sécurité qui mettrait en œuvre l’article 23 de la Loi fondamentale prévoyant d’« interdire tout acte de trahison, de sécession, de sédition ou de subversion contre le gouvernement central ». Après cette manifestation, la proposition de loi discutée depuis un an au Parlement du Hongkong fut abandonnée, et ceux qui la soutenaient démissionnèrent.

Des manifestants pro-démocratie se rassemblent devant le bâtiment du Conseil législatif dans le quartier central des affaires de Hongkong, le 13 juillet 2003. Peter Parks/AFP

Une exception menacée

Le 25 avril dernier, le chef du bureau de liaison du gouvernement chinois à Hongkong, Wang Zhenmin, mit en cause la doctrine « Un pays, deux systèmes » qui garantit l’autonomie de Hongkong :

« Si les “deux systèmes” deviennent un moyen de contester le “un pays”, alors les raisons d’existence des “deux systèmes” disparaissent. »

Le 22 mai, le premier ministre Li Keqiang ouvrit la session de l’Assemblée nationale populaire réunie à Pékin en affirmant sa résolution à « perfectionner le système juridique et les mécanismes d’application des lois en matière de protection de la sécurité de l’État dans les régions administratives spéciales ».

Malgré les déclarations rassurantes de Carrie Lam sur le respect de l’autonomie de Hongkong, le discours du premier ministre est apparu comme un désaveu de la cheffe de l’exécutif pour les manifestations qu’elle n’a pas su arrêter, et qui ont repris en réponse à ce discours. Pékin propose à présent de faire ce que le gouvernement de Hongkong n’a pas fait en imposant la législation sur la sécurité prévue par l’article 23 de la Loi fondamentale.

Un concept vieux de presque quarante ans

De nombreuses voix s’élèvent à Hongkong pour déplorer la fin de la doctrine « Un pays, deux systèmes » (yi guo liang zhi). Celle-ci fut formulée par Deng Xiaoping en 1983 dans le cadre de ses négociations avec Margaret Thatcher sur la rétrocession de la colonie britannique de Hongkong à la Chine populaire. La déclaration sino-britannique du 26 septembre 1984 stipula ainsi que « le système et la politique socialiste ne seront pas pratiqués dans la région d’administration spéciale, et le système et le mode de vie capitaliste de Hongkong demeureront inchangés pendant 50 ans » à compter du 1er juillet 1997.

Cette déclaration conditionna le travail du comité de rédaction de la Loi fondamentale, qui fut interrompu en mai-juin 1989 par la démission de deux représentants de la société civile hongkongaise, Louise Cha et Peter Kwong, après le massacre de la place Tian’anmen. À la suite de ce qu’il qualifia d’« incident », le gouvernement de Pékin ajouta à la Loi fondamentale l’article 23 qui interdit les actes de subversion.

Des soldats de l’Armée de libération du peuple (APL) traversent la frontière de Wen Jingdu en direction de Hongkong le 1ᵉʳ juillet 1997. Manuel Ceneta/AFP

La doctrine « Un pays, deux systèmes » est considérée comme une invention géniale de Deng Xiaoping, qui a rendu possible le développement industriel de la Chine populaire en profitant des conditions d’échange avec l’Occident maintenues à Hongkong. Dans les faits, ce compromis s’est avéré plus agressif qu’il ne paraissait, et il s’est révélé désavantageux pour la « région d’administration spéciale », dont l’autonomie de gouvernement, la liberté d’expression et la monnaie étaient maintenues.

Des observateurs ont remarqué que la doctrine « Un pays, deux systèmes » formalisait le mode d’existence de la population chinoise à Hongkong, qui s’est toujours sentie attachée à la « mère patrie » tout en bénéficiant de la liberté d’expression politique et d’échange économique garantie par le gouvernement britannique. Les dissidents chinois émigrèrent régulièrement à Hongkong pour fuir le régime en place à Pékin, depuis la révolte des Taiping dans les années 1850 jusqu’à la répression des militants démocrates dans les années 1990 en passant par celle des communistes dans les années 1930.

L’expression « Un pays, deux systèmes », qui visait à convaincre la République de Chine à Taiwan de la possibilité qu’elle soit réunifiée à la République populaire de Chine en conservant son autonomie, apparut pour la première fois dans le discours du maréchal Ye Jianying le 30 septembre 1981. Cette doctrine fut réaffirmée par les successeurs de Deng Xiaoping qui y ajoutèrent leurs propres variantes (Jiang Zemin, Hu Jintao, Xi Jinping), mais elle fut refusée par le Parti démocrate et indépendantiste lorsqu’il fut au pouvoir à Taiwan (à travers la présidence de Cheng Shui-Bian entre 2000 et 2008 et de Tsai Ying-Wen depuis 2016) et elle ne fut jamais vraiment acceptée par le Parti nationaliste à Taiwan.

La doctrine « un pays, deux systèmes » peut être considérée plus généralement comme une formalisation des effets de la colonisation occidentale et de la guerre froide en Asie. De nombreux pays asiatiques ont été divisés par cette double secousse, et la brièveté de la colonisation japonaise n’a pas atténué cette division. La Corée est scindée entre un régime communiste au Nord et un régime capitaliste au Sud. Le Vietnam a été longtemps divisé par la même coupure avant sa réunification sous un régime communiste en 1976. Dans le cas de Singapour, on pourrait plutôt parler de « deux pays, un système » tant son rattachement au monde commercial malais est évident, malgré l’autonomisation de son gouvernement sous l’autorité coloniale britannique d’abord, sous celle d’une élite confucéenne ensuite.

InfoAsie@InfoAsie

Coronavirus : Taïwan, Hong Kong ou Singapour épargnés par l’épidémie https://www.infoasie.net/actu/30471-coronavirus-taiwan-hong-kong-ou-singapour-epargnes-par-lepidemie.html …

View image on Twitter

1

8:27 PM – Mar 19, 2020
Twitter Ads info and privacy
See InfoAsie’s other Tweets

On peut également souligner que ce sont précisément les pays les plus divisés par ces grandes coupures historiques qui ont été les plus affectés et les plus réactifs lors des crises de SARS-CoV en 2002-2003 et de SARS-CoV-2 en 2019-2020. Rien d’étonnant à cela : ces territoires ont toujours été des plaques tournantes dans la circulation des personnes, des marchandises et donc des virus entre le continent chinois et le reste du monde. On a pu considérer ainsi que le succès de Hongkong dans le contrôle du SARS-CoV en 2003 tenait à la doctrine « un pays, deux systèmes », qui rendait le territoire à la fois très exposé aux menaces venues de Chine et le mieux placé pour en informer le reste du monde grâce à sa liberté d’expression. C’est ce que j’ai appelé « les sentinelles des pandémies aux frontières de la Chine ».

Concilier sécurité et liberté

L’abolition de cette doctrine par le gouvernement de Pékin sous l’effet de la double irritation causée par les manifestations à Hongkong et par les bonnes performances sanitaires de Taiwan – qui s’expliquent par sa séparation politique avec la Chine malgré sa proximité géographique – semble peu probable, car elle bouleverserait les équilibres géopolitiques au-delà des relations entre le régime de Pékin et les territoires chinois situés sur ses frontières. Depuis 1983, c’est l’économie mondiale tout entière qui a besoin de la doctrine « un pays, deux systèmes » pour délocaliser les chaînes de production capitalistes dans un pays régi par un gouvernement communiste. La guerre froide qui se déclare entre la Chine et les États-Unis n’a rien à voir avec celle qui eut lieu entre l’URSS et les États-Unis, car les seconds n’ont jamais été aussi dépendants économiquement à l’égard de la première qu’ils le sont à l’égard de l’Empire du Milieu.

Mais il faudrait alors reformuler ce que signifie « deux systèmes » pour comprendre la prétention de la Chine à devenir « un pays » pour le monde entier. Ce terme opposerait non pas le socialisme et le capitalisme, dont tout le développement économique mondial des quarante dernières années montre qu’ils sont compatibles et qu’ils se renforcent mutuellement pour exploiter les forces de production et les ressources naturelles, mais la sécurité et la liberté. Face aux menaces écologiques globales, la Chine aura alors encore besoin de Hongkong et de ses autres sentinelles sur ses frontières, car il n’y a pas de signaux d’alerte sans liberté d’expression.

Données de santé : l’arbre StopCovid qui cache la forêt Health Data Hub

29 vendredi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ 1 Commentaire

 

The Conversation

 

  1. Bernard Fallery

    Professeur émérite en systèmes d’information, Université de Montpellier

Université de Montpellier

 

CC BY ND
Un logo indiquant Covid tracker est représenté dans un centre d’appels dédié au traçage des contacts, où des appels téléphoniques sont effectués pour cartographier le nombre de personnes à Bruxelles qui ont contracté le Covid-19, le 8 mai 2020 à Bruxelles. Laurie Dieffembacq/Belga/AFP
 

Le projet de traçage socialement « acceptable » à l’aide des smartphones dit StopCovid, dont le lancement était initialement prévu pour le 2 juin, a focalisé l’intérêt de tous. Apple et Google se réjouissaient déjà de la mise en place d’un protocole API (interface de programmation d’application) qui serait commun pour de nombreux pays et qui confirmerait ainsi leur monopole.

