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Archives Journalières: 05/05/2020

Pourquoi on ne peut plus être humaniste

05 mardi Mai 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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The Conversation

  1. Marcello Vitali-Rosati

    Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de Montréal

Université de Montréal

AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

 

CC BY ND
La récompense de la devineresse, Giorgio de Chirico. ADAGP, Paris, 2020
 

« Vous vous êtes toujours demandé comment c’était de vivre au Moyen-âge ? Maintenant vous avez deux papes et une épidémie. » Voilà le genre de blague qui circule en ce moment sur les réseaux sociaux italiens.

Il y a du vrai dans cette boutade : certaines valeurs de la modernité sont profondément remises en question, avec le retour de structures de pensée que l’on croyait révolues depuis l’époque médiévale. Les politiques d’isolement pour faire face à l’urgence sanitaire en sont un exemple.

L’avènement de l’humanisme, un changement d’échelle

Eugenio Garin soulignait que la philosophie de l’humanisme ne cherchait pas à construire de grandes cathédrales d’idées, contrairement à la philosophie médiévale. La spéculation métaphysique de la scolastique était remplacée par un intérêt pour des questions beaucoup plus concrètes : la morale, la politique, les sciences de la nature. Des réflexions, donc, à mesure d’homme. La grande rupture entre le Moyen-âge et l’humanisme consiste justement à mettre en question la position des êtres humains dans l’univers. Dans l’univers médiéval, l’homme a été créé à l’image et selon la ressemblance de Dieu, et cela implique que la philosophie doive s’occuper de la structure profonde du monde duquel l’homme est donc le centre – en tant qu’il est à l’image de Dieu.

Si les grandes cathédrales d’idées sont possibles, c’est grâce à la position que les hommes occupent dans l’univers. L’humanisme est un moment de grande humilité, par rapport à cette idée médiévale : les êtres humains ne se considèrent plus au centre de l’univers, mais juste comme des êtres humains. La philosophie s’intéresse donc aux choses humaines et délaisse les grandes idées métaphysiques.

Ce changement de point de vue a une double signification : si d’une part il implique justement une certaine humilité – les êtres humains ne sont plus au centre de l’univers – de l’autre il implique une nouvelle importance, toute particulière, donnée à l’espèce humaine : au Moyen-âge l’homme n’était important que parce qu » il était à l’image de Dieu ; à partir du XVe siècle l’importance du genre humain est absolue, indépendante de sa position. Si pendant le Moyen-âge les choses humaines n’étaient en elles-mêmes que vanitas, pour les humanistes elles ont un intérêt certain. L’homme n’est plus au centre du monde, mais il est au centre de nos intérêts d’êtres humains.

Cela a beaucoup de conséquences : une attention nouvelle pour les humanae litterae – écrire des textes est justement une activité spécifiquement humaine –, une démarche d’historicisation du monde – l’histoire et la chronologie humaine n’ont pas beaucoup d’intérêt d’un point de vue métaphysique, mais elles l’ont d’un point de vue, justement, humain –, une concentration sur l’individu, une volonté de bien-être…

Il y a donc un changement radical d’échelle : on ne regarde plus à l’univers dans sa chronologie éternelle où les êtres humains sont un petit point insignifiant – et qui ne peut avoir du sens que s’il est justifié par un rapport privilégié avec la divinité – on regarde à l’échelle des êtres humains : le temps et l’espace humains commencent à compter, à être la seule chose qui compte.

Le progrès comme horizon

Cette révolution humaniste est celle qui a porté à la fin de la métaphysique d’une part – on ne s’intéresse qu’à ce qui est à mesure humaine, tout le reste ne peut pas être pensé par des humains et n’est donc que dogme (comme dans la tradition kantienne depuis la Critique de la raison pure) – et à l’émergence de l’individu moderne comme le centre d’intérêt de la pensée et des activités humaines. Ce discours est lié à une volonté d’optimisme : l’importance absolue de l’humain implique que le seul espoir peut être celui d’une amélioration progressive de la situation des êtres humains dans leur temps et dans leur espace.

Cette volonté d’optimisme, fondée sur révolution humaniste, trouve son expression la plus accomplie quelques siècles plus tard dans l’idée de progrès des Lumières. Les choses vont aller de mieux en mieux, la science va nous aider à attendre cet objectif. Ce qui pouvait être avant un objectif se réalisant dans une transcendance – la vie éternelle – devient une nécessité immanente : il faut que le salut se réalise dans le temps et dans l’espace humain.

