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Archives Journalières: 27/05/2020

« Le manager malgré lui » : quand Molière éclaire la bêtise organisationnelle

27 mercredi Mai 2020

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The Conversation

 

  1. Thomas Simon

    PhD Student, chargé de cours en RH, ESCP Business School

ESCP Europe

 

CC BY ND
Illustration de Pierre Brissart pour une édition de 1682 du Médecin malgré lui. Wikimedia commons
 

Dans un essai intitulé « The stupidity paradox », les professeurs Mats Alvesson et André Spicer mettent en garde les managers des institutions bureaucratiques qui ne laissent aucune place à l’expression de l’intelligence humaine. À cet égard, ils parlent d’un phénomène de « stupidité fonctionnelle ». Au cœur de leur paradoxe, ils dénoncent l’affectation des salariés les plus compétents aux tâches les plus stupides.

Le plus édifiant dans l’ouvrage d’Alvesson et Spicer, c’est la manière dont ils démontrent l’attrait suscité par cette stupidité fonctionnelle sur le court terme. En effet, l’absence de remise en question et la conservation de structures processuelles séculaires assurent une certaine stabilité et des économies de moyens conséquentes. Cependant, lorsqu’elle est pensée sur le long terme, la stupidité fonctionnelle devient dévastatrice. Elle est marquée par l’imitation de la concurrence et la poursuite d’objectifs spécieux. Cette stupidité pérenne devient alors la plus pure illustration de la bêtise.

La paradoxe de la stupidité (Ghislain Deslandes, 2017).

La littérature comme réservoir de motifs

Quatre siècles avant Alvesson et Spicer, Molière s’intéressait lui aussi à la bêtise, mais dans un tout autre contexte que celui des organisations. En observateur acerbe de la société de son temps, Molière a mis en scène la plupart des travers humains : l’avarice, l’hypocrisie, l’infidélité et surtout la bêtise. Dans Le médecin malgré lui, le dramaturge français nous offre une caricature sans concession des médecins du Grand Siècle. Dès lors, l’écriture satirique du dramaturge apparaît essentielle pour mieux comprendre les rouages subtils de la bêtise humaine.

Et si finalement Molière devenait un auteur tout aussi incontournable qu’Alvesson et Spicer pour penser la bêtise dans les organisations ? Il s’agirait alors de considérer la littérature comme un réservoir de motifs dans lequel on viendrait puiser des éléments de réflexion pour mieux comprendre ce qui se joue dans les organisations.

Cette invitation à un dialogue entre les deux champs disciplinaires a notamment été initiée par l’économiste et professeur émérite à Stanford, James Gardner March. En effet, ce professeur a marqué des générations d’étudiants en délaissant les classiques « études de cas » pour travailler à partir d’œuvres littéraires comme « Guerre et Paix » ou « Don Quichotte ».

Dans l’ouvrage collectif Littérature et management paru en 2018, les professeurs Fabien de Geuser et Alain Max Guénette saluent eux aussi les potentialités offertes par la littérature pour enrichir les modèles gestionnaires. Dès lors, littérature et sciences de gestion ne doivent pas être envisagées comme deux champs hermétiques mais bien comme deux domaines qui s’interpénètrent mutuellement.

Les deux formes de la bêtise

On distingue traditionnellement deux formes de bêtise. Il y a tout d’abord une bêtise première, une bêtise essentielle qui est l’apanage de l’inculte, de l’ignorant et de l’incompétent. Elle résulte de l’absence d’études approfondies ou d’un manque de compétences techniques. Même si elle peut se révéler dangereuse, cette première forme de bêtise est curable grâce à l’injection soutenue des connaissances qui font défaut.

Cependant, s’il suffisait d’être intelligent pour ne pas être bête, autrement dit si la bêtise n’était qu’une affaire d’inculture ou d’ignorance alors l’espoir serait permis. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples.

Loin d’endiguer la bêtise, l’intelligence peut avoir pour effet de donner à l’imbécile la conviction littéralement confortable que la bêtise ne le concerne pas. C’est ce que le philosophe Clément Rosset appelle la « bêtise du second degré », c’est une bêtise intelligente mais foncièrement incurable puisque l’imbécile croit qu’il est déjà sauvé. L’homme bête brandit alors sa culture comme un parafoudre oubliant par là même qu’il suffit de croire qu’on échappe à la bêtise pour tomber dedans.

