Nous croyons à la libre circulation de l’information
Une fois à l’intérieur de notre organisme, le SARS-CoV-2, virus responsable du Covid-19 est difficile à combattre, alors ne le laissons pas entrer ! Nous pouvons nous protéger nous, nos proches et la population en général grâce à un geste simple : le lavage régulier des mains. Comment un geste aussi simple peut-il être efficace contre un virus si virulent ?
Qu’est-ce qu’un virus ?
Un virus est un objet de taille nanométrique, d’environ 100 nanomètres de diamètre. Il est 100 fois plus petit qu’une cellule humaine et 1 million de fois plus petit qu’une balle de tennis. Cette nanoparticule se compose d’une enveloppe virale formée de lipides (c’est-à-dire de gras) et de protéines, encapsulant une macromolécule codant le génome du virus.
Schéma d’un virus avec ses principales composantes : à l’intérieur, il y a le matériel génétique du virus. Il est enveloppé dans une enveloppe lipidique (grasse). Sur l’enveloppe des coronavirus, des protéines en pointe, « Spike » en anglais, agissent comme des clefs pour ouvrir les portes de nos cellules, et permettre au virus de pénétrer à l’intérieur. Lise Abiven, Author provided
Comment le savon détruit les virus ?
Nos produits lavants contiennent des tensioactifs. Les tensioactifs sont des molécules pouvant être assimilées à des pieds-de-biche, utilisables à l’échelle nanométrique pour démanteler le virus. Ces molécules sont composées d’une partie qui aime l’eau et d’une autre qui aime les corps gras, on les qualifie d’amphiphiles (« amphi » veut dire « double » en grec). L’enveloppe du virus est un corps gras, comme l’huile par exemple.
Tensioactif : une partie qui aime l’eau et les composés aqueux ; une partie qui aime le gras et les composés gras. Lise Abiven, Author provided
La partie hydrophobe des tensioactifs contenus dans le savon s’accroche à la membrane du virus et, au moment du rinçage, la partie hydrophile est attirée par les molécules d’eau. La résultante des forces exercées sur le virus entraîne la rupture de son enveloppe lipidique (grasse). Le virus devient inactif et se décroche de la peau grâce à l’action des tensioactifs, du frottement des mains et du débit d’eau.
Action du savon sur un virus : les tensioactifs du savon se fixe sur l’enveloppe du virus et agissent comme des pieds-de-biche, déchirant la membrane, qui se disperse au rinçage. Lise Abiven, Author provided
« Faites l’expérience suivante : Verser un peu d’huile dans l’eau. Les deux corps ne se mélangent pas. Ajouter maintenant du savon et agiter. Que se passe-t-il ? Des microgouttes d’huile se forment dans l’eau sous l’action du savon. On appelle ces particules des micelles. Sous cette forme, l’huile est soluble dans l’eau. »
Pourquoi le virus devient inactif après un lavage des mains avec du savon ?
Un virus n’est pas un organisme autonome : il a besoin d’une cellule hôte pour se reproduire. Le virus y rentre par le même principe qu’une clé dans une serrure. Les protéines S (pour Spike en anglais signifiant pointe), présents au niveau de l’enveloppe virale des coronavirus, se fixent à certains récepteurs cellulaires. Le virus est ensuite internalisé. Une fois à l’intérieur de la cellule, le « virus père » est reproduit par la cellule infectée en plusieurs « virus fils » qui iront à leur tour contaminer les cellules voisines. Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN. Cela signifie que son génome est codé sous forme d’ARN, pour acide ribonucléique. L’ARN, tout comme l’ADN, est composé d’une suite de briques chimiques appelés les nucléotides. Par rapport à un virus à ADN, le SARS-CoV-2 gagne du temps ! En effet, l’ARN permet la synthèse directe de protéines, alors que l’ADN doit être d’abord transcrit en ARN avant d’être traduit sous forme de protéines.
Comment le virus pénètre dans une cellule et s’y multiplie. Lise Abiven, Author provided
Lorsque nous lavons nos mains avec du savon, on l’a vu, le savon démantèle l’enveloppe du virus. Ce dernier n’a plus la clé pour entrer dans nos cellules. Le virus est maintenant décomposé en petites parties qui vont se lier aux molécules de tensioactifs du savon pour créer des micelles, solubles dans l’eau. Il se passe le même phénomène que lorsque nous rendons l’huile soluble dans l’eau en ajoutant du savon.
En conclusion, un lavage de mains au savon et à l’eau décompose le virus et le prive de sa capacité à pénétrer dans les cellules, le rendant inactif. Il débarrasse également la peau des fragments de virus comme il le fait pour toutes autres matières grasses (saletés). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de se frotter les mains pendant 20 secondes pour une action efficace sur toute la surface des mains.
Et le gel hydroalcoolique ?
L’alcool en solution dans l’eau (de 60 % à 90 % en volume) dénature certaines protéines de l’enveloppe virale, rendant le virus incapable d’entrer dans une cellule.
Par contre, contrairement au savon qui « lave », le gel hydroalcoolique n’est pas efficace sur des mains sales. L’alcool est désactivé par la présence de matières grasses présentes en trop grande quantité sur la peau (souillures visibles). Le gel hydroalcoolique doit être utilisé sur une peau sèche, non souillées et sans blessures. Ainsi, l’OMS préconise un lavage des mains au savon et à l’eau lorsque nous sommes chez nous et l’utilisation du gel hydroalcoolique lors de nos déplacements pour les courses ou le travail.
Pourquoi le virus s’attache davantage à certaines surfaces plutôt qu’à d’autres ?
Une personne contaminée peut déposer des « gouttelettes » respiratoires, vectrices du virus, sur une surface (plastique, métal, cartons, peau humaine). Une personne non infectée qui touche cette surface peut contracter le virus si elle porte ensuite ses mains à sa bouche, son nez ou ses yeux. Une étude parue dans le The New England Journal of Medicine au début du mois de mars 2020 indique que le SARS-CoV-2 peut être détecté jusqu’à 24 heures sur du carton et trois jours sur du plastique ou de l’acier inoxydable. Même si le virus peut être détecté un certain temps sur une surface, très vite, la charge virale devient trop faible pour nous contaminer efficacement. Au bout de quelques heures, il n’est probablement plus virulent.
L’adhérence des virus aux surfaces se fait principalement via des interactions hydrophobes et électrostatiques. Le virus a une affinité plus ou moins importante avec certains types de matériaux en fonction de ses propriétés physico-chimiques, par exemple la morphologie de son enveloppe, ou sa « charge de surface » qui dicte les interactions électrostatiques. Pour l’instant, le lien entre les propriétés physico-chimiques des virus et la contribution des différentes forces d’interaction n’est pas encore bien établi, mais la physique des principales forces d’interactions en jeu est connue.
Les interactions hydrophobes sont fréquentes dans notre vie quotidienne : si vous déposez une goutte d’eau sur une table, elle n’est pas absorbée par la surface. Le revêtement de la table est hydrophobe et a donc une bonne affinité avec la membrane lipidique du virus.
Pour comprendre les interactions électrostatiques, il faut penser que les contraires s’attirent, et que la matière est constituée d’atomes. Un atome est formé de particules élémentaires chargées positivement – les protons – et négativement – les électrons. De manière générale, la matière est neutre et tend à le rester. Cela signifie qu’elle comporte autant de charges positives que de charges négatives. Les interactions électrostatiques résultent d’un mouvement des électrons d’un corps vers un autre. Elles permettent à la matière de revenir à un état de neutralité lors d’un déséquilibre des charges. La composition chimique de l’enveloppe d’un virus peut lui conférer une charge de surface neutre, positive ou négative.
Interactions entre un virus et une surface : les interactions hydrophobes en rose ont lieu car le virus possède une membrane lipidique, c’est-à-dire grasse. Les interactions électrostatiques en noir dépendent des « charges de surface » du virus, et de la surface. Lise Abiven, Author provided
Si cette charge est négative, le virus va avoir une bonne affinité avec les matériaux ayant une charge positive, c’est-à-dire pouvant présenter un défaut d’électrons en surface comme le papier ou le nylon. Si la charge de surface du virus est positive, ce dernier sera attiré par des matériaux pouvant présenter un excès d’électrons en surface comme certaines matières plastiques telles le PVC ou le film cellophane.
Le développement d’un vaccin contre le Covid-19 est un travail au long cours. Tous ensemble, nous débutons un marathon visant à ralentir sa propagation. En comprenant le virus, sa composition physico-chimique, ses mécanismes d’action et son mode de propagation, nous comprenons aussi les raisons qui rendent les gestes barrières efficaces pour nous protéger et protéger les autres. Mettons-nous dans la peau du virus et nous nous laverons les mains de la bonne manière et au bon moment.
Nous croyons à la libre circulation de l’information
Une retransmission en direct d’un discours de Donald Trump est projetée à la Bourse de New York le 15 novembre 2017. Bryan R. Smith/AFP
Avant que la crise de la Covid-19 ne rebatte les cartes, Donald Trump se préparait à faire campagne sur son bilan économique, d’après lui « le meilleur de tous les temps ».
Qu’en est-il dans les faits ? Comment la situation économique a-t-elle évolué durant son mandat et dans quelle mesure cette évolution est-elle directement liée à la politique conduite par le locataire de la Maison Blanche ?
2016 : une économie déjà en hausse
En novembre 2016, l’économie américaine, ébranlée par la crise des subprimes de 2008, s’était fortement redressée. La reprise économique avait permis de réduire le chômage à un taux de 4,7 % et le PIB par habitant (en dollars constants) dépassait de plus de 5 % son niveau d’avant la crise.
L’élection de 2016 intervenait donc dans un contexte économique favorable. Pourtant, Donald Trump n’a pas hésité à soutenir le contraire au cours de sa campagne et après son arrivée à la Maison Blanche. Objectif : se voir attribuer le bénéfice de toute amélioration de la situation.https://www.youtube.com/embed/euf069cp7Wg?wmode=transparent&start=016 février 2017.
2016-2019 : Des promesses de campagne aux actes
Donald Trump a réalisé beaucoup de ses promesses de campagne 2016. La situation économique du pays fin 2019 ne saurait cependant pas être directement imputée à cette politique, étant donné les délais nécessaires à la mise en œuvre des mesures et à l’apparition de leurs effets.
Le candidat Trump s’était engagé sur des baisses massives d’impôts et sur d’importants investissements dans les infrastructures. Les réductions d’impôts ont été actées par un accord avec le Congrès fin 2017. Elles profitent à tous les ménages imposables de façon presque proportionnelle aux revenus, de telle sorte que l’impôt moyen baisse de 8 %. L’impôt sur les sociétés est quant à lui abaissé de 35 % à 21 %, soit un taux inférieur à la moyenne de ceux pratiqués dans les pays de l’OCDE. L’accord concernant la rénovation des infrastructures n’est quant à lui intervenu qu’au deuxième trimestre 2019 : ce sont 2 000 milliards de dollars de dépenses supplémentaires sur dix ans qui sont ainsi prévues.https://www.youtube.com/embed/walkwu_Adz4?wmode=transparent&start=0
En dépit des hausses des dépenses et des baisses de recettes qu’il prévoyait, le candidat Trump promettait en 2016 une disparition totale de la dette publique fédérale à un horizon de huit ans pour satisfaire une partie de l’électorat et, spécialement, du parti républicain, attachée à l’orthodoxie budgétaire. Pour concilier des promesses a priori contradictoires, il envisageait un « penny plan » consistant à réduire de 1 % par an toutes les dépenses fédérales à l’exception de la défense et de la santé.
Mais ces baisses de dépenses ont été abandonnées et la politique fiscale mise en œuvre s’est traduite par un fort accroissement de la dette publique fédérale qui a atteint 23 201 milliards de dollars fin 2019 contre 19 977 milliards fin 2016.
Des relations internationales tendues
Sur le plan du commerce international, Donald Trump avait clairement exprimé pendant la campagne sa défiance envers le libre-échange et plusieurs accords internationaux qu’il considérait comme défavorables aux intérêts des États-Unis en matière d’emplois manufacturiers (délocalisations) et de déficit commercial.