Mais la forte controverse qu’a suscitée le projet en France, cumulée au fait que l’Allemagne s’en est retirée et à l’échec constaté de l’application à Singapour, où seulement 20 % des utilisateurs s’en servent, annoncent l’abandon prochain de StopCovid.

« Ce n’est pas prêt et ce sera sûrement doucement enterré. À la française », estimait un député LREM le 27 avril auprès de l’AFP.

Pendant ce temps-là, un projet bien plus large continue à marche forcée : celui de la plate-forme des données de santé Health Data Hub (HDHub).

Health Data Hub, la forêt qui se cache derrière l’arbre

Dès la remise du rapport Villani sur l’intelligence artificielle (IA) en mars 2018, le président de la République annonce le projet HDHub. En octobre de cette même année, une mission de préfiguration définit les traits d’un système national centralisé regroupant l’ensemble des données de santé publique, un guichet unique à partir duquel l’IA pourrait optimiser des services de reconnaissance artificielle et de prédiction personnalisée.

Mais l’écosystème de l’IA s’apprête aussi à franchir une nouvelle marche en obtenant l’accès à des données massives provenant des hôpitaux, de la recherche, de la médecine de ville, des objets connectés, etc., et à un marché massif de la santé (prestigieux et à valeur potentielle énorme dans la mesure où il pèse plus de 12 % du PIB). La France, avec son assurance maladie, et le Royaume-Uni, avec son National Health Service (NHS), font ici figure de test, puisque des données cohérentes et fiables y sont maintenues depuis des décennies : Amazon a déjà accès à l’API du NHS pour alimenter son assistant vocal, et Microsoft a déjà signé l’hébergement de toutes les données de santé françaises (stockage, gestion des logs et des annuaires, puissance de calcul et conservation des clés de chiffrement).

Author provided

Le projet HDHub mené « au pas de charge »

En novembre 2018, Stéphanie Combes est nommée cheffe de projet. Fin 2018, le choix de Microsoft est déjà acté (en « dispense de marché public »), alors même que la définition des principes de HDHub attendront juillet 2019 (dans la Loi Santé) et que ses missions ne seront définies qu’en avril 2020, par arrêté ministériel. La CNIL, malgré ses échanges avec Stéphanie Combes, continue à se poser de nombreuses questions.

D’autres voix se sont inquiétées de la gestion si hâtive du projet (comme le Conseil national des barreaux, l’Ordre national des médecins ou encore un député LREM) ; des collectifs ont lancé des alertes argumentées, comme les professionnels de InterHop ou les entreprises du logiciel libre ; et certains médecins ont mis en ligne des vidéos exprimant leur révolte.

Health Data Hub, un cas d’école sur toutes les problématiques du numérique

Contourner l’arbre qui cache la forêt, c’est découvrir toute l’étendue des questions posées par la « transformation numérique » dans la société, et ici dans la santé.

Les questions politiques se cristallisent ici autour du choix de Microsoft, que Stéphanie Combes justifie très classiquement par l’urgence, sans publication des délibérations : « Microsoft était le seul capable de répondre à nos demandes. On a préféré aller vite, pour ne pas prendre de retard et pénaliser la France. »

C’est une question de politique nationale, déjà soulevée dans The Conversation France, puisqu’il s’agit de faire gérer un bien public par un acteur privé, et sans espoir de réversibilité. Mais aussi une question politique de souveraineté numérique européenne puisque cet acteur étasunien se trouve soumis au Cloud Act, loi de 2018 qui permet aux juges américains de demander l’accès aux données sur des serveurs situés en dehors des États-Unis.

Health data Hub, plate-forme de la discorde ou de la concorde ? Extrait du débat « Les Contrepoints de la santé » du 18 décembre 2019 sur le thème des données de santé : « Volontarisme ou vigilance » avec Stéphanie Combes, Directrice du Health Data Hub, Pr Laure Fournier, Service de Radiologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, Pierre-Alain Raphan, député de l’Essonne, David Gruson, comité pilote d’éthique du numérique, fondateur du think tank Éthik-IA.

Les questions techniques se révèlent ici dans un vif débat entre centralisation ou interopérabilité des bases de données. La centralisation définit des architectures de « défense en profondeur » avec des barrières successives par exemple dans le nucléaire ; dans le projet HDHub, cette défense est sous-traitée chez Microsoft.

Stéphanie Combes observe que « si l’on veut faire du traitement de données à cette échelle, on doit centraliser, c’est la seule solution ». À l’opposé, la vision technique des architectures de l’interopérabilité vise à « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » : d’une part, la majorité des attaques ne viennent pas de l’extérieur mais de l’intérieur, avec un risque plus élevé en cas de centralisation, et d’autre part l’anonymat ne résiste pas à la ré-identification d’une personne par croisement de données.

Cette architecture décentralisée consiste alors à gérer les échanges en réseau entre des bases de données qui restent hétérogènes et entre des traitements distribués sur plusieurs serveurs, mais en intégrant ces échanges par des couches d’interfaces qui sont aujourd’hui standardisées et en Open source. À titre d’exemple, c’est une option qui a été choisie dans le projet eHop pour un groupe d’hôpitaux. Elle présente l’avantage de maintenir localement les compétences des ingénieurs et des soignants, nécessaires à la qualification des données de santé.

Les questions juridiques concernent ici le consentement et le secret médical. Les principes européens du RGPD organisent le consentement dès la conception des systèmes d’information (privacy by design) et par une culture de transparence interne dans les organisations (via le délégué à la protection des données). Les données des patients touchent bien sûr à leur intimité, mais la durée, le droit de retrait et surtout la finalité claire d’une utilisation de ces données, sont des principes intangibles fixés par la CNIL.

CNIL

✔@CNIL

#Deconfinement La CNIL publie son avis sur le projet de décret encadrant les systèmes d’information SI-DEP et Contact Covid #COVIDー19 👉 https://www.cnil.fr/fr/deconfinement-lavis-de-la-cnil-sur-le-projet-de-decret-encadrant-les-systemes-dinformation-mis-en …

View image on Twitter

59

11:00 AM – May 13, 2020
Twitter Ads info and privacy
94 people are talking about this

Stéphanie Combes a donné des perspectives sur ce point :

« Les données ne sont censées être stockées que durant la période de l’état d’urgence sanitaire. À sa fin, elles devront être détruites, SAUF SI un autre texte prévoit cette conservation lors de la mise en place finale du Health Data Hub. »

Dans la pratique, et sans compter les problèmes futurs de responsabilité individuelle du médecin, les patients pourraient être soumis à une rupture du secret médical, un principe juridique mais aussi une règle éthique qui fonde la confiance basée sur le serment d’Hippocrate. Une rupture de cette confiance présenterait bien sûr des risques en termes de santé publique.

Les questions économiques se cristallisent autour des enjeux de la transformation numérique. Les tenants du néo-libéralisme voient surtout dans le numérique une force de destruction créatrice : la dérégulation et le désengagement des États favorisent l’innovation disruptive et la croissance par des start-up. Au-delà du seul intérêt scientifique, un développement rapide de l’IA grâce aux GAFAMI, les six géants américains qui dominent le marché du numérique, peut donc être considéré comme relevant de « l’intérêt général », une finalité introduite en 2019 dans la Loi santé.

À l’opposé, les tenants d’une politique économique alternative voient surtout dans le numérique une possibilité de gestion des communs numériques, en suivant les analyses de Elinor Ostrom : des ressources immatérielles non rivales, dont les règles d’accès et d’usage sont gérées par des communautés auto-organisées très diverses (par exemple, depuis Internet, en passant par Wikipedia et jusqu’à l’Open data, le logiciel libre ou les énormes bases scientifiques de type Protein Data Bank). Ceux qui partagent cette vision dénoncent l’idée de la séparation entre d’une part la qualification des données médicales, qui se fait grâce à un long travail de collecte et de tri financé par le secteur public et soumis aux traités de libre circulation des données, et d’autre part la valorisation de ces données, avec une marchandisation de la santé par le secteur privé que protègent les traités sur les brevets.

Le contrôle des « data santé » vu par les penseurs d’hier et d’aujourd’hui

La question sociale du contrôle sanitaire de nos comportements ne peut pas être analysée sans les concepts forgés par les sociologues. Michel Foucault a décrit le passage progressif à la société disciplinaire en utilisant les concepts de « biopolitique » (qui porte sur les formes d’exercice du pouvoir sur les corps) et de « gouvernementalité » (qui associe gouvernement et rationalité, dans des technologies du gouvernement des individus et de soi, pour assurer l’autodiscipline : hier déjà, le confinement, l’école, l’hôpital, les statistiques et maintenant les panoptiques du drone et du bracelet).

