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Archives Mensuelles: septembre 2021

Eric Zemmour ou comment introduire un discours clivant dans le débat public

30 jeudi Sep 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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  1. Julien LonghiProfesseur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris Université

Julien Longhi a reçu des financements de l’ANR, de l’IUF, du DIM STCN. Il est membre de Draine, « Haine et rupture sociale : discours et performativité », un groupe pluridisciplinaire de chercheuses et chercheurs qui travaillent autour des discours de haine et des discours radicaux ainsi que les genres respectifs qui leur sont liés.

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CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
L’éditorialiste Eric Zemmour au tribunal à Paris, le 6 novembre 2015, entendu dans le cadre de poursuites à son encontre pour provocation à la haine raciale. Il a été récemment relaxé en appel pour des propos anti-islam et anti-immigration tenus en 2019. Bertrand GUAY / AFP

Le mercredi 8 septembre, la Cour d’appel de Paris a relaxé Éric Zemmour, qui avait été condamné, en première instance, pour des propos « anti-islam et anti-immigration » datant de 2019, à une peine de 10 000 euros d’amende.

Lors de la condamnation, la présidente de la 17e chambre correctionnelle avait jugé :

« Les opinions, même choquantes, doivent pouvoir s’exprimer, néanmoins les faits reprochés vont plus loin et outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion. »

À l’inverse, la cour d’appel a indiqué :

« Aucun des propos poursuivis ne vise l’ensemble des Africains, des immigrés ou des musulmans mais uniquement des fractions de ces groupes […] Il n’est nullement justifié de propos visant un groupe de personnes dans son ensemble en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

Dans ces extraits de décisions juridiques sont convoquées des notions telles que la liberté d’expression, l’injure, ou plus généralement le discours de haine, ce qui renvoie à une approche juridictionnelle des discours de haine qui :

« témoigne du travail méticuleux de conciliation effectué par les juridictions françaises entre la protection de la liberté d’expression, celle des droits d’autrui, et la préservation de l’ordre public ».

Si Éric Zemmour a été pour sa part condamné à deux reprises, en 2011 et 2019 puis relaxé, on voit que le travail juridique est complexe, soumis à discussion, et peut donner lieu à des interprétations divergentes.

La récente relaxe pourrait laisser croire que ces discours ont leur place dans le débat public. Ils deviennent par ce biais « entendables » par le grand public, si ce n’est « acceptables » par les soutiens de l’éditorialiste.

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un discours qualifié initialement d’injurieux envers une communauté. Or, comme Dominique Lagorgette l’a bien montré, « l’injure blesse », et elle relève « du domaine des attaques contre la persona » : aussi, les processus par lesquels ces types de discours se sont imposés dans le débat doivent être examinés, puisque ces attaques blessent ceux qui en sont l’objet, générèrent des oppositions dans la société, et créent des clivages.

Pour être précis, il faut prendre en compte aussi bien les propos, leur contexte, et leurs interprétations possibles.

Ce qui est retenu du discours d’Éric Zemmour

Les propos du polémiste sont rapportés dans divers médias, tel qu’ici :

« Lors d’une “convention de la droite” organisée par des proches de l’ex-députée du Front national (devenu Rassemblement national) Marion Maréchal le 28 septembre 2019, Éric Zemmour avait prononcé un discours fustigeant des immigrés “colonisateurs” et une “islamisation de la rue”. L’éditorialiste y avait également décrit le voile et la djellaba comme “les uniformes d’une armée d’occupation”. »

Ou là :

« La justice donne raison à Éric Zemmour. Poursuivi depuis 2019 pour des propos virulents contre l’Islam et l’immigration, le polémiste a été relaxé par la Cour d’appel de Paris ce mercredi 8 septembre. »

Comme le note Nathalie Droin dans son article au titre éclairant, « L’appréhension des discours de haine par les juridictions françaises : entre travail d’orfèvre et numéro d’équilibriste » :

« La loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui, depuis 1972, permet la répression des injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine et à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

Elle note d’ailleurs un certain paradoxe, puisque le juge doit à la fois se livrer à « une lecture stricte et objective des infractions pour apprécier, avec une certaine neutralité, le caractère préjudiciable du propos » et prendre en compte « son contexte de prononciation ou diffusion afin d’adopter la solution la plus juste et la plus adaptée au regard des intérêts en jeu ».

Pour voir la manière dont les juges ont pris en compte ces deux dimensions, nous pouvons revenir plus précisément aux propos en question. Ils sont prononcés à la fin de cette séquence :https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=jlonghi1&dnt=false&embedId=twitter-widget-0&features=eyJ0ZndfZXhwZXJpbWVudHNfY29va2llX2V4cGlyYXRpb24iOnsiYnVja2V0IjoxMjA5NjAwLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X2hvcml6b25fdHdlZXRfZW1iZWRfOTU1NSI6eyJidWNrZXQiOiJodGUiLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X3NwYWNlX2NhcmQiOnsiYnVja2V0Ijoib2ZmIiwidmVyc2lvbiI6bnVsbH19&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1309606782738857985&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Feric-zemmour-ou-comment-introduire-un-discours-clivant-dans-le-debat-public-167824&sessionId=08e53b2a436deddfb95e30bdd3d05fb9d596341c&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=1890d59c%3A1627936082797&width=550px

Précisément, dans cet extrait, ce qui est en jeu, c’est la mise en relation de « les femmes voilées et les hommes en djellaba » avec « les uniformes d’une armée d’occupation ». Le terme « armée » ouvre sur la thématique de la guerre, et « occupation » celle de l’envahisseur. On comprend alors la complexité de la décision de justice : faut-il considérer ces propos vis-à-vis des « femmes voilées » et des « hommes en djellaba » comme injurieux, ou les entendre comme ciblant seulement une partie de la communauté visée ? S’il n’est pas question ici de produire une analyse supplémentaire de cette séquence, il est utile d’ouvrir sa prise en compte par d’autres champs.

« Les linguistes au tribunal »

Dans un numéro de la revue Langage et société publié en 2010 intitulé « Linguistique légale et demande sociale : les linguistes au tribunal », Dominique Lagorgette constatait que « la pénalisation des actes de langage est sans cesse croissante » mais regrettait « qu’en France, contrairement aux pays anglo-saxons, les linguistes ne soient que très rarement encore sollicités pour livrer une analyse des faits de langue incriminé ». Elle rappelait notamment que la Forensic Linguistics « a plus de quarante ans d’existence derrière elle dans de nombreux pays » mais qu’elle reste en France et dans les pays relevant traditionnellement du droit romain « totalement ignorée, et des personnels de la magistrature, et des linguistes eux-mêmes ».

Depuis cette date, ce type de travaux a connu un certain essor, dans le domaine académique, notamment autour du groupe de recherche Draine en ce qui concerne le discours de haine, avec une importante bibliographie et sujets d’application.

Ainsi, à propos du paradoxe entre interprétation littérale et contextualisation des propos, il est intéressant de considérer la phrase d’Éric Zemmour à propos de Renaud Camus : « j’aime la formule de Renaud Camus entre vivre ensemble il faut choisir » qui suit juste les propos soumis à discussion.

On trouve cette « formule » sur le compte Twitter de Renaud Camus avec la mention #OccupantDégage et une référence aux attentats islamistes :https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=jlonghi1&dnt=false&embedId=twitter-widget-1&features=eyJ0ZndfZXhwZXJpbWVudHNfY29va2llX2V4cGlyYXRpb24iOnsiYnVja2V0IjoxMjA5NjAwLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X2hvcml6b25fdHdlZXRfZW1iZWRfOTU1NSI6eyJidWNrZXQiOiJodGUiLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X3NwYWNlX2NhcmQiOnsiYnVja2V0Ijoib2ZmIiwidmVyc2lvbiI6bnVsbH19&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=949930041206558720&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Feric-zemmour-ou-comment-introduire-un-discours-clivant-dans-le-debat-public-167824&sessionId=08e53b2a436deddfb95e30bdd3d05fb9d596341c&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=1890d59c%3A1627936082797&width=550px

Il n’est pas aisé d’interpréter l’intérêt de cette formule par le polémiste, mais en cherchant des informations sur Renaud Camus on peut lire sur Wikipédia :

« Il écrit de nombreux textes au sujet de ce qu’il nomme le “grand remplacement” des peuples européens par l’immigration, ce qui le rend influent au sein de la droite identitaire. En 2015, il rejoint le parti Souveraineté, identité et libertés. Il est candidat aux élections européennes de 2014 puis de 2019, désavouant toutefois la liste qu’il mène peu avant ce dernier scrutin. »

Il est accusé d’antisémitisme en 2000 dans le cadre de l’« affaire Camus » et en 2014, il est condamné pour provocation à la haine et à la violence contre les musulmans. Pour l’analyste du discours, ce « co-texte » fait « contexte ». Ainsi, en ajoutant l’adhésion à une formule proposée par un écrivain déjà condamné pour des faits proches de ceux dont il est accusé, la citation a aussi une fonction de connivence auprès d’auditeurs/lecteurs familiers de ces thèses, et porte une forme d’autorité (soutien du propos).

