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Archives Journalières: 20/05/2020

Le retour d’une géopolitique archaïque serait un désastre stratégique

20 mercredi Mai 2020

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The Conversation

 

La Ratification du traité de Münster, Gerard Terboch, 1648. Wikipedia

Le retour d’une géopolitique archaïque serait un désastre stratégique

  1. Nicolas Tenzer

    Chargé d’enseignement International Public Affairs, Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

CC BY ND
 

La tentation d’une normalisation des relations avec le régime russe ne vient pas de nulle part. Elle n’est que la continuation de la pusillanimité de l’Occident devant l’invasion de l’Ukraine et de son absence de toute volonté de mettre fin aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis en Syrie depuis bientôt neuf ans.

Notre incapacité à adopter une position ferme devant les risques dont est porteur l’accord du 1ᵉʳ octobre sur le Donbass et notre entêtetement à croire à des négociations avec la Russie sur la Syrie ne relèvent pas seulement d’une forme d’abandon de nos principes et ne font pas que traduire un retrait stratégique. Ces attitudes s’ancrent dans une vision ancienne de la géopolitique. Certes, du côté de l’Allemagne, on pourra, dans le cas de l’Ukraine, évoquer des intérêts économiques à courte vue, notamment sa défense de l’oléoduc Nordstream 2, danger majeur pour la sécurité énergétique de l’UE et gain stratégique et financier pour le régime russe. Mais c’est d’abord notre conception des relations internationales qui est en cause.

La géopolitique, un concept flou

Parler de géopolitique archaïque mérite quelques explications. L’emploi du terme lui-même, forgé en 1900 par le Suédois Rudolf Kjellén, est régulièrement discuté en raison de l’idéologie de ses premiers penseurs et de son utilisation par le régime nazi. Il renvoie souvent à une vision fondée sur les seuls « intérêts » de l’État et épouse un fort déterminisme géographique, voire historique. Depuis, certains auteurs ont abandonné ce biais en introduisant dans leurs analyses la dynamique des peuples, des éléments de contexte micro-géographiques et une approche plus empirique. On pourra certes conclure que la géopolitique est tout sauf une science exacte et reconnaître que, comme l’écrit Frédéric Lasserre, « il est difficile de théoriser la géopolitique de façon crédible ». Souvent, y compris l’auteur de ces lignes lorsqu’il plaidait pour une conception géopolitique de l’Europe, on utilise aussi le mot géopolitique, faute de mieux, pour faire valoir une conception du monde ou d’une région vus sous l’angle des relations internationales et de la sécurité, et pas seulement de l’économie et des institutions.

Il est révélateur que, consciemment ou non, certains responsables politiques ou analystes de la vie internationale puisent des concepts ou des modes d’argumentation dans le vocabulaire et les axiomes anciens de la géopolitique pour défendre leur point de vue. Car soyons nets : ces concepts permettent de justifier théoriquement, donc idéologiquement, une vision du monde qui leur préexiste. Certes, il n’est guère possible, dans le champ des relations internationales comme dans celui de la politique en général, de prétendre échapper soi-même à ces conceptions portées par des convictions et des valeurs. Mais celles-ci, et c’est inquiétant, peuvent conduire à écarter les faits. Les concepts en question sont notamment ceux de réalisme, de stabilité, d’histoire et d’États. Aucun n’est illégitime, mais leur usage peut être détourné et leur sens corrodé.

Détail du tableau Les Ambassadeurs de Hans Holbein le jeune, 1533. Wikipedia

La querelle du réalisme

Le réalisme est un terme souvent utilisé par certains géopolitologues afin de constater un rapport de puissance à un moment donné. Mais ce réalisme-là n’a que peu à voir avec le réalisme critique de Raymond Aron qui se démarquait des « pseudo-réalistes » : ceux-ci, expliquait-il, adoptent de ce terme une acception théorique et fondée essentiellement sur les seuls rapports de force et ont une vision quintessenciée de la continuité de la politique étrangère des États et de l’intérêt national.