Gilles Deleuze a décrit un nouveau passage vers la société de contrôle par le collier électronique, avec les concepts de « langage numérique » d’accès à la réalité. Alors que Kafka a forgé la notion d’« atermoiement illimité » : il ne s’agit plus de discipliner et d’ordonner, mais de contrôler en gérant tout désordre.

Antoinette Rouvroy, docteure en sciences juridiques et chercheuse qualifiée du FNRS, s’exprime sur le sujet de la gouvernementalité algorithmique et l’idéologie des big data, le 6 mars 2018. À la minute 10, elle s’exprime notamment sur les données médicales.

Aujourd’hui, des sociologues comme A. Rouvroy ou D. Quessada montrent un prochain passage à la société des traces avec les concepts de gouvernementalité algorithmique (qui va au-delà d’une maîtrise du probable ; il s’agit d’une maîtrise du potentiel lui-même, pour « ajuster » nos comportements) et de sousveillance, qui n’est plus une sur-veillance, mais une sous-veillance par un quadrillage discret, immatériel et omniprésent de tous les types de traces que nous laissons, comme nos signaux, nos productions, nos empreintes, nos passages et nos liens…

Quand Merkel et Macron endossent la tunique mythique du couple franco-allemand

29 vendredi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

 

  1. Sylvain Kahn

    Professeur agrégé, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

CC BY ND
Conférence de presse commune d’Angela Merkel et Emmanuel Macron, le 18 mai 2020, Berlin / Paris. Kay Nietfeld/Pool/AFP
 

Depuis la spectaculaire annonce franco-allemande d’un plan pour une relance européenne, les commentaires entonnent le refrain de la « renaissance du couple franco-allemand ». Ces commentaires sont d’un classicisme prononcé… depuis 40 années.

Faire ce constat n’a pas pour but de disqualifier de tels commentaires. Il s’agit au contraire d’en prendre la mesure. Par leur permanence, ils constituent un fait en soi dont l’analyse permet de comprendre une dimension centrale de l’Union européenne : le couple franco-allemand est le mythe opératoire de l’Europe.

Une annonce historique

L’annonce d’une dette européenne par Angela Merkel et Emmanuel Macron est, au sens propre, historique. Elle constitue, en effet, un tournant dans l’histoire de l’UE.

Pourtant, la plupart des commentaires portent surtout sur les dirigeants nationaux et les pays : Macron a-t-il gagné ? Le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, très attaché à la discipline budgétaire, a-t-il perdu ? Merkel va-t-elle rentrer dans l’histoire et se représenter aux élections ? Qui a mangé son chapeau ? Étrangement, ce type de commentaires porte la marque de ce que l’UE n’est pas et n’a jamais été : un concert des nations. C’est-à-dire un système de relations internationales mû par des rapports de forces – les forces en question étant pour l’essentiel les États. Georges-Henri Soutou a pourtant montré depuis trente ans déjà que la construction européenne choisie depuis 1950 tourne le dos au concert européen des nations (dont on peut faire remonter les débuts aux traités de Westphalie de 1648 ou au Congrès de Vienne de 1815).

Jean Monnet (au centre à gauche), chef de la délégation française, signe les documents, le 19 mars 1951 au ministère français des Affaires étrangères à Paris, du Plan Schuman de mise en commun des ressources minières et sidérurgiques de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et des trois pays du Benelux, créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, sous la présidence de Robert Schuman (à droite, avec des lunettes), ministre français des Affaires étrangères, auteur du plan. AFP

Ce choix est celui de l’interdépendance et de la conviction qu’il existe un intérêt général européen qui subsume les intérêts particuliers que sont les intérêts nationaux. C’est pourquoi la construction européenne n’est pas soluble dans le champ des relations internationales : avant d’être un objet diplomatique et étatique, elle un objet social et politique.

L’Union européenne est autant un système politique qu’une société ; elle est autant un ensemble d’institutions – en l’espèce multiscalaire – qu’une communauté de citoyens. En fait, donc… l’UE est un pays. Mais, chut ! Il ne faut pas le dire. Dans les récits des Européens sur eux-mêmes, il ne saurait y avoir de pays que d’États-nations. Que les Bavarois, les Écossais et les Catalans puissent appartenir à deux pays, celui de leur État local et celui de leur État fédéral (Allemagne, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, Royaume d’Espagne) est pourtant un énoncé couramment admis. En l’occurrence, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Lettonie, la Slovaquie, le Luxembourg, le Danemark… sont au sein de cet État fédéral qu’est l’UE des États locaux disposant de tous les attributs de la souveraineté.

L’Europe est un pays

Oui, l’UE est un pays fédéral baroque et complètement atypique. Le poids des héritages étatiques et le narcissisme des classes politiques sont tels, l’habitude d’encastrer la démocratie dans la seule nation, l’habitude d’utiliser la scène nationale comme principal théâtre de la distribution de l’accès au pouvoir dans le cadre de la compétition démocratique sont telles, qu’il n’est toujours pas possible de reconnaître que l’Europe est, elle aussi, un pays.

Même l’apparition d’une monnaie européenne n’a pas entamé la résistance à cette réalité. Au contraire ! Elle en a redoublé les ardeurs. Et voici maintenant les Européens sur le point d’émettre une dette publique européenne. Ne pas qualifier l’Europe de pays ou d’État fédéral va encore plus s’apparenter à un déni de réalité. Pourtant, il n’y a pas de raison que cela s’arrête, tant ce déni finit par être consubstantiel à la construction européenne elle-même.

Et peu importe qu’une majorité toujours plus grande d’habitants de l’Europe considère l’existence de l’UE comme une bonne chose et l’UE comme un appareil d’État et un système de gouvernement qui est à l’échelle des menaces qui pèsent sur eux et des besoins qu’ils ressentent (comme le montrent, notamment, les enquêtes Eurobaromètre et la toute récente enquête Kantar sur le rapport des Français à l’Europe). Peu importe, puisque les classes politiques restent nationales, de même que les organes de presse, puisque la socialisation par l’école place la construction de l’État-nation au centre du village des connaissances, et puisqu’une minorité tout à fait respectable d’Européens se défient de la supranationalité.

C’est là qu’intervient le mythe du couple franco-allemand. D’ici peu, quand l’Europe émettra concrètement de la dette publique sur les marchés, le mythe de la relance franco-allemande servira à recouvrir plusieurs faits.

Le couple franco-allemand : mythe opératoire de l’Union européenne

Il recouvrira tout d’abord le fait que tant de commentaires aient expliqué tout au long de la crise sanitaire que l’Allemagne ne pouvait que bloquer une telle évolution puisqu’elle n’y avait pas intérêt, voire parce qu’elle est égoïste ; il recouvrira donc le fait que tous ces commentaires se sont « trompés ». Il recouvrira aussi le fait qu’il s’agit d’un processus historique, social, bien plus que l’évolution d’un rapport de forces dont on nous rebat les oreilles depuis près de dix ans non sans flirter parfois avec une germanophobie qu’on imaginait enterrée. Et voilà : le couple franco-allemand est un deus ex machina, une sorte de dieu de l’Olympe. De temps en temps, il renaît, il se réveille d’une longue sieste, il surgit : ça ne s’explique pas ; ça se constate.

Olivier Pingal@pingal_HG

[Histoire] Les couples franco-allemands : ciment de la construction européenne
via @touteleurope Journée 🇫🇷 🇩🇪 franco-allemandehttps://www.touteleurope.eu/actualite/histoire-les-couples-franco-allemands-ciment-de-la-construction-europeenne.html …

View image on Twitter

1

10:04 AM – Jan 22, 2019
Twitter Ads info and privacy
See Olivier Pingal’s other Tweets

Prenons parmi les quelques précédents un exemple archétypal resté fameux dans l’histoire : le couple Helmut Schmidt–Valéry Giscard d’Estaing. Ce duo est considéré comme un couple franco-allemand européen indiscutable, essentiel, voire idéal (comme on le dit d’un gendre). Il est passé à la postérité pour avoir impulsé le système monétaire européen (SME), le Conseil européen et l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Toutes choses rigoureusement exactes. Mais le mythe recouvre les sept années de divergences et de débats féroces sur la politique économique et monétaire entre l’Allemagne de l’Ouest et la France ayant précédé le lancement du SME. Sept années durant lesquelles les deux hommes eurent des responsabilités concordantes selon un calendrier concordant : ministres des Finances puis chefs de l’exécutif.

Le mythe du couple franco-allemand a aussi pour fonction de recouvrir un autre fait : l’Europe est un régime politique. Et c’est un régime délibératif et pluraliste. Il ne suffit évidemment pas que les deux pays les plus peuplés de l’UE se mettent d’accord pour faire voter une loi européenne ni pour qu’une nouvelle politique publique européenne soit mise en œuvre. L’UE est le contraire d’un concert des nations. Le droit du plus fort, c’est terminé. Il faut convaincre, négocier, réunir des coalitions, emporter la conviction, dans un mélange subtil d’idéalisme et de marchandage.

