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Archives Journalières: 09/06/2020

Penser l’après : Le confinement, un rite de passage ?

09 mardi Juin 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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The Conversation

 

  1. Vanessa Oltra

    Maître de conférences en économie, auteure et conférencière, Université de Bordeaux

  2. Gregory Michel

    Professeur de Psychologie Clinique et de Psychopathologie, Université de Bordeaux, Auteur et Conférencier, Université de Bordeaux

Université de Bordeaux

 

CC BY ND
Joseph Mallord William Turner, Landscape with a River and a Bay in the Background Wikipédia
 

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.


Nous sommes plus de trois milliards de personnes à être confinées en ce moment, soit la moitié de la population mondiale. Face au caractère inédit de la situation, il est tentant de croire qu’un changement fort adviendra « après » la crise. Mais sortirons-nous vraiment transformés par cette épreuve ? À quoi ressemblera « l’après » ?

Si l’incertitude règne en ce temps de confinement mondial, elle semble en effet coexister avec la croyance, partagée par un grand nombre, que le monde ne sera plus le même après cette catastrophe sanitaire. Une croyance qui semble davantage reposer sur un vœu pieux, celui que nous ne puissions pas revenir à l’état antérieur, à ce qui constituait notre normalité, une normalité qui portait déjà en elle les germes de la catastrophe (mondialisation effrénée non réglementée, désengagement de l’État, baisse des dépenses publiques de santé…). Cette croyance renvoie également à une forme de bon sens : si c’est de cette « normalité » que la catastrophe a émergé, il n’est pas concevable d’y revenir.

Mais qu’en est-il vraiment de notre capacité à changer durablement, individuellement et collectivement, nos comportements et nos modes de vie ? Sommes-nous dépendants des lois de l’homéostasie – phénomène selon lequel la pression interne du biologique ou externe du système nous contraint à la stabilité, à l’équilibre, le plus souvent au travers d’un retour à un état antérieur ? La pandémie qui sévit pourrait-elle, au contraire, marquer une bifurcation radicale de notre système et conduire à un changement de paradigme ? Pouvons-nous identifier in vivo ce qui pourrait constituer les conditions favorables à une bifurcation effective, pour reprendre la terminologie de la théorie des catastrophes du mathématicien René Thom, de notre système et de notre trajectoire de développement ? Un tel changement peut-il s’opérer dans un contexte d’incertitude radicale, sans connaissance de la destination, ni feuille de route ? Telles sont les questions auxquelles nous tentons d’apporter un éclairage dans cet article en mobilisant le concept anthropologique de liminarité (ou liminalité).

Edgar Morin@edgarmorinparis

Ce monde n’est pas fini, il va gigoter encore; apres le confinement un boom économique provisoire le rassurera
Seule un nouveau mouvement citoyen animé par une pensée forte et une conscience lucide pourra ouvrir le chemin d’un monde nouveau.

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1:40 PM – Mar 26, 2020
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« Je ne peins pas l’être, je peins le passage » : les trois étapes des rites de passage

Pour faire face à la catastrophe, l’humanité est invitée à « rester à la maison », à pratiquer la distanciation sociale et à se confiner. Cet état de confinement général nous place dans une situation singulière dans laquelle nous sommes amenés à stopper nos déplacements, nos interactions sociales et nos routines quotidiennes, sans pour autant cesser de travailler et de nous mobiliser. Ce confinement, présenté comme un acte civique, nous place dans un état intermédiaire entre la pause et l’agitation, un entre-deux inconfortable dans lequel nos repères sont balayés à l’intérieur même de notre « chez-soi ». Cet entre-deux, cet état de marge n’est pas sans rappeler les états liminaires identifiés en anthropologie comme l’étape essentielle et fondatrice des rites de passage.

Coucher de soleil écarlate, Turner. Wikipedia

Dans ses travaux pionniers sur les rites de passage, l’anthropologue français Arnold Van Gennep identifie trois phases : la phase de séparation durant laquelle l’individu est disjoint de son environnement et de son flot d’activités quotidiennes ; la phase de liminarité (du latin limen qui signifie le seuil), aussi appelée période de marge, qui est la phase de transition durant laquelle l’individu se trouve entre deux états ou statuts ; et la phase d’incorporation qui marque la réintégration de l’individu dans son environnement avec un statut, une identité et un état modifiés.

