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Archives Mensuelles: juin 2020

L’euro, un rempart contre l’hyperinflation

13 samedi Juin 2020

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The Conversation

  1. Alexandre Sokic

    Economie, Finance, ESCE International Business School

ESCE Business School

INSEEC U.

 

CC BY ND
La banque centrale européenne, en charge de la politique monétaire de la zone euro, a pour objectif principal de maintenir le pouvoir d’achat et donc la stabilité des prix. Didier Weemaels / Unsplash

Toutes les critiques que l’on peut adresser à l’euro ne doivent pas faire oublier l’un de ses grands succès : avoir évité aux pays les plus endettés de sombrer dans l’hyperinflation, qui trouve son origine et son développement dans le financement monétaire de déficits budgétaires excessifs.

En effet, les études menées sur les épisodes d’hyperinflation de l’entre-deux-guerres en Europe centrale et en Amérique latine dans les années 1980 ont fait apparaître un seuil de déclenchement de l’hyperinflation au niveau d’un financement monétaire des déficits publics de l’ordre d’une dizaine de points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB).

Or, en l’espace d’une dizaine d’années, des pays tels que l’Italie, Espagne, le Portugal, ou la Grèce ont connu deux épisodes majeurs de crises budgétaires. Après la crise économique de 2008-2009, ces pays avaient vu les déficits publics dépasser largement le seuil de 10 % du PIB.

La BCE, gardienne de la stabilité des prix

Aujourd’hui, du fait de la crise sanitaire extrême, les prévisions du Fonds monétaire international annoncent pour 2020 une nouvelle dérive dangereuse des déficits publics vers le seuil de 10 % du PIB pour ces mêmes pays.

L’inflation ne devrait pas repartir pour autant : pour sortir de la crise, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé mi-mars la mise en place de nouveaux programmes de rachat massif de dettes publiques (programmes Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP, et Public Sector Purchase Programme, PSPP). Ce type de politique, initié en 2015 et accéléré fin 2019, a conduit au gonflement du prix des actifs, soutenant les cours de la bourse ou encore la hausse de l’immobilier, mais pas à une hausse des prix à la consommation.

The Conversation France

✔@FR_Conversation

Trois arguments qui laissent penser qu’il n’y aura pas d’inflation après la crise https://bit.ly/3ai2UZi 

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4

7:34 PM – Apr 15, 2020
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La BCE, institution indépendante, a justement comme mission essentielle de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro et donc de préserver la valeur de la monnaie unique. L’aversion de la société allemande envers l’inflation, qui trouve sa source dans le traumatisme de l’hyperinflation des années 1920, s’est ainsi, d’une certaine façon, transmise à la BCE.

Dans la zone euro, la responsabilité de l’émission et la gestion de la monnaie unique étant entre les mains de la BCE, aucun de ces gouvernements n’avait ni n’a la possibilité d’envisager un financement monétaire de ses déficits.

Que se serait-il passé si des pays tels que l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou encore le Portugal, faisant face aux deux crises budgétaires majeures de cette décennie, avaient conservé leurs propres monnaies ?

Face à l’ampleur des déficits publics, la défiance des investisseurs, et l’extrême difficulté d’un financement par émission de nouveaux titres de dettes ou prélèvements fiscaux supplémentaires, on peut imaginer l’exercice d’une forte pression des gouvernements sur les banques centrales nationales pour obtenir un financement monétaire.

L’issue d’une telle pression aurait pu être le développement de l’hyperinflation, c’est-à-dire une accélération de l’inflation pouvant conduire à des hausses des prix importantes et difficilement supportables pour les populations.

Quand l’économie est entraînée vers le chaos

L’hyperinflation est un phénomène rare, mais elle n’appartient pas au passé. Aujourd’hui, le Venezuela est en situation d’hyperinflation depuis 2016. Le phénomène se produit principalement dans un contexte de troubles politiques et de fragilité financière des autorités publiques qui les conduisent à n’avoir plus d’autres recours pour financer un déficit budgétaire important que la création monétaire.

Un citoyen vénézuélien brandit une pancarte montrant des produits de consommation courante et leurs prix dans le cadre d’une manifestation contre Nicolas Maduro élu président de la République du Venezuela suite à un scrutin contesté (Caracas, janvier 2019). Federico Parra/AFP

Cependant, la faiblesse et le laxisme politique de certains gouvernements sont aussi de nature à orienter ces derniers vers l’option de financement la plus simple qu’est la création monétaire.

Le cas de la Bolivie illustre cette possibilité. À la fin des années 1970, les autorités boliviennes laissèrent croître dangereusement le déficit budgétaire. Après que les limites du recours à l’emprunt aient été dépassées, le gouvernement bolivien se mit à recourir à l’option la plus aisée à mettre en place c’est-à-dire la création monétaire. L’hyperinflation bolivienne qui a suivi, avec plus de 120 % de hausse des prix mensuelle à son paroxysme, a été sévère.

Toutefois, il faut remarquer que l’escalade hyperinflationniste est un phénomène qui n’a pratiquement pas de limites. Les trois épisodes d’hyperinflations les plus extrêmes de l’histoire monétaire en sont l’illustration.

En janvier 1994 en Yougoslavie, lors de la troisième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire, le taux d’inflation mensuel le plus élevé avait atteint 309 millions de pourcent, correspondant à un taux d’inflation quotidien de 64,6 % et à un doublement du niveau des prix tous les 1,4 jours.

En novembre 2008 au Zimbabwe, la deuxième hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire avait conduit à un taux d’inflation mensuel de 79,6 milliards de pourcent, équivalent à un taux d’inflation quotidien de 98 % impliquant un doublement des prix toutes les 24,7 heures.

L’hyperinflation la plus sévère de l’histoire monétaire reste l’hyperinflation hongroise, qui a eu lieu entre 1945 et 1946, et qui a enregistré le taux d’inflation mensuel le plus élevé de plus de 12 millions de milliards de pourcent en juillet 1946, équivalant à un rythme quotidien d’inflation de 195 % soit un doublement des prix toutes les quinze heures.

Médaille en souvenir de l’hyperinflation allemande de 1923 sur laquelle est écrit : « 1 livre de pain : 3 milliards ; 1 livre de viande : 36 milliards ; 1 verre de bière : 4 milliards ». Gary M. Greenbaum/Wikimedia

En comparaison, la célèbre hyperinflation allemande de 1923, c’est-à-dire celle qui a causé le traumatisme allemand et qui est à la source de l’aversion de la société allemande à l’encontre de l’inflation, n’arrive qu’en « quatrième position » de l’histoire monétaire avec le taux d’inflation mensuel de 29525 % relevé en octobre 1923 correspondant à un taux d’inflation quotidien de 20,9 % et un doublement des prix tous les 3,7 jours.

Ces chiffres effrayants permettent de comprendre que l’hyperinflation entraîne l’économie dans le chaos. Les crises budgétaires en Grèce, Italie, Espagne et Portugal depuis une dizaine d’années sont répétées et sévères.

Les financements des déficits publics par émission de titres de dette sur les marchés financiers ou prélèvements fiscaux supplémentaires sont problématiques. Les gouvernements sont fragilisés. Sans l’euro il n’est pas exagéré de considérer qu’une menace d’hyperinflation ait été probable. Mais la zone euro offre un environnement de stabilité monétaire particulièrement appréciable en période de crises majeures.

StopCovid : « un million d’utilisateurs » et quelques réserves non dissipées

12 vendredi Juin 2020

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The Conversation

  1. Béatrice Siadou-Martin

    Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Lorraine

  2. Christine Gonzalez

    Professeur des universités en sciences économiques et de gestion, Le Mans Université

  3. Inès Chouk

    Enseignante-chercheuse à Paris Cergy Université / Résistance aux innovations technologiques, CY Cergy Paris Université

  4. Jean-Marc Ferrandi

    Professeur Marketing et Innovation à Oniris, Université de Nantes

  5. Zied Mani

    Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Nantes

Université de Lorraine

CY Cergy Paris Université

 

CC BY ND
Les outils de traçage des contacts nécessitent un taux d’adoption élevé pour fonctionner efficacement. Thomas Samson / AFP
 

Disponible depuis le 2 juin, l’application StopCovid, qui avertit son utilisateur d’un éventuel contact avec une personne infectée par le coronavirus, a dépassé le « cap du million d’utilisateurs », a annoncé le 6 juin Cédric O, secrétaire d’État au numérique. Lors de sa prise de parole, ce dernier a également précisé que ce chiffre correspondait à l’activation de l’application et non à son simple téléchargement.

Mais derrière cette adoption subsistent toujours des craintes liées à une dérive potentielle de son utilisation vers la surveillance de masse. De plus, des interrogations sur son utilité réelle persistent.

Notre analyse des commentaires spontanés laissés sur les sites de presse et les réseaux sociaux nous permet de constater que les réactions la concernant sont controversées. Ainsi, loin d’être consensuelle, l’application soulève questions et défis quant à son adoption par la population.

Une efficacité liée au taux d’adoption

Dès 2019, dans ses recommandations sur le recours aux technologies numériques pour améliorer la santé des populations, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soulignait tout le potentiel des outils digitaux pour établir des relations plus personnalisées avec les patients.

Dans le contexte de déconfinement, les applications mobiles font partie des dispositifs possibles pour analyser, contrôler ou conseiller les individus, et ainsi éviter un rebond épidémique.

L’efficacité de ces applications « servicielles », qui construisent leur proposition de valeur sur l’utilité et la praticité et cherchent à faire de « bons comportements » par les individus, a été étudiée dans le domaine de la santé (lutte contre l’obésité, appropriation des solutions thérapeutiques) ou de la consommation durable (lutte anti-gaspillage).

Ces outils sont de deux natures : conseil ou contrôle. Dans le cas de la crise du Covid-19, selon le think tank Terra Nova, elles ont pour rôle de « permettre un suivi individualisé de l’épidémie et d’automatiser les contrôles jusqu’alors assurés manuellement par les autorités sanitaires ».

En effet, le « contact tracing » (traçage des contacts) est un dispositif de santé publique utilisé dans la surveillance et la lutte contre la propagation des virus qui, à l’origine, repose sur le travail d’enquêteurs. Avec la pandémie de Covid-19, le débat s’est focalisé sur les applications mobiles pour automatiser ce contact.

Le principe est le suivant : une fois installée sur le smartphone, l’application mémorise les personnes croisées (à moins d’un mètre pendant 15 minutes), volontairement ou non. Elle enregistre ainsi tous les contacts que chaque utilisateur a eus avec d’autres personnes équipées de l’application. Si un individu de la chaîne de contacts se déclare positif sur l’application, celle-ci informe ses membres via une notification.

Grâce aux données recueillies, l’application StopCovid vous prévient si vous avez croisé une personne déclarée positive au Covid-19. Thomas Samson/AFP

Les personnes alertées peuvent se faire dépister et reçoivent des conseils sur le bon comportement à adopter, à savoir : s’isoler, limiter ses déplacements, porter un masque et consulter un médecin afin de briser les chaînes de transmission du virus.

Ainsi le succès de l’application est notamment conditionné à l’adoption massive de l’outil et à la bonne foi des utilisateurs (accepter de se déclarer positif au virus), ce qui pose les questions du caractère volontaire de son téléchargement et de la technologie utilisée (GPS, Bluetooth, stockage des données, etc.).

À ce jour, plusieurs pays ont étudié cette piste et mis en œuvre des solutions digitales de lutte contre la propagation du Covid-19. La note de l’ancien secrétaire d’État Mounir Mahjoubi permet d’identifier quatre critères essentiels pour les distinguer :

  • le caractère obligatoire ou non de leur utilisation ;
  • l’objectif poursuivi : cibler l’individu (gérer la contamination individuelle) ou le collectif (savoir où mener des campagnes de tests) ;
  • le comportement souhaité de l’utilisateur : rester confiné, se tester ou éviter les zones à risque ;
  • l’usage des données : transmission des informations à l’individu uniquement ou à des tiers.

Le taux d’adoption de ces applications reste faible dans certains pays comme Singapour où seulement 19 % des citoyens en sont équipés. De plus, il reste difficile d’établir le pourcentage auquel il devient efficace. En effet, malgré un taux de 40 % en Islande, « cela n’a pas changé la donne » ; pire, certaines tentatives se sont soldées par des piratages, comme au Qatar.