La fin de l’optimisme humaniste

Nous vivons aujourd’hui un changement analogue et symétrique à celui qui s’est produit au XVe siècle et ce pour plusieurs raisons. Une – qui me semble fondamentale, mais dont je ne parlerai pas longtemps ici – est le changement du rapport au texte. Comme au XVe siècle la reconsidération de la définition d’humanité passait par une reconfiguration du rapport aux textes – les êtres humains sont d’abord les producteurs et les lecteurs de textes, des humanae litterae – aujourd’hui, le sens du texte change avec l’émergence d’acteurs différents dans sa production et dans sa circulation : ce qu’on appelle des machines. Le rapport « homme-machine » exige de repenser ce qu’est l’humain.

Une autre raison est que, l’optimisme et l’idée de progrès qui doit accompagner le modèle humaniste ne semble plus être possible. Il ne semble plus possible de penser que le salut se réalisera dans l’immanence, il ne semble plus possible de penser que les choses continueront à aller de mieux en mieux. Au contraire, il semblerait que le futur soit destiné à être moins bon que le passé. L’existence même de l’espèce humaine est clairement menacée. L’urgence climatique, l’effondrement progressif des idéaux démocratiques, l’épuisement des ressources énergétiques et dernièrement l’éclatement d’une épidémie que les infrastructures sanitaires ne sont pas en mesure de contrôler sont d’autant de signaux qui rendent désormais impossible le paradigme du progrès infini. L’optimisme technologique est lui aussi arrivé à sa fin : après des années de rêves, la technologie semble représenter dans l’imaginaire collectif plus une menace qu’une promesse. Dans cette situation il est difficile de vouloir se concentrer sur l’humain. L’humain a peu de chances de rester, il a peu de chances d’avoir un intérêt quelconque dans un futur pas trop loin.

L’humain tel qu’il s’est défini à partir du XVesiècle ne peut plus prétendre revêtir une importance suffisante pour se placer au centre de nos préoccupations. Il faut le définir autrement ou alors se préoccuper de quelque chose d’autre. Deux tendances complémentaires se dessinent à partir de ce constant : la nécessité de penser l’humain autrement et la réémergence de formes de pensée que l’on peut caractériser de métaphysiques.

Réinventer l’humanisme

La première tendance est ce qu’on appelle – désormais depuis plus de vingt ans – « posthumanisme ». À l’opposé du « transhumanisme » courant de pensée qui radicalise l’idée de progrès en imaginant une humanité augmentée et perfectionnée par la technologie – ce qui semble clairement grotesque aujourd’hui –, le posthumanisme essaie non pas d’aller au-delà de l’humain, mais au-delà de l’humanisme à savoir de l’idée d’un genre humain, bien défini et identifiable, qui serait finalement tout ce dont il vaut la peine de s’occuper. Au lieu que de s’occuper des choses « humaines », il est nécessaire de réfléchir à nouveau sur ce qu’est et sur ce que peut être l’humain et sur quelle place cet humain peut et doit avoir dans l’univers. Cela permet de questionner la centralité de la question humaine, de revoir les définitions et les essentialisations qui ont cristallisé des idées sur les rapports entre espèces, entre genres ainsi que les rapports à l’environnement. Je crois que plus que parler de « post » humanisme, il faudrait plutôt parler de « pré » humanisme, car justement il s’agit de revenir à la définition de l’humain telle qu’elle a été dessinée par l’humanisme ; mais aussi parce qu’il faut remonter « avant » l’humain et ses intérêts pour redéfinir de nouvelles préoccupations et de nouveaux objectifs.

La seconde tendance est celle d’un retour à la métaphysique – ce qui peut être facilement constaté en analysant de courants philosophiques comme le « nouveau materialisme » (DeLanda), le « nouveau réalisme » (Ferraris), le « réalisme spéculatif » (Meillassoux) et d’autres formes analogues de réflexion. Selon ces mouvements, la critique kantienne – à savoir l’idée selon laquelle nous ne pouvons parler rigoureusement que du monde tel que nous le connaissons et pas du monde en tant que tel, car ce dernier n’est qu’une présupposition dogmatique – a impliqué une perte progressive du réel : il n’y a plus le réel il n’y a que ce que le sujet humain voit du réel, son rapport au réel. Il faut, selon ces mouvements, revenir au réel. Et donc finalement, revenir à la métaphysique en mettant en question le rôle central et incontournable de l’humain comme mesure unique du réel.