Afin de rééquilibrer les relations commerciales bilatérales en faveur des États-Unis, Donald Trump a utilisé la hausse des droits de douane comme un moyen de pression. Il en a imposé ou menacé de nombreux pays au cours de son mandat. Ce fut notamment le cas envers le Mexique, le Canada, la Turquie, l’Europe et bien entendu la Chine, qu’il considère comme le principal adversaire commercial et technologique de son pays et qu’il accuse de procéder à du dumping en subventionnant ses importations ou en manipulant le cours de sa monnaie pour accroître sa compétitivité. La signature d’un accord entre Washington et Pékin début 2020 semble suspendre temporairement le conflit même si le président américain continue de s’en prendre à Huawei, TikTok et WeChat en utilisant cette fois l’arme juridique.
En dépit de ces mesures protectionnistes, le déficit commercial des États-Unis continue à se creuser pendant les deux premières années du mandat de Donald Trump, passant de 502 milliards de dollars en 2016 à 621 milliards en 2018. Il se réduit légèrement en 2019 (617 milliards) du fait d’une importante baisse des importations chinoises mais au prix d’une forte diminution aussi des exportations américaines.
Dérégulation bancaire, énergétique et environnementale
Dans d’autres domaines, et notamment la banque, l’énergie et l’environnement, le programme de 2016 de Donald Trump promouvait une dérégulation se traduisant par l’abandon de mesures adoptées sous la présidence de Barack Obama afin, selon lui, de libérer la croissance économique des freins qu’elles constitueraient.
C’est ainsi que la loi Dodd-Frank, adoptée au lendemain de la crise des subprimes pour améliorer la stabilité financière, fut immédiatement abrogée dans le but d’accroître la capacité des banques à prêter à l’économie.
Les législateurs applaudissent le président américain Donald Trump après qu’il a signé la résolution conjointe 41 de la Chambre des représentants, qui supprime certaines réglementations Dodd-Frank sur les compagnies pétrolières et gazières, lors d’une cérémonie de signature de projet de loi dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC, le 14 février 2017. Saul Loeb/AFP
Tout aussi rapidement, Donald Trump est revenu sur les mesures pro-environnementales prises par l’administration Obama, puis a retiré son pays des accords de Paris. Climato-sceptique affirmé, Donald Trump affiche un fort soutien au secteur des énergies fossiles. Avec son appui, les États-Unis confirment en 2019 leur place de premier producteur de pétrole du monde devant l’Arabie saoudite grâce aux pétroles de schistes.
D’une ébauche de santé publique au retour à la santé privée
En matière de politique de santé, Donald Trump affiche clairement sa volonté de démanteler l’Affordable Care Act, dit Obamacare, tout au long de sa campagne de 2016. Il dénonce à la fois le coût de ce dispositif et son caractère obligatoire. En 2018, la loi est vidée d’une partie de sa substance, les Américains n’ayant implicitement plus l’obligation légale de s’assurer.
En décembre 2018, un juge fédéral du Texas déclare que la suppression de cette obligation rend l’Obamacare inconstitutionnelle. En pleine pandémie, l’avenir du dispositif est désormais entre les mains de la Cour suprême, alors même que Donald Trump vient d’y nommer la très conservatrice Amy Coney Barrett suite au décès de la progressiste Ruth Bader Ginsburg.
L’économie américaine en 2019
Tenant la plupart de ses promesses de campagne, Donald Trump a continué de relancer l’activité dans un pays qui était déjà dans une situation très favorable… au risque d’une surchauffe de l’économie.
Hormis une dette publique abyssale et un déficit commercial considérable, l’économie américaine semblait au beau fixe fin 2019 : un marché du travail au plein-emploi avec un taux de chômage de 3,5 %, une part des ménages sous le seuil de pauvreté qui atteint son plus bas niveau historique (10,5 % au niveau fédéral). Le taux de pauvreté des minorités ethniques est également en baisse mais reste très élevé pour les Afro-Américains (19 %) et les Hispaniques (16 %). Mais les inégalités, en particulier celles liées à l’appartenance raciale, sont en hausse.https://www.youtube.com/embed/-53frvtM2R4?wmode=transparent&start=0
Les bons résultats économiques observés en 2019 ne sont que partiellement liés à la politique de Donald Trump dans la mesure où les indicateurs précédents n’ont fait que poursuivre une tendance acquise sous Barack Obama. En revanche, la nouvelle politique fiscale, de par son caractère non redistributif, peut expliquer la poursuite de la hausse des inégalités.
Certaines décisions du président se sont par ailleurs révélées à double tranchant pour l’économie américaine. La guerre commerciale sino-américaine avait pour objectif double de rééquilibrer les relations commerciales des deux pays et de « ramener » des emplois manufacturiers sur le sol américain à moyen et long terme. Cependant, l’escalade de la hausse des tarifs douaniers entre les deux pays depuis 2018 a eu des effets pervers à court terme. Le secteur agroalimentaire américain a été directement affecté par la hausse des tarifs douaniers imposés en rétorsion par la Chine. En 2017, 57 % du soja produit aux États-Unis était exporté vers la Chine pour un montant de 13,9 milliards de dollars correspondant à 10 % des exportations américaines dans ce pays. Les hausses tarifaires ayant entraîné l’effondrement des achats chinois, ce montant a chuté à 3 milliards de dollars en 2018.
La hausse des droits de douane affecte également les activités des importateurs de produits chinois, en particulier dans le secteur de l’habillement et de l’électronique, et menace notamment les petites enseignes dont certaines se sont vues contraintes d’augmenter leurs prix de vente ou de réduire leur gamme. La situation économique et sanitaire de 2020 rend malheureusement impossible de juger des effets espérés sur l’emploi manufacturier qui étaient censés venir contrebalancer ces inconvénients.
Au-delà de son bilan, la tonalité du discours de Donald Trump a contribué à accroître les divisions existantes au sein de la société américaine. C’est donc une Amérique plus que jamais fracturée qui vote d’ores et déjà par correspondance ou de façon anticipée à la présidentielle du 3 novembre prochain.
Dans la plupart des pays, les enfants d’aujourd’hui sont immergés dans un monde numérique. Selon l’Insee, 87 % des familles avaient un accès à Internet en 2018 et 82 % des familles possédaient au moins un appareil numérique permettant un accès en ligne.
Au fil des âges, les supports utilisés évoluent et le temps passé devant tel ou tel type d’écran varie. Les jeunes enfants ont encore un usage majoritaire de la télévision (87 % des enfants de 2 ans la regardent, dont 68 % tous les jours). Les 6-10 ans sont 50 % à passer trois heures ou plus par jour devant un écran, tandis que les 12-17 ans sont 86 % à posséder un smartphone et 70 à 87 % à passer 3 heures ou plus devant un écran.
Quant aux les adultes, environ 80 % d’entre eux passent 3 heures ou plus par jour devant un écran, hors temps dédié au travail. Ces usages nuisent-ils à des échanges de qualité entre parents et enfants ? Ou, au contraire, peuvent-ils constituer un nouveau mode de relation ?
Risques de « technoference »
Pensons à ces scènes, observées dans la rue, les parcs ou les salles d’attente des médecins. D’un côté, un bébé fixe son père depuis sa poussette, un enfant interpelle sa mère pour lui montrer ses progrès en dessin ou à vélo. De l’autre, le parent en question garde les yeux rivés sur son smartphone.
Ces interruptions des échanges liées aux usages numériques ont été nommées technoference par Brandon McDaniel – terme associant « technologie » et « interférence ». Initialement appliqué aux relations de couple, ce concept est aujourd’hui étudié au sein des familles afin d’observer l’impact des technologies de l’information sur les interactions entre parents et enfants.
A la City University of New York – Hunter College, Myruski et ses collègues ont mené une recherche pour observer les effets de l’utilisation du téléphone portable par le parent lorsque celui-ci interagit avec son bébé.
Ils ont noté que les jeunes enfants présentaient moins d’affects positifs et plus d’affects négatifs lorsque les mères arrêtent d’échanger avec eux pour consulter leur téléphone. Les effets de la technoference s’observent aussi chez des enfants un peu plus âgés : en dessous de 5 ans, ils vont manifester plus de comportements difficiles.
Il est toutefois important de noter que le recours des parents à leur portable et les comportements difficiles de l’enfant s’influencent mutuellement. Ainsi, avoir un enfant présentant un comportement difficile est une source de stress pour le parent et le téléphone deviendrait alors un moyen de se mettre en retrait et de faire face à ce stress.
Si les parents ont conscience que l’usage des TIC peut générer des tensions familiales et nuire à l’attention qu’ils portent à leurs enfants et à la qualité des échanges avec eux, ils reconnaissent également que l’usage des TIC peut être un moyen de réduire les tensions dans la famille par moment. Cette ambivalence parentale montre la difficulté que représente la gestion des écrans aujourd’hui.
Pourtant, l’usage des technologies de l’information peut aussi être au service des liens entre parents et enfants, permettant de partager des moments privilégiés avec les enfants et se construire une culture familiale commune. Dès le plus jeune âge, les outils numériques peuvent être présentés aux enfants pour des appels vidéo (ex : FaceTime, Skype, WhatsApp…) avec les proches (grands-parents, père ou mère en déplacement…).
En effet, même si les informations sensorielles y sont limitées à la vue et à l’ouïe, le jeune enfant perçoit les échanges en ligne de façon assez similaire aux échanges en face à face et les différencie d’une « simple » vidéo. Cette perception de la synchronie dans les interactions peut permettre de maintenir les liens lors des séparations et notamment une continuité des relations d’attachement.
Les enfants font la différence entre une vidéo et un échange en ligne directe avec un proche. Shutterstock
Jeux vidéo ou applications sur écrans mobiles peuvent aussi être l’occasion de partager des moments de plaisir et d’émotions positives, ainsi qu’un univers commun avec ses enfants, petits ou grands. Ces interactions ludiques via les TIC favoriseraient même la communication.
L’amélioration de la communication que l’on relève dans ce contexte pourrait s’expliquer par le fait que les enfants sont parfois plus compétents et accompagneraient ainsi leurs parents dans la découverte de certains usages numériques. Par ailleurs, il est également intéressant de noter que l’usage des TIC permet aussi à l’enfant de communiquer davantage avec ses amis, et ce, en ligne comme hors ligne.
Réseaux sociaux
Lorsque les enfants deviennent adolescents, de nouvelles tensions et opportunités liées aux TIC peuvent émerger. L’agacement peut se manifester aussi bien chez les parents que les adolescents, chacun trouvant que l’autre y a trop recours. Cela dépendra de la qualité des liens, mais aussi des représentations que les parents ont des technologies numériques, qui guideront leur style de médiation parentale.
La possibilité d’être en contact facilement grâce aux outils numériques peut rassurer parents et adolescent et participer ainsi au processus d’autonomisation, caractéristique de cet âge. Les parents peuvent aussi utiliser ces technologies pour maintenir une certaine proximité avec leur adolescent. En effet, à mesure que l’enfant grandit, les communications par ce biais tend à augmenter.
Les parents ayant une bonne image des technologies numériques utiliseraient même les réseaux sociaux pour communiquer avec les amis de leur adolescent. Cependant, cela dépend de la relation préexistante entre parents et enfants, c’est-à-dire hors contexte numérique. En effet, une demande d’« amis » envoyée par les parents à leur adolescent peut, par exemple, être perçue par ce dernier comme une intrusion.
Les technologies nous amènent à repenser les liens entre individus, et plus particulièrement au sein de la famille. Avoir un usage conscient, une bonne qualité d’écoute et de communication entre parent et enfant, pourrait permettre de voir l’usage des écrans comme un accès facilité entre générations plus que comme une entrave aux relations.
