Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management
S’ils sont enclins à transgresser les règles, les adolescents sont aussi très influencés par les comportements numériques de leurs parents. Shutterstock
Sous forme de smartphones, d’ordinateurs ou de tablettes, les écrans sont désormais omniprésents dans le quotidien des adolescents. À partir de 10 ans, 35 % d’entre eux possèdent leur propre console de jeu, 28 % leur propre tablette, et 11 % leur propre téléviseur. Le smartphone arrive très vite aussi : 87 % des 10-15 ans déclarent posséder un smartphone, dont 65 % depuis l’entrée en classe de sixième, d’après la dernière étude Médiamétrie-OPEN.
Avant le confinement, les jeunes passaient déjà en moyenne plus de 4h par jour sur leur smartphone, selon des données recueillies auprès de 4 000 Français âgés de 13 à 20 ans, dans un cadre normal. La période de confinement a très certainement intensifié ce lien avec le numérique, notamment chez les « digital natives », cette génération née après 1995.
Comment gérer alors l’accès des adolescents à leurs téléphones mobiles, pour éviter que l’engouement ou l’habitude ne vire à la dépendance ? Quel est le discours que peut tenir un parent qui n’a pas grandi dans un monde connecté, à son enfant qui, lui, est né au milieu des nouvelles technologies ? Faut-il essayer de tout contrôler et réprimander les écarts de manière stricte ou, au contraire, jouer sur le devoir de transmission et de socialisation ? Regards sur les stratégies possibles.
Signaux d’alerte
Si l’on ne peut pas vraiment parler d’addiction, au sens d’une dépendance qui nécessiterait un sevrage, certains adolescents peuvent développer des comportements particulièrement toxiques vis-à-vis de leur smartphone, au point de se sentir angoissés à l’idée de ne pas l’avoir à portée de main.
Des études scientifiques récentes sur le sujet étayent l’idée qu’une nouvelle névrose se répand dans notre société aujourd’hui, et plus particulièrement auprès des adolescents, ces digital natives, ultra-connectés : l’angoisse ou la phobie de se retrouver sans son smartphone, connue sous le terme de « nomophobie ».
La nomophobie, contraction de « no mobile phobia », désigne une forme de pathologie liée aux technologies modernes, notamment au smartphone et à la peur excessive d’être séparé de son smartphone. La personne redoute alors de ne pas être en mesure de communiquer, de perdre sa connexion, de ne pas pouvoir accéder à l’information ou de renoncer à son confort.
Nomophobie, définition, origine et secrets du mot (« Parlons peu, parlons bien », TV5 Monde).
Un outil de mesure de la nomophobie a été développé et publié dans la revue scientifiqueComputers in Human Behavior pour estimer à quel point un individu est accro à son smartphone.
La nomophobie est révélatrice d’une névrose particulièrement élevée chez les adolescents : 76 % d’entre eux déclarent être angoissés à l’idée de perdre leur smartphone. De plus, 33 % de ces jeunes hyperconnectés consulteraient leur smartphone au moins cinquante fois par jour, et parfois même la nuit.
Une consommation ne peut pas être sans danger : elle provoque des troubles du sommeil, des troubles de la vision, une dépression… La chute des notes au collège/lycée doit également alerter les parents. La rupture des relations avec les copains ou encore l’isolement permanent dans sa chambre sont d’autres signes à prendre en compte.
Règles et astuces
Bannir le smartphone n’est pas la solution dans la mesure où il s’agit d’un outil d’intégration sociale à l’adolescence et que, pour marquer leur indépendance, les jeunes ont tendance à transgresser les interdits. Plutôt que d’interdire l’usage du smartphone, les parents ont tout intérêt à privilégier le dialogue.
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Les adolescents face aux écrans : faut-il repenser le discours de prévention ? http://bit.ly/2SYVvbN
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D’abord, il s’agit de discuter avec son enfant de ce qu’il fait avec son smartphone, de ce qu’il y trouve et de ce que cela lui procure. Ensuite, des règles claires peuvent être fixées en partenariat avec l’adolescent comme :
instaurer des zones sans écrans à la maison (à table, dans sa chambre) et pourquoi pas une journée par semaine sans smartphone pour toute la famille,
installer un panier pour les smartphones de tous les membres de la famille la nuit, loin des chambres,
désactiver les notifications de ses applications du smartphone pour limiter les sollicitations intempestives,
faire porter une montre à l’adolescent pour éviter qu’il regarde constamment l’heure sur son smartphone,
mettre en place des activités autres que le numérique (sport, musique…), 59 % des parents le font aujourd’hui
limiter l’utilisation du smartphone, ce que 34 % des parents font déjà : plages horaires autorisées et temps de connexion quotidien adapté.
Exemplarité
Les parents sont perçus comme les acteurs les plus influents dans l’éducation numérique des adolescents. Aujourd’hui, seuls 35 % des parents adapteraient leurs usages pour montrer l’exemple auprès de leurs enfants (Médiamétrie 2020). Il est important que les parents, non seulement informent leurs enfants sur les risques d’un usage excessif du smartphone, mais surtout qu’ils amènent leurs enfants à une prise de conscience des processus de dépendance.
Pour l’adolescent, le smartphone joue un rôle structurant : il ne représente pas seulement un objet destiné à communiquer mais un objet sur-investi de sens jouant un rôle clé dans la construction de l’identité sociale de l’adolescent.
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Facebook, Snapchat, Instagram : les réseaux sociaux font aussi du bien aux adolescents ! http://bit.ly/2Q8XYOX
S’il occupe une place si essentielle, cela peut-il s’expliquer par le fait que les adolescents manquent de lieux de sociabilité ? N’est-ce pas parce que le dialogue entre adultes et adolescents est devenu plus difficile ?
La présence envahissante du smartphone interfère dans les relations familiales, au point d’altérer les liens que les parents doivent tisser avec leurs enfants, au cours de l’adolescence. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre des adolescents reprocher à leurs parents d’utiliser excessivement leur smartphone. Un vrai paradoxe !
Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes
Le 22 juin 2020, dans un supermarché londonien. Tolga Akmen/AFP
Il est impossible de dire aujourd’hui quel sera le futur de l’économie mondiale. D’abord parce que la crise sanitaire n’est pas terminée et que, si la situation s’améliore dans certains pays dont la France, on ne peut éliminer l’hypothèse selon laquelle il faudrait vivre, en l’attente d’un vaccin, une série de répliques et de vagues de diffusion de la maladie (chacune entraînant de nouveaux épisodes de confinement et de ralentissement de l’activité).
Ensuite, parce que le futur sera d’abord ce qu’en feront les gouvernements et les citoyens, dans un contexte d’incertitudes radicales et de grandes difficultés économiques et sociales.
Lignes de fractures et trajectoires
Les points de vue exprimés dans les médias, qu’ils le soient en termes de constat ou de recommandations, sont innombrables et il est difficile d’en tirer une vision claire. On peut cependant tenter d’identifier, à partir des différents points de vue exprimés, les principales lignes de fracture. C’est un moyen de structurer des images plausibles des trajectoires et des états du monde dans lesquels devront se déployer les politiques pour l’énergie et le climat.
Pour la dynamique du redémarrage de l’économie, plusieurs hypothèses peuvent être formulées. On peut ainsi identifier différents profils dynamiques pour la récupération de l’économie. Les macro-économistes utilisent ici un véritable alphabet : profil en V, W, U, L, ou encore Z et swoosh (voir ci-dessous).
L’abécédaire des reprises, en V, W, U, L, Z et swoosh.Brookings
Au cours du dernier demi-siècle, presque tous les profils ont pu être observés avec les crises pétrolières des années 1970, financières des années 1990 et enfin de la crise de la dette des ménages aux USA en 2008, suivie de la crise européenne des dettes souveraines (voir ci-dessous).
Dans son dernier World Economic Outlook, le FMI estime à au moins 3 % la perte de croissance économique en 2020.
Cinquante ans de croissance et de crises.Banque mondiale, FMI, CC BY
Le premier porte sur l’état des relations internationales : ira-t-on dans l’après-crise vers une confirmation de la « démondialisation compétitive » dont des signes apparaissaient déjà avant la crise sanitaire ; ou assistera-t-on au contraire, du fait d’une prise de conscience des interdépendances, à un retour des efforts de coopération internationale, dans le cadre d’un multilatéralisme renouvelé ?
Le second axe renvoie à la fois sur les finalités et sur les moyens des actions qui devront être mises en œuvre pour le rétablissement des économies et des sociétés : faut-il rechercher le retour le plus rapide possible au statu quo ante ; ou faut-il au contraire prendre appui sur la nécessité d’une action vigoureuse des États pour engager les économies et les sociétés sur la voie des transitions écologiques, dans une logique de reconstruction « en mieux » ?
Typologie des scénarios.P. Criqui/Enerdata (mai 2020), CC BY-NC-ND
Scénario 1 : « Chacun pour soi »
Dans le premier scénario, au lieu d’encourager une refondation, les États se recentrent au contraire sur leurs intérêts directs à court terme et renforcent leurs tropismes et priorités propres.
Au plan économique, il s’agit de se protéger de la concurrence extérieure et de relocaliser massivement les activités productives. Avec, pour les États-Unis, l’objectif de reprendre le bras de fer industriel et commercial avec la Chine, et pour les autres pays, de revenir sur une globalisation jugée apporter plus d’éléments de déstabilisation que d’avantages en termes de baisse du coût des produits et services.
L’objectif est bien celui d’une reprise rapide, en V, avec un accent mis sur la relance des activités existantes indépendamment des considérations environnementales, voire avec un retour sur les politiques existantes de protection.
Au plan énergétique, le choix est fait de promouvoir les solutions à moindre coût, et ce sont à court terme celles fondées sur les énergies fossiles qui sont favorisées. Cela d’autant plus que l’arrêt d’une partie de l’économie mondiale déprime profondément les prix de ces énergies.
La consommation de pétrole reprendrait ensuite, tirée par le redémarrage des transports, ainsi qu’en Asie la production d’électricité à partir du charbon. Inversement, la crise peut affecter négativement le développement des énergies renouvelables : les difficultés de financement freinent le développement des nouveaux projets, alors même qu’avant la crise, plusieurs gouvernements prévoyaient de réviser, parfois à la baisse, les schémas d’aide ou d’incitation.
Une reprise en V est certes alors possible, mais à moyen terme une rechute reste à craindre, soit en raison d’une deuxième vague de la crise sanitaire, soit en raison d’un désajustement de la demande et de l’offre sur les marchés de matières premières, désajustement générateur de chocs de prix : on aurait alors une reprise en W et une instabilité accrue.
Scénario 2 : « Sauver les meubles »
Dans le deuxième scénario, la première menace perçue est celle de la faillite de nombreux États fragiles, au Sud comme au Nord. Le risque est celui d’une crise mondiale majeure, comparable à la Grande dépression des années 30 et que le FMI a qualifiée de « crise du Grand confinement ».
L’urgence extrême est alors d’introduire un moratoire et une renégociation de la dette, gérés par le FMI et la Banque mondiale. Dans une perspective ouvertement keynésienne, l’introduction de liquidités par une injection massive de droits de tirage spéciaux (SDR, Special Drawing Rights) du FMI permettrait d’amplifier la relance. Le résultat attendu est une stabilisation des économies et une reprise rapide de l’activité et des échanges : une reprise en V, voire en Z si on assistait à un fort rebond à partir de 2021.