Le 25 mai dernier, Cédric O estimait néanmoins que l’application StopCovid se révèlerait efficace « à partir de 10 % de personnes qui l’utilisent dans un bassin de vie » du fait de son « efficacité systémique pour diminuer la diffusion de l’épidémie ».

Quid de l’application « made in France » ?

En France, ces dernières semaines, les médias se sont fait l’écho des débats politiques, des prises de parole des experts techniques évoquant les dangers potentiels de ces applications. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a estimé que :

« (Une application comme StopCovid) peut être légalement déployée dès lors qu’elle apparaît être un instrument complémentaire du dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et qu’elle permet des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris pour des contacts inconnus. »

Les craintes restent néanmoins vives et motivent des mouvements de résistance plus ou moins organisés. La quadrature du net, association de défense des libertés sur Internet, appelle ainsi à un rejet total de l’application. Sur Twitter, un compte parodique reprend et détourne les codes de communication officiels pour la promouvoir.

StopCovid@StopCovidApp

Vous êtes déjà plusieurs dizaines à jouer à #StopCovid
Merci à vous.

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61

3:52 PM – Jun 3, 2020
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L’organisation non gouvernementale Bayes Impact a conçu le site Briser la Chaîne pour « participer à préserver la santé de ses usagers tout en veillant à garantir leur droit au respect de la vie privée ». Elle propose un système d’accompagnement individuel pour aider le malade à se souvenir pas à pas des personnes avec qui il a été en contact durant sa période de contagiosité.

Ces initiatives témoignent du fossé entre le discours officiel et les réactions des internautes. L’analyse de ces réactions sur les réseaux sociaux et dans les commentaires d’articles de presse permet d’identifier trois types de freins à l’adoption de l’application : politiques, fonctionnels et liés aux préoccupations pour la vie privée.

Les discours font apparaître un manque de légitimité des autorités au niveau des compétences et des objectifs : quelles sont les intentions gouvernementales ? L’application restreint-elle les libertés ?

Fonctionnalité de l’application StopCovid permettant aux utilisateurs de se déclarer positifs au Covid-19. Thomas Samson/AFP

Les individus craignent donc d’être surveillés individuellement comme collectivement et perçoivent ces applications comme fortement intrusives, car elles supposent un contrôle de chacun et une collecte des données. De plus, elles possèdent un caractère culpabilisant, voire infantilisant.

Au-delà de ces considérations, des usagers se posent des questions quant à l’utilité et l’efficacité de ces applications dans la lutte contre le Covid-19.

Toutefois, il existe des internautes favorables à l’application, mais ces derniers mettent en balance ces freins avec des préoccupations d’ordre économique et sanitaire. Par peur de voir l’épidémie se poursuivre et la crise économique s’amplifier, certains sont prêts à accepter cet outil, mais seulement s’il permet de réduire véritablement les risques et les impacts encourus. Or, comment le leur garantir ?

Répondre officiellement aux craintes

Une solution digitale techniquement performante sur le papier peut se révéler inefficace si la population n’y adhère pas sur le principe. La prise en compte des aspects psychologiques est cruciale pour comprendre et anticiper le comportement des citoyens face à leur résistance aux innovations technologiques.

Ainsi, accompagner la mise en place d’une application de « contact tracing » implique de créer un environnement socioculturel favorable ainsi qu’une communication adaptée à son téléchargement.

Trois pistes d’arguments sont mobilisables dans une communication officielle :

  • le bénéfice : la communication doit-elle mettre en avant un bénéfice individuel-égoïste (protéger sa propre santé) ou un bénéfice collectif-altruiste (éviter la propagation du virus) ?
  • les garde-fous technologiques : face aux préoccupations en matière de vie privée, comment garantir la transparence quant au devenir des données recueillies ?
  • la source de la solution technologique : l’analyse des discours en ligne montre l’importance de la fiabilité et de l’expertise de la source et donc de sa crédibilité. À quelle source faire confiance sans avoir peur d’être trompé ou manipulé ? Quelle source mettre en avant dans la communication pour l’adoption de l’application ?

Ces arguments en matière de communication sont à prendre avec précautions, car une autre forme de résistance peut se manifester envers les messages publicitaires incitant à son adoption. Cette résistance à la publicité remettrait en cause l’efficacité des modes de communication utilisés.

Ainsi, seule une analyse approfondie de la corrélation entre contenu des messages gouvernementaux et taux d’adoption réel de l’application StopCovid nous permettra de juger de l’efficacité de la communication contre la défiance actuelle des Français.

De plus, une analyse de l’évolution du nombre de téléchargements et de l’utilisation effective de l’application sur la durée restera nécessaire pour conclure sur la capacité du gouvernement à convaincre les résistants de la première heure.

La police peut-elle changer d’éthique ?

12 vendredi Juin 2020

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The Conversation

 

  1. Stéphane Lemercier

    Chargé de cours – Membre de l’Equipe de Droit Pénal de Montpellier (EDPM), Université de Montpellier

Stéphane Lemercier est Capitaine de police.

 

CC BY ND
CRS lors d’une manifestation à Rungis, novembre 2019. Philippe LOPEZ / AFP
 

Les manifestations anti-racistes et contre les violences policières ont pris une ampleur sans précédent en France, à la suite du décès de George Floyd le 25 mai, homme noir décédé par asphyxie après une interpellation de la police à Minnéapolis. Le gouvernement Macron par la voix de son ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a considérablement modifié son discours sur la question des violences policières, après avoir déclaré qu’elles n’existaient pas. Il a notamment annoncé «une tolérance zéro» quant aux propos ou comportements racistes au sein des forces de l’ordre -suite à plusieurs affaires révélées par la presse – et vouloir mettre fin à la technique dite d’étranglement.

Ces événement ravivent régulièrement la fracture entre policiers et citoyens.

Comment enrayer cette escalade de la violence ? Comment revenir à une police vertueuse au service des citoyens ? On serait tenté de répondre qu’il faut inculquer l’éthique déontologique aux policiers et mieux les contrôler. Mais ils savent déjà parfaitement qu’ils doivent respecter les lois de la République et le code de déontologie. Ils savent aussi qu’ils sont souvent filmés sur la voie publique et cela ne les empêche pas de se laisser aller parfois à des comportements violents comme le rappellent les nombreux vidéos et tweets suite aux dernières manifestations.

Marcel Aiphan@AiphanMarcel

Coups de matraque frénétiques et tir de LBD à bout portant.
La répression qui a dépassé le stade de l’insupportable depuis longtemps s’intensifie encore.
Ce gouvernement est fou.
Ils doivent partir.#greve9janvier #GreveGenerale #Paris #ViolencesPolicieres

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5:50 PM – Jan 9, 2020
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Illégalismes policiers

Les illégalismes ont été définis par Michel Foucault comme étant l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts.

Il précisait que l’illégalisme contient la possibilité d’un respect de la légalité en fonction des circonstances. Cela peut sembler paradoxal mais les spécialistes le savent :

« Clairement et comme le montre les classiques de la sociologie policière, une attitude de conformité stricte aux règles déboucherait inévitablement sur une paralysie de l’ensemble de l’organisation. »

Les magistrats eux-mêmes sont complices de cet état de fait, la procédure pénale s’étant complexifiée à tel point qu’il devient difficile de mener à terme une enquête policière en respectant scrupuleusement les lois et règlements sans risquer un vice de procédure. Jean‑Paul Brodeur, éminent spécialiste de la police, affirmait même que

« la possibilité toujours ouverte de transgresser impunément les lois auxquelles sont soumis les autres citoyens est constitutive de l’idée de police. »

Mimétisme et anomie

Le mimétisme, par exemple, tient une part importante dans les illégalismes policiers. Il s’agit du comportement adopté par les policiers pour mener à bien leurs missions : rouler à grande vitesse pour rattraper un conducteur en fuite, user de la force pour maîtriser un individu violent ou faire usage d’une arme pour neutraliser un terroriste.

Ce qui peut être reconnu comme légal et légitime dans certaines circonstances mais qui contribue à désinhiber les policiers au quotidien.

L’anomie, aussi joue un rôle. Ici, elle est entendue comme l’absence de règles claires. Ce concept peut paraître contradictoire mais puisque les illégalismes sont des tolérances concédées au grès des circonstances, on peut parler d’anomie policière quand certaines règles ne sont plus clairement établies.

S’agissant des contrôles d’identité par exemple : ceux-ci sont très encadrés par la loi mais les policiers sur le terrain s’en affranchissent largement. Et quand ils ont opéré « hors cadre », s’ils découvrent une infraction, ils trouvent alors un motif de contrôle valable a posteriori pour justifier de leur action initiale.

Les habitus enfin, sont les dispositions intériorisées pendant la socialisation dans un milieu et agissent comme une matrice de perception et d’appréciation de l’environnement. Ainsi, dès les premiers jours dans le métier, les anciens incitent les jeunes à oublier ce qu’ils ont appris à l’école de police et les initient à ce qu’il faut faire en fonction de critères qui leur sont propres…

Sur le terrain, les jeunes policiers auraient tendance à vouloir expliquer les raisons de leur contrôle ou de leur intervention auprès des personnes mais les anciens les en dissuade car « les gens n’ont pas à savoir« et/ou « ne peuvent pas comprendre » et puis « on n’a pas à se justifier ».

Dans le film de Ladj Ly, Les Misérables, le policier « Pento » incarne cette figure du policier intègre qui tente de suivre les règles.

Un pas vers la déontique

La frontière est parfois mince entre les illégalismes tolérés et les comportements illégaux de certains policiers. C’est ce qui nous incite à penser que renforcer l’éthique déontologique des policiers ne semble pas pertinent puisqu’il s’agirait de renforcer les textes de lois alors que ceux-ci ne sont déjà pas toujours respectés. Nous suggérons donc qu’il pourrait être plus pertinent de former les agents à la déontique, fondamentalement différente de la déontologie.

La déontique est la science qui étudie les rapports formels qui existent entre des concepts normatifs tels que les obligations, les permissions et les interdictions. On parle même de logique déontique qui, pour être efficiente, articule le temps, l’agent, le droit et les destinataires en s’appuyant sur la mise en œuvre d’un discernement éclairé (ce qui nous intéresse car nous en retrouverons la trace plus loin dans le code de déontologie).

Face à une situation d’urgence, le policier se doit d’intervenir rapidement tout en conciliant le respect des lois en vigueur, ses droits et ses devoirs. Rarement il objective les conséquences éventuelles de son action mais pense uniquement à ce qu’il peut faire dans les temps qui lui sont impartis.

Ensuite, en s’appuyant sur l’éthique des vertus, on pourrait amener les policiers à s’interroger sur la mise en œuvre de comportements personnels où les agents ne se demanderaient plus seulement « Comment faire pour bien faire ? » mais plutôt « Comment être pour bien faire ? ». Car selon John Stuart Mill « ce sont les conséquences pour autrui qui permettent d’évaluer moralement nos actes », et même si la plupart des policiers affirment faire preuve de bonne volonté et agir en conscience, André Comte-Sponville fait remarquer que :

« la bonne volonté n’est pas une garantie ni la bonne conscience une excuse : car la morale ne suffit pas à la vertu, il y faut aussi l’intelligence et la lucidité. »

CRS en position lors des manifestations du 9 janvier 2020, Paris. Bertrand Guay/AFP

Pratiques réflexives

Et c’est justement une des nouveautés qui apparaît dans le dernier code de déontologie de la police et de la gendarmerie (2014) :

« Le policier et le gendarme, dans l’exercice de ses fonctions, font preuve de discernement : il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et des menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu’il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse à apporter. »

On ne parle plus de textes de loi à faire respecter à tout prix, on parle bien de réflexion éthique personnelle à avoir. Mais il faudrait pour cela revoir la formation des policiers car il ne s’agit plus d’imposer des notions de droits rigoristes mais d’amener les agents à réfléchir aux conséquences de leurs actes par la mise en place de pratiques réflexives.

Actuellement il existe des débriefings opérationnels après les opérations ou les manifestations mais ceux-ci ont lieu en groupe et les agents ne sont pas incités à réfléchir individuellement à leurs pratiques, ni à exprimer leur ressenti et/ou prendre en compte les conséquences de leurs actes. Instaurer des pratiques réflexives plus poussées permettrait de changer les mentalités et les modes opératoires.

En effet, il doit être compris que la fin ne saurait justifier les moyens et que la force ne doit rester à la loi que si elle est absolument nécessaire et légitime.