Philippe MahencProfesseur en sciences économiques (économie de l’environnement/organisation industrielle/économie agricole), Université de Montpellier
Philippe Mahenc a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche pour le projet « GREENGO — New Tools for Environmental Governance: the role of NGOs — ANR-15-CE05-0008 » au titre de chercheur rattaché au CEE-M (Center for Environmental Economics – Montpellier) de l’Université de Montpellier.
Université de Montpellier apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.
Nous croyons à la libre circulation de l’information
Avant le scandale de 2015, les moteurs diesel du constructeur Volkswagen émettaient 40 fois plus d’oxydes d’azote que le taux autorisé aux États-Unis alors que les véhicules étaient vendus dans les mêmes gammes de prix que ceux de ses concurrents. Jeff Kowalsky / AFP
Les prix nous renseignent-ils convenablement sur la qualité des marchandises ou des services achetés ? La question reste en suspens pour une catégorie de biens que les économistes appellent credence goods, que l’on peut traduire par « biens fiduciaires », pour indiquer que la valeur de ces biens est fondée sur la confiance que l’acheteur accorde au vendeur.
La qualité d’un bien fiduciaire comprend une composante qui répond à une préoccupation publique d’ordre environnemental, éthique ou sanitaire. Un affichage écologique ou encore équitable rehausse la valeur du bien fiduciaire en proclamant que sa production et/ou sa distribution se plient à des normes plus ou moins précises.
Il n’est pas facile de vérifier que l’entreprise respecte ces normes : seul un expert peut certifier – souvent avec une marge d’erreur – que l’entreprise est digne de confiance. Par conséquent, l’acheteur n’est jamais certain d’être correctement informé sur la qualité d’un bien fiduciaire même après l’avoir consommé. Des entrepreneurs peuvent alors être tentés d’abuser de sa confiance.
Pour dissiper l’incertitude des acheteurs, producteurs et distributeurs d’un bien fiduciaire doivent trouver un moyen crédible de signaler sa qualité, comme le prix.
Il arrive ainsi qu’une entreprise vende un produit à un prix singulier – fort ou faible – pour signaler qu’il est de bonne qualité, comme nous l’avions montré dans un article de recherche publié en 2007. Il arrive cependant que le prix d’un bien fiduciaire ne parvienne pas à envoyer un signal crédible, ainsi que l’illustrent les trois exemples suivants dans le vin, l’automobile ou la santé.
En 1907, les viticulteurs victimes des fraudeurs
Avant que la loi du 29 juin 1907 protège le vin naturel contre le vin frelaté, le marché du vin en France était perturbé par l’approvisionnement en piquette. Suivant cette loi, le vin doit provenir exclusivement de la fermentation alcoolique du jus de raisin frais. En l’absence de définition officielle, le vin était un bien fiduciaire.
Pour fabriquer la piquette, on pressait le marc de raisin, on le diluait avec de l’eau, ou bien on améliorait la couleur et le goût d’un mauvais jus de raisin avec des adjuvants chimiques. Les négociants et les vignerons qui pratiquaient cette concurrence déloyale représentaient environ 5 % du marché.
Lorsque le prix du vin s’effondra en France après 1900, les vignerons du Midi en attribuèrent la cause au vin frelaté. Les petits vignerons du Languedoc et des Pyrénées-Orientales se retrouvèrent ruinés par la mévente des vendanges de 1906. La crise du vin provoqua un mouvement spontané de révolte en 1907 qui fut réprimé dans le sang par le gouvernement.
Dans ce cas, le marché affichait le même prix, quelle que soit la qualité, de sorte qu’il était impossible de distinguer le vin naturel de la piquette. Dans ces conditions, il n’était pas absurde de penser que le mauvais vin entraînait le bon dans sa chute.
Par la suite, la loi du 29 juin et les décrets associés permirent d’organiser la prévention et le contrôle de la fraude. Ils donnèrent l’autorité et les moyens de veiller au respect des normes à une entité représentant l’intérêt des vignerons, la Confédération générale des vignerons.
L’opportunisme de Volkswagen
Plus récemment, des comportements opportunistes sont apparus sur le marché européen des véhicules diesel. À grand renfort d’annonces commerciales mensongères, des constructeurs automobiles prétendaient que leurs moteurs diesel, estampillés « Clean Diesel », respectaient l’environnement.
En 2015, l’Environmental Protection Agency aux États-Unis a accusé le groupe Volkswagen d’enfreindre la loi sur la qualité de l’air inscrite dans le Clean Air Act, en se fondant sur un rapport de l’International Council on Clean Transportation. Cette organisation mettait en évidence des écarts dans les émissions d’oxydes d’azote (NOx) entre les modèles de véhicules américains et européens.
Il fut ainsi prouvé que Volkswagen avait équipé ses automobiles diesel avec des logiciels programmés pour frauder les contrôles de pollution. Après avoir passé avec succès les tests en laboratoire, les véhicules émettaient sur la route jusqu’à 40 fois plus de NOx que le taux autorisé par la norme américaine. Volkswagen a plaidé coupable en 2017.
D’autres contrôles indépendants effectués par le club automobile allemand ADAC ont montré qu’en conditions de conduite réelle, des moteurs diesel concurrents de Volkswagen dépassaient de plus de 10 fois le seuil légal d’émissions de NOx en Europe.
Entre véhicules de mêmes caractéristiques techniques, s’il en est un qui se distingue du lot par la propriété d’être moins polluant, son prix doit le signaler par une singularité. Selon les perspectives de ventes, cette singularité prend la forme d’un rabais ou d’une hausse que ne pourrait afficher un constructeur malhonnête. Le signal crédibilise ainsi la publicité faite au modèle.
Les laboratoires coupables de communication malhonnête
Le troisième exemple de comportement opportuniste est donné par trois compagnies pharmaceutiques, Genentech, Novartis et Roche (GNR). Le trio commercialise deux médicaments contre la cécité, le Lucentis et l’Avastin, qui ne ciblent pas les mêmes symptômes. Le Lucentis soigne la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) tandis que l’Avastin traite un cancer dû à un œdème maculaire diabétique.
Contrairement au Lucentis, l’Avastin ne bénéficie pas d’une autorisation de mise en marché pour des soins ophtalmologiques. Il est quand même prescrit pour ralentir les effets de la DMLA par un grand nombre de médecins convaincus que le traitement est aussi efficace que le Lucentis. Le National Health Security du Royaume-Uni est parvenu à la même conclusion en 2018.
Par ailleurs, l’Avastin a un avantage économique déterminant sur le Lucentis : il est vendu 30 à 40 fois moins cher à travers le monde. Par un tel écart de prix, GNR envoie des signaux plutôt troublants.
En 2013, le Groupe d’étude français Avastin versus Lucentis a lui aussi mis en évidence l’équivalence d’Avastin et de Lucentis en termes d’efficacité, sans qu’aucune différence en termes de sécurité n’ait pu être identifiée.
Dans ces trois exemples, les prix n’ont pas révélé d’information sur la qualité réelle de biens fiduciaires. Ils ont soutenu des comportements opportunistes au lieu de les dissuader. Certes, les prix ont envoyé des signaux, mais ces signaux n’étaient pas crédibles puisqu’ils n’ont pas permis de distinguer la bonne qualité.
Envoyer des signaux crédibles
Comme nous le montrions dans un article de recherche publié en 2017, il est donc nécessaire que les signaux transmis par les prix soient crédibles pour garantir la fiabilité de la certification.
On peut facilement expliquer pourquoi les prix n’envoyèrent pas de signaux crédibles dans le cas des vignerons français. Ceux-ci étaient de taille trop modeste pour décider de prix qui leur étaient imposés par la pression concurrentielle.
En revanche, les constructeurs automobiles ou les compagnies pharmaceutiques jouissent d’un pouvoir de marché suffisant pour choisir leurs prix de manière stratégique. Ils fixent alors le prix d’un produit à un niveau d’autant plus élevé qu’ils s’attendent à ce que des concurrents, s’il en existe, agissent de la même façon. Lorsque les produits sont fiduciaires, les industriels peuvent aussi se servir des prix pour en signaler la qualité. Comme on l’a vu, ils préfèrent parfois mystifier les acheteurs.
L’existence de telles stratégies donne matière à réflexion au moment où les laboratoires pharmaceutiques affichent l’efficacité de divers vaccins contre le Covid-19 pour segmenter le marché et préparer la concurrence en prix. On peut en conséquence s’interroger : les prix proposés aux États acheteurs signalent-ils réellement l’efficacité des vaccins ?
La vaccination contre la Covid-19 débute en décembre en Europe, elle est annoncée en janvier en France pour les publics les plus vulnérables. C’est une énergie sans précèdent qui a été déployée pour produire en un temps record des vaccins. Cependant, pour reprendre les propos de Katherine O’Brien, la responsable de la division Immunisation à l’Organisation mondiale de la Santé, ce développement pharmaceutique constitue l’établissement du camp à la base de l’Everest. Il reste à gravir la montagne, c’est-à-dire convaincre la population de se faire vacciner.
Une adhésion vaccinale faible et en baisse
Mais comment s’y prendre alors même que l’intention vaccinale des Français s’effondre dans les dernières enquêtes ? Les personnes prêtes à se faire vacciner seraient minoritaires, y compris chez les plus de 65 ans. De la même manière, l’enquête CoVaPred que nous menons avec le soutien de Santé Publique France portant sur un échantillon représentatif de 2000 Français âgés de 18 à 64 ans met en évidence certains facteurs prédictifs de l’intention vaccinale des Français contre la Covid-19 comme l’origine et l’efficacité du vaccin, le risque d’effets secondaires graves, le professionnel qui vaccine, l’objectif de communication (immunité collective versus protection individuelle), mais aussi le sexe, l’âge, les attitudes vis-à-vis de la vaccination en général, ou encore l’expérience de la maladie Covid.
Ainsi, dans les scénarios les plus optimistes, la proportion de personnes se déclarant prêtes à se faire vacciner varie du simple au double en fonction des caractéristiques des nouveaux vaccins (origines, efficacité ou administration du vaccin).
De plus, dans la littérature portant sur la vaccination adulte non obligatoire (grippe saisonnière), les facteurs suivants sont particulièrement soulignés : le positionnement des professionnels de santé, la balance perçue entre le bénéfice contre la maladie et le risque d’un nouveau vaccin, l’effet de pairs ou de modèles, les attitudes et habitudes concernant la vaccination en général ou spécifiques, la confiance dans les autorités de santé, l’auto-efficacité et le contrôle perçu directement liés à l’accès à la vaccination.
Quelles sont les conditions clés d’une campagne de vaccination réussie ?
Face à cela, experts de tout bord et autorités relaient l’intérêt de la vaccination pour se protéger soi en surinvestissant parfois la gravité de l’infection SARS-Cov-2 pour tous. C’est peut-être là que le bât blesse. Penser que l’information suffit à emporter l’adhésion. Pourtant les comportements sont bien plus complexes que cela comme le démontrent les travaux portants sur les freins et facteurs susceptibles de jouer dans la décision vaccinale et le fragile équilibre qui les lie.
Afin de comprendre comment agissent ces facteurs et quels leviers seraient les plus susceptibles de favoriser l’adhésion vaccinale, notre équipe de recherche a réalisé une analyse croisée de l’enquête CoVaPred, des données de la littérature, à travers une revue des méta-analyses et revues systématiques portant sur les facteurs impliqués dans la décision vaccinale non obligatoire (notamment grippe saisonnière) et des théories prédictives des comportements à faible/moyenne persévérance. Quatre piliers clés d’une future campagne de vaccination ont été dégagés et les conditions de sa réussite, identifiées.
Une communication positive basée sur l’immunité collective
La littérature met en évidence le nécessaire équilibre à trouver entre la perception du bénéfice contre la maladie et celle du risque lié au vaccin. Dans le cas de la Covid-19, cette perception bénéfice/risque est d’autant plus importante à considérer que la perception de la sécurité des vaccins est entachée des procédés rapides de leur développement et que la gravité de la maladie est nivelée selon l’âge puis les comorbidités, excluant de fait la plus grande partie de la population adulte (30 millions de jeunes sans comorbidités versus 23 millions de personnes âgées de plus de 65 ans et/ou avec comorbidités) qui pourrait s’inquiéter de se faire vacciner contre une maladie qui la met peu en danger.