Mais ce type de reprise, plaçant l’urgence sur la relance de l’économie mondiale, peut conduire à faire passer les préoccupations de développement soutenable et de transition énergétique au second plan. En effet, le sauvetage de l’économie conduit à mettre l’accent sur un retour rapide aux anciens modèles de consommation, sur la sauvegarde des entreprises menacées (automobile, transports aériens, tourisme, etc.), enfin sur des investissements dans des industries matures.
En Europe, la question est de savoir si le Green Deal soutenu par la Commission d’Ursula von der Leyen résistera aux nouvelles priorités défendues par les États membres et au retard imposé à certaines « initiatives non essentielles ».
Scénario 3 : « Retour aux territoires »
Dans le troisième scénario, la crise du coronavirus s’inscrit dans une tendance de fond en faveur d’une relocalisation des activités. Avec une volonté délibérée de reconquérir des degrés de souveraineté par la relocalisation, ce scénario suppose que chaque État, chaque territoire, choisit de « compter sur ses propres forces » pour assurer les transitions écologiques.
Celles-ci procèdent d’un ralentissement de la consommation et d’un recentrage de l’activité industrielle, de la mise en œuvre d’un nouveau modèle agricole et d’un aménagement du territoire favorisant les villes de taille petite ou moyenne plus que les métropoles.
La mise en œuvre de ces nouveaux modèles de consommation et de production suppose des transformations économiques et sociales profondes. Elle ne conduit donc pas à une reprise rapide, mais plutôt à une mise en place progressive, donc à une reprise en U, et même plutôt en L pour tenir compte du ralentissement ultérieur de la croissance du PIB. Dans ce scénario en effet, le rétablissement du PIB marchand n’est plus l’objectif premier, et d’autres indicateurs de bien-être sont favorisés.
Au plan énergétique, la décroissance est forte pour toutes les activités polluantes et fondées sur les énergies fossiles, le développement d’une plus grande sobriété rend le moteur « consommation » de la croissance beaucoup moins dynamique. Le développement des chaînes de production et de logistique plus courtes permet de réduire significativement les besoins de transport.
Dans ce scénario, les énergies renouvelables, surtout dans leur version décentralisée (photovoltaïque, bioénergies, réseaux de chaleur), jouent un rôle majeur pour un approvisionnement décarboné.
Scénario 4 : « L’ère des pactes verts »
Dans le quatrième scénario enfin, le choc du coronavirus, la prise de conscience des risques encourus du fait des crises globales (virus comme changement climatique) entraînent une prise de conscience d’au moins une partie des grands acteurs de la communauté internationale. Ils s’organisent pour mettre en place une reconstruction d’institutions multilatérales en faveur du développement durable, de la protection de la biodiversité, des investissements verts et de la décarbonation des systèmes énergétiques.
Ainsi sont mis en place de « nouveaux pactes verts », coordonnés et amplifiés. Ces investissements sont instaurés rapidement pour éviter que ne s’installe une stagnation prolongée. La consommation se porte majoritairement sur des produits verts, alors que l’investissement est un puissant vecteur de croissance : on a alors une reprise en U, voire en Z si l’effet d’entraînement de l’économie s’enclenche rapidement, dans une logique reconstruction et de croissance verte.
Ce scénario renvoie à des changements importants dans l’efficacité énergétique et dans les modèles de consommation, en particulier en matière de transport. Mais il s’accompagne d’un effort très ambitieux de reconstruction des systèmes énergétiques, mobilisant toutes les innovations pour les technologies bas carbone.
Parmi celles-ci, les énergies renouvelables connaissent un développement accéléré non seulement dans les applications décentralisées, mais aussi sur de grands réseaux électriques interconnectés. Dans un scénario mobilisant l’ensemble des énergies décarbonées, il est alors possible que, dans certains pays, soient aussi mobilisées l’énergie nucléaire ou des solutions comme la capture et le stockage du carbone.
Plausibilité, probabilité et désirabilité des scénarios
Cet exercice ne constitue pas bien sûr une prévision : dans un contexte d’incertitudes radicales, il est impossible de déduire le futur du passé.
Si ces quatre scénarios sont plausibles, il est impossible d’évaluer aujourd’hui leur probabilité d’occurrence. Et encore moins d’y associer un degré de désirabilité. Le scénario le plus souhaitable n’est pas forcément le plus probable… On peut aussi espérer que le moins souhaitable ne soit pas le plus probable.
Mais il ne fait pas de doute qu’au sortir de la crise, les choix politiques des gouvernements, tant au niveau de la coopération internationale que de l’importance accordée aux impératifs de transition écologique, structureront l’état du monde de demain.
Face aux événements extrêmes comme les krachs boursiers, les réactions émotionnelles influencent la prise de décision financière. Who is Danny / Shutterstock
Les évènements extrêmes sur les marchés financiers sont rares, mais leur impact s’avère parfois massif, comme l’a récemment montré l’effondrement des marchés boursiers mondiaux en mars 2020 dans le contexte de pandémie de Covid-19. Inattendus, les évènements extrêmes de type krach boursier provoquent un effet de surprise, et sont susceptibles de déclencher une forte réaction émotionnelle.
Pourtant, la finance traditionnelle est conçue pour s’appliquer en « temps normal », c’est-à-dire lorsque les rendements des actifs se situent dans une fourchette de valeurs standard.
Les évènements extrêmes font peu l’objet d’étude en économie. Récemment, de nombreux travaux ont cependant montré que la demande d’un fort retour sur investissement par les actionnaires par rapport aux rendements des obligations pouvait s’expliquer par une prime de risque associée aux phénomènes extrêmes comme les krachs boursiers.
Toutefois, ces travaux laissent largement de côté l’étude des réactions émotionnelles des investisseurs face à ces évènements extrêmes. Or, nos travaux expérimentaux nous ont permis de conclure que les émotions négatives jouent un rôle prépondérant et complexe sur la prise de décision des investisseurs.
Comment analyser l’impact des émotions ?
Selon les théories traditionnelles de la prise de décision telles que la théorie de l’utilité espérée ou la théorie des perspectives (Prospect Theory), les émotions n’ont pas de conséquence sur la prise de décisions. Elles sont uniquement considérées comme des effets secondaires. L’investisseur est supposé être guidé par une évaluation objective et purement statistique de la rentabilité des actifs.
A contrario, selon les partisans de l’hypothèse du « risque comme sentiment » (risk as feeling) ou de « l’heuristique de l’affect » (affect heuristic), les émotions ressenties au moment de prendre une décision affectent bien la manière d’évaluer un actif.
C’est la raison pour laquelle il demeure essentiel pour les chercheurs de prendre en compte les émotions dans leurs études économiques et financières des choix risqués.
Outre le rôle des émotions, un autre défi dans l’étude des évènements extrêmes réside dans la rareté des données les concernant et leur caractère idiosyncrasique (chaque évènement advient de manière originale, selon des phénomènes qui lui sont propres). En effet, dans le domaine de la finance, les évènements extrêmes de type krachs boursiers possèdent tous des caractéristiques spécifiques.
Pour répondre à ces défis, nous avons mis au point un nouveau protocole expérimental pour étudier les réactions physiologiques des investisseurs à ces évènements extrêmes. La mise en place d’un environnement de laboratoire contrôlé a permis de produire de manière crédible et cohérente des évènements improbables et d’étudier le rôle des émotions.
Celles-ci ont été captées au moyen de la réactance électrodermale (activité électrique biologique enregistrée à la surface de la peau), fortement liée à la sudation, en situation d’évaluation des perspectives d’investissement.
86 participants à cette expérience ont ainsi eu pour tâche de placer 300 enchères successives pour acquérir un actif financier qui offrait une petite récompense positive (soit 10, 20, 30, 40 ou 50 centimes) dans plus de 99 % des cas et une large perte relative (1000 centimes) autrement. La perte était à la fois très improbable (0,67 %) et suffisamment importante pour réduire à néant les gains accumulés par les participants et leur faire faire faillite.
Le rôle complexe des émotions négatives
L’étude a mis en évidence que les investisseurs qui observent un évènement extrême sans subir de perte ont tendance à diminuer leurs enchères. Cet effet est particulièrement prononcé lorsque les participants présentent :
un « biais de récence », c’est-à-dire qu’ils s’appuient sur de petits échantillons pour actualiser la probabilité d’évènements rares ;
ou un « biais de disponibilité », c’est-à-dire qu’ils estiment la probabilité d’occurrence d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle des cas pertinents leur reviennent en mémoire.
En revanche, les investisseurs qui subissent des pertes extrêmes ont tendance à augmenter leurs enchères. Cette réaction est particulièrement prononcée chez les investisseurs qui réagissent de façon émotionnelle aux pertes et expriment de la colère.
Toutefois, la peur conduit les investisseurs averses aux pertes à diminuer leurs offres après avoir observé les événements extrêmes sans subir de perte. Pour eux, le sentiment de peur prend finalement le pas sur celui de la colère.
Ainsi, un événement négatif peut avoir des effets complètement différents sur le comportement des investisseurs selon l’émotion (peur ou colère) qu’il génère. Ce phénomène a d’ailleurs aussi été étudié dans un contexte non financier donnant naissance à la théorie de l’appréciation des émotions (Appraisal Theory of Emotions).
Enfin, les investisseurs qualifiés d’émotionnels – pour lesquels les émotions mesurées par l’activité électrodermale en début d’expérience étaient fortes – ont proposé des enchères plus basses et étaient moins susceptibles de subir des pertes extrêmes et de faire faillite que les investisseurs moins émotionnels. Ces investisseurs ont également réalisé des bénéfices plus élevés lorsque les évènements extrêmes étaient fréquents.
Ce résultat contraste avec l’opinion commune selon laquelle les investisseurs doivent contrôler leurs émotions à tout moment. Un certain niveau d’anxiété pourrait donc nous protéger d’évènements extrêmes qui autrement amèneraient notre ruine.
D’après la théorie de l’évolution des émotions, celles-ci ont une fonction ancestrale qui consiste à augmenter nos chances de survie. Pour l’investisseur, elles pourraient être une protection efficace contre le krach boursier et la faillite.
Le 13 juin dernier, dans une tribune au Monde, Jean‑Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, demandait au président de l’Assemblée nationale et au ministre de l’Économie et des Finances de « trouver un autre nom pour ces lieux », à savoir la salle Colbert du Palais Bourbon et le bâtiment Colbert de Bercy. Dans un contexte mondial de mobilisations antiracistes, l’ancien premier ministre partageait cet article sur Twitter avec le hashtag #BlackLivesMatter.
« Comment comprendre que dans les locaux de l’Assemblée nationale, une salle porte encore le nom de…
TRIBUNE. Dans une tribune au « Monde », Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, appelle à ce que les lieux à l’Assemblée nationale ou au ministère de l’économie…
La semaine précédente, plusieurs statues avaient été déboulonnées durant des manifestations. Le 7 juin, le bronze imposant d’Edward Colston finissait ainsi dans l’Avon, rivière traversant la ville de Bristol en Angleterre. Dans un article consacré à la mémoire de l’esclavage dans cette ville et paru en 1999, Christine Chivallon nous apprend que Colston (1636-1721) était un marchand dont la fortune « provenait du commerce négrier ». Il participait activement « à la société londonienne ayant le monopole de la traite ». Le 12 juin, l’historienne Mona Ozouf estimait sur le plateau de l’émission C à vous sur France 5 que « démeubler l’espace de statues anciennes » n’était pas « une très bonne idée ».
C à vous
✔@cavousf5
Faut-il déboulonner les statues ?