Dans ces conditions, la bêtise n’épargne personne, c’est une menace incessante et cette menace, l’imbécile y succombe d’autant plus aisément qu’il se croit à l’abri. Dès lors, cette bêtise du second degré n’est pas tant une affaire de contenu qu’une affaire de forme. La bêtise n’est pas du tout comme on le croit habituellement une chute ou une rechute dans l’animalité ou dans l’anormalité, elle n’est pas irrationnelle, c’est au contraire l’affirmation d’une raison suffisante, d’une raison outrecuidante, imbue d’elle-même et qui se réclame des grands principes de la logique.

Quand le costume ne fait pas le manager

Il faut ici rappeler que dans les « entreprises, le management fait souvent partie des propositions d’évolution ». On serait ici tenté de pasticher Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe en affirmant qu’« on ne naît pas manager, on le devient ».

Il suffirait alors de quelques cours reçus en MBA ou de quelques séminaires de coaching pour faire du salarié lambda un encadrant crédible. Si le costume ne fait pas le manager, le titre fonctionne encore moins comme un énoncé performatif. Il ne suffit pas de décréter un salarié manager pour qu’il le devienne effectivement. L’ancienneté et quelques conseils reçus sur le tas ne permettront pas nécessairement de faire d’un bon technicien un manager digne de ce nom.

C’est là où Molière nous donne de précieuses leçons avec sa pièce « Le Médecin malgré lui ». En effet, on y découvre le personnage drolatique de Sganarelle, un bûcheron et ivrogne notoire converti en médecin pour échapper aux coups de bâton. En enfilant les vêtements des médecins du XVIIe siècle, Sganarelle multiplie les ruses et prend sa nouvelle fonction très au sérieux. Tout au long de la pièce, il s’ingénie à dispenser de véritables consultations. Si on suit le sens littéral du texte, l’attitude de Sganarelle déguisé en faux médecin relève avant tout d’une bêtise du premier degré, c’est-à-dire de l’incurie de celui qui ne sait pas vraiment ce qu’il fait.

« Le malade imaginaire » (Honoré Daumier, autour de 1860). Wikimedia

Tout comme on ne s’improvise pas médecin, on ne s’improvise pas manager non plus. La négociation, l’intelligence relationnelle ou encore le leadership sont des qualités essentielles qui oscillent entre innéité et acquisition. On peut aisément transposer le ridicule provoqué par l’imposture de Sganarelle à certaines situations managériales. Le nouveau manager se retrouve alors parachuté du jour au lendemain dans un rôle qui n’est pas le sien par un simple mécanisme de promotion. Il devient manager malgré lui.

Le cas du « sale con »

Le « sale con » ou « asshole » pour reprendre le terme du professeur Robert Sutton que l’on peut rencontrer dans les organisations est l’archétype de ce que Rosset appelle la bêtise du second degré. Tel Moïse sauvé des eaux, le « sale con » pense échapper à la bêtise en brandissant un pseudo-vernis managérial en guise de paratonnerre.

Malgré le caractère frivole de la sémantique utilisée par Sutton, le sujet est très sérieux voire même capital pour les organisations. Pour ce théoricien du management, il apparaît indispensable d’analyser le comportement des individus pour en comprendre les conséquences organisationnelles. Sutton établit notamment une distinction entre le « sale con occasionnel » et le « sale con certifié ». Le premier a pu se laisser aller ponctuellement à un comportement déplacé tandis que le second use en permanence d’une attitude toxique envers ses subordonnés. Même si le premier doit faire l’objet d’une surveillance, le second représente un véritable danger pour les organisations.

Chez Molière, il faut se hisser au-delà du discours de Sganarelle et des protagonistes pour comprendre la portée globale de la pièce. Il s’agit alors de dépasser la lettre du texte à proprement parler pour en comprendre l’esprit. Dans « le Médecin malgré lui », Molière nous propose plus largement une satire de la médecine de son temps qui reste encore valable de nos jours.

Acte II, scène 4 du Médecin malgré lui : Sganarelle « ausculte » Lucinde (Théâtre Hatier, 2015).