On voit surgir ce réalisme autoproclamé oublieux des menaces chez d’anciens hauts responsables, tels Hubert Védrine, pour qui « il fau[drai]t prendre notre perte […] sur la Crimée et la Syrie » et qui n’hésite pas à étendre ce cynisme défaitiste à l’ensemble de l’Ukraine. Selon cette acception, le réalisme ne cherche aucunement à analyser les menaces qui pèsent sur notre sécurité et sur nos principes. Le réalisme se réduit dès lors à l’acceptation du présent. Mais que vaut un réalisme qui ne part pas, dès le départ, d’une reconnaissance des risques et qui considère, sans la moindre démonstration élaborée, qu’une agression ne peut être contrée ? Un réalisme conséquent suppose au contraire d’analyser les rapports de force en cherchant ce qui peut permettre de les modifier à notre avantage. Chercher à les déplacer suppose de prendre en considération, comme le soulignait déjà Aron, non seulement les forces militaires et la puissance économique, mais aussi la force que peuvent porter la volonté et la mobilisation psychologique des populations.

Faire fond sur de prétendus « intérêts éternels » est également erroné. Ainsi, l’intérêt bien compris de la Russie, économique et de sécurité, serait d’avoir à l’égard de l’Occident une attitude coopérative et non hostile. Ce que le régime défend n’a rien à voir avec de tels intérêts, mais avec une volonté avant tout idéologique de destruction d’un ordre international fondé sur des principes libéraux.

Vladimir Poutine contemple une carte de la Russie dans sa résidence de Novo-Ogarevo, le 11 août 2006. À cette époque, les cartes russes ne contestent pas encore l’appartenance de la Crimée à l’Ukraine. Dmitry Astakhov/AFP

La stabilité, ou le fixisme géostratégique

Dans cette conception, peu importe l’aspiration des peuples à la liberté. Le droit international, faute de garant résolu, n’aurait guère d’importance puisqu’il ne serait que le résultat momentané de rapports de force qui évoluent régulièrement. L’idée qu’il faille imposer un effet de cliquet à ses progrès afin d’éviter un retour en arrière ne serait qu’une manifestation d’idéalisme et ne contribuerait pas à la stabilité de l’ordre international : d’un côté, il attiserait les revendications de droits ; de l’autre, il empêcherait la puissance de s’exercer pour corriger les erreurs passées. Il serait contre nature. Cette conception archaïque de la géopolitique considère dès lors souvent les protestations – voire les révolutions – populaires comme le premier danger.

Cette défiance s’est notamment exprimée devant ce qu’on a appelé les « printemps arabes » et, plus récemment, l’insurrection pour la liberté à Hong Kong. Ces mouvements sont perçus comme un saut dans l’inconnu. Brandissant les menaces dont ils seraient porteurs, notamment l’islamisme ou le chaos, certains, comme l’ancien président Nicolas Sarkozy, célèbrent la stabilité des régimes et glorifient les hommes forts. C’est aussi au nom de la stabilité que certains estiment qu’Assad, quoique criminel contre l’humanité, représente « la moins pire des solutions », alors que, par le massacre de son peuple, le ciblage délibéré des opposants modérés et la libération des djihadistes de Daech, il constitue en fait le premier facteur d’instabilité de la Syrie. D’autres encore, tels Donald Trump, tiennent le même raisonnement pour l’Égypte et veulent voir dans le président Sissi un rempart contre le terrorisme et contre l’extrémisme islamiste, alors que l’expérience historique montre que les régimes autoritaires alimentent ces phénomènes.

Cet éloge de la stabilité à tout prix va de pair avec une autre constante de cette ancienne géopolitique : le relativisme culturaliste. Dans cette conception du monde, certains pays, en raison de leurs traditions, de leurs structures sociales ou de leurs religions, ne seraient jamais mûrs pour la démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Il n’est pas fortuit qu’un think tank proche du régime russe défende ainsi, dans son intitulé même, le « dialogue entre les civilisations », chacune étant supposée avoir sa propre voie de développement. Cette ancienne géopolitique a un ennemi : l’universalisme.

L’histoire magnifiée et écartée

Cette stabilité, selon la vulgate de ces autoproclamés réalistes, ne proviendrait que d’un accord entre les Grands pour se partager des zones d’influence. Quant à l’histoire longue, elle serait mise au service d’une vision « continentale » dont seraient logiquement exclues les révolutions pour la liberté, notamment celles qui ont conduit à l’autonomie des pays d’Europe centrale et orientale et à l’indépendance des pays de l’ancienne URSS, de même que les mouvements luttant pour la préservation de l’indépendance de Taïwan et de l’autonomie de Hong Kong par rapport à la Chine continentale.