Le droit du plus fort, c’est terminé

L’Europe est une société pluraliste. Elle est tissée par des débats et des oppositions sur les préférences collectives, entre représentations, groupes et intérêts variés qui s’affrontent ou se confrontent sur la vision de l’intérêt général et des politiques publiques. Sur le plan franco-allemand d’une dette européenne, les différentes familles politiques confronteront des visions différentes de la mise en place de cette endettement mutualisé ; certaines commenceront par le refuser, et seront probablement minoritaires au sein du Parlement européen. Mais toutes pèseront sur le compromis final.

Le processus sera du même ordre au sein de la communauté des États. Déjà les États dits « radins » ou « frugaux » (Danemark, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Suède) ont déclaré leur opposition au plan franco-allemand. Mais, comme on le voit à chaque avancée depuis deux mois, leur position va s’assouplir, et se mettre en phase avec leurs opinions publiques. La société civile européenne, dans toutes ses composantes diverses, convergentes et antagonistes, pèsera sur la forme finale et opérationnelle du plan.

Au final, pour certains, les effets de ce nouveau mécanisme d’endettement européen seront trop modestes et pour d’autres trop importants. Le plus important est que ce nouveau mécanisme aura été adopté par un processus délibératif avec ses promoteurs, ses opposants, ses compromis, ses heureux et ses furieux – comme n’importe quelle réforme dans n’importe quel pays démocratique. Cachez ce sein que je ne saurais voir… : recouvrez-le par le couple franco-allemand.

Le mythe raconte l’histoire interdite de la mutualisation de souveraineté

Enfin, la construction du mythe du couple franco-allemand, moteur de l’Europe, a pour fonction d’habiller et d’apprêter le changement de paradigme de la souveraineté opéré dans la construction européenne. Changement de paradigme, en effet : la mutualisation de la souveraineté n’est pas la mise sous tutelle ou la perte de l’indépendance. Elle correspond à une rupture non seulement avec le concert des nations mais aussi avec le nationalisme. Le discrédit profond et durable du nationalisme fut, et demeure, la condition nécessaire à l’intégration européenne. Celle-ci met chacun des pays qui y adhèrent sur un pied d’égalité, tout du moins d’égale dignité. Ce faisant, cette démarche repose sur l’accord librement consenti et négocié à des mutualisations de souveraineté nationale.

L’invention du couple franco-allemand est l’histoire avec laquelle la France, ses manuels scolaires et ses médias tout particulièrement, se raconte ce choix. Le mythe du couple a en effet pour fonction d’habiller la mutualisation des souverainetés nationales dans l’Europe, et donc l’abandon par la France de sa centralité dans l’histoire et dans l’espace mondial. De la déclaration Schuman à sa bénédiction donnée par Mitterrand à une réunification allemande enchâssée dans l’Union européenne, la France ne témoigne-t-elle pas de magnanimité et de générosité avec l’envahisseur d’hier ? N’est-ce pas l’apanage d’un pays sûr de sa force et de son aura, d’un pays souverain ? Emmanuel Macron a lui aussi sacrifié au mythique rituel en proposant il y a peu d’étendre à la protection du territoire allemand la dissuasion nucléaire française.

Il y a donc de nombreuses raisons au rituel régulièrement rejoué du couple franco-allemand. À la façon des deux corps du roi que raconte Kantorowicz, le couple franco-allemand survit toujours à la mort politique ou physique des dirigeants qui l’incarnent à un moment donné : de Gaulle-Adenauer ; Giscard-Schmidt ; Mitterrand-Kohl. Il est exigé des dirigeants qu’ils l’incarnent, quand bien même, tels Chirac-Schröder, Sarkozy-Merkel ou Merkel-Hollande, ils n’y inclinent pas. Avec leur plan de relance par une dette publique européenne, Angela Merkel et Emmanuel Macron, tandem jusque-là poussif, viennent d’endosser la tunique immortelle du couple franco-allemand avec laquelle les Français se racontent chaque renforcement de leur nouveau pays qu’est l’Europe.

Télévision et confinement : la permanence d’un média social

28 jeudi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Céline Ségur

    Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

Université de Lorraine

 

CC BY ND
 

La durée d’écoute de la télévision a augmenté pendant la période du confinement en France. Dès la fin du mois de mars, l’institut officiel de mesure de l’audience Médiamétrie annonçait des résultats en forte hausse en comparaison de ceux des années précédentes à la même période. L’allocution du président Macron du 13 avril 2020, retransmise en direct sur pas moins de onze chaînes, a été suivie par 36 millions de téléspectateurs. Ce qui en fait le nouveau record d’audience en France.

Ces résultats rappellent combien la télévision est toujours une pratique culturelle et sociale majeure alors que d’aucuns prédisaient sa disparition au profit d’Internet. Ainsi la période exceptionnelle du confinement invite-t-elle à (ré-)interroger la place du média télévisuel dans notre société : l’augmentation de la durée d’écoute est-elle le produit d’un désœuvrement massif que l’explosion de tutoriels sportifs et culinaires en ligne n’a pas suffi à combler, ou est-elle le signe de la permanence du média comme gage d’un lien social ? Le succès actuel des contenus télévisuels est-il une anomalie dans un processus contemporain de dissolution du média dans l’ensemble complexe d’écrans, d’offres et de pratiques audiovisuels ? Certes, la consommation moyenne du média a tendance à diminuer de quelques minutes chaque année depuis une écoute record enregistrée en 2012 (voir la figure 1) ; mais, elle ne connaît pas de chute spectaculaire.

Évolution de la durée d’écoute individuelle quotidienne de la télévision sur le poste de tv en minutes (2005-2019) (Graphique réalisé par l’auteure à partir des données de l’Institut Médiamétrie). Author provided

Durant le mois d’avril 2020, la durée d’écoute moyenne quotidienne des Français âgés de 4 ans et plus a été de 4h38, alors qu’elle était de 3h30 au mois d’avril 2019 (Source : Institut Médiamétrie). Soit une hausse de 32 %. En moyenne en 2019, la durée d’écoute individuelle était de 3h30. Les chiffres d’audience calculés par Médiamétrie incluent l’écoute sur tous les écrans (télévision, tablette, ordinateur, smartphone) ainsi que tous les modes contemporains de visionnage (live, différé et catch-up).

L’évolution observée en avril 2020 concerne toutes les tranches d’âge et catégories socioprofessionnelles, mais à des degrés différents qu’il est intéressant de relever : l’augmentation de la durée d’écoute est plus importante pour ceux qui consomment habituellement peu la télévision. C’est-à-dire les « jeunes âgés de 15 à 34 ans » et les « individus de catégorie socio-profes sionnelle supérieure (CSP+) ». En revanche, elle est inférieure à la moyenne pour les gros consommateurs traditionnels, les « individus de plus de 50 ans ». Pour ces derniers, on enregistre une hausse de la consommation de 27,6 % (6h42 d’écoute moyenne quotidienne en avril 2020 contre 5h15 en avril 2019). Alors que les « individus de CSP+ » ont regardé la télévision pour une durée supérieure de moitié à celle qu’il consacrait au média l’année dernière : + 55,3 %, soit 4h07 en avril 2020 contre 2h39 en avril 2019.

Les 15-34 ans, dont on sait qu’ils ont tendance à délaisser le petit écran traditionnel au profit d’internet, ont eux passé plus de temps devant des images télévisuelles à hauteur de + 44,1 % (2h27 en avril 2020 contre 1h42 en avril 2019) (voir le tableau 1).

Évolution de la durée d’écoute individuelle mensuelle, avril 2019-avril 2020 (tableau réalisé par l’auteure à partir des données de l’institut Médiamétrie). Author provided

Ces résultats ne sont guère surprenants si l’on se souvient des résultats d’enquête présentés à la fin des années 1980 par Michel Souchon, ancien sociologue et responsable d’études dans les services de recherche de la télévision : la télévision tend à occuper le temps disponible des individus, le média est davantage consommé par ceux qui ont beaucoup de temps à lui accorder. Ceci pour diverses raisons : inactivité professionnelle, immobilisation temporaire, accès limité aux équipements culturels, pour les uns ; tandis que les autres, les individus qui passent beaucoup de temps à l’extérieur de leur domicile, pour travailler, se divertir, faire du sport, s’instruire, participer à la vie d’une association sont ceux qui pratiquent le moins la télévision. Ainsi la situation de confinement a-t-elle naturellement augmenté le temps de disponibilité pour la pratique télévisuelle, en particulier pour ceux dont le temps passé à la maison s’est le plus accru.

On sait aussi que les « petits consommateurs de télévision » ont tendance à regarder les programmes qui sont aussi les plus plébiscités par ceux qui la regardent beaucoup (fiction, information, divertissement). Ce qui permet de mieux comprendre les scores d’audience élevés enregistrés par les chaînes les plus populaires ainsi que les stratégies spécifiques de programmation mises en œuvre (e. g. la programmation de « demi-épisodes » du divertissement Koh Lanta). Par ailleurs, la multiplication des « grands rendez-vous télévisuels » qu’ont constitués les allocutions du président de la République et des membres du gouvernement sont pour beaucoup dans l’augmentation de la durée d’écoute.