Le jargon pédantesque employé par Sganarelle est un moyen efficace pour élaborer une critique acerbe des théories et des pratiques médicales en vigueur. Si le cas particulier de Sganarelle relève davantage d’une bêtise du premier degré en raison de son inculture scientifique, le cas plus général des médecins est la parfaite illustration d’une bêtise du second degré. Molière fustige ici le mythe du médecin thaumaturge capable d’accomplir des miracles. En réalité, le praticien ne fait que reprendre les dires des Anciens, sans les contrôler par l’expérience. L’honneur est sauf tant que la théorie est respectée.

Le recours systématique aux sentences latines est aussi une des caractéristiques de l’art médical de l’époque. Que personne n’y comprenne rien importe peu, l’essentiel pour le médecin, c’est de se comprendre lui-même. Une telle attitude est le symptôme aigu d’une autosuffisance identitaire qui refuse de s’ouvrir à autrui, de dialoguer et d’argumenter. Dès lors, Molière s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la satire des médecins. On les moque, on rit d’eux pour dénoncer leur inefficacité ainsi que leur vanité et leur insupportable superbe. Le « sale con » évoqué par Sutton est ici esquissé en filigrane.

« Vouloir conclure »

Difficile de trouver le mot de la fin sur un tel sujet. En effet, Flaubert rappelle dans sa « Correspondance » que : « la bêtise consiste à vouloir conclure ». C’est la volonté qui est importante ici. En effet, toute conclusion n’est pas bête. C’est la volonté de conclure, c’est-à-dire d’avoir le dernier mot, le mot de la fin qui relève d’une bêtise profonde. Risquons-nous malgré tout à quelques mots de conclusion. En mettant en scène un bûcheron grossier devenu médecin, Molière nous invite plus que jamais à débusquer les imposteurs et autres charlatans qui peuplent nos existences.

Pour le philosophe Alain Roger, nul doute que la bêtise absolue résulte d’un ego surdimensionné et d’une confiance en soi inébranlable. Autosuffisance, pédanterie et sentiment insulaire, tels sont les signes de celui qui se prend pour l’unique but de ses actions. En somme, qu’il s’agisse des médecins ou des managers, tous feraient mieux d’admettre qu’ils ne sont pas omniscients, ils en seraient bien plus respectables.

Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?

27 mercredi Mai 2020

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The Conversation

  1. Ghislain Deslandes

    Professeur en philosophie des sciences de gestion, ESCP Business School

ESCP Europe

 

CC BY ND
La période actuelle nous invite à concevoir la valeur de respect avec autant de réalisme que d’humanité. eamesBot / Shutterstock
 

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.


Pendant des siècles les sociétés humaines ont fonctionné selon un principe établi, celui du respect. Respect des honneurs et de la dignité, à commencer par celle du Roi, et donc des rangs, des hiérarchies sociales, des inégalités en tous genres.

Nous nous figurons sans doute aujourd’hui que le respect n’est plus la valeur cardinale de nos sociétés contemporaines, remplacée par ses contraires, la dérision, qui s’exprime sur toutes les ondes à toute heure. Ou encore la contestation, grâce à laquelle nous semblons renouer, par instants, avec notre ADN révolutionnaire national.

C’est pourtant bien cette notion qui revient en force ces jours-ci : respect des règles d’hygiène, respect des gestes barrières, respect des distances de sécurité – la distanciation sociale –, etc.en cette période de crise virale, le règne de nos devoirs sanitaires ne cesse de s’étendre.

Respecter revient ici à ne pas attenter à la vie d’autres personnes en cas de possible transmission du virus, mais aussi, sans doute, à esquiver le jugement négatif d’autrui, par exemple en cas de non-port du masque dans les lieux publics.

« Respectus »

Or que nous apprend l’étymologie du mot, qui nous vient du latin « respectus » ? Celui-ci signifie se retourner pour regarder, et indique un temps d’arrêt de notre attention tournée vers quelqu’un. En faisant cet effort d’attention, nous optons toujours, sans le savoir, pour une vision « interactionnelle » de la dignité : le respect revenant à lutter contre l’indifférence, à se détourner de soi comme signe d’une certaine considération d’autrui.

La crise sanitaire a modifié nos interactions sociales en profondeur. eamesBot/Shutterstock

Et pourtant, malgré notre goût des autres, constaté ici ou là, dans les circonstances actuelles il faut le reconnaître : certes, ces règles sont « bonnes » à honorer dans la mesure où elles ont pour but la préservation immédiate de la santé de nos proches et de nos prochains, mais elles demeurent toutefois difficiles à accepter pour au moins deux raisons.