L’enjeu essentiel pour la sécurité du quotidien est de revenir à des comportements personnels vertueux de la part des policiers, basés sur une éthique conséquentialiste, c’est-à-dire, relative à une analyse morale fondée sur les conséquences des actions individuelles ou communes, pour une police au service des citoyens, respectée parce qu’elle est respectable et non parce qu’elle est crainte.


L’auteur a récemment publié « Précis d’éthique et de déontologie dans la police », les Editions du Prévôt, 455 pages, 2019.

Politiques culturelles : comment les maires reprennent la main

11 jeudi Juin 2020

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The Conversation

  1. Fabrice Raffin

    Maître de Conférence à l’Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs fondateurs The Conversation France

 

CC BY ND
A Nantes, les machines de l’ïle rencontrent un grand succès.
 

La culture fait partie des tout premiers postes budgétaires de nombreuses villes de France, mais elle est tout à fait absente des débats de la campagne des élections municipales 2020. Ce phénomène est d’autant plus étrange que de nombreux maires en ont fait le levier majeur de leur action. Cet article revient sur certains enjeux et évolutions des futures politiques culturelles municipales.

Une baisse des budgets relative

Si l’on aime encore en France se référer au ministère de la Culture pour penser les politiques culturelles, il faut d’abord rétablir le fait qu’en termes budgétaires ce sont bien les communes qui en sont l’acteur majeur. Leurs dépenses sont évaluées à près de 9 milliards d’euros quand celles du ministère se situent autour de 6 milliards d’euros. En 2015, la dépense publique culturelle se répartirait « entre les communes (44 %), les groupements de communes (13 %), les départements (11 %), les régions (6 %) et l’État (26 %) », mais serait en baisse.

La tendance serait à la baisse, mais quiconque affirme pouvoir donner le chiffre des dépenses culturelles exact en France prendrait un bien grand risque. D’une part, parce que les dépenses culturelles dans les ministères comme dans les collectivités territoriales sont le fait de nombreux services, culturels bien sûr, mais également, ceux de la jeunesse, des loisirs, du tourisme, parfois des sports et aujourd’hui des « politiques du numérique » qui se voient réattribuer des budgets autrefois culturels. D’autre part, parce que la définition de la culture varie énormément à l’intérieur même des politiques publiques. Entre des définitions artistiques élitistes et des définitions récentes qui puisent plutôt du côté des loisirs ou des droits culturels, le gouffre est immense et brouille toutes les statistiques.

La baisse des dépenses des villes serait donc toute relative, à différencier déjà en ce qui concerne les investissements ou les dépenses de fonctionnement pour lesquels l’Observatoire des politiques culturelles note que « 71 % des villes de plus de 100 000 habitants […] augmentent leurs budgets culturels de fonctionnement entre 2017 et 2018, et 21 % les réduisent ». Plus que d’une baisse, il faudrait plutôt parler d’une stabilisation des dépenses qui s’accompagne d’une réorientation des budgets vers de nouvelles priorités ; nous allons y revenir.

Trois cas de figure nationaux

Au-delà des questions de budget, il faut également distinguer des cas de figure communaux très différents en termes de contexte à l’échelle nationale. On pointera d’abord la situation exceptionnelle de l’Île-de-France avec une dépense culturelle publique sans commune mesure avec le reste du pays.

Le contraste est fort avec la situation des communes rurales et ce que Françoise Nyssen nommait les « zones blanches culturelles » dans son plan « Culture près de chez vous » en 2018. Dans le contexte rural, non seulement l’offre est rare mais les politiques culturelles structurées le sont encore plus. Seules les intercommunalités permettent des actions et la construction d’équipements. Mais au-delà de rares conservatoires, dans cette situation, les salles des fêtes ou les gymnases jouent très souvent le rôle de lieux culturels.

Il existe bien ça et là de grands festivals estivaux, des parcs d’attraction à vocation touristique mais, épars, ils sont plutôt pris en charge par les Départements et les Régions et apparaissent décalés par rapport aux attentes culturelles locales. À l’année, l’offre culturelle se limite bien souvent à une fête de village, aux traditionnels feux d’artifices et repose largement, lorsqu’elle existe, sur le bénévolat des habitants.

Reste la situation des villes françaises hors Ile-de-France et si des nuances importantes existent entre les villes moyennes et les grandes métropoles, entre les centres et les périphéries, c’est bien là que se concentrent les velléités politiques municipales les plus importantes en matière culturelle.


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Dans cette France urbaine, les maires ont érigé la culture en enjeu politique majeur sous deux angles principaux. D’abord, emboîtant le pas des politiques culturelles nationales, ils reposent la question de l’accessibilité des publics et de l’action culturelle. Mais surtout, ils se sont saisis de la culture comme d’un levier à (presque) tout faire des politiques locales, en matière de cohésion sociale, de communication, mais surtout de développement territorial et économique.

« Est bon ce qui se voit » : politiques événementielles et attractivité du territoire

Pour les maires qui se sont ainsi emparés de la culture, « est surtout bon, ce qui se voit ». La tendance spectaculaire qui s’affirme depuis les années 2000, d’abord avec la « festivalisation » des politiques culturelles, chaque ville voulant son festival qui la distingue à l’échelle nationale. Une politique qui se poursuit aujourd’hui vers de nouvelles tendances : à travers la construction d’équipements pensés comme des mises en scène urbaines spectaculaires (Lyon, Marseille, Saint-Étienne, Bordeaux), ou par la multiplication des manifestations dans l’espace public (Nantes, Lille, Dunquerke).

Cette politique événementielle s’accompagne le plus souvent d’un discours sur l’attractivité du territoire et le développement touristique. Le rayonnement culturel nourrit ici l’image dynamique des villes pour attirer des populations jeunes, à fort pouvoir d’achat et des entreprises. On retrouve là la désormais bien connue instrumentalisation de la culture à des fins de développement territorial. Tournée vers l’extérieur, outil de communication nationale, cette politique s’adresse également aux populations locales, moteur de cohésion et de l’identité d’une ville, mais surtout amplificateur de l’action des élus.

Il ne faudrait pas cependant réduire cette tendance au spectaculaire à un simple enjeu électoraliste. D’abord, parce que ces politiques culturelles participent bien depuis 20 ans du réaménagement de nombreux quartiers des villes de France, l’Île de Nantes ou Confluence à Lyon en étant de bons exemples. De plus, parce que si cette politique d’événements permet bien en période d’élection de valoriser un bilan, elle procède également de la volonté de certains élus de sortir d’une offre culturelle classique jugée de plus en plus inadaptée.

Si globalement depuis les années 1970, les villes se sont progressivement équipées et proposent une offre culturelle standard (théâtre, musée, bibliothèque), cette offre ne touche pas l’ensemble des populations. Malgré les efforts réalisés pour la démocratisation culturelle depuis plusieurs décennies, les enquêtes démontrent chaque fois que les théâtres et les musées sont toujours fréquentés par les mêmes milieux sociaux, plutôt diplômés, plutôt d’origine sociale supérieure, plutôt aisés.


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Pour les élus, la politique événementielle vise également de ce point de vue à la prise en compte de la demande de publics plus larges et de sortir à moindres frais d’une situation de saturation et d’essoufflement de l’offre standard, pour des villes qui n’ont plus les moyens d’investir dans des équipements ou des formes culturelles nouvelles.

Droits culturels, tiers lieux, une nouvelle coquille vide ?

Cette perspective événementielle n’est pas sans provoquer un certain malaise parmi les professionnels locaux de la culture. Face à l’évolution de l’offre, leur hégémonie de prescripteur et gestionnaire des équipements est remise en cause. Les budgets peuvent dans certaines villes être réorientés vers des projets plus grand public et il peut leur être demander de participer à ces projets, selon des thématiques à l’année. Et de voir certains professionnels dénoncer une politique tape-à-l’œil, l’abandon de l’action artistique au profit de l’animation, ainsi que le passage à une politique de financement par projet aux dépens d’un accompagnement et des subventions étatiques. La situation devient d’autant plus problématique que d’un autre côté les acteurs traditionnels se voient débordés également par une autre tendance qui ne cesse de s’amplifier, fondée sur le concept de droit culturel.

Si l’accès à la culture a toujours été le moteur et la légitimité première de l’action publique culturelle et des professionnels, aujourd’hui un déplacement s’opère de la question de l’œuvre vers celles des pratiques contemporaines et d’autres manières de vivre la culture.

Plus que l’accès aux œuvres ou l’éducation artistique, les droits culturels orientent l’action publique vers l’expression de la diversité des pratiques dans toutes les catégories de la population. Cette notion s’incarne également dans de nouveaux équipements, les tiers lieux culturels.

Ces nouvelles politiques tentent également de dépasser les segmentations entre disciplines artistiques et secteurs de l’action publique, rapprochant par exemple l’artistique du numérique et de l’économique. Se voulant moins élitistes, elles sont supposées reconnaître des pratiques jusque là non prises en compte par l’action publique, se voulant plus proches des habitants en réinscrivant la culture dans un temps quotidien entre le travail et le domicile.

Mais la représentativité de ces nouvelles orientations des droits culturels reste à nuancer. Leur mise en œuvre reste rare dans les communes car méconnue des élus. La notion de tiers lieux à laquelle sont associés les droits culturels apparaît dans certaines villes comme la solution fourre-tout à ces demandes locales. Elle vient rejoindre le cortège de concepts flous qui suivent les modes, comme les friches culturelles des années 2000, les lieux intermédiaires et autres fab labs sous toutes leurs déclinaisons…

Enfin, ces pratiques – pour certaines réellement en phase avec des diversités d’attentes moins prestigieuses que l’offre traditionnelle – sont surtout caractérisées par une culture du sous-financement, comme si populaire rimait nécessairement avec précaire.

Malgré les évolutions réelles pointées ici et la bonne volonté de certains maires, les dépenses de fonctionnement de l’offre culturelle dominent toujours dans les financements municipaux. Les marges de manœuvre sont étroites pour les élus les plus ouverts, et le deviendront certainement davantage après la crise sanitaire que nous venons de connaître.

Lutte contre le Covid-19 : les limites des comparaisons internationales

10 mercredi Juin 2020

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The Conversation

 

La chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse sur la pandémie de Covid-19, le 18 mai 2020. Kay Nietfeld / POOL / AFP

Lutte contre le Covid-19 : les limites des comparaisons internationales

7 juin 2020, 20:27 CEST

Auteur

  1. Henri Leridon

    Chercheur émérite, Institut National d’Études Démographiques (INED)

Institut National d'Études Démographiques (INED)

 

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Pour évaluer la qualité de la réponse à la pandémie de Covid-19, il est tentant de comparer les situations d’un pays à l’autre. Mais cette approche peut mener à des erreurs d’interprétation.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses statistiques comparatives entre pays ont été publiées et analysées. On en tire des interprétations portant sur l’état du système hospitalier, l’efficacité des politiques mises en œuvre, la plus ou moins grande réactivité des gouvernements, les caractéristiques comportementales des populations touchées par l’épidémie, etc.

Nous allons montrer ici que ces comparaisons ne sont pas toujours pertinentes. Pour maintenir le suspense, nous ne donnerons pas immédiatement le nom du pays concerné : nous l’appellerons « l’entité », et nous le comparerons à la France. En route.

Deux à quatre fois moins de décès que la France

L’entité géographique en question se situe en Europe et compte un peu plus de 19 millions d’habitants. Soit davantage que les Pays-Bas, deux fois plus que la Suède ou l’Autriche, et entre trois et quatre fois plus que le Danemark ou la Norvège.

Au 22 avril, soit une à deux semaines après le pic des hospitalisations, des réanimations et des décès dans notre pays, le nombre de cas confirmés était de 81 pour 100 000 habitants. À la même date, on dénombrait alors 184 cas confirmés pour 100 000 habitants en France métropolitaine.

Le taux des hospitalisations en cours dans l’entité était à cette période de 14,9 pour 100 000 habitants, contre 45,8 pour 100 000 habitants en France métropolitaine. Celui des réanimations s’établissait respectivement à 2,9 et 8,0 tandis que le cumul des décès à l’hôpital était respectivement de 5,6 et 20,3 pour 100 000 habitants.