L’historienne #MonaOzouf y est hostile, elle s’appuie notamment sur l’exemple de Jules Ferry #CàVous
« Je vous le dis très clairement ce soir mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »
Cette concomitance inédite et internationale de prises de positions, collectives et individuelles, d’ordre académique, politique ou populaire appelle une réflexion sur la statuaire publique, ses usages politiques et ses rapports à l’histoire (ici entendue comme science et discipline). À partir de l’exemple de cette statue de Colbert, érigée devant le Palais Bourbon depuis plus de deux siècles, nous interrogeons ici ces débats renouvelés entre histoires et mémoires.
« Encadrant le bas des gradins, les statues de quatre grands commis de l’État veillent sur le monument, incarnant les vertus de l’action politique : Sully le réformateur, L’Hospital le conciliateur, d’Aguesseau l’unificateur du droit et de la jurisprudence et Colbert l’organisateur de l’économie. »
La statue du contrôleur général des finances de Louis XIV est l’œuvre de Jacques-Edme Dumont ; elle a été installée devant le Palais Bourbon en 1808.
Les Dumont sont sculpteurs de père en fils depuis le XVIIe siècle. Dans une biographie qu’il leur consacre, Une famille d’artistes : les Dumont (1660-1884), Gustave Vattier (1890) explique que c’est un Jacques-Edme découragé – le Sénat vient de refuser un de ses projets de décorations – qui se présente à la famille impériale.
Sur les conseils d’un de ses amis, courtisan, le sculpteur adresse en 1806 une réalisation à l’impératrice Joséphine. L’année d’après, il réalisera une statue en marbre, le Sapeur, et un bas-relief, la Clémence et la Valeur, pour l’Arc de Triomphe du Carrousel. Jacques-Edme Dumont sera très attaché à la statue de Colbert. Non sans emphase, Gustave Vattier parle de cette estime de l’artiste pour sa réalisation en ces mots :
« Dumont avait pour cette statue la tendresse d’un père envers son enfant ; il était toujours dans la crainte d’un accident et maudissait les fêtes qui rassemblaient la foule devant le Palais Bourbon. Le lendemain d’une cérémonie officielle, il ne manquait jamais de rendre une visite à son cher Colbert ; un jour il eut la douleur de constater qu’un doigt avait été cassé, et il considéra comme une faveur la permission qui lui fut accordée de le restaurer à ses frais. »
Qu’elles soient de pierre ou de mots, les hagiographies de prétendus héros (mais aussi des sculpteurs) figent dans le marbre des conceptions tronquées, car univoques, des vies, des œuvres et des personnes. À 212 ans d’intervalle, ce n’est pas le doigt de la statue qui est cassé, mais le doigt de celles et ceux qui la regardent qui est pointée vers elle (ou plutôt son moulage).
Si la République n’efface aucune trace ni aucun nom de son histoire, elle garantit aussi le libre exercice de la recherche historique. Laquelle recherche permet aujourd’hui d’organiser un dialogue entre réceptions d’une narration et découvertes historiques. C’est ceci que nous nommons une histoire à rebours : des discontinuités d’une vie humaine aux débats sur une statue, c’est toute une succession de narrations qui forme et déforme cette dite trace. Ces narrations sont politiques, populaires et académiques : elles dialoguent et débattent. Le personnage de Colbert a connu de nombreuses narrations et traductions différentes selon les époques.
Bruno Le Maire, en charge du ministère de l’Économie et des Finances, a répondu à l’ancien pensionnaire de Matignon : « Colbert est une des figures historiques importantes de la France ». Il a donc opposé une fin de non-recevoir à la requête de Jean‑Marc Ayrault. Des historiens spécialistes du personnage s’accordent pour dire que la réception de Colbert dans l’espace public a changé ces dernières années. Le XIXe siècle insistait sur un Colbert interventionniste et travailleur, initiateur des manufactures ; le mouvement social en cours semble retenir l’initiateur du Code noir.
Soucieux de s’inscrire dans une prétendue continuité historique, tous les régimes ont, au moins depuis 1789, composé par la gradine ou la plume des récits nationaux plus ou moins empreints de syncrétismes, convoquant alors des personnages emblématiques ou symptomatiques de messages politiques déterminés. La statuomanie décrite par Maurice Agulhon forme ces récits de pierre ; les manuels scolaires du XIXe siècle, objet de notre travail de thèse, forment partiellement ces récits de mots.
Comme historien et plus précisément comme directeur d’une monumentale histoire de France parue en 27 volumes, Ernest Lavisse a lui aussi proposé une synthèse savante sur Colbert. Dans une note de lecture que lui consacre Camille-Georges Picavet dans la Revue internationale de l’enseignement en 1907, l’auteur estime que Lavisse décrit un Colbert ambitieux et travailleur. On retrouve même ces grands caractères du personnage dans les livres scolaires du professeur originaire du Nouvion-en-Thiérache. Cette illustration, issue d’un manuel de 1907, en témoigne.
Colbert dans son cabinet de travail.Cette image provient d’un manuel paru en 1907 chez Armand Colin (collection personnelle de l’auteur)
En 1907, on parlait donc d’un Colbert « organisateur de l’économie ». Image qui semble officiellement perdurer jusqu’à nos jours : c’est encore cette expression qu’on peut retrouver sur le site de l’Assemblée nationale. Pourtant, cette réception change avec le temps. Dans l’histoire récente, les récits, même consensuels, sur des événements passés ont évolué. Il en va de même pour les statues.
On peut ainsi étudier l’histoire de la statue de Louis XIV qui se trouve sur la place des Victoires à Paris. Elle a fait couler beaucoup d’encre et de métal. Une première statue, abattue en 1792, a été envoyée à la fonte. Une seconde, la statue actuelle, a été installée en 1822. Dans quelle mesure l’histoire mouvementée d’un monument est-elle connue de ses spectateurs contemporains ? La statuaire peut former, en posant cette question, un véritable programme d’éducation populaire, un programme d’histoire publique.
La statuaire comme programme d’une histoire publique
Pour l’historien Maurice Agulhon, la statuomanie appartient à l’histoire du décor urbain. Dit autrement, l’histoire de l’art statuaire est indétachable de l’histoire des villes. Artefact d’un embellissement des places publiques, la statue semble à la confluence des idées et du beau, des lisières de mémoires. La statue personnifie un message politique.
Or, ces messages évoluent en fonction des régimes en place et des évènements. Ainsi, pour Maurice Agulhon :
« La statuomanie en France a fait un bond en avant chaque fois qu’une révolution libérale a substitué un régime laïque, optimiste et pédagogue à un régime de contrainte, de tradition et d’autorité. »
Réfléchir et débattre ensemble, à l’échelle des villes (comme à Bordeaux), au moyen de dialogues apaisés et instrumentés sur notre statuaire publique et actuelle, ne serait-ce pas là un autre bond en avant ? Un bond en avant vers une compréhension élargie de nos décors urbains ?
Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de Lorraine
Autant en emporte le vent a été retiré du catalogue HBO en juin 2020. Wikipedia
Le 27 mai 2020, la toute nouvelle plate-forme HBO Max, propriété de Warner Media, lançait une version rénovée des célèbres Looney Tunes créés en 1929 par les animateurs Hugh Harman, Rudolf Ising, Bob Clampett et Friz Freleng. Tous quatre avaient commencé chez Disney, sur les Alice Comedies, Oswald the Lucky Rabbit, les premiers Mickey Mouse ou les Silly Symphonies.
Au milieu des années 30, ils avaient été rejoints par Tex Avery qui allait assurer la notoriété du show et celle des Merry Melodies avec Daffy Duck et Bugs Bunny, notamment. En réaction à l’esthétique de Disney, les dessins animés de Warner Bros. ont très tôt cultivé un humour volontiers… explosif. Ils nous reviennent pour ainsi dire désarmés, du moins privés des armes à feu qu’ils faisaient pétarader à longueur d’épisodes. Le chasseur Elmer Fudd ne tient plus son éternelle carabine, le cowboy Yosemite Sam ne serre plus dans ses poings ses habituels revolvers. Ils ne se sont pas pour autant réconciliés avec leur antagoniste amateur de carottes, mais l’autocensure est passée par là.
Yosemite Sam dans ses œuvres, sans censure.Youtube
On comprend l’intention qui a motivé ce choix. Dans un pays qui déplore chaque année près de 15 000 homicides par arme à feu et assiste à de régulières tueries de masse dans les établissements d’enseignement, il apparaît naturel que l’on regimbe à tourner en dérision des gestes si souvent tragiques.
Pour les studios, c’est aussi une manière d’affirmer une prise de conscience de leur responsabilité en matière de formation des jeunes esprits. Ils appliquent aux pétoires la jurisprudence mise en place pour le tabac à la fin du XXe siècle, celle qui avait valu à Lucky Luke de troquer sa cigarette pour un brin de paille dans la série conçue par Hanna-Barbera Productions en 1983.
Les Looney Tunes, en la matière, n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai. Dès les années 1970, alors qu’ils triomphaient dans les programmes de jeunesse, ils avaient été débarrassés de leurs scènes de suicide et des représentations de comportements dangereux faciles à imiter. Le procédé est bien connu, il participe d’une socialisation prescriptive des fictions de jeunesse. On considère que les spectateurs ont tendance à reproduire les comportements de leurs personnages préférés, et que plus ils sont jeunes, plus l’influence de ce qu’ils regardent est grande.
L’Amérique est coutumière du phénomène. C’est déjà ce qui avait conduit, en 1954, à la mise en place du Comics Code sur la base d’un ouvrage du psychiatre Fredric Wertham : Seduction of the Innocent. La violence était déjà en cause, mais aussi l’homosexualité. On sait aujourd’hui que les résultats de Wertham étaient en partie « bidonnés » ; mais on se rappelle que sa médiatisation avait conduit à des autodafés de comics, avant d’entraîner une profonde mutation de l’industrie.
La même conviction quant aux vertus éducatives des livres, des films, des séries, des jeux, motive de nos jours les critiques incessantes sur la représentation du genre, la diversité ethnique et, d’une manière générale, l’inclusivité. En somme, on peut dire que Warner ouvre le parapluie en retravaillant ses personnages emblématiques de manière à ne pouvoir être taxé d’alimenter la vague de crimes qui endeuille la nation.
Remarquons que le problème n’est pas nouveau. Au début des années 1930, Walt Disney avait déjà édicté pour ses animateurs un code très strict régissant l’usage des armes à feu dans les courts-métrages. Les balles avaient interdiction de traverser les corps.
Un des meilleurs exemples du résultat est le dessin animé Two-Gun Mickey de Ben Sharpsteen. En volant au secours de Minnie, Mickey y affronte au pistolet Peg-Leg Pete et toute sa bande. Les balles font voler les chapeaux, percent les cactus et découpent même les rochers, mais elles ne blessent aucun des protagonistes. Celles qui atteignent le Méchant ne servent qu’à le propulser en l’air en rebondissant sur son postérieur. Le gag dédramatise la fusillade. Two-Gun Mickey est sorti le 15 décembre 1934, l’année où est entré en application le code Hays, dont un volet visait à limiter l’usage des armes à feu au cinéma. Disney faisait ainsi un pied de nez à la Production Code Administration en montrant qu’il savait parfaitement s’autoréguler sans elle.
