Le nom de Mirmande vient du latin « mirus » (admirable) et de « Manda », du verbe « mandarere » qui veut dire dominer, commander : donc, lieu admirable qui commande la plaine (bulletin archives 1910 XLIV 376)
1184 Mirmanda (cartel de St Chaffre 37)
Castrum mirandae
1187 Mirmanda
1238 Castrum mirmandae (Gall Christ XVI 114)
Castrum de mirmanda.
Castrum mirmande (Col 49 arch Drôme C. 8.75)
1360 Castrum de mirmanda (Castel de Montelimar 62)
1360 Mandamentum de mirmanda ( Castel de Montelimar 62)
1396 Mirmanda valentinensis diocesis (d’Hozier III 957)
Priou de mirmanda (archives Drome)
XIVe Prioratus de mirmanda (Valence)
Sté Fides miramande (Isère B 829 1164 arch Drôme 39M11)
1516 Curatus mirmande
1540 Mirmanda (Pouillé de Valence, dédiée à Ste Foy)
1555 Mirmande (inv Morin Pons 201)
XVIe Capella de mirmanda (pouillé de Valence)
Capellanus de mirmanda (4xxbb archv montil Drôme 39m11)
Marius ColinDocteur et Maître de Conférences en Microbiologie, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Marius Colin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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Nous croyons à la libre circulation de l’information
Dans un contexte sanitaire particulier et inquiétant, les virus ne sont pas les seuls microorganismes qui peuvent représenter une menace sérieuse. Les bactéries (et les champignons dans une moindre mesure) sont responsables de très nombreuses infections, en particulier dans les établissements de santé où un patient sur vingt contracte une infection nosocomiale.
Bien que la plupart de ces infections puissent être traitées aujourd’hui, cela pourrait ne plus être le cas dans un futur relativement proche. En effet, les pathogènes acquièrent progressivement et inéluctablement des résistances aux antibiotiques qu’on leur oppose. Le mauvais usage des antibiotiques (surutilisation, mauvaise posologie…) sélectionne les bactéries les plus résistantes qui vont donc pouvoir survivre puis transmettre leurs gènes de résistance à leurs congénères.
Les résistances aux antibiotiques peuvent donc s’accumuler chez certaines espèces bactériennes, et des bactéries multirésistantes émergent déjà depuis de nombreuses années. Désormais, le risque de voir se développer des bactéries panrésistantes (c’est-à-dire résistantes à tous les antibiotiques connus) provoquant des infections incurables est une épée de Damoclès qui menace la santé humaine. Si un tel scénario se produisait, ces infections bactériennes pourraient redevenir la première cause de mortalité d’ici 2050.
L’ennemi dans l’ombre : le biofilm
À ce phénomène de résistance s’ajoute un autre mécanisme développé par les bactéries. Lorsque celles-ci subissent un stress, la plupart des bactéries modifient leur comportement en venant adhérer à une surface. Elles vont ensuite produire une matrice, un ensemble de polymères qui va se consolider et protéger les bactéries des attaques extérieures.
Biofilm de Staphylococcus aureus observé en microscopie électronique à balayage. Marius Colin, Author provided
Cet ensemble de bactéries adhérées et de matrice constitue ce que l’on appelle un biofilm. Bien qu’ils existent dans de nombreux écosystèmes, les biofilms attirent particulièrement l’attention au niveau médical, car leur implication dans les infections était fortement sous-estimée jusqu’à récemment.
La fameuse plaque dentaire est probablement l’exemple le plus imagé de biofilm se formant sur nos propres tissus, et celle-ci reste sans danger tant qu’elle est sous contrôle. En revanche, des biofilms surviennent fréquemment dans des infections osseuses en s’accrochant sur la surface de l’os ou des prothèses (de hanches, de genoux…), mais aussi dans des infections pulmonaires notamment chez les patients atteints de mucoviscidose, ou encore dans des infections cardiaques.
Sous forme de biofilm, les bactéries sont mieux protégées des attaques du système immunitaire, mais aussi de l’action des antibiotiques. En effet, de nombreuses bactéries dans le biofilm se trouvent dans un état métabolique ralenti (voire arrêté) et les antibiotiques sont efficaces contre les bactéries actives, donc les bactéries les « esquivent ». Les traitements antibiotiques se révèlent alors inefficaces, voire pire, ils peuvent stresser les bactéries (au lieu de les tuer) et celles-ci vont produire davantage de biofilm. Le seul recours possible est alors de réaliser un retrait de la prothèse et/ou une ablation des tissus colonisés par le biofilm. Le défi médical actuel est donc de mettre au point des solutions antibiofilms et notamment des méthodes de prévention de la formation de biofilms.
Alors, où chercher ces nouvelles molécules ? Plusieurs possibilités existent, car des molécules antimicrobiennes peuvent être d’origine synthétique, biologique ou hybride. Parmi les ressources biologiques envisageables, l’une d’entre elles attire particulièrement l’attention : les écorces d’arbres.
Tout d’abord, l’écorce représente la première ligne de défense physique, mais aussi chimique, de l’arbre contre les pathogènes, et il est donc possible d’envisager que des molécules antimicrobiennes soient présentes dans les écorces de certaines essences forestières. Ensuite, les écorces ne sont quasiment pas exploitées par l’industrie forestière et sont, au mieux, utilisées en tant que combustible, quand elles ne sont pas simplement considérées comme des déchets et éliminées. Elles représentent donc des produits valorisables et non polluants qui peuvent être récupérés en quantités importantes.
Des écorces d’arbres contre les microbes
C’est dans cette optique de revalorisation que les laboratoires Biomatériaux et inflammation en site osseux (BIOS) et Institut de chimie moléculaire de Reims (ICMR) de l’Université de Reims Champagne-Ardenne se sont associés pour étudier un panel de 10 espèces d’arbres caractéristiques du nord-est de la France : le hêtre commun, le chêne pédonculé, l’aulne glutineux, le merisier, l’érable sycomore, le frêne commun, le peuplier du Canada (Robusta), le mélèze d’Europe, l’épicéa commun et le peuplier tremble.
Pour chaque essence d’arbre, l’écore a été utilisée pour produire une poudre ou « extrait » grâce à diverses méthodes chimiques et chaque extrait a été testé sur un ensemble de microorganismes, parmi lesquels des bactéries et des champignons microscopiques. Pour cela, une culture du microorganisme est mélangée à l’extrait en différentes concentrations puis, après 24 heures d’incubation, la croissance des microorganismes est évaluée. Ainsi, il a été observé que, pour trois des dix extraits, la croissance de la plupart des microorganismes était inhibée. Il s’agissait du chêne pédonculé (Quercus robur), de l’aulne glutineux (Alnus glutinosa) et du merisier (Prunus avium).
Les extraits se présentent sous la forme de poudres qui sont ensuite mises en solution. Marius Colin, Author provided
La suite de l’étude s’est focalisée sur ces trois espèces les plus prometteuses, en visant à évaluer la nature de l’effet antimicrobien des extraits. En d’autres termes : les extraits d’écorces inhibent-ils simplement la croissance des microorganismes (on parlera alors d’effet bactériostatique pour les bactéries ou fongistatique pour les champignons) ou vont-ils jusqu’à détruire ces microorganismes (on parlera alors d’effet bactéricide ou fongicide) ?
Les tests effectués ont montré que les trois extraits présentaient effectivement des activités bactéricides et fongicides sur certains microorganismes. L’extrait qui s’est alors avéré le plus intéressant est celui provenant du merisier, car il présentait une activité létale sur neuf des souches de microorganismes testés. En particulier, l’extrait de merisier a montré une action bactéricide sur des pathogènes appartenant aux genres Enterococcus (infections urinaires, endocardites…) et Listeria (listériose), mais aussi, et surtout sur les souches de Staphylococcus aureus, le tristement célèbre staphylocoque doré responsable de plus de 14 % des infections nosocomiales. L’effet antibactérien du merisier a été observé même pour des concentrations relativement faibles en extrait.
Des molécules naturelles empêchant la formation de biofilm
Toutefois, le problème des agents antibactériens provient de leurs effets délétères lorsqu’ils ne sont pas utilisés correctement, notamment en conduisant à la formation de biofilm. Il est donc apparu essentiel de vérifier si l’extrait de merisier, à des doses faibles, ne favorisait pas la formation de biofilm par les staphylocoques dorés. Pour cela, des cultures de staphylocoques dorés ont été mélangées à l’extrait puis la quantité de biofilm formée sur des parois en plastique a été analysée. Il a ainsi été constaté que, même à des concentrations faibles, l’extrait de merisier n’entraînait pas l’apparition de biofilm, mais que, au contraire, elle permettait de prévenir sensiblement sa formation.
Les biofilms formés sur le plastique sont colorés en violets. Lorsque les bactéries sont en présence de l’extrait d’écorce, la coloration violette est moins importante. Marius Colin, Author provided
Forts de ces résultats engageants, les investigations se sont ensuite centrées sur l’identification de la molécule à l’origine de ces effets antibactérien et antibiofilm. Des analyses par résonance magnétique nucléaire ont permis d’identifier une quinzaine de molécules présentes dans l’extrait de merisier, et l’extrait a ensuite été décomposé en fractions contenant les diverses molécules. Des essais supplémentaires ont montré que les fractions présentant les effets antibactérien et antibiofilm les plus marqués étaient celles contenant une espèce chimique bien particulière : la dihydrowogonine, une molécule appartenant à la classe des flavonoïdes, un groupe de molécules connu pour ses effets antimicrobiens.
La découverte de nouvelles molécules d’intérêt est un atout indispensable à une époque où les infections sont de plus en plus complexes à traiter. L’origine végétale et renouvelable de la dihydrowogonine est un argument supplémentaire qui encourage la recherche autour ces ressources, d’autres essences d’arbres abritant potentiellement des molécules efficaces dont le rôle à jouer dans la lutte contre les pathogènes multirésistants pourrait s’avérer crucial dans les années à venir.
Joel ChevrierProfesseur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Joel Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Des chercheurs du Weizmann Institute of Science (Israël) ont publié, le 9 décembre 2020, une étude scientifique dans la revue Nature intitulée « La masse mondiale produite par l’homme dépasse toute la biomasse vivante ». Dès le résumé, une phrase situe clairement le propos :
« Nous constatons que la Terre se trouve exactement à un point de croisement. En 2020, la masse anthropogénique, qui a récemment doublé tous les 20 ans environ, dépassera toute la biomasse vivante mondiale. »
La masse de l’ensemble des objets solides inanimés fabriqués par l’homme est désormais supérieure à celle du vivant. Ce résultat résonne comme une caractérisation quantitative et symbolique de l’Anthropocène.
Deux remarques arrivent immédiatement à la lecture. D’abord, en regardant l’environnement proche d’une bonne partie de la planète, ce constat n’est pas si surprenant. Il y a sur Terre plus de 1 milliard de véhicules, plusieurs milliards de smartphones, ordinateurs et tablettes, des constructions et des routes absolument partout, sans parler de la masse colossale de vêtements… 7 milliards d’humains, massivement équipés, contre 3000 milliards d’arbres sans aucune possession. Peu étonnant donc, mais l’avoir chiffré scientifiquement constitue un violent signal d’alarme.
À New York en septembre 2019 lors du lancement de l’iPhone 11 par la marque Apple. Drew Angerer/AFP
Les auteurs le soulignent : « Cette quantification à partir de sa masse, de l’entreprise humaine donne une caractérisation quantitative et symbolique de l’époque de l’Anthropocène induite par l’homme ».
« Quantitative » car si la communauté scientifique ne semble pas heurtée par ce résultat, c’est un tour de force d’être parvenu à l’établir et à le rendre robuste après des années de recherche. « Symbolique » car peser la présence de l’homme sur la planète à travers ses traces, ses productions et ses déchets, a le même effet que de se peser soi-même : faire face à un chiffre précis et incontournable, sans négociation possible.
L’éducation scientifique consiste en partie à apprendre à gérer collectivement des réalités incontournables, construites sur des faits établis. « La grande tragédie de la science », écrivait le biologiste Thomas Huxley au XIXe siècle, c’est « le massacre d’une magnifique hypothèse par un fait minable ».
Sous nos yeux, un basculement
La comparaison entre ces deux masses, celle du vivant et celle de nos objets, alerte sur la domination grandissante des humains sur la planète. Mais analyser l’importance de la masse dans cette comparaison « artificiel inerte » et vivant n’est peut-être pas si simple. La masse n’est pas tout : au poids, l’ensemble de tous les virus de la Covid dans tous les corps humains de la planète, reste quantité négligeable. Le SARS-CoV-2 ne se caractérise ni par sa masse, ni d’ailleurs par son énergie, les deux sont ridicules : il a pourtant des conséquences majeures.