Sans toujours en percevoir la portée, certains dirigeants privilégient ainsi l’histoire longue de la Russie ou de la « Chine éternelle », de même qu’ils expliquent l’Iran par l’héritage perse ou la Turquie par celui de l’Empire ottoman. Que des responsables politiques de ces pays utilisent et détournent ces réminiscences historiques à des fins de propagande, comme l’a bien montré Bruno Tertrais, est une chose ; que d’autres, politiques ou journalistes, chez nous, leur donnent un certain crédit en est une autre.

Dans cette vision éternitariste de la politique, là aussi, curieusement, à force de trop compter, l’histoire ne compte plus du tout. Revenue à un temps antérieur à l’École des Annales, les aspirations populaires, le mouvement des idées et leur impact sur la pensée, les différences au sein des pays, sont écartés au profit d’une vision géographique propre aux débuts de la géopolitique. Cette vision essentialise par exemple les luttes sectaires pour expliquer les rivalités du Moyen-Orient, sans voir qu’elles n’en fournissent pas une explication globale et sont instrumentalisées.

Petites nations contre grands États

Dans cette vision, outre les peuples, les « petites nations » dont parlait Kundera n’auraient qu’un droit résiduel de cité. Elles ne seraient qu’un obstacle pour la paix, des « problèmes » qui ne pourraient que faire obstacle aux « grands accords » si elles manifestaient par trop leur volonté. Comptent d’abord les grands pays. Seules les positions des principales puissances devraient être prises en compte dans cette « géopolitique » cruelle et, pour tenter d’empêcher un affrontement généralisé, le sacrifice des « petits » pourrait être nécessaire, y compris au profit d’États qui ne partageraient pas nos idéaux. D’une certaine manière, ce qui s’est passé en Europe entre 1989 et 1992 serait oublié, voire effacé – y compris parfois au sein de ces nations elles-mêmes –, au profit de l’histoire exclusive des « grandes nations » et cet héritage de l’émancipation du communisme, qui passait forcément par l’affirmation nationale, ne serait que marginal par rapport à une prétendue « grande histoire ».

Carte postale de propagande nazie de 1939 proclamant. Wikipedia

Cette vision illibérale et arrogante se manifeste régulièrement et l’Ukraine, qui n’est pas exactement une petite nation, paraît parfois considérée comme un obstacle ou un facteur d’irritation. On voit poindre chez certains politiques la tentation implicite d’une naturalisation des appartenances : la Crimée, voire l’Ukraine, seraient « naturellement » russes et certains, y compris des opposants à Poutine et certains journalistes, convoqueront de manière contestable l’histoire pour s’opposer au droit.

Une telle vision « géopolitique » ne peut qu’aller dans le sens du Kremlin qui, comme Timothy Snyder l’a magistralement montré dans The Road to Unfreedom, promeut cette conception ethno-naturaliste de l’histoire russe en bannissant la considération de la volonté personnelle au profit d’ensembles territoriaux déshumanisés. Le pouvoir russe, nationaliste et autoritaire, n’a eu de cesse de contrer les revendications nationales lorsque celles-ci s’appuyaient sur le désir de liberté. En revanche, ce même pouvoir russe n’a jamais hésité à reprendre à son compte un discours fondé sur la « nature » du peuple russe, voire sur son caractère ethnique, pour englober les populations qu’il entendait assimiler. Cette conception s’étend logiquement à la religion – l’orthodoxie dont le régime nie au passage la diversité – et à la langue, comme l’avait déjà fait Hitler au moment de la crise des Sudètes. Dans le cas de l’Ukraine, les russophones du Donbass et de Crimée seraient réputés favorables au régime alors même qu’une majorité d’entre eux se sentent ukrainiens pour des raisons politiques, bien qu’ils parlent d’abord le russe.