De fait, en 1930, dans Pioneer Days de Burt Gillett, on assistait déjà à l’attaque d’une caravane par des Indiens, sans que les coups échangés fassent la moindre victime. Les flèches piquaient bien quelques paires de fesses ; mais au moment, par exemple, où Mickey s’apprêtait à tirer sur un peau rouge pour libérer Minnie du poteau de torture, il n’avait plus qu’un fusil à bouchon. Le comique des cartoons était évidemment un moyen très sûr de désamorcer la violence et de contourner les injonctions de la censure. À la différence de Disney, toujours très sage, Tex Avery en a usé sans retenue.
Une édulcoration très ciblée
Ses héritiers ne rompent pas avec la tradition. Robert Ito le soulignait, le 29 mai, dans un article du New York Times. Des titres comme Dynamite Dance ou TNT Trouble annoncent la couleur. Tous deux très courts, environ 90 secondes, ils ont été diffusés sur YouTube à titre promotionnel. Ils sont un peu la vitrine de l’ensemble.
Le premier, Dynamite Dance, en souligne la principale singularité en s’ouvrant sur un Elmer Fudd qui a remplacé son fusil par une faux. Il entame avec Bugs Bunny une poursuite effrénée sur l’air de la Danse des heures de Poncielli.
Clin d’œil évident aux Silly Symphonies, le choix de cet accompagnement classique rappelle les rivalités du passé entre Warner Bros. et Disney. Autant dire que, pour HBO Max, il s’agit bien de les perpétuer en faisant concurrence à Disney+. La chorégraphie des personnages est rythmée de bout en bout par la détonation des bâtons de dynamite que le lapin sème autour de l’ancien chasseur. Bugs Bunny pose ici en revanchard, face à un Elmer qui, en dépit de l’outil agricole qu’il perd d’ailleurs très vite, n’est plus qu’un Nemrod impuissant, condamné à subir les farces de son ancienne proie. La faux n’est pas là par hasard. Elle fait un instant d’Elmer ce qu’on ne veut plus qu’il soit : un double de la Faucheuse, un pousse-au-crime. Elle est avant tout symbolique.
On touche là les limites de la stratégie prophylactique. Elle se borne, en définitive, à une question d’affichage. Les amateurs des vieux Looney Tunes peuvent être rassurés : la nouvelle série, supervisée par Pete Browngardt, est tout aussi trépidante que l’ancienne. Elle fait même une plus large part aux interactions brutales entre les personnages que les épisodes de Wabbit : A Looney Tunes Production, diffusés à partir de 2015 sur Cartoon Network et Boomerang. Les coups pleuvent à foison, le TNT est à la fête.
Yosemite Sam se jette sur Bugs Bunny avec une tronçonneuse dans Pest Coaster, avec une faucille et un marteau dans Siberian Sam. Dans Pool Bunny, le lapin traite Elmer avec des raffinements de cruauté, en l’amenant à marcher sur des clous avant de lui glisser des citrons sous les pieds. Grilled Rabbit met en scène un interrogatoire policier pour le moins musclé. La suppression des armes à feu ne s’inscrit donc pas dans un cadre global de scrupules éducatifs : elle répond à une question de société.
Le marketing de l’autocensure
La communication autour de ce parti-pris relève quant à elle du marketing. Elle ne porterait pas à conséquence si elle ne revenait pas à pointer du doigt une forme d’inconscience, voire d’irresponsabilité des créateurs originaux dans la conception des personnages ainsi recyclés. Elle revient à faire des icônes culturelles que sont Elmer Fudd ou Yosemite Sam, et avec eux de Bugs Bunny, les boucs émissaires des maux de la société américaine.
Les jeunes Européens ne rient pas moins que les petits Américains à leurs mésaventures, et ne connaissent pas pour autant les fusillades dans les collèges et les lycées. La cause est de toute évidence ailleurs. Si les équipes de création n’en étaient pas elles-mêmes convaincues, d’ailleurs, il y a fort à parier qu’elles pousseraient plus loin l’édulcoration.
Le renoncement aux armes à feu est avant tout un argument promotionnel. Il s’agit, pour HBO Max, à son lancement, de s’imposer comme une plate-forme socialement responsable. On l’oublie trop souvent, mais l’Amérique puritaine adore interdire. En évinçant revolvers et carabines d’un programme de jeunesse, la filiale de Warner Media est sûre de s’attirer la sympathie du public progressiste.
En annonçant le 10 juin qu’elle retirait Gone With the Wind de son catalogue, HBO Max est en tout cas venu confirmer son intention de coller à l’actualité de l’opinion contestataire. La décision répondait à une tribune de l’acteur John Ridley, parue deux jours plus tôt dans le Los Angeles Times, sous le titre : « Hé, HBO, Autant en emporte le vent romance les horreurs de l’esclavage. Retirez-le pour l’instant de votre plate-forme ! »
L’appel résonnait avec une intensité particulière dans le climat de tension provoqué par la mort récente d’un Afro-Américain – George Floyd – lors de son arrestation. Le porte-parole de la firme a précisé que la suspension était temporaire et que le chef-d’œuvre de David O. Selznick reviendrait, accompagné d’un avertissement et d’une condamnation des représentations qu’il véhicule. Mais aucune date n’a été fixée, et l’on imagine combien il sera délicat de reprogrammer le film après l’avoir ouvertement taxé de racisme. La récente opposition de Warner à sa projection au Grand Rex de Paris n’invite pas à l’optimisme en la matière. Tout invite à penser que le géant des médias s’achète à bon compte une vertu sur le dos du patrimoine qu’il exploite.
Dans ces deux affaires, la démarche commerciale du dernier arrivé sur le marché des plates-formes de streaming indique une inquiétante tendance de l’industrie du divertissement à traiter la pop culture en souffre-douleur de la mauvaise conscience américaine.
Docteur en démographie économique, Responsable d’études à l’EDHEC NewGen Talent Centre, EDHEC Business School
Pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail, réussir signifie surtout être en cohérence avec ses valeurs et son ambition. Rawpixel.com / Shutterstock
Si certaines entreprises ont profité de la stupeur dans laquelle notre monde est plongé pour poursuivre, voire accélérer, leurs recrutements, une majorité plus attentiste ont gelé leurs embauches et décalé leurs décisions à la rentrée de septembre ou au premier janvier… autant dire aux calendes grecques pour un jeune diplômé forcément impatient.
Le marché de l’emploi, très favorable aux jeunes diplômés depuis quelques années, a fait de l’attraction, la fidélisation et l’engagement des talents, l’une des préoccupations majeures des dirigeants. Les entreprises ont déployé depuis près de 10 ans des moyens considérables pour recruter des candidats de valeur.
L’incertitude économique règne aujourd’hui, mais sur le plan démographique rien n’a changé : l’enseignement supérieur ne forme pas suffisamment de diplômés pour répondre aux besoins de fonctionnement des économies mondiales.
En outre, les politiques de « stop-and-go » dans le recrutement ont démontré leurs faiblesses à long terme. Les entreprises n’ont donc pas intérêt à freiner leurs relations avec les établissements d’éducation supérieure ni à stopper leurs embauches.
Accompagner la quête de sens des jeunes
Certes, en se contractant, le marché de l’emploi va résoudre en partie la question de l’attractivité et de la fidélisation des jeunes cadres dans les entreprises, mais la problématique de l’engagement en sera inversement plus aiguë :
les jeunes diplômés qui auraient l’impression d’avoir eu moins de latitude pour choisir leur employeur, pourraient ne pas être autant engagés dans leurs missions, surtout si leurs attentes d’impact et d’utilité sociale ne sont pas satisfaites ;
les aspirations de ces jeunes vont rester les mêmes, voire vont se renforcer, et recruter en période tendue ne devrait pas exonérer les entreprises d’une réflexion sur leur rôle sociétal au-delà de la simple marche de leurs affaires.
Sur les cinq dernières années, l’attrait des grandes entreprises a chuté indiquant avant tout une désaffection pour la complexité que représentent ces types d’organisations. L’engouement pour les startups, mais plus encore pour les PME (petites et moyennes entreprises) des structures à taille humaine, traduit le désir de nos jeunes de mieux mesurer l’impact de leur travail, de se sentir plus collaborateurs et acteurs que salariés.
Extrait de l’étude « Comment la nouvelle génération va transformer l’entreprise ? » du NewGen for Good de l’EDHEC Business School (mai 2019).Careers.edhec.edu
La volonté des jeunes d’être utile, d’avoir de l’influence dans l’entreprise, de participer aux décisions, d’avoir de l’impact, de faire la différence est une chance pour les entreprises, quelle que soit leur taille.
Ce besoin d’utilité a été renforcé en ce printemps confiné par des diplômés dont le souci de ne pas occuper de « bullshit jobs » (« boulots à la con ») a été parfois mis en sourdine par des périodes de chômage partiel mal vécues.
Car loin du stéréotype d’une jeune génération qui serait « désenchantée » par l’entreprise, 87 % des étudiants en management en ont une vision positive et font confiance à la puissance d’action de l’entreprise pour changer le monde. Ils y font d’ailleurs souvent plus confiance qu’au pouvoir politique.
Extrait de l’étude « Comment la nouvelle génération va transformer l’entreprise ? » du NewGen for Good de l’EDHEC Business School (mai 2019).Careers.edhec.edu
Aujourd’hui, on demande à l’entreprise d’être pourvoyeuse de sens, à la place des autres pourvoyeurs – école, armée, Église, politique – qui ont été un peu effacés.
L’entreprise est considérée par les jeunes comme un moteur d’innovations, mais c’est surtout pour eux le lieu d’une aventure collective qui permet de se dépasser. Et c’est là, la chance de la relance…
La sincérité de l’engagement en question
Mais si l’entreprise leur semble passionnante, ouverte, collaborative, c’est aussi sans naïveté qu’ils la jugent : elle n’est pas toujours juste, souvent complexe et verticale.
Elle leur semble le reflet d’un monde ancien, une organisation compliquée, trop hiérarchisée, contraignante sans que ces éléments soient toujours gages d’efficacité, de performance collective, ou d’épanouissement individuel.
D’ailleurs, 61 % des jeunes générations pensent que l’entreprise est amenée à se transformer en profondeur, notamment sur les thèmes des relations au travail, de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de la façon de traiter les problèmes.
Les jeunes avaient, avant ce printemps, un engagement sincère, mais parfois éphémère à l’entreprise avec une durée du premier poste ne dépassant que rarement 2 ans.
Extrait de l’étude « Comment la nouvelle génération va transformer l’entreprise ? » du NewGen for Good de l’EDHEC Business School (mai 2019).Careers.edhec.edu
Si la crise diminue le risque d’un engagement éphémère, ce dernier peut se révéler moins sincère. C’est bien là le challenge du management de demain : cultiver l’engagement des jeunes collaborateurs autour de valeurs et d’un objectif partagés.
Pour cette nouvelle génération, réussir ne se limite plus à rester fidèle à son entreprise (seulement 3 % le pensent), mais à être en cohérence avec ses valeurs (58 %) et son ambition (16 %).
La crise économique n’exonèrera donc pas les entreprises de la question du sens pour les jeunes générations. Dans leurs critères de choix pour s’engager dans une entreprise, arrivent en tête la diversité et l’inclusion, suivi de la responsabilité sociétale et environnementale.
Par ailleurs, le manque de contribution à l’intérêt général est l’une des plus fortes déceptions des jeunes salariés dans leur premier poste.
À situation inédite… opportunité inédite
Les nouvelles générations qui intègrent le monde du travail ont déjà commencé à changer quelques règles du jeu pour un modèle d’affaires plus durable.