Si certaines études mettent en évidence l’intérêt d’une communication portant sur la gravité ou le regret en cas d’infection ou de transmission, ce type d’approche peut vite être desservi s’il s’avère que les conséquences en cas de contamination sont en réalité de faible gravité.
Ainsi, une communication basée sur l’immunité individuelle qui fait référence à la gravité de la maladie ne peut être que contredite par l’expérience personnelle, celle d’un proche, surtout vis-à-vis des populations jeunes et/ou non morbides, en miroir d’un nouveau vaccin dont le risque d’effets secondaires graves, mais rares ne peut être apprécié faute de pouvoir être appréhendé par l’expérience personnelle. Cette segmentation de la population (par exemple une priorisation des personnes résidantes en EPHAD pour le tout premier vaccin disponible) peut ainsi contribuer à délégitimer le vaccin chez les non vulnérables par la perception d’une balance bénéfice/risque défavorable et renforcer encore la défiance des populations.
C’est donc bien un continuum de motivation qu’il va falloir accompagner si l’on veut une couverture vaccinale suffisante pour éradiquer la Covid-19 en France. Toutes les raisons convergent vers un objectif unique de communication, l’immunité collective, et le nécessaire évitement de toute forme de stigmatisation, coercition, culpabilisation qui ne ferait que renforcer les stratégies de coping (stratégie d’adaptation à un stress centré sur le message ou le messager ou encore les émotions générées par le stress vécu) ou la réactance (stratégie de rejet des contraintes vécues comme une atteinte à l’autonomie et la liberté individuelle) se mettant peu à peu en place dans la population française.
Dans l’étude Covapred, cela se confirme puisqu’un objectif explicite d’immunité collective conduit à réduire l’hésitation vaccinale de 25 %, toutes choses étant égales par ailleurs.
Enfin, si néanmoins, la priorisation est inévitable, en raison d’arbitrages liés à la disponibilité des vaccins au fil des mois, la communication doit être transparente sur les raisons de cette priorisation (notamment la pénurie mondiale) et privilégiée à tout autre argument voire prétexte (notamment ne pas reproduire ici les errances de la communication publique observées sur les masques au printemps dernier).
Des professionnels de santé pivots de la campagne de vaccination
Le professionnel de santé de proximité est un pivot de la communication sur la vaccination ; son statut vaccinal, son rôle dans la vaccination et son avis sur la vaccination sont de puissants prédicteurs de la vaccination en population à risque ou non. Or, de la même manière que pour la population générale, ils sont aussi hésitants concernant la vaccination contre la Covid.
La campagne de vaccination française contre la grippe A(H1N1) en 2009 l’a montré : une communication politique et non médicale, un choix de vacciner en centres plutôt que par les professionnels de santé de proximité ont largement contribué à son échec (moins de 10 % de vaccinés).
De plus, en France, la confiance dans la vaccination a été fortement entachée et se dégrade chaque fois un peu plus qu’émerge une défaillance organisationnelle ou un scandale sanitaire, soulignant dès lors la cruciale attention que les autorités doivent porter aux décisions qu’elles prennent non seulement pour l’épidémie considérée, mais aussi celles à venir. Face à l’image d’un politique dépassée ou peu fiable, le professionnel de santé rassure. En ce sens, exclure les professionnels de santé du dispositif constituerait une erreur majeure, quels que soient les arguments évoqués y compris ceux liés au stockage et aux contraintes de délivrance des vaccins.
En conséquence, le choix prioritaire du vaccin à utiliser devrait prendre en compte ce paramètre (c’est-à-dire choisir un vaccin qui peut être administré en cabinet ou officine), plutôt que d’adapter une stratégie vaccinale en fonction du premier vaccin disponible (ce qui signifie organiser une vaccination en fonction des contraintes liées à ce vaccin), même si cela nécessite de différer l’entrée du vaccin dans l’arsenal contre la Covid-19.
En effet, les conséquences de cette précipitation se font déjà sentir : une vaccination en établissements pour pallier les problèmes de stockage du vaccin, des professionnels de santé non prioritaires (sauf vulnérables), des discours peu rassurants sur ce qui a prévalu aux arbitrages et montrant somme toute une vision de court terme de la gestion Covid-19 (diminution des hospitalisations).
Il serait plus judicieux de ne pas reproduire les erreurs du passé et de ne pas se précipiter, en privilégiant une vaccination et une communication de première ligne par les professionnels de santé, dans le cadre de leur exercice et lieu d’exercice habituels (cabinet et officines), en leur fournissant l’ensemble des données, informations et matériels nécessaires à la prise en charge de leurs patients.
Une mobilisation collective, citoyenne et la garantie de la concertation
Le comportement ou l’approbation des autres (des proches, pairs, modèles) sont de puissants facteurs d’influence sur les comportements. Les comportements liés à la vaccination n’y échappent pas. Rendre visible auprès des autres un comportement positif, valoriser l’appartenance à un groupe, afficher son choix et se voir « récompenser » symboliquement sont des stratégies efficaces. Elles nécessitent la mobilisation des communautés, leaders, médias.
Il s’agit concrètement de valoriser socialement l’acte de vaccination. C’est un contrepied total avec le registre stigmatisant, voire culpabilisant, privilégié jusqu’ici dans la gestion de la Covid-19 en France. Toujours dans le contrepied, il s’agit également de procéder par concertation et consensus, de favoriser des relais adaptés aux plus vulnérables (médiation sanitaire, pairs relais, ambassadeurs), d’assurer la transparence et le consensus entre professionnels de santé et politiques sur les risques et l’efficacité, de mobiliser les réseaux sociaux, et enfin de favoriser la mobilisation des citoyens relayant les enjeux et les difficultés rencontrées sur le terrain afin de trouver les solutions organisationnelles au plus près de ces derniers.
On peut se réjouir en ce sens du collectif citoyen institué par le président et appelé des vœux de très nombreuses organisations et sociétés savantes et professionnelles, y compris le conseil scientifique Covid-19, depuis le printemps.
Un accès individuel, gratuit et sans délai
Une campagne vaccinale doit son efficacité autant à la communication déployée (notamment pour donner confiance) qu’aux modalités concrètes permettant l’accès au vaccin. En d’autres termes, il s’agit de limiter les délais (être vacciné tout de suite après information), les procédures (pas de prescription, pas de rendez-vous), les déplacements (vaccination sur les lieux de travail, la pharmacie par exemple), et les ressources cognitives mobilisées par l’acte.
En effet, le passage de l’intention à la vaccination peut être semé d’obstacles à lever. Pour cela, il est nécessaire d’organiser une communication individualisée et un rappel de vaccination auprès de toute la population (rendez-vous pris automatiquement, rappels automatiques de vaccination avant la première et entre les doses pour limiter les ressources cognitives de chacun) soulignant de fait l’intérêt des solutions digitales de communication, de permettre un accès gratuit, sans délai, sur les lieux de travail, dans tous les espaces de contact avec le système de santé, d’organiser un appui territorialisé dans les zones sous-dotées en professionnels de santé via la mobilisation des collectivités territoriales, lesquelles ont d’ailleurs appelées le Président à leur confier des responsabilités en la matière, et enfin d’organiser le suivi et la transparence en temps réel de l’apparition des effets indésirables le cas échéant.
Dans les pays à hauts revenus, le refus permanent de tous les vaccins est rare et de nombreuses personnes qui refusent initialement un vaccin finissent par changer d’avis. Pour cela il faut une approche basée sur la connaissance des processus qui conduisent une population à adhérer ou non à une mesure plutôt que de la juger ou de la contraindre. Il s’agit en réalité de considérer que si les Français sont méfiants, c’est qu’ils ont peut-être de bonnes raisons et que c’est de notre responsabilité – professionnels de santé, chercheurs, politiques – de leur donner confiance et les accompagner.
Pour reprendre la métaphore de Katherine O’Brien, il s’agit de faire progresser la cordée avec efficacité. En la matière, il existe trois règles : vérifier et équiper ses partenaires (les bonnes personnes à la bonne place, le matériel, les informations), sécuriser le parcours pour fluidifier la progression de la cordée (chacun dans son expertise, son périmètre anticipe et résout les difficultés), anticiper et veiller aux situations critiques (une analyse a priori des freins pour déterminer les solutions). Il n’y a qu’avec cette méthode que l’on pourra sortir du tunnel installé maintenant depuis mars 2020.
Folashade SouleSenior Research Associate, University of Oxford
Edem E. SelormeyDirector of Research, Centre for Democratic Development Ghana
University of Oxford apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation UK.
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Les passagers font la queue pour prendre le tramway éthiopien le 20 septembre 2015 (jour de l’inauguration) à Addis-Abeba. Ce premier tramway moderne en Afrique subsaharienne est un projet d’infrastructure massif financé par la Chine. Mulugeta Ayene/AFP
L’année 2020 marque le vingtième anniversaire du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), dont le premier sommet a été organisé à Pékin en 2000. Alors que le prochain sommet, prévu en septembre 2021 à Dakar, est en préparation, les responsables chinois et africains se penchent sur le bilan de ces deux décennies de coopération et sur ses prochaines orientations.
L’engagement croissant et multi-dimensionnel de la Chine avec l’Afrique a eu des effets importants, bien qu’inégaux, sur la croissance économique, la diversification économique, la création d’emplois et la connectivité en Afrique.
Mais, dans le même temps, il apparaît que les relations sino-africaines sont principalement organisées par le biais des gouvernements chinois et africains, et ne tiennent pas suffisamment compte des opinions et du bien-être des populations africaines.
En 2016, l’institut de recherche panafricain Afrobaromètre (Afrobarometer) a publié sa première étude d’opinion sur ce que les Africains pensent de l’engagement de leurs gouvernements avec la Chine.
L’étude a révélé que 63 % des citoyens interrogés dans 36 pays avaient une image largement positive de la Chine. Cette popularité s’explique avant tout par les projets d’infrastructure, de développement et d’investissement mis en œuvre par la Chine en Afrique. Cependant, les perceptions d’une qualité discutable des produits chinois et de la faiblesse du nombre d’emplois créés dans ce cadre en Afrique pour les Africains avaient contribué à atténuer cette perception.
En 2019/2020, Afrobaromètre a mené une autre série d’enquêtes d’opinion africaine. Les données de 18 pays ont été recueillies directement sur le terrain à partir d’un échantillon de personnes sélectionnées au hasard dans la langue choisie par le répondant avant la pandémie de la Covid-19. Les questions de l’enquête portaient, entre autres, sur la manière dont les Africains perçoivent les prêts chinois, les remboursements de la dette et la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de la Chine pour son développement.
Les résultats préliminaires de cette enquête révèlent que (1) la majorité des Africains préfèrent toujours davantage le modèle de développement américain (États-Unis) au modèle chinois et que (2) l’influence de la Chine est encore largement considérée comme positive pour l’Afrique même si (3) les Africains, au courant des prêts chinois, estiment que leurs gouvernements empruntent trop.
Dans un contexte où les dirigeants africains et chinois réfléchissent aux modalités de leur coopération, ces résultats sont importants et devraient leur permettre de construire une relation tournée vers l’avenir qui reflèterait mieux les opinions et les besoins des citoyens africains.
États-Unis vs Chine
Les enquêtes ont montré que les Africains préfèrent toujours le modèle de développement américain au modèle chinois. Le modèle de développement chinois repose sur une planification politique et un capitalisme de marché dirigé par l’État tandis que le modèle américain met davantage l’accent sur l’importance du marché libre.
Tableau 1 : La Chine comme meilleur modèle de développement | 16 pays | 2014-2020.
Sur les 18 pays, 32 % des enquêtés préféraient le modèle de développement américain, tandis que 23 % préféraient le modèle chinois. Dans l’ensemble, il y a peu de changements depuis 2014/2015, mais quelques revirements s’opèrent au niveau de certains pays.