Mais la dimension haineuse du propos est dissimulée, partiellement déléguée de manière allusive à Renaud Camus, et prise en charge par une mémoire du discours qui s’adjoint à l’interprétation littérale. Cela rejoint donc ce que développent les chercheuses Fabienne Baider et Maria Constantinou :

« Les discours de haine peuvent être aussi masqués et s’accompagner ou non de violence verbale, c’est ce qui est appelé le discours de haine dissimulée. »

Et d’ajouter : « leur performativité n’en reste pas moindre » : cela signifie que ces discours ont des conséquences, car ils irriguent le champ politique, ils ont une dimension clivante qui oppose des populations, et créent un climat de guerre, puisqu’ils mettent en scène une armée de colonisation.

Dissimuler la haine ?

Dans ce contexte, comme le rappellent ces deux spécialistes, le discours de haine dissimulée pourrait se définir « comme toute manifestation discursive ou sémiotique pouvant de manière implicite ou masquée inciter à la haine, à la violence et/ou à l’exclusion de l’autre ».

Et on comprend bien que cette dissimulation pose problème pour les juristes, puisqu’elle met notamment en œuvre des procédés d’implicite. Comme le relève la chercheuse Camille Bouzereau qualifiant ce phénomène de « néologisme lepénien », la dimension linguistique (le choix des mots, leur construction, l’organisation de la syntaxe, etc.) doit pouvoir être prise en compte. Dans le cadre du Front/Rassemblement national, elle ajoute notamment :

« Jean-Marie Le Pen a été condamné à 18 reprises pour le contenu de ses propos (apologie de crimes de guerre, provocation à la haine raciale, diffamation) et Marine Le Pen une fois pour diffamation en 2008, faisant suite à des propos soutenus en 2010 sur la comparaison entre l’occupation nazie et les prières de rue des musulmans, elle a été jugée pour incitation à la haine mais se trouve relaxée en 2015 par le tribunal correctionnel de Lyon. »

Nous voyons une énumération de condamnations pour faits de langue (apologie de crimes de guerre, diffamation, incitation à la haine), ce qui nous permet d’élargir plus largement cette question des discours de haine au-delà du cas d’Éric Zemmour.

L’acceptabilité des discours

Mais ce qui est en jeu, comme esquissé au fil de cet article, c’est la question de l’acceptabilité de ces discours. En effet, alors que les discours de Jean-Marie Le Pen semblaient éminemment transgressifs et avaient un rôle polémique, ceux d’Éric Zemmour semblent bien plus « entendables », du point de vue de la justice (relaxe) et aussi du point de vue de l’opinion publique. Certes les chiffres annoncés n’ont rien de scientifique, mais le martèlement d’une majorité qui « penserait comme » semble faire son chemin :https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=jlonghi1&dnt=false&embedId=twitter-widget-2&features=eyJ0ZndfZXhwZXJpbWVudHNfY29va2llX2V4cGlyYXRpb24iOnsiYnVja2V0IjoxMjA5NjAwLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X2hvcml6b25fdHdlZXRfZW1iZWRfOTU1NSI6eyJidWNrZXQiOiJodGUiLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X3NwYWNlX2NhcmQiOnsiYnVja2V0Ijoib2ZmIiwidmVyc2lvbiI6bnVsbH19&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1436999053477302276&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Feric-zemmour-ou-comment-introduire-un-discours-clivant-dans-le-debat-public-167824&sessionId=08e53b2a436deddfb95e30bdd3d05fb9d596341c&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=1890d59c%3A1627936082797&width=550px

On peut donc en conclure que si ces propos peuvent être rendus « entendables », c’est qu’ils ont plusieurs propriétés : dimension linguistique de la haine dissimulée (implicite notamment) ; intégration dans un discours idéologique déjà martelé depuis des années et qui a imprégné le champ politique ; voix présente sur la scène médiatique.

Avec la possible entrée en campagne d’Éric Zemmour, ces différents paramètres vont être bouleversés, et il sera intéressant d’observer les manières dont ses discours vont continuer à être reçus et interprétés.

Croire au mérite aide-t-il (ou non) les élèves à réussir ?

29 mercredi Sep 2021

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  1. Céline DarnonProfesseure de psychologie sociale, Université Clermont Auvergne (UCA)

Déclaration d’intérêts

Céline Darnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Université Clermont Auvergne

Université Clermont Auvergne apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
La croyance en la méritocratie conduit les individus à endosser la responsabilité de leurs bons résultats…comme de leurs échecs. Shutterstock

On ne compte plus les ouvrages, films, publicités, mettant en avant l’idée qu’avec la volonté, il est toujours possible d’accéder à la réussite, même si l’on part de peu. Il est vrai que penser qu’avec l’effort et la volonté, on peut progresser, représente une réelle source de motivation pour les tâches scolaires. Toutefois, le talent et les efforts réalisés par un élève (son mérite individuel, donc) ne sont pas les seuls déterminants de la réussite scolaire.

L’origine sociale, le genre, le lieu d’habitation, la présence de troubles cognitifs, pour ne citer que ces exemples, sont autant de facteurs dont on sait qu’ils pèsent également lourdement sur les probabilités de réussite scolaire, les choix d’orientation, la durée des études. Or aucun de ces facteurs ne relève du mérite ou du manque de mérite de l’élève.


À lire aussi : Débat : Ce que dit la sociologie sur les origines des inégalités scolaires


Croire en la méritocratie scolaire, c’est-à-dire croire que la réussite scolaire est le pur produit du mérite de chacun – des efforts qu’il ou elle a produits et de son talent – n’est pas anodin. En effet, bien que cette croyance soit plutôt rassurante, sur le plan individuel, elle peut également représenter un frein important au changement et, en particulier, à la promotion de l’égalité à l’école.

Entre contrôle et responsabilité

Sur un plan individuel, penser que l’école est méritocratique est très rassurant pour les élèves. Du point de vue des élèves qui sont plutôt en réussite, cela signifie qu’ils méritent leurs bonnes notes, leurs diplômes, et plus tard, qu’ils méritent les positions sociales relativement avantageuses auxquelles ces diplômes leur auront permis d’accéder. Étonnamment, cette croyance peut également être rassurante pour les élèves qui sont pourtant plus en difficultés ou ceux qui appartiennent à des groupes stigmatisés.

En effet, croire que le système scolaire est méritocratique est encourageant car cela signifie que le succès est possible pour tous ceux qui s’en donneront les moyens. Cela redonne du contrôle aux élèves et limite le risque de voir apparaître chez eux une certaine résignation. D’ailleurs, les recherches ont montré que promouvoir l’idée que tout le monde peut réussir avec des efforts est bénéfique à tous les élèves, mais particulièrement aux élèves de bas statut socioéconomique.

Même si croire au mérite scolaire peut être encourageant, cela freine la lutte contre les inégalités scolaires. Shutterstock

Toutefois, croire que le mérite est le seul déterminant du succès à l’école peut aussi avoir des effets délétères, notamment en cas de difficultés répétées. En effet, assez logiquement, la croyance en la méritocratie conduit les individus à endosser la responsabilité de résultats défavorables. D’ailleurs, la croyance en la méritocratie réduit la propension à dénoncer une discrimination dont on est victime.

Une recherche a montré que des élèves de CM2 de bas statut socioéconomique se sentaient moins capables de réussir et performaient moins bien à une tâche scolaire que les élèves de statut socioéconomique plus élevé mais que cet écart avait tendance à s’accentuer lorsqu’on avait activé dans leur esprit la méritocratie scolaire (c’est-à-dire lorsqu’on leur avait rappelé qu’à l’école, pour réussir, il « suffit de s’en donner les moyens »).