Non seulement la pénétration accrue dans les esprits des dirigeants de l’Ouest de cette vision géopolitique ancienne serait désastreuse pour les peuples en lutte pour la liberté, mais elle menacerait aussi les pays européens. En se montrant compréhensif envers le discours des États autoritaires, voire en reprenant leurs thèmes de propagande – ces grands États auraient été « humiliés » par ceux qui résistent à leurs coups de force et il faudrait « respecter » leurs régimes en raison de l’histoire –, c’est précisément l’histoire des luttes pour la liberté et les conquêtes du droit qu’on efface. Au nom de l’histoire longue, on annihilerait celle du présent. Penser que les démocraties pourraient survivre en étant entourées d’États ayant voué à la mort les principes libéraux est une illusion tragique. Et cette histoire ainsi annoncée, selon les mots de Hegel, ne serait qu’un charnier.

Penser l’après : La géopolitique du monde qui vient

20 mercredi Mai 2020

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The Conversation

 

  1. Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou

    Professor of International History, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Graduate Institute - Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

CC BY ND
Titima Ongkantong/shutterstock
 

L’acuité de la nature historique du coronavirus vient en grande partie de la triple conjonction de l’instantanéité de son impact, des conséquences de son amplitude mondiale et de l’évidence de sa nature transformatrice.

Avec une célérité et une certitude rarement combinées de la sorte dans les relations internationales, un consensus palpable a vu le jour à la fois au sein des sociétés de ce monde et entre celles-ci : tout a déjà changé, et tout va changer encore plus.

Certes, l’histoire nous apprend qu’il faut toujours relativiser l’emphase sur la nouveauté, notamment lorsque l’on se trouve encore dans l’œil du cyclone et que les précédents de crises mondiales trop souvent oubliées, pandémies inclues, sont légion.

Pour autant, cette crise donne objectivement le « la » d’une nouvelle phase dans la grammaire de la sécurité internationale. Elle le fait d’abord en confirmant une tendance émergente : l’imprévisibilité est désormais la donne principale de cette architecture évolutive de la sécurité globale.

La fin de l’« après-11 Septembre »

Depuis quelques années déjà, cette notion d’incertitude avait été reconnue comme fondamentale, mais cette indétermination demeurait par trop abstraite et associée principalement aux questions de cybersécurité (à savoir, notre absence de contrôle sur les nouvelles technologies ajoutée à notre foi aveugle en leur « solutionnisme ») et aux crises politiques (c’est-à-dire les questionnements sur l’origine géographique du « prochain foyer de tensions » guidés par l’habitude à ne les voir venir que de certaines destinations). Le « bouleversement Corona » donne aujourd’hui corps à cette notion d’une façon nouvelle. Il la dote d’une réelle difficulté, à la fois opérationnelle et intellectuelle, face à une matérialisation intime de l’inattendu.

Titima Ongkantong/Shutterstock

De même, l’après-Corona met palpablement fin à ce trop long après-11 Septembre dans lequel le monde se trouve vaguement logé depuis près de deux décennies. Durant ces dix-neuf années, la kyrielle des insécurités mondiales est demeurée, d’une façon ou d’une autre, sous l’ombre portée de cet « évènement absolu » qui avait ouvert le siècle de façon si dramatique. Ni la guerre d’Irak en 2003, ni le printemps arabe de 2011, ni la guerre en Syrie entamée la même année, ni l’épisode de l’État islamique en 2013-2017, ni l’annexion de la Crimée en 2014 ou l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump en 2016 n’avaient délogé le prisme « après-11-Septembre ». Et ce, parce qu’à un titre ou à un autre, ces développements étaient tous apparus dans le sillage déstabilisant du 11-Septembre. On peut désormais dire que – précédé par la peur d’un virus électronique en 1999 (Y2K, le bug de l’an 2000) et suivi par un virus du système respiratoire en 2020 – l’après-11 Septembre a pris fin à la veille de son vingtième anniversaire, même si cette période a légué son indélébile apport ultrasécuritaire à l’ère suivante.

Le renforcement des États

Au-delà des aspects médicaux, quelles seront les formes géopolitiques de ce nouveau moment-charnière qui est en train de naître sous nos yeux ? S’il est trop tôt pour répondre clairement, si l’on doit se garder de tout déterminisme historique et s’il faut insister sur la nature évolutive de ce processus, quatre grandes dimensions se dessinent néanmoins déjà : le renforcement d’un étatisme à tendance autoritariste marquée ; l’approfondissement de la militarisation du monde ; la normalisation de la surveillance ; et le jaillissement d’une vague de contre-mondialisation.