Au Lesotho et en Namibie, les États-Unis ont dépassé la Chine en tant que modèle de développement privilégié. Au Burkina Faso et au Botswana, la Chine est désormais préférée aux États-Unis. Les Angolais et les Éthiopiens, qui n’avaient pas été inclus dans l’enquête de 2014/2015 (publiée en 2016), sont majoritairement partisans du modèle américain. Cependant, 57 % des Éthiopiens et 43 % des Angolais estiment que l’influence de la Chine a un impact positif sur leur pays.
Le modèle de développement chinois, dynamique et multiforme, est souvent plébiscité par les gouvernants africains. Ce modèle a cependant évolué en fonction du contexte et de la période. Les gouvernements africains doivent décider quels aspects du modèle chinois sont les plus adaptés pour leur pays, et tenir compte des limites de ce modèle.
Un examen plus approfondi des réponses des enquêtes 2014/2015 et 2019/2020 montre que dans les pays où la Chine construit des infrastructures, les perceptions sont restées stables ou sont devenues plus positives. C’est notamment le cas au Ghana, au Nigéria, en Ouganda, en Guinée et en Côte d’Ivoire.
Au Burkina Faso, la popularité du modèle de développement chinois a presque doublé, passant de 20 % à 39 % au cours des cinq années écoulées depuis l’enquête précédente.
En Guinée, où les entreprises chinoises sont principalement impliquées dans des projets miniers, 80 % des citoyens perçoivent l’influence économique et politique de la Chine comme positive – quatre points de pourcentage de plus qu’il y a cinq ans. Dans l’ensemble, l’implication croissante de la Chine dans la région du Sahel semble avoir eu un fort impact sur les opinions des citoyens.
Impact économique et remboursement de la dette
Une majorité de citoyens africains considèrent que les activités économiques de la Chine ont « assez » ou « beaucoup » d’influence sur les économies de leur pays. Mais cette proportion est passée de 71 % en 2014/2015 à 56 % en 2019/2020 dans les 16 pays étudiés. Alors que six Africains sur dix considèrent l’influence de la Chine sur leur pays comme positive, cette perception est passée de 65 % à 60 % dans 16 pays.
Figure 1 : Perception de l’influence positive de la Chine | 18 pays | 2014-2020
Afrobaromètre
Par ailleurs, les puissances régionales africaines, les organisations régionales et des Nations unies, ainsi que la Russie, sont également perçues comme des entités ayant une influence positive. L’influence de la Russie est perçue comme étant positive par 38 %. Cela pourrait être le reflet de l’engagement politique, économique et sécuritaire croissant de la Russie avec l’Afrique, ainsi que le rôle des médias russes tels que Russia Today et Spoutnik. Une étude récente sur le contenu des médias numériques en Afrique de l’Ouest francophone a montré comment le contenu numérique produit par les médias russes s’infiltre plus rapidement dans les espaces médiatiques africains que les contenus chinois.
L’enquête Afrobaromètre révèle également que moins de la moitié (48 %) des citoyens africains sont au courant des prêts chinois ou de l’aide financière octroyée par la Chine à leur pays. Parmi ceux qui ont déclaré être au courant de l’aide chinoise, plus de 77 % étaient préoccupés par le remboursement des prêts. Une majorité (58 %) estime que leurs gouvernements ont emprunté trop d’argent à la Chine.
Figure 2 : Opinions sur les prêts/aide au développement de la Chine | 18 pays | 2019/2020.
Afrobaromètre
Dans les pays qui ont reçu le plus de prêts chinois, les citoyens se sont dits préoccupés par l’endettement. Ce constat se retrouve notamment au Kenya, en Angola et en Éthiopie. Dans ces pays, respectivement 87 %, 75 % et 60 % des citoyens sont préoccupés par le fardeau de la dette.
Les enseignements à tirer
Les dernières données d’Afrobaromètre fournissent des enseignements à la fois aux analystes des relations sino-africaines et aux dirigeants africains.
Premièrement, il n’y a pas de monopole ou de duopole d’influence en Afrique. Au-delà des États-Unis et de la Chine, il existe une mosaïque d’acteurs, africains et non africains, que les citoyens considèrent comme ayant une influence politique et économique sur leur pays et son avenir. Ces acteurs comprennent les Nations unies, les puissances régionales africaines et la Russie.
Deuxièmement, les résultats de l’enquête montrent que si l’influence chinoise reste forte et positive aux yeux des citoyens africains, elle l’est dans une moindre mesure qu’il y a cinq ans. Cette baisse de popularité pourrait également être liée à la perception autour des prêts et de l’aide financière, au manque de transparence, aux discours autour du « piège de la dette » et aux allégations de mainmise sur les ressources africaines par la Chine.
Une fois que le travail de terrain aura repris, les futures enquêtes d’Afrobaromètre dans d’autres pays pourraient mettre en lumière la manière dont la pandémie et la « diplomatie du masque » de la Chine, ainsi que les reportages des médias sur les mauvais traitements infligés aux citoyens africains à Guangzhou, auront affecté les opinions publiques africaines.
Sylvie BethmontEnseignante en iconographie biblique, Collège des Bernardins
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L’Antiquité gréco-romaine n’a pas seulement été redécouverte par les artistes et les penseurs humanistes de ce que nous nommons « la Renaissance » italienne. Durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age, des mythes, comme celui de Thésée, du Minotaure et du labyrinthe, ont continué d’être moralisés : ainsi ont-ils été transmis par les textes et les images, dans les manuscrits et les édifices chrétiens médiévaux.
L’élaboration d’un logotype au sein d’une longue histoire d’images
Cette transmission ne s’est pas arrêtée au Moyen Âge. Le ministère de la Culture en France, à la fin du XXe siècle (en 1985), a ainsi trouvé la meilleure expression en logotype indiquant la présence d’un monument historique. Le labyrinthe de la cathédrale de Reims – disparu depuis le XVIIe siècle mais connu par des dessins – a inspiré les graphistes contemporains.
Jacques Cellier (1550-1620), Recherches de plusieurs singularités par François Merlin… portraits et escrites par Jacques Cellier demourant à Reims (1583-1587).
Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778. Ainsi les personnages qui en occupaient les points stratégiques – des portraits des maîtres d’œuvre de la cathédrale – ont-ils disparu, et – l’image n’étant plus stabilisée par ces silhouettes – le labyrinthe a subi une rotation de 45°. Ce qui lui procure une dynamique et le rattache au monde des symboles.
Le logotype des monuments historiques.
Les auteurs évoquent souvent le carré comme une forme géométrique, symbole du monde terrestre au Moyen Âge (par opposition au cercle divin), le losange, un carré sur la pointe, étant signe de vie et de passage. Peut-on envisager que, dans le choix de cette rotation, les auteurs de ce logo auraient été jusqu’à envisager le carré rouge de Kandinski, ou encore les nombreux « carrés sur la pointe » (ou compositions losangiques) de Mondrian ?
Mais on n’échappe pas si facilement au monde des symboles chrétiens ou christianisés. Car le carré sur la pointe est l’une des formes que prend la mandorle dans les images de la Majestas Domini des temps carolingiens. La gloire du Christ étant alors signifiée par une double mandorle formée de deux figures géométriques, un cercle inscrit dans un carré sur la pointe.
Au Moyen Âge à Reims, on nommait ce labyrinthe le « chemin de Jérusalem ». C’était la trace pérenne, car tracée à demeure dans le marbre, d’un chemin spirituel à parcourir. Ce labyrinthe carré, de marbre noir, flanqué aux quatre angles de quatre bastions octogonaux, traçait les contours d’une cité fortifiée. Déjà les mosaïques romaines et juives de l’Antiquité portaient des images de labyrinthe cités fortifiées, imageant Troyes ou Jéricho (porte d’entrée de la Terre promise).
À Reims, le labyrinthe-plan d’un édifice fortifié, était une lointaine évocation de ses deux sources : à la fois le mythe antique avec la ville fortifiée qu’est le palais du roi Minos, et, dans la pensée médiévale, la cité fortifiée de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste décrite au chapitre 21 de ce livre.
Retour aux sources : le mythe antique
L’histoire du Minotaure se trouve dans le Chant VI de l’Enéide, de Virgile, le Livre VIII des métamorphoses, d’Ovide et l’avant-dernier chant de la Thébaïde de Stace. Elle est placée sous le signe du taureau. Zeus, pour tromper son épouse, se métamorphose en un magnifique taureau blanc. Il enlève ainsi Europe jusqu’en Crète où il reprend forme humaine pour lui donner trois enfants, Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Minos ayant demandé, contre ses prétendants au pouvoir, la protection de Poséidon ; celui-ci fait paraître un signe, un taureau de la mer que Minos promet de lui sacrifier. Mais, une fois le pouvoir absolu obtenu, Minos garde l’animal. Minos a trompé par le taureau, il sera trompé par lui. Car Vénus-Aphrodite s’est vengée d’Apollon-Hélios qui a dévoilé ses amours adultères avec Mars-Arès, en inspirant à Pasiphaé – femme de Minos et fille du dieu soleil – une violente passion pour ce taureau. Ainsi engendra-t-elle le Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, tellement effrayant, tellement redoutable et carnivore qu’à la demande du roi Minos il fut enfermé dans le labyrinthe construit par l’architecte et artiste athénien Dédale.
Tablette du palais mycénien de Nestor, Pylos (1200 av. J-C.). source
Un jour, l’un des fils de Minos, Androgée, s’étant rendu à Athènes pour participer à la fête des Panathénées, et ayant remporté toutes les épreuves, fut tué à la demande du roi Égée, jaloux. Pour faire cesser le siège d’Athènes, Égée dut envoyer tous les neuf ans un tribut de sept jeunes hommes et sept jeunes femmes destinés à être dévorés au fond du labyrinthe par le Minotaure. Thésée se porta volontaire pour faire partie de ces jeunes gens que Minos vint lui-même chercher à Athènes. Devant le labyrinthe se trouvait la belle Ariane, fille de Minos, qui, éprise sur-le-champ, donna à Thésée une pelote de fil rouge procurée par l’architecte Dédale.
Sur cette mosaïque romaine (v. 275-300), découverte à Loigesfelder en Autriche au XIXe siècle, il suffit de suivre le fil rouge pour parvenir au centre du labyrinthe, mais et c’est là l’essentiel, le même fil permet de trouver le chemin pour s’en sortir, en rembobinant “le fil d’Ariane”. Après avoir mis à mort le Minotaure, Thésée n’épousera pas Ariane, mais deviendra un grand roi, rendant justice aux plus faibles.
Mosaïque romaine, Loigesfelder Vienne, Kunsthistorisches Museum v. 275-300. source
Survivances médiévales
Christianisé, ce mythe n’a cessé d’être revisité en particulier par Isidore de Séville, Raban Maur, et leurs continuateurs, entre le Xe et le XIe siècle, alors que se multiplient les images de labyrinthes.
Thésée combat le minotaure, XIe-XIIᵉ siècles, centre du labyrinthe de Saint-Géréon, détruit en 1840. Diözesanmuseum Cologne
À la fin du XIIe siècle des hybrides hommes-bêtes envahissent les images, sans que leurs contemporains en interrogent la possibilité ou l’impossibilité physiologique, car il s’agit d’une moralisation de la pensée des mythographes antiques. Il existe aux confins du monde des êtres dont l’animalité permet de comprendre la bête sauvage qui est tapie en l’homme pécheur. L’antique minotaure, symbole d’animalité sauvage et de péché, trouve sa place parmi elles, et c’est le Christ triomphant du mal qui se profile derrière la figure de Thésée le héros antique. Cependant l’image du combat mythique de Thésée contre le monstre ne figure pas systématiquement au centre du labyrinthe, même si le chemin, que l’on peut parcourir du doigt sur un petit relief ou un manuscrit, ou avec tout son corps dans un édifice, est celui de la Rédemption.