Ainsi, croire en la méritocratie scolaire, certes, donne du contrôle aux élèves mais peut aussi les amener à endosser la responsabilité de leurs échecs, y compris lorsqu’ils n’en sont, en réalité, pas responsables.

Un frein à la lutte contre les inégalités ?

Surtout, penser que l’école est méritocratique peut représenter un frein au changement. En effet, croire que l’école est méritocratique revient à croire que le système scolaire récompense de manière équitable les efforts et le talent de chacun, c’est-à-dire que le système est relativement “juste”. Or si l’on pense qu’un système est juste, on a peu de raisons de vouloir le changer.

De nombreuses recherches ont établi que plus les individus pensent qu’un système est méritocratique, moins ils soutiennent les actions de lutte contre les discriminations, la promotion de politiques redistributives, et plus ils trouvent normal qu’il existe des différences de salaires et de prestige entre les individus.

Dans une série d’études, nous avons montré que cette croyance en la méritocratie scolaire pouvait impacter l’intention des individus d’agir pour la promotion de l’égalité à l’école. Nous avons mesuré la volonté de participants de voir une intervention pédagogique « égalisatrice » mise en œuvre dans leur propre université (étude 1, réalisée sur des étudiants) ou dans l’école de leurs enfants (études 2 et 3 réalisées sur des parents d’élèves) et leur intention de s’engager personnellement dans cette mise en œuvre.

Pour ce faire, on présentait aux participants une nouvelle méthode pédagogique et les résultats de recherches supposées tester l’efficacité de cette méthode sur les performances scolaires (voir figure 1). Dans tous les cas, l’utilisation de cette méthode augmentait les performances des élèves.

Condition de méthode pédagogique « maintenante » Fourni par l’auteur
Condition de méthode pédagogique « égalisatrice » Fourni par l’auteur

Figure 1 : Ces graphiques (support des études) sont présentés comme reflétant les résultats d’une étude testant l’efficacité de la méthode pédagogique sur les performances scolaires des élèves.

Toutefois, pour la moitié des participants, cette méthode était présentée comme « maintenante » dans le sens où elle augmentait la réussite de tous les élèves tout en maintenant l’écart de performance des élèves en fonction de leur origine sociale (figure 1, partie haute). Pour l’autre moitié des participants, cette méthode était présentée comme égalisatrice : non seulement elle augmentait les performances, mais elle permettait également de faire disparaitre l’écart de performances entre élèves issus de milieux défavorisés et élèves issus de milieux favorisés (figure 1, partie basse).

Les résultats montrent que plus les individus croient en la méritocratie scolaire, moins ils sont prêts à soutenir la mise en œuvre de la méthode pédagogique égalisatrice. Or ceci n’est pas observé pour les méthodes pédagogiques qui maintiennent les inégalités. Ainsi, ces résultats soutiennent que les individus (ici, les parents d’élèves) qui croient que l’école est méritocratique ne sont pas opposés au changement en tant que tel, ils le sont uniquement lorsque ce changement implique davantage d’égalité entre les groupes (ici, les élèves issus de milieux favorisés vs défavorisés).

Un outil de légitimation des inégalités sociales

Nous l’avons vu, il est rassurant de croire que l’école fonctionne sur des règles purement méritocratiques. D’ailleurs, à l’école comme dans le monde de l’entreprise ou dans la société en général, la méritocratie est l’une des règles de justice distributive les plus acceptées par les individus. Au-delà de son aspect rassurant sur le plan individuel, la méritocratie scolaire nous est extrêmement utile pour rendre compte des inégalités qui existent, plus largement, au sein de la société.

En effet, si l’école est méritocratique, alors cela signifie qu’elle récompense de manière équitable les efforts et le talent de chacun. Cela amène donc tout simplement à négliger le poids d’autres facteurs (notamment l’origine sociale) pour expliquer la réussite scolaire.


À lire aussi : Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables


La réussite scolaire étant elle-même fortement liée à la probabilité d’accéder à des positions sociales de statut plus ou moins élevé, cette croyance en la méritocratie scolaire est susceptible, in fine, d’amener les individus à penser que la société est juste et que chacun y occupe la position qui correspond à ce qu’il « vaut ».

Une inégalité (par exemple, de salaire, de prestige, de droits, etc.) n’apparait dès lors plus comme une inégalité, mais plutôt comme une simple différence qu’on peut qualifier d’équitable entre des individus plus ou moins méritants. Dans un tel système, pourquoi les individus seraient-ils motivés à lutter pour plus d’égalité ?

Le site Internet, levier de recrutement insuffisamment exploité par les PME françaises

28 mardi Sep 2021

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  1. Jessica GérardMaitre de Conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)
  2. Christelle Martin-LacrouxEnseignante-chercheuse en gestion, Université Grenoble Alpes (UGA)
  3. Soffien BataouiMaître de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)

Christelle Martin-Lacroux a reçu des financements de l’IDEX Université Grenoble Alpes pour mener à bien ce projet de recherche.

Jessica Gérard et Soffien Bataoui ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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Une visite en ligne peut déclencher la décision de postuler auprès d’une entreprise.

Recruter représente un défi pour toute entreprise particulièrement dans la conjoncture actuelle. Les statistiques de la banque de France mettent en évidence les difficultés rencontrées par les employeurs, également mentionnées par le président de la République lors de son allocution du mois de juillet.https://datawrapper.dwcdn.net/pQRSo/1/

Selon des statistiques récentes de Pôle emploi, les petites et moyennes entreprises (PME) seraient particulièrement concernées. Pour ces dernières, le site Internet reste la première source d’informations pour les candidats potentiels ; il s’avère en effet un moyen efficace de présenter des éléments spécifiques sur l’entreprise en tant qu’employeur potentiel.

Or, parmi les entreprises dont l’effectif est compris entre 100 et 200 salariés, seule une moitié déclare utiliser son site pour recruter, et seulement 25 % d’entre elles possèdent une rubrique employeur sur leur site. Elles ne sont que 10 % à développer un discours marque employeur, c’est-à-dire à mettre en avant les avantages que ces dernières offrent à ses collaborateurs (une rémunération attractive, des perspectives de formation et dévolution, un environnement de travail agréable…).

Notre étude récente élabore un panorama de la situation et propose une typologie des PME selon leur comportement à ce sujet.

Balbutiantes et réfractaires

Depuis les années 2000, les chercheurs se sont intéressés aux défis du recrutement en ligne en étudiant le contenu des sites Internet des organisations. Ces derniers semblent jouer un rôle non négligeable pour rendre l’entreprise attractive aux yeux des candidats, qu’il s’agisse de leur contenu ou de leur forme.

Pour comprendre où en sont les PME françaises en la matière, un benchmark a été mené auprès de 200 d’entre elles disposant d’un site Internet. Au terme de cette étude, une typologie de 4 classes de PME émerge. Elle s’établit en fonction de deux éléments : le discours marque employeur qui est déployé et l’« hospitalité » du site Internet.

Par cette dernière expression, nous désignons la capacité du site à humaniser la relation qu’il entretient avec ses visiteurs, à l’image d’un hôte accueillant ses invités. Cela peut se faire en donnant une information complète, en faisant témoigner des salariés occupant divers postes, en proposant une façon ludique de découvrir l’entreprise ou encore en présentant des formulaires de contact.

Dans notre classification, on retrouve tout d’abord les balbutiantes qui correspondent à 23 % de l’échantillon. Il s’agit d’entreprises dont le site présente un niveau moyen d’hospitalité virtuelle et de discours marque employeur. On y trouve surtout des entreprises de 50 à 199 salariés, œuvrant dans le commerce ou le transport. On remarque que les valeurs d’attrait (comme le caractère innovant de la PME) ou de développement (perspectives de formation ou de carrières) y sont les plus développées.

Les plus nombreuses restent les réfractaires (42 % de l’échantillon). Leur site n’est pas hospitalier : on y trouve peu voire pas de photographies d’équipes, l’information est peu récente et peu structurée. Pour ce qui est du discours marque employeur, il est presque absent : seules 8,4 % des PME de cette classe présentent une rubrique employeur sur leur site Internet.

Ces entreprises sont de plus petite taille que les balbutiantes. La moitié d’entre elles ne compte qu’entre 10 et 19 salariés. Le secteur de la construction y est très largement représenté.