L’entité dont il est question a donc fait deux à quatre fois mieux que la France, dans tous les domaines. Si l’on compare avec des pays souvent cités en exemple, comme l’Allemagne ou la Suède, le bilan au 15 mai dernier en termes de mortalité s’établissait à 42,3 décès pour 100 000 habitants en France, 35,8 en Suède et 9,5 en Allemagne. Pour notre entité, ce taux était alors d’environ 12 pour 100 000. Un chiffre à peine supérieur donc à celui de l’Allemagne, et nettement en dessous de celui de la Suède.

Comparaison n’est pas raison

Faut-il invoquer, pour expliquer la bonne performance de notre entité par rapport à la France, une meilleure structure hospitalière, une moindre réduction des dépenses hospitalières au cours des dernières décennies ? Une gouvernance politique plus efficace ? Une attitude plus disciplinée des habitants ?

Non. Sur tous ces plans, la situation est en réalité très comparable entre notre entité et la France. Et pour cause : l’entité mystère se situe en France !

Covid-19 : Taux d’hospitalisations en cours au 22-04-2020 en France, par région. Santé publique France, Author provided

Covid 19 : Taux de réanimations en cours au 22-04-2020 en France, par région. Santé publique France, Author provided

Elle est constituée de l’ensemble de quatre régions, Bretagne, Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, dont on sait qu’elles ont été beaucoup moins affectées par le virus que le reste du pays, comme le révèlent les deux cartes ci-contre.

Soulignons ici que les données de mortalité disponibles dans les régions françaises restent limitées aux cas constatés dans les hôpitaux et non en Ehpad, comme c’était aussi le cas pour la France entière jusqu’au 30 avril.

Pour estimer le taux de mortalité global dans notre entité géographique mystère, nous avons appliqué au taux « France entière » le rapport des mortalités hospitalières obtenu le 22 avril entre les 4 régions et la France entière. Nos données proviennent de Santé publique France, des ARS des quatre régions, et du site Open Stats Coronavirus.

De l’importance de l’information

On peut déduire de cet exemple que les comparaisons géographiques basées sur les frontières nationales ne sont pas toujours pertinentes, et surtout que les comparaisons interétatiques oublient un élément essentiel : la variabilité du taux initial de contaminations, qui est en partie aléatoire. Or un faible nombre de cas initiaux, ou leur étalement dans le temps, permet de réagir plus efficacement, en traitant toutes les chaînes de contamination. Ce qui devient impossible à partir d’un certain seuil de diffusion.

Cela met aussi en évidence l’avantage d’une bonne information. Il est plus facile de réagir lorsqu’on ne fait pas partie des premières régions contaminées, et que l’on peut tirer des enseignements de ce qui arrive à nos voisins. À condition – bien sûr – de réagir rapidement à cette information, et de disposer des outils nécessaires : tests, protections…

Reprenons les exemples de l’Allemagne et de la Suède, souvent cités comme modèles. Outre-Rhin, l’épidémie a démarré environ une semaine après son début en France, tandis que la Suède était touchée avec deux semaines de décalage par rapport à notre pays, lequel avait lui-même suivi l’Italie d’une dizaine de jours. L’Allemagne et la Suède ont donc bénéficié de davantage de temps pour réagir.

Certes, le délai n’est qu’un facteur parmi d’autres qui devraient sûrement aussi être pris en compte. On pense notamment à l’existence de grandes étendues urbaines, ou à celle de flux touristiques importants.

Certains événements « malchanceux » peuvent aussi accélérer les choses. C’est par exemple le cas désormais célèbre de la réunion évangélique qui s’est tenue fin février à Mulhouse. On sait aujourd’hui que ce type de rassemblement favorise la contamination de ceux qui y assistent. Partis d’Alsace, les participants ont ensuite répandu le coronavirus dans diverses régions. Sans cette manifestation, l’histoire de l’épidémie en France aurait peut-être été différente…

Visiter à distance : quelle expérience du musée dans le monde d’après ?

10 mercredi Juin 2020

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The Conversation

  1. Gaëlle Crenn

    Maitre de conférence Info-Com, CREM, IUT Nancy Charlemagne, Université de Lorraine

 

Partenaires

Université de Lorraine

 

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Un drakkar devant le British Museum, à l’occasion du film Vikings: Live from the British Museum. Capture d’écran

La crise sanitaire a produit un effet paradoxal sur la sphère muséale : on s’est d’autant plus mis à parler des musées qu’ils étaient devenus inaccessibles. Des commentaires spontanés se sont multipliés, entre témoignage d’inquiétude et désir de réinvention. Comme le souligne Joëlle le Marec les perceptions de la situation par les personnels, les difficultés qu’ils ont pu rencontrer ont été bien peu mentionnées, en comparaison du déversement des offres nouvelles de contenus proposées par les musées, dans le but que les visites « virtuelles » prennent le relais, pour un temps, des visites « réelles ».

Visites à distance mais bien réelles

En fait, ces deux adjectifs, « réel » et « virtuel », sont utilisés par facilité de langage. L’activité qui consiste à naviguer sur les contenus multimédias d’un site Internet ou d’une application mobile ne sont en rien, du point de vue de l’expérience vécue, une activité moins réelle que celle qu’aurait la même personne si elle se rendait dans un musée pour en visiter les salles. Elles seront d’ailleurs tout également réelles parce qu’elles auront été réalisées, tandis que le qualificatif « virtuel » renvoie à l’idée d’une potentialité, non encore développée. Quant à la visite dite « virtuelle », elle désigne un mode d’expérience où c’est par l’intermédiaire de technologies médiatiques (films, reconstitutions 3D interactives, etc.), que nous explorons des espaces virtuellement recréés. Comme pour le cas de l’enseignement, il s’agit plutôt d’articuler deux modalités de l’expérience, qui diffèrent sur le plan du maintien d’une présence physique dans l’espace et de l’usage de dispositifs de télécommunication : la visite « en présence » et « à distance ».

Pour les musées, dont la justification sociale se fonde sur la promesse d’une rencontre, d’une mise en présence avec des objets authentiques du patrimoine, la fermeture des galeries muséales représente un défi sérieux. La crise du Covid prive les publics d’un accès physique aux objets de son patrimoine, et menace en conséquence la légitimité de l’institution. Les offres de visite « à distance » apparaissent alors comme des moyens alternatifs d’accès pour les publics, indispensables pour préserver la légitimité sociale des musées.

Dans la mesure où la perspective d’un retour à la « normale » n’est pas garant, il devient intéressant de se pencher sur l’expérience que constitue la visite à distance : en quoi transforme-t-elle l’expérience du musée ? Par rapport à la visite « en présence », quelles sont les dimensions de la « visite » qui sont affectées ?

Les musées face aux défis de la visite à distance

Notons tout d’abord que le phénomène n’est pas si nouveau. Les musées ont commencé à exploiter depuis quelques années déjà les technologies de communication pour accroître leur portée en proposant des modes variés de visite « à distance ». Les diverses tentatives ont en commun de chercher à retrouver par les dispositifs techniques les qualités de la visite « en présence ». Le British Museum réalise en 2015 une visite en direct de l’exposition « Defining Beauty. The Body in Ancient Greek Art » sur Périscope. Tandis qu’un journaliste guide la visite, un médiateur se charge de collecter et transmettre les questions des internautes, qui sont relayées en temps réel au commissaire. Selon le British Museum, l’immédiateté et l’intimité du média sont propices à procurer le sentiment de visiter « ensemble » l’exposition et d’approcher les chefs-d’œuvre « comme si on y était ».

Depuis 2007, les visites virtuelles immersives rendues possibles par Google dans le Google Art Project (devenu depuis Google Art et Culture](https://artsandculture.google.com/partner?hl=fr) donnent aux internautes l’impression de parcourir à leur guise les espaces d’exposition, de se déplacer dans un parcours, et de choisir les œuvres qu’ils veulent approcher. Des zooms et des informations permettent, selon les besoins, d’accéder alors à des interprétations fournies.

Dès 2012, à l’occasion de l’exposition « Bohèmes » au Grand Palais, la Réunion des Musées Nationaux propose une visite guidée virtuelle dans un environnement immersif interactif, animé de la présence d’un guide. Le ou la guide apparaît à certains points en 3D dans l’espace virtuel interactif que parcourt l’internaute ; cette insertion insuffle de l’interactivité et redonne à la médiation une dimension humaine.

Quant au Musée du Prado, s’il a mis en avant pendant le confinement les séquences d’interprétation des salles par les conservateurs, filmées in situ (mais essentiellement en espagnol), il ne fait que prolonger des initiatives mises en place depuis 2009.

Visiter une exposition… au cinéma

Le cas des films d’exposition, dans lesquels les expositions sont captées exclusivement pour la diffusion cinéma, offre un autre exemple. Ces « expositions filmées » (ou « visite filmée d’exposition », ou encore « documentaire de l’exposition ») procurent à certains publics éloignés un substitut de visite à distance, et permettent aux concepteurs (musées ou compagnies de production spécialisées) d’exploiter leur produit culturel au-delà de sa durée de vie au musée. L’événementialisation de la sphère culturelle (avec le développement des expositions temporaires) se double ici d’une industrialisation culturelle (par la production de produits dérivés tirés de ces expositions).


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Dans le cas de ces « hybrides transmédiatiques », le film devient intégralement un moyen de médiation de l’exposition. Des choix filmiques dépendra une certaine façon de voir les œuvres et de comprendre l’exposition. Point de vue, angles, montage, réalisation, ajout de commentaires, choix des médiateurs présents à l’écran, composent un système de filtres à travers lequel les spectateurs découvrent l’exposition. Guidant, orientant et prescrivant l’activité d’interprétation du spectateur, le film en devient le moyen d’accès et d’appropriation. Nous posons l’hypothèse que, comme pour les autres dispositifs, le film d’exposition cherche à redonner l’impression de visiter en vrai les espaces, de déambuler, d’interagir avec des médiateurs, mais aussi qu’ils tentent de transmettre l’impression de s’approcher des œuvres et de ressentir l’effet qu’elles produisent. Il s’agirait en fait de transformer le spectateur en « visiteur virtuel » en lui donnant l’impression, par les choix filmiques, de se projeter depuis sa place au cinéma dans l’espace virtuel de l’exposition.

Une analyse de films d’expositions diffusés en 2015 dans les multiplexes Kinépolis, réseau implanté dans l’Est dans le France, a montré que deux modèles distincts de médiation se dégageaient des différentes productions proposées.

Dans les productions d’Exhibition on Screen (EOS) diffusées en salles depuis 2015 (« Vermeer et la musique », « Rembrandt », « Les impressionnistes », « Van Gogh : un nouveau regard »), la façon de filmer, le choix des médiateurs et leurs commentaires favorisent une vision légitimiste de la culture : il s’agit avant tout de favoriser l’acculturation aux grands œuvres, par la mise en scène de paroles d’experts incrustées en « capsules » pour exalter les travaux scientifiques. La caméra est l’instrument d’une couverture systématique et linéaire du contenu des expositions, auquel le spectateur semble faire face.


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À l’opposé, dans le film « David Bowie is » (Victoria and Albert Museum), « exposition filmée » accompagnant l’arrivée de l’exposition éponyme à la Philharmonie de Paris, le film intègre des commentaires d’experts du musée, mais aussi de visiteurs filmés dans l’exposition, ce qui favorise une identification des spectateurs aux visiteurs montrés à l’écran. Les principaux médiateurs sont deux jeunes conservateurs de l’exposition – un homme et une femme), qui détaillent les choix scénographiques retenus dans les différentes sections de l’exposition. La façon de filmer dynamise le rapport aux pièces présentées, et rend perceptibles l’effet sensible des dispositifs de l’exposition. Par exemple, l’effet d’entraînement des corps dans la danse aux stations d’écoute musicale de l’exposition est rendu par des mouvements de caméra, des gros plans envahissant toute la taille de l’écran, au point que, même dans son siège au cinéma, il devient impossible de s’empêcher de danser !


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Aussi le film parvient-il à immerger le spectateur dans l’exposition, lui faisant accéder à une position de « visiteur virtuel ». Ce film représente une proposition alternative, à nos yeux plus stimulante, d’exploitation des potentialités du médium filmique pour la médiation des expositions « à distance ».