Tout d’abord elles ont un caractère autoritaire (on n’ose dire jupitérien). Le moindre relativisme est comme frappé d’interdiction. Fin mars par exemple, dans la région du parc Kruger en Afrique du Sud, un touriste français contaminé par le coronavirus s’est vu accusé de « tentative de meurtre » pour ne pas avoir respecté les règles de confinement. On ne rigole pas partout avec les mesures de quarantaine.

Aussi, ces instructions sont-elles difficiles à accepter dans nos sociétés en grande partie construites sur des valeurs qui s’opposent autant que possible au respect, par exemple la désobéissance ou la transgression.

Il faut ici redire à quel point le respect est à l’origine même des plus grandes créations de l’humanité : dans des domaines aussi divers que l’art, la science ou la philosophie, où les auteurs se posent en s’opposant à ceux qui les ont précédés.

C’est ainsi qu’avec L’Anti-Œdipe on a pu dire avec raison que Félix Guattari et Gilles Deleuze avaient fait « un enfant dans le dos » au psychanalyste Jacques Lacan. Cette remarque pourrait d’ailleurs être formulée pour la majorité des grandes œuvres de l’histoire de la pensée.

C’est également le cas dans les secteurs de l’industrie, en entrepreneuriat par exemple comme l’ont montré les travaux de l’économiste Olivier Babeau, qu’il s’agisse alors de transgresser les valeurs communes ou les normes en vigueur.

On retrouve ici finalement la tension interne qui transparaît toujours en matière de respect, qui d’un côté symbolise un principe moral central de notre civilisation, mais qui de l’autre est reçu avec un sentiment de défiance à l’égard d’une certaine forme d’autorité, laquelle nous est devenue à peu près insupportable.

Comme l’énonçait déjà la politologue et philosophe Hannah Arendt dans son ouvrage Crise de la culture en effet, l’autorité (soit le contraire de l’autoritarisme) a bel et bien disparu de nos sociétés postmodernes.

Il ne fait cependant aucun doute que la situation créée par le Covid-19 rebat les cartes de ce conflit d’interprétation, et nous contraint à faire au respect de nouveau une place parmi nos valeurs. On ne peut douter en effet que les gestes barrières en particulier, et la stricte observance qui en est le corollaire, sont là pour longtemps.

Ils marqueront de leur empreinte le conditionnement de nos relations sociales quotidiennes, notamment dans l’entreprise. C’est pourquoi il apparaît urgent de nous réconcilier avec cette idée, même si cela doit être de manière transgressive, ou en tout cas d’en comprendre le potentiel pour mieux en redécouvrir les pauvretés et les richesses, les risques et les vertus, la grandeur… mais aussi la misère.

Pauvreté du respect, avec Melville

Commençons par rappeler que respecter revient le plus souvent à obéir. Obéir à un pouvoir, à une police ou à des maîtres. Le respect apparaît comme une valeur de conservation, voire de réaction. On respecte le passé, les anciens ou les règles auxquelles il conviendrait de se conformer. Il y a toujours dans le respect quelque chose qui est de l’ordre de la mécanique, de la politesse obligée. De la surveillance aussi.

Mais la tentation avec le respect des anciens, c’est toujours d’en exagérer l’importance au-delà du territoire naturel dans lequel elle est censée s’exercer : dans le domaine scientifique par exemple, une bonne dose d’irrespect n’est-elle pas nécessaire à l’égard des anciens afin de faire progresser la connaissance ?

En philosophie, c’est un peu la même chose. La réflexivité scientifique ou philosophique présuppose une certaine prise de risque par rapport aux convictions des autres, à leur confort intellectuel ou moral.

Être irrespectueux en transgressant la norme s’avère utile pour faire progresser nos sociétés. eamesBot/Shutterstock

C’est ainsi que Socrate fut invité à boire la cigüe que lui tendaient les autorités athéniennes de son époque avec pour reproche une forme d’inconvenance, d’incongruité, d’irrespect justement, des conventions et du discours tenu à l’endroit des plus jeunes.

Or c’est parce les anciens eux-mêmes ont su faire montre de cette forme particulière d’irrévérence, de démêlé avec les opinions courantes que sont le raisonnement scientifique et philosophique, qu’ils ont pu, en leur temps, remettre en cause des savoirs erronés, pour le plus grand bien de notre déniaisement intellectuel. Le progrès suppose toujours une dose de dispute face aux fausses vérités héritées du passé.