Les trois étapes des rites de passage selon Van Gennep.

C’est dans la phase de liminarité que se mettent en place les processus de déstructuration, de remise en question des normes, des repères, des valeurs et de l’identité (sociale, familiale, professionnelle…), mais aussi et surtout d’ouverture et de transformation de l’individu, ou d’un groupe d’individus, pour les conduire à un état modifié plus mature. Dans les années 60, l’anthropologue britannique Victor Turner reprend les travaux d’Arnold Van Gennep et approfondit le concept de liminarité en étudiant comment l’expérience, au sens phénoménologique du terme, et la personnalité des individus peuvent être modifiées par la liminarité et par l’intégration de cette expérience. Turner (1982) suggère que la phase de liminarité peut être vue comme une sorte de « limbe social » qui combine des attributs de l’état initial et final (c.-à-d., avant et après le rite), et qui est essentielle pour développer une compréhension plus nuancée des deux états. Il les qualifie d’espaces d’expérimentation et de jeu (« daring microspaces ») dans lesquels les individus peuvent recombiner leurs savoirs et leurs pratiques, renégocier leurs identités, réinterroger leurs valeurs et leurs croyances.

C’est parce que cette phase crée les conditions d’un changement profond et durable que le concept de liminarité est également repris, depuis une dizaine d’années, dans plusieurs disciplines. Dans le domaine du management et des organisations, il est utilisé pour étudier les modes de changement et les processus d’adaptation des organisations et/ou des individus au sein des organisations. En psychologie, la liminarité est appliquée dans le champ de l’adolescence, plus précisément aux processus de la séparation (c.-à-d., séparation du monde de l’enfance, phase d’immaturité) et de l’individuation (c.-à-d., intégration au monde de l’adulte, phase de maturité), ainsi que dans le champ de la formation de l’identité. Auprès de personnes ayant vécu un traumatisme, la phase liminaire peut également être travaillée comme une phase de transition nécessaire à la reconstruction psychique de soi ainsi qu’à la réinsertion sociale.

Un espace possible de liminarité et de réflexivité

Aussi, en quoi ce concept de liminarité peut-il nous éclairer sur ce que nous sommes en train de vivre et les potentialités d’un changement durable de nos modes de vie et de développement ? Cette situation de confinement mondial présente-t-elle des caractéristiques de liminarité ? Le cas échéant, cette expérience collective de liminarité pourrait-elle nous faire « grandir » et sortir de nos comportements à risques (économiques, écologiques, sanitaires…) d’une humanité « adolescente » en quête de sens et d’identité ? Pourrions-nous faire de ce que nous vivons un rite de passage plutôt qu’une tragédie du déclin ?

Difficile de répondre à ces questions, alors même que nous sommes au cœur de la crise et que nous ne disposons pas du recul suffisant. Pour autant, il nous semble nécessaire de ne pas attendre « l’après » pour le penser et tenter d’identifier dans ce que nous vivons, à la fois les leviers de changement et de créativité, ainsi que les forces d’inertie qui pourraient nous conduire à ne pas apprendre de notre expérience collective. C’est sur ces points que le concept de liminarité peut être éclairant.

La distanciation sociale et le confinement nous placent, vus sous l’angle des rites de passage, dans un état qui présente des caractéristiques de liminarité : séparation de notre communauté sociale, état transitoire de pertes de repères et d’anxiété, espace entre-deux qui conjugue des éléments inédits et familiers (c.-à-d., séparation de l’environnement habituel de travail/poursuite de l’activité professionnelle dans l’espace familier du « chez-soi »), remise en question de nos représentations, normes sociales et valeurs (recentrage sur les valeurs essentielles, notamment familiales).

Tout comme dans les rites de passage, la liminarité créé ici des conditions d’interruption de nos routines et pratiques quotidiennes, d’exploration et d’expérimentation hors cadres professionnel et social usuels (ex : télétravail, réunions par visioconférence, moments de convivialité à distance…), nous invitant à adopter de nouvelles règles et normes (ne plus s’embrasser ou se serrer la main, se parler en gardant une distance de sécurité, utiliser un masque de protection qui dissimule notre visage…), à réinterroger nos représentations, notre rapport au temps et notre identité. Cette dimension d’être « hors » est fondamentale à la liminarité et nous renvoie à la problématique même de l’existence, dont l’étymologie latine existere ou exsistere signifie « sortir de, s’élever de ».