Ainsi, si l’on observe un mouvement de diversification et de désynchronisation des modes de consommation de contenus télévisuels depuis une dizaine d’années, l’on constate en même temps une permanence dans la capacité de la télévision de flux à rassembler un large public. Ceci se manifeste aussi au niveau de la télévision de rattrapage : elle est utilisée par les téléspectateurs pour perpétuer une logique de rendez-vous télévisuel à des moments fixes qui s’accordent davantage avec leurs contraintes temporelles. En 1990, Dominique Wolton soulignait le rôle démocratique de la télévision dans l’ouvrage Éloge du grand public. Il définissait ainsi la pratique télévisuelle : « Chacun accède individuellement de chez lui à cette situation collective, partagée simultanément par le plus grand nombre » (p. 3). Une assertion encore pertinente pour décrire le phénomène télévisuel observé durant le confinement. Les résultats d’audience de ces dernières semaines semblent confirmer la permanence d’une télévision comme vecteur de lien social. Ils sont à conjuguer avec l’évolution des pratiques des publics en lien avec les nouvelles technologies numériques, observée depuis une décennie. La multiplication des expériences de sociabilité associées à la pratique télévisuelle, par exemple le volume des échanges sur les réseaux socionumériques en lien avec des programmes de télévision, manifeste elle aussi un besoin de participation synchrone à un public.

Quels secteurs stratégiques pour l’avenir de la France ?

28 jeudi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

 

  1. André Torre

    Directeur de recherche en économie à l’INRA, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

Université Paris-Saclay

Agro ParisTech

 

CC BY ND
Le président de la République Emmanuel Macron prononce un discours lors de sa visite de l’entreprise de masques Kolmi-Hopen à Saint-Barthelemy-d’Anjou, près d’Angers, le 31 mars dernier. Loic Venance / POOL / AFP
 

La question est obsédante, et devient urgente. Avant même l’arrêt de la pandémie du Covid-19, dans une phase de démarrage du chômage de masse et pour ne pas risquer un blocage mortel, comment remettre la machine économique en marche ? La crise sanitaire nous interroge. Elle a mis en évidence la fragilité de l’économie française et sa dépendance à l’égard de pays producteurs de biens ou de produits intermédiaires cruciaux.

Il convient d’identifier des secteurs stratégiques, essentiels pour nous protéger des effets dangereux des crises futures, et éviter des chocs profonds, susceptibles de déstabiliser notre économie, mais aussi toute la société.

Certains prétendent que ces secteurs devraient tenir compte avant toute chose des impacts environnementaux. Mais cette position est-elle tenable dans un contexte de recul des produits intérieurs bruts (PIB), de montée du chômage, de risque d’explosions sociales, d’accroissement de la pauvreté, de la misère et de l’exclusion ?

Quels pourraient être les secteurs stratégiques, ceux qui, si nous faisons l’effort nécessaire, nous permettront de ne pas être démunis face à une nouvelle pandémie ou à un évènement encore plus grave ? Les commissions mises en place au cours des années ont peiné à les définir, mais la crise redessine les contours et les urgences.

Pourtant il est possible, avec une grosse dose de volontarisme, d’identifier trois catégories de secteurs stratégiques.

Les secteurs vitaux

Ce sont les activités essentielles à la satisfaction des besoins vitaux de la population. Des moyens supplémentaires doivent être mis en place pour les protéger et les développer. Elles sont au nombre de deux seulement, la santé et l’alimentation. Leur relocalisation nous protégera, tout autant qu’elle limitera les longs trajets polluants et consommateurs d’énergies fossiles.

La crise du coronavirus a prouvé tout l’intérêt du secteur de la santé. La non disponibilité de masques, de gel hydroalcoolique, de respirateurs, ou de tests, mais plus encore l’impossibilité d’en produire rapidement, font l’objet de toutes les critiques et de toutes les inquiétudes.

La pénurie de médicaments fait aussi courir un grand danger, la plupart des molécules étant fabriquées en Chine ou en Inde, des antibiotiques aux médicaments les plus banals comme le paracétamol.

Conversation France

✔@FR_Conversation

Médicaments : une pénurie si prévisible… https://bit.ly/2yRtE5E 

View image on Twitter

2

10:59 PM – Apr 28, 2020
Twitter Ads info and privacy
See Conversation France’s other Tweets

Il apparaît donc essentiel de relocaliser une partie de ces productions sur le territoire national pour un accès direct et permanent et préserver ainsi la possibilité d’augmentation rapide des capacités de production.

L’autre activité vitale est l’alimentation, et donc les industries et activités agricoles assurant sa fabrication et sa livraison. Il s’agit de nourrir la population française et d’éviter les famines et restrictions alimentaires qui commencent déjà en Inde ou, plus près de nous, au Portugal.

Une grande partie des produits consommés par les ménages français ont suivi des chaînes de valeurs internationales qui sillonnent de nombreux pays. Au vu des risques de coupure des transports, re-territorialiser une partie des productions agricoles permettrait de préserver la souveraineté alimentaire de la nation.

Sans exclure un commerce avec les autres pays, en particulier européens, il apparaît nécessaire de construire et de favoriser les systèmes agricoles, circuits courts, usines de transformation et de conditionnement ou les chaînes logistiques pour nourrir la population.

Les secteurs entraînants

Le deuxième groupe d’activités stratégiques concerne les industries possédant un contenu en emploi conséquent ou qui entraînent des emplois indirects ou induits, par leurs activités de sous-traitance ou leurs achats.

Le premier secteur est évidemment le tourisme, qui génère plus de trois millions d’emplois directs ou liés, en particulier à la suite de la désindustrialisation massive et aux délocalisations de l’économie française.

Cette activité, à la base d’un projet économique mais aussi d’aménagement du territoire, est très fortement menacée en raison des restrictions de déplacements des personnes, qui vont entraîner une diminution des emplois, des licenciements massifs, ainsi que la mise à pied de millions de travailleurs saisonniers. N’oublions pas qu’elle est également terriblement exigeante en termes de pollution des airs ou des mers, ainsi qu’en matière de consommation énergétique.


À lire aussi : Le tourisme de masse est-il soluble dans le tourisme durable ?


Au-delà, nous avons l’opportunité de renouer avec une véritable politique industrielle, de définir et protéger des industries essentielles au maintien et au développement d’une activité économique qui ne repose pas sur les seuls services.

Les tableaux d’entrées-sorties de l’Insee, qui analysent chacun des secteurs en fonction de l’origine et de la destination de sa production, nous permettent d’identifier les activités qui génèrent le plus de productions et d’emplois induits et exercent des effets d’entraînement sur l’ensemble de la structure productive nationale, comme cela a été fait récemment pour le Brésil par exemple.

On cite souvent le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui demande la mise en œuvre de nombreuses industries liées, en amont comme en aval, « quand le bâtiment va tout va ».

La production automobile, la chimie, l’industrie alimentaire, constituent également des candidats sérieux, et pourraient contribuer à une réindustrialisation graduelle de l’espace économique national.

Une mission d’étude devrait permettre de repérer les secteurs entraînants et de les aider par une politique volontariste de l’État. Elle aurait deux intérêts : pérenniser les emplois ou les développer, et diminuer notre dépendance toxique au tout tourisme ou au tout service.

Le maintien de la cohérence territoriale

Enfin, un autre objectif reste de ne pas creuser les inégalités entre territoires, en favorisant Paris au profit du « désert » français, ou les métropoles par rapport aux campagnes, et donc d’introduire une dimension locale, afin d’éviter un trop fort déséquilibre régional et des concentrations trop massives d’activités portant atteinte à l’environnement.

La spécialisation intelligente de l’Union européenne, qui identifie des domaines d’activités compétitives, nous montre la voie.

À chaque région de faire un choix d’activités où elle excelle ou se montre compétitive, des technologies de pointe comme les microprocesseurs aux productions traditionnelles comme la viticulture, en passant par la production automobile.

C’est un réseau d’activités complémentaires qui doit être promu, afin d’éviter de créer des cathédrales dans le désert, coupées de leur environnement local.

Chaîne de production de véhicules électriques et hybrides Renault-Nissan à Flins-sur-Seine en France le 18 mai 2020. Martin Bureau/AFP

Les aides se répercuteront sur la structure régionale, en bénéficiant aux activités et industries liées locales. La Normandie vient ainsi de décider de renforcer son industrie pharmaceutique, pour des raisons stratégiques et pour favoriser la croissance du tissu local d’entreprises.

L’Île-de-France de son côté souhaite redonner une importance à son activité de production agricole dans le but de nourrir une partie de sa population et de limiter l’étalement urbain incontrôlé.

Seul le retour d’une vraie politique industrielle et d’aménagement du territoire, avec des objectifs clairs, permettra donc de remettre en marche la machine de production de biens et de produits manufacturés.