Respecter revient finalement à dire oui un peu trop souvent, au prix parfois de notre liberté de pensée, d’action ou d’expression, laquelle n’est jamais autant palpable que lorsque nous expérimentons, non pas notre pouvoir de faire, mais notre pouvoir de ne pas faire.

Sans cette capacité négative, ce pouvoir de résistance, ce « savoir immédiat de la vie » comme le dirait le phénoménologue Michel Henry, nous serions sans cesse placés sous la férule du pouvoir, et de son autoproclamée respectabilité.

C’est pour cette raison que Bartleby, le clerc énigmatique d’une nouvelle d’Herman Melville, et sa célèbre phrase adressée à son chef de bureau qui lui demande d’obtempérer, « I would prefer not to », a fasciné tant de philosophes et d’écrivains du XXe siècle.

« J’aimerais mieux éviter » nous dit Bartleby, sans dire davantage, mais nous en disant assez pour comprendre que son refus, énoncé respectueusement, n’est rien d’autre qu’une forme polie d’irrespect.

Splendeur du respect, avec Kant

On rappellera toutefois que, sous couvert d’irrévérence aux opinions des anciens, c’est un hommage respectueux à la raison qui est proposé par les contestataires. Ne pas faire semblant peut aussi être compris comme une forme de respect à l’égard de soi-même, de devoir vis-à-vis de soi-même et des autres. De son côté, le philosophe Emmanuel Kant dans le Fondement de la métaphysique des mœurs croit bon d’ajouter ceci :

« Tout respect pour une personne n’est proprement que respect pour la loi (loi d’honnêteté, etc..) dont cette personne nous donne l’exemple ».

Le penseur de l’Aufklärung est en effet celui qui a le plus contribué à défendre le respect, cette forme de non-indifférence au sort d’autrui, et à lui reconnaître sa dignité proprement philosophique.

Le respect est ce qui rend compte de la transcendance de la règle morale. C’est parce que nous respectons la dignité des autres, dans leurs différences même, que nous nous interdisons de les juger. Le respect de la dignité d’autrui est sans condition et s’adresse toujours, selon Kant, à des personnes et non à des choses. Pour la mer, un volcan, un cheval ou une bête féroce nous avons de la crainte, de l’étonnement ou de l’admiration, mais point de respect explique-t-il encore. Kant ajoute ceci :

« Je m’incline devant un grand, disait Fontenelle, mais mon esprit ne s’incline pas. Et moi j’ajouterai : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je vois la droiture de caractère portée à un degré que je ne trouve pas en moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, si haute que je maintienne la tête pour lui faire remarquer la supériorité de mon rang. »

La liberté ne serait pas un sentiment de nature psychologique, mais résulterait en réalité d’un choix autonome, raisonnable et désintéressé en faveur de la destination morale de l’humanité.

Sentiment moral par excellence donc, le respect ne tiendrait pas son point d’origine de la sensibilité, mais du jugement de la raison. Respecter autrui ce ne serait pas ressentir des émotions de type peur ou séduction, mais ce serait au contraire faire fi de nos inclinations sensibles, pour privilégier la « majesté » de la loi morale commandée par le devoir.

Respecter cela revient donc à humilier notre amour-propre, d’où les difficultés que nous avons de nous « délivrer de ce terrible respect » comme le formule Kant, au bénéfice d’une influence pratique de la morale que « l’on ne peut plus se lasser d’admirer. »

Du respect dans les organisations

Notons à ce titre que depuis quelques années le respect n’a eu de cesse de constituer un thème de recherche en management, notamment nord-américaine, où il est souvent considéré comme un élément positif sur le plan de la performance organisationnelle.

Au point que la question est moins de savoir si le respect rendu, notamment par les managers aux personnes constituant les équipes, est un élément de sûreté psychologique et de meilleure communication interpersonnelle, car de cela personne ne paraît douter sérieusement, mais de mieux comprendre les mécanismes qui permettent de s’assurer que le respect est bel et bien établi dans les modes opératoires de l’organisation.

En cette période troublée, comment s’emparer de la valeur de respect au travail ? eamesBot/Shutterstock

Il semble assuré dans ces études en effet que le respect, sorte de besoin profond exprimé universellement, fonctionne sur un mode circulaire dans lequel les personnes traitées avec respect tendent à « payer de respect » à leur tour celles qui leur ont prodigué ces marques d’honorabilité.