Un nouveau chantier de recherche

À l’instar des films d’exposition, les dispositifs de visite à distance mis en œuvre par les musées ouvrent un chantier de recherche intéressant pour les temps à venir : en quoi les modalités de l’expérience de visite « à distance » transforment-elles les relations entre visiteurs et contenus ? Quels sont les dispositifs les mieux à même de favoriser l’accès à la culture ? Quelles sont, enfin, les options qui permettent d’en faire des moyens d’empowerment des visiteurs, c’est-à-dire des ressources mobilisables, en toute autonomie, en vue d’une exploration émancipatrice de contenus culturels toujours plus nombreux ?

Penser l’après : Le confinement, un rite de passage ?

09 mardi Juin 2020

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The Conversation

 

  1. Vanessa Oltra

    Maître de conférences en économie, auteure et conférencière, Université de Bordeaux

  2. Gregory Michel

    Professeur de Psychologie Clinique et de Psychopathologie, Université de Bordeaux, Auteur et Conférencier, Université de Bordeaux

Université de Bordeaux

 

CC BY ND
Joseph Mallord William Turner, Landscape with a River and a Bay in the Background Wikipédia
 

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.


Nous sommes plus de trois milliards de personnes à être confinées en ce moment, soit la moitié de la population mondiale. Face au caractère inédit de la situation, il est tentant de croire qu’un changement fort adviendra « après » la crise. Mais sortirons-nous vraiment transformés par cette épreuve ? À quoi ressemblera « l’après » ?

Si l’incertitude règne en ce temps de confinement mondial, elle semble en effet coexister avec la croyance, partagée par un grand nombre, que le monde ne sera plus le même après cette catastrophe sanitaire. Une croyance qui semble davantage reposer sur un vœu pieux, celui que nous ne puissions pas revenir à l’état antérieur, à ce qui constituait notre normalité, une normalité qui portait déjà en elle les germes de la catastrophe (mondialisation effrénée non réglementée, désengagement de l’État, baisse des dépenses publiques de santé…). Cette croyance renvoie également à une forme de bon sens : si c’est de cette « normalité » que la catastrophe a émergé, il n’est pas concevable d’y revenir.

Mais qu’en est-il vraiment de notre capacité à changer durablement, individuellement et collectivement, nos comportements et nos modes de vie ? Sommes-nous dépendants des lois de l’homéostasie – phénomène selon lequel la pression interne du biologique ou externe du système nous contraint à la stabilité, à l’équilibre, le plus souvent au travers d’un retour à un état antérieur ? La pandémie qui sévit pourrait-elle, au contraire, marquer une bifurcation radicale de notre système et conduire à un changement de paradigme ? Pouvons-nous identifier in vivo ce qui pourrait constituer les conditions favorables à une bifurcation effective, pour reprendre la terminologie de la théorie des catastrophes du mathématicien René Thom, de notre système et de notre trajectoire de développement ? Un tel changement peut-il s’opérer dans un contexte d’incertitude radicale, sans connaissance de la destination, ni feuille de route ? Telles sont les questions auxquelles nous tentons d’apporter un éclairage dans cet article en mobilisant le concept anthropologique de liminarité (ou liminalité).

Edgar Morin@edgarmorinparis

Ce monde n’est pas fini, il va gigoter encore; apres le confinement un boom économique provisoire le rassurera
Seule un nouveau mouvement citoyen animé par une pensée forte et une conscience lucide pourra ouvrir le chemin d’un monde nouveau.

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1:40 PM – Mar 26, 2020
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« Je ne peins pas l’être, je peins le passage » : les trois étapes des rites de passage

Pour faire face à la catastrophe, l’humanité est invitée à « rester à la maison », à pratiquer la distanciation sociale et à se confiner. Cet état de confinement général nous place dans une situation singulière dans laquelle nous sommes amenés à stopper nos déplacements, nos interactions sociales et nos routines quotidiennes, sans pour autant cesser de travailler et de nous mobiliser. Ce confinement, présenté comme un acte civique, nous place dans un état intermédiaire entre la pause et l’agitation, un entre-deux inconfortable dans lequel nos repères sont balayés à l’intérieur même de notre « chez-soi ». Cet entre-deux, cet état de marge n’est pas sans rappeler les états liminaires identifiés en anthropologie comme l’étape essentielle et fondatrice des rites de passage.

Coucher de soleil écarlate, Turner. Wikipedia

Dans ses travaux pionniers sur les rites de passage, l’anthropologue français Arnold Van Gennep identifie trois phases : la phase de séparation durant laquelle l’individu est disjoint de son environnement et de son flot d’activités quotidiennes ; la phase de liminarité (du latin limen qui signifie le seuil), aussi appelée période de marge, qui est la phase de transition durant laquelle l’individu se trouve entre deux états ou statuts ; et la phase d’incorporation qui marque la réintégration de l’individu dans son environnement avec un statut, une identité et un état modifiés.

Les trois étapes des rites de passage selon Van Gennep.

C’est dans la phase de liminarité que se mettent en place les processus de déstructuration, de remise en question des normes, des repères, des valeurs et de l’identité (sociale, familiale, professionnelle…), mais aussi et surtout d’ouverture et de transformation de l’individu, ou d’un groupe d’individus, pour les conduire à un état modifié plus mature. Dans les années 60, l’anthropologue britannique Victor Turner reprend les travaux d’Arnold Van Gennep et approfondit le concept de liminarité en étudiant comment l’expérience, au sens phénoménologique du terme, et la personnalité des individus peuvent être modifiées par la liminarité et par l’intégration de cette expérience. Turner (1982) suggère que la phase de liminarité peut être vue comme une sorte de « limbe social » qui combine des attributs de l’état initial et final (c.-à-d., avant et après le rite), et qui est essentielle pour développer une compréhension plus nuancée des deux états. Il les qualifie d’espaces d’expérimentation et de jeu (« daring microspaces ») dans lesquels les individus peuvent recombiner leurs savoirs et leurs pratiques, renégocier leurs identités, réinterroger leurs valeurs et leurs croyances.

C’est parce que cette phase crée les conditions d’un changement profond et durable que le concept de liminarité est également repris, depuis une dizaine d’années, dans plusieurs disciplines. Dans le domaine du management et des organisations, il est utilisé pour étudier les modes de changement et les processus d’adaptation des organisations et/ou des individus au sein des organisations. En psychologie, la liminarité est appliquée dans le champ de l’adolescence, plus précisément aux processus de la séparation (c.-à-d., séparation du monde de l’enfance, phase d’immaturité) et de l’individuation (c.-à-d., intégration au monde de l’adulte, phase de maturité), ainsi que dans le champ de la formation de l’identité. Auprès de personnes ayant vécu un traumatisme, la phase liminaire peut également être travaillée comme une phase de transition nécessaire à la reconstruction psychique de soi ainsi qu’à la réinsertion sociale.

Un espace possible de liminarité et de réflexivité

Aussi, en quoi ce concept de liminarité peut-il nous éclairer sur ce que nous sommes en train de vivre et les potentialités d’un changement durable de nos modes de vie et de développement ? Cette situation de confinement mondial présente-t-elle des caractéristiques de liminarité ? Le cas échéant, cette expérience collective de liminarité pourrait-elle nous faire « grandir » et sortir de nos comportements à risques (économiques, écologiques, sanitaires…) d’une humanité « adolescente » en quête de sens et d’identité ? Pourrions-nous faire de ce que nous vivons un rite de passage plutôt qu’une tragédie du déclin ?

Difficile de répondre à ces questions, alors même que nous sommes au cœur de la crise et que nous ne disposons pas du recul suffisant. Pour autant, il nous semble nécessaire de ne pas attendre « l’après » pour le penser et tenter d’identifier dans ce que nous vivons, à la fois les leviers de changement et de créativité, ainsi que les forces d’inertie qui pourraient nous conduire à ne pas apprendre de notre expérience collective. C’est sur ces points que le concept de liminarité peut être éclairant.

La distanciation sociale et le confinement nous placent, vus sous l’angle des rites de passage, dans un état qui présente des caractéristiques de liminarité : séparation de notre communauté sociale, état transitoire de pertes de repères et d’anxiété, espace entre-deux qui conjugue des éléments inédits et familiers (c.-à-d., séparation de l’environnement habituel de travail/poursuite de l’activité professionnelle dans l’espace familier du « chez-soi »), remise en question de nos représentations, normes sociales et valeurs (recentrage sur les valeurs essentielles, notamment familiales).

Tout comme dans les rites de passage, la liminarité créé ici des conditions d’interruption de nos routines et pratiques quotidiennes, d’exploration et d’expérimentation hors cadres professionnel et social usuels (ex : télétravail, réunions par visioconférence, moments de convivialité à distance…), nous invitant à adopter de nouvelles règles et normes (ne plus s’embrasser ou se serrer la main, se parler en gardant une distance de sécurité, utiliser un masque de protection qui dissimule notre visage…), à réinterroger nos représentations, notre rapport au temps et notre identité. Cette dimension d’être « hors » est fondamentale à la liminarité et nous renvoie à la problématique même de l’existence, dont l’étymologie latine existere ou exsistere signifie « sortir de, s’élever de ».

C’est pourquoi Turner étend l’utilisation du concept aux situations qui constituent ce qu’il appelle le « drame social dans lequel le cours ordinaire de la vie est suspendu ». Le drame social, tel que celui que nous vivons aujourd’hui, met en évidence la dimension de destruction créatrice de la liminarité. Un état qui incite à la réflexion et à la réflexivité, à une quête de sens dont attestent les nombreux témoignages sur les réseaux sociaux et la multiplication des journaux de confinement.

Identifier les conditions d’un changement durable et incorporé

Si l’analogie avec la liminarité est parlante sur certains points, elle demeure néanmoins incomplète et problématique sur trois points essentiels.

En premier lieu, contrairement aux rites dans lesquels séparation et liminarité ont vocation à effacer les inégalités pour ramener l’individu à sa condition humaine et communautaire, notre expérience du confinement exacerbe les inégalités sociales. Si l’épidémie semble toucher tout le monde, indépendamment des classes sociales (avec toutefois une mortalité bien plus forte pour les plus fragiles et les plus démunis), tous les individus ne bénéficient pas des mêmes conditions de confinement et des mêmes dispositions et dispositifs pour développer des stratégies d’évitement des risques et en minorer les conséquences. Cette épidémie nous renvoie bien à notre destin commun d’espèce humaine en danger, mais elle met aussi en lumières de façon criante, et souvent insupportable, les inégalités sociales, au risque de nous diviser, de nous désunir et d’entraver ainsi le processus de changement collectif.

Tout l’enjeu est alors de définir des « communs », en termes de valeurs, d’identités et de principes éthiques et moraux pour faire primer l’esprit collectif, réduire les inégalités sociales et restaurer notre sentiment d’appartenance à une communauté humaine. Un esprit de communauté d’autant plus difficile à développer que nous sommes appelés à nous éloigner les uns des autres, et à voir l’autre comme une source potentielle de danger pour notre santé.

En second lieu, si la question du sens et de l’identité est fondamentale dans la liminarité des rites de passage, elle se pose aujourd’hui dans des conditions très spécifiques. En effet, le caractère inédit de la situation ainsi que l’ampleur et la gravité de la crise nous invitent à une réflexion et une remise en question profonde de nos modes de vie et de nos valeurs, mais sans que le sens ne nous soit donné ou incarné par l’institution ou l’autorité qui nous a placés en état de marge. En d’autres termes, ni le sens ni la destination (ou l’état final après ledit changement) ne sont donnés, ni même déterminés par le politique, ce qui constitue une différence fondamentale par rapport aux rites de passage institués.

Si le confinement est présenté comme l’unique moyen de lutter contre la pandémie, son sens ne s’arrête évidemment pas là… C’est avant tout un moyen de pallier les inefficiences de notre système de santé et de notre modèle économique (des dizaines de milliers de lits d’hôpitaux supprimés ces vingt dernières années, insuffisance des stocks de masques et de respirateurs, manque d’anticipation et de préparation à la gestion d’une pandémie, etc.). Si l’Homo œconomicus, figure emblématique de la théorie économique rationaliste, semble fortement contraint par ce confinement, force est de constater que c’est surtout de sa santé économique future que l’on s’inquiète, en se demandant quand et comment il pourra se remettre au travail « as usual », afin d’éviter l’effondrement de nos économies. Or ce sont bien le sens, les valeurs morales et l’identité de cet Homo œconomicus qui doivent être remis en cause pour construire un nouvel ordre économique et social qui place la santé de tous au cœur de ses priorités. Une économie au service de la santé de tous, et non une santé au service de l’économie, qui soit aussi une économie du temps long et de la prudence (la prudence étant définie par le père de l’économie politique Adam Smith comme l’une des vertus morales essentielles à l’humanité).