C’est également un levier qui nous protégera de manière efficace des atteintes sociales et économiques les plus violentes des futures crises et pandémies, tout en maintenant une balance environnementale satisfaisante à défaut d’être idéale.

Cela suppose du volontarisme, une vision claire et l’identification de cibles concrètes. Tout le contraire de l’argent hélicoptère ou des milliards accordés sans contrepartie certaine à de grandes sociétés dans des secteurs en perdition ou premiers pollueurs.

« Le manager malgré lui » : quand Molière éclaire la bêtise organisationnelle

27 mercredi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

The Conversation

 

  1. Thomas Simon

    PhD Student, chargé de cours en RH, ESCP Business School

ESCP Europe

 

CC BY ND
Illustration de Pierre Brissart pour une édition de 1682 du Médecin malgré lui. Wikimedia commons
 

Dans un essai intitulé « The stupidity paradox », les professeurs Mats Alvesson et André Spicer mettent en garde les managers des institutions bureaucratiques qui ne laissent aucune place à l’expression de l’intelligence humaine. À cet égard, ils parlent d’un phénomène de « stupidité fonctionnelle ». Au cœur de leur paradoxe, ils dénoncent l’affectation des salariés les plus compétents aux tâches les plus stupides.

Le plus édifiant dans l’ouvrage d’Alvesson et Spicer, c’est la manière dont ils démontrent l’attrait suscité par cette stupidité fonctionnelle sur le court terme. En effet, l’absence de remise en question et la conservation de structures processuelles séculaires assurent une certaine stabilité et des économies de moyens conséquentes. Cependant, lorsqu’elle est pensée sur le long terme, la stupidité fonctionnelle devient dévastatrice. Elle est marquée par l’imitation de la concurrence et la poursuite d’objectifs spécieux. Cette stupidité pérenne devient alors la plus pure illustration de la bêtise.

La paradoxe de la stupidité (Ghislain Deslandes, 2017).

La littérature comme réservoir de motifs

Quatre siècles avant Alvesson et Spicer, Molière s’intéressait lui aussi à la bêtise, mais dans un tout autre contexte que celui des organisations. En observateur acerbe de la société de son temps, Molière a mis en scène la plupart des travers humains : l’avarice, l’hypocrisie, l’infidélité et surtout la bêtise. Dans Le médecin malgré lui, le dramaturge français nous offre une caricature sans concession des médecins du Grand Siècle. Dès lors, l’écriture satirique du dramaturge apparaît essentielle pour mieux comprendre les rouages subtils de la bêtise humaine.

Et si finalement Molière devenait un auteur tout aussi incontournable qu’Alvesson et Spicer pour penser la bêtise dans les organisations ? Il s’agirait alors de considérer la littérature comme un réservoir de motifs dans lequel on viendrait puiser des éléments de réflexion pour mieux comprendre ce qui se joue dans les organisations.

Cette invitation à un dialogue entre les deux champs disciplinaires a notamment été initiée par l’économiste et professeur émérite à Stanford, James Gardner March. En effet, ce professeur a marqué des générations d’étudiants en délaissant les classiques « études de cas » pour travailler à partir d’œuvres littéraires comme « Guerre et Paix » ou « Don Quichotte ».

Dans l’ouvrage collectif Littérature et management paru en 2018, les professeurs Fabien de Geuser et Alain Max Guénette saluent eux aussi les potentialités offertes par la littérature pour enrichir les modèles gestionnaires. Dès lors, littérature et sciences de gestion ne doivent pas être envisagées comme deux champs hermétiques mais bien comme deux domaines qui s’interpénètrent mutuellement.

Les deux formes de la bêtise

On distingue traditionnellement deux formes de bêtise. Il y a tout d’abord une bêtise première, une bêtise essentielle qui est l’apanage de l’inculte, de l’ignorant et de l’incompétent. Elle résulte de l’absence d’études approfondies ou d’un manque de compétences techniques. Même si elle peut se révéler dangereuse, cette première forme de bêtise est curable grâce à l’injection soutenue des connaissances qui font défaut.

Cependant, s’il suffisait d’être intelligent pour ne pas être bête, autrement dit si la bêtise n’était qu’une affaire d’inculture ou d’ignorance alors l’espoir serait permis. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples.

Loin d’endiguer la bêtise, l’intelligence peut avoir pour effet de donner à l’imbécile la conviction littéralement confortable que la bêtise ne le concerne pas. C’est ce que le philosophe Clément Rosset appelle la « bêtise du second degré », c’est une bêtise intelligente mais foncièrement incurable puisque l’imbécile croit qu’il est déjà sauvé. L’homme bête brandit alors sa culture comme un parafoudre oubliant par là même qu’il suffit de croire qu’on échappe à la bêtise pour tomber dedans.

Dans ces conditions, la bêtise n’épargne personne, c’est une menace incessante et cette menace, l’imbécile y succombe d’autant plus aisément qu’il se croit à l’abri. Dès lors, cette bêtise du second degré n’est pas tant une affaire de contenu qu’une affaire de forme. La bêtise n’est pas du tout comme on le croit habituellement une chute ou une rechute dans l’animalité ou dans l’anormalité, elle n’est pas irrationnelle, c’est au contraire l’affirmation d’une raison suffisante, d’une raison outrecuidante, imbue d’elle-même et qui se réclame des grands principes de la logique.

Quand le costume ne fait pas le manager

Il faut ici rappeler que dans les « entreprises, le management fait souvent partie des propositions d’évolution ». On serait ici tenté de pasticher Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe en affirmant qu’« on ne naît pas manager, on le devient ».

Il suffirait alors de quelques cours reçus en MBA ou de quelques séminaires de coaching pour faire du salarié lambda un encadrant crédible. Si le costume ne fait pas le manager, le titre fonctionne encore moins comme un énoncé performatif. Il ne suffit pas de décréter un salarié manager pour qu’il le devienne effectivement. L’ancienneté et quelques conseils reçus sur le tas ne permettront pas nécessairement de faire d’un bon technicien un manager digne de ce nom.

C’est là où Molière nous donne de précieuses leçons avec sa pièce « Le Médecin malgré lui ». En effet, on y découvre le personnage drolatique de Sganarelle, un bûcheron et ivrogne notoire converti en médecin pour échapper aux coups de bâton. En enfilant les vêtements des médecins du XVIIe siècle, Sganarelle multiplie les ruses et prend sa nouvelle fonction très au sérieux. Tout au long de la pièce, il s’ingénie à dispenser de véritables consultations. Si on suit le sens littéral du texte, l’attitude de Sganarelle déguisé en faux médecin relève avant tout d’une bêtise du premier degré, c’est-à-dire de l’incurie de celui qui ne sait pas vraiment ce qu’il fait.

« Le malade imaginaire » (Honoré Daumier, autour de 1860). Wikimedia

Tout comme on ne s’improvise pas médecin, on ne s’improvise pas manager non plus. La négociation, l’intelligence relationnelle ou encore le leadership sont des qualités essentielles qui oscillent entre innéité et acquisition. On peut aisément transposer le ridicule provoqué par l’imposture de Sganarelle à certaines situations managériales. Le nouveau manager se retrouve alors parachuté du jour au lendemain dans un rôle qui n’est pas le sien par un simple mécanisme de promotion. Il devient manager malgré lui.

Le cas du « sale con »

Le « sale con » ou « asshole » pour reprendre le terme du professeur Robert Sutton que l’on peut rencontrer dans les organisations est l’archétype de ce que Rosset appelle la bêtise du second degré. Tel Moïse sauvé des eaux, le « sale con » pense échapper à la bêtise en brandissant un pseudo-vernis managérial en guise de paratonnerre.

Malgré le caractère frivole de la sémantique utilisée par Sutton, le sujet est très sérieux voire même capital pour les organisations. Pour ce théoricien du management, il apparaît indispensable d’analyser le comportement des individus pour en comprendre les conséquences organisationnelles. Sutton établit notamment une distinction entre le « sale con occasionnel » et le « sale con certifié ». Le premier a pu se laisser aller ponctuellement à un comportement déplacé tandis que le second use en permanence d’une attitude toxique envers ses subordonnés. Même si le premier doit faire l’objet d’une surveillance, le second représente un véritable danger pour les organisations.

Chez Molière, il faut se hisser au-delà du discours de Sganarelle et des protagonistes pour comprendre la portée globale de la pièce. Il s’agit alors de dépasser la lettre du texte à proprement parler pour en comprendre l’esprit. Dans « le Médecin malgré lui », Molière nous propose plus largement une satire de la médecine de son temps qui reste encore valable de nos jours.

Acte II, scène 4 du Médecin malgré lui : Sganarelle « ausculte » Lucinde (Théâtre Hatier, 2015).

Le jargon pédantesque employé par Sganarelle est un moyen efficace pour élaborer une critique acerbe des théories et des pratiques médicales en vigueur. Si le cas particulier de Sganarelle relève davantage d’une bêtise du premier degré en raison de son inculture scientifique, le cas plus général des médecins est la parfaite illustration d’une bêtise du second degré. Molière fustige ici le mythe du médecin thaumaturge capable d’accomplir des miracles. En réalité, le praticien ne fait que reprendre les dires des Anciens, sans les contrôler par l’expérience. L’honneur est sauf tant que la théorie est respectée.