Pourquoi parler de tout cela au moment de la crise liée au coronavirus ? Les épidémies nous renvoient, comme au Moyen-âge à la notion selon laquelle les « choses humaines » ne sont que vanitas. Il est donc nécessaire de s’interroger à nouveau sur ce qu’est l’humain, sur sa place dans l’univers, sur ses relations avec les autres êtres et les autres choses qui le remplissent.

Cette réflexion est urgente aujourd’hui et elle peut conduire à des solutions très différentes : un retour à la religion ou à la superstition d’une part, et de l’autre le développement d’une pensée proprement « inhumaine ». C’est cette dernière qui me semblerait la solution à chercher dans la mesure où une pensée inhumaine serait une pensée dans laquelle l’être humain n’est pas le centre, ni le producteur, ni l’objectif de la réflexion. Une pensée inhumaine – ou préhumaine pour utiliser un terme moins agressif – serait une pensée qui à partir de la crise actuelle essaie de retrouver l’aspect humble de l’humanisme en laissant tomber la contrepartie d’arrogance qu’il a pu comporter.

Penser l’après : Sciences, pouvoir et opinions dans l’après Covid-19

05 mardi Mai 2020

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The Conversation

  1. Bernadette Bensaude-Vincent

    Philosophe, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

CC BY ND

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.


Depuis le début de la pandémie, on entend parler dans les médias de SARS-CoV-2, de R0, de tests PCR, de tests sérologiques, d’hydroxychloroquine… Le coronavirus met la science à la une des journaux et a réduit les actualités sportives et culturelles à zéro, ou presque.

La communication scientifique bat son plein parce que le virus a soudain rapproché le gouvernement des communautés scientifiques. Le 11 mars 2020, le gouvernement crée un Conseil Scientifique de sept membres présidé par le Pr Delfraissy pour éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus. Deux semaines après, il met en place un Comité d’analyse recherche expertise (CARE) de douze chercheurs et médecins, présidé par la prix Nobel et virologue Françoise Barré-Sinoussi, pour conseiller l’exécutif sur la gestion de l’épidémie et les essais cliniques en cours.

Le recours massif aux experts en temps de crise n’est pas une nouveauté. Depuis des décennies, on prétend fonder la politique sur des preuves scientifiques. Des comités d’experts, comme le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) par exemple, sont en charge d’éclairer les politiques face à la crise écologique.

Si la gestion de la crise sanitaire s’inscrit dans le régime normal des sociétés modernes, elle surprend néanmoins car elle a conduit à réactiver un modèle archaïque, le confinement généralisé de la population, qui révèle les limites de la politique à base de science. Et comme une crise est un moment critique – de bifurcation possible – il est possible de saisir cette opportunité pour transformer les rapports entre science et pouvoir. Changer les règles d’un jeu qui ne laisse aucune initiative à la société civile.

Modèles de biopolitique

Ainsi que l’écrivait Michel Foucault :

« Depuis la fin du Moyen Âge, il existait, non seulement en France mais dans tous les pays européens, ce que l’on appellerait aujourd’hui un « plan d’urgence ». Il devait être appliqué lorsque la peste ou une maladie épidémique grave apparaissait dans une ville. Ce plan d’urgence comprenait les mesures suivantes :

  1. Toutes les personnes devaient rester chez elles pour être localisées en un lieu unique. Chaque famille dans son foyer et, si possible, chaque personne dans sa propre chambre. Personne ne devait bouger.
  2. La ville devait être divisée en quartiers placés sous la responsabilité d’une personne spécialement désignée. […] Il s’agissait donc d’un système de surveillance généralisé qui compartimentait et contrôlait la ville.
  3. Ces surveillants de rue ou de quartier devaient présenter tous les jours au maire de la ville un rapport détaillé sur tout ce qu’ils avaient observé. On utilisait ainsi non seulement un système de surveillance généralisé, mais aussi un système d’information centralisé.
  4. Les inspecteurs devaient passer chaque jour en revue toutes les habitations de la ville. […]
  5. On procédait à la désinfection, maison par maison, à l’aide de parfums et d’encens. »

Ces mesures, qui ont permis de faire face aux épidémies de peste, ressemblent fort aux mesures mises en œuvre en 2020 dans la plupart des pays du monde. La gestion de la crise sanitaire convoque la notion de biopolitique introduite par Michel Foucault, pour montrer comment la vie est devenue un enjeu politique, à travers une analyse fine des rapports entre savoir et pouvoir.