Des chemins de vie
D’après l’inscription à San Savino de Piacenza ou celui de la porte du narthex de Lucca, les labyrinthes christianisés portent au Moyen Âge plusieurs significations, dont la plus ancienne au XIe siècle, est celle du monde captif du péché. Dans le même ordre d’idées de nombreuses images de labyrinthes accompagnent les computs (ces manuscrits aidant à calculer la date mobile de Pâques, chemin de résurrection pour le chrétien). Aux XIIe et XIIIe siècles, dans les cathédrales de Sens et d’Auxerre, (comme à Reims et à Amiens), le dimanche de Pâques, l’évêque et les membres de son chapitre, effectuaient des « danses de Pâques » sur le tracé du labyrinthe (circa dedalum). L’évêque tenait une balle pouvant représenter le soleil dans sa course, c’est-à-dire le Christ, soleil de Pâques, vainqueur du mal, ressuscitant au Printemps et avec lui toute la nature en fête. La Contre-Réforme mettra un terme à ces lointaines résurgences de danses païennes.
Lieu de mémoire, le logotype des monuments historiques est un condensé de symboles, permettant de trouver dans les villes et sur les routes de France, les chemins d’un patrimoine multiple. Il a été modernisé en même temps qu’était créé le logotype « site patrimonial remarquable », par l’agence Rudi Baur en 2017.
Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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Nicolas Poussin, « Le massacre des Innocents », vers 1630. Musée Condé, Chantilly.
L’évangile selon Matthieu nous raconte un fameux épisode de la vie de Jésus, juste après sa naissance : le massacre des Innocents. Le roi de Judée de l’époque, Hérode le Grand (vers 72-4 av. J.-C.), apprend, par des mages arrivés à Jérusalem, qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Il fait aussitôt rechercher l’enfant car il voit en lui un concurrent susceptible de lui ravir son trône. Il « entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem, tous les enfants jusqu’à deux ans », écrit Matthieu (Mt 2, 16). Mais Joseph, père de Jésus, prévenu par un ange, parvient à prendre la fuite en Égypte, en compagnie de Marie et du bébé. Ils ne reviennent en Judée qu’après la mort d’Hérode, quelques mois plus tard.
On peut remarquer que l’histoire du massacre cadre bien avec ce que l’on sait, par ailleurs, de la cruauté prêtée à Hérode. Le roi, peut-être atteint d’une forme de délire paranoïaque dans les dernières années de son règne, était allé jusqu’à faire exécuter trois de ses propres enfants : Aristobule et Alexandre en 7 av. J.-C., puis Antipater en 4 av. J.-C., comme le raconte l’historien antique Flavius Josèphe.
L’Hérode historique était donc bien un massacreur de jeunes princes innocents et le récit de la tuerie de Bethléem se fonde sur un contexte qui le rend vraisemblable, mais non véridique. Pourquoi donc avoir inventé cette histoire ?
Œdipe, le bébé pendu par les pieds
D’anciens mythes grecs, bien connus à l’époque de Jésus, racontaient comment un enfant condamné à mort finissait tout de même par s’en sortir après avoir déjoué les tentatives de meurtre de ses ennemis.
Oedipe abandonné, enluminure de la Fleur des Histoires de jean mansel, seconde moitié du XVe siècle.
Laïos, roi de Thèbes, apprend par un oracle qu’il sera tué par son propre fils. Il tente d’empêcher que la prophétie ne se réalise, en cessant toute relation sexuelle avec Jocaste, sa femme. Mais celle-ci, vexée, le fait boire et s’unit à lui alors qu’il est ivre. Neuf mois plus tard, lorsqu’elle accouche, Laïos arrache l’enfant des bras de sa mère. Il escalade une montagne, voisine de Thèbes, et y abandonne le bébé, après l’avoir pendu par les pieds à un arbre. Laïos a cloué les talons de l’enfant avant de lui passer une corde autour des mollets. A priori aucune chance que le petit survive. Il doit rapidement mourir de soif ou dévoré par des bêtes sauvages.
Sauf que c’est évidemment le contraire qui se produit, sans quoi, il n’y aurait pas de légende. Le mythe raconte une histoire qui échappe à la logique des hommes. Il s’agit de montrer que le bébé n’est pas n’importe qui : il est le protégé d’un grand dieu.
Un berger, passant sur la montagne, découvre l’enfant, le libère et l’emmène dans sa ville : Corinthe. Le roi local se désespérait justement de ne pas avoir de fils. Il adopte le petit et le nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-enflés », en raison des blessures infligées par les clous de Laïos. L’enfant est sain et sauf. Il a survécu, contre toute attente. Le bébé aux pieds cloués est maintenant qualifié pour un brillant avenir de chef.
Frederick Goodal, « La découverte de Moïse », 1862. Wikimedia
Romulus et Moïse, les bébés sauvés des eaux
De la même manière, dans la légende romaine, le petit Romulus et son frère Rémus sont abandonnés sur le Tibre avant d’être sauvés par une louve, animal envoyé par le dieu Mars, qui vient les allaiter. Le divin père de Romulus, futur fondateur et roi de Rome, n’a pas l’intention de voir périr son enfant. Romulus a une mission terrestre à accomplir : il est prédestiné par les Cieux, comme le suggère l’historien latin Tite-Live.
Ce schéma légendaire se trouve également dans la Bible, jetant un pont entre la mythologie gréco-romaine et le judaïsme. Le petit Moïse échappe de justesse à ses assassins égyptiens, envoyés par le pharaon, tyran cruel, qui veut faire tuer tous les fils des Hébreux (Exode 1). Sa mère l’abandonne sur le Nil dans une caisse en papyrus. Heureusement, le bébé est sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le découvre et l’adopte comme son fils. Étonnant retournement ! Moïse accède au statut de prince d’Égypte, de même qu’Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe dont il devient le fils adoptif. Le schéma narratif de l’enfant persécuté qui s’en sort finalement est un modèle universel.
Plus proche encore chronologiquement de Jésus, l’empereur Auguste, reprend à son tour le même schéma légitimateur. « Quelques mois avant la naissance d’Auguste, il se produisit à Rome, dans un lieu public, un prodige annonçant que la nature allait enfanter un roi pour le peuple romain : le Sénat épouvanté décréta que l’on n’élèverait aucun des enfants mâles nés cette année-là », écrit Suétone (Vie d’Auguste, 94).
Mais la décision du Sénat n’est pas appliquée, car les femmes de plusieurs sénateurs sont alors enceintes. C’est ainsi que le futur Auguste aurait finalement été sauvé.
Il est intéressant de remarquer que Suétone nous donne le nom de l’inventeur de cette fable : Julius Marathus, affranchi et conseiller d’Auguste, rédacteur du Journal officiel de l’Empire. Il s’agit donc bien d’un mythe officiel dont la signification est politico-religieuse. Le storytelling de l’enfant qui échappe au meurtre est un stéréotype servant à légitimer le leader destiné à fonder de nouvelles règles, normes sociales et institutions : Moïse avec les Tables de la Loi, Auguste avec l’instauration du régime impérial.
Il pouvait donc être intéressant pour Mathieu d’offrir à ses lecteurs une nouvelle version de ce schéma narratif, dès lors qu’il cherchait à présenter Jésus comme un législateur et un réformateur, venu refonder la société juive. Jésus annonce l’émergence d’un monde nouveau, et il possède toute légitimité pour le faire. C’est ce que signifie l’histoire du massacre des Innocents, calquée sur les récits légitimateurs du passé. Jésus est le nouveau Moïse, ou encore l’Auguste des Juifs, fondateur d’une ère nouvelle.
Friedrich Herlin de Nördlingen, Circoncision de Jésus. Retable de Rothenburg, 1466. Wikimedia
Jésus exfiltré en Égypte ou circoncis à Jérusalem ?
Mais le récit du massacre est en contradiction avec l’épisode de la circoncision de Jésus au Temple, « huit jours » après sa naissance, relatée par l’évangile selon Luc (Lc 2, 21). Comment peut-on imaginer que Jésus puisse aller se faire circoncire à Jérusalem, capitale du méchant roi Hérode, une semaine à peine après avoir échappé à sa tentative de meurtre ? Pourquoi la menace aurait-elle disparu tout d’un coup ?
Nous croyons à la libre circulation de l’information
La généralisation de l’envoi des CV pour candidater à des postes a permis l’essor des recherches expérimentales (appelées études par correspondance ou testing) qui reposent sur des manipulations ciblées du profil de candidats dans des CV fictifs envoyés par les chercheurs pour répondre à des offres d’emploi. Deux méta-analyses récentes (1 et 2) montrent que les discriminations sont importantes quel que soit le pays ou le groupe minoritaire étudié, mais le phénomène est d’une ampleur particulière en Europe. Les études conduites en France pour mesurer les discriminations envers les candidats d’origine nord-africaine ou d’Afrique subsaharienne enregistrent des niveaux exceptionnellement élevés (1 et 2).
En plus de fournir une preuve « sur le vif », les testings contribuent à faire progresser la connaissance scientifique sur les mécanismes sous-jacents de la discrimination et sur les politiques qui permettraient de la combattre. Voyons dans le détail ce qui peut être discriminant dans un CV, à travers l’analyse des éléments d’un CV fictif (voir ci-dessous) du type de ceux que nous utilisons dans le cadre de nos recherches expérimentales. La photo est une image de synthèse.
Le CV de qui ?
Un employeur qui lit un CV ne peut passer outre le prénom et le nom du ou de la candidat·e souvent mis en exergue en tête du document – ici, « Dania Ayach ». Ces caractéristiques ne devraient en théorie avoir aucun impact sur la sélection. Mais les prénoms et les noms sont porteurs « d’identité sociale » et les employeurs en infèrent consciemment ou inconsciemment des informations qui affectent leur choix final. La majorité des études qui vise à mesurer la discrimination ethnoraciale manipule la consonance des prénoms ou des noms dans les CV. Leur usage pose toutefois des défis méthodologiques.
Dans quelle mesure un prénom renvoie-t-il à une appartenance ethnoraciale ? La perception que les employeurs ont d’un prénom ne correspond pas nécessairement à sa fréquence réelle au sein d’un groupe minoritaire. C’est pourquoi de plus en plus d’études s’orientent vers l’usage des prénoms « perçus » comme des prénoms minoritaires.
Parce que les groupes minoritaires appartiennent souvent à des groupes sociaux moins avantagés, et que le choix de donner un prénom plus ou moins ethniquement distinctif diffère selon le niveau socioéconomique des familles (1 et 2), un prénom perçu comme minoritaire peut également porter un signal d’appartenance à une classe sociale défavorisée. Distinguer les deux dimensions est important pour isoler l’effet d’une discrimination ethnoraciale. Mais il est pertinent de comprendre l’existence d’une double peine classe sociale/groupe ethnoracial pour appréhender l’écart moyen du taux d’emploi.
Enfin, les inégales chances d’embauches viennent-elles d’une préférence pour le groupe majoritaire ou d’une hostilité à l’encontre des groupes minoritaires ? En Europe, les études qui testent la discrimination en variant les groupes minoritaires décèlent une forme de « hiérarchie » qui indique une plus forte hostilité envers les minorités d’origine non-Européenne (voir par exemple cette méta-analyse réalisée au Royaume-Uni).
Dans de nombreux pays, les testings qui mesurent la discrimination envers des minorités associées à la religion musulmane enregistrent les taux les plus élevés. Par ailleurs, de rares études qui introduisent des prénoms et noms à consonance étrangère sans que l’origine nationale puisse être « identifiable », démontrent l’existence d’une préférence pour les candidat·e·s ayant un nom majoritaire. Ainsi, les deux mécanismes, préférence pour le groupe majoritaire et hostilité envers les groupes minoritaires, semblent bien en jeu.
Le visage du CV
Si le CV comprend une photo, l’employeur peut inférer visuellement le groupe ethnoracial d’un individu du fait du lien qui peut exister entre phénotype et origine ethnoraciale.