Un moment-clé

La question du cadre et des fonctions symboliques, essentielle dans les phases de liminarité des rites de passage, demeure également très floue. Existe-t-il véritablement un cadre pour cette expérience de confinement au-delà des interdictions, des autorisations et des sanctions imposées par les États ? Quelles sont les valeurs transmises ? Par qui et comment sont-elles incarnées et supervisées ? Autant de points déterminants des processus de changement et de transformation à l’œuvre dans la phase liminaire qui restent ici en suspens.

Joseph Mallord William Turner, Norham Castle, Sunrise, c. 1845. Tate

La mise en scène médiatique et politique qui repose sur les ressorts tragiques du catastrophisme et la rhétorique guerrière, sont-ils les plus adaptés pour nous conduire vers un changement collectif et des comportements plus responsables ? Certainement pas. Lors de son allocution du 13 avril, le Président Emmanuel Macron a changé de ton, en tentant d’esquisser un cadre et d’incarner un changement de cap, en se référant notamment à « l’utilité commune » et à un « monde d’après bâti sur les principes de justice sociale et de solidarité ». Mais ce cadre doit s’incarner concrètement dès à présent, dans cette phase liminaire, se traduire par des actes et des décisions collectives, pour restaurer la confiance de tous dans l’avenir, dans le progrès et dans nos institutions, une confiance indispensable pour construire ensemble et s’engager dans ce monde d’après. À cet égard, l’intérêt collectif et le bien commun devraient, par exemple, s’appliquer dès à présent dans la recherche scientifique et médicale sur le Covid-19, en donnant lieu à une mutualisation mondiale des connaissances et une coopération internationale sans précédent, en rupture totale avec l’habituelle course aux brevets.

En conclusion, le concept anthropologique de liminarité apparaît comme une heuristique pertinente et un concept fécond pour appréhender la crise que nous traversons, en termes de transition et de changement. Cette approche par la liminarité est également proposée par l’anthropologue danois Bjørn Thomassen qui, dans son livre Liminality and the Modern (2014), l’applique à la société entière pour étudier les périodes de transitions et de changements historiques suite à des révolutions, des guerres, des catastrophes naturelles ou encore économiques et politiques. Thomassen identifie trois niveaux de l’expérience liminaire : le niveau de l’individu, de la communauté et de la société ; qu’il met en lien avec trois types de durée, à savoir moment, période, époque.

Sur le plan sociétal, Thomassen montre que la liminarité permet d’appréhender les transitions, au niveau macro et micro, en mettant l’humain au centre de la transformation. La liminarité se présente alors comme un moment clé où il nous faut démasquer le poids de l’idéologie et reconstruire notre éthique et les fondements moraux de notre société.

Quelle guidance ?

Toutefois, cette phase de liminarité est aussi à appréhender avec la plus grande prudence, en particulier la question de sa sortie. Les rites de passage ont toujours un « maître de cérémonie » qui assure une certaine guidance et les individus connaissent leur « destination », en lien avec leur processus de développement et de maturité. Comme le souligne Thomassen, l’incertitude et le chaos des phases liminaires sont autant source d’espoirs que de dangers, permettant éventuellement à certains « illégitimes » de s’autoproclamer maîtres de cérémonie.

Cette crise nous révèle que seuls les États peuvent gérer une crise d’une telle ampleur et garantir l’intérêt public, et qu’une nouvelle forme de solidarité et de coopération internationale est nécessaire pour affronter et prévenir ces risques et ces crises mondiales. Une solidarité internationale qui peine à se mettre en place et dont les rares instances, en particulier l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations Unies (ONU), ne parviennent à s’imposer dans la gestion de crise. L’OMS, créée suite à la pandémie de grippe espagnole, semble au contraire menacée par la récente annonce de Donald Trump de suspendre la contribution américaine. L’ONU, quant a elle, met en garde contre de nombreux dangers liés à la pandémie, notamment le risque d’une régression des droits humains (certains États pourraient profiter de la pandémie du Covid-19 pour réduire les droits de l’homme)

Au final, la question de la sortie de la liminarité et, pour reprendre la terminologie des rites de passage, de la réintégration dans un nouvel état plus mature du monde, ne se résume pas au seul déconfinement, à la découverte d’un vaccin, ni même à la fin de cette pandémie du Covid-19. L’enjeu du passage est de nous laisser transformer, individuellement et collectivement, par la liminarité, d’en tirer tous les enseignements pour nous redéfinir et mettre en œuvre un nouvel ordre, un autre modèle économique et social, capable d’anticiper et de gérer les risques économiques, sociaux, sanitaires et écologiques générés par le monde d’avant. Et si nous ne savons pas quand et comment aura lieu « l’après », il est certain qu’il se préfigure dans le présent.

« Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept ans en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourrai tantôt changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention : c’est un contrôle de divers et muables accidents, et d’imaginations irrésolues, et quand il y échoit, contraires : soit que je sois autre moi-même, soit que je saisisse les sujets par autres circonstances, et considérations. » (Montaigne, Essais III, II, « Du repentir »)

Panser l’après : vers un monde habitable et désirable

09 mardi Juin 2020

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The Conversation

  1. Anne Alombert

    Doctorante en philosophie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

 

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Université Paris Nanterre

 

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Paul Klee, Château et soleil, 1928. Wikiart

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après. Nous publions aujourd’hui le dernier « long format » de cette série, à retrouver dans son intégralité ici.


Alors que s’amorce, en France, la phase 2 du déconfinement, et après avoir pensé l’après, il nous faut panser le présent : prendre soin du monde qui vient, pour qu’il ne redevienne pas le « monde d’avant ».

En effet, la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur : non seulement de la fragilité de la vie humaine, que l’idéologie transhumaniste prétendait immortelle, mais aussi de la nécessité des systèmes sociaux et de la recherche fondamentale, que le système néolibéral croyait superficielle, et enfin des menaces que fait peser sur l’espèce humaine tout entière un développement techno-économique qui touche désormais ses limites à l’échelle planétaire.

Alors qu’une crise économique majeure semble se profiler et venir s’ajouter à la catastrophe écologique en cours depuis de nombreuses années, les géants du web profitent de l’allié objectif que constitue le virus pour accélérer le rythme de leurs activités disruptives, dans un monde promis à être de plus en plus soumis à ce type de crise.

Alors que la fortune de Jeff Bezos (patron d’Amazon) a considérablement augmenté depuis le mois de janvier (apparemment en dépit du droit du travail et de la protection de la santé des employés), l’application de visioconférences Zoom a vu son volume quotidien de téléchargements exploser passant en trois mois de 10 millions à 200 millions d’utilisateurs quotidiens. Pendant ce temps Facebook envisage un accord avec le système de santé publique au Royaume-Uni pour distribuer ses cadres photos connectés dans les maisons de retraite isolées, et Palantir Technologies, start-up fondée en 2004 par Peter Thiel (cofondateur de PayPal et conseiller de Donald Trump) entre en pourparlers avec les pays européens pour leur fournir des outils d’analyse de données permettant de tracer la propagation du virus parmi les citoyens. « Screen new deal » et économie des données semblent ainsi court-circuiter Green New Deal et économie décarbonée.


À lire aussi : Des Grecs au transhumanisme, l’idée d’immortalité comme symptôme de notre humanité


Dans un tel contexte, la possibilité même de panser l’après semble compromise. Au contraire, toutes les menaces contenues dans l’avant semblent s’accélérer : alors que les risques pandémiques de l’Anthropocène se sont vus confirmés (la propagation des virus au sein de l’espèce humaine étant directement liée aux perturbations des écosystèmes), les risques liés à la « gouvernementalité algorithmique » tendent à se multiplier.

Accostage miraculeux,1920, par Paul Klee, Wikiart

Au moment même où les hommes réalisent de manière plus ou moins consciente les dangers auxquels ils sont désormais confrontés, « stratégie du choc » et « solutionnisme technologique » se combinent pour réaliser de manière performative le devenir numérique de sociétés de plus en plus automatisées et connectées.

Le devenir numérique, un devenir entropique ?

Mais un tel devenir est-il encore porteur d’avenir ? Un capitalisme de plate-forme fondé sur l’extraction de valeur déterritorialisée et la monétisation de toutes les sphères de l’existence peut-il s’exercer durablement selon les seules lois du marché ? Ne risque-t-il pas ainsi, indépendamment de tous les dangers qu’il pourrait provoquer, de détruire ses conditions mêmes de possibilités ? Car il ne suffit jamais d’exploiter : les livraisons d’Amazon reposent sur des infrastructures de transport publiques, les visioconférences de Zoom supposent des câbles sous-marins et des satellites, le business model de Facebook repose sur les relations sociales et les énergies psychiques…

Or, qu’il s’agisse des ressources naturelles qui font fonctionner nos appareils connectés ou des ressources pulsionnelles qui font consommer les individus (dé)confinés, la question du renouvellement des énergies (qu’elles soient physiques ou psychiques) finit toujours par se poser.

Dans la théorie des systèmes, un système (vivant, social, technique) qui évolue dans le sens de l’épuisement de ses propres ressources ou qui se déploie en ruinant ses propres conditions de possibilités peut être défini comme un processus entropique : en se développant, il épuise ses potentialités de renouvellement et amoindrit sa capacité de conservation et de transformation.

Dès lors, son devenir tend vers la désorganisation, le désordre, la désintégration : le système n’a pas d’avenir, puisqu’il est incapable d’évoluer, de se diversifier, de produire de la nouveauté.

En ce sens, le développement techno-économique et industriel actuel semble s’orienter dans une direction entropique, aussi bien en termes d’écologie environnementale que d’écologie mentale ou d’écologie sociale, pour reprendre les trois écologies définies par Félix Guattari.

Écologie et entropie environnementales

Dans le champ de l’écologie environnementale tout d’abord, les recherches de Maël Montévil en biologie théorique suggèrent que la raréfaction des ressources énergétiques, la destruction des écosystèmes et la réduction de la biodiversité caractéristique de l’Anthropocène peuvent être interprétés comme des phénomènes entropiques : la production d’artefacts engendre une dispersion des ressources minérales ou énergétiques, alors que les perturbations climatiques provoquées par les activités humaines produisent une « désynchronisation » entre les populations (végétales et animales), une désorganisation des écosystèmes et une perte des singularités biologiques.


À lire aussi : Ce que la notion d’« anthropocène » dit de nous


Dans la mesure où les espèces et organismes vivants qui sont aujourd’hui menacés constituent ce que Norbert Wiener, le fondateur de la cybernétique, décrivait comme des « îlots d’entropie décroissante dans un monde où l’entropie générale ne cesse de croître » (de par leur organisation, leur diversification et leur historicité), leur extinction correspond à une accélération du devenir entropique de l’univers.

Ad Parnassum, Paul Klee, 1932. Wikiart

Mais comme le souligne de nombreux experts de l’Anthropocène, les disruptions des écosystèmes ne tarderont pas à se répercuter dans les sociétés humaines, sous forme de catastrophes naturelles, de crises sanitaires, ou de conflit économique et politique : c’est la raison pour laquelle, selon de nombreux scientifiques, une action collective est désormais nécessaire pour maintenir le système Terre dans un état habitable, qui suppose « une réorientation profonde des valeurs, comportements, institutions, économies et technologies humaine ».

Écologie et entropie sociales

Néanmoins, une telle bifurcation politique semble difficile à concevoir dans le contexte actuel. Dans le champ de l’écologie sociale aussi, l’entropie semble régner. Le sociologue Wolfgang Streeck décrit en effet la crise actuelle du système capitaliste comme « l’âge de l’entropie sociale ». Pour lui, loin de permettre l’émergence d’un nouvel ordre ou de nouvelles organisations sociales, la « fin » du capitalisme se caractérise par une désintégration du système sous l’effet de ses contradictions internes (baisse de la croissance, déclin de la démocratie, accumulation des inégalités, marchandisation du travail, de la terre et de l’argent, désordres systémiques, corruption, démoralisation généralisée, etc.).

De ce fait, elle engendre des sociétés « post-sociales » et « sous-institutionnalisées » caractérisées par des structures instables et non fiables, qui ne constituent plus des lieux de solidarités et ne fournissent plus aux individus les normes de leurs existences. Ils se voient alors soumis à toutes sortes de perturbations et d’accidents, condamnés à développer des stratégies individuelles d’adaptation et de survie, incapables de s’organiser collectivement pour concevoir et produire un avenir différent.