Cette circularité est particulièrement marquée dans les métiers de la création, ainsi que le remarque Dagmar Abfalter, où le respect mutuel est un facteur-clé de succès attesté. Pour deux économistes, Tore Elligsen et Magnus Johannesson, le respect sur le lieu de travail devrait même être considéré comme un facteur de motivation autrement plus important que la rémunération. Tout se passant comme si homo respectus supplantait Homo œconomicus.

Le problème avec ces études c’est qu’il est parfois difficile de situer avec précision le sens de la notion : s’agit-il de respecter autrui pour sa différence ? Pour son humanité ? Pour ses qualités professionnelles, ou ses valeurs personnelles ? Parce que nous partageons les mêmes droits, et les mêmes devoirs ? Parce que nous reconnaissons des compétences à tel collaborateur, une vision stratégique à tel « leader », ou tout simplement une efficacité supérieure à la moyenne ?

Ou alors s’agirait-il plutôt, dans une direction inverse, de tenir finalement à chaque fois autrui « en respect », c’est-à-dire à l’écart, sans implication affective particulière, en renouant ici peut-être avec une autre interprétation étymologique de la notion : celle qui indiquerait que « regarder en arrière » revient au fond à laisser de côté, conserver à distance, « tenir » en respect comme on tient en laisse ?

Cette interprétation qui associerait finalement le respect à une sorte de phobie de la proximité, à laquelle notre époque présente unissant visages masqués et distanciation obligatoire ne ferait que donner un élan supplémentaire.

Pour une éthique de la « bonne distance »

On voit bien que le respect ne peut avoir de sens pour nous que si, et seulement si, il associe le niveau moral entrevu par Kant, le respect comme obligation, avec le niveau politique, le respect des « gestes barrières » au sens où nous l’entendons dans la crise sanitaire actuellement traversée, et enfin le niveau éthique.

Car de quelle qualité en effet serait le respect s’il n’était associé, non seulement à une obligation à l’égard d’autrui (l’amour de bienveillance n’est jamais qu’une obligation de plus), mais aussi à la possibilité d’apprécier les personnes que l’on côtoie sans y être contraint ?

Respecter l’autre sans se sentir contraint, éthique du monde d’après ? eamesBot/Shutterstock

De quelle qualité serait en dernier ressort un sentiment téléguidé par une prescription morale obligatoire ?

Or, dans la période que nous vivons, un autre philosophe, Blaise Pascal, peut nous aider à concevoir la valeur de respect avec autant de réalisme que d’humanité.

Dans ses Trois discours sur la condition des Grands, il fait une différence entre d’un côté les grandeurs « d’établissement », qui sont dû à une certaine hiérarchie sociale, inévitable, car, écrit-il « nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles ». La verticalité, la « Tour » pour employer l’expression de l’historien Niall Ferguson, serait comme la condition d’un « nous », du fait de ce que Pascal nomme les « cordes de nécessité » qui nous unit les uns aux autres. De l’autre côté figureraient les grandeurs « naturelles », qui correspondent aux mérites et aux qualités intrinsèques.

Or cette distinction entre horizontalité (estime) et verticalité (rapport de force) du respect lui permet de remarquer qu’aux grandeurs « d’établissement » ne sont dus que des respects « d’établissement », ces « cérémonies extérieures » qui n’engagent qu’une certaine considération pour la dignité de la fonction, pas plus.

Aux seules grandeurs « naturelles » est due l’estime proprement dite, marque de justice et appréciation des mérites propres à chacune et chacun. De fait, les aperitivi virtuels qui se sont multipliés dans le monde entier pour célébrer le personnel soignant, n’ont-ils pas été précisément le signe tangible de ces respects naturels, impliquant un consentement intérieur auquel rien ni personne n’obligeait ?

La période à venir nous invite donc, par la force des choses, coûte que coûte, d’une manière ou d’une autre, à nous réconcilier avec l’idée de respect.

Du respect il faut donc savoir, encore et toujours s’incommoder, si possible avec légèreté, ironie ou humour, comme Slavoj Zizek qui avec le design et la vente en ligne d’un masque de protection philosophique en donne le plaisant exemple.

Le Bartleby slovène se montre donc accommodant avec le respect des règles en vigueur. Mais à la condition, visiblement, d’inscrire sur le masque barrière la mention suivante : « I would prefer not to ».

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