Sur un CV, la photo peut être source de discriminations. Image de synthèse. Author provided
Dans certains contextes, comme au Mexique, où les populations indigènes ne portent pas des noms distinctifs, des études utilisent plutôt des photos pour distinguer le CV du candidat minoritaire ou majoritaire. Certaines recherches ont utilisé les photos pour étudier précisément l’impact de caractéristiques ethnoraciales visibles telles que le voile (en Allemagne) ou la couleur de la peau (au Pakistan). Le voile réduit les chances d’appel, même en comparant par rapport à une candidate dont le CV signale la religion musulmane, mais qui n’est pas voilée. Une peau plus foncée diminue l’employabilité des hommes comme des femmes. Grâce aux images de synthèse, les études récentes permettent de faire ces manipulations à d’autres traits phénotypiques contrôlés, ce qui renforce l’interprétation de l’effet des caractéristiques spécifiquement ciblées dans les expérimentations.
L’adresse du CV
Les employeurs sont susceptibles de déduire du lieu de résidence une information sur la catégorie sociale, le capital culturel ou la qualité de l’éducation reçue, d’autant plus que la ségrégation résidentielle est élevée et que le lieu de résidence a un impact fort sur la réussite individuelle.
Les études montrent un effet de l’adresse qui semble lié à la fois à des caractéristiques objectives des localités (distance, équipements, accessibilité) et à leur réputation. En revanche, les études qui combinent origine et lieu de résidence ne trouvent pas d’effet spécifique de l’adresse par groupe ethnoracial.
Ces deux résultats ne sont pas incompatibles, une même discrimination à l’embauche produisant des effets moins forts sur l’emploi et les salaires pour des individus recevant des offres à une cadence plus élevée.
Les loisirs et la rubrique divers
Les employeurs peuvent percevoir dans les éléments de cette rubrique une indication sur le capital culturel des candidats. Lorsque les candidats minoritaires sont issus de l’immigration, les employeurs peuvent y voir une information sur l’attachement à la culture de la société d’accueil. Cette section a ainsi été utilisée par les études expérimentales pour placer des informations personnelles qui ont moins leur place ailleurs et qui permettent de séparer les mécanismes sous-jacents de la discrimination. C’est par exemple le cas dans les études qui manipulent l’activité associative afin de signaler l’appartenance à une religion. C’est ainsi qu’une étude récente en France a montré que la religiosité tend à diminuer le taux de réponse des employeurs lorsqu’on est musulman et à l’augmenter lorsqu’on est chrétien.
Comprendre comment les CV sont traités
L’amélioration du contexte technologique a renforcé la traçabilité du traitement des candidatures ce qui fait avancer notre connaissance sur les mécanismes sous-jacents de la discrimination. Par exemple, une étude qui s’appuie sur des candidatures par mail montre que les employeurs tchèques cliquent moins souvent sur les liens qui permettent de visualiser le CV des candidat·e·s perçu·e·s comme roms ou asiatiques. Ils discriminent donc ces candidats par le fait même qu’ils prêtent moins d’attention à leur candidature.
Un outil précieux… qui a ses limites
Les testings sont des outils indispensables pour mesurer la discrimination à l’embauche, mais ils ont leurs limites. D’abord, ils ne portent que sur la première étape de la procédure de recrutement, et manquent donc la discrimination qui pourrait exister pendant ou après l’entretien d’embauche. Ils ne nous apprennent rien non plus de la potentielle discrimination qui pourrait exister à d’autres étapes du parcours professionnel (en termes de promotion par exemple).
Ces limites plaident pour associer les testings aux autres méthodes de recherche sur les discriminations. D’une part, les méthodes expérimentales strictes utilisées en psychologie sociale, qui permettent de creuser la question des mécanismes sous-jacents tels que les biais cognitifs, les émotions et les attitudes. D’autre part, les méthodes observationnelles exploitant des données représentatives, qui visent à mesurer les écarts de taux d’emploi et de salaires ainsi que leur hétérogénéité par exemple selon le niveau d’études, les caractéristiques de l’emploi ou encore les contextes locaux et nationaux.
Un CV anti-discrimination ?
Si le CV a été un outil expérimental pour montrer l’ampleur de la discrimination et dévoiler ses mécanismes sous-jacents, ces recherches ne permettent-elles pas aussi de savoir comment rendre le CV moins discriminant ?
Une première réponse consiste à tenter d’effacer les critères potentiellement discriminants du CV. Les recherches montrent que c’est à quoi s’attellent en effet certains candidats minoritaires (1 et 2). Le CV anonyme a par ailleurs été testé dans plusieurs pays avec des fortunes diverses. En France, les résultats d’une expérimentation soulignent que si le CV anonyme pouvait bénéficier aux femmes, il pouvait nuire aux minorités, en empêchant certaines politiques de discrimination positive de fonctionner. Une étude suédoise trouve en revanche des effets du CV anonyme qui sont globalement favorables aux minorités. Une étude allemande utilisant différents essais du CV anonyme, selon des modalités et un public variables, montre que les effets peuvent grandement varier.
En plus de cette inconsistance empirique, l’usage du CV anonyme doit se confronter à plusieurs obstacles pratiques. Il est par exemple difficile à mettre en place puisqu’il nécessite l’intermédiation systématique par un tiers acteur qui anonymise la candidature. Ensuite, il n’opère que lors de la première étape du recrutement : l’identité doit de toute manière être révélée au plus tard lors de l’entretien. Enfin, jusqu’où le CV doit-il être anonymisé ? Doit-on masquer les établissements scolaires fréquentés par l’individu ? Son adresse ? Le risque étant qu’un employeur qui souhaite discriminer puisse toujours le faire en utilisant d’autres critères. Finalement, le CV anonyme est antinomique à la mise en place de politiques en faveur de la diversité, puisqu’il ne permet plus aux employeurs de distinguer les minorités quand ils souhaitent les promouvoir. Il ne s’agit pas de dire que le CV anonyme n’est pas une solution utile dans certains contextes, mais les conditions pour le rendre opérant et efficace ne semblent pas encore réunies.
D’autres pistes d’action
Si une partie de la discrimination vient du fait que les employeurs utilisent l’information plus ou moins explicite sur l’origine ethnoraciale d’un candidat pour inférer des informations inobservables sur les compétences professionnelles, une solution pourrait être d’augmenter l’information disponible sur un CV plutôt que de la réduire. Former les candidats à préparer des CV informatifs, précis et adaptés aux situations professionnelles par le biais d’ateliers pratiques dès le collège, de coaching et de mise en situation pourrait être une piste. Une autre solution serait d’inciter les jeunes, spécialement les non-diplômés, à passer des tests permettant de signaler aux employeurs leurs capacités, afin de briser stéréotypes et croyances erronées.
La discrimination peut également puiser ses racines dans les biais implicites des employeurs. Dans ce cas, permettre aux employeurs de prendre conscience de l’ampleur du phénomène et de leur propre biais pourrait atténuer le problème. Cette prise de conscience peut se faire par un ensemble de dispositifs qui permettent de faire circuler les connaissances scientifiques sur la portée des discriminations et sur leurs mécanismes, couplées à des interventions qui permettent de se départir de ses propres biais.
On peut aussi mobiliser des solutions institutionnelles et organisationnelles dont certaines ont aujourd’hui fait leur preuve aux États-Unis. Faire appel à des auditeurs externes pour contrôler les procédures de recrutement, réaliser des rapports réguliers au sein des équipes sur l’évolution de leur composition sociale, promouvoir une culture de la diversité sont toutes des mesures relativement simples à mettre en œuvre et efficaces sur le moyen et long terme. Elles sont par ailleurs déjà bien pratiquées en matière de discrimination de genre en France. Elles supposent toutefois d’identifier l’appartenance ethnoraciale des travailleurs.
Ces différentes solutions découlent des recherches qui utilisent les CV et restent ainsi concentrées sur les acteurs du marché du travail. Elles ne diminuent pas l’importance de solutions plus larges qui cherchent à déstigmatiser, réhabiliter voire compenser les minorités pour le traitement inégal sur le marché du travail. Leur combinaison permettrait de s’attaquer conjointement aux racines cognitives, culturelles et structurelles de la discrimination.
Alizée Delpierre a reçu des financements de Sciences Po Paris.
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Nous croyons à la libre circulation de l’information
Le Baiser enfantin, tableau de Jacques-Eugène Feyen (1865), huile sur toile. Lille, palais des beaux-arts. Ibex73 /Wikimedia, CC BY-SA
Je me souviendrai toujours de ce jour où Charlotte*, femme française âgée de 41 ans, manager d’une boutique de vêtements de luxe, mariée et mère de deux adolescents, me raconte ses « déboires », comme elle les appelle, avec les différentes nounous qui se sont succédé chez elle.
Confortablement installées dans le salon de son loft situé dans le VIe arrondissement parisien, nous échangeons autour d’un thé servi par l’une de ses deux « femmes de ménage », comme elle les désigne : deux femmes âgées d’une trentaine d’années, qui travaillent quotidiennement à temps plein chez elle, non seulement pour faire le ménage, mais aussi pour faire le repassage, la cuisine, ou encore sortir ses chiens, faire les courses et le service à table et au salon. J’apprends pendant notre entretien que Nadia et Siham sont marocaines, en cours d’obtention de la nationalité française.
Car, si « les Noires sont sales », selon Charlotte, « les Arabes ne sont pas très propres, mais les Marocaines ça va encore ». Nos trois heures de discussion sont rythmées par sa description de tout un ensemble d’autres stéréotypes raciaux, devant Nadia et Siham qui s’activent quant à elles discrètement dans la pièce, sans ciller.
L’exotisation des corps des employées domestiques
Lors de ses enquêtes sur les travailleurs du BTP, Nicolas Jounin est confronté à une essentialisation systématique de leurs qualités et de leurs défauts par les recruteur·e·s des agences d’intérim via lesquelles ils travaillent : par exemple, les ouvriers noirs, considérés comme robustes, sont placés sur les postes les plus éprouvants physiquement.
Sur le marché du travail domestique, les employées noires sont décrites par les personnes blanches qui ont recours à des employées à domicile en France comme « maternelles » et « chaleureuses », et sont particulièrement appréciées pour être « nounous » – les recherches de Caroline Ibos sur les « nounous » ivoiriennes qui travaillent à Paris sont éloquentes à ce propos.
Que ce soit lors du recrutement ou pendant les interactions entre employeur·e·s et employées, la domesticité cristallise des procédés de racisation des comportements et des corps des premier·e·s sur les secondes, en d’autres termes, une appréciation fondée sur la prise en compte de paramètres principalement ethnoraciaux.
Ces derniers sont aussi à l’œuvre dans d’autres univers professionnels : cela dit, ils y sont particulièrement marqués du fait de leur proximité physique dans l’espace de la maison et de leur distance sociale.
Que ce soit à temps plein ou quelques heures par semaine, il n’y a rien d’anodin, à entendre les employeur·e·s, à voir pénétrer chez soi cet « autre » qui représente tant une altérité sociale que culturelle et raciale peu familière.
Les données statistiques disponibles pour le cas français montrent que plus de 14,5 % des salarié·e·s du secteur des services à la personne sont né·e·s à l’étranger : c’est beaucoup plus que la moyenne des autres secteurs professionnels (5,5 %), et il faut y ajouter tou·te·s les travailleur·e·s issu·e·s de l’immigration, qui sont également sujet·te·s, de par leur apparence et leurs (parfois supposées) nationalités et origines, à une racisation similaire.
La racisation des comportements et des corps des employées domestiques dans l’appréciation des employeur·e·s assigne ces femmes à certaines tâches selon de supposées qualités et défauts.
Par exemple, si la femme noire, pour Charlotte comme pour bien d’autres employeur·e·s que j’ai rencontré·e·s au cours de mes recherches, possède toutes les qualités pour s’occuper des enfants, les tâches ménagères ne lui sont pas confiées. Et même dans la garde d’enfants, elle n’est pas tant recrutée pour les éveiller que pour les materner :
« Quand les enfants sont devenus grands, j’ai pris quelqu’un de plus, disons, plus… cultivée, plus vive, pour que les enfants soient stimulés, car les Africaines sont très douces mais quand même nonchalantes et peu évoluées ».