Premièrement, de par le monde, armée et police à l’appui, l’entité étatique a clairement réaffirmé son autorité à l’occasion de la crise actuelle, intervenant comme sauveur et supra-décideur, mais aussi de façon punitive comme on l’a vu en Inde, au Kenya, aux États-Unis, en France et ailleurs. Les états d’urgence, régimes d’exception et proto-états de siège ont été investis avec trop de facilité, voire d’enthousiasme à peine voilé, par des gouvernements trouvant dans cette situation inattendue des échappatoires aux demandes de justice auxquels ils font face régulièrement. Au-delà des bureaucraties ragaillardies et aux décideurs pères-fouettards, la situation d’exception a donné une plus grande amplitude aux États déjà engagés dans une dérive autoritariste – comme la Hongrie de Viktor Orban, les Philippines de Rodrigo Duterte ou le Brésil de Jair Bolsonaro – et l’arpenteur autocratique se trouve de fait de nouvelles destinations sociales. Repoussant les limites de ses propres excès et la violence faite à l’État de droit aux États-Unis sous son mandat, le président Donald Trump a ainsi pu déclarer, le 13 avril, que son autorité est « totale ».

Il y a de fortes chances que cette dynamique de recentrage dirigiste – entamée avant la crise du coronavirus et renforcée à cette occasion – va perdurer et s’amplifier. Elle le fera d’autant plus qu’elle a été aujourd’hui rationalisée presque partout par une demande populaire de protection. Apeurées, les sociétés s’interrogeront de moins en moins sur le bien-fondé et sur la recevabilité démocratique de ces mesures et de ces avanies asseyant de loin en loin l’infantilisation des citoyens – aujourd’hui grondés par des policiers leur délivrant lecture de civisme dans les quartiers huppés et bastonnades en zones de pauvreté.

Si, ensuite, l’interventionnisme des années 1990 et les guerres de l’après-11 Septembre ont favorisé la prolifération des logiques martiales, la pandémie actuelle va, en tout état de cause, continuer à approfondir ce pattern d’injonctions d’obéissance. La réponse à l’épidémie de Covid-19 est logiquement venue s’inscrire dans ce contexte martial – le président français Emmanuel Macron avertissant que son pays était « en guerre » – parce que les dynamiques internationales avaient été travaillées de la sorte depuis près de trente ans. Toutes les crises pourront dorénavant être perçues sous ce prisme réducteur et manichéen de « guerre » – en vérité, elles le sont déjà et la rhétorique guerrière a mondialement pris le pas sur la diplomatie.

Cette ubiquité étatique et cette martialité – qui ne remettent pas en cause le néolibéralisme de la majorité de ces États mais le déclinent – pourront, dès lors, être accompagnées, voire devancées, par une surveillance étendue des citoyens géolocalisés. Installée comme une norme mondiale de moins en moins contredite, celle-ci va venir ajouter une dimension de « nécessité » en sus de l’argument d’utilité sociale déjà largement avancé. Quelque convention onusienne pourra suivre et, de même, le diktat du rendement primera.

Titima Ongkantong/Shutterstock

Il sera surtout de plus en plus difficile d’établir une empreinte et un suivi de ces pratiques introduites dans la violence, l’urgence et sans consultation parlementaire, comme l’ont déjà fait la Chine, Israël, la Russie et la Corée du Sud avec le pistage des citoyens, la digitalisation des restrictions de mouvement, l’exigence de reconnaissance faciale et d’autres innovations, encore et toujours au nom de la sacro-sainte sécurité. L’ambiguïté constitutionnelle des situations et l’illisibilité de certains cas permettront, on peut l’imaginer, la mise en quarantaine pour des raisons non médicales. Comme ces mesures seront mises en application par le biais de technologies faillibles (et manipulables), les dangers pour le citoyen de se retrouver dans des situations littéralement kafkaïennes augmenteront significativement. Au vrai, pourquoi, doit-on s’interroger, le futur a-t-il été régulièrement imaginé sur le mode de la dystopie au cours du siècle dernier, de René Barjavel à Margaret Atwood en passant par Aldous Huxley, Philip K. Dick, Pierre Boulle et Ira Levin ?