Le recours systématique aux sentences latines est aussi une des caractéristiques de l’art médical de l’époque. Que personne n’y comprenne rien importe peu, l’essentiel pour le médecin, c’est de se comprendre lui-même. Une telle attitude est le symptôme aigu d’une autosuffisance identitaire qui refuse de s’ouvrir à autrui, de dialoguer et d’argumenter. Dès lors, Molière s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la satire des médecins. On les moque, on rit d’eux pour dénoncer leur inefficacité ainsi que leur vanité et leur insupportable superbe. Le « sale con » évoqué par Sutton est ici esquissé en filigrane.

« Vouloir conclure »

Difficile de trouver le mot de la fin sur un tel sujet. En effet, Flaubert rappelle dans sa « Correspondance » que : « la bêtise consiste à vouloir conclure ». C’est la volonté qui est importante ici. En effet, toute conclusion n’est pas bête. C’est la volonté de conclure, c’est-à-dire d’avoir le dernier mot, le mot de la fin qui relève d’une bêtise profonde. Risquons-nous malgré tout à quelques mots de conclusion. En mettant en scène un bûcheron grossier devenu médecin, Molière nous invite plus que jamais à débusquer les imposteurs et autres charlatans qui peuplent nos existences.

Pour le philosophe Alain Roger, nul doute que la bêtise absolue résulte d’un ego surdimensionné et d’une confiance en soi inébranlable. Autosuffisance, pédanterie et sentiment insulaire, tels sont les signes de celui qui se prend pour l’unique but de ses actions. En somme, qu’il s’agisse des médecins ou des managers, tous feraient mieux d’admettre qu’ils ne sont pas omniscients, ils en seraient bien plus respectables.

Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?

27 mercredi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

 

The Conversation

  1. Ghislain Deslandes

    Professeur en philosophie des sciences de gestion, ESCP Business School

ESCP Europe

 

CC BY ND
La période actuelle nous invite à concevoir la valeur de respect avec autant de réalisme que d’humanité. eamesBot / Shutterstock
 

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.


Pendant des siècles les sociétés humaines ont fonctionné selon un principe établi, celui du respect. Respect des honneurs et de la dignité, à commencer par celle du Roi, et donc des rangs, des hiérarchies sociales, des inégalités en tous genres.

Nous nous figurons sans doute aujourd’hui que le respect n’est plus la valeur cardinale de nos sociétés contemporaines, remplacée par ses contraires, la dérision, qui s’exprime sur toutes les ondes à toute heure. Ou encore la contestation, grâce à laquelle nous semblons renouer, par instants, avec notre ADN révolutionnaire national.

C’est pourtant bien cette notion qui revient en force ces jours-ci : respect des règles d’hygiène, respect des gestes barrières, respect des distances de sécurité – la distanciation sociale –, etc.en cette période de crise virale, le règne de nos devoirs sanitaires ne cesse de s’étendre.

Respecter revient ici à ne pas attenter à la vie d’autres personnes en cas de possible transmission du virus, mais aussi, sans doute, à esquiver le jugement négatif d’autrui, par exemple en cas de non-port du masque dans les lieux publics.

« Respectus »

Or que nous apprend l’étymologie du mot, qui nous vient du latin « respectus » ? Celui-ci signifie se retourner pour regarder, et indique un temps d’arrêt de notre attention tournée vers quelqu’un. En faisant cet effort d’attention, nous optons toujours, sans le savoir, pour une vision « interactionnelle » de la dignité : le respect revenant à lutter contre l’indifférence, à se détourner de soi comme signe d’une certaine considération d’autrui.

La crise sanitaire a modifié nos interactions sociales en profondeur. eamesBot/Shutterstock

Et pourtant, malgré notre goût des autres, constaté ici ou là, dans les circonstances actuelles il faut le reconnaître : certes, ces règles sont « bonnes » à honorer dans la mesure où elles ont pour but la préservation immédiate de la santé de nos proches et de nos prochains, mais elles demeurent toutefois difficiles à accepter pour au moins deux raisons.

Tout d’abord elles ont un caractère autoritaire (on n’ose dire jupitérien). Le moindre relativisme est comme frappé d’interdiction. Fin mars par exemple, dans la région du parc Kruger en Afrique du Sud, un touriste français contaminé par le coronavirus s’est vu accusé de « tentative de meurtre » pour ne pas avoir respecté les règles de confinement. On ne rigole pas partout avec les mesures de quarantaine.

Aussi, ces instructions sont-elles difficiles à accepter dans nos sociétés en grande partie construites sur des valeurs qui s’opposent autant que possible au respect, par exemple la désobéissance ou la transgression.

Il faut ici redire à quel point le respect est à l’origine même des plus grandes créations de l’humanité : dans des domaines aussi divers que l’art, la science ou la philosophie, où les auteurs se posent en s’opposant à ceux qui les ont précédés.

C’est ainsi qu’avec L’Anti-Œdipe on a pu dire avec raison que Félix Guattari et Gilles Deleuze avaient fait « un enfant dans le dos » au psychanalyste Jacques Lacan. Cette remarque pourrait d’ailleurs être formulée pour la majorité des grandes œuvres de l’histoire de la pensée.

C’est également le cas dans les secteurs de l’industrie, en entrepreneuriat par exemple comme l’ont montré les travaux de l’économiste Olivier Babeau, qu’il s’agisse alors de transgresser les valeurs communes ou les normes en vigueur.

On retrouve ici finalement la tension interne qui transparaît toujours en matière de respect, qui d’un côté symbolise un principe moral central de notre civilisation, mais qui de l’autre est reçu avec un sentiment de défiance à l’égard d’une certaine forme d’autorité, laquelle nous est devenue à peu près insupportable.

Comme l’énonçait déjà la politologue et philosophe Hannah Arendt dans son ouvrage Crise de la culture en effet, l’autorité (soit le contraire de l’autoritarisme) a bel et bien disparu de nos sociétés postmodernes.

Il ne fait cependant aucun doute que la situation créée par le Covid-19 rebat les cartes de ce conflit d’interprétation, et nous contraint à faire au respect de nouveau une place parmi nos valeurs. On ne peut douter en effet que les gestes barrières en particulier, et la stricte observance qui en est le corollaire, sont là pour longtemps.

Ils marqueront de leur empreinte le conditionnement de nos relations sociales quotidiennes, notamment dans l’entreprise. C’est pourquoi il apparaît urgent de nous réconcilier avec cette idée, même si cela doit être de manière transgressive, ou en tout cas d’en comprendre le potentiel pour mieux en redécouvrir les pauvretés et les richesses, les risques et les vertus, la grandeur… mais aussi la misère.

Pauvreté du respect, avec Melville

Commençons par rappeler que respecter revient le plus souvent à obéir. Obéir à un pouvoir, à une police ou à des maîtres. Le respect apparaît comme une valeur de conservation, voire de réaction. On respecte le passé, les anciens ou les règles auxquelles il conviendrait de se conformer. Il y a toujours dans le respect quelque chose qui est de l’ordre de la mécanique, de la politesse obligée. De la surveillance aussi.

Mais la tentation avec le respect des anciens, c’est toujours d’en exagérer l’importance au-delà du territoire naturel dans lequel elle est censée s’exercer : dans le domaine scientifique par exemple, une bonne dose d’irrespect n’est-elle pas nécessaire à l’égard des anciens afin de faire progresser la connaissance ?

En philosophie, c’est un peu la même chose. La réflexivité scientifique ou philosophique présuppose une certaine prise de risque par rapport aux convictions des autres, à leur confort intellectuel ou moral.

Être irrespectueux en transgressant la norme s’avère utile pour faire progresser nos sociétés. eamesBot/Shutterstock

C’est ainsi que Socrate fut invité à boire la cigüe que lui tendaient les autorités athéniennes de son époque avec pour reproche une forme d’inconvenance, d’incongruité, d’irrespect justement, des conventions et du discours tenu à l’endroit des plus jeunes.

Or c’est parce les anciens eux-mêmes ont su faire montre de cette forme particulière d’irrévérence, de démêlé avec les opinions courantes que sont le raisonnement scientifique et philosophique, qu’ils ont pu, en leur temps, remettre en cause des savoirs erronés, pour le plus grand bien de notre déniaisement intellectuel. Le progrès suppose toujours une dose de dispute face aux fausses vérités héritées du passé.

Respecter revient finalement à dire oui un peu trop souvent, au prix parfois de notre liberté de pensée, d’action ou d’expression, laquelle n’est jamais autant palpable que lorsque nous expérimentons, non pas notre pouvoir de faire, mais notre pouvoir de ne pas faire.

Sans cette capacité négative, ce pouvoir de résistance, ce « savoir immédiat de la vie » comme le dirait le phénoménologue Michel Henry, nous serions sans cesse placés sous la férule du pouvoir, et de son autoproclamée respectabilité.