On peut citer le « Manifeste étudiant pour un réveil écologique », initiative emblématique de cette génération, signé par plus de 32 000 étudiants de l’enseignement supérieur et dont les questionnements publics ont abouti aux réponses de 54 dirigeants de grandes entreprises sur leur démarche de responsabilité sociétale.
Vidéo présentant le Manifeste étudiant pour un réveil écologique ».
Les entreprises ne sont pas inactives face à cet appel à transformation : réduction du nombre d’échelons hiérarchiques pour Schneider Electric, intégration d’éléments extra financiers dans la rémunération des dirigeants pour Danone et le Crédit Agricole, etc.
Dans la loi Pacte, au-delà de l’intégration de la dimension RSE dans l’objet social de l’entreprise, la possibilité d’inscription d’une raison d’être spécifique dans ses statuts lui permet de préciser son projet collectif de long terme en tenant compte de l’ensemble de ses parties prenantes.
Ainsi, l’invitation de la loi Pacte à redéfinir la place de l’entreprise dans la société et les aspirations des nouvelles générations pour un monde économique durable ont semé les graines pour favoriser l’émergence d’un nouveau type de management que la crise actuelle peut accélérer.
Depuis quelques années on théorisait sur le monde « VUCA » – volatile, incertain, complexe et ambigu – sans imaginer à quel point le printemps 2020 nous donnerait l’occasion de le pratiquer. Les entreprises recherchaient l’agilité organisationnelle et on sait aujourd’hui que ce n’est plus suffisant.
Certains pensent que ce virus change les règles du jeu. Surtout, il donne aux dirigeants l’occasion d’agir.
C’est un moment difficile, mais créateur d’opportunités de changement : pour les décideurs et les entreprises, c’est l’occasion de privilégier l’utilité sociale pour initier un modèle d’affaire durable et ne pas opposer la logique de rendement à la responsabilité sociétale. Recruter des jeunes diplômés reste en ce moment le plus sûr moyen d’y parvenir.
Professeur des Universités en science politique, Université Grenoble Alpes
Une bannière EELV à Marseille lors du premier tour des municipales. Gerard Julien/AFP
Dans de nombreuses villes françaises se dessinent aujourd’hui des listes d’alliances entre partis de gauche et Europe Écologie-Les Verts (EELV). Vous l’avez notamment souligné dans une note qui relève une explosion du nombre de listes depuis 2014. Cette tendance est-elle inédite pour l’histoire des partis verts en France ?
Simon Persico : Un premier point est important pour comprendre la dynamique électorale et la capacité d’attraction d’EELV. Les écologistes occupent une partie de l’espace laissé vide par le Parti socialiste depuis 2017. Pendant plus de 30 ans, le PS a structuré le système partisan français et dominé la gauche. Son affaiblissement apparaissait déjà aux municipales de 2014, lors desquelles il avait obtenu de mauvais résultats qu’on pouvait alors mettre sur le compte de la sanction à l’égard d’un gouvernement très impopulaire. Mais la sentence de 2017 – 6,4 % des voix – fut une déflagration dont le PS ne s’est pas vraiment remis.
Cet affaiblissement des socialistes s’est opéré, en 2017, au bénéfice d’Emmanuel Macron, sur sa droite, et de Jean‑Luc Mélenchon, sur sa gauche. Mais la France Insoumise (LFI) n’est pas parvenue à s’imposer comme un acteur pivot de cette recomposition. Notamment lors des élections européennes de 2019, où le parti n’avait obtenu que 6,31 % des voix, une tendance qui s’est confirmée également lors du premier tour des municipales de 2020. Le faible nombre de listes estampillées LFI et leur score assez modeste dans l’essentiel des communes où elles étaient présentes en témoignent. En parallèle, La République en marche (LREM) a perdu la majeure partie de son électorat inscrit à gauche – le choix de l’alliance avec la droite dans 85 % des fusions de second tour confirme et devrait conforter cet ancrage du parti présidentiel à droite de l’échiquier politique.
Les Verts ont profité en partie de cet espace laissé vacant. Évidemment, EELV est encore très loin du PS « des belles années ». Il n’y a pas grand-chose de comparable, aujourd’hui encore, entre les deux partis que ce soit dans le nombre de militants, d’élus, d’attachés d’élus, d’anciens ministres ou de moyens financiers. Le PS conserve encore une belle longueur d’avance organisationnelle sur EELV. La bonne tenue des listes emmenées par un·e candidat·e socialiste au premier tour dans plusieurs communes, surtout celles de taille moyenne ou dans lesquelles il disposait de sortants, témoignent également d’une certaine résistance locale. Il n’en demeure pas moins que, dans ce champ politique en bouleversement, EELV est sur la pente ascendante.
Le score de 13,5 % obtenu par EELV lors des élections européennes de 2019 avait commencé à renforcer sa légitimité au sein de ce grand bloc à la gauche d’Emmanuel Macron. Dans un contexte où aucun autre parti de cet espace ne dépassait 7 %, ce score a permis à EELV de retrouver et de recruter de nouveaux (ou d’anciens) militants, attirés par la dynamique retrouvée ; et cela a positionné plusieurs candidats Verts du point de vue local comme des interlocuteurs crédibles. Dans un espace politique affaibli et déstructuré, ils sont parvenus à convaincre de leur crédibilité.
Ce dynamisme s’observe dans le record de candidatures autonomes ou soutenues par d’autres forces de gauche au premier tour (152, dans les villes de plus de 30 000 habitants). Il s’observe aussi dans le score moyen obtenu par ces nombreuses listes, 16,4 %, plus de 6 points de plus qu’en 2014, et surtout leurs très bons scores dans les grandes métropoles les plus connectées à la vie politique nationale. Ces scores les mettent en capacité de se maintenir au second tour dans de très nombreux cas, en tête de la gauche dans plusieurs d’entre elles.
Le second tour sera donc déterminant. Alors que les alliances de second tour devant ou derrière le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et, dans une moindre mesure, La France insoumise (LFI), sont la norme – à l’exception notable de Lille et Strasbourg –, cette dynamique se transformera-t-elle en victoires ? Combien de (grandes) villes les Verts vont-ils conquérir et conserver ? Ne conquérir aucune ou une seule ville en plus de Grenoble serait un demi-échec. Toute victoire au-delà de ce seuil sera sans doute perçue comme une victoire, même s’il faudra bien raison garder. Si la part d’élus écologistes dans les conseils municipaux augmentera considérablement seule une dizaine de communes de plus de 30 000 habitants pourrait être, dans le meilleur des cas, gouvernée par un maire écologiste au lendemain du 25 juin.
Comment les têtes de listes écologistes mènent-elles leur campagne et leurs listes, sur quels arguments et avec quelle légitimité ?
Toulouse, Lyon, Marseille, Annecy, Nancy… Ces villes qui peuvent basculer aux municipales
Marseille à gauche ? Toulouse aux mains des écolos ? Dans de nombreuses grandes villes de France, les jeux restent très ouverts pour le second tour du 28 juin.
Sur la forme, les têtes de listes écologistes et leurs équipes se sont sans doute professionnalisées. Une attention plus importante que précédemment a été portée sur la communication politique, y compris dans le choix des candidates et candidats. Ce changement est lié au souhait d’apparaître comme crédible dans la conquête des mairies. Sur le fond, en revanche, les listes écologistes n’ont pas tellement changé d’argumentaire : les positions écologistes – sur les mobilités, l’énergie, la biodiversité ou l’alimentation – sont désormais beaucoup plus centrales dans le débat public. Ces enjeux ont aussi acquis une importance inédite aux yeux des citoyens.
Quel sera l’effet de la crise du Covid-19 sur cette situation ? D’un côté, on remarque l’apparition d’un cadrage de la crise centré sur le « monde d’après ». Ce cadrage promeut la relocalisation et la transformation des activités de production et de consommation, pour tenir compte des exigences écologiques. Il est porté par les organisations (ONG, syndicats, cellules de réflexion), les intellectuel·le·s et les responsables politiques d’une nébuleuse qui regroupe les champs de la gauche et de l’écologie, sans qu’on puisse vraiment les distinguer désormais. De l’autre, on voit que certains acteurs font primer l’urgence économique (et sociale : l’argument des emplois de court terme est très puissant) sur l’urgence écologique. Le second tour donnera une réponse provisoire à cette question, même si les dynamiques proprement locales, ainsi que les effets du Covid-19 sur la participation et la mobilisation, rendront hasardeuse toute lecture univoque des résultats.
L’écologie sociale : une forme de renouveau ?
Du côté du parti Europe Écologie Les-Verts (EELV), je ne pense pas non plus qu’on puisse parler de renouveau. Dès leur origine, et avant même le choix explicite de l’ancrage à gauche, en 1994, les Verts ont pris des positions très claires (voire radicales) en matière de politiques économiques et sociales : pour la réduction du temps de travail, le partage des richesses et le revenu minimum d’existence, par exemple.
Si leur priorité est la transition écologique, cela fait de très nombreuses années que l’on peut les classer à gauche sur la plupart des enjeux : inégalités socio-économiques, services publics, égalité femmes-hommes, droit des minorités, etc. Ce positionnement à gauche de l’échiquier politique se constate d’ailleurs pour la quasi-totalité des partis verts en Europe, mais il est encore plus marqué dans le cas des Verts français. Il se manifeste également dans les choix stratégiques. Si l’autonomie de l’écologie est mise en avant par certains de ses responsables, on voit que les nombreuses alliances qui ont été tissées dès le premier tour des municipales ne l’ont jamais été avec une force de droite.
Là où l’on peut percevoir une évolution, cependant, c’est plutôt dans le champ de la société civile écologiste. Les grandes ONG de l’environnement – Greenpeace, le WWF, la Fondation Nicolas Hulot, etc. – adoptent désormais des positions plus offensives sur la régulation du capitalisme ou à la réduction des inégalités. Depuis 2018-2019, sans doute favorisées par les mouvements des gilets jaunes et des marches pour le climat, les initiatives et prises de position qui réunissent les syndicats, les ONG de l’environnement et les grandes associations solidaristes ou humanitaires se multiplient, la crise du Covid-19 a également accéléré cette tendance. Tous ces acteurs semblent désormais converger dans l’idée que la lutte contre les inégalités et la lutte environnementale vont de pair. Dans le fond, rien d’étonnant : il est établi que les plus riches sont aussi, et de loin, les plus pollueurs.
Vous avez néanmoins montré que les droites en France ont toujours eu une relation ambivalente avec l’écologie jusqu’en 2015 comme vous le montrez dans votre article. Les mouvements actuels de « relocalisation », de « localisme » vont aujourd’hui de pair avec des discours identitaires et souverainistes. N’y a t-il pas un risque de « récupération » possible des enjeux écologiques par la droite française, et au-delà, par l’ensemble des forces en présence ?
La récupération de l’écologie est presque aussi ancienne que l’écologie elle-même ! Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande… : venus de la droite comme de la gauche, les discours enflammés sur la planète qui brûle se sont succédé depuis le début des années 1990. Cela a permis des avancées concrètes – la Charte de l’environnement, le Grenelle, pour ne citer que deux exemples – mais limitées. Deuxième problème : cette récupération est cyclique, avec des hauts et des bas – même si l’on ne retombe jamais aussi bas que lors de la phase précédente. Aujourd’hui, l’écologie atteint des records de visibilité dans les programmes et les discours de la plupart des responsables politiques. Il se peut que le soufflé retombe temporairement avant de se regonfler encore plus vigoureusement dans quelques années.