C’est pourquoi Turner étend l’utilisation du concept aux situations qui constituent ce qu’il appelle le « drame social dans lequel le cours ordinaire de la vie est suspendu ». Le drame social, tel que celui que nous vivons aujourd’hui, met en évidence la dimension de destruction créatrice de la liminarité. Un état qui incite à la réflexion et à la réflexivité, à une quête de sens dont attestent les nombreux témoignages sur les réseaux sociaux et la multiplication des journaux de confinement.

Identifier les conditions d’un changement durable et incorporé

Si l’analogie avec la liminarité est parlante sur certains points, elle demeure néanmoins incomplète et problématique sur trois points essentiels.

En premier lieu, contrairement aux rites dans lesquels séparation et liminarité ont vocation à effacer les inégalités pour ramener l’individu à sa condition humaine et communautaire, notre expérience du confinement exacerbe les inégalités sociales. Si l’épidémie semble toucher tout le monde, indépendamment des classes sociales (avec toutefois une mortalité bien plus forte pour les plus fragiles et les plus démunis), tous les individus ne bénéficient pas des mêmes conditions de confinement et des mêmes dispositions et dispositifs pour développer des stratégies d’évitement des risques et en minorer les conséquences. Cette épidémie nous renvoie bien à notre destin commun d’espèce humaine en danger, mais elle met aussi en lumières de façon criante, et souvent insupportable, les inégalités sociales, au risque de nous diviser, de nous désunir et d’entraver ainsi le processus de changement collectif.

Tout l’enjeu est alors de définir des « communs », en termes de valeurs, d’identités et de principes éthiques et moraux pour faire primer l’esprit collectif, réduire les inégalités sociales et restaurer notre sentiment d’appartenance à une communauté humaine. Un esprit de communauté d’autant plus difficile à développer que nous sommes appelés à nous éloigner les uns des autres, et à voir l’autre comme une source potentielle de danger pour notre santé.

En second lieu, si la question du sens et de l’identité est fondamentale dans la liminarité des rites de passage, elle se pose aujourd’hui dans des conditions très spécifiques. En effet, le caractère inédit de la situation ainsi que l’ampleur et la gravité de la crise nous invitent à une réflexion et une remise en question profonde de nos modes de vie et de nos valeurs, mais sans que le sens ne nous soit donné ou incarné par l’institution ou l’autorité qui nous a placés en état de marge. En d’autres termes, ni le sens ni la destination (ou l’état final après ledit changement) ne sont donnés, ni même déterminés par le politique, ce qui constitue une différence fondamentale par rapport aux rites de passage institués.

Si le confinement est présenté comme l’unique moyen de lutter contre la pandémie, son sens ne s’arrête évidemment pas là… C’est avant tout un moyen de pallier les inefficiences de notre système de santé et de notre modèle économique (des dizaines de milliers de lits d’hôpitaux supprimés ces vingt dernières années, insuffisance des stocks de masques et de respirateurs, manque d’anticipation et de préparation à la gestion d’une pandémie, etc.). Si l’Homo œconomicus, figure emblématique de la théorie économique rationaliste, semble fortement contraint par ce confinement, force est de constater que c’est surtout de sa santé économique future que l’on s’inquiète, en se demandant quand et comment il pourra se remettre au travail « as usual », afin d’éviter l’effondrement de nos économies. Or ce sont bien le sens, les valeurs morales et l’identité de cet Homo œconomicus qui doivent être remis en cause pour construire un nouvel ordre économique et social qui place la santé de tous au cœur de ses priorités. Une économie au service de la santé de tous, et non une santé au service de l’économie, qui soit aussi une économie du temps long et de la prudence (la prudence étant définie par le père de l’économie politique Adam Smith comme l’une des vertus morales essentielles à l’humanité).