Sans doute la disruption numérique, qui contribue à fragiliser les systèmes sociaux (familiaux, académiques, linguistiques, juridiques) et à standardiser les pratiques n’est-elle pas innocente dans ce devenir entropique des structures sociales, court-circuitées par une innovation technologique permanente qui ignore les réglementations économiques locales et menace le secteur public.

Écologie mentale et entropie psychique

Du point de vue de l’écologie mentale ou de l’écologie de l’esprit, les technologies numériques au service de la data economy semblent en tout cas jouer un rôle fondamental dans la production d’entropie psychique. Les travaux de Katherine Hayles ont par exemple montré que le passage de l’écriture imprimée et littérale à l’écriture électronique et digitale correspondait à celui d’une attention profonde (concentration sur un objet unique pendant un temps long) à une « hyperattention » (dissémination de l’attention dans plusieurs tâches simultanément).

Jonathan Crary, de son côté, a montré qu’en stimulant et sollicitant constamment les sujets, les objets et environnements connectés détruisaient les capacités de concentration, de patience, d’imagination et de projection.

Selon la théorie du flow du psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, cet état de désordre psychique dans lequel l’attention du sujet est sans cesse divertie et absorbée dans des objets ou des tâches qu’il n’a pas choisies peut être décrit comme une « entropie psychique », qui correspond à une « désorganisation du moi » : le sujet devient incapable d’investir son attention et de poursuivre ses objectifs sur le long terme. Son énergie psychique (que Freud décrivait sous le nom d’énergie libidinale) devient alors inutilisable et inopérante, car elle est dispersée et disséminée, au lieu d’être concentrée sur un objet désiré.

À l’inverse, les états d’expérience optimale ou expérience de « flow » (caractérisés par une joie ou une satisfaction profonde et durable) surviennent le plus souvent lorsque le sujet parvient à accomplir quelque chose de nouveau au prix d’un effort de concentration durant lequel il est parvenu à orienter toute son énergie sur un objet unique. Après un tel effort, qui peut être individuel ou collectif, l’individu se sent à la fois enrichi et unifié, en cohésion avec lui-même et avec le monde qui l’entoure, capable de s’engager dans des projets de long terme et de produire de la nouveauté.

Inverser la tendance

À l’époque de l’Anthropocène, qui est aussi celle du capitalisme numérique et de l’économie de l’attention, entropie psychique, entropie sociale et entropisation des organisations biologiques semblent donc se combiner. Qu’il s’agisse de l’épuisement de l’énergie psychique à travers la dissémination de l’attention et la destruction des capacités de projection, qu’il s’agisse de la disruption des organisations sociales et de l’élimination des pratiques locales par les plates-formes digitales, ou qu’il s’agisse de la désorganisation des écosystèmes et de l’élimination de la biodiversité par les forçages anthropiques, les dispositifs industriels, technologiques et médiatiques caractéristiques du XXIe siècle semblent favoriser une perte d’organisation, de diversité, de singularité, d’avenir et de nouveauté. Cette tendance pourrait-elle s’inverser ?

Sans doute, à condition non seulement de « décarboner » pour économiser les énergies fossiles et mobiliser les énergies durables, mais aussi d’économiser les énergies psychiques en les investissant dans des projets collectifs susceptibles de les renouveler. La question de la « transition énergétique », toujours posée au singulier, devrait dès lors se voir démultipliée : c’est la question des transitions énergétiques (physique et psychique, naturelles et libidinales) qui devrait être soulevée.

Jardins du temple, Paul Klee, 1920. Wikiart

Dans ce contexte, les trois points de vue écologiques semblent moins que jamais pouvoir être dissociés : comme l’écrivait Félix Guattari, « l’écologie environnementale devrait être pensée d’un seul tenant avec l’écologie sociale et l’écologie mentale ». En effet, si « les perturbations écologiques de l’environnement ne sont que la partie visible d’un mal plus profond et plus considérable, relatif aux façons de vivre et d’être en société sur cette planète » alors « il n’est pas juste de séparer l’action sur la psychè, le socius et l’environnement ». Une transition « triplement » écologique supposerait donc la mise en œuvre d’une économie des énergies physiques, orientée vers l’utilisation d’énergies renouvelables, mais aussi d’une économie des énergies psychiques, orientée vers la structuration et la sublimation des pulsions dans des activités sociales.

Différer l’entropie : savoirs et soins créatifs

Dans Le Malaise dans la Culture, Sigmund Freud explique qu’à travers la pratique toujours collective d’« activités socialement valorisées », les sujets psychiques diffèrent l’accomplissement de leurs pulsions agressives et parviennent ainsi à se relier et à vivre en amitié.

Ces activités socialement valorisées peuvent être des activités scientifiques, des activités artistiques, des activités techniques ou pratiques, des activités culturelles, bref, toute activité permettant au sujet d’exercer ce que le psychologue Donald Winnicott désignera quarante ans plus tard sous le nom de « créativité ». Selon Winnicott, la créativité n’est pas réservée au génie : au contraire, « elle est inhérente au fait de vivre », elle est ce qui permet « à l’individu de devenir une personne en participant à la vie de la communauté ».

« Une création, écrit Winnicott, c’est un tableau, une maison, un jardin, un vêtement, une coiffure, une symphonie, une sculpture, et même un plat préparé… ». À travers la pratique de ces activités sociales ou créatives, qui s’apparentent à différents types de savoirs, les sujets prennent soin de leurs milieux naturels et techniques (ils s’occupent de leurs environnements quotidiens en exerçant des savoir-faire ou des savoirs techniques), de leurs milieux sociaux (ils se relient les uns les autres à travers arts de vivre et savoir-être) et de leurs milieux mentaux (ils concentrent et cultivent leurs énergies psychiques en pratiquant des savoirs concevoir ou savoirs théoriques). Ainsi comprises, les pratiques des différents savoirs semblent constituer autant d’activités de soin qui permettent de lutter contre les tendances entropiques propres aux différents champs écologiques – en favorisant la culture et le renouvellement des « ressources » environnementales, psychiques et sociales.

Vers des sociétés anti-anthropiques ?

On comprend alors pourquoi, contrairement à l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui proposait de décrire l’anthropologie comme une entropologie (en soutenant que les civilisations humaines accéléraient le devenir entropique de l’univers à travers leurs productions technologiques), le philosophe Bernard Stiegler soutient que les anthropoi sont aussi susceptibles de ralentir, de suspendre ou de différer l’accomplissement du processus entropique, à travers la pratique de savoirs anti-anthropiques : c’est-à-dire, en faisant bifurquer les savoirs transmis dans des directions improbables et en ouvrant ainsi un avenir incalculable.

Le messager de l’automne, Paul Klee, 1922. Wikiart

Ces bifurcations, fondées sur une réappropriation collective du passé hérité, sont toujours singulières et locales, donc irréductibles aux calculs ou aux programmes des algorithmes, puisque même ceux qui les produisent ne peuvent les anticiper.

À travers leurs savoirs, les individus psychiques, qui sont aussi des êtres désirants et apprenants, seraient donc capables de s’organiser, de se diversifier et de produire de la nouveauté : la transmission, la pratique et la production de savoirs constitueraient dès lors des processus anti-anthropiques, porteurs « d’enrichissement processuel pour l’ensemble de l’humanité » et permettant d’orienter les développements techno-scientifiques vers de nouvelles finalités collectivement réfléchies et décidées.

Quand bien même l’extériorisation technique et le processus économique qui caractérisent les sociétés humaines contribueraient à la tendance entropique globale, puisque, comme le soulignait l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen, « il n’y a pas d’industrie sans déchets » (tout ce qui est produit est consommé et tout finit par se décomposer), il semblerait donc qu’à travers la pratique de savoirs ou d’activités collectives et créatives, les groupes humains puissent inverser la tendance entropique qui se manifeste dans les trois champs écologiques.

Sans doute la pratique des différentes formes de savoirs devrait-elle alors constituer le cœur de l’économie du « monde d’après » : non pas pour transformer les savoirs en « marchandises informationnelles » ou pour les mettre au service du « capitalisme cognitif », mais pour valoriser les pratiques sociales à travers lesquels les êtres prennent soin les uns des autres et de leurs différents milieux (sociaux, techniques, mentaux). Il s’agirait ainsi de penser une économie pour les trois écologies, pour ouvrir des îlots d’avenir « dans un univers en dégradation progressive ».

Débat : Entre théâtre et numérique, un malentendu persistant accentué par le confinement

08 lundi Juin 2020

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The Conversation

 

La Compagnie Ex Voto et son théâtre confiné en réseau. Compagnie Ex voto

Débat : Entre théâtre et numérique, un malentendu persistant accentué par le confinement

  1. Julie Valero

    Maitresse de conférences en arts de la scène, Université Grenoble Alpes

Université Grenoble Alpes

 

CC BY ND
 

En 1881, Clément Ader met au point un dispositif ingénieux et novateur, le théâtrophone, qui permet aux parisiens d’écouter, depuis chez eux, ou depuis un lieu public (café, salon d’exposition), une représentation théâtrale donnée simultanément dans un théâtre de la capitale. Cette ingénieuse invention, qui nous fait sourire aujourd’hui, ne connut une existence qu’éphémère : les conditions d’écoute n’y étaient sans doute pas optimales, brouillant dans un même magma bruits de la salle et de la scène.

Publicité pour le theâtrophone. Régie théâtrale

Sans le savoir (ou peut-être si, après tout), c’est donc à un retour un peu plus d’un siècle en arrière que nous invitait le Théâtre de la Colline, en imaginant « # Au creux de l’oreille », lectures de textes faites par des comédiens et comédiennes au bout de votre fil. Première des grandes institutions théâtrales à « dégainer » des propositions dédiées, au lendemain de l’annonce du confinement, elle fut rapidement suivie par l’ensemble des théâtres nationaux ou municipaux, grands ou moins grands, qui maillent notre territoire.

Il ne s’agit pas ici d’évaluer la pertinence ou la qualité des propositions imaginées çà et là, dans l’urgence. Je souhaiterais plutôt revenir sur les réactions qu’ont pu susciter de telles propositions. Car tandis que concerts et ballets confinés se multipliaient sur les réseaux sociaux, le monde du théâtre s’agitait autour de quelques voix qui condamnaient fermement ce basculement vers la dématérialisation et le tout-enregistré, capté, diffusé (voir entre autres : Thibaud Croisy, « La catastrophe comme produit culturel »). Publications sur les réseaux sociaux, mises en ligne de captations de spectacles, programmations quotidiennes imaginées par les théâtres y sont désignées comme autant d’actions contraires à ce qui fait le théâtre même : la présence d’un être vivant face à un autre être vivant. Pourquoi ? Que disent ces réactions du milieu théâtral et de ses relations avec nos environnements numériques ?

Mettre en ligne des « contenus » ou assurer la mémoire du théâtre ?

L’un des gestes les plus visibles a sans aucun doute été la mise en ligne de « contenus » déjà existants, principalement des captations de spectacles. La différence radicale qui existe entre un enregistrement et une expérience théâtrale réelle, que je ne remettrai pas en cause, doit-elle conduire à se dispenser entièrement du visionnage de quelques spectacles ? Personne n’a jamais pensé, visionnant une captation théâtrale, en retirer le même plaisir qu’en allant au théâtre.

Nous ne sommes pas dupes et de la même façon que nous acceptons pour un soir les conventions de l’acte théâtral, nous acceptons pour quelques heures les contraintes de la captation. Cet argument fallacieux masque ainsi la seule question valable que soulèvent ces mises en ligne : celle de la mémoire du théâtre. Qui, parmi les jeunes générations d’artistes, parmi ceux qui transmettent aujourd’hui la pratique et l’histoire du théâtre peut se targuer d’avoir vu les spectacles de Pina Bausch des années 80 ou 90 ? Parvenons-nous vraiment aujourd’hui à imaginer la qualité du jeu d’Helene Weigel dans Mère Courage, mis en scène par B. Brecht et dont le Berliner ensemble propose depuis quelques jours la diffusion sur son site ?