(De gauche à droite) Les membres du groupe parlementaire Écologie-Démocratie-Solidarité, Albane Gaillot, Yolaine de Courson, Sabine Thillaye, Cedric Villani, Delphine Batho et Fréderique Tuffnell, pour la plupart anciens membres de La République en marche (LREM), posent devant l’Assemblée nationale à Paris le 19 mai 2020.François Guillot/AFP
La récupération des enjeux environnementaux par les autres forces politiques est d’autant plus facile que l’écologie peut être politisée de manière très consensuelle, en s’en tenant à des déclarations d’intentions ou des promesses qui portent sur le long terme. C’est dans la mise en œuvre de ces promesses et la capacité à arbitrer pour l’environnement contre les intérêts économiques de court terme, que l’on peut évaluer la réalité de cette « conversion ». De ce point de vue, l’on voit bien où se situent les points de discussion les plus conflictuels entre les écologistes et les socialistes dans l’entre-deux tours : grands projets d’urbanisation, centres commerciaux, piétonnisation, etc. Et l’on voit aussi des différences importantes entre les politiques menées par Nicolas Florian à Bordeaux, Gérard Collomb à Lyon, Anne Hidalgo à Paris, ou encore Eric Piolle à Grenoble.
De manière plus générale, et malgré leur tentative d’apparaître parfois plus verts que les Verts, LREM, comme le PS ou Les Républicains (LR) avant elle, ont un bilan gouvernemental plus que nuancé sur le front de la transition écologique. Les Verts ne sont pas dans cette situation et n’ont encore jamais exercé de responsabilités exécutives de premier plan au niveau national. Dans un contexte de défiance à l’égard des responsables politiques, cela explique en partie pourquoi EELV est le parti dont les personnes interrogées dans les sondages ont la meilleure opinion.
Reste la tentative d’incorporer l’environnement à la pensée de la droite radicale, autour d’une conception identitaire de la souveraineté et du « localisme ». Celle-ci peut s’appuyer sur une doctrine développée historiquement dans le cadre de cercles de réflexion d’extrême droite, autour du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) notamment. Mais ces tentatives achoppent sur le fait que les électeurs de la droite radicale, au Rassemblement national comme à la droite de LR, attachent très peu d’importance aux questions environnementales. L’écologie, c’est le « fonds de commerce » des Verts. Pour la droite radicale, le fonds de commerce est tout autre : il s’agit du trio insécurité, immigration, islam. Que le RN tente de se constituer un corpus programmatique autour de l’environnement, n’a rien de surprenant. Mais il ne faut pas se tromper sur ce qui constitue son cœur de métier.
Existe-t-il un leadership crédible au sein de EELV pour mener ces programmes et les réaliser au sein d’un gouvernement (notamment suite aux échecs de personnalités comme Nicolas Hulot) ?
La leçon de l’expérience de Nicolas Hulot au gouvernement, et de tous les ministres issus du champ de l’écologie avant lui (Corinne Lepage, Dominique Voynet, Cécile Duflot, Pascal Canfin,etc.) est double : premièrement, aussi haut soit-il dans le rang protocolaire, un ministre écologiste ne peut pas faire grand-chose face à un Président, un Premier ministre et un ministre de l’économie et des finances qui ne font pas de la transition écologique leur priorité. Toutes et tous ont décrit leurs nombreuses défaites dans les arbitrages gouvernementaux. Deuxièmement, indépendamment de la couleur politique du gouvernement, tous les ministres de l’environnement ont témoigné des résistances très fortes de l’appareil étatique et des principaux acteurs industriels, financiers et agricoles. C’est sur ce diagnostic d’impuissance que s’est construite l’ambition affichée par les écologistes quant à la conquête du pouvoir national.
Se pose alors la question de savoir si EELV dispose de candidates ou de candidats qui pourraient bien figurer, voire remporter l’élection présidentielle. A priori, cela relève de la gageure. Cette élection cardinale n’a jamais était favorable, et c’est un euphémisme, aux écologistes, puisque le meilleur score en date est celui de Noël Mamère en 2002, où il avait obtenu 5,3 % des voix.
Cela étant dit, la radicalité des transformations de la vie politique, en France comme ailleurs, empêche d’être catégorique. Après tout, la dernière élection a vu la percée inattendue de Jean‑Luc Mélenchon dans le camp de la gauche. Plus prosaïquement, elle a permis l’élection d’un Président de la République inconnu d’une large majorité de Français trois ans auparavant. Dans un tel contexte, une ou un candidat issu des rangs d’EELV, qui serait parvenu à contenir le nombre et la crédibilité d’autre candidatures de gauche au premier tour, comme les écologistes ont parfois su le faire aux élections municipales, soit par des alliances, soit, plus rarement, en s’imposant dans la campagne, pourrait avoir de réelles chances.
EELV dispose d’un vivier très limité de candidates ou de candidats crédibles a priori, ce qui s’explique par la faiblesse organisationnelle dont on a parlé, et une tradition de turn-over, de trahison ou d’éloignement parmi les cadres dirigeants. Deux personnalités semblent toutefois ressortir à ce stade : Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, et Yannick Jadot, député européen.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que ces deux personnalités incarnent des lignes stratégiques légèrement divergentes : plus tournée vers les autres forces de gauche, dans les partis comme la société civile, pour le maire de Grenoble ; plus orientée autour de l’autonomie de l’écologie politique pour le député européen. À ces candidats issus du parti EELV en tant que tel, il faut aussi ajouter des personnalités de la société civile ou même, c’est moins probable, de la gauche plus classique, qui pourraient représenter ce camp lors de l’élection présidentielle.
Quel est le poids des jeunes dans ce mouvement politique, notamment depuis l’émergence des Marches pour le climat et de différents mouvements portés par les jeunes ?
L’âge est, parmi les variables sociodémographiques explicatives du vote « écolo », l’un des plus déterminants du vote. C’était déjà vrai jadis : les plus jeunes ont toujours plus voté « écolo » que leurs aînés. Cela étant rappelé, on observe un mouvement assez massif de la dernière génération, celle des 18-24 ans qui, si elle s’abstient très largement, « survote » aussi pour les écologistes – aux Européennes comme aux municipales.
La jeunesse se mobilise contre le réchauffement climatique à Strasbourg le 24 mai 2019, lors des Marches pour le climat qui ont émergé un peu partout en France en 2019, à l’initiative des 14-25 ans.Frederick Florin/AFP
L’avenir nous dira si ce phénomène relève d’une mobilisation conjoncturelle d’électrices et d’électeurs volatiles ou s’il s’agit d’un réalignement de plus grande ampleur, avec l’entrée dans le corps électoral de jeunes générations pour lesquelles l’écologie est déterminante. À l’inverse, les catégories de la population les plus âgées, socialisées aux élections dans des temps où les enjeux structurants n’étaient pas les mêmes, sont les moins susceptibles de voter écologiste. Le niveau de diplôme joue aussi un rôle important – plus on est diplômé, plus on est susceptible de voter pour EELV. À l’inverse, le revenu est loin d’être la variable la plus importante pour expliquer le vote pour les écologistes.
Quel est l’enjeu du New Green Deal ? Et quels sont les prochains jalons pour une politique verte ?
La question du moment, c’est celle l’impact écologique des politiques de sortie de crise. Le contexte de récession prononcé pour faire suite au ralentissement temporaire, mais brutal, des économies, a ouvert un espace à la confrontation des idées. Faut-il relancer tous les secteurs de l’économie indépendamment de leur impact écologique ? L’affrontement entre des cadrages antagonistes de la crise, dont je parlais précédemment, se retrouve à toutes les échelles : au niveau local, dans le cadre de cette campagne pour les municipales.
Au niveau national, ce débat est particulièrement vif, et il va retrouver de la vigueur avec la présentation des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, dont le sort dira beaucoup de la volonté de respecter cette innovation démocratique et d’engager la transition écologique. Du point de vue européen, la Commission européenne promet 1 000 milliards d’euros pour son Green Deal, mais une série de questions demeure : la mission de la Banque centrale européenne sera-t-elle élargie pour tenir compte de l’urgence ? Comment engager le désinvestissement à l’égard des industries fossiles ou les plus dépendantes du pétrole ? Comment garantir une forme de prospérité qui ne passe pas par la croissance d’une grande partie des secteurs de l’économie qui dépendent intrinsèquement des énergies fossiles ou de la surexploitation des ressources naturelles ?
Poser ces questions, c’est mesurer les difficultés qui ne manqueront pas de se présenter aux gouvernants, s’ils souhaitent être conséquents en matière de politiques économiques et environnementales. Si les écologistes souhaitent justement être les gouvernants, il faut aussi qu’ils apportent des réponses concrètes et crédibles à ces épineuses questions et qu’ils démontrent leur capacité à les mettre en œuvre. On voit l’ampleur de la tâche.
Doctorant en musique et musicologie, Sorbonne Université
Faune et flore brésiliennes, citations de la Bible, dieux des religions afro-brésiliennes, arts plastiques et paysages naturels… Voilà l’étonnant mélange qui peuple l’imaginaire du compositeur Almeida Prado et ses partitions pour piano. Outre ces références particulièrement surprenantes, le compositeur brésilien est connu pour ses morceaux aux connotations astronomiques. Il a essayé de traduire le cosmos en musique pour piano à travers des œuvres qui explorent les nombreuses possibilités techniques de l’instrument.
Né en 1943 à Santos, ville portuaire dans l’état de São Paulo, José Antonio Rezendede Almeida Prado de son nom complet s’est initié à la musique avec sa sœur Thereza Maria et sa mère Ignez. Cette initiation familiale lui a sans doute valu sa passion pour le piano et pour le répertoire du XIXe siècle. Ses divers hommages à Chopin témoignent de l’influence des compositeurs romantiques sur son œuvre.
Almeida Prado s’est formé auprès de Dinorá de Carvalho – sa professeur de piano de 1953 à 1958 – et Camargo Guarnieri – son professeur de composition de 1960 à 1965. Les compositions de cette période restent dans la continuité de l’œuvre de ses maîtres, en évoquant souvent la culture brésilienne par son folklore et ses rythmes.
Séjour en Europe
En 1969 Almeida Prado gagne le premier prix au concours de composition du premier Festival de Música da Guanabara, ce que lui permet de financer ses études en Europe. Ce séjour commence par un stage d’été à Darmstadt avec György Ligeti et Lukas Foss. Puis Almeida Prado s’installe à Paris pour suivre des cours de composition avec Nadia Boulanger et Olivier Messiaen, deux célèbres maîtres français qui auront influencé toute une génération de compositeurs. Messiaen, qui fait aussi référence au cosmos dans ses compositions comme dans l’œuvre Des canyons aux étoiles, a clairement influencé l’approche d’Almeida Prado quand il évoque la nature en musique.
Lors d’une conférence à l’Académie brésilienne de musique, il raconte son parcours de compositeur et l’évolution de son écriture musicale à cette période de sa vie, ainsi que l’influence du grand compositeur brésilien Villa-Lobos. Après son séjour en Europe, ses évocations de la nature et ses références au folklore brésilien se fondent dans un langage plus universel et moins traditionnel.
« J’ai eu un choc en écoutant les œuvres de Messiaen et quand je suis arrivé à Paris je voulais écrire cette musique, je ne sais pas comment, mais je voulais écrire cette musique. […] Messiaen avait reçu du Brésil mes partitions et il les avait beaucoup appréciés. […] J’ai commencé a composer une œuvre où j’essayais de mélanger toute cette base nationaliste qui respirait déjà un autre air, mais sans nier beaucoup de bonnes choses que j’avais apprises avec Guarnieri, qui consistait à traiter le folklore, savoir comment travailler un thème folklorique. Quand j’ai commencé à me tourner vers l’écologie, la faune et la flore brésiliennes comme source d’inspiration, ce n’était plus le folklore, mais les animaux, les fleurs, les orchidées, l’Amazonie.