Un moment-clé

La question du cadre et des fonctions symboliques, essentielle dans les phases de liminarité des rites de passage, demeure également très floue. Existe-t-il véritablement un cadre pour cette expérience de confinement au-delà des interdictions, des autorisations et des sanctions imposées par les États ? Quelles sont les valeurs transmises ? Par qui et comment sont-elles incarnées et supervisées ? Autant de points déterminants des processus de changement et de transformation à l’œuvre dans la phase liminaire qui restent ici en suspens.

Joseph Mallord William Turner, Norham Castle, Sunrise, c. 1845. Tate

La mise en scène médiatique et politique qui repose sur les ressorts tragiques du catastrophisme et la rhétorique guerrière, sont-ils les plus adaptés pour nous conduire vers un changement collectif et des comportements plus responsables ? Certainement pas. Lors de son allocution du 13 avril, le Président Emmanuel Macron a changé de ton, en tentant d’esquisser un cadre et d’incarner un changement de cap, en se référant notamment à « l’utilité commune » et à un « monde d’après bâti sur les principes de justice sociale et de solidarité ». Mais ce cadre doit s’incarner concrètement dès à présent, dans cette phase liminaire, se traduire par des actes et des décisions collectives, pour restaurer la confiance de tous dans l’avenir, dans le progrès et dans nos institutions, une confiance indispensable pour construire ensemble et s’engager dans ce monde d’après. À cet égard, l’intérêt collectif et le bien commun devraient, par exemple, s’appliquer dès à présent dans la recherche scientifique et médicale sur le Covid-19, en donnant lieu à une mutualisation mondiale des connaissances et une coopération internationale sans précédent, en rupture totale avec l’habituelle course aux brevets.

En conclusion, le concept anthropologique de liminarité apparaît comme une heuristique pertinente et un concept fécond pour appréhender la crise que nous traversons, en termes de transition et de changement. Cette approche par la liminarité est également proposée par l’anthropologue danois Bjørn Thomassen qui, dans son livre Liminality and the Modern (2014), l’applique à la société entière pour étudier les périodes de transitions et de changements historiques suite à des révolutions, des guerres, des catastrophes naturelles ou encore économiques et politiques. Thomassen identifie trois niveaux de l’expérience liminaire : le niveau de l’individu, de la communauté et de la société ; qu’il met en lien avec trois types de durée, à savoir moment, période, époque.

Sur le plan sociétal, Thomassen montre que la liminarité permet d’appréhender les transitions, au niveau macro et micro, en mettant l’humain au centre de la transformation. La liminarité se présente alors comme un moment clé où il nous faut démasquer le poids de l’idéologie et reconstruire notre éthique et les fondements moraux de notre société.

Quelle guidance ?

Toutefois, cette phase de liminarité est aussi à appréhender avec la plus grande prudence, en particulier la question de sa sortie. Les rites de passage ont toujours un « maître de cérémonie » qui assure une certaine guidance et les individus connaissent leur « destination », en lien avec leur processus de développement et de maturité. Comme le souligne Thomassen, l’incertitude et le chaos des phases liminaires sont autant source d’espoirs que de dangers, permettant éventuellement à certains « illégitimes » de s’autoproclamer maîtres de cérémonie.

Cette crise nous révèle que seuls les États peuvent gérer une crise d’une telle ampleur et garantir l’intérêt public, et qu’une nouvelle forme de solidarité et de coopération internationale est nécessaire pour affronter et prévenir ces risques et ces crises mondiales. Une solidarité internationale qui peine à se mettre en place et dont les rares instances, en particulier l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations Unies (ONU), ne parviennent à s’imposer dans la gestion de crise. L’OMS, créée suite à la pandémie de grippe espagnole, semble au contraire menacée par la récente annonce de Donald Trump de suspendre la contribution américaine. L’ONU, quant a elle, met en garde contre de nombreux dangers liés à la pandémie, notamment le risque d’une régression des droits humains (certains États pourraient profiter de la pandémie du Covid-19 pour réduire les droits de l’homme)

Au final, la question de la sortie de la liminarité et, pour reprendre la terminologie des rites de passage, de la réintégration dans un nouvel état plus mature du monde, ne se résume pas au seul déconfinement, à la découverte d’un vaccin, ni même à la fin de cette pandémie du Covid-19. L’enjeu du passage est de nous laisser transformer, individuellement et collectivement, par la liminarité, d’en tirer tous les enseignements pour nous redéfinir et mettre en œuvre un nouvel ordre, un autre modèle économique et social, capable d’anticiper et de gérer les risques économiques, sociaux, sanitaires et écologiques générés par le monde d’avant. Et si nous ne savons pas quand et comment aura lieu « l’après », il est certain qu’il se préfigure dans le présent.

« Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept ans en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention : c’est un contrôle de divers et muables accidents, et d’imaginations irrésolues, et quand il y échoit, contraires : soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres circonstances, et considérations. » (Montaigne, Essais III, II, « Du repentir »)

Panser l’après : vers un monde habitable et désirable

09 mardi Juin 2020

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The Conversation

  1. Anne Alombert

    Doctorante en philosophie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

 

Partenaires

Université Paris Nanterre

 

CC BY ND
Paul Klee, Château et soleil, 1928. Wikiart

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après. Nous publions aujourd’hui le dernier « long format » de cette série, à retrouver dans son intégralité ici.


Alors que s’amorce, en France, la phase 2 du déconfinement, et après avoir pensé l’après, il nous faut panser le présent : prendre soin du monde qui vient, pour qu’il ne redevienne pas le « monde d’avant ».

En effet, la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur : non seulement de la fragilité de la vie humaine, que l’idéologie transhumaniste prétendait immortelle, mais aussi de la nécessité des systèmes sociaux et de la recherche fondamentale, que le système néolibéral croyait superficielle, et enfin des menaces que fait peser sur l’espèce humaine tout entière un développement techno-économique qui touche désormais ses limites à l’échelle planétaire.

Alors qu’une crise économique majeure semble se profiler et venir s’ajouter à la catastrophe écologique en cours depuis de nombreuses années, les géants du web profitent de l’allié objectif que constitue le virus pour accélérer le rythme de leurs activités disruptives, dans un monde promis à être de plus en plus soumis à ce type de crise.

Alors que la fortune de Jeff Bezos (patron d’Amazon) a considérablement augmenté depuis le mois de janvier (apparemment en dépit du droit du travail et de la protection de la santé des employés), l’application de visioconférences Zoom a vu son volume quotidien de téléchargements exploser passant en trois mois de 10 millions à 200 millions d’utilisateurs quotidiens. Pendant ce temps Facebook envisage un accord avec le système de santé publique au Royaume-Uni pour distribuer ses cadres photos connectés dans les maisons de retraite isolées, et Palantir Technologies, start-up fondée en 2004 par Peter Thiel (cofondateur de PayPal et conseiller de Donald Trump) entre en pourparlers avec les pays européens pour leur fournir des outils d’analyse de données permettant de tracer la propagation du virus parmi les citoyens. « Screen new deal » et économie des données semblent ainsi court-circuiter Green New Deal et économie décarbonée.


À lire aussi : Des Grecs au transhumanisme, l’idée d’immortalité comme symptôme de notre humanité


Dans un tel contexte, la possibilité même de panser l’après semble compromise. Au contraire, toutes les menaces contenues dans l’avant semblent s’accélérer : alors que les risques pandémiques de l’Anthropocène se sont vus confirmés (la propagation des virus au sein de l’espèce humaine étant directement liée aux perturbations des écosystèmes), les risques liés à la « gouvernementalité algorithmique » tendent à se multiplier.

Accostage miraculeux,1920, par Paul Klee, Wikiart

Au moment même où les hommes réalisent de manière plus ou moins consciente les dangers auxquels ils sont désormais confrontés, « stratégie du choc » et « solutionnisme technologique » se combinent pour réaliser de manière performative le devenir numérique de sociétés de plus en plus automatisées et connectées.

Le devenir numérique, un devenir entropique ?