Cette étude vient néanmoins nous mettre sous le nez un basculement. Depuis des décennies, des ouvrages démontent la vision d’une planète Terre dont les ressources et les espaces infinis permettraient d’accueillir et de diluer sans dommage toutes les pollutions. Cette conception a sans doute connu son apogée avec l’explosion atmosphérique des mégabombes nucléaires au milieu du XXe siècle. Il n’y a encore que quelques décennies.
L’évolution décrite par cette étude vient s’ajouter à la liste des changements majeurs induits par les bouleversements environnementaux pour révéler que nous sommes entrés dans un autre monde, celui de l’Anthropocène.
Comme le soulignent les chercheurs britanniques Jan Zalasiewicz et Mark Williams, dans leur article publié sur le sujet en décembre dernier sur The Conversation, « le scénario de science-fiction d’une planète artificielle est déjà là ».
Courante dans le cinéma et la littérature de science-fiction, cette vision d’une planète dévorée par l’humain sous-tend en effet de nombreux chefs-d’œuvre. Elle prend la forme de Trantor dans Fondation de Isaac Asimov, l’Étoile de la mort dans Star Wars, Alpha dans l’adaptation de L’Empire des mille planètes chez Luc Besson. Dans une analyse vidéo glaçante du film Soleil vert de Richard Fleischer pour Arte en 2017, l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster nous disait sa souffrance devant cette idée.https://www.youtube.com/embed/-Au1lHT9NVM?wmode=transparent&start=0« Soleil vert » par Dominique Gonzalez-Foerster dans l’émission « Blow up ». (ARTE/Youtube, 2015)
L’humanité, indissociable de la biosphère
Le monde de nos constructions et de nos productions ne génère pas de vie. Il est hors de la biosphère. À l’inverse, les arbres se nourrissent eux d’énergie lumineuse, d’eau et de minéraux. Le végétal produit du vivant à partir de l’inerte, et est à l’origine des chaînes alimentaires dont nous dépendons. À ce jour, nous mangeons encore du vivant pour rester vivants et avoir des enfants, nous plantons dans le sol et nous élevons du bétail.
Pour le reste, bien des productions artificielles nourrissent d’abord notre désir infini, comme le souligne l’économiste Daniel Cohen dans son ouvrage Le Monde est clos et le désir infini.
Le philosophe Baptiste Morizot considère quant à lui dans Manières d’être vivant que, parmi les 10 millions d’espèces vivantes, la nôtre a fait sécession et s’est prise à considérer les autres comme une ressource. Malgré nos efforts dans ce sens, nous ne parvenons pourtant pas à nous émanciper du vivant. La Covid en est la preuve. Nous appartiendrons toujours à la biosphère, qui continuera de s’inviter sans notre permission dans notre monde artificiel.https://www.youtube.com/embed/ho2tkNQW2cA?wmode=transparent&start=0Baptiste Morizot à l’émission « 28 minutes ». (Arte/Youtube, février 2020).
Donald Trump et la Covid, effet boomerang
Les bactéries et les virus à l’origine des pandémies évoluent rapidement au niveau moléculaire, et nous scrutons impuissants leurs mutations, incapables de contrôler l’immense complexité du vivant.
Nous nous sommes efforcés de contrôler massivement le vivant dans des situations simplifiées, dans le cadre de l’agriculture et de l’élevage intensifs et industriels, construits sur la chimie et la technologie. Mais dans le même temps, nous savons que les pollinisateurs indispensables sont détruits par notre activité même. Certains rêvent pourtant toujours de ce contrôle du vivant comme futur de l’humanité : manipuler le vivant à grande échelle et dans tous ces détails, donc jusqu’à l’échelle moléculaire, pour en faire véritablement une ressource, ce qui rendrait de facto la biosphère cosmétique…https://platform.twitter.com/embed/index.html?creatorScreenName=J_Chevrier&dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1347303399700762625&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fsur-terre-la-masse-de-lartificiel-egale-desormais-la-masse-du-vivant-153352&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=ed20a2b%3A1601588405575&width=550px
Le retour au réel forcé par le vivant fut probablement la plus grande surprise de Donald Trump, qui fait partie de ces rêveurs. Il n’avait probablement jamais vécu une opposition d’une telle violence à sa volonté. Bien sûr, il n’y a aucune intention chez un virus. Seulement des réactions chimiques entre le virus et le corps de Donald Trump. Ce dernier fait partie des hommes qui ont l’accès le plus facile à la puissance humaine matérielle, caractérisée aussi par une consommation mondiale d’énergies essentiellement fossiles inouïe, de plus de 150 000 TWh par an.
Cela n’a pas suffi face à ce virus, au contraire. Donald Trump n’ayant pas cru les scientifiques, l’épidémie l’a laissé désemparé. L’attitude imperturbable d’Anthony Fauci – le conseiller de la présidence américaine sur la pandémie de Covid-19 – en scientifique impeccable l’a souligné : des jeux de pouvoir et d’influence dans le monde humain n’ont pas suffi car la partie se jouait dans la biosphère.
Accélération exponentielle
Nous disposons désormais de l’essentiel de la connaissance établie et nécessaire pour envisager l’avenir. Reprenant l’étude israélienne publiée dans Nature, Jan Zalasiewicz et Mark Williams soulignent encore dans leur article :
« Au cours des vingt dernières années, la masse anthropogénique a encore doublé pour être équivalente, cette année, à la masse de tous les êtres vivants. Dans les années à venir, le monde vivant sera largement dépassé – cette masse sera multipliée par trois d’ici 2040 si les tendances actuelles se maintiennent. »_
Cette publication dans la prestigieuse revue Nature, tout comme les études sur le climat et l’évolution de la biosphère, le montrent bien : cet emballement artificiel ira assez vite à l’échelle des générations humaines. Il n’y aura a priori pas de grande surprise, en tout cas du côté des bonnes nouvelles. Les travaux scientifiques vont certainement s’intensifier encore sous la pression croissante des conséquences : toujours plus de canicules devenant insupportables, de tempêtes toujours plus violentes, de pandémies tueuses, de mégafeux dévastateurs, de pénuries d’eau, et d’appauvrissement dramatique du vivant…
La Covid nous a confrontés à la brutalité des croissances exponentielles. Celle de la masse anthropogénique en est une autre. Les matériels produits presque à l’infini ont commencé à croître violemment après la Seconde Guerre mondiale, avec les premiers « boomers », la génération de mes parents.
Voitures, avions, machines domestiques, outils numériques ont envahi le monde à une vitesse incroyable. Et cette progression se poursuit, à un rythme proprement insoutenable pour les générations futures.
Alexis MetzgerGéographe de l’environnement, du climat et des risques, Université de Lausanne
Alexis Metzger a reçu des financements de la région IDF pour son contrat doctoral, des université de Limoges et Strasbourg pour des contrats postdoctoraux et de l’ENS d’Ulm pour un contrat d’ATER.
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Hendrick Avercamp, Les plaisirs de la glace près d’une ville, 1620. Wikipédia
Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires, Des histoires du temps passé, Quand les branches d’arbres sont noires, Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
C’est par ces mots d’Alfred de Vigny que je vous invite à explorer un paysage d’hiver. Direction Kampen, petite ville hollandaise à une centaine de km à l’est d’Amsterdam, au début du XVIIe siècle.
C’est là qu’a vécu pendant une grande partie de sa vie Hendrick Avercamp, artiste spécialiste de scènes hivernales. Dans ma thèse de géographie, publiée il y a un an sous la forme d’un beau livre, j’ai travaillé sur un corpus de ses peintures et sur les peintures d’autres artistes hollandais du XVIIe siècle. L’idée consistait à étudier si leurs œuvres correspondent à la réalité des hivers de l’époque ou s’il s’agissait simplement d’un imaginaire glacé que l’artiste avait voulu transmettre.
Détail : les pêcheurs.
Que voyons-nous sur cette toile ? Un nombre impressionnant de personnages se déplacent sur une étendue de glace. À gauche, on distingue des pêcheurs, ayant probablement trouvé du poisson après avoir découpé un bloc de glace. On peut estimer son épaisseur à une quinzaine de cm en regardant le bloc de glace par rapport à la taille des personnages. Au loin, plusieurs tentes sont montées, il s’agit sans doute de buvettes éphémères qui affichent fièrement les drapeaux provinciaux. Plusieurs personnes aisées, d’après leurs costumes, avancent sur des traîneaux, peut-être vers la ville de Kampen dont on distingue les remparts à l’arrière-plan.
La glace est aussi un lieu où l’on expose ses richesses, le lieu « tendance »… C’est l’époque où arrive de France aux Pays-Bas le vertugadin avec son bourrelet placé au niveau des hanches pour donner à la robe des femmes de l’ampleur. À droite, on distingue deux joueurs de kolf, l’ancêtre du golf (sur glace !). Encore un peu plus à droite, d’autres pêcheurs découpent un trou dans la glace en contrebas d’un gibet sur lequel on distingue des pendus. Dans le ciel, une couche de nuages rose-bleu assez uniforme occupe la moitié du tableau.
Détail : les traîneaux.
Évaluer le réalisme de l’image
Cette image est-elle réaliste ? Pour répondre à cette question, j’ai consulté des ouvrages d’histoire de l’art, d’histoire culturelle et d’histoire du climat. L’approche géographique et climatologique m’a aussi conduit à interpréter cette œuvre d’art à la lumière des dynamiques atmosphériques, c’est-à-dire en regardant plus scrupuleusement les types de temps météorologiques et leur évolution supposée.
D’après les sources écrites, il est manifeste que cette peinture correspond bien à une image de la vie quotidienne. Les Hollandais s’habillaient bien ainsi, étaient bien adeptes des sports de glace, pêchaient, se déplaçaient massivement en hiver… Parfois plus qu’en été ! Parce qu’acheter des patins à glace ne coûtait quasiment rien et que la densité des cours d’eau en Hollande permettait d’aller voir sa famille ou des amis facilement. Alors qu’en été la marche était plus longue ou les coches d’eau plus onéreux ? Les buvettes étaient présentes, la bière coulait à flots, parfois après les parties déchaînées de kolf, aux règles bien définies – comme à la pétanque on pouvait essayer d’envoyer au loin pour la « dégommer » une boule trop proche du marqueur !
Détail : les tentes/buvettes, ornées des drapeaux provinciaux.
Intéressons-nous maintenant aux éléments météorologiques et au climat. Le début du XVIIe siècle est bien marqué par une récurrence d’hivers froids. C’est un des extrêmes frais du « petit âge glaciaire » décrit par Emmanuel le Roy Ladurie, terme sans doute excessif, correspondant à des températures moyennes d’environ -1 °C par rapport à la normale 1961-1990. La période a duré du début du XIVe siècle au milieu du XIXe siècle. Des anciennes chroniques, correspondances, observations météorologiques nous confirment que la Hollande était bien concernée par cette période plus froide. Mais pas tous les hivers et pas tout le temps en hiver…
Dans cette peinture, nous voyons la mer intérieure des Pays-Bas, la Zuiderzee, disparue car drainée en grande partie au XXᵉ siècle. À l’époque d’Avercamp, elle n’était pas du tout gelée tous les hivers. Certains amateurs de glisse, comme un certain Caescooper à la fin du XVIIe siècle, se désolent d’ailleurs de ne pas pouvoir ajouter sous leur barque des patins pour y pratiquer une sorte de char à voile (sur glace, donc). Toutes les peintures hivernales d’Avercamp nous incitent à penser que tous les hivers étaient suffisamment froids pour que tous les cours et plans d’eau gèlent. Image d’Épinal : en reprenant les carnets d’un pasteur frison, ayant noté tous les jours le temps qu’il observait et les jours de gel, on peut estimer à moins de 20 % le nombre de jours entre décembre et février marqués par le gel.
Voilà donc sans doute l’enseignement d’une étude pluridisciplinaire entre géoclimatologie, histoire et art : ces tableaux sont des miroirs déformants. Ils nous montrent uniquement certains moments dans l’hiver ; et Avercamp ne sera pas le seul à peindre des hivers où les Hollandais de toutes classes sociales patinent. Au XVIIe siècle, les scènes d’hiver sont à la mode et celles de Jan van Goyen, Aert van der Neer, Jacob van Ruisdael reprennent ce même motif qui devient presque un topos.
Jan van Goyen, Scène d’hiver sur la glace, 1641. Wikimedia
Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce cette image des hivers qui a été peinte maintes et maintes fois ? Pourquoi ne pas représenter des hivers doux, des hivers humides avec des pluies ou chutes de neige importantes – ce qu’on ne voit jamais dans la peinture hollandaise de ce Siècle d’or ?
Un hiver idéalisé
Les hypothèses s’accumulent avec le renfort de l’interdisciplinarité. De fait : si ces hivers-là, froids et glacés, sont tellement peints, c’est parce qu’ils trouvaient leurs acheteurs. Ils étaient donc désirés, tant par les pauvres que par les riches, car acheter des peintures ne coûtait pas grand-chose. Vermeer lui-même, si côté aujourd’hui, avait échangé une de ses peintures contre une barque montée sur des patins à glace. Nul ne sait si cette barque existe encore, mais elle aurait sans doute valu une fortune aujourd’hui ! Ces peintures étaient l’équivalent de nos photographies, de famille ou de paysage, exposées dans nos intérieurs contemporains.
Les joueurs de kolf, ancêtre du golf.
Peindre la glace permettait de mettre en valeur toute une société. Tout le monde patine, ensemble, enfant, femmes, hommes, riches et pauvres. La glace était le lieu de lien social, de melting-pot. Pour pouvoir afficher cette image, exit donc les ciels pluvieux ou neigeux (qui permettent beaucoup moins de sorties), tout comme les hivers doux (où l’on ne patine pas). Les ciels sont majoritairement couverts de stratus dans les peintures, ce qui est tout à fait cohérent pour des types de temps froids, alimentés par l’humidité, mais avec pas ou très peu de précipitations.
Peindre la glace, c’était aussi peindre une eau amie, maîtrisée, qui pouvait pourtant lorsqu’elle dégelait occasionner de sévères inondations. Enfin, et c’est là tendre peut-être vers la political ecology, peindre la glace permettait aux Hollandais de se mettre en avant en tant que nouvelle société protestante, indépendante depuis peu de l’Espagne catholique. C’étaient des images d’hivers bien différentes de celles que peignaient les Espagnols à l’époque, comme la célèbre Vue de Tolède du Greco, noyée sous la chaleur.
Le Greco, Vue de Tolède, entre 1596 et 1600. Wikimedia
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces images qui fourmillent de détails. Le gibet à l’arrière-plan rappelle peut-être que la tolérance protestante n’existait que jusqu’à un certain point… Amusez-vous, soyez ensemble, mais dans le respect de valeurs morales ! Plus largement, montrer pourquoi certains courants artistiques sont marqués par certaines représentations paysagères plutôt que d’autres implique des regards pluridisciplinaires.
Les initiales du peintre se cachent sur un tonneau. Wikimedia
La géographie, qui étudie les rapports entre les hommes et leur environnement, sonne à la porte. Car pour mieux comprendre ces œuvres d’art, la géoclimatologie, la géographie culturelle voire la géomorphologie peuvent donner des clés de lecture. L’angle de lecture climatique peut être particulièrement révélateur et mettre en perspective les enjeux de l’adaptation aux changements climatiques passés et présents. Il suffit de trouver la bonne loupe. Avez-vous d’ailleurs pu repérer la signature de l’artiste que, facétieux, il s’ingéniait à ajouter sous la forme de graffiti dans ses tableaux ?
James FosterPostdoctoral fellow in functional zoology, Lund University
Partenaires
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Les insectes se dirigent un peu comme nos ancêtres : en se fiant au ciel. La position du soleil constitue leur principal repère, mais ils sont également sensibles aux propriétés de la lumière diffuse, la lueur bleue émanant des couches supérieures de l’atmosphère, qui les renseigne indirectement. Les indications fournies par le rayonnement solaire diffus sont notamment les variations de luminosité et de couleur du ciel, ainsi que la façon dont la lumière est polarisée par l’atmosphère. L’ensemble de ces « indices célestes » permet à diverses espèces d’insectes de suivre une trajectoire déterminée.
De nuit, les indices visuels étant plus difficiles à percevoir, les choses se compliquent. Si certaines espèces nocturnes s’en remettent à la lueur de l’astre lunaire pour s’orienter, les bousiers (Scarabaeus satyrus) se fient aux points lumineux de la Voie lactée, la traînée lumineuse qui parcourt le ciel nocturne, et qui est due à la disposition en forme de disque des étoiles de notre galaxie. Pour nous permettre de comprendre comment ils s’y prennent, mes collègues et moi-même avons reproduit, à l’aide de diodes électroluminescentes, une Voie lactée artificielle destinée à évaluer les performances des coléoptères. Nous avons ainsi découvert qu’ils se basent sur les variations de luminosité entre les différentes parties de la Voie lactée pour déterminer leur trajectoire.
L’obscurité n’empêche pas les Scarabaeus satyrus de se repérer. Chaque soir, ils prennent leur envol dans la savane africaine, en quête des bouses fraîches dont ils se nourrissent. Mais ils ne sont pas seuls. Alors, pour échapper à la concurrence de leurs semblables, ils façonnent une pelote d’excréments qu’ils déplacent sur quelques mètres en la faisant rouler avant de l’enterrer et de s’en repaître.
Et j’emmène ça où, moi ? Shutterstock
Pour éviter de revenir à leur point de départ, ils font rouler leur boulette en conservant une trajectoire rectiligne. Des scientifiques ont découvert qu’ils en étaient capables même par nuit sans lune, pourvu que le ciel soit dégagé. En 2009, un groupe de chercheurs a donc emmené un certain nombre de spécimens au planétarium de Johannesburg, où ils ont observé la capacité des bousiers à s’orienter en fonction de différentes configurations de la voûte étoilée.
Les scientifiques ont constaté que les coléoptères parvenaient à maintenir leur trajectoire lorsque seule la Voie lactée était projetée sur le plafond du planétarium. En revanche, ils se montraient moins performants dès lors que seules les étoiles les plus brillantes étaient activées.
Rien ne permettait cependant de déterminer avec certitude quel type de repère la Voie lactée fournit aux coléoptères. Nous savions, par exemple, que les oiseaux qui migrent la nuit peuvent distinguer les constellations situées autour du pôle Nord céleste, tout comme le faisaient les marins avant l’avènement des systèmes de navigation modernes. Ces constellations demeurent visibles dans l’hémisphère Nord du ciel lorsque la Terre tourne, et constituent donc un repère fiable pour les itinéraires nord-sud.
Les expériences menées au planétarium ont montré que les coléoptères ne s’en remettent pas aux constellations formées d’étoiles brillantes, mais plutôt aux caractéristiques de la Voie lactée. Mes collègues et moi-même nous sommes donc dit qu’ils procédaient probablement à des comparaisons de luminosité, en repérant soit le point le plus lumineux de la Voie lactée, soit un certain gradient de lumière présente dans le ciel du fait de cette dernière.
Une Voie lactée artificielle
Pour confirmer cette théorie, nous avons eu recours à notre Voie lactée artificielle, reproduite sous forme de traînée lumineuse simplifiée, et en simulant différentes configurations d’étoiles et de gradients de lumière. Nous avons constaté que les insectes s’éloignaient de leur trajectoire lorsqu’ils étaient confrontés à une disposition partielle d’étoiles au sein de la Voie lactée. Ils ne parvenaient à respecter l’itinéraire voulu que si les deux extrémités de la traînée présentaient des degrés de luminosité différents.
Ces observations montrent que les coléoptères nocturnes ne se fient pas aux tracés complexes des étoiles de la Voie lactée mais plutôt à la différence de luminosité au sein de la voûte céleste. Il en va de même pour leurs semblables diurnes, qui s’orientent, lorsque le soleil n’est pas visible, en se basant sur le gradient de luminosité du ciel.
Une boussole pour le travail de nuit. Shutterstock
Si cette stratégie, qui repose sur la différenciation des degrés de luminosité, est assurément moins élaborée que la méthode consistant à se référer à certaines constellations, méthode à laquelle ont recours les oiseaux et les navigateurs, elle s’avère tout à fait adaptée pour interpréter la multiplicité de données que présente la voûte céleste, surtout si l’on tient compte de la taille minuscule des yeux et du cerveau de ces insectes. Ils surmontent ainsi les possibilités limitées de leurs systèmes de traitement des informations et en font davantage avec moins de ressources, tout comme les humains ont appris à le faire avec la technologie.
Quoique rudimentaire, cette approche se révèle particulièrement efficace sur de courtes distances. De fait, bien que le Scarabaeus satyrus soit la seule espèce connue à s’orienter de cette manière, cette technique pourrait bien être utilisée par de nombreuses autres créatures lors de leurs expéditions nocturnes.
Kimberly HowlandResearch Scientist/Adjunct University Professor, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Philippe ArchambaultProfessor & Scientific Director of ArcticNet, Université Laval
Déclaration d’intérêts
Jørgen Berge reçoit un financement du Conseil norvégien de la recherche (300333).
Carlos Duarte reçoit des fonds de l’Université des sciences et des technologies du roi Abdullah et du Fonds de recherche indépendant du Danemark.
Dorte Krause-Jensen reçoit des fonds de divers fonds de recherche gouvernementaux, tels que l’Independent Research Fund, au Danemark, et de fonds de recherche privés, dont les Fondations Velux.
Karen Filbee-Dexter reçoit des fonds d’ArcticNet, du réseau norvégien Blue Forest, du Conseil australien de la recherche et du Conseil norvégien de la recherche (BlueConnect).
Kimberly Howland reçoit des fonds de Pêches et Océans Canada, de Ressources naturelles Canada et de Polar Knowledge Canada.
Philippe Archambault reçoit un financement d’ArcticNet.
Nous croyons à la libre circulation de l’information
Avec sa superficie d’un peu plus de 14 millions de kilomètres carrés, l’océan Arctique est le plus petit et le moins profond des océans du monde. C’est également le plus froid. Une grande étendue de glace de mer flotte près de son centre. Elle s’étend pendant le long hiver, froid et sombre, et se contracte en été, lorsque le soleil monte plus haut dans le ciel.
C’est en septembre, chaque année, qu’il y a le moins de couverture de glace de mer. En 2020, sa superficie n’était que de 3,74 millions de kilomètres carrés, soit la deuxième plus petite superficie mesurée en 42 ans et environ la moitié de celle de 1980. Chaque année, à mesure que le climat se réchauffe, l’Arctique conserve de moins en moins de glace.
Les effets du réchauffement climatique se font sentir dans le monde entier, mais nulle part autant que dans l’Arctique. La température augmente en Arctique deux à trois fois plus vite qu’à tout autre endroit sur Terre, ce qui entraîne des changements considérables dans l’océan Arctique, ses écosystèmes et pour les quatre millions de personnes qui y vivent.
Cet article fait partie de notre série Océans 21 Cinq sujets ouvrent notre série consacrée à l’océan : les anciennes routes commerciales dans l’océan Indien, la pollution due au plastique dans le Pacifique, le lien entre lumière et vie dans l’Arctique, les zones de pêche de l’Atlantique et l’impact de l’océan Austral sur le climat à l’échelle mondiale. Tous ces articles vous sont proposés grâce au réseau international de The Conversation.
Certains de ces changements sont inattendus. L’eau plus chaude attire certaines espèces vers le nord. La glace amincie permet à davantage de navires de croisière, de cargos et de navires de recherche de se rendre en Arctique. Les changements climatiques, en l’absence de glace et de neige pour obscurcir l’eau, favorisent le passage de lumière.
Lumière artificielle dans la nuit polaire
La lumière joue un rôle essentiel dans l’océan Arctique. Les algues, à la base de la chaîne alimentaire arctique, convertissent la lumière du soleil en sucres et en graisses, qui nourrissent les poissons et, au bout du compte, les baleines, les ours polaires et les humains.
Dans les hautes latitudes de l’Arctique, au plus fort de l’hiver, le Soleil reste sous l’horizon pendant 24 heures. C’est ce qu’on appelle la nuit polaire. Au pôle Nord, l’année est constituée d’un jour qui dure six mois suivi d’une nuit tout aussi longue.
À l’automne 2006, des chercheurs qui étudient les effets de la perte de glace ont déployé des observatoires – des instruments ancrés avec une bouée – dans un fjord arctique avant qu’il ne gèle. Quand ils ont commencé l’échantillonnage au printemps 2007, cela faisait près de six mois que les instruments recueillaient des données, au beau milieu de la longue et rude nuit polaire.
Les informations recueillies les ont étonnés…
La nuit polaire peut durer des semaines, voire des mois, dans le Haut-Arctique. Michael O. Snyder, Author provided
La vie dans le noir
Auparavant, les scientifiques pensaient que la nuit polaire était dénuée d’intérêt, qu’il s’agissait d’une période morte où la vie est en dormance dans un écosystème en veille, sans lumière ni chaleur. On ne s’attendait pas à ce que les données amassées apportent des informations intéressantes, et les chercheurs ont été surpris lorsqu’ils ont découvert que la vie n’était pas du tout en pause.
Le zooplancton arctique – de minuscules animaux microscopiques qui se nourrissent d’algues – participe, sous la glace et au beau milieu de la nuit polaire, à ce qu’on appelle la migration verticale. Des créatures marines de tous les océans du monde migrent vers les profondeurs le jour pour se cacher des prédateurs potentiels dans l’obscurité et remontent à la surface la nuit pour se nourrir. La lumière leur sert de repère pour effectuer leur migration, qui ne devrait donc pas se produire pendant la nuit polaire.
Nous comprenons désormais que la nuit polaire foisonne d’activités écologiques. Les rythmes normaux de la vie quotidienne se poursuivent dans les ténèbres. Les palourdes s’ouvrent et se ferment de façon cyclique, les oiseaux de mer chassent dans l’obscurité presque totale, les crevettes fantômes et les escargots de mer se rassemblent dans les forêts de varech pour se reproduire, et des espèces des grandes profondeurs telles que la méduse casquée remontent vers la surface lorsqu’il fait assez noir pour demeurer à l’abri des prédateurs.
Pour la plupart des organismes actifs pendant cette période, la Lune, les étoiles et les aurores boréales constituent probablement des indices qui guident leur comportement, en particulier dans les parties de l’Arctique non couvertes par la glace de mer. Mais à mesure que le climat de l’Arctique se réchauffe et que les activités humaines s’y intensifient, une lumière artificielle trop forte rend ces sources de lumière naturelle invisibles en de nombreux endroits.
Les aurores boréales dansent dans le ciel de Tromsø, en Norvège. Muratart/Shutterstock
La pollution lumineuse se perçoit jusque dans les régions peu peuplées de l’Arctique. Les routes maritimes, l’exploration pétrolière et gazière ainsi que la pêche y progressent à mesure que la glace de mer disparaît, créant de la lumière artificielle dans la nuit polaire, qui serait sans cela parfaitement noire.
Des créatures qui ont pris des millions d’années pour s’adapter à la nuit polaire sont désormais exposées à la lumière artificielle. Michael O. Snyder, Author provided
Aucun organisme n’a eu la possibilité de s’adapter véritablement à ces changements étant donné que l’évolution se fait sur une échelle de temps beaucoup plus grande. Les mouvements harmoniques de la Terre, de la Lune et du Soleil fournissent des indices aux animaux de l’Arctique depuis des millénaires. De nombreux événements biologiques, tels que les migrations, la quête de nourriture et la reproduction, se sont adaptés à leur prévisibilité.
Dans une étude récente menée dans l’archipel du Svalbard, dans le Haut-Arctique, les feux de position d’un navire de recherche ont affecté les poissons et le zooplancton à au moins 200 mètres de profondeur. Perturbées par la soudaine intrusion de lumière, les créatures qui tournoyaient sous la surface ont fortement réagi, soit en nageant vers le faisceau, soit en s’en éloignant brusquement.
Il est difficile de prédire l’effet de la lumière des bateaux qui naviguent depuis peu dans l’Arctique libre de glace sur les écosystèmes qui connaissent l’obscurité de la nuit polaire depuis bien avant l’existence de l’homme moderne. Si la manière dont ils seront affectés par la présence humaine croissante dans l’Arctique est préoccupante, les chercheurs se posent d’autres questions complexes. Étant donné qu’une grande partie des informations que nous avons recueillies sur l’Arctique l’a été par des scientifiques naviguant sur des bâtiments éclairés, dans quelle mesure l’état de l’écosystème rapporté est-il « naturel » ?
La recherche dans l’Arctique pourrait se transformer au cours des prochaines années afin de réduire la pollution lumineuse. Michael O. Snyder, Author provided
L’océanographie est sur le point d’entrer dans une nouvelle ère dans l’Arctique avec des plates-formes autonomes et télécommandées, capables de fonctionner sans lumière et de prendre des mesures dans l’obscurité totale.
Forêts sous-marines
À mesure que la glace de mer se retire des côtes du Groenland, de la Norvège, de l’Amérique du Nord et de la Russie, les périodes où les eaux sont libres de glace s’allongent et la lumière atteint davantage le fond marin. La lumière du jour se rend aujourd’hui jusqu’à des écosystèmes côtiers qui étaient cachés sous la glace depuis 200 000 ans. Cela pourrait être une très bonne nouvelle pour les plantes marines comme le varech – ces grandes algues brunes qui croissent dans l’eau froide lorsqu’elles ont suffisamment de lumière et de nutriments.
Ancrées au fond de la mer et flottant avec la marée et les courants, certaines espèces de varechs peuvent atteindre 50 mètres – ce qui correspond environ à la hauteur de la colonne Nelson du Trafalgar Square, à Londres. Mais on ne trouve généralement pas de varech sous les plus hautes latitudes en raison de l’ombre produite par la glace de mer et de son effet d’affouillement sur les fonds marins.
Des alarias, ou wakamés irlandais, au large des côtes du Nunavut dans l’Arctique canadien. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Ces luxuriantes forêts sous-marines sont appelées à croître et à proliférer à mesure que la glace de mer se raréfie. Mais les varechs ne sont pas une nouveauté dans l’Arctique. Ils ont déjà fait partie du régime alimentaire des habitants du Groenland, et des chercheurs et explorateurs polaires en ont observé le long des littoraux du nord il y a plus d’un siècle.
Certaines espèces de varechs pourraient avoir colonisé les côtes arctiques après la dernière période glaciaire ou s’être répandues à partir de petits îlots. Mais la plupart des forêts de varech de l’Arctique sont petites et limitées à des zones en eaux profondes, contrairement aux vastes étendues d’algues qui bordent des côtes comme celles de la Californie, aux États-Unis.
Un plongeur explore une forêt de laminaires sucrées de quatre mètres de haut près de l’île Southampton, au Canada. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Des données récentes en provenance de Norvège et du Groenland montrent que les forêts de varech sont en expansion et que leur aire de répartition monte vers les pôles. De plus, ces plantes océaniques devraient devenir plus grosses et croître plus rapidement à mesure que l’Arctique se réchauffe, créant des habitats pour de nombreuses espèces. L’étendue totale des forêts de varech de l’Arctique reste en grande partie cachée et inexplorée, mais la modélisation peut aider à déterminer dans quelle mesure elles se sont déplacées vers l’Arctique et y ont crû depuis les années 1950.
Emplacements connus des forêts de varech et tendances mondiales selon l’augmentation prévue de la température moyenne de surface en été au cours des vingt prochaines années, d’après les modèles du GIEC. Filbee-Dexter et al. (2018), Author provided
Un nouveau puits de carbone
Bien qu’il existe de grandes algues de toutes sortes de formes et de tailles, beaucoup ressemblent à des arbres, avec leurs longues tiges à l’allure de troncs flexibles appelées stipes. La canopée de la forêt de varech est remplie de lames plates comme des feuilles, avec des crampons qui agissent comme des racines, ancrant les algues sur les rochers.
Certains types d’algues arctiques peuvent atteindre plus de dix mètres et former de grandes voûtes suspendues dans la colonne d’eau, avec un sous-étage ombragé et protégé. Tout comme les forêts terrestres, ces forêts marines fournissent des habitats, des zones de reproduction et des aires d’alimentation à de nombreux animaux et poissons, dont la morue, la goberge, le crabe, le homard et l’oursin vert.
Les forêts de varech offrent de nombreux coins et recoins où se poser [JG3], ce qui les rend riches en faune. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Les varechs sont des plantes à croissance rapide qui stockent du carbone dans leur tissu caoutchouteux. Comment leur expansion dans l’Arctique peut-elle influencer le climat mondial ? Tout comme la restauration des forêts sur terre, la progression de forêts de varech peut contribuer à ralentir les changements climatiques en captant le carbone de l’atmosphère.
De plus, une partie du varech se détachera et sera emporté des eaux côtières vers les profondeurs de l’océan, se trouvant ainsi retiré du cycle du carbone de la Terre. L’expansion des forêts de varech le long des vastes littoraux arctiques pourrait former un puits de carbone qui capterait les émissions de CO2 des humains et les emprisonnerait dans les profondeurs de l’océan.
Les nouvelles ne sont pas toutes bonnes. Le déplacement des forêts de varech pourrait repousser une faune unique vers le Haut-Arctique. Les algues vivant sous la glace n’auront nulle part où aller et risquent de disparaître complètement. Des espèces de varechs de régions plus tempérées pourraient remplacer les varechs arctiques endémiques comme la Laminaria solidungula.
Un crabe trouve refuge sur une Laminaria solidungula – seule espèce de varech endémique dans l’Arctique. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Mais le varech n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’espèces qui avancent de plus en plus profondément dans la région à mesure que la glace fond.
Des paquebots de croisière, des navires de la garde côtière, des yachts de plaisance, des brise-glaces de recherche scientifique, des cargos de ravitaillement et des bateaux pneumatiques remplis de touristes naviguent également dans la région. Le réchauffement sans précédent et la diminution de la glace de mer ont attiré de nouvelles industries et activités dans l’Arctique. Des localités comme Pond Inlet ont vu leur trafic maritime tripler au cours des vingt dernières années.
Les passagers d’un navire de croisière arrivent à Pond Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Des navires en provenance d’un peu partout dans le monde naviguent dans l’Arctique et il arrive qu’ils aient pris des passagers clandestins aquatiques à Rotterdam, à Hambourg, à Dunkerque ou ailleurs. Des espèces animales – dont certaines trop petites pour être visibles à l’œil nu –, se cachent dans l’eau de ballast pompée dans les citernes pour stabiliser le navire.
Elles peuvent aussi se fixer à la coque et à d’autres surfaces extérieures, provoquant ce qu’on appelle de « l’encrassement biologique ».
Certaines survivent au voyage vers l’Arctique et sont rejetées dans l’environnement lors du délestage de l’eau de ballast et du chargement de la cargaison. Celles qui restent accrochées à la coque peuvent libérer des œufs, du sperme ou des larves.
La préoccupation concernant les espèces envahissantes s’étend bien au-delà de la communauté de Pond Inlet. Environ 4 millions de personnes vivent dans l’Arctique, souvent le long des côtes qui fournissent des nutriments et un habitat à divers animaux, comme l’omble chevalier, le phoque annelé, l’ours polaire, la baleine boréale, sans compter les millions d’oiseaux migrateurs.
Avec la fonte de la glace de mer pendant les mois d’été, de nouvelles routes de navigation s’ouvrent le long du littoral russe et par le passage du Nord-Ouest. Certains pensent qu’une route transarctique pourrait bientôt être navigable. Shutterstock
Avec le réchauffement des eaux, la saison de navigation s’allonge et de nouvelles routes, comme le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord (le long de la côte arctique russe), s’ouvrent. Certains chercheurs croient qu’une route transarctique qui traverse le pôle Nord pourrait être navigable d’ici le milieu du siècle. La hausse du trafic maritime augmente le nombre et les types d’organismes transportés dans les eaux arctiques et les conditions de plus en plus hospitalières améliorent leurs chances de survie.
Une autre approche possible consiste à repérer les envahisseurs le plus tôt possible après leur arrivée afin d’augmenter les chances de les éradiquer. Mais la détection précoce nécessite une surveillance à grande échelle, ce qui peut être difficile à mettre en place dans l’Arctique. Garder un œil sur l’arrivée d’une nouvelle espèce, cela ressemble à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais des collectivités du Nord ont peut-être une solution.
Le crabe royal a été introduit volontairement dans la mer de Barents dans les années 1960. Il se propage maintenant vers le sud, le long de la côte norvégienne. Shutterstock
Parmi celles-ci, on trouve le crabe royal qui provient de la mer du Japon, de la mer de Béring et du Pacifique Nord et qui est adapté au froid. Il a été introduit dans la mer de Barents dans les années 1960 pour l’industrie de la pêche, mais il s’étend désormais vers le sud, le long de la côte norvégienne et dans la mer Blanche. Il s’agit d’un grand prédateur vorace responsable du déclin de mollusques cultivés, d’oursins et d’autres espèces de fond plus grandes et se déplaçant lentement, avec une forte probabilité de survivre au transport dans les eaux de ballast.
Une autre espèce invasive est le bigorneau, qui broute des plantes aquatiques luxuriantes dans les habitats du littoral, laissant derrière lui les rochers nus ou granuleux. Il a également introduit sur la côte est de l’Amérique du Nord un parasite responsable de la maladie des points noirs, qui stresse les poissons adultes et rend leur goût désagréable, tue les juvéniles et cause des dommages intestinaux aux oiseaux et aux mammifères qui s’en nourrissent.
A la chasse au matériel génétique
Si de nouvelles espèces comme celles-ci devaient arriver à Pond Inlet, elles pourraient affecter les stocks de poissons et de mammifères dont les gens se nourrissent. Après seulement quelques années de navigation, une poignée d’espèces probablement non indigènes ont déjà été découvertes, dont le ver polychète Marenzelleria viridis, une espèce envahissante, ainsi qu’un amphipode tubicole. Ces deux espèces sont connues pour atteindre une densité élevée, modifier les sédiments du fond marin et concurrencer les espèces indigènes.
Un cargo passe par Milne Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Quoique l’avenir du transport maritime dans l’Arctique soit incertain, il s’agit d’une tendance à la hausse qu’il faut surveiller. Au Canada, des chercheurs travaillent avec des partenaires autochtones dans des localités où la navigation est très active, notamment à Churchill, au Manitoba, à Pond Inlet et à Iqaluit, au Nunavut, à Salluit, au Québec et à Nain, à Terre-Neuve, afin d’instaurer un réseau de surveillance des espèces envahissantes. L’une des approches consiste à collecter de l’eau et à la tester pour y détecter du matériel génétique provenant des écailles, des excréments, du sperme et d’autres matériaux biologiques.
En 2019, des membres d’une équipe de terrain de Pond Inlet et de Salluit filtrent l’ADNe des échantillons d’eau prélevés à Milne Inlet. Christopher Mckindsey, Author provided
L’ADN environnemental (ADNe) est facile à recueillir et permet de déceler des organismes qui seraient autrement difficiles à capturer ou qui sont peu abondants. Cette technique a égalementpermis d’améliorer les connaissances de base sur la biodiversité côtière dans d’autres zones où le trafic maritime est élevé, une étape fondamentale pour détecter les changements à venir.
Certaines espèces non indigènes ont déjà été repérées dans le port de Churchill grâce à la surveillance par ADNe et à d’autres méthodes d’échantillonnage. Il s’agit entre autres de la méduse, de l’éperlan arc-en-ciel et d’une espèce de copépodes envahissants.
Des démarches sont en cours pour étendre ces recherches à tout l’Arctique dans le cadre de la stratégie sur les espèces exotiques envahissantes du Conseil de l’Arctique afin de réduire la propagation des espèces envahissantes.
L’Arctique est souvent appelé la ligne de front de la crise climatique et, en raison du rythme rapide de son réchauffement, la région est touchée par toutes sortes d’invasions, qu’il s’agisse de nouvelles espèces ou de nouvelles routes maritimes. Ces éléments pourraient complètement remodeler le bassin océanique au cours de notre vie, et ces vastes étendues gelées, éclairées par les étoiles et peuplées de communautés uniques d’organismes hautement adaptés pourraient être complètement bouleversées.
Les changements adviennent si rapidement dans l’Arctique que les scientifiques n’arrivent même pas à en rendre compte, mais il y aura des événements, comme la croissance de puits de carbone, qui pourraient profiter à sa faune et à ses habitants. Les changements de notre monde soumis au réchauffement climatique ne seront pas que négatifs. Dans l’Arctique, comme ailleurs, il y aura des gagnants et des perdants.
Nada AfiouniMaîtresse de conférence civilisation britannique, GRIC, Groupe de Recherche Identités et Cultures, Université Le Havre Normandie
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Carré musulman dans le cimetière intercommunale de Bleville, le Havre, France. N.Afiouni, Author provided
La crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 ainsi que les débats autour de la loi sur le séparatisme désormais intitulée « conforter les principes républicains » posent de façon encore plus aiguë la question des lieux d’inhumation des populations musulmanes françaises sur le sol national.
La France n’est pas le seul pays qui doit faire face à un taux de mortalité élevé notamment parmi les populations « issues de l’immigration ».
Au Royaume-Uni le taux de mortalité est également plus élevé parmi les minorités ethniques. L’utilisation des statistiques ethniques dans les organismes publics britanniques, dont le secteur de la santé, a permis d’identifier un taux de mortalité 2,5 fois plus élevé dans la catégorie des personnes d’origines pakistanaises dont la majorité se déclare musulmane.
Ainsi il est incontestable que la crise de la mortalité liée à la pandémie, couplée à la fermeture des espaces aériens (qui met un terme aux rapatriements des corps) ont un impact particulier sur les populations musulmanes et surtout sur le choix des lieux d’inhumations.
Les cimetières sont le reflet matériel des vivants et de leurs modes d’organisation. Les marquages sociaux et culturels des sociétés qui les abritent y sont reproduits. Ainsi la place réservée à l’« autre » dans les cimetières est souvent tributaire des modalités d’organisation de la pluralité culturelle et cultuelle dans chaque pays.
L’expression multiculturelle du deuil
Il est vrai que les lois régissant le funéraire, édictées au début du siècle, s’adressaient à des sociétés religieusement homogènes et où le pluralisme religieux restait cantonné aux diverses branches du christianisme.
Or, la France et la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, riches de leurs héritages post-coloniaux, sont également composées de familles issues des anciennes colonies qui ne sont pas nécessairement chrétiennes et qui sont désormais durablement installées sur le sol national. Ils sont, pour la grande majorité, citoyens français ou britanniques. Les changements démographiques et le vieillissement des populations issues de l’immigration viennent interpeller les législations funéraires nationales.
Ainsi, le rituel du deuil n’échappe pas à la pluralité de la société et acquiert de fait une expression multiculturelle car l’expression du culturel est consubstantielle au deuil, donc anthropologiquement impossible à masquer.
Pour les populations musulmanes issues de l’immigration, le lieu d’inhumation est un « choix » entre une inhumation locale ou un rapatriement vers une terre dite d’origine. Néanmoins ce choix est contraint par plusieurs variables structurelles, législatives, juridiques et politiques. Il est également tributaire des offres liées au secteur des professionnels du funéraire.
L’offre des cimetières ouverte aux musulmans à Paris et à Londres
Le cadre législatif relatif aux cimetières en France et en Grande-Bretagne est sensiblement différent, même si la gestion des cimetières est sortie de la tutelle du pouvoir ecclésiastique au début du XIXe siècle dans les deux pays.
Depuis l’évolution des cadres législatifs aussi bien que politiques renvoie à deux paysages contrastés : là, où en France le cimetière communal est le seul horizon possible, la Grande-Bretagne offre une variété de choix.
Le cadre français républicain et laïc essentiellement construit dans un rapport de force avec la religion catholique dominante au XIXe, siècle consacrant les cimetières comme domaines publics, a essayé, dès les années 1970, de répondre aux premières demandes de familles musulmanes.
La législation française ne reconnaît pas le droit des groupes mais le droit des individus. Cela se traduit dans la gestion pratique des cimetières par l’impossibilité d’avoir de séparation physique visible par exemple un mur ou un muret entre des groupements de tombes.
Des murets en pierre délimitent les concessions. Sépulture ou ancien emplacement de la concession Munier indiquée par Salomon en 1855. Cimetière du Père-Lachaise, Paris., 2018. Collection/Pierre-Yves Beaudouin/Wikimedia, CC BY-NC
En fait, la législation, en matière de carrés confessionnels, est somme toute assez réduite pour une question aussi sensible. La législation se limite à trois circulaires du ministre de l’Intérieur : celles du 28 novembre 1975, du 14 février 1991 et, la dernière en date, du 19 février 2008. Cette dernière souligne le lien entre le carré confessionnel musulman et l’intégration.
Les chiffres concernant la région parisienne restent approximatifs : 23 carrés musulmans parmi lesquelles certains cimetières sont plus présents dans la pratique des entrepreneurs funéraires rencontrés : le cimetière de Meaux (77), le cimetière de Versailles (78), le cimetière de Rosny (93), le cimetière intercommunal de la Courneuve (93 : Aubervilliers, Drancy et Bobigny).
En Grande-Bretagne, la gestion des cimetières incombe comme en France aux autorités municipales. Mais, contrairement à la France, il n’y a pas en Grande-Bretagne d’obligation légale de résidence liée au lieu d’inhumation. La loi britannique laisse l’administré libre de choisir son cimetière. Ce choix est d’autant plus large qu’il existe, de par la loi, plusieurs types de cimetières : privés, publics ou en partenariat public-privé.
Selon notre étude de terrain, sur les trente-trois municipalités du Grand Londres, vingt-quatre possèdent des parcelles réservées aux musulmans. L’ouverture de ces sections dédiées aux musulmans s’est faite progressivement à partir des années 1970 avec une accélération progressive à partir des années 1990. Sur ces vingt-quatre cimetières municipaux, dix-huit autorisent l’inhumation à même le sol.
Nouveau carré musulman dans le cimetière Eternal Garden privé généraliste Kemnal Park ouvert en partenariat avec la municipalité de Tower Hamlet avec des tarifs privilégiés pour les habitants de cette commune. N. Afiouni, Author provided‘Jardin de la paix’. Cimetière privé exclusivement musulman sunnite, crée en 2002 pour couvrir les besoins pour une durée de 50 années. Il a été agrandi en 2007. N. Afiouni, Author providedCimetière privé de Brookwood, généraliste avec différents secteurs dont entre autres des secteurs anglican, méthodiste, musulman chiite, musulman sunnite, Ahmadiya, Ismailiya etc. N. Afiouni, Author providedCimetière privé de Brookwood, carré musulman avec pluralité de styles de pierre tombale. N. Afiouni, Author provided
En plus des cimetières municipaux, la législation autorise la création de cimetières privés. Il est également possible de bénéficier d’une gestion mixte (public/privé) des cimetières.
Il n’existe pas de liste officielle des carrés confessionnels disponibles dans les cimetières municipaux du Grand Londres et de la région parisienne.
Cette absence de vision globale s’étend également sur le plan national. Cela a pour conséquence, notamment en France, de fragiliser les demandes ici ou là pour des carrés confessionnels. Le refus du maire de Wattrelos (Hauts de France) de créer un carré musulman est l’un des derniers exemples en date.
La mort gomme les frontières entre culture et sacré
Malgré l’évolution inéluctable des rites funéraires dans les deux pays, ils restent ancrés dans une réalité sociale, culturelle et religieuse. Les entreprises de pompes funèbres ne peuvent pas faire abstraction de la religion.
En effet, la mort est un moment qui tend à gommer les frontières entre culture et sacré et où, souvent, les éléments religieux mis en sourdine remontent à la surface et revêtent un caractère collectif religieux.
Pour preuve, en France, 80 % des cérémonies religieuses à l’église (catholique) ont lieu au moment des enterrements. Les Français continuent de passer par l’église au moment des funérailles alors que le pourcentage de Français qui se disent pratiquants avoisine les 10 % (le taux de crémation en France est de 32,51 %).
Cette situation française est bien différente de celle de la Grande-Bretagne. En effet, le pourcentage de crémation en Grande-Bretagne est très élevé et la proportion de cérémonies religieuses est drastiquement plus basse qu’en France. En 1960, le taux de crémation en Grande-Bretagne était de 34,70 %. En 2012, il est monté à 74,28 %.
Les missions des entreprises de pompes funèbres
Par ailleurs, les pompes funèbres ont comme mission principale l’accompagnement et la gestion du deuil. Cela nécessite donc une personnalisation dans la relation avec le client qui ne peut faire abstraction des spécificités culturelles et cultuelles des familles.
« L’histoire du secteur funéraire montre sa lente autonomisation en un champ relativement séparé de la sphère religieuse (depuis le XIXe siècle) puis de la sphère étatique (dans la seconde moitié du XXe siècle). »
Mais l’analyse du terrain montre que, pour les populations musulmanes issues de l’immigration, la question funéraire reste imprégnée dans le champ du religieux.
Le dynamisme du secteur funéraire musulman en apporte la preuve dans les deux capitales ; en effet, depuis le début des années 2000, plusieurs entreprises spécialisées ont été créées, ainsi que je le constate sur mon terrain actuel. Elles se caractérisent par leur petite taille à l’exception des premiers opérateurs historiques.
À Paris, derrière un site web qui semble prospère, se trouve parfois des autoentrepreneurs qui travaillent seuls sans local ni devanture et qui ont recourt à la location de véhicules et à l’embauche ponctuelle de collaborateurs. Aussi, un grand nombre des gérants des pompes funèbres musulmanes ont commencé à travailler dans le secteur funéraire comme « bénévoles » pour effectuer, par exemple, la toilette rituelle funéraire.
Rapatriement ou non ?
Nous ne disposons pas, dans les deux pays, de chiffres nationaux officiels concernant le taux de rapatriement des corps, pratique souvent préférée des croyants souhaitant l’inhumation en terre musulmane.
Les estimations pour la Grande-Bretagne montrent que, jusqu’au début des années 1990, les rapatriements du corps vers le pays d’origine étaient élevés ; les chiffres oscillant entre 70 % et 80 %.
Néanmoins, l’analyse effectuée sur le terrain a permis de constater qu’à partir du début des années 2000, il y a une inversion progressive de cette tendance et un choix vers une inhumation locale au détriment de l’inhumation à l’étranger.
Carré musulman au Havre, cimetière intercommunal, Bléville, France. N. Afiouni, Author providedCarré musulman de la minorité musulmane Ahmadiyya dans le cimetière privé de Brookwood, Londres. N. Afiouni, Author provided
En France, même si tous les opérateurs funéraires constatent une lente progression du choix pour l’inhumation locale ces dix dernières années, pour autant leur pourcentage ne dépasse pas les 35 % selon les plus hautes estimations. En France, le rapatriement où comme l’ont désigné mes interlocuteurs britanniques, « sending abroad » (littéralement « envoyer à l’étranger »), reste majoritaire chez les populations qui font appel aux services des entreprises de pompes funèbres musulmanes dans la région parisienne.
Faut-il en conclure pour autant que les musulmans britanniques, de par leur choix massif pour l’enterrement sur le sol britannique, sont plus « intégrés » que les musulmans français ?
Le poids de l’histoire
L’évolution différenciée du taux d’inhumation locale depuis les années 1990 à nos jours dans les deux pays, peut s’expliquer par deux données factuelles à savoir le large choix de lieux d’inhumation offert aux Londoniens et l’ouverture relativement récente du secteur funéraire français à la libre concurrence du marché.
À cela, il faut ajouter des habitudes de fonctionnement héritées de l’époque coloniale marquées par la conclusion d’accords bilatéraux entre les autorités françaises et les ambassades des pays d’origine.
En France, le choix du rapatriement est à la fois perpétué par les usagers mais également par les opérateurs funéraires qui, dans leur majorité, considèrent le rapatriement comme moins compliqué et moins aléatoire. En effet, les procédures administratives particularisées issues de l’approche multiculturelle, semblent plus lisibles et moins opaques aux professionnels britanniques par rapport à leurs homologues français.
Carré musulman, cimetière municipal, France. Le nom du défunt a été effacé pour préserver son anonymat. N. Afiouni, Author provided
Beaucoup de professionnels britanniques travaillent en étroite liaison avec les cimetières privés locaux qu’ils soient exclusivement musulmans ou pluralistes pour obtenir des conditions d’intervention normalisées et préférentielles : grande amplitude horaire d’accès au cimetière y compris les jours fériés, inhumation en linceul et à même le sol, remplissage manuel de la fosse. Ainsi, malgré le coût moins élevé d’un rapatriement, les musulmans britanniques qui font appel aux entreprises funéraires musulmanes optent à 90 % pour l’inhumation locale, pourtant plus onéreuse.
La structure du cadre législatif funéraire français ne permet pas aux entreprises de tisser des liens similaires. La seule variable qui leur permet de se positionner de façon concurrentielle sur le secteur est la réduction des délais d’attente pour un rapatriement, justifiée par des arguments religieux stipulant que pour un mort musulman l’enterrement doit se faire dans les plus brefs délais.
Tous égaux devant la mort ?
Les éléments saillants de la comparaison Paris/Londres quant au ressenti sont éloquents que ce soit en termes de légitimité ou de sentiment d’appartenance des membres de la communauté musulmanes travaillant dans le secteur funéraire.
Dans les extraits anonymés cités ci-bas, ils expriment leurs difficultés à se dire musulman voire à mourir en musulman en France.
Et c’est à ce niveau que la tournure des débats publics entourant la loi sur le séparatisme risque de faire le plus de dégâts. La volonté de respecter les rites funéraires musulmans pourrait être interprétée comme une expression « trop » visible de la religiosité et par glissement le signe d’un « islam radical ». D’autant plus que ces entrepreneurs funéraires musulmans français se vivent comme une minorité « lésée » ne bénéficiant pas d’égalité d’accès aux mêmes droits funéraires que les Français non musulmans comme le disent plusieurs entrepreneurs funéraires rencontrés :
« Bah moi je pense qu’en France y a trop de problèmes au niveau de… bah dès qu’on parle d’islam, musulmans… C’est pas au niveau des gens, je pense, c’est au niveau de la télé et des hommes politiques, c’est là qu’y a un gros hic, un gros problème. Entre ce qui se dit à la télé et ce qu’on voit dans le terrain ça a rien à voir, donc les politiques ils oseront jamais faire ça, même si ça ne dérangeait personne, c’est ça qui est dingue.
Il faut où avoir décédé dans la commune, ou être habitant de la commune, ou avoir une carte d’électeur dans une commune, pour pouvoir être inhumé dans cette commune. Donc voilà, c’est un peu la problématique qu’on a. Et les carrés musulmans malheureusement il y a beaucoup beaucoup de communes qui ne jouent pas le jeu. »
L’absence de caveau familial ou de carte d’électeur impacte particulièrement les populations issues de l’immigration notamment les plus âgés. De plus, les données de mon terrain montrent une hantise de la fin de concession, omniprésente dans les discours en France. Ces éléments n’ont pas été observés en Grande-Bretagne même si, objectivement, les garanties légales ne couvrent que 50 années de concession surtout dans les cimetières privés musulmans.
Par ailleurs, un sentiment de précarité par de là la mort est véhiculé par les agents des pompes funèbres musulmanes en France, ce qui n’est pas le cas en Grande-Bretagne. Les demandes de création de carrés confessionnels musulmans au sein des cimetières municipaux français ne sont pas nouvelles.
Elle peut paraître encore plus problématique qu’elle ne l’a été par le passé, au vu des débats sur l’islam et la place des religions dans la société française.
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Pour les produits comme les fruits et légumes, les consommateurs restent attachés à la possibilité de les voir, les toucher, les sentir ou même les goûter avant de les choisir. Atstock Productions / Shutterstock
Pendant la crise de la Covid-19, les consommateurs français ont progressivement privilégié les commerces de proximité, le drive ou la livraison à domicile. Dans les grandes surfaces alimentaires (GSA), les ventes e-commerce (drives, drives piéton et livraison à domicile) ont frôlé en 2020 la barre des 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une progression annuelle de 46,5 %, selon Iri.
Dans ce contexte, les ventes de produits frais traditionnels en ligne ont aussi fortement progressé (+ 69,2 % entre 2019 et 2020). Pour ces produits « métier » (boucherie, fromagerie, poissonnerie, fruits et légumes, etc.), les consommateurs restent pourtant attachés aux magasins physiques dans lesquels ils peuvent les voir, toucher, sentir ou même goûter, avant de les choisir par eux-mêmes et/ou de se faire servir en bénéficiant des conseils avisés des vendeurs.
Selon les experts, ces évolutions des comportements d’achats alimentaires ne seront pas que conjoncturelles. Une partie des usagers actuels du drive, anciens ou convertis, devraient en effet continuer à privilégier ce circuit. Un client sur quatre d’hyper ou supermarchés affirment aussi aujourd’hui qu’ils viendront moins souvent y faire leurs courses et favoriseront désormais la proximité, le local et/ou le drive.
Les enseignements de la réalité virtuelle
Ces évolutions, déjà en marche mais fortement accélérées par la crise sanitaire actuelle (Leclerc a ainsi réalisé dès 2020 le chiffre d’affaires en drive espéré pour 2024) soulèvent dès lors quelques questionnements. Comment, notamment, les enseignes peuvent-elles, outre le challenge de la qualité des commandes mises à disposition des clients (choix, préparation, conservation des produits, packaging, adéquation aux attendus des clients, etc.), valoriser en ligne leurs offres de produits frais virtuelles et enrichir les expériences clients spécifiques ?
Il est en effet plus complexe d’intégrer des produits alimentaires frais dans de tels dispositifs, par exemple des fruits et légumes qui se caractérisent par leur forte variabilité interindividuelle, leur vieillissement en temps réel et leurs conditionnements variés (cf. à titre d’exemple, la multitude des variétés et formes des tomates, standardisées ou non, dont les apparences évoluent au fil du temps, vendues dans des emballages et poids très variables).
Selon les experts, une partie des usagers actuels du drive, anciens ou convertis, devraient en effet continuer à privilégier ce circuit après la crise. Jean‑Philippe Ksiazek/AFP
Pour répondre à ces questionnements, nous avons mené plusieurs expérimentations en magasins laboratoires virtuels qui apportent de premiers éclairages opérationnels pour les rayons fruits et légumes digitaux des GSA.
Les magasins laboratoires virtuels sont des outils utilisés depuis une dizaine d’années par les praticiens et les chercheurs pour étudier les comportements et perceptions des consommateurs confrontés, en situation d’achat, à différents stimuli marketing (nouveaux produits, packaging, plans d’implantation, prix, promotion, labels, stop rayon, etc.). Leur mise en œuvre se fait via un écran d’ordinateur (réalité virtuelle non immersive) ou, depuis plus récemment, via un casque de réalité virtuelle (RV) qui permet d’augmenter fortement, du point de vue de l’utilisateur, son immersion (réalité virtuelle immersive).
Pour des contraintes techniques et commerciales, ces dispositifs intègrent principalement des offres de produits semi-durables ou d’épicerie, dont les représentations visuelles sont limitées en nombre (références) et préalablement fixées (par exemple, paquets de café ou modèles de chaussures).
Dans le cadre de nos recherches, un magasin laboratoire virtuel intégrant un rayon fruits et légumes a donc été développé en partenariat avec l’École Centrale de Nantes, ce qui constitue aussi une innovation technologique importante.
Notre première expérimentation (en RV immersive) a ainsi permis de montrer que les perceptions de l’apparence et de la qualité de fruits et légumes dépendent en virtuel de leur degré de standardisation. Des fruits et légumes « peu » ou « modérément » difformes sont perçus comme meilleurs que ceux « fortement » difformes. Les produits « modérément » difformes contribuent aussi à véhiculer l’image d’un rayon proposant des produits plus authentiques, naturels, sains et savoureux, qui serait en outre susceptible de renforcer l’image RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise) du magasin et de son enseigne.
Les tomates ont une apparence qui évolue au fil du temps et sont vendues dans des emballages et à des poids très variables. Francesco83/Shutterstock
Notre deuxième expérimentation, menée simultanément dans notre magasin laboratoire virtuel (avec deux dispositifs, l’un non immersif, l’autre immersif) et notre magasin laboratoire physique répliqué, indique quant à elle que les perceptions de fruits et légumes « modérément » difformes sont similaires dans les trois dispositifs. En revanche, les consommateurs en achètent plus dans les magasins virtuels (non immersifs et immersifs) qu’en magasin physique. Ils ont aussi tendance à se fier davantage aux indices extrinsèques dans les magasins virtuels immersifs (les prix) et aux indices intrinsèques dans le magasin physique (l’apparence des produits).
La RV, futur canal de vente ?
Ces premiers résultats devront être bien évidemment enrichis et complétés pour orienter les décisions opérationnelles des acteurs des GSA quant au merchandising et à la mise en scène de leurs rayons digitaux fruits et légumes, et plus globalement métier. Ils ouvrent toutefois des pistes de recherche intéressantes quant à l’analyse des comportements d’achats de produits alimentaires frais en drive, voir, demain, en RV avec l’intégration du V-Commerce dans les stratégies omnicanal des enseignes alimentaires.
L’usage de la RV en shopping se limite encore essentiellement à des actions d’aide à la vente (visiter en virtuel sa future cuisine chez IKEA) ou de création d’évènements pour générer du trafic et du lien avec des clients (faire découvrir des parfums pour la marque Coty).
La démocratisation actuelle des casques de RV laisse toutefois présager que ces dispositifs puissent devenir, dans un futur plus ou moins proche, un canal de vente à part entière, susceptible de compléter les multiples points de contacts et canaux de distribution physiques et online des enseignes, aux bénéfices des expériences de leurs clients de plus en plus connectés. Déjà, des projets se déploient comme l’application Buy+ du géant chinois Alibaba ou la boutique 100 % digitale Nespresso.
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Joe Biden, 46e président des États-Unis, débute son mandat dans des conditions difficiles sur les plans économique, sanitaire et social. Les nouvelles sont cependant meilleures sur le plan politique. Déjà assurés de la majorité à la Chambre des Représentants, les Démocrates ont obtenu sur le fil le contrôle du Sénat. Démocrates et Républicains disposant chacun de 50 sièges, la majorité au Sénat revient au « parti de l’âne » grâce à la voix la vice-présidente Kamala Harris, présidente ès qualités de la Chambre haute.
La domination démocrate dans les deux Chambres, au moins acquise jusqu’aux élections de mi-mandat, autorise la nouvelle administration à prendre des mesures ayant d’importantes conséquences en termes budgétaires et fiscaux. Ainsi, un énorme plan de relance de 1 900 milliards de dollars devrait être rapidement adopté. Dans la foulée, le programme économique développé par Joe Biden au cours de sa campagne pourrait être mis en œuvre, tout en évitant les décisions qui risqueraient de diviser plus encore un pays que le nouveau président s’est donné pour tâche de réconcilier.
Produire américain dans le respect de normes environnementales renforcées
La priorité du programme « Build Back Better » de Joe Biden est l’augmentation de la production et de l’emploi manufacturiers aux États-Unis.
Cette préoccupation rejoint celle de son prédécesseur Donald Trump, à qui elle permettait de justifier aussi bien les mesures de dérèglementation environnementale que les droits de douane imposés à l’Europe et à la Chine. C’est sur la méthode que les deux présidents divergent. Joe Biden envisage, en effet, de relancer l’industrie américaine à travers un plan d’investissement dans des secteurs liés aux nouvelles technologies, de la voiture électrique à la 5G.
700 milliards de dollars d’aides sont prévus au cours des quatre prochaines années : 300 milliards consacrés à la recherche et développement et 400 milliards aux achats publics de produits « made in USA », notamment des voitures électriques. Le programme démocrate se fixe d’ailleurs comme objectif la création d’un million d’emplois supplémentaires dans une industrie automobile qui s’éloignerait de l’utilisation des énergies fossiles pour s’inscrire dans la perspective d’une économie américaine à zéro émissions nettes à l’horizon 2050.
Pour soutenir ses réformes en faveur de l’environnement, Joe Biden a d’ores et déjà annoncé sa volonté de réintégrer les États-Unis dans le cadre des Accords de Paris. Soucieux d’éviter un choc trop important sur l’activité économique de certains États particulièrement concernés par l’industrie pétro-gazière, il ne compte cependant pas interdire dans l’immédiat la fracturation hydraulique. Mais le renforcement envisagé de la réglementation visant à limiter les rejets de méthane et d’autres polluants engendrés par cette méthode d’extraction réduira forcément la rentabilité d’une industrie déjà mise à mal par la baisse du prix du pétrole due à la crise sanitaire.https://www.youtube.com/embed/G5tO9apWJQU?wmode=transparent&start=0
Joe Biden ne semble pas prêt à abandonner la bataille économique et commerciale engagée par Donald Trump contre la Chine. Les hausses des droits de douane mises en place par son prédécesseur ne seront donc pas annulées dans l’immédiat. Cette bataille devrait cependant se déplacer, tant sur la forme que sur le fond. Au lieu de prendre des mesures unilatérales qui seraient immédiatement suivies de rétorsions coûteuses, le président compte se réengager dans l’Organisation mondiale du commerce et se servir de ce levier international pour faire pression sur la Chine afin qu’elle respecte les normes internationales. C’est justement en négociant pour obtenir des normes internationales plus strictes en matière de droit du travail et d’environnement que Joe Biden affiche la volonté de protéger l’emploi des Américains face aux importations en provenance des pays à bas coût.
Sur le plan intérieur, toujours dans l’optique de relancer la production manufacturière américaine, le programme de Joe Biden prévoit pour les entreprises un système de taxe à la délocalisation et de subvention à la relocalisation sous forme de crédit d’impôt.
Rénover les infrastructures
Le programme démocrate intègre un vaste plan de rénovation des infrastructures, prévu pour s’étaler sur une décennie. Il concerne de très nombreux domaines, dont le réseau routier, les transports ferroviaires, les réseaux d’assainissement, le réseau Internet ou encore la distribution énergétique, incluant notamment l’installation de 500 000 bornes de recharge pour les véhicules électriques.
Toutes ces rénovations seraient l’occasion d’orienter l’économie américaine dans le sens du développement des nouvelles technologies et des énergies propres. Rien qu’en ce qui concerne les routes et les ponts, ce sont 50 milliards de dollars de dépenses qui sont envisagés pour la seule première année du mandat de Joe Biden.
Protéger les familles et les travailleurs
Le programme économique de Joe Biden comporte un grand nombre de mesures en faveur des plus modestes jusqu’aux classes moyennes. Il s’agit tout d’abord d’élargir le champ d’application de l’assurance santé pour tous. Alors que près de 10 % des Américains ne bénéficient d’aucune couverture en 2019, un chiffre en augmentation par rapport à 2018, le nouveau président voudrait atteindre un taux de couverture de 97 %. Sans en préciser encore les modalités, il entend s’attaquer aussi au prix des médicaments, jugé trop élevé du fait de la faible concurrence qui existe dans le secteur de l’industrie pharmaceutique.
Le nouveau président souhaite également lutter contre les inégalités dont pâtissent les femmes et les minorités raciales sur le marché du travail. Son plan suppose notamment un soutien spécifique aux petites entreprises dirigées par des femmes et/ou par des personnes issues des minorités, qui pourraient bénéficier en priorité des 400 milliards de dollars d’achats publics de produits « made in USA » prévus dans le plan de relance de la production manufacturière ; la promotion des femmes et des personnes issues des minorités lors des recrutements sur les postes clés des agences fédérales ; et la revalorisation des salaires dans les secteurs, particulièrement féminisés, de l’éducation et de la petite enfance.
Augmenter les impôts pour financer les réformes
Un plan de relance aussi ambitieux nécessite évidemment de dégager des capacités de financement considérables et, donc, d’augmenter la fiscalité face à des Républicains opposés à toute hausse d’impôt. Joe Biden souhaite notamment revenir sur une grande partie des baisses d’impôts accordées par Donald Trump, des baisses qui ont avant tout bénéficié aux plus riches.
Son programme prévoit notamment de relever de 21 % à 28 % le taux d’imposition sur les sociétés et de taxer à hauteur de 21 % les bénéfices faits par les entreprises américaines dans leurs filiales à l’étranger. Concernant les ménages, il projette de relever le taux d’imposition le plus élevé de 37 % à 39,6 % et, pour les revenus supérieurs à 1 million de dollars, d’imposer les plus-values et les dividendes au même taux que les autres revenus. Une taxe prélevée sur les salaires annuels supérieurs à 400 000 dollars par an contribuerait au financement de l’assurance maladie. Dans ces conditions, le Tax Policy Center estime que 93 % de la charge fiscale supplémentaire reposerait sur les 20 % des ménages les plus aisés et 75 % sur les 1 % les plus riches.
Malgré le contrôle que le Parti démocrate exerce sur le Congrès, l’administration Biden devra discuter de la mise en application de son programme économique avec les Républicains, pour ne pas risquer d’aggraver les profonds clivages qui traversent la société américaine.
Kimberly HowlandResearch Scientist/Adjunct University Professor, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Philippe ArchambaultProfessor & Scientific Director of ArcticNet, Université Laval
Déclaration d’intérêts
Jørgen Berge reçoit un financement du Conseil norvégien de la recherche (300333).
Carlos Duarte reçoit des fonds de l’Université des sciences et des technologies du roi Abdullah et du Fonds de recherche indépendant du Danemark.
Dorte Krause-Jensen reçoit des fonds de divers fonds de recherche gouvernementaux, tels que l’Independent Research Fund, au Danemark, et de fonds de recherche privés, dont les Fondations Velux.
Karen Filbee-Dexter reçoit des fonds d’ArcticNet, du réseau norvégien Blue Forest, du Conseil australien de la recherche et du Conseil norvégien de la recherche (BlueConnect).
Kimberly Howland reçoit des fonds de Pêches et Océans Canada, de Ressources naturelles Canada et de Polar Knowledge Canada.
Philippe Archambault reçoit un financement d’ArcticNet.
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Avec sa superficie d’un peu plus de 14 millions de kilomètres carrés, l’océan Arctique est le plus petit et le moins profond des océans du monde. C’est également le plus froid. Une grande étendue de glace de mer flotte près de son centre. Elle s’étend pendant le long hiver, froid et sombre, et se contracte en été, lorsque le soleil monte plus haut dans le ciel.
C’est en septembre, chaque année, qu’il y a le moins de couverture de glace de mer. En 2020, sa superficie n’était que de 3,74 millions de kilomètres carrés, soit la deuxième plus petite superficie mesurée en 42 ans et environ la moitié de celle de 1980. Chaque année, à mesure que le climat se réchauffe, l’Arctique conserve de moins en moins de glace.
Les effets du réchauffement climatique se font sentir dans le monde entier, mais nulle part autant que dans l’Arctique. La température augmente en Arctique deux à trois fois plus vite qu’à tout autre endroit sur Terre, ce qui entraîne des changements considérables dans l’océan Arctique, ses écosystèmes et pour les quatre millions de personnes qui y vivent.
Cet article fait partie de notre série Océans 21 Cinq sujets ouvrent notre série consacrée à l’océan : les anciennes routes commerciales dans l’océan Indien, la pollution due au plastique dans le Pacifique, le lien entre lumière et vie dans l’Arctique, les zones de pêche de l’Atlantique et l’impact de l’océan Austral sur le climat à l’échelle mondiale. Tous ces articles vous sont proposés grâce au réseau international de The Conversation.
Certains de ces changements sont inattendus. L’eau plus chaude attire certaines espèces vers le nord. La glace amincie permet à davantage de navires de croisière, de cargos et de navires de recherche de se rendre en Arctique. Les changements climatiques, en l’absence de glace et de neige pour obscurcir l’eau, favorisent le passage de lumière.
Lumière artificielle dans la nuit polaire
La lumière joue un rôle essentiel dans l’océan Arctique. Les algues, à la base de la chaîne alimentaire arctique, convertissent la lumière du soleil en sucres et en graisses, qui nourrissent les poissons et, au bout du compte, les baleines, les ours polaires et les humains.
Dans les hautes latitudes de l’Arctique, au plus fort de l’hiver, le Soleil reste sous l’horizon pendant 24 heures. C’est ce qu’on appelle la nuit polaire. Au pôle Nord, l’année est constituée d’un jour qui dure six mois suivi d’une nuit tout aussi longue.
À l’automne 2006, des chercheurs qui étudient les effets de la perte de glace ont déployé des observatoires – des instruments ancrés avec une bouée – dans un fjord arctique avant qu’il ne gèle. Quand ils ont commencé l’échantillonnage au printemps 2007, cela faisait près de six mois que les instruments recueillaient des données, au beau milieu de la longue et rude nuit polaire.
Les informations recueillies les ont étonnés…
La nuit polaire peut durer des semaines, voire des mois, dans le Haut-Arctique. Michael O. Snyder, Author provided
La vie dans le noir
Auparavant, les scientifiques pensaient que la nuit polaire était dénuée d’intérêt, qu’il s’agissait d’une période morte où la vie est en dormance dans un écosystème en veille, sans lumière ni chaleur. On ne s’attendait pas à ce que les données amassées apportent des informations intéressantes, et les chercheurs ont été surpris lorsqu’ils ont découvert que la vie n’était pas du tout en pause.
Le zooplancton arctique – de minuscules animaux microscopiques qui se nourrissent d’algues – participe, sous la glace et au beau milieu de la nuit polaire, à ce qu’on appelle la migration verticale. Des créatures marines de tous les océans du monde migrent vers les profondeurs le jour pour se cacher des prédateurs potentiels dans l’obscurité et remontent à la surface la nuit pour se nourrir. La lumière leur sert de repère pour effectuer leur migration, qui ne devrait donc pas se produire pendant la nuit polaire.
Nous comprenons désormais que la nuit polaire foisonne d’activités écologiques. Les rythmes normaux de la vie quotidienne se poursuivent dans les ténèbres. Les palourdes s’ouvrent et se ferment de façon cyclique, les oiseaux de mer chassent dans l’obscurité presque totale, les crevettes fantômes et les escargots de mer se rassemblent dans les forêts de varech pour se reproduire, et des espèces des grandes profondeurs telles que la méduse casquée remontent vers la surface lorsqu’il fait assez noir pour demeurer à l’abri des prédateurs.
Pour la plupart des organismes actifs pendant cette période, la Lune, les étoiles et les aurores boréales constituent probablement des indices qui guident leur comportement, en particulier dans les parties de l’Arctique non couvertes par la glace de mer. Mais à mesure que le climat de l’Arctique se réchauffe et que les activités humaines s’y intensifient, une lumière artificielle trop forte rend ces sources de lumière naturelle invisibles en de nombreux endroits.
Les aurores boréales dansent dans le ciel de Tromsø, en Norvège. Muratart/Shutterstock
La pollution lumineuse se perçoit jusque dans les régions peu peuplées de l’Arctique. Les routes maritimes, l’exploration pétrolière et gazière ainsi que la pêche y progressent à mesure que la glace de mer disparaît, créant de la lumière artificielle dans la nuit polaire, qui serait sans cela parfaitement noire.
Des créatures qui ont pris des millions d’années pour s’adapter à la nuit polaire sont désormais exposées à la lumière artificielle. Michael O. Snyder, Author provided
Aucun organisme n’a eu la possibilité de s’adapter véritablement à ces changements étant donné que l’évolution se fait sur une échelle de temps beaucoup plus grande. Les mouvements harmoniques de la Terre, de la Lune et du Soleil fournissent des indices aux animaux de l’Arctique depuis des millénaires. De nombreux événements biologiques, tels que les migrations, la quête de nourriture et la reproduction, se sont adaptés à leur prévisibilité.
Dans une étude récente menée dans l’archipel du Svalbard, dans le Haut-Arctique, les feux de position d’un navire de recherche ont affecté les poissons et le zooplancton à au moins 200 mètres de profondeur. Perturbées par la soudaine intrusion de lumière, les créatures qui tournoyaient sous la surface ont fortement réagi, soit en nageant vers le faisceau, soit en s’en éloignant brusquement.
Il est difficile de prédire l’effet de la lumière des bateaux qui naviguent depuis peu dans l’Arctique libre de glace sur les écosystèmes qui connaissent l’obscurité de la nuit polaire depuis bien avant l’existence de l’homme moderne. Si la manière dont ils seront affectés par la présence humaine croissante dans l’Arctique est préoccupante, les chercheurs se posent d’autres questions complexes. Étant donné qu’une grande partie des informations que nous avons recueillies sur l’Arctique l’a été par des scientifiques naviguant sur des bâtiments éclairés, dans quelle mesure l’état de l’écosystème rapporté est-il « naturel » ?
La recherche dans l’Arctique pourrait se transformer au cours des prochaines années afin de réduire la pollution lumineuse. Michael O. Snyder, Author provided
L’océanographie est sur le point d’entrer dans une nouvelle ère dans l’Arctique avec des plates-formes autonomes et télécommandées, capables de fonctionner sans lumière et de prendre des mesures dans l’obscurité totale.
Forêts sous-marines
À mesure que la glace de mer se retire des côtes du Groenland, de la Norvège, de l’Amérique du Nord et de la Russie, les périodes où les eaux sont libres de glace s’allongent et la lumière atteint davantage le fond marin. La lumière du jour se rend aujourd’hui jusqu’à des écosystèmes côtiers qui étaient cachés sous la glace depuis 200 000 ans. Cela pourrait être une très bonne nouvelle pour les plantes marines comme le varech – ces grandes algues brunes qui croissent dans l’eau froide lorsqu’elles ont suffisamment de lumière et de nutriments.
Ancrées au fond de la mer et flottant avec la marée et les courants, certaines espèces de varechs peuvent atteindre 50 mètres – ce qui correspond environ à la hauteur de la colonne Nelson du Trafalgar Square, à Londres. Mais on ne trouve généralement pas de varech sous les plus hautes latitudes en raison de l’ombre produite par la glace de mer et de son effet d’affouillement sur les fonds marins.
Des alarias, ou wakamés irlandais, au large des côtes du Nunavut dans l’Arctique canadien. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Ces luxuriantes forêts sous-marines sont appelées à croître et à proliférer à mesure que la glace de mer se raréfie. Mais les varechs ne sont pas une nouveauté dans l’Arctique. Ils ont déjà fait partie du régime alimentaire des habitants du Groenland, et des chercheurs et explorateurs polaires en ont observé le long des littoraux du nord il y a plus d’un siècle.
Certaines espèces de varechs pourraient avoir colonisé les côtes arctiques après la dernière période glaciaire ou s’être répandues à partir de petits îlots. Mais la plupart des forêts de varech de l’Arctique sont petites et limitées à des zones en eaux profondes, contrairement aux vastes étendues d’algues qui bordent des côtes comme celles de la Californie, aux États-Unis.
Un plongeur explore une forêt de laminaires sucrées de quatre mètres de haut près de l’île Southampton, au Canada. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Des données récentes en provenance de Norvège et du Groenland montrent que les forêts de varech sont en expansion et que leur aire de répartition monte vers les pôles. De plus, ces plantes océaniques devraient devenir plus grosses et croître plus rapidement à mesure que l’Arctique se réchauffe, créant des habitats pour de nombreuses espèces. L’étendue totale des forêts de varech de l’Arctique reste en grande partie cachée et inexplorée, mais la modélisation peut aider à déterminer dans quelle mesure elles se sont déplacées vers l’Arctique et y ont crû depuis les années 1950.
Emplacements connus des forêts de varech et tendances mondiales selon l’augmentation prévue de la température moyenne de surface en été au cours des vingt prochaines années, d’après les modèles du GIEC. Filbee-Dexter et al. (2018), Author provided
Un nouveau puits de carbone
Bien qu’il existe de grandes algues de toutes sortes de formes et de tailles, beaucoup ressemblent à des arbres, avec leurs longues tiges à l’allure de troncs flexibles appelées stipes. La canopée de la forêt de varech est remplie de lames plates comme des feuilles, avec des crampons qui agissent comme des racines, ancrant les algues sur les rochers.
Certains types d’algues arctiques peuvent atteindre plus de dix mètres et former de grandes voûtes suspendues dans la colonne d’eau, avec un sous-étage ombragé et protégé. Tout comme les forêts terrestres, ces forêts marines fournissent des habitats, des zones de reproduction et des aires d’alimentation à de nombreux animaux et poissons, dont la morue, la goberge, le crabe, le homard et l’oursin vert.
Les forêts de varech offrent de nombreux coins et recoins où se poser [JG3], ce qui les rend riches en faune. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Les varechs sont des plantes à croissance rapide qui stockent du carbone dans leur tissu caoutchouteux. Comment leur expansion dans l’Arctique peut-elle influencer le climat mondial ? Tout comme la restauration des forêts sur terre, la progression de forêts de varech peut contribuer à ralentir les changements climatiques en captant le carbone de l’atmosphère.
De plus, une partie du varech se détachera et sera emporté des eaux côtières vers les profondeurs de l’océan, se trouvant ainsi retiré du cycle du carbone de la Terre. L’expansion des forêts de varech le long des vastes littoraux arctiques pourrait former un puits de carbone qui capterait les émissions de CO2 des humains et les emprisonnerait dans les profondeurs de l’océan.
Les nouvelles ne sont pas toutes bonnes. Le déplacement des forêts de varech pourrait repousser une faune unique vers le Haut-Arctique. Les algues vivant sous la glace n’auront nulle part où aller et risquent de disparaître complètement. Des espèces de varechs de régions plus tempérées pourraient remplacer les varechs arctiques endémiques comme la Laminaria solidungula.
Un crabe trouve refuge sur une Laminaria solidungula – seule espèce de varech endémique dans l’Arctique. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Mais le varech n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’espèces qui avancent de plus en plus profondément dans la région à mesure que la glace fond.
Des paquebots de croisière, des navires de la garde côtière, des yachts de plaisance, des brise-glaces de recherche scientifique, des cargos de ravitaillement et des bateaux pneumatiques remplis de touristes naviguent également dans la région. Le réchauffement sans précédent et la diminution de la glace de mer ont attiré de nouvelles industries et activités dans l’Arctique. Des localités comme Pond Inlet ont vu leur trafic maritime tripler au cours des vingt dernières années.
Les passagers d’un navire de croisière arrivent à Pond Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Des navires en provenance d’un peu partout dans le monde naviguent dans l’Arctique et il arrive qu’ils aient pris des passagers clandestins aquatiques à Rotterdam, à Hambourg, à Dunkerque ou ailleurs. Des espèces animales – dont certaines trop petites pour être visibles à l’œil nu –, se cachent dans l’eau de ballast pompée dans les citernes pour stabiliser le navire.
Elles peuvent aussi se fixer à la coque et à d’autres surfaces extérieures, provoquant ce qu’on appelle de « l’encrassement biologique ».
Certaines survivent au voyage vers l’Arctique et sont rejetées dans l’environnement lors du délestage de l’eau de ballast et du chargement de la cargaison. Celles qui restent accrochées à la coque peuvent libérer des œufs, du sperme ou des larves.
La préoccupation concernant les espèces envahissantes s’étend bien au-delà de la communauté de Pond Inlet. Environ 4 millions de personnes vivent dans l’Arctique, souvent le long des côtes qui fournissent des nutriments et un habitat à divers animaux, comme l’omble chevalier, le phoque annelé, l’ours polaire, la baleine boréale, sans compter les millions d’oiseaux migrateurs.
Avec la fonte de la glace de mer pendant les mois d’été, de nouvelles routes de navigation s’ouvrent le long du littoral russe et par le passage du Nord-Ouest. Certains pensent qu’une route transarctique pourrait bientôt être navigable. Shutterstock
Avec le réchauffement des eaux, la saison de navigation s’allonge et de nouvelles routes, comme le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord (le long de la côte arctique russe), s’ouvrent. Certains chercheurs croient qu’une route transarctique qui traverse le pôle Nord pourrait être navigable d’ici le milieu du siècle. La hausse du trafic maritime augmente le nombre et les types d’organismes transportés dans les eaux arctiques et les conditions de plus en plus hospitalières améliorent leurs chances de survie.
Une autre approche possible consiste à repérer les envahisseurs le plus tôt possible après leur arrivée afin d’augmenter les chances de les éradiquer. Mais la détection précoce nécessite une surveillance à grande échelle, ce qui peut être difficile à mettre en place dans l’Arctique. Garder un œil sur l’arrivée d’une nouvelle espèce, cela ressemble à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais des collectivités du Nord ont peut-être une solution.
Le crabe royal a été introduit volontairement dans la mer de Barents dans les années 1960. Il se propage maintenant vers le sud, le long de la côte norvégienne. Shutterstock
Parmi celles-ci, on trouve le crabe royal qui provient de la mer du Japon, de la mer de Béring et du Pacifique Nord et qui est adapté au froid. Il a été introduit dans la mer de Barents dans les années 1960 pour l’industrie de la pêche, mais il s’étend désormais vers le sud, le long de la côte norvégienne et dans la mer Blanche. Il s’agit d’un grand prédateur vorace responsable du déclin de mollusques cultivés, d’oursins et d’autres espèces de fond plus grandes et se déplaçant lentement, avec une forte probabilité de survivre au transport dans les eaux de ballast.
Une autre espèce invasive est le bigorneau, qui broute des plantes aquatiques luxuriantes dans les habitats du littoral, laissant derrière lui les rochers nus ou granuleux. Il a également introduit sur la côte est de l’Amérique du Nord un parasite responsable de la maladie des points noirs, qui stresse les poissons adultes et rend leur goût désagréable, tue les juvéniles et cause des dommages intestinaux aux oiseaux et aux mammifères qui s’en nourrissent.
A la chasse au matériel génétique
Si de nouvelles espèces comme celles-ci devaient arriver à Pond Inlet, elles pourraient affecter les stocks de poissons et de mammifères dont les gens se nourrissent. Après seulement quelques années de navigation, une poignée d’espèces probablement non indigènes ont déjà été découvertes, dont le ver polychète Marenzelleria viridis, une espèce envahissante, ainsi qu’un amphipode tubicole. Ces deux espèces sont connues pour atteindre une densité élevée, modifier les sédiments du fond marin et concurrencer les espèces indigènes.
Un cargo passe par Milne Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Quoique l’avenir du transport maritime dans l’Arctique soit incertain, il s’agit d’une tendance à la hausse qu’il faut surveiller. Au Canada, des chercheurs travaillent avec des partenaires autochtones dans des localités où la navigation est très active, notamment à Churchill, au Manitoba, à Pond Inlet et à Iqaluit, au Nunavut, à Salluit, au Québec et à Nain, à Terre-Neuve, afin d’instaurer un réseau de surveillance des espèces envahissantes. L’une des approches consiste à collecter de l’eau et à la tester pour y détecter du matériel génétique provenant des écailles, des excréments, du sperme et d’autres matériaux biologiques.
En 2019, des membres d’une équipe de terrain de Pond Inlet et de Salluit filtrent l’ADNe des échantillons d’eau prélevés à Milne Inlet. Christopher Mckindsey, Author provided
L’ADN environnemental (ADNe) est facile à recueillir et permet de déceler des organismes qui seraient autrement difficiles à capturer ou qui sont peu abondants. Cette technique a égalementpermis d’améliorer les connaissances de base sur la biodiversité côtière dans d’autres zones où le trafic maritime est élevé, une étape fondamentale pour détecter les changements à venir.
Certaines espèces non indigènes ont déjà été repérées dans le port de Churchill grâce à la surveillance par ADNe et à d’autres méthodes d’échantillonnage. Il s’agit entre autres de la méduse, de l’éperlan arc-en-ciel et d’une espèce de copépodes envahissants.
Des démarches sont en cours pour étendre ces recherches à tout l’Arctique dans le cadre de la stratégie sur les espèces exotiques envahissantes du Conseil de l’Arctique afin de réduire la propagation des espèces envahissantes.
L’Arctique est souvent appelé la ligne de front de la crise climatique et, en raison du rythme rapide de son réchauffement, la région est touchée par toutes sortes d’invasions, qu’il s’agisse de nouvelles espèces ou de nouvelles routes maritimes. Ces éléments pourraient complètement remodeler le bassin océanique au cours de notre vie, et ces vastes étendues gelées, éclairées par les étoiles et peuplées de communautés uniques d’organismes hautement adaptés pourraient être complètement bouleversées.
Les changements adviennent si rapidement dans l’Arctique que les scientifiques n’arrivent même pas à en rendre compte, mais il y aura des événements, comme la croissance de puits de carbone, qui pourraient profiter à sa faune et à ses habitants. Les changements de notre monde soumis au réchauffement climatique ne seront pas que négatifs. Dans l’Arctique, comme ailleurs, il y aura des gagnants et des perdants.