Charlotte explique ainsi qu’aux 6 ans de son aîné qui entrait alors au CP, elle a recruté une jeune fille au pair anglaise blanche, étudiante en littérature française. La « Noire », l’« Africaine », sont une seule et même femme dans les propos de Charlotte qui dresse ainsi un portrait unique et homogène des femmes ayant à ses yeux la même couleur de peau et provenant d’un même continent.
Si on s’intéresse par ailleurs à la racisation de l’« Asiatique », comme l’a fait Anne Zhou-Thalamy dans un précédent article publié dans The Conversation, les employeur·e·s de personnel domestique leur associent, à l’instar des recruteur·e·s en entreprise qu’elle étudie, des qualités de « docilité », de discrétion et de raffinement. Ces qualités expliquent en partie le succès des employées domestiques philippines sur le marché français et mondial de la domesticité : en Europe, au Canade et en Amérique du Nord, leur succès est redoublé car elles sont chrétiennes et parlent l’anglais.https://www.youtube.com/embed/N7UzoxlDWhg?wmode=transparent&start=0Zita Obra devait être employée domestique à Paris, et s’est retrouvée victime d’esclavage moderne. Documentaire, CFDT.
Les corps des employées domestiques font l’objet d’une exotisation importante de la part des employeur·e·s, qui s’inscrivent dans des imaginaires postcoloniaux que les sciences humaines et sociales ont bien décrits, notamment à travers l’analyse de photographies et d’œuvres d’art produites par les colons.
Si on poursuit sur ceux que révèlent les pratiques et les discours des employeur·e·s français·e·s d’employées domestiques originaires du continent africain, leurs soi-disant propriétés maternelles sont intrinsèquement liées à la sexualisation de leurs corps. Charlotte me décrit son ancienne « nounou » originaire du Mali comme une femme « petite mais bien en chair », qui avait « une poitrine bien généreuse », et qui, dit-elle, « était une bonne mama africaine », et donc « rassurante pour les enfants ».
À propos de ses deux employées marocaines, elle me parle à plusieurs reprises de leurs « bras musclés » qui selon elle « montrent bien qu’elles ont l’habitude de faire des gros plats pour toute une tribu ». C’est aussi leur odeur qui fait l’objet de son jugement :
« Siham, quand elle revient le dimanche soir après son jour de repos en famille, elle sent les épices encore plus fort que d’habitude, car avec leurs plats, à eux, leurs traditions, le henné, tout ça, ça imprègne les vêtements, les cheveux. »
« Eux » désigne une culture fantasmée par Charlotte qu’incarne Siham, dont elle fait pénétrer chez elle les aspects qu’elle estime les plus séduisants : « Quand elle rentre ici et qu’elle sent les épices, ça me donne envie de manger un couscous, elle le fait tellement bien ». Tous les vendredis soirs, Siham et Nadia préparent un couscous pour Charlotte et sa famille, et la seconde apprend quelques pas de danse orientale marocaine aux enfants.
L’actrice Soria Zeroual incarne Fatima, employée de ménage dans le film éponyme de Philippe Faucon, 2015, Pyramide Films. Pramide Films
Lorsque Charlotte parle du corps dansant de Nadia, elle lui associe de la « sensualité », de la « grâce », de la « chaleur », selon ses mots :
« Elle fait la danse du ventre super bien, parce que… elle a des hanches, comment dire, bien formées, alors ça aide, ça fait beau, moi qui suis toute plate à côté, ça ne marcherait pas ! » m’explique-t-elle en riant.
En opposant son propre corps à celui de son employée, Charlotte renvoie à nouveau Nadia à une orientalité construite qui fait des femmes marocaines, et par extension arabes, de bonnes danseuses, du fait d’un corps bâti pour la danse du ventre.
Cette fascination de Charlotte pour le corps exotisé de ses employées qu’elle leur demande de mettre en scène rappelle fortement la quête d’« authenticité africaine » de certain·e·s touristes, qu’alimente par ailleurs l’industrie du voyage.
La souillure de l’étrangère chez soi
Les jugements moraux et physiques des comportements et des corps des employées domestiques racisées par les employeur·e·s ne conduisent pas seulement à leur appréciation positive. Les rapports sociaux qui se nouent entre employeur·e·s et employées domestiques reposent avant tout sur leur ambivalence : chez soi, on fait pénétrer l’altérité, mais une altérité contrôlée qui ne doit pas enfreindre la distance physique et symbolique que s’attachent à entretenir les employeur·e·s.
Charlotte me raconte qu’un jour, Siham sentait « vraiment trop les épices », au point qu’elle en était incommodée :
« C’est pour ça que moi je ne veux pas d’Indiennes chez moi, c’est pour les épices, les Indiennes sentent trop les épices » précise-t-elle dans la foulée.
Ce « trop » peut être verbalisé par les employeur·e·s comme un danger qui menace ce qu’elles et ils construisent comme étant leur culture et leur intimité. Par exemple, Ava, l’ancienne « nounou » malienne de Charlotte, laissait souvent son foulard posé sur la table à manger, ce que Charlotte décrit comme « très sale » : « Je ne voulais pas manger ses cheveux » dit-elle, en poursuivant sur tout ce qu’elle ne trouvait pas propre dans les pratiques d’Ava.
Elle lui demandait de laver ses mains plusieurs fois par heure, de porter une blouse lorsqu’elle portait ses enfants bébés, et lui interdisait même de se maquiller. Chez beaucoup d’employeuses rencontrées, le maquillage des employées domestiques est souvent pointé du doigt et parfois proscrit, car il est décrit comme trop visible et vulgaire, et dénote à leurs yeux le sale :
« [Ava], elle se maquillait vraiment trop au début, gros rouge à lèvres, des traits bleus au-dessus, comme ça, c’était laid et vraiment, ça faisait sale » m’explique Charlotte avec un air de dégoût.
L’exemple du maquillage des employées caractérise les jugements de classe des employeur·e·s, et surtout, des employeuses, qui se mêlent aux procédés de racisation. Ce qui relève du goût, et plus spécifiquement, de l’évaluation des frontières du sale et du propre, est en effet une affaire de classe : « Décrire les gens, les choses ou les pratiques comme propres ou sales n’est pas une entreprise socialement neutre » rappelle Elizabeth Shove.
Le film « La Couleurs des sentiments » avec ici Viola Davis, situé dans l’Amérique ségrégationniste des années 60 traite en particulier de la notion de souillure. The Walt Disney Company France
Le terrain de la domesticité est un lieu où s’exprime très fortement ce que Wilfried Lignier et Julis Pagis appellent le « dégoût culturel de personnes ». Il s’inscrit plus largement dans l’histoire du dégoût sensoriel de classe, que renseignent entre autres les travaux d’Alain Corbin : la méfiance voire le mépris des employeur·e·s pour les classes populaires, ou du moins, jugées inférieures à leur propre classe, se cristallise dans les situations où leur cohabitation est inévitable.
Ce dégoût est d’autant plus exacerbé vis-à-vis des employées domestiques issues de milieux populaires, et racisées. Chez Charlotte, Nadia et Siham n’ont pas le droit d’utiliser les mêmes toilettes que les enfants : elle me dit trouver cela « trop sale pour eux », car, dit-elle, « après tout, je ne sais pas non plus comment elles se lavent ».
Charlotte exige par ailleurs de Nadia et Siham qu’elles s’attachent les cheveux et qu’elles désinfectent les surfaces après chacun de leur passage aux toilettes et dans la salle de bain qui leur sont réservées. La racisation de ses employées nourrit ainsi tant l’introduction volontaire d’un exotisme chez elle que son rejet lorsqu’il menace certaines normes et principes – ici, les normes sociales des goûts et dégoûts de Charlotte.
Une expression de la domination de classe et de race
Les propos et les pratiques de Charlotte ne sont pas isolés : je pourrais retracer les hiérarchies et les stéréotypies raciaux que les employeur·e·s construisent sur celles qui effectuent leurs tâches domestiques. Qu’elles confèrent des qualités ou des défauts aux employées, elles sont bel et bien l’expression de la domination de classe et de race qui structure les rapports sociaux qu’on retrouve dans de nombreuses formes de domesticités à travers le monde.
Au-delà de leur objectivation, une analyse critique de ces discours et pratiques invite à les qualifier de racistes, même si nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui affirment fermement ne pas être racistes, mais décrire une réalité irréfutable. L’exotisation des corps des employées est banalisée par les employeur·e·s, qui véhiculent entre elles et eux ces stéréotypes raciaux pour recruter de « bonnes » domestiques. Cela contribue à l’infériorisation de celles qui servent les classes et la race dominantes.
L’essentialisation de caractéristiques présentées comme des qualités n’est pas préservée de ce mécanisme d’infériorisation : dire que les femmes noires sont « maternelles » et que les femmes asiatiques sont « dociles » légitiment qu’elles soient employées domestiques en même temps que cela les exclut d’autres secteurs professionnels pour lesquels elles n’auraient a priori pas de compétences. Autrement dit, ce serait par essence, par nature, que ces femmes seraient (pré)disposées à la domesticité : une assignation symbolique forte à un métier socialement dévalorisé qui, rappelons-le, concentre 80 % de femmes, une majorité de femmes issues des classes populaires et une part non négligeable de femmes migrantes (une employée domestique sur cinq selon l’Organisation Internationale du travail.
Valoriser ces femmes pour leurs qualités manuelles et relationnelles a pour revers une dépréciation de leurs capacités intellectuelles par leurs employeur·e·s. Sweeper, by Banksy, Chalk Farm Road, Londres, 2007. Graham C99 from London, UK/Wikimedia, CC BY-NC-ND
Assigner ces femmes à la domesticité, et par là, réduire leur corps à la maternité et au travail reproductif du foyer, ont en outre pour effets une intériorisation de leur supposée infériorité en tant que femmes, que personnes racisées, et que travailleuses. J’ai rencontré de nombreuses employées domestiques qui se présentaient devant moi comme « incapables » de faire autre chose que du travail domestique, et nombreuses sont celles qui, sur un ton ironique et amer, se décrivaient comme « pas du tout cultivée » ou « pas très intelligente » selon deux expressions récurrentes.
Valoriser ces femmes pour leurs qualités manuelles et relationnelles a pour revers une dépréciation de leurs capacités intellectuelles par leurs employeur·e·s, dont certaines parviennent à se convaincre.
Et dans les cas où, au contraire, elles affirment devant moi être « intelligentes », elles jouent le jeu, devant leurs employeur·e·s, de la domination sociale et raciale : « Ma patronne pense que je ne sais pas lire… bah oui, une Sénégalaise tout droit venue du bled, ça ne sait pas lire ! » me dit un jour en rigolant Djenaba, une femme noire âgée de 29 ans, qui travaille comme cuisinière à temps plein chez une famille sur la Côte d’Azur. Il ne s’agit donc pas dans cet article de développer une vision misérabiliste des employées domestiques, très au courant des clichés raciaux de leurs employeur·e·s.
Seulement, il y a là le fait dramatique que beaucoup de ces femmes, mues par la nécessité économique de trouver un travail, se voient obligées de jouer le jeu de la domination en incarnant ces clichés. Au fond, de tels mécanismes d’incorporation de la domination, même lorsqu’elle est consciente et non consentie, est un exemple parmi d’autres de la prégnance d’imaginaires et de pratiques postcoloniales qui dynamisent les marchés du travail contemporains.
De la même manière qu’on demandait aux peuples déplacés des colonies françaises de mettre en scène leurs soi-disant « cultures » dans les zoos humains en France métropolitaine, un ensemble de travailleuses et de travailleurs subalternes se voient aujourd’hui contraint·e·s de jouer le jeu de leur propre domination pour espérer obtenir un emploi et survivre. Force est de déplorer que celles et ceux qui félicitent leurs employées domestiques marocaines pour leur couscous sont directement responsables de l’infériorisation de celles qui ne resteront à leurs yeux que des Arabes, des immigrées.