Mais un tel devenir est-il encore porteur d’avenir ? Un capitalisme de plate-forme fondé sur l’extraction de valeur déterritorialisée et la monétisation de toutes les sphères de l’existence peut-il s’exercer durablement selon les seules lois du marché ? Ne risque-t-il pas ainsi, indépendamment de tous les dangers qu’il pourrait provoquer, de détruire ses conditions mêmes de possibilités ? Car il ne suffit jamais d’exploiter : les livraisons d’Amazon reposent sur des infrastructures de transport publiques, les visioconférences de Zoom supposent des câbles sous-marins et des satellites, le business model de Facebook repose sur les relations sociales et les énergies psychiques…

Or, qu’il s’agisse des ressources naturelles qui font fonctionner nos appareils connectés ou des ressources pulsionnelles qui font consommer les individus (dé)confinés, la question du renouvellement des énergies (qu’elles soient physiques ou psychiques) finit toujours par se poser.

Dans la théorie des systèmes, un système (vivant, social, technique) qui évolue dans le sens de l’épuisement de ses propres ressources ou qui se déploie en ruinant ses propres conditions de possibilités peut être défini comme un processus entropique : en se développant, il épuise ses potentialités de renouvellement et amoindrit sa capacité de conservation et de transformation.

Dès lors, son devenir tend vers la désorganisation, le désordre, la désintégration : le système n’a pas d’avenir, puisqu’il est incapable d’évoluer, de se diversifier, de produire de la nouveauté.

En ce sens, le développement techno-économique et industriel actuel semble s’orienter dans une direction entropique, aussi bien en termes d’écologie environnementale que d’écologie mentale ou d’écologie sociale, pour reprendre les trois écologies définies par Félix Guattari.

Écologie et entropie environnementales

Dans le champ de l’écologie environnementale tout d’abord, les recherches de Maël Montévil en biologie théorique suggèrent que la raréfaction des ressources énergétiques, la destruction des écosystèmes et la réduction de la biodiversité caractéristique de l’Anthropocène peuvent être interprétés comme des phénomènes entropiques : la production d’artefacts engendre une dispersion des ressources minérales ou énergétiques, alors que les perturbations climatiques provoquées par les activités humaines produisent une « désynchronisation » entre les populations (végétales et animales), une désorganisation des écosystèmes et une perte des singularités biologiques.


À lire aussi : Ce que la notion d’« anthropocène » dit de nous


Dans la mesure où les espèces et organismes vivants qui sont aujourd’hui menacés constituent ce que Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique, décrivait comme des « îlots d’entropie décroissante dans un monde où l’entropie générale ne cesse de croître » (de par leur organisation, leur diversification et leur historicité), leur extinction correspond à une accélération du devenir entropique de l’univers.

Ad Parnassum, Paul Klee, 1932. Wikiart

Mais comme le souligne de nombreux experts de l’Anthropocène, les disruptions des écosystèmes ne tarderont pas à se répercuter dans les sociétés humaines, sous forme de catastrophes naturelles, de crises sanitaires, ou de conflit économique et politique : c’est la raison pour laquelle, selon de nombreux scientifiques, une action collective est désormais nécessaire pour maintenir le système Terre dans un état habitable, qui suppose « une réorientation profonde des valeurs, comportements, institutions, économies et technologies humaine ».

Écologie et entropie sociales

Néanmoins, une telle bifurcation politique semble difficile à concevoir dans le contexte actuel. Dans le champ de l’écologie sociale aussi, l’entropie semble régner. Le sociologue Wolfgang Streeck décrit en effet la crise actuelle du système capitaliste comme « l’âge de l’entropie sociale ». Pour lui, loin de permettre l’émergence d’un nouvel ordre ou de nouvelles organisations sociales, la « fin » du capitalisme se caractérise par une désintégration du système sous l’effet de ses contradictions internes (baisse de la croissance, déclin de la démocratie, accumulation des inégalités, marchandisation du travail, de la terre et de l’argent, désordres systémiques, corruption, démoralisation généralisée, etc.).

De ce fait, elle engendre des sociétés « post-sociales » et « sous-institutionnalisées » caractérisées par des structures instables et non fiables, qui ne constituent plus des lieux de solidarités et ne fournissent plus aux individus les normes de leurs existences. Ils se voient alors soumis à toutes sortes de perturbations et d’accidents, condamnés à développer des stratégies individuelles d’adaptation et de survie, incapables de s’organiser collectivement pour concevoir et produire un avenir différent.