C’est là qu’arrive le Villa-Lobos des années 1920, les années les plus fructueuses, la Prole do Bebê n° 2. Comme le disait Messiaen, “Prole 2 est déjà mon Catalogue des oiseaux, c’est le germe”. D’ailleurs, tous les compositeurs de ce siècle ont été influencés par Messiaen, personne n’a échappé à ça, que ce soit sur la conception rythmique, la nouveauté des permutations, toute la beauté des couleurs que l’œuvre de Messiaen contient. Cela m’a donné un amalgame, un mélange éclectique. Je ne voulais absolument pas cesser d’avoir ce mélange éclectique, je voulais être un compositeur multiple. »
À son arrivée à Darmstadt, Almeida Prado commence à écrire sa Sonata pour piano n° 2 qu’il termine à Paris. C’est une œuvre pleine de difficultés techniques qui contient plusieurs annotations très emblématiques de son œuvre, autour de la thématique de la lumière, que le compositeur transformera plus tard en thématique astronomique.
Almeida Prado, Sonata n° 2.Fernando Corvisier/University of Houston
Partitions annotées
L’emploi de mentions verbales est récurrent dans toute l’œuvre d’Almeida Prado ; Ces annotations souvent poétiques ne se rattachent pas toujours à la thématique astronomique. Ces indications de jeu au sein de la partition sont très nombreuses dans son œuvre et évoquent des contenus extra-musicaux complètement différents : “comme une matinée lavée après la pluie” dans les Momentos, « comme le chant du vent du désert » ou même « érotique » dans Poesiludios et peuvent contenir des citations de la Bible comme dans les 3 Profecias em forma de estudos.
Almeida Prado n’est pas le premier compositeur à utiliser ce genre de notation : cette pratique témoigne de l’héritage français que porte son œuvre. On trouve de nombreuses annotations du même type dans les partitions de Debussy et de Satie. Ces informations intègrent l’écriture musicale et ouvrent tout un éventail de possibilités d’interprétations différentes, par leurs contenus souvent très subjectifs et imagés.
Almeida Prado, Louvor Universal dos Rios e dos Mares.Coleção Almeida Prado CDMC UnicampErik Satie, Gnossienne n° 1.IMSLP
Musique et astronomie
Les premières œuvres « astronomiques » datent de 1974, quand la mairie de São Paulo commande à Almeida Prado une œuvre musicale pour servir de fond sonore lors d’événements au Planétarium Municipal de l’Ibirapuera. Juste après les premiers pas de l’homme sur la lune, la fascination pour l’espace concerne aussi les compositeurs. Messiaen écrit Des canons aux étoiles lors d’un voyage aux États-Unis entre 1971 et 1974. Almeida Prado écrit le premier volume des Cartas Celestes pour piano, une composition fondée sur la vue du ciel depuis le Brésil en août et septembre. Dans sa thèse de doctorat à l’Université de Campinas le compositeur raconte son processus de composition avec son langage poétique habituel.
“La lumière est vibration. Le son est vibration. J’avais besoin de tenter l’absurdité de l’impossible, mettre en musique le chant des foyers célestes, le ciel que l’homme a toujours désiré comme objet de ses transcendances, la possibilité de matérialiser en son l’inatteignable.
J’ai parcouru l’« Atlas céleste » de Ronaldo Mourao, notre génial astronome-poète, qui a essayé de donner à l’amateur en astronomie la possibilité d’acquérir a sa manière, le scénario pour parcourir le ciel, en cherchant la joie de trouver les constellations.
Dans le discours musical, j’essaierais la même chose. »
Almeida Prado crée des accords qui correspondent aux 24 lettres de l’alphabet grec qui représenteront plus tard les étoiles dans son discours musical. Il s’appuie sur l’Atlas celeste de l’astronome brésilien Ronaldo Mourão pour les références au cosmos. Pour chaque constellation, le compositeur travaille avec les accords attribués aux lettres de l’alphabet grec.
Almeida Prado, Cartas Celestes, volume 3.Instituto Piano Brasileiro
Même si les galaxies et leurs étoiles sont le fil conducteur des Cartas Celestes, Almeida Prado décrit musicalement d’autres corps célestes comme les planètes de notre système solaire, des satellites naturels et même les trous noirs. Dans le mouvement « Buraco Negro » (Trou noir) des Cartas Celestes volume 4, le compositeur attribue à un si bémol le rôle de centre gravitationnel qui attire toutes les autres notes vers le centre du piano à toute vitesse.
On retrouve ces allusions au cosmos dans The Planets, œuvre symphonique de Gustav Holst emblématique par les relations entre musique et astronomie. La description musicale de la planète Mars coïncide chez les deux compositeurs avec une ambiance dramatique et même agressive, qui correspond à la façon dont la planète rouge est décrite par les astronomes.
Dans le mouvement « Cruzeiro do Sul » (Croix du Sud) du volume 5 des Cartas Celestes le compositeur ajoute aux accords correspondants aux étoiles de la constellation l’hymne grégorien qui est chanté en adoration à la croix le Vendredi saint, selon les traditions catholiques. La foi religieuse du compositeur est également évidente sur d’autres œuvres pour piano comme le Rosário de Medjugorge dont la forme musicale est basée sur la forme d’un chapelet.
Almeida Prado, Noturno n° 12.Thiago de Freitas Câmara Costa, A edição crítica e revisada dos noturnos para piano de Almeida Prado, Universidade de São Paulo » align=
Almeida Prado s’est éteint en 2010 à São Paulo à l’âge de 67 ans et nous a laissé 718 œuvres dont 373 œuvres pour piano solo d’après le catalogue de l’Académie brésilienne de musique. Il aura incarné le personnage romantique du pianiste-compositeur, tout en créant des œuvres qui s’intègrent parfaitement dans le courant artistique de son époque. Au-delà d’une simple évocation du cosmos, ses œuvres reflètent ses questionnements sur le sens de la vie.
« Dans l’œuvre que j’ai composée, c’est le son qui commence et qui termine, créant une illusion de l’éternel, dans la finitude d’une œuvre périssable. Le sans-temps du Cosmos.
Tout est possible dans un moment de rêve, de fantaisie, de folie.
Le transcendantal devient accessible, le Cosmos, une possibilité qui se tient dans la paume d’une main.
L’infiniment grand et l’infiniment petit ne connaissent pas de frontières.
Donc, j’ai pu oser. Sans pudeur. Sans peur.
Et ainsi, j’ai créé des illusions sonores capables de réveiller dans l’écoute des émotions d’un voyage cosmique sans frontières. »
Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, Groupe ESC Clermont
Les artisans sont absents de l’installation solaire, secteur capté par des grands groupes et des entreprises de taille intermédiaire. Shutterstock
Le secteur du photovoltaïque, qui bénéficiait déjà de mesures favorables depuis 2019, devrait recevoir comme de nombreux autres secteurs de l’économie, des aides financières de la part de l’État dans le cadre du plan de relance.
Après une période faste en 2009 et 2010, le secteur a connu un effondrement massif et brutal, dont les causes sont multiples : concurrence des produits chinois, opportunisme financier de certains opérateurs, baisse des subventions et arnaques à répétition des particuliers par des entreprises commerciales sans réelles qualifications techniques.
De nombreux producteurs de panneaux solaires français ont alors fait faillite, comme Auversun dans le Puy-de-Dôme ou Solarezo dans les Landes… Aujourd’hui, neuf des dix plus grands fabricants de panneaux solaires dans le monde sont Chinois. La production française est quant à elle amorphe, avec quelques acteurs encore en place comme Voltec, Sillia ou encore Photowatt, racheté par EDF à la demande de l’État en 2012.
La crise pourrait être l’occasion de donner au secteur une nouvelle impulsion en encourageant les artisans à investir la filière d’installation, ce qui favoriserait également la relocalisation de la production de panneaux solaires.
Les vertus de l’artisan
Jusqu’ici quasiment absents du secteur solaire au profit des grands groupes (Engie, EDF) et d’entreprises de taille intermédiaire comptant sur une force commerciale importante, les artisans pourraient devenir le fer de lance de la nouvelle dynamique solaire française.
Ils jouissent en effet d’une bonne confiance auprès de leurs clients et se fournissent majoritairement localement, là où les entrepreneurs commerciaux et les grands groupes explorent la concurrence étrangère et préfèrent acheter moins cher à l’autre bout du monde. L’émergence d’une demande « made in France » chez les Français joue également en faveur des artisans.
Les pouvoirs publics ont ici l’occasion de surfer sur la crise pour recréer la filière solaire, en évitant les erreurs du passé. Écarter les acteurs opportunistes qui ne visent que le profit au détriment de la qualité d’installation et génèrent des litiges commerciaux, favoriser l’artisanat local pour créer une filière d’installation stable, solide et fiable et nouer une relation de confiance avec les consommateurs. Cela permettrait de créer des débouchés commerciaux pour une industrie de fabrication.
Un secteur encore peu accessible aux artisans
Un tel changement de direction implique de lever trois obstacles. Le premier concerne les barrières à l’entrée que sont le prix des assurances (décennales et sinistres, par exemple) et les « labels » obligatoires pour devenir installateur agréé (qui permettent aux particuliers d’accéder au crédit d’impôt). Bien qu’utiles pour sécuriser les travaux, ces derniers demandent beaucoup de temps et d’argent, deux ressources fort précieuses voire rares pour les très petites entreprises de l’artisanat.
Le deuxième frein est la maîtrise de l’offre : pour que les artisans soient en mesure de proposer et commercialiser, il sera nécessaire de diriger vers ce public des actions de formations importantes sur l’aspect commercial et administratif. Car avant d’installer et de vendre, il faut convaincre. Et pour convaincre dans le solaire, il faut savoir présenter aux clients les subventions, les réglementations, les démarches administratives préalables à l’installation, les conditions de revente ou d’autoconsommation… Bref, un ensemble complexe mais indispensable d’informations.
Enfin, les clients des artisans devront pouvoir accéder à des financeurs. L’installation solaire coûte très cher et les grosses entreprises qui s’en chargent pour l’instant proposent souvent une offre dans laquelle sont inclus la pose et le crédit pour financer les travaux. Il s’agirait pour l’État d’octroyer aux clients des artisans des prêts à taux zéro facilement accessibles, afin de soutenir la filière.
Une stratégie gagnant-gagnant
Une fois ces trois freins levés, les artisans pourront investir un secteur qui leur est actuellement presque inaccessible.
L’État a tout à gagner en orientant fortement la filière solaire vers l’artisanat : création de petites entreprises et d’emplois de proximité (dont on sait qu’ils sont durables et peu délocalisables), achats de panneaux solaires fabriqués en France, diminution des gaz à effets de serre, valorisation du parc immobilier des particuliers…
Rappelons enfin que l’artisanat du bâtiment, qui représente tout de même près de 2 % du PIB national, est le secteur économique français qui dégage le moins de marge, avec à peine 11 %. Rediriger une activité à forte valeur ajoutée comme le solaire serait salvateur pour des milliers de petites entreprises dans les mois et les années à venir.