Sur le site du Berliner Ensemble. Berliner ensemble

Certes, il s’agit là de grands noms de la scène théâtrale contemporaine, pour lesquels on s’accordera tous à saluer la disponibilité (enfin !) de leurs œuvres et leur valeur de patrimoine culturel. Mais soyons clairs et réalistes : refuser d’assurer la mémoire de son propre travail, c’est assumer sa disparition pure et simple, au profit essentiellement de ceux qui le font parce qu’ils en ont les moyens, c’est-à-dire parce qu’ils concentrent, déjà, entre leurs mains les moyens les plus importants en termes de représentation, de pouvoir, de moyens économiques, etc. L’histoire que l’on fait aujourd’hui du théâtre contemporain dans les universités, à quoi ressemble-t-elle ? C’est une histoire masculine des institutions les plus riches et subventionnées, qui valorisent les pratiques artistiques dominantes. Le confinement a ainsi révélé les vides mémoriels de l’histoire contemporaine du théâtre. En confrontant le théâtre à son passé immédiat, il lui a enfin donné l’occasion de s’en préoccuper ; saisissons cette occasion.

Co-présences et maladresses du « live » : les échecs du théâtre contemporain

Un autre geste a émergé progressivement sur les sites des théâtres et via leurs réseaux sociaux. La voix qui chuchote au téléphone, la mise en ligne pour un temps limité d’œuvres historiques, l’utilisation de plates-formes de live-streaming cherchaient à renouer avec le déficit de simultanéité et de co-présence que génèrent la fermeture des théâtres et l’arrêt brutal de toute représentation. Ces initiatives fragiles, maladroites, que l’on pourra juger inefficaces reflètent le désintérêt notable d’une partie de la profession pour la chose « numérique ». En effet, si les propositions faites aujourd’hui sont si fragiles, si naïves, si elles ont dû emprunter les codes les plus visibles, à portée de mains, n’est-ce pas tout simplement parce qu’il n’existait pas de précédent ?

Pourquoi, depuis la fin des années 90, le théâtre s’intéresse-t-il si peu à nos vies entremêlées, empêtrées dans nos environnements numériques ? Suffit-il d’affirmer que Netflix a gagné la bataille du loisir en ligne pour se désengager profondément de la moindre réflexion sur les enjeux d’une telle mutation de nos pratiques culturelles et artistiques ? Pourquoi sont-ils si peu visibles, aujourd’hui, ces artistes, pourtant nombreux et nombreuses, qui proposent un détournement de ces nouveaux usages, qui soit aussi et surtout une mise en jeu, une réflexion sur nos quotidiens connectés ? Emilie-Ana Maillet a imaginé un théâtre confiné en réseau (https://theatre-confine-en-reseau.com) tandis que Joris Mathieu proposait des adaptations audiophoniques de ses spectacles ; autant de façons, tout à la fois, de prolonger leur travail artistique intimement lié aux environnements techno-numériques, mais aussi d’interroger nos nouvelles modalités d’être au théâtre durant ce confinement.

C’est en effet un argument fort que formulent les détracteurs de ce basculement vers le numérique, lorsqu’ils évoquent l’inégalité du combat entre les grandes plates-formes de streaming et un théâtre subventionné, aux moyens incomparables. L’emploi récurrent dans leurs écrits du terme « contenu » inscrit cet argument dans une opposition stricte – pas franchement nouvelle – entre œuvre d’art et produit culturel ou médiatique. Mais plutôt que de se lamenter sur l’inéquité du combat, ne peut-on envisager, à la manière de Nicolas Bourriaud, qu’il y a là une occasion inédite pour le monde théâtral de répondre « à la multiplication de l’offre culturelle, mais aussi, plus indirectement, à l’annexion par le monde de l’art de formes jusque-là ignorées et méprisées » (Postproduction, Les Presses du réel, 2003, p. 5) ?

Si la maigreur et l’indigence des propositions faites aujourd’hui, sont le résultat de ce manque d’intérêt, l’écho médiatique donné aux réactions contre ces propositions est, lui, le reflet de la technophobie d’un milieu artistique qui par des voix dominantes masque les initiatives réelles et marginalisées de nombreux autres artistes ou compagnies en région, qui cherchent des moyens de poursuivre leur travail, malgré tout. Représentations bricolées sur Twitch (plateformes de live streaming), journal de création au jour le jour, « théâtre confiné en réseau » sont autant de façons d’expérimenter de nouveaux rapports à nos environnements numériques, d’y introduire du jeu.

Capture d’écran du Théâtre confiné en réseau proposé par la Compagnie Ex voto.

Face à la menace qui plane sur le secteur de la culture, il est urgentissime de faire émerger des gestes qui pourront perdurer. À l’image de toutes les tentatives maladroites qui ont émergé ces derniers mois, continuons à nous agiter, à proposer des bribes de dialogues bancals, des débuts de gestes maladroits, à rater, puis à recommencer. Continuons à copier bêtement pour s’apercevoir que non, décidément, ce n’est pas ça. Continuons à explorer les impasses, à tenter de faire du neuf avec du vieux. Faisons ce que l’on a toujours fait et que nous ne sommes pas très nombreux à savoir faire : répétons !

Pourquoi le combat de Fariba Adelkhah est le combat de tous

08 lundi Juin 2020

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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The Conversation

 

  1. Béatrice Hibou

    Directrice de recherche au CNRS (Centre de recherches internationales de Sciences Po), Sciences Po – USPC

Université Sorbonne Paris Cité

Sciences Po

 

CC BY ND
L’artiste sénégalais Alioune Diagne se produit sur l’esplanade du Trocadéro à Paris, le 11 février 2020, lors d’un rassemblement de soutien à Fariba Adelkhah et Roland Marchal. Thomas Samson/AFP
 

5 juin 2019 – 5 juin 2020 : voilà un an que Fariba Adelkhah est détenue en Iran, à la tristement célèbre prison d’Evin, pour n’avoir fait que son travail de chercheuse.

Le 24 décembre, de pair avec Kylie Moore-Gilbert, sa collègue anglo-australienne détenue elle aussi, elle avait entamé une grève de la faim qui avait duré 49 jours pour dénoncer leur traitement mais aussi et surtout celui de tous les intellectuels détenus en Iran et dans les pays de la région pour n’avoir fait que leur travail.

Après son procès, à plusieurs reprises différé, qui s’est finalement tenu le 19 avril, elle a refusé de renoncer à sa recherche et à ses va-et-vient entre l’Iran et la France, comme ses geôliers l’y incitaient en lui promettant alors la liberté conditionnelle, un bracelet aux chevilles.

Pour Fariba, accepter ces conditions aurait signifié accepter l’ordre des Gardiens de la révolution, accepter donc de voir la recherche criminalisée ; mais également accepter de voir mis en danger tous les gens avec lesquels elle a travaillé, particulièrement en Iran et en Afghanistan. À la suite de son refus, elle a été condamnée le 16 mai 2020 à six ans d’emprisonnement.

Roland Marchal, son collègue et ami qui avait également été arrêté le 5 juin 2019 alors qu’il venait passer quelques jours avec elle, n’est quant à lui jamais passé devant un juge. Après neuf mois et demi de détention à Evin, il a été libéré le 20 mars 2020 lors d’un échange avec un ingénieur iranien, proche des Gardiens de la révolution, qui avait été arrêté en France sur mandat d’arrêt américain et jugé extradable par la justice française.

Miriam Perier, Author provided

Son comité de soutien a lancé une opération de solidarité en diffusant, en ce triste anniversaire, une centaine de contributions audio et vidéo sur ce que signifie le combat de Fariba pour la défense de la liberté scientifique (https://faribaroland.hypotheses.org/8498).

Une prisonnière scientifique

Fariba est anthropologue à Sciences Po. Depuis trente ans, elle restitue au plus près du terrain les transformations de la société iranienne, mais aussi de la société afghane. Ses travaux, dont on trouvera une liste non exhaustive sur le site du CERI, font autorité par leur profondeur, par sa connaissance subtile de son pays d’origine qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter, y effectuant constamment des terrains et des séjours plus ou moins longs, et par le regard original qu’elle porte sur tout ce sur quoi elle travaille : les femmes et leur place dans l’espace public ; les transformations profondes de la société derrière l’impression de conservatisme ; les rapports entre religion et politique ; la formation de l’État par ses frontières et ses rapports à ses voisins et plus largement à l’international ; la guerre comme mode de vie…

C’est en ce sens que Fariba est une prisonnière scientifique : elle est emprisonnée parce qu’elle a écrit, parce qu’elle a continué, envers et contre tout, à faire de la recherche, parce qu’elle a toujours pensé qu’elle n’avait rien à cacher, qu’il fallait débattre, discuter, confronter les idées, aussi différentes soient-elles de celles du régime ou de la majorité de la population, ici ou là-bas.

Elle est une prisonnière scientifique – et non une prisonnière politique – parce qu’elle n’a jamais fait de politique : critiquée aussi bien par le régime (qui l’a régulièrement arrêtée, lui a confisqué son passeport, l’a interrogée) que par les opposants (qui lui reprochent de ne pas prendre position contre le régime, parce que ce dernier serait par principe mauvais), elle a suivi avec une force de caractère impressionnante le chemin de la science dans un contexte très difficile.

Déjà, en 2009, elle avait montré son courage lorsqu’elle avait défendu Clotilde Reiss, une doctorante française qui avait été arrêtée par les autorités iraniennes. Elle avait écrit une lettre ouverte au président de la République islamique, particulièrement forte, dénonçant un régime qui ne comprenait pas ce qu’était la recherche et considérait tout chercheur comme un espion. Une nouvelle fois, aujourd’hui, elle montre de façon éclatante son attachement aux valeurs de la recherche académique et elle incarne le combat pour la liberté scientifique.

L’importance prépondérante de la recherche

Fariba Adelkhah. Ray Clid, Author provided

La liberté scientifique, à laquelle Fariba tient tant, n’est pas une défense corporatiste de son métier. Ce qui est en jeu, c’est, bien sûr, la liberté de penser, la liberté de parler, la liberté d’expression. Mais c’est aussi le devoir de connaissance, un devoir d’autant plus important qu’il concerne des pays « lointains ». Ces derniers sont de moins en moins compris. Sur la scène intérieure, comme l’exemple de Fariba l’illustre tristement mais comme le rappellent aussi de nombreux autres cas partout dans le monde, la recherche est de plus en plus souvent vue avec suspicion quand elle n’est pas tout simplement considérée comme dangereuse et attentatoire à la sûreté nationale.

Mais sur la scène internationale aussi la recherche vit des jours sombres, pour au moins trois raisons : la remise en cause de la liberté de circulation et la montée des préoccupations sécuritaires ; l’isolement de certains de ces pays, fruit notamment de la politique d’excommunication conduite par les États-Unis et de l’incapacité européenne à s’en distinguer ; la politique de privatisation des universités qui acceptent que des pans entiers de leur recherche soient financés par des intérêts étatiques étrangers, comme l’illustrent une grande partie des centres spécialisés sur le Moyen-Orient désormais financés par les Saoudiens ou les Émiratis.

Cette stratégie de suspicion à l’encontre de la connaissance n’est pas sans conséquence : la désastreuse guerre en Irak, par exemple (mais on pourrait en dire de même des interventions en Libye, au Tchad, en République centrafricaine, en Somalie…), a été rendue possible par la mise à l’écart des spécialistes de la région, ouvrant la voie à l’idée d’un Grand Moyen-Orient et à l’intervention militaire.

Le contre-pouvoir universitaire

Le savoir universitaire agit comme un contre-pouvoir par rapport au savoir politique, au savoir journalistique, au savoir des intérêts économiques et financiers, parce que sa particularité est de mettre au cœur de sa raison d’être la distanciation, la dénaturalisation, le déplacement des limites de l’entendement. Le savoir universitaire nous apprend notamment à reconnaître des faits désagréables pour les autres comme pour nous-mêmes, et à procéder à une critique des jugements en montrant quels types de problèmes se cachent derrière des positions, des opinions, des décisions.

Par sa manière de travailler, par sa conception de son métier, Fariba incarne admirablement ce contre-pouvoir : elle nous montre le caractère irremplaçable de la recherche de terrain, de la circulation des savoirs, de la collaboration entre universitaires de divers horizons, de la confrontation de traditions intellectuelles différentes, de l’indépendance de la recherche.

Le combat de Fariba nous touche car ce n’est pas seulement le sien. C’est le combat de nous tous, le combat pour la liberté scientifique, le combat pour la liberté tout court.

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