C’est pour cette raison que Bartleby, le clerc énigmatique d’une nouvelle d’Herman Melville, et sa célèbre phrase adressée à son chef de bureau qui lui demande d’obtempérer, « I would prefer not to », a fasciné tant de philosophes et d’écrivains du XXe siècle.

« J’aimerais mieux éviter » nous dit Bartleby, sans dire davantage, mais nous en disant assez pour comprendre que son refus, énoncé respectueusement, n’est rien d’autre qu’une forme polie d’irrespect.

Splendeur du respect, avec Kant

On rappellera toutefois que, sous couvert d’irrévérence aux opinions des anciens, c’est un hommage respectueux à la raison qui est proposé par les contestataires. Ne pas faire semblant peut aussi être compris comme une forme de respect à l’égard de soi-même, de devoir vis-à-vis de soi-même et des autres. De son côté, le philosophe Emmanuel Kant dans le Fondement de la métaphysique des mœurs croit bon d’ajouter ceci :

« Tout respect pour une personne n’est proprement que respect pour la loi (loi d’honnêteté, etc..) dont cette personne nous donne l’exemple ».

Le penseur de l’Aufklärung est en effet celui qui a le plus contribué à défendre le respect, cette forme de non-indifférence au sort d’autrui, et à lui reconnaître sa dignité proprement philosophique.

Le respect est ce qui rend compte de la transcendance de la règle morale. C’est parce que nous respectons la dignité des autres, dans leurs différences même, que nous nous interdisons de les juger. Le respect de la dignité d’autrui est sans condition et s’adresse toujours, selon Kant, à des personnes et non à des choses. Pour la mer, un volcan, un cheval ou une bête féroce nous avons de la crainte, de l’étonnement ou de l’admiration, mais point de respect explique-t-il encore. Kant ajoute ceci :

« Je m’incline devant un grand, disait Fontenelle, mais mon esprit ne s’incline pas. Et moi j’ajouterai : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je vois la droiture de caractère portée à un degré que je ne trouve pas en moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, si haute que je maintienne la tête pour lui faire remarquer la supériorité de mon rang. »

La liberté ne serait pas un sentiment de nature psychologique, mais résulterait en réalité d’un choix autonome, raisonnable et désintéressé en faveur de la destination morale de l’humanité.

Sentiment moral par excellence donc, le respect ne tiendrait pas son point d’origine de la sensibilité, mais du jugement de la raison. Respecter autrui ce ne serait pas ressentir des émotions de type peur ou séduction, mais ce serait au contraire faire fi de nos inclinations sensibles, pour privilégier la « majesté » de la loi morale commandée par le devoir.

Respecter cela revient donc à humilier notre amour-propre, d’où les difficultés que nous avons de nous « délivrer de ce terrible respect » comme le formule Kant, au bénéfice d’une influence pratique de la morale que « l’on ne peut plus se lasser d’admirer. »

Du respect dans les organisations

Notons à ce titre que depuis quelques années le respect n’a eu de cesse de constituer un thème de recherche en management, notamment nord-américaine, où il est souvent considéré comme un élément positif sur le plan de la performance organisationnelle.

Au point que la question est moins de savoir si le respect rendu, notamment par les managers aux personnes constituant les équipes, est un élément de sûreté psychologique et de meilleure communication interpersonnelle, car de cela personne ne paraît douter sérieusement, mais de mieux comprendre les mécanismes qui permettent de s’assurer que le respect est bel et bien établi dans les modes opératoires de l’organisation.

En cette période troublée, comment s’emparer de la valeur de respect au travail ? eamesBot/Shutterstock

Il semble assuré dans ces études en effet que le respect, sorte de besoin profond exprimé universellement, fonctionne sur un mode circulaire dans lequel les personnes traitées avec respect tendent à « payer de respect » à leur tour celles qui leur ont prodigué ces marques d’honorabilité.

Cette circularité est particulièrement marquée dans les métiers de la création, ainsi que le remarque Dagmar Abfalter, où le respect mutuel est un facteur-clé de succès attesté. Pour deux économistes, Tore Elligsen et Magnus Johannesson, le respect sur le lieu de travail devrait même être considéré comme un facteur de motivation autrement plus important que la rémunération. Tout se passant comme si homo respectus supplantait Homo œconomicus.

Le problème avec ces études c’est qu’il est parfois difficile de situer avec précision le sens de la notion : s’agit-il de respecter autrui pour sa différence ? Pour son humanité ? Pour ses qualités professionnelles, ou ses valeurs personnelles ? Parce que nous partageons les mêmes droits, et les mêmes devoirs ? Parce que nous reconnaissons des compétences à tel collaborateur, une vision stratégique à tel « leader », ou tout simplement une efficacité supérieure à la moyenne ?

Ou alors s’agirait-il plutôt, dans une direction inverse, de tenir finalement à chaque fois autrui « en respect », c’est-à-dire à l’écart, sans implication affective particulière, en renouant ici peut-être avec une autre interprétation étymologique de la notion : celle qui indiquerait que « regarder en arrière » revient au fond à laisser de côté, conserver à distance, « tenir » en respect comme on tient en laisse ?

Cette interprétation qui associerait finalement le respect à une sorte de phobie de la proximité, à laquelle notre époque présente unissant visages masqués et distanciation obligatoire ne ferait que donner un élan supplémentaire.

Pour une éthique de la « bonne distance »

On voit bien que le respect ne peut avoir de sens pour nous que si, et seulement si, il associe le niveau moral entrevu par Kant, le respect comme obligation, avec le niveau politique, le respect des « gestes barrières » au sens où nous l’entendons dans la crise sanitaire actuellement traversée, et enfin le niveau éthique.

Car de quelle qualité en effet serait le respect s’il n’était associé, non seulement à une obligation à l’égard d’autrui (l’amour de bienveillance n’est jamais qu’une obligation de plus), mais aussi à la possibilité d’apprécier les personnes que l’on côtoie sans y être contraint ?

Respecter l’autre sans se sentir contraint, éthique du monde d’après ? eamesBot/Shutterstock

De quelle qualité serait en dernier ressort un sentiment téléguidé par une prescription morale obligatoire ?

Or, dans la période que nous vivons, un autre philosophe, Blaise Pascal, peut nous aider à concevoir la valeur de respect avec autant de réalisme que d’humanité.

Dans ses Trois discours sur la condition des Grands, il fait une différence entre d’un côté les grandeurs « d’établissement », qui sont dû à une certaine hiérarchie sociale, inévitable, car, écrit-il « nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles ». La verticalité, la « Tour » pour employer l’expression de l’historien Niall Ferguson, serait comme la condition d’un « nous », du fait de ce que Pascal nomme les « cordes de nécessité » qui nous unit les uns aux autres. De l’autre côté figureraient les grandeurs « naturelles », qui correspondent aux mérites et aux qualités intrinsèques.

Or cette distinction entre horizontalité (estime) et verticalité (rapport de force) du respect lui permet de remarquer qu’aux grandeurs « d’établissement » ne sont dus que des respects « d’établissement », ces « cérémonies extérieures » qui n’engagent qu’une certaine considération pour la dignité de la fonction, pas plus.

Aux seules grandeurs « naturelles » est due l’estime proprement dite, marque de justice et appréciation des mérites propres à chacune et chacun. De fait, les aperitivi virtuels qui se sont multipliés dans le monde entier pour célébrer le personnel soignant, n’ont-ils pas été précisément le signe tangible de ces respects naturels, impliquant un consentement intérieur auquel rien ni personne n’obligeait ?

La période à venir nous invite donc, par la force des choses, coûte que coûte, d’une manière ou d’une autre, à nous réconcilier avec l’idée de respect.

Du respect il faut donc savoir, encore et toujours s’incommoder, si possible avec légèreté, ironie ou humour, comme Slavoj Zizek qui avec le design et la vente en ligne d’un masque de protection philosophique en donne le plaisant exemple.

Le Bartleby slovène se montre donc accommodant avec le respect des règles en vigueur. Mais à la condition, visiblement, d’inscrire sur le masque barrière la mention suivante : « I would prefer not to ».

← Articles Précédents
mai 2020
L M M J V S D
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031
« Avr   Juin »

Stats du Site

  • 100 970 hits

Liens

  • Associations-patrimoines
  • La Fédération d'environnement Durable
  • Moelle Osseuse
  • Visite de Mirmande
mai 2020
L M M J V S D
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031
« Avr   Juin »

Commentaires récents

Germain Ivanoff-Trin… dans La Russie, une nation en …
protodiacre dans La Russie, une nation en …
Germain Ivanoff-Trin… dans Trente ans après l’effondremen…
Le variant Delta pro… dans Avoir été malade de la Covid-1…
Le variant Delta pro… dans Avoir été malade de la Covid-1…

Propulsé par WordPress.com.

  • Suivre Abonné
    • Mirmande PatrimoineS Blogue
    • Rejoignez 168 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Mirmande PatrimoineS Blogue
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…