Orientées clients et convaincues

Entre ces deux premières catégories se situent les orientées clients (27,5 % de l’échantillon). Il s’agit de PME de toute taille dont le site se caractérise par un niveau d’hospitalité virtuelle moyen et une absence de discours marque employeur. Elles sont nombreuses à y présenter des avis clients, ce qui nous invite à penser que leur site Internet est davantage conçu pour attirer les clients que les candidats. Les entreprises du secteur des services aux particuliers y sont surreprésentées.

On trouve enfin une classe d’entreprises très minoritaires : les convaincues (7,5 % de l’échantillon). Celles-ci présentent un site ayant des niveaux élevés d’hospitalité virtuelle et de discours marque employeur. C’est dans cette classe qu’on trouve le plus de PME du secteur des services aux entreprises. Elles sont plutôt grandes : un quart d’entre elles comporte entre 50 et 199 salariés. Leur site présente très fréquemment une rubrique employeur (près de 87 % d’entre elles) et une large variété de bénéfices y est présentée : partage des compétences, pratiques socialement responsables, pratiques d’attrait et de développement…

Usage fait de leur site Internet par les PME pour recruter : une typologie.

Au total, il semble que les PME développent un niveau plutôt faible de discours marque employeur sur leur site institutionnel. Elles sont même 65 % à ne pas le faire du tout. Cela peut sembler assez paradoxal dans la mesure où les PME présentent des avantages distinctifs et attractifs à communiquer aux futurs collaborateurs, par exemple, la possibilité de prendre des responsabilités ou encore la convivialité au sein des équipes.

L’hospitalité virtuelle et le discours marque employeur restent pourtant des leviers actionnables assez facilement par les PME grâce à des actions simples et peu coûteuses. À titre d’exemple, la dimension sociale peut aisément être mise en exergue par la présentation de témoignages d’employés. Ces réflexions ne semblent pas neutres dans un contexte où les entreprises peinent à trouver des candidats.

Une autre remarque s’impose : beaucoup de PME mettent en œuvre des pratiques qui les rendent attractives mais qu’elles ne communiquent pas sur leur site Internet. Or, rappelons qu’il a été démontré que la visite de ce dernier peut être déterminante dans la décision de postuler des candidats.

En Afghanistan, la crise humanitaire risque de déboucher sur une famine catastrophique

27 lundi Sep 2021

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  1. Pierre MichelettiConcepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)
Université Grenoble Alpes

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Plus de 14 millions d’Afghans sont menacés de famine à court terme selon le Programme alimentaire mondial. Noorullah Shirzada/AFP

Plus de 14 millions d’Afghans sont menacés de famine à court terme selon le Programme alimentaire mondial.

Les statistiques internationales le démontrent avec constance : il existe une étroite corrélation entre la grande pauvreté et la survenue de crises humanitaires.

L’Afghanistan n’échappe pas à cette logique, ce qui a récemment conduit le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) à interpeller la communauté internationale sur un risque majeur : en cas de suspension des aides financières internationales, la proportion d’Afghans vivant sous le seuil national de pauvreté atteindrait 97 % de la population. Un record. Avant le 15 août 2021, ce taux était estimé par la Banque mondiale à 72 %. Il était à 60 % en 2020.

Le 13 septembre dernier s’est tenue une réunion internationale sous l’égide des Nations unies. Le secrétaire général, Antonio Guterres, a pris à cette occasion une position ferme pour obtenir rapidement les fonds d’urgence estimés nécessaires, exxigeant par ailleurs que les organisations humanitaires puissent travailler sans entraves et sans danger. Cet appel aura permis d’obtenir plus de 1 milliard de dollars de promesse de dons.

Plus gênant pour les acteurs de l’aide internationale a été son propos supplémentaire évoquant des clauses de conditionnalité de la délivrance des fonds. Le soutien des organisations humanitaires à la population afghane apparaît alors de sa part comme subordonné à des conditions auxquelles les nouvelles autorités du pays devront se conformer pour que l’aide soit effective. Cette déclaration entretient clairement la prééminence d’une aide délivrée sous conditions, dont les organisations humanitaires seraient ipso facto les relais.

Les différents mécanismes qui construisent la crise humanitaire

L’Afghanistan cumule différents mécanismes qui, ensemble, conduisent à la rupture d’un équilibre préalable précaire et entraînent la bascule d’une large partie de la population la plus fragile dans une dégradation qui relève d’interventions d’urgence, de l’ordre de la survie :

Les mécanismes qui construisent la crise humanitaire afghane. Sandy Walton-Ellery/Elvire Colin-Madan(trad.FR)/ACAPS

Une conflictualité incessante perdure depuis quarante ans, réactivée par les offensives qui ont conduit à la chute du gouvernement présidé par Ashraf Ghani.

Les données chiffrées ci-dessous traduisent l’augmentation progressive des blessés et des morts civils depuis 2019, avec une saisonnalité connue dans le pays : la violence, contenue par la paralysie hivernale des déplacements de combattants, augmente au printemps pour atteindre chaque année un pic durant l’été.

Le nombre de blessés et de morts parmi les civils augmente progressivement depuis 2019. UNAMA

Par ailleurs, il faut tenir compte des effets de dégradations environnementales qui mêlent, selon les provinces, inondations et sécheresses durables, la crise du Covid-19 étant venue dégrader davantage encore le sombre tableau par ses effets sanitaires et économiques. L’Afghanistan ne déroge pas à la logique qui a conduit les pays les plus pauvres à subir les effets les plus dévastateurs de la pandémie.

La conjonction des deux mécanismes précédents se traduit par des mouvements de populations. Ces déterminants constitutifs de la crise humanitaire sont à l’œuvre depuis maintenant plus de quatre décennies, faisant, dès 2020, de l’Afghanistan l’un des six pays du monde comptant plus de 10 millions de personnes en besoin d’assistance.

L’Afghanistan est, avec la RDC, le pays où la progression du nombre de personnes en besoin d’une aide vitale a le plus progressé en 2020, avec 2,7 millions d’individus supplémentaires. Il était déjà, avant l’accélération des migrations en cours depuis début 2021, le sixième pays au monde pour le nombre de déplacés forcés (3,6 millions). Ce sont très majoritairement aujourd’hui des déplacés internes.https://datawrapper.dwcdn.net/WydQ5/1/

Le schéma ci-dessus montre la variation des flux de déplacés forcés depuis la chute du régime communiste de Najibullah en 1994. Le pic de 2001 correspond à l’entrée de la coalition et aux combats pour faire chuter le régime taliban arrivé au pouvoir en 1996. Le pic de 2015 correspond à une reprise des offensives des combattants talibans, par suite du retrait officiel des troupes de la coalition internationale en décembre 2014.

Insécurité alimentaire, maladies, toxicomanie… les mutiples maux qui affligent les Afghans

Violence, déplacements forcés, pénurie alimentaire et mauvaise qualité de l’eau concourent à dresser un tableau tristement usuel de l’épidémiologie de la pauvreté. S’y ajoute une réalité spécifique à l’Afghanistan, lourde de conséquences sanitaires et économiques : le poids des toxicomanies, au premier rang desquelles l’usage de l’opium.

Un tiers des Afghans étaient en insécurité alimentaire avant la chute de Kaboul. Un million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère mettant en jeu leur pronostic vital. Début 2021, 17 millions d’habitants relevaient d’un besoin d’assistance alimentaire, soit le double de l’année précédente. La moitié des enfants de moins de 5 ans, des femmes enceintes ou allaitantes sont identifiés comme exposés à une sous-nutrition aiguë en 2021.

Leur relocalisation dans des camps de fortune ou dans les périphéries déshéritées des villes renforcent les vulnérabilités : manque de nourriture, exposition au froid, manque d’eau potable et de latrines, manque d’ustensiles comme de combustible pour la cuisine. Se rajoutent les infections respiratoires aiguës, les diarrhées, les dermatoses liées au défaut d’hygiène, et les pathologies de l’accouchement et plus globalement de la sphère gynécologique chez les femmes. Il émerge encore, par la promiscuité et le regroupement, le risque important d’épidémies multiples : rougeole (souvent mortelle chez des enfants dénutris), méningites…https://datawrapper.dwcdn.net/MC1UW/1/

Deux indicateurs épidémiologiques sont usuellement considérés en santé internationale comme rendant compte du niveau global de développement et d’accès à la santé d’un pays : le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans (TMM5 de l’UNICEF) et le taux de mortalité maternelle (TMM).

Sur ces deux indicateurs, l’Afghanistan, avant même la dégradation politique et sociale de l’année 2021, faisait déjà partie des pays les plus pénalisés au monde.