Dans la tourmente. Matrioshka/Shutterstock

Michel Foucault souligne le contraste entre ce modèle archaïque de la quarantaine où un pouvoir souverain autoritaire régit depuis un état central la vie des populations, et les dispositifs stratégiques de contrôle diffus de la vie mis en place depuis « le décollage médical et sanitaire de l’Occident » grâce à la médecine scientifique. Or la plupart de ces dispositifs basés sur la science – mesures statistiques des taux de mortalité et de morbidité, hygiène, vaccinations, contrôle des flux migratoires – se retrouvent dans la gestion actuelle de la crise, côte à côte avec des mesures archaïques que l’on croyait depuis longtemps périmées.

La seule différence est que les mesures de quarantaine visent aujourd’hui avant tout à sauver le système hospitalier. La médecine scientifique, qui s’est développée et a évolué en lien avec le pouvoir, nous laissait croire – à nous habitants des pays du Nord – qu’on avait vaincu les maladies infectieuses. Voici que l’émergence d’un virus nous prend au dépourvu et remet à l’honneur d’effroyables images du passé avec des catastrophes, des populations décimées, des empires défaits.

Cela jette-t-il un doute sur les rapports établis entre science et pouvoir dans les sociétés modernes ?

Troubles sur le règne des experts

Il est assez troublant qu’un modeste virus soit parvenu en quelques semaines à stopper toute la machine économique, industrielle et commerciale à l’échelle mondiale. Obtenir en quelques jours la réduction des émissions de gaz à effet de serre que les experts du GIEC recommandent depuis des dizaines d’années sans parvenir à entraîner les décisions politiques nécessaires, c’est une prouesse !

Un virus constitué de quelques brins d’ARN défie la puissance des plus grands cerveaux réunis pour tenter de faire face aux crises qui s’enchaînent : voilà une belle leçon d’humilité, qui nous ramène à notre condition terrestre d’êtres vivants partageant la planète avec une foule d’autres habitants plutôt qu’en « maîtres et possesseurs de la nature ». On est loin des programmes de bionanotechnologies qui promettaient de « façonner le monde atome par atome », de fabriquer des micro-organismes machines, esclaves dociles qui résoudraient tous les problèmes et feraient des « hommes augmentés ».

Ce virus jette un doute sur la politique scientifique des dernières décennies. Depuis la Seconde Guerre mondiale la recherche scientifique est pilotée par la politique. En gros, la science a d’abord été généreusement financée au service de la puissance militaire à l’époque de la guerre froide, puis elle a été mise au service de la compétition économique dans une course effrénée aux innovations technologiques. Ce régime de recherche « technoscientifique » est une source de la défiance du public à l’égard de la parole des experts, alimentant le climato-scepticisme et les campagnes contre les vaccinations.

Troubles sur le règne de l’expertise. Matrioshka/Shutterstock

La parole scientifique se trouve en perte d’autorité. En effet, l’autorité de l’expert repose sur une vision idéale du fonctionnement de la science, qui méconnaît les conditions concrètes de la recherche. Si la connaissance scientifique transcende les frontières et les jeux de pouvoir, elle procède néanmoins de recherches qui ne sont pas indépendantes à l’égard des intérêts locaux, politiques, économiques, religieux… Il est clair désormais, aux yeux de tous, que les chercheurs défendent eux aussi leurs intérêts et leurs valeurs, que ce soit la vérité, l’utilité, l’avancement des connaissances, ou leur carrière. Ces intérêts sont parfois difficilement compatibles avec le devoir de scepticisme organisé qui reste l’un des grands principes de l’ethos scientifique. Plusieurs controverses sur les méfaits du tabagisme comme sur l’origine anthropique des désordres climatiques ont révélé au grand public des manœuvres qui peuvent biaiser les résultats scientifiques.

D’où un doute justifié qui oblige les scientifiques à renforcer leurs règles éthiques avec déclarations d’intérêt, transparence sur les sources de financement, etc.

Le public sous tutelle

Plus fondamentalement, l’appel à l’expertise scientifique et médicale partage un point commun avec le modèle archaïque de gestion des épidémies : c’est que le public est réduit au silence, sommé d’obéir aux injonctions du pouvoir ou bien des experts, pour son bien, pour sa sécurité. Cette attitude infantilisante rappelle celle qui prévalut au XXe siècle quand philosophes et savants ne voyaient qu’un fossé entre savants et ignorants, un fossé grandissant à mesure des progrès de la science, condamnant « le profane » à vivre sous tutelle.

Certes le partage antique entre science et opinion (doxa) fonde une hiérarchie dans l’ordre de la connaissance : l’opinion est un savoir inférieur qui ne peut produire son titre à la vérité. Mais chez les Anciens, cela n’implique pas une hiérarchie politique. C’est plutôt une division du travail qui devait s’établir dans la cité : aux uns le soin de la vérité, aux autres celui des affaires. Les Anciens, dans leur grande sagesse, reconnaissaient la doxa comme une forme de connaissance, terre à terre, pragmatique. Loin d’attribuer au philosophe le soin de conseiller le prince, Aristote accordait à l’opinion une valeur pratique, au point d’en faire une vertu propre aux citoyens. Ainsi, l’opinion est-elle reconnue comme un savoir légitime dans la sphère de l’action et non comme un défaut de savoir qui obligerait les citoyens à vivre sous tutelle des experts.

D’ailleurs l’opinion ne se laisse pas réduire au silence, ni à la passivité. Lors de l’épidémie du sida, des associations de malades sont parvenues à influer sur les programmes de recherche et leur voix est désormais entendue à l’Inserm. Après l’accident nucléaire de Tchernobyl, des citoyens ont instauré la CRIIRAD une instance de contre-expertise aux mesures officielles. D’une manière générale, le mouvement de science citoyenne a réhabilité la figure de l’opinion publique éclairée comme garant de liberté inventée au siècle des Lumières. L’idée de créer des forums de discussion, lancée par le philosophe Jürgen Habermas, s’est concrétisée sous diverses formes : conférences de consensus, cafés des sciences, focus groups, etc. Les « technosciences » offrent une prise à la société civile pour intervenir, d’autant plus qu’elles ont un impact direct sur la vie quotidienne des citoyens. Elles relèguent peu à peu dans le passé la vision du public ignorant, irrationnel et manipulable, tandis que les pratiques d’expertise plurielle et non limitée aux savoirs académiques commencent à se répandre.

Convoquer les savoirs d’opinion en régime d’incertitude

Poursuivre ce mouvement de réhabilitation de l’opinion comme un savoir nourri par l’expérience du terrain – savoir alternatif au savoir universel de la science – devient nécessité impérieuse dans le régime d’incertitude où nous place la crise sanitaire. Les experts, sommés de « dire le vrai au pouvoir », selon la fonction qui leur est traditionnellement attribuée, se trouvent fort dépourvus car ils ne savent presque rien sur le Covid-19. S’il est vrai que les méthodes de séquençage ont permis l’identification très rapide du virus, son comportement, les voies de transmission, la période de contagiosité, la durée de l’immunité sont autant d’énigmes qu’il va falloir résoudre. En se transmettant inexorablement de la Chine à l’Europe et au Moyen-Orient puis à l’Amérique et bientôt à l’Afrique le coronavirus crée non seulement une crise mondiale, il transforme le monde en un vaste laboratoire. Tous les pays cherchent à comprendre comment il fonctionne, comment il se transmet, comment on peut l’inhiber, le contrôler, s’immuniser, prévenir l’infection ou se préparer à d’autres virus émergents.

Convoquer d’autres savoirs. Matrioshka/Shutterstock

L’incertitude redouble du fait de la crise climatique qui, elle aussi, a fait de la planète un laboratoire d’expérience. Pour les recherches sur le coronavirus, chaque pays, chaque région offre une cohorte de cas avec des paramètres variables (mesures de confinement, tests précoces) qui pourront permettre des comparaisons avec groupes témoins. Dans ce processus mondial d’apprentissage du contrôle des virus, tous les humains infectés ou pas, traités ou pas, vivants ou morts, deviennent de fait des objets d’expérience, de tests ou d’essais cliniques, des données statistiques. La quête du savoir se confond avec le gouvernement des populations par la biopolitique, et mobilisera sans doute le traçage des individus par leur téléphone portable.

Pourtant l’incertitude ne signe pas forcément l’arrêt de mort de la démocratie. Au contraire on peut inventer des solutions en confrontant les savoirs experts et les savoirs pratiques de l’opinion. Pour vivre et agir dans un monde incertain, des forums hybrides favorisant le dialogue entre experts et acteurs de terrain permettent de co-construire des connaissances et de proposer des mesures efficaces et légitimes. De tels forums ne favorisent pas forcément le high-tech et conduisent bien souvent à des solutions low-tech peu coûteuses et ajustables.

Réhabiliter les savoirs de terrain non scientifiques comme sources d’invention et de solutions, ce n’est pas répandre l’antiscience, ou la technophobie. Regarder vers le passé pour y puiser des idées au lieu de vouer un culte à l’innovation, ce n’est pas vouloir s’éclairer à la bougie mais construire l’avenir pas à pas, au fil d’un dialogue entre science et société.

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