Sans doute la disruption numérique, qui contribue à fragiliser les systèmes sociaux (familiaux, académiques, linguistiques, juridiques) et à standardiser les pratiques n’est-elle pas innocente dans ce devenir entropique des structures sociales, court-circuitées par une innovation technologique permanente qui ignore les réglementations économiques locales et menace le secteur public.

Écologie mentale et entropie psychique

Du point de vue de l’écologie mentale ou de l’écologie de l’esprit, les technologies numériques au service de la data economy semblent en tout cas jouer un rôle fondamental dans la production d’entropie psychique. Les travaux de Katherine Hayles ont par exemple montré que le passage de l’écriture imprimée et littérale à l’écriture électronique et digitale correspondait à celui d’une attention profonde (concentration sur un objet unique pendant un temps long) à une « hyperattention » (dissémination de l’attention dans plusieurs tâches simultanément).

Jonathan Crary, de son côté, a montré qu’en stimulant et sollicitant constamment les sujets, les objets et environnements connectés détruisaient les capacités de concentration, de patience, d’imagination et de projection.

Selon la théorie du flow du psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, cet état de désordre psychique dans lequel l’attention du sujet est sans cesse divertie et absorbée dans des objets ou des tâches qu’il n’a pas choisies peut être décrit comme une « entropie psychique », qui correspond à une « désorganisation du moi » : le sujet devient incapable d’investir son attention et de poursuivre ses objectifs sur le long terme. Son énergie psychique (que Freud décrivait sous le nom d’énergie libidinale) devient alors inutilisable et inopérante, car elle est dispersée et disséminée, au lieu d’être concentrée sur un objet désiré.

À l’inverse, les états d’expérience optimale ou expérience de « flow » (caractérisés par une joie ou une satisfaction profonde et durable) surviennent le plus souvent lorsque le sujet parvient à accomplir quelque chose de nouveau au prix d’un effort de concentration durant lequel il est parvenu à orienter toute son énergie sur un objet unique. Après un tel effort, qui peut être individuel ou collectif, l’individu se sent à la fois enrichi et unifié, en cohésion avec lui-même et avec le monde qui l’entoure, capable de s’engager dans des projets de long terme et de produire de la nouveauté.

Inverser la tendance

À l’époque de l’Anthropocène, qui est aussi celle du capitalisme numérique et de l’économie de l’attention, entropie psychique, entropie sociale et entropisation des organisations biologiques semblent donc se combiner. Qu’il s’agisse de l’épuisement de l’énergie psychique à travers la dissémination de l’attention et la destruction des capacités de projection, qu’il s’agisse de la disruption des organisations sociales et de l’élimination des pratiques locales par les plates-formes digitales, ou qu’il s’agisse de la désorganisation des écosystèmes et de l’élimination de la biodiversité par les forçages anthropiques, les dispositifs industriels, technologiques et médiatiques caractéristiques du XXIe siècle semblent favoriser une perte d’organisation, de diversité, de singularité, d’avenir et de nouveauté. Cette tendance pourrait-elle s’inverser ?

Sans doute, à condition non seulement de « décarboner » pour économiser les énergies fossiles et mobiliser les énergies durables, mais aussi d’économiser les énergies psychiques en les investissant dans des projets collectifs susceptibles de les renouveler. La question de la « transition énergétique », toujours posée au singulier, devrait dès lors se voir démultipliée : c’est la question des transitions énergétiques (physique et psychique, naturelles et libidinales) qui devrait être soulevée.

Jardins du temple, Paul Klee, 1920. Wikiart

Dans ce contexte, les trois points de vue écologiques semblent moins que jamais pouvoir être dissociés : comme l’écrivait Félix Guattari, « l’écologie environnementale devrait être pensée d’un seul tenant avec l’écologie sociale et l’écologie mentale ». En effet, si « les perturbations écologiques de l’environnement ne sont que la partie visible d’un mal plus profond et plus considérable, relatif aux façons de vivre et d’être en société sur cette planète » alors « il n’est pas juste de séparer l’action sur la psychè, le socius et l’environnement ». Une transition « triplement » écologique supposerait donc la mise en œuvre d’une économie des énergies physiques, orientée vers l’utilisation d’énergies renouvelables, mais aussi d’une économie des énergies psychiques, orientée vers la structuration et la sublimation des pulsions dans des activités sociales.

