1. Emmanuel VéronEnseignant-chercheur – Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
  2. Emmanuel LincotSpécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut Catholique de Paris

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Le port de Beyrouth
Le port de Beyrouth porte encore les stigmates de la terrible explosion du 4 août dernier. La Chine a proposé son aide à un Liban exsangue. Thomas Coex/AFP

Plus de trois mois après la double explosion dans le port de Beyrouth, la tentation est grande pour le Liban et, surtout, pour le parti pro-iranien du Hezbollah de se tourner vers Pékin. Ce serait un camouflet pour Emmanuel Macron, premier chef d’État étranger à s’être rendu (par deux fois) après le drame dans ce pays sinistré : selon lui, l’aide apportée par l’ancienne puissance mandataire (1918-1946) et celle de la communauté internationale doivent être conditionnées à une lutte active contre la corruption et à un changement de système.

Il est vrai que cette exhortation française, aussitôt dénoncée par le chef du Hezbollah Sayed Nasrallah au nom de la communauté chiite (27 % d’une population totale de 6,8 millions d’habitants), allait à l’encontre d’un projet d’infrastructures de vaste ampleur financé par la Chine.

Les potentialités pour Pékin y sont gigantesques, y compris dans la Syrie voisine, elle-même amenée à se reconstruire. L’enjeu est évidemment considérable pour le pays du Cèdre que les quinze années de la guerre civile (1975-1990), conjuguées aux effets de la guerre de 2006 et de la crise économique ont durablement pénalisé.

Complexes rapports des forces au Liban

Le Liban traverse la pire crise économique de son histoire, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie, une explosion de l’inflation et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les transferts à l’étranger.

Près de la moitié de la population libanaise vit dans la pauvreté et près de 40 % des actifs sont au chômage. La situation s’est aggravée avec la venue massive de réfugiés syriens fuyant depuis 2011 le conflit que subit leur pays. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies, ils seraient aujourd’hui plus de 1,5 million, dont 500 000 jeunes entre 3 et 14 ans. Ce qui fait du Liban (4,1 millions de Libanais résidant dans le pays), le pays avec le plus fort taux de réfugiés au monde – puisqu’un habitant sur quatre y a le statut de réfugié.

Cette question constitue à la fois un enjeu politique majeur et un drame humanitaire sans précédent. La situation perturbe de nombreux Libanais – du petit commerçant aux élites, en passant par les politiques et les humanitaires. Par ailleurs, l’entrée en application d’un nouvel arsenal de sanctions dirigées contre le pouvoir syrien et décidées par le Congrès américain en juin dernier ne peut guère arranger la situation régionale désormais au bord de l’asphyxie. Cet ensemble de sanctions – surnommé « la loi César » – vise à exercer « une pression maximale » sur le régime de Damas et sur son principal allié, Téhéran.

La vindicte du Hezbollah à l’encontre de la France et des États-Unis s’explique d’autant mieux que son principal pourvoyeur iranien est confronté à de très grandes difficultés. Le plan de lutte du Hezbollah contre la Covid-19, qui se voulait une démonstration de force, a d’ailleurs aussi exposé ses faiblesses (logistiques et moyens).

Pour autant, le Hezbollah est assuré d’une victoire de Bachar Al-Assad en Syrie. Il mise donc plus que jamais sur l’axe Téhéran-Moscou, qui se renforce au fur et à mesure que les États-Unis s’opposent à lui.https://platform.twitter.com/embed/index.html?dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1291237682140585991&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fla-tentation-chinoise-du-liban-149677&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=ed20a2b%3A1601588405575&width=550px

La Chine n’est pas en reste puisqu’elle assure déjà 40 % des importations du Liban. Plus symboliquement encore, la fameuse route reliant Beyrouth à Alep – via Damas –, autrement appelée M 5, que Bachar Al-Assad a reprise aux trois quarts aux rebelles dès 2015 avec l’aide de son allié russe, pourrait être parachevée sur son tronçon libanais grâce à des investissements chinois.

Comme leurs alliés américains, qui ont abreuvé le Liban de dollars, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe ont pris des distances. Ils accusent les dirigeants libanais de laisser le Hezbollah former les rebelles houthis contre lesquels ils sont en guerre au Yémen. Réciproquement, les Houthis financeraient, avec le soutien de Téhéran, les activités du Hezbollah.

L’enjeu stratégique du port de Beyrouth

Au-delà de ses propres besoins nationaux, le Liban demeure un point d’entrée essentiel pour l’ensemble de la région. Les pays du Levant tels la Jordanie, la Syrie ou l’Irak, ou encore les pays du Golfe, dépendent aussi de leurs relations commerciales avec le Liban. 73 % de ses propres importations se faisant par la voie maritime, le lien du Liban à la mer est essentiel. Il repose sur le dynamisme d’une infrastructure clé, le port maritime.

Un appel d’offres met actuellement en concurrence la France et la Chine pour la reconstruction du port. Sans surprise, le Hezbollah s’oppose aux initiatives françaises et a par ailleurs recours à tous les leviers possibles pour attiser et relayer la haine fomentée par le président turc Recep Tayyip Erdogan dans l’affaire des caricatures l’opposant à la France d’Emmanuel Macron.