Vers une contre-mondialisation ?

Il faut sans doute tempérer. Cette implication des États n’a-t-elle pas des effets bénéfiques ? Ne vient-elle pas protéger le tissu social ? L’État n’est-il pas dans son rôle ? La technologie ne facilite-t-elle pas nos vies ?

À l’évidence, les mesures de soutien à la population sont partout les bienvenues, notamment pour résorber une précarité accrue ; de même, la réorganisation et le bon fonctionnement des espaces d’interaction sont indéniablement nécessaires à l’ordre social. Pour autant, il ne faudrait pas naïvement se voiler les yeux sur le fait que la période historique actuelle est marquée par le fossé grandissant entre, d’une part, des étatismes suffisants qui n’ont pas fini de s’épuiser et, d’autre part, des sociétés, au Nord comme au Sud, de plus en plus déroutées face à ces discours et ces pratiques tutélaires envahissantes – désormais aseptisées, digitalisées et racialisées.

Aujourd’hui, l’État redéployé ne remporte pas l’adhésion autant qu’il la reçoit simplement par forfait. Aussi, la crise du coronavirus pourra, enfin, fort probablement donner naissance à une vague de contre-mondialisation. Une telle vague ne sera pas nécessairement le fait idéologisé d’altermondialistes déjà actifs depuis fort longtemps, mais peut-être plus le résultat d’un nouveau moment de fatalisme partagé – paradoxalement mondialement – quant aux limites de l’interdépendance. Le sentiment est en train de naître, suivi bientôt de pratiques. Ce phénomène peut créer au sein des sociétés des vulnérabilités existentielles et non pas simplement économiques.

La conviction croissante voulant que « tout-échange-n’est-pas-forcément-bon » se traduira en un renforcement des logiques de désunion internationale et de protectionnisme national. À l’image de l’État autoritariste consolidé, cette fermeture du monde viendra somme toute s’inscrire dans la logique préexistante des forteresses à protéger en Europe et des murs à bâtir en Amérique, mais aussi des systèmes à enceindre et cadenasser en Russie, en Chine ou aux Émirats arabes unis. L’impérieux besoin de prémunir « notre » nation contre les menaces protéiformes venues de l’extérieur s’installera partout comme un thème politique récurrent, freinant sensiblement la coopération internationale.

Titima Ongkantong/Shutterstock

Le monde de l’après-Corona définira ses propres caractéristiques. Et c’est ici que réside fondamentalement la nouveauté, puisqu’il le fera en restant précisément fidèle à sa logique d’inconstance. Aussi, l’on ne peut encore présager de celles-ci ; dans une chute fameuse Paul Valéry écrivait en 1960 que « l’imprévu lui-même est en voie de transformation et l’imprévu moderne est presque illimité ».

Ce vecteur de l’inconnu fera que la géopolitique de l’après-corona sera plus sociale que politique. Traversée d’hybridité, forme de laboratoire de gouvernance contemporaine hiérarchisée, elle lie déjà les expérimentations militaires « lointaines » et les tests sociaux « proches ». À l’image des personnages du roman de José Saramago Ensaio sobre a cegueira (L’aveuglement, 1997) frappés d’une inexplicable épidémie de cécité et qui sombrent dans les tensions, la suspicion, l’hostilité, la malveillance et l’égoïsme, les États eux-mêmes pourront rejouer ce temps du loup sur la scène mondiale, cimentant la polarisation ambiante.

« À quelque chose malheur est bon », veut l’adage, lui aussi ancien. Gageons alors qu’au sein même de cette instabilité et de cet inconnu, et afin de vivre et non pas simplement survivre, il naîtra également certainement de cette crise une meilleure compréhension de notre relation au monde, ainsi qu’une humilité et une générosité dans l’entraide qui font cruellement défaut à une scène internationale où la justice et la sagacité se font rares. Pour l’heure, on ne saurait néanmoins ignorer les signes renforcés du virus d’une Orwellisation de la géopolitique toujours plus sensible.

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