Les fans ont mauvaise presse mais ont souvent les faveurs des médias. Ils intriguent, inquiètent, surprennent, amusent, indignent, émeuvent… Ces passionnés passionnent. Pourtant, on sait relativement peu de choses les concernant. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi et comment devient-on fan ? Qu’est-ce qu’être fan ? Quel en est le prix à payer ? Peut-on en retirer quelque profit ? Être fan est-il dangereux, pour soi ou pour les autres ? C’est à ces questions que l’ouvrage de Gabriel Segré, « Les Fans. Une approche sociologique » ambitionne de répondre. Il lève le voile sur ces passionnés, leurs pratiques et leur engouement. Extrait.
On aurait tort de penser que le phénomène des fans ne naît qu’avec la société des loisirs, du spectacle et de la consommation de masse. On peut faire remonter loin dans le temps les premières formes d’admiration et de dévotion. Shakespeare fait l’objet d’une passion qui se traduit, depuis la moitié du XVIIIe siècle, par la visite de son lieu de naissance à Stratford-Upon-Avon qui attire encore 400 000 visiteurs par an. Duffett compare les admirateurs de l’époque victorienne et leurs pratiques aux fans de Presley qui se rendent à Graceland.
En 1923, la foule immense, « ardente et recueillie », évaluée à un million d’admirateurs éplorés, qui vient rendre hommage à Sarah Bernhardt lors de ses funérailles à Paris préfigure celles qui célébreront Claude François puis Johnny Hallyday un siècle plus tard. La chanteuse lyrique suédoise Jenny Lind a fait l’objet, à la fin du XIXe siècle, d’une véritable Lind Mania et vu ses admirateurs aller jusqu’à acheter des mèches de ses cheveux.
Pour Antoine Lilti (2014), le XVIIIe siècle voit l’invention de la célébrité, produit de consommation collective par des admirateurs que l’historien n’hésite pas à appeler « fans » et qui déjà peuvent se montrer bien envahissants et parfois hystériques. Les figures de la littérature et de la pensée (Voltaire, Rousseau), du théâtre (Mademoiselle Clairon, Garrick, Sarah Siddons, Joseph Talma) comme celles de la Révolution (Marie-Antoinette, Voltaire, Rousseau, Cartouche, Mirabeau, Marat, Charlotte Corday) ont leurs fans, leurs portraitistes, leurs caricaturistes, leurs effigies dans les musées de cire. Elles suscitent déjà admiration, fascination, identification, curiosité, désir de proximité chez ces premiers fans, qui écrivent des lettres (à Rousseau par exemple, qui compte des centaines de fans), et veulent accéder à l’intimité de la vedette. Des compositeurs, au XIXe siècle, comme Franz Liszt, ou des poètes comme Lord Byron vont accéder à cette même célébrité et se voir adulés par des fans, déjà décrits comme malades, hystériques, hypnotisés.
La période de l’âge d’or de Hollywood et du star-system, dans les années 1920 et 1930 voit se développer le phénomène de la célébrité et des fans. Ceux-ci, déjà, collectionnent les photos des stars, les coupures de journaux et tout ce qui a trait à la vedette, poursuivent celle-ci pour un autographe, mais aussi des fétiches divers, une mèche de cheveux, un bout de tissu. Ils fondent des fan-clubs. Parfois même ils se suicident, éperdus d’amour (quand disparaît Rudolf Valentino) ou se livrent à des scènes d’hystérie collective (à l’occasion des funérailles du chanteur).
À la fin des années 1920, les studios hollywoodiens reçoivent plus de 32 millions de lettres de fans par an destinées aux stars masculines comme féminines. Les stars les plus populaires de l’époque, Clara Bow et Mary Pickford reçoivent plus de mille lettres par jour. Les studios créent des services destinés à répondre à ces courriers. Edgar Morin constate l’avidité de connaissance et de collecte de tout ce qui touche à la vedette. Il analyse déjà les rapports d’identification et de projection qui lient les fans aux stars et rend compte de l’amour déclaré à la vedette, vénérée comme une idole, admirée comme un être d’exception, chérie comme un amour, imitée comme un modèle, et suivie comme un guide.
Mark Duffett observe, lui, que très tôt, les fans, regroupés dans des fan-clubs puissants (celui de l’actrice et cantatrice Jeanette MacDonald, créé dès 1937 ou celui de Clark Gable entre autres), se montrent solidaires (ils se regroupent et se cotisent pour aider l’un de leurs membres) et influents (ils exercent du lobbying pour imposer leur vedette au casting d’un film). Le public féminin, dès le début des années 1940, se livre à des manifestations d’enthousiasme durant les concerts de Sinatra, qui constitueront un modèle repris par les fans d’Elvis puis de quantité de vedettes.
La Presleymania ou la Beatlesmania, et la ferveur qui accompagne les rock stars et groupes de rock voient se développer et se généraliser les pratiques de fans (dévotion, mimétisme, quête de reliques, scènes de ferveur collective, expression spectaculaire et ostentatoire de l’admiration…). Le phénomène s’étend à l’univers des séries cultes et sagas cinématographiques ou littéraires, alors que naissent et se développent des communautés de passionnés, toujours plus actifs et fervents.
État de l’art
Le sociologue français Edgar Morin (1957), est le premier en France à prendre au sérieux les fans et leurs pratiques et à proposer une analyse de la religion des stars (de cinéma) et du culte des vedettes (hollywoodiennes). Marie-Christine Pouchelle (1983) prolonge l’analyse (et l’analogie religieuse) en prenant pour objet les fans du chanteur populaire Claude François. Pierre Bourdieu (1979), s’il ne se focalise pas sur ces fans, dépeint pourtant un consommateur militant, dominé et aliéné, antithèse de l’amateur d’art et des produits culturels légitimes, distingué et distancié.
Dominique Pasquier (1999) propose une analyse compréhensive des toutes jeunes téléspectatrices de la série télévisée Hélène et les Garçons, ouvrant la voie à toute une série de travaux sur les fans de séries, entrepris en sociologie ou en sciences de l’information et de la communication. À sa suite, Philippe Le Guern (2002), Jean‑Pierre Esquenazi (2002), étudient les fans des séries Le Prisonnier et Friends. Sébastien François (2009), Martial Martin (2011), Mélanie Bourdaa (2012), se penchent sur ceux de la saga Harry Potter, et des séries Lost et Battlestar Galactica, soulignant notamment l’activité créatrice des fans.
Emmanuel Ethis (2008), dans les traces de Morin, s’intéresse aux fans des stars de cinéma et au processus d’identification. Christian Le Bart et Jean‑Claude Ambroise (2000) prolongent l’analyse des fans de musique et notamment de rock (les Beatles), avant que Gabriel Segré (2003, 2007), Juliette Dalbavie (2012) ou encore Pauline Guedj (2012) ne se livrent à l’étude de ceux d’Elvis Presley, Georges Brassens ou Prince.
Ces travaux restent peu nombreux. Force est de reconnaître que sociologues et anthropologues français se montrent peu sensibles à l’engouement que les fans suscitent et que cet objet de recherche demeure parmi les objets illégitimes et impensés. Il l’est d’autant plus que les objets de ces passions appartiennent à la culture populaire (comme Elvis Presley ou Claude François) et que les passionnés eux-mêmes appartiennent aux catégories les plus populaires, présentant des profils souvent bien éloignés de celui du chercheur.
Depuis une quinzaine d’années se développent des travaux plus nombreux sur les fans de séries télévisées ou de la culture geek entrepris souvent par des chercheurs fans eux-mêmes (les aca-fans), dans le prolongement des travaux de Jenkins, et le sillon des fan studies ou cultural studies anglo-saxonnes.
La présence des aca-fans et des fan scholars (ces fans qui poursuivent des études et recourent au savoir universitaire dans leurs écrits et productions à destination de la communauté de fans) témoigne de la proximité de ces adeptes avec les catégories supérieures et du rapprochement de l’objet de leur passion avec la sphère des objets de la culture légitime, ou, pour le moins, du processus de reconnaissance culturelle des objets en question
Aux États-Unis, une abondante littérature académique entreprend très tôt d’étudier de réhabiliter les fans, de rendre raison de leur activité, de valoriser leur participation à leur culture, à sa production comme à sa diffusion et à sa promotion. Ces travaux entrepris au sein des cultural studies, par des théoriciens de la culture, des spécialistes des médias, voire des études folkloriques ou musicales, ont en commun de rompre avec des écrits (de journalistes et de psychologues notamment) qui tendaient à marginaliser et stigmatiser les fans, les présentant comme immatures, excessifs, déviants, dédiés au culte fanatique d’une idole ou d’une œuvre et victimes des industries culturelles.
Les travaux, entre autres, de John Tulloch (1995), Henry Jenkins (1992) Lisa Lewis (1992), Camille BaconSmith (1991) ou John Fiske (1989a, 1989b, 1992), puis ceux de Matt Hills (2002) illustrent cette entreprise de réhabilitation des fans et cette démarche ethnographique, caractérisée par une observation de l’intérieur des communautés de fans par des chercheurs parfois fans eux-mêmes (les aca-fans), ou des fans issus du monde académique (les fan scholars).
L’influence de chercheurs issus de l’École de Birmingham (Stuart Hall, David Morley) mais également de l’université française (Michel de Certeau) est grande et assumée, pour penser la façon dont les fans adaptent les contenus, les interprètent, les transforment. La réception est pensée comme activité, performance, participation, ensemble de négociations, bricolages et créations. En témoignent les concepts et outils d’analyse que vont produire et utiliser ces chercheurs : « culture participative », « productivité », « braconniers » du texte (textual poachers).
Si elles portent sur des passions très diverses, beaucoup de ces recherches sur les fans se focalisent sur les publics de la télévision et du cinéma, qui forment des communautés particulièrement actives et investies et constituent des terrains très riches : Doctor Who, Dallas, Star Wars, Star Trek, Twin Peaks, Harry Potter, Matrix, Batman…
Ces travaux ont d’abord pris le contre-pied des analyses disqualifiant et marginalisant les fans, pour éclairer la dimension résistante de leur rapport aux contenus. De plus en plus, sous l’impulsion notamment de Henry Jenkins, ils rendent raison de la dimension participative de l’activité des fans, dans un contexte de développement des nouvelles technologies et du numérique.
Beaucoup réinterrogent les frontières entre l’objet et le récepteur, le créateur-professionnel et l’amateur. Ils témoignent notamment de la grande diversité des créations et productions des fans, comme en atteste un champ lexical qui s’enrichit sans cesse de nouveaux termes particulièrement significatifs : fan art (production d’œuvres picturales), fan fiction (production d’écrits fictionnels), fansubbing (élaboration de sous-titres), cosplay (réalisation de costumes), filk music (détournement ou création de chansons), fan video (réalisations de vidéos), fanadvertising (réalisation de publicités et de matériel promotionnel).
Les fans. Une approche sociologique.
Ces recherches sur les fans expliquent le pouvoir grandissant des fans qui deviennent des interlocuteurs privilégiés des industries culturelles, et peuvent parfois engager avec elles des bras de fer ou collaborer avec elles. À présent, se développent en effet des travaux sur les liens toujours plus importants entre les industries culturelles et les fans, et sur la participation de ceux-ci au travail de promotion et aux actions marketing (Nike, Lego). Ils montrent comment entreprises, éditeurs, producteurs, et diffuseurs exploitent les créations des fans et leur désir participatif pour la promotion de leurs produits, auteurs, séries… à l’ère de la « culture de la convergence » où « anciens et nouveaux médias entrent en collusion, où médias amateurs et médias professionnels se rejoignent, où pouvoir du producteur et celui du consommateur interagissent… ».