Différer l’entropie : savoirs et soins créatifs

Dans Le Malaise dans la Culture, Sigmund Freud explique qu’à travers la pratique toujours collective d’« activités socialement valorisées », les sujets psychiques diffèrent l’accomplissement de leurs pulsions agressives et parviennent ainsi à se relier et à vivre en amitié.

Ces activités socialement valorisées peuvent être des activités scientifiques, des activités artistiques, des activités techniques ou pratiques, des activités culturelles, bref, toute activité permettant au sujet d’exercer ce que le psychologue Donald Winnicott désignera quarante ans plus tard sous le nom de « créativité ». Selon Winnicott, la créativité n’est pas réservée au génie : au contraire, « elle est inhérente au fait de vivre », elle est ce qui permet « à l’individu de devenir une personne en participant à la vie de la communauté ».

« Une création, écrit Winnicott, c’est un tableau, une maison, un jardin, un vêtement, une coiffure, une symphonie, une sculpture, et même un plat préparé… ». À travers la pratique de ces activités sociales ou créatives, qui s’apparentent à différents types de savoirs, les sujets prennent soin de leurs milieux naturels et techniques (ils s’occupent de leurs environnements quotidiens en exerçant des savoir-faire ou des savoirs techniques), de leurs milieux sociaux (ils se relient les uns les autres à travers arts de vivre et savoir-être) et de leurs milieux mentaux (ils concentrent et cultivent leurs énergies psychiques en pratiquant des savoirs concevoir ou savoirs théoriques). Ainsi comprises, les pratiques des différents savoirs semblent constituer autant d’activités de soin qui permettent de lutter contre les tendances entropiques propres aux différents champs écologiques – en favorisant la culture et le renouvellement des « ressources » environnementales, psychiques et sociales.

Vers des sociétés anti-anthropiques ?

On comprend alors pourquoi, contrairement à l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui proposait de décrire l’anthropologie comme une entropologie (en soutenant que les civilisations humaines accéléraient le devenir entropique de l’univers à travers leurs productions technologiques), le philosophe Bernard Stiegler soutient que les anthropoi sont aussi susceptibles de ralentir, de suspendre ou de différer l’accomplissement du processus entropique, à travers la pratique de savoirs anti-anthropiques : c’est-à-dire, en faisant bifurquer les savoirs transmis dans des directions improbables et en ouvrant ainsi un avenir incalculable.

Le messager de l’automne, Paul Klee, 1922. Wikiart

Ces bifurcations, fondées sur une réappropriation collective du passé hérité, sont toujours singulières et locales, donc irréductibles aux calculs ou aux programmes des algorithmes, puisque même ceux qui les produisent ne peuvent les anticiper.

À travers leurs savoirs, les individus psychiques, qui sont aussi des êtres désirants et apprenants, seraient donc capables de s’organiser, de se diversifier et de produire de la nouveauté : la transmission, la pratique et la production de savoirs constitueraient dès lors des processus anti-anthropiques, porteurs « d’enrichissement processuel pour l’ensemble de l’humanité » et permettant d’orienter les développements techno-scientifiques vers de nouvelles finalités collectivement réfléchies et décidées.

Quand bien même l’extériorisation technique et le processus économique qui caractérisent les sociétés humaines contribueraient à la tendance entropique globale, puisque, comme le soulignait l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen, « il n’y a pas d’industrie sans déchets » (tout ce qui est produit est consommé et tout finit par se décomposer), il semblerait donc qu’à travers la pratique de savoirs ou d’activités collectives et créatives, les groupes humains puissent inverser la tendance entropique qui se manifeste dans les trois champs écologiques.

Sans doute la pratique des différentes formes de savoirs devrait-elle alors constituer le cœur de l’économie du « monde d’après » : non pas pour transformer les savoirs en « marchandises informationnelles » ou pour les mettre au service du « capitalisme cognitif », mais pour valoriser les pratiques sociales à travers lesquels les êtres prennent soin les uns des autres et de leurs différents milieux (sociaux, techniques, mentaux). Il s’agirait ainsi de penser une économie pour les trois écologies, pour ouvrir des îlots d’avenir « dans un univers en dégradation progressive ».

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