Le tableau ci-dessous fournit quelques éléments de comparaison internationale. Il convient toutefois de traiter ces chiffres avec la prudence que requiert l’usage des données. Il existe en effet une grande asymétrie dans la qualité et la fiabilité des systèmes de collecte d’information selon le niveau socio-économique de chaque pays.https://datawrapper.dwcdn.net/NVTR7/1/

Dans les deux cas, les comparaisons avec les pays voisins sont éloquentes.

Au-delà de toutes les difficultés décrites, il convient cependant de souligner que l’Afghanistan a connu une évolution globale dont rend compte la progression de l’espérance de vie dans le pays : elle était de 55 ans en 2000, quand les talibans ont quitté le pouvoir. Elle est de 65 ans aujourd’hui.

La consommation problématique de drogues est l’un des problèmes de santé les plus critiques auxquels sont confrontés les hommes, les femmes et les enfants en Afghanistan. De 2005 à 2015, trois enquêtes sur la consommation de drogues ont été menées dans le pays. En 2005, la toute première enquête sur la consommation de drogue estimait que 3,8 % de tous les groupes d’âge consommaient des drogues, les plus couramment utilisées étant le haschich, l’opium, l’héroïne et les produits pharmaceutiques.

En 2009, une enquête de suivi a montré que 8 % de la population âgée de 15 à 64 ans consommait des drogues et qu’il y avait eu une augmentation de 53 % du nombre d’usagers réguliers d’opium et de 140 % du nombre d’usagers d’héroïne depuis 2005.

Cette enquête a également montré que 50 % des parents consommateurs d’opium donnaient de l’opium à leurs enfants pour faciliter le sevrage, et pour contrôler le comportement et/ou la faim. En 2015, l’enquête nationale a révélé que le taux national de consommation de drogues chez les adultes était de 12,8 %, soit plus du double du taux mondial (qui était alors de 5,2 %).

En Afghanistan, 12,8 % des adultes consomment de la drogue, principalement de l’opium.  Wakil Kohsar/AFP

Les facteurs qui influencent le contexte humanitaire

Après que les talibans ont été chassés du pouvoir en 2001, le pays a subi de profondes mutations.

Trois d’entre elles, importantes et intriquées, ont des effets qui renforcent la crise humanitaire que connaît la population. Elles constituent également des considérations sensibles pour le nouveau pouvoir dans sa capacité, au-delà de l’expression de la force, à convaincre la population de sa capacité à améliorer son existence.

1. La progression démographique et l’urbanisation

Depuis 1996, la population est passée de 18 à 38 millions d’habitants. C’est l’un des taux de croissance démographique les plus importants au monde (6 % annuel). La première conquête de Kaboul se déroula dans une ville meurtrie par les bombardements, qui ne comptait alors plus que 300 000 habitants. Elle en abrite plus de 4 millions aujourd’hui.

Les Pachtounes, dont les aires d’implantation dans les provinces ont constitué le berceau de l’émergence du mouvement taliban, composent aujourd’hui seulement 25 % de la population de la capitale.

Depuis l’entrée des Soviétiques en 1979, le taux d’urbanisation a quasiment doublé, passant de 15 % à près de 30 % de la population totale du pays.

Cette réalité démographique est en lien avec les peurs qu’entraîne, en particulier chez les citadins, la prise de pouvoir politique par les étudiants en religion. Ce poids des villes recèle pourtant, à terme, de sérieux ferments de résistance face au projet de société des talibans.

A l’inverse, la carte ci-dessous traduit l’asymétrie qui prévalait déjà, en 2017, concernant les taux de pauvreté selon les régions. C’est sur cette réalité économique et sociale que n’a cessé de prospérer le mouvement taliban, jusqu’à sa récente prise de pouvoir.https://datawrapper.dwcdn.net/QwrwX/1/

2. La place de la culture du pavot « somnifère » dans l’économie du pays

En Afghanistan, le pavot est une ressource majeure de l’économie rurale. Le pays est de loin le premier producteur mondial d’opium, sa contribution est estimée à 84 % de la production mondiale. Cette situation résulte de trois mécanismes intriqués.

Alors qu’à partir du début du XIXe siècle les autres pays producteurs de la région (Iran, Pakistan, Turquie) ont légiféré pour interdire la production, cela n’a pas été le cas en Afghanistan où l’État a été incapable de maîtriser la progression de la production.

La période communiste et l’occupation soviétique ont créé une première augmentation notable des surfaces de culture du pavot : de 1980 à 1989, la production d’opium a été multipliée par cinq. Les recettes réalisées ayant largement contribué à payer l’achat d’armes des moudjahidines (la production était contrôlée par les seigneurs de la guerre qui utilisaient l’argent à diverses fins dont l’achat d’armes ; tous ne soutenaient toutefois pas la rébellion au gré de leurs intérêts et alliances). Enfin, depuis l’entrée de la coalition en 2001, la dégradation de l’agriculture vivrière et la détérioration de la vie économique a poussé les agriculteurs vers la culture du pavot.

En 2020, le pays comptait 224 000 hectares de pavot (surtout situés dans les provinces Sud), soit une hausse de 37 % par rapport à 2019. Le même rapport apporte des informations complémentaires : 6 300 tonnes d’opium produit et un revenu cumulé évalué à 2 milliards de dollars pour tous les maillons de la chaîne (agriculteurs, exploitants, négociants, etc.).

L’année 2020 constitue l’un des quatre plus forts pics de surfaces cultivées de l’histoire du pays. Cette production représenterait aujourd’hui entre 6 et 11 % du PIB de l’Afghanistan.

Évolution de la surface de cultivation de pavot somnifère en Afghanistan de 1994 à 2019. UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020

3. Un enchaînement fatal qui dégrade l’économie rurale

Conflits armés, déplacements forcés, fragilités et dégradations environnementales, détérioration de l’agriculture vivrière, augmentation de la culture du pavot : ces différents facteurs convergent et se cumulent pour provoquer une insécurité alimentaire majeure.

L’Afghanistan est un pays de hautes montagnes où les sols sont arides tandis que les plaines et l’eau sont rares. Sur une superficie totale de 65 millions d’hectares (650 000 km2), on estime que seuls 8 millions sont arables, soit 12 % du pays.

Les systèmes d’irrigation ont été largement détruits lors des bombardements pendant l’occupation soviétique (1979-1989) et subi des dégradations volontaires commises par différents belligérants au gré de la lutte armée. Ils n’ont pas toujours été reconstruits sur fond d’exode rural et de réorientation de la production agricole vers la culture du pavot, moins consommatrice en eau. Le pays ne peut toujours pas tirer profit des ressources hydriques gelées en neiges éternelles qui se trouvent dans l’Hindou Kouch. Parce qu’elle est apparue comme une solution à la précarisation des conditions d’existence dans le monde rural, la culture du pavot n’a cessé de prospérer.

La destruction des zones rurales et des chaînes de production agricole est une constante des dernières décennies, accélérée par le Covid-19.

En 1989, le gouvernement, au bord de la faillite, n’a que peu de ressources à allouer à l’agriculture, et les subventions accordées pour la culture du blé sont souvent mal coordonnées et finalement inefficaces. En 2001, la reprise des combats et des bombardements aériens achève de détruire les infrastructures et les terres agricoles afghanes.

De plus, une partie des terres agricoles sont rendues inutilisables par la dissémination de mines. L’acheminement et la vente de ces produits sont également désorganisés. Les infrastructures de transports, comme les routes, qui permettaient de relier les producteurs aux consommateurs, ont été gravement endommagées. La guerre, à ses différents stades, a ainsi empêché le développement économique du pays, avec l’absence notable de crédits agricoles et de réformes agraires.

La carte ci-dessous montre les provinces afghanes dans lesquelles la production de pavot a le plus progressé entre 2019 et 2020. Elle met en évidence de claires congruences des zones de culture avec les territoires où les taux de pauvreté sont les plus élevés, traduisant le réflexe d’adaptation de la part des paysans afghans face à la dégradation de leurs revenus et de leurs conditions de vie.

Variation du taux de culture de pavot somnifère par province, 2019-2020. UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020

La sécheresse de 2018, les inondations de 2019 et la crise sanitaire de 2020 ont aggravé la sécurité alimentaire du pays. En 2020, le pouvoir d’achat de nombreux foyers a enregistré une baisse de 20 % ainsi qu’une précarisation des emplois de 14 %.

