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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Moulin

et HISTOIRE DES MOULINS DE MIRMANDE A COMPTER DU 2 mai 1583 à Mirmande

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MOULIN

s. m. Molin, molinel, molis. Ne nous occupant ici que des bâtiments contenant une machine à
moudre, à fouler ou à façonner des métaux, nous avons les moulins mus par un cours d’eau et les
moulins à vent. Les moulins à eau paraissent être les plus anciens. Lambert, quarantième abbé de
Saint-Bertin, fait établir définitivement des moulins à eau, commencés sous Odland en 797. Ces
moulins, dit la chronique des abbés de Saint-Bertin, étaient les premiers qui furent établis dans le

pays-. Cet abbé Lambert (1095 à 1123) fit exécuter même des travaux hydrauliques qui paraissent
avoir été assez importants, puisqu’au moyen des roues motrices des moulins abbatiaux il fit monter
l’eau nécessaire au service du monastère, afin de la répandre dans les bâtiments par des aqueducs

souterrains. Il n’est pas question de moulins à vent en France antérieurement au XIIe siècle.
Quelques auteurs prétendent que l’invention de ces sortes de moulins fut rapportée d’Orient par les

premiers croisés; et, en effet, les moulins à vent sont nommés en Normandie, pendant le XIve
siècle, moulins turquois. Des chartes de Philippe-Auguste concèdent le droit d’établir des moulins à
vent et des moulins à eau2., et dans le roman d’Ogier de Danemarche-, il est deux fois question de
moulins à eau.

« Del brut de lui (de la fontaine) tornent troi moline1
Qui ne s’arestent ne esté ne yver1.

Quant il veIt moIre, par soi le va cargier,

Et le molin vait par lui afaitier=. »

Les Ohm donnent des arrêts du parlement relatifs à l’établissement de moulins à vent. Nous citerons
l’un de ces arrêts, rendu en 1275, sous Philippe III :

« Les moines de Royaumont se plaignaient de ce qu’un moulin à vent, appartenant à Pierre de
Baclai, avait été récemment construit, près de Baclai, à leur préjudice et dommage, et au détriment
de leurs moulins de Gonesse; ils demandaient que ce moulin fût détruit, lorsque, disaient-ils, le
seigneur Roi l’aurait dit ou commandé par jugement. Les raisons des parties adverses entendues,
l’arrêt suivant fut prononcé: Le moulin, quant à ce qui concernait les moines, ne devait pas être détruitQ. »

Au xv siècle, le seigneur de Caumont, en passant à Rhodes et décrivant les édifices qui lui
paraissent remarquables dans la ville, s’exprime ainsi:

« … Et tout au lonc d’icelle (muraille de la cité) sont assis.XVI. molis de vent, toux d’un ranc, qui
nuyt et jour molent yver et esté; et à paynes l’on les voit toux ensemble molir he toux à ung cop

cesser1. »

Sur les tours de l’enceinte intérieure de la cité de Carcassonne, il y avait plusieurs moulins à vent,
ainsi que le constatent une vignette de 146711 et les dénominations anciennes de quelques-unes de
ces tours ». Les moulins à eau dépendant de châteaux ou d’abbayes isolés étaient souvent fortifiés.
L’établissement d’un moulin ne pouvait avoir lieu que par une cession du seigneur terrien. En
cédant le droit de bâtir un moulin, le seigneur lui assignait une étendue de territoire, le ban du

moulin. Tous les habitants compris dans les limites du ban étaient tenus de faire moudre leur grain
dans le moulin banal, sous peine de voir confisquer leur blé, le cheval et la voiture, au profit du
propriétaire du moulin et du seigneur du délinquant. Ces moulins devenaient ainsi de véritables fiefs
dont la conservation importait au seigneur qui en avait permis l’établissement, au propriétaire et aux
habitants compris dans le ban; il était nécessaire que ces bâtiments fussent en état de résister à un
coup de main, de se défendre. Aussi les bâtissait-on autant que possible sur des îlots, ou bien le long
d’un pont facilement barricadé. Ces moulins étaient assez forts quelquefois pour soutenir un siège
en règle, et, afin qu’on ne pût détruire leurs roues motrices au moyen de pierriers ou de
mangonneaux, celles-ci étaient alors soigneusement abritées sous la construction en maçonnerie. Le
moulin dit du Roi, sur l’Aude, à Carcassonne, résista ainsi aux attaques de l’armée de Trencavel, en
1240. Dans son excellent ouvrage sur la Guienne militaire, M. Léo Drouyn donne plusieurs exemples de moulins à eau qui datent la plupart du XIve siècle, et qui font voir avec quel soin ces usines étaient établies au moyen âge. Le bâtiment qui contient le mécanisme est presque toujours sur plan carré ou barlong, la roue motrice étant placée en dedans le long d’un des côtés du parallélogramme. S’il n’existe plus de moulins antérieurs au XIIIe siècle, les textes aussi bien que les représentations de ces usines ne peuvent nous laisser de doutes sur leur établissement dès le
commencement du XIIe siècle au moins. Un des chapiteaux de la nef de Vézelay nous montre un
mécanisme de moulin et des gens qui apportent du grain dans la trémie. Le manuscrit d’Herrade de Landsberg, qui date du XIIe siècle, nous montre également le mécanisme d’un moulin à eau possédant une roue motrice à palettes dont l’arbre, muni d’une roue d’engrenage, fait tourner la meule inférieure. Dès le temps de Guillaume le Conquérant, dit M. L. Delisleil, on avait établi à l’entrée du port de Douvres un moulin mis en mouvement par le flux et le reflux de la mer12. « En 1235, il en existait un à Veules13.

« Au XIVe siècle, l’archevêque de Rouen possédait à Dieppe deux moulins de marée … »En 1277,
Philippe le Hardi avait affermé à Guillaume l’Archier les moulins de marée établis aux ponts
d’Ouve, près Carentan.

Il existe en France des moulins à eau d’une date ancienne et qui sont encore en usage; on en trouve
en Normandie, en Touraine, et particulièrement en Guienne, où ces usines, presque toutes fortifiées,
ont été établies pendant la domination anglaise, époque de prospérité et de développement pour
cette province. À Melun, avant 1830, on voyait encore les restes d’un moulin fortifié dépendant des
ruines connues sous le nom de château de la reine Blanche. Ce moulin, dont on ne voyait plus que
les soubassements, se composait de deux piles épaisses avec éperons opposés au courant de la
rivière et couronnées de tourelles; de celles-ci, les premières assises seulement étaient apparentes.
La roue motrice était placée entre ces deux piles et parfaitement garantie par conséquent. Le plan du
rez-de-chaussée, porté par une arche qui réunissait les deux piles, n’était probablement qu’une salle
barlongue. Nous n’avons pu nous procurer sur le couronnement de cette usine aucun renseignement. La construction datait certainement du XIIIe siècle, à considérer les profils de la souche des tourelles.