Le Covid-19, en plus de déclencher une crise économique, a également provoqué une grave crise sanitaire : une étude du ministère afghan de la Santé en août 2020 évalue à 10 millions, soit un tiers de la population afghane, le nombre de personnes contaminées.

Dans ce contexte économique, l’opium s’est ainsi imposé comme base de crédit. Une vente anticipée ainsi que des paiements différés sont accordés comme prêts sans intérêts. Cela permet aux agriculteurs d’investir dans leur production agricole future comme le blé et le cumin.

Ce système d’avance, appelé salaam, vient compenser l’absence de crédits agricoles légaux et encadrés. Beaucoup de familles et spécialement les plus pauvres sont tributaires de ces prêts. En ce sens, l’éradication soudaine de ces cultures sans alternative aggraverait lourdement l’endettement de ces ménages, en même temps que la situation actuelle expose à un risque d’effondrement alimentaire du pays.

Les obstacles potentiels au déploiement de l’aide d’urgence

La situation de la population afghane requiert une aide internationale, qui pour être rapidement déployée doit contourner ou résoudre des obstacles concrets de différentes natures.

Cinq points méritent une attention particulière :

1. L’aide internationale devra veiller à mobiliser au mieux et à soutenir les ressources existantes, ou ce qu’il en reste, à la suite des événements de ces derniers mois. Les nouvelles autorités sont confrontées à la fuite des cerveaux et à l’effondrement de l’appareil d’État, en particulier à l’effondrement du système de santé par manque de professionnels compétents, de moyens, de chaîne logistique.

2. La sécurité des intervenants humanitaires, qui conditionne la capacité de la population à recevoir l’aide apportée, doit faire l’objet d’une attention spécifique. La violence – à laquelle le personnel afghan est plus particulièrement exposé – revêt une importance particulière pour les intervenants humanitaires à l’échelon local, là où les aides se déploient. Les chiffres disponibles pour le début de l’année 2021 incitent en effet à la prudence. L’Afghanistan, de façon récurrente ces dernières années, a fait partie des pays les plus générateurs de violence à l’égard des personnels humanitaires.

Actes hostiles à l’égard du personnel humanitaire en Afghanistan entre janvier et juin 2021. INSO

L’attention aux risques sécuritaires soulève deux questions connexes : la réalité du contrôle et de la régulation que pourra exercer le pouvoir en place, entre les intentions/déclarations affichées à Kaboul et sur la scène internationale, et l’application effective de ces postures au niveau des responsables talibans provinciaux et locaux ; et l’évolution de la violence qui pourrait résulter de la résurgence active de groupes djihadistes, dans le sillage des attentats sur l’aéroport de Kaboul en août dernier.

3. Le déploiement effectif du soutien financier international. Si la conférence des donateurs du 13 septembre 2021 a, on l’a dit, permis de réunir des engagements de principe de plus de 1 milliard de dollars, les organisations humanitaires devront rester attentives à des questions très concrètes qui pourraient en contrarier le déploiement effectif :

  • La rapidité de la mise à disposition des sommes promises par les États donateurs.
  • La possibilité de réaliser les transferts financiers depuis l’étranger, ce qui suppose la restauration d’un système bancaire fonctionnel à Kaboul, mais également dans tout le pays, car une partie de cette aide va être constituée de versements directs aux familles (CTP, cash transfer programs) ou faire l’objet de programmes de travaux rémunérés effectués par les populations locales.
  • Les taxes imposées sur l’aide financière apportée à la population par les talibans sur les territoires conquis avant la chute de Kaboul ne doivent plus avoir cours, face au niveau de pauvreté général qui prévaut désormais.

4. L’accès à l’ensemble des populations et des territoires est un enjeu crucial. L’aide nécessaire concerne l’ensemble de la population, sans discrimination entre groupes tribaux et l’accès non discriminé à cette aide, y compris pour les femmes et les fillettes. Ceci a pour corollaire la non-remise en cause de la contribution des professionnelles femmes dans le personnel humanitaire. Elles jouent un rôle incontournable dans la prise en charge des femmes et des enfants.

5. La restauration d’une chaîne logistique fonctionnelle reste une priorité dont les déclinaisons concrètes sont multiples :

  • Réouverture de l’aéroport de Kaboul au fret et à l’accueil des vols passagers internationaux.
  • Simplification des procédures administratives pour les voyageurs et les dédouanements de marchandise.
  • Réouverture des voies d’acheminement et des transports routiers entre Kaboul les capitales provinciales.

Et demain ?

Si la crise humanitaire actuelle arrive à être dépassée, pourra alors débuter un travail de restauration des facteurs de protection de la population générale face à l’exposition aux vulnérabilités qui ravagent l’Afghanistan.

Le nouveau gouvernement afghan est d’emblée confronté à l’acceptabilité sociale des politiques mises en œuvre au service d’une société désormais en grande partie éduquée et urbaine. Ce risque de « divorce » entre villes et campagnes est l’un des enjeux cruciaux pour le nouveau pouvoir.

L’insécurité alimentaire et la grave sous-nutrition, construites par la convergence des mécanismes décrits précédemment, exposent à un risque majeur de famine dans les mois à venir. De fait, l’Afghanistan est au bord de l’effondrement alimentaire.

Nous entrons dans la saison du froid et de la neige, qui vont renforcer davantage encore les besoins en nourriture dans ce pays où l’hiver impose une paralysie transitoire, bloquant tout, y compris la capacité des hommes à se faire la guerre. Il y a donc urgence à restaurer l’aide internationale dont dépendent des millions d’Afghans.

La disponibilité en azote, enjeu crucial pour le futur de l’agriculture bio

26 dimanche Sep 2021

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  1. Thomas NesmeProfesseur d’agronomie à Bordeaux Sciences Agro, Inrae
  2. Pietro BarbieriMaître de conférences en agronomie (Bordeaux Sciences Agro), Inrae
INRAE

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L’azote est un élément minéral indispensable à la croissance de tout être vivant que les plantes prélèvent dans le sol. Shutterstock

L’agriculture biologique, qui bannit les engrais et pesticides de synthèse, pourra-t-elle nourrir la planète ?

Cette vaste et épineuse question agite depuis des années la communauté scientifique ainsi que les mouvements militants paysans et écologistes. Elle polarise une partie des débats politiques relatifs à l’agriculture et suscite un intérêt bien compris de la part des industriels de l’alimentation.

Poser cette question a du sens dans le contexte de l’anthropocène. Mais elle est aussi trop vaste, car elle génère une série de questionnements sur la qualité des produits alimentaires, leur accessibilité logistique et économique, les régimes alimentaires à base de produits bio, la durabilité à long terme des systèmes agricoles biologiques, etc.

Il faut donc accepter de considérer cette question en observant ses différentes facettes. Il s’agit en particulier de s’intéresser à la capacité productive de l’agriculture biologique (AB) et aux facteurs qui la soutiennent.

Pour traiter cette question – et sortir des idées toutes faites et des débats sans fond – il faut « atterrir » un peu, pour reprendre l’image employée par le philosophe Bruno Latour, et considérer les systèmes agricoles, leurs métabolismes et leurs sols ; c’est ce que nous offre le cas de l’azote.

La révolution des engrais azotés

L’azote est un élément minéral indispensable à la croissance de tout être vivant, constitutif de nos protéines, que les plantes prélèvent dans le sol.

Depuis presque deux siècles et les travaux de von Liebig, les agronomes savent que l’apport d’azote aux parcelles agricoles permet de fertiliser les sols et de stimuler la production des cultures.

Fondés sur cette découverte scientifique, les travaux de Fritz Haber ont permis la synthèse industrielle des engrais azotés à partir de l’azote de l’air, qui compose 80 % de notre atmosphère. Cette révolution technologique a permis la production massive et à bas coûts d’engrais azotés.

On connaît la suite : utilisation tout aussi massive d’engrais azotés dans les champs, qui a permis l’explosion de la productivité des cultures, mais a aussi généré une cascade d’effets environnementaux délétères – émission de gaz à effet de serre, pollution atmosphérique et aquatique.

C’est ici que l’agriculture biologique s’inscrit en contrepoint. Cette dernière n’autorise en effet pas l’utilisation des engrais de synthèse – que l’on appelle encore minéraux ou chimiques, ces termes étant synonymes.

Légumineuses, fumiers et recyclage

Sans recours aux engrais azotés, l’agriculture biologique ne peut compter que sur trois sources pour s’approvisionner en azote.

La première mobilise la fixation biologique que réalisent les légumineuses. On désigne ainsi les plantes de la famille des Fabacées, utilisées comme fourrage pour les animaux (luzernes, trèfles, vesces, sainfoin…) ou pour la production de graines à destination de l’alimentation humaine (pois, haricots, lentilles…).

Ces plantes fabuleuses ont la capacité à s’associer au creux de leurs racines avec des bactéries du genre Rhizobium capable de fixer l’azote si abondant dans l’air et de l’incorporer dans la biomasse des plantes. Une fois récoltées, ces légumineuses laissent donc au sol des résidus riches en azote, venant fertiliser le sol pour les cultures suivantes.Les engrais verts en viticulture (IFVSudOuest, 2013).

La seconde source mobilise les animaux d’élevage qui produisent des fumiers riches en azote que l’on peut épandre sur les sols. À noter toutefois que les animaux ne produisent pas de l’azote : ils prélèvent et consomment des fourrages qui contiennent de l’azote (notamment les ruminants tels que les vaches, moutons et chèvres qui pâturent des prairies), concentrent cet azote dans les fumiers et permettent ainsi de déplacer cet élément fertilisant vers les terres arables. Un service que rendent ces animaux d’élevage consiste donc à organiser les flux de fertilité dans les systèmes agricoles.

Enfin, la troisième source consiste à recycler l’azote qui circule dans nos effluents urbains, nos composts, nos boues de station d’épuration pour les épandre sur les sols agricoles. Trop contaminées, trop sujettes à polémiques, ces sources urbaines ne sont pour l’instant pas autorisées par la réglementation de l’AB.

Ne restent donc que les légumineuses et les fumiers d’élevage pour fertiliser les sols en bio.

Le risque de la raréfaction des ressources en azote

Ces deux sources ne sont toutefois pas infinies ; elles sont même rares. Il paraît difficile de mettre des légumineuses partout et, si les rotations culturales biologiques accordent une part belle à ces cultures, il faut bien aussi y insérer des céréales, des oléagineux et d’autres espèces végétales.

D’autre part, les animaux d’élevage ne peuvent produire des fumiers que si on leur donne des fourrages ou des grains à consommer, ce qui génère une forme de compétition pour l’espace – faut-il privilégier la mise en culture de fourrages ou de céréales ? – et pour les grains produits – faut-il donner à manger les céréales produites aux cochons ou aux humains ?

Dans ces conditions, il est possible qu’une généralisation de l’AB entraîne une raréfaction des ressources fertilisantes en azote, ce qui peut aboutir à une baisse de productivité des cultures. Cette baisse de productivité peut, en retour, inciter à privilégier l’utilisation des produits végétaux pour l’alimentation des humains plutôt que celle des animaux d’élevage… au détriment de la production de fumier, pourtant facteur de production clé des systèmes en AB. On devine le cercle vicieux qui peut s’installer.

Développement de la bio et cycle de l’azote

C’est cette question que nous avons voulu explorer. Dans une étude internationale publiée en mai 2021 dans la revue Nature Food, nous nous sommes demandé quels pourraient être les effets du développement de l’AB à l’échelle mondiale sur le cycle de l’azote, la capacité à fertiliser les sols et les effets associés sur le rendement des cultures biologiques.

Nous avons pour cela développé un modèle qui simule les flux d’azote entrant et sortant des sols, pour estimer l’effet de ces flux d’azote sur la fertilité des sols et donner au final une approximation de la production des cultures. Un modèle dans lequel on retrouve des légumineuses, des céréales, des prairies et des fourrages, ainsi que des animaux d’élevage et du fumier.

La principale conclusion de nos travaux est qu’une généralisation de l’AB sur 100 % des terres agricoles à l’échelle mondiale aboutirait à une forte carence en azote, elle-même responsable d’une perte de production alimentaire de l’ordre de 35 % par rapport à la situation actuelle, bien au-dessous de ce qui est nécessaire pour alimenter la population mondiale. C’est le verre à moitié vide.

Redistribuer les zones d’élevage, moins gaspiller

Mais nous montrons aussi que le verre peut être vu à moitié plein.

En effet, sous certaines conditions, il est possible d’atteindre 40 à 60 % de la surface agricole mondiale conduite en AB tout en fournissant une alimentation suffisante pour 7 milliards d’êtres humains. Ces conditions sont d’ordre agricole et alimentaire.

Du côté des conditions agricoles, il est absolument nécessaire de revoir radicalement nos systèmes d’élevage en diminuant légèrement le nombre d’animaux, mais surtout en réduisant drastiquement la part des monogastriques (cochons et volailles) au profit des ruminants (vaches, mais surtout chèvres et moutons).

Dans un pré en Normandie. Charly Triballeau/AFP

La raison sous-jacente est que les monogastriques sont alimentés principalement avec des céréales ; de ce fait, ils sont des compétiteurs directs des humains pour ces céréales qu’ils transforment en produits alimentaires (viande et œufs) ; avec une efficacité modeste puisqu’il faut au moins cinq calories de céréales pour produire une calorie sous forme de viande ou d’œufs. À l’inverse, les ruminants, en pâturant sur des prairies, aident à structurer les flux d’azote dans les systèmes agricoles, comme nous l’avons déjà évoqué.

De telles modifications doivent s’accompagner d’une redistribution spatiale de l’élevage, en déconcentrant les régions où l’élevage est trop intensif et en réintroduisant l’élevage dans les régions où il a disparu, de sorte à recréer de la circularité entre cultures et élevages.

Donc moins d’élevage, et des élevages plus agroécologiques, mais pas une disparition complète des animaux d’élevage.

Du côté des conditions alimentaires, nous devons réduire radicalement nos pertes et gaspillages, qui représentent aujourd’hui environ 30 % de la production agricole mondiale et nous devons rééquilibrer notre consommation alimentaire pour la faire tendre vers 2200 kcal/jour – contre environ 3000 kcal/jour en Europe et Amérique du Nord, et beaucoup moins dans les pays en développement.

Toujours plus de légumineuses dans les champs

La nouveauté apportée par ce travail de simulation agronomique est qu’il tient compte explicitement des flux d’azote qui circulent dans les systèmes agricoles.

En ce sens, il prolonge des travaux antérieurs qui avaient cherché à estimer les conséquences pour la production agricole d’un développement de l’agriculture bio à l’échelle mondiale, mais qui n’avait pas tenu compte du rôle essentiel que joue l’azote dans les systèmes biologiques et pour la productivité des cultures.

Différentes pistes doivent désormais être étudiées : elles consistent notamment à explorer une plus forte insertion des légumineuses dans les systèmes en AB, soit comme cultures principales, soit comme cultures associées, intermédiaires ou agroforestières.

Et il sera bien sûr essentiel d’estimer les conséquences économiques pour les agriculteurs et pour les consommateurs des scénarios agricoles et alimentaires ainsi dessinés.

WEAVE : tisser des fibres optiques pour explorer le cosmos

25 samedi Sep 2021

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  1. Piercarlo BonifacioDirecteur de Recherche CNRS et Observatoire de Paris, investigateur principal côté français de l’instrument WEAVE, cofinancé par la Région Île-de-France dans le cadre des Domaines d’Intérêt Majeur, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
  2. Elisabetta CaffauDirecteur de Recherche CNRS, Observatoire de Paris
  3. Esperanza CarrascoChercheuse, Instituto Nacional de Astrofísica, Óptica y Electrónica (INAOE)
  4. Gavin DaltonProfessor of Astrophysics, University of Oxford
  5. Shan MignotProject manager, Observatoire de Paris

Déclaration d’intérêts

Piercarlo Bonifacio est membre de l’Observatoire de Paris, l’Université Paris Sciences et Lettres, le CNRS. Il a reçu des financements de CNRS-INSU, Observatoire de Paris, Région Ile de France, Région Franche Comté, European Research Council, Agence National de la Recherce, CNES.

Elisabetta Caffau est membre de GEPI, Observatoire de Paris, Universite PSL, CNRS. Elle a reçu des financements de ANR (Agence National de la Recherche), Observatoire de Paris, CNRS-INSU, Fondation MERAC.

Esperanza Carrasco est membre de la Union Astronomique Internationale, de la Sociedad Mexicana de Física et de l’Instituto de Estudios para la Transición Democrática. Elle a reçu financement du Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología du Mexique.

Gavin Dalton is Professor of Astrophysics at the University of Oxford, an Individual Merit fellow at RALSpace, Science and Technology Facilities Council (STFC), a part of UK Research Infrastructure (UKRI). He is a Fellow of St. Cross College, Oxford and a Fellow of the Royal Astronomical Society. He has received research funding from the Science and Technology Facilities Council and the University of Oxford.

Shan Mignot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Partenaires

University of Oxford

University of Oxford apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation UK.

Voir les partenaires de The Conversation France

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Le télescope William Herschel accueille un nouvel instrument qui permet d’étudier des milliers d’objets simultanément grâce à ses fibres optiques robotisées. 2©pem/Wikimedia Commons, CC BY

Au sommet du Roque de Los Muchachos sur l’île de La Palma aux Canaries, le télescope William Herschel vient d’accueillir son nouveau spectrographe multi-objets. Celui-ci va permettre d’analyser simultanément la lumière d’environ 1000 objets cosmiques répartis à différents endroits du ciel.

Un des huit objectifs de WEAVE est d’étudier les « quasi-stellar objects », des noyaux de galaxies qui abritent un trou noir et sont de puissantes sources de rayonnement électromagnétique. Ces objets, observables à de très grandes distances, sont utilisés pour sonder la structure de l’univers à grande échelle, les propriétés des galaxies, et celles du milieu intergalactique dans les premiers trois milliards d’années à partir du Big Bang.

Un autre objectif est d’étudier des objets très proches comme les naines blanches, des étoiles extrêmement denses. Avec les spectres WEAVE, nous déterminerons les masses et les températures de plus de 100 000 naines blanches, et donc leurs âges grâce à la loi de refroidissement des naines blanches.

Mais c’est le relevé d’« archéologie galactique » qui occupera la majeure partie du temps d’observation de WEAVE : les spectres des étoiles observés nous permettront de mieux comprendre la structure de la Galaxie, sa formation et son évolution au cours des longs 13,5 milliards d’années de son histoire.

La spectroscopie, ou comment décomposer la lumière des étoiles nous en apprend plus sur le cosmos

À la fin du XIXe siècle, des astronomes tels que Jules Janssen (1824-1907) et Angelo Secchi (1818-1878) ont commencé à étudier systématiquement la lumière du Soleil, des planètes et des étoiles. Ils ont dispersé la lumière provenant de ces astres grâce à des « prismes », et en analysant les couleurs obtenues, ont étudié les propriétés physiques d’astres distants de millions de kilomètres de la Terre.

La spectroscopie a marqué la naissance de l’astrophysique. Depuis, c’est notre outil principal pour étudier le cosmos, car on peut à partir du spectre d’un objet cosmique déterminer sa vitesse radiale (s’il s’approche ou s’éloigne de nous), sa composition chimique et son état physique (température, densité, pression électronique, etc.).

Analyser plusieurs astres simultanément

Au cours des trente dernières années sont apparus les spectrographes multi-objets, capables d’étudier simultanément les propriétés individuelles d’objets très distants. Ces spectrographes permettent de sélectionner différents objets dans le champ de vue du télescope et d’envoyer leur lumière dans l’analyseur pour produire des spectres séparés.

Ils sont particulièrement importants pour les études qui nécessitent de très nombreuses mesures, par exemple l’étude de notre galaxie, celle des amas de galaxies ou des oscillations de la matière baryonique. Ces dernières sont des fluctuations de densité de matière (protons et neutrons) qui étaient déjà présentes dans l’univers primordial, juste après le Big Bang. Les galaxies notamment se sont formées à partir de ces inhomogénéités et la mesure est complémentaire de l’étude des anisotropies du fond diffus cosmologique, dont l’observation occasionna notamment le Prix Nobel de physique 2006.

Répondre aux besoins scientifiques des astronomes

Il y a une douzaine d’années, la communauté astronomique européenne a identifié comme besoin prioritaire un instrument à grand champ de vue (un à trois degrés de diamètre, soit plusieurs fois la taille de la pleine lune) capable d’acquérir simultanément les spectres de plusieurs milliers d’objets sur un télescope de l’ordre de 4 mètres de diamètre. En effet, un tel instrument permet d’aborder plusieurs domaines de recherche en astrophysique, notamment la structure et l’évolution de la Voie lactée, la structure et l’évolution des amas de galaxies, la structure à grande échelle de l’univers et la cosmologie.

WEAVE, pour « WHT Enhanced Area Velocity Explorer », est né. Il est le produit d’une collaboration internationale à laquelle participent les pays propriétaires du télescope (Royaume-Uni, Pays-Bas, Espagne), mais aussi la France, l’Italie et le Mexique, ainsi que plusieurs organismes et chercheurs.

Schéma de WEAVE et son implantation sur le télescope William Herschel. WEAVE consortium

Une des plus grandes lentilles jamais fabriquées

D’un point de vue technologique, WEAVE a été un défi à la limite des technologies actuelles. Notamment, il nécessite un système optique composé de six lentilles. La plus grande de ces six lentilles a un diamètre de 1,1 mètre – c’est une des plus grandes lentilles jamais fabriquées.La danse des robots-positionneurs.

Nous avons aussi conçu et développé deux « robots positionneurs » qui déplacent jusqu’à 960 fibres optiques vers les positions nécessaires sur le plan focal du télescope pour analyser les astres. Les robots tissent ainsi (« to weave », en anglais) un véritable entrelacs de fibres, qu’il est prévu de faire et défaire des milliers de fois, dans une danse qui ne manque pas de charme.

Un champ WEAVE entièrement configuré, avec 700 des 950 fibres environ placées par deux robots (hors du cadre), sur place dans le télescope William Herschel. WEAVE consortium, Fourni par l’auteur

Les fibres optiques acheminent ensuite la lumière sur 32 mètres, le long de la structure du télescope, jusqu’au spectrographe. WEAVE dispose de plusieurs types de connexions par fibres optiques, qui lui permettent d’imager différemment pour étudier différents types d’objets. Par exemple, on peut utiliser 960 fibres individuelles destinées chacune à recueillir la lumière d’un objet ponctuel. Autre option : un assemblage de plus de cinq cents fibres couvrant un large champ de vision pour l’observation d’objets étendus de grande taille. Enfin, avec 20 assemblages de 37 fibres, on peut étudier plusieurs objets étendus, comme des galaxies, et en étudier les propriétés, tel que leur courbe de rotation, leur composition chimique et les différences de composition chimique, et ce dans les différentes parties de la galaxie.

Une collaboration internationale aux compétences multiples

Nous avons eu recours à un large réseau de compétences pour la fabrication des pièces et leur assemblage. Par exemple, le collimateur et les quatorze lentilles sphériques des caméras ont été polis au Mexique après que les disques de verre aient été fabriques en Europe, Japon et aux États-Unis. Ces composants conçus et réalisés spécifiquement pour WEAVE ont ensuite été envoyés aux Pays-Bas où a eu lieu l’intégration des éléments optiques et mécaniques du spectrographe. L’assemblage des liens par fibres optiques s’est appuyé sur les contributions de trois industriels différents en France, au Canada et aux États-Unis. Les liens fibrés ont enfin été testés à l’Observatoire de Paris, avant d’être envoyés à Oxford pour être intégrés au positionneur.

La galaxie spirale Messier 74 observé avec une caméra de test pour vérifier la qualité optique du correcteur de champ. Une fois en opération, WEAVE ne prendra pas d’images, mais seulement des spectres. Darío González Picos, Lara Monteagudo, Chris Benn and Ovidiu Vaduvescu (Isaac Newton Group of Telescopes, Roque de Los Muchachos Observatory, La Palma, Espagne)

Après un travail de plus de dix ans qui a impliqué une centaine de personnes dans une dizaine de pays, les composantes de WEAVE sont maintenant arrivées sur le site du télescope William Herschel. Le système optique a été testé sur le télescope et a démontré une excellente qualité d’image. Encore en cours d’intégration, WEAVE devrait faire ses premières observations – des spectres et non des images – en décembre 2021.


En France, la construction de WEAVE a été financée par le CNRS, l’Observatoire de Paris-PSL, les régions Île-de-France et Franche-Comté ; ont également participé le Royaume-Uni (STFC), les Pays-Bas (NOVA et NWO), l’Espagne (IAC, Groupe international de télescopes Isaac Newton, ministère des Affaires économiques et de la Transformation numérique), l’Italie (INAF), le Mexique (INAOE), la Suède (Observatoire de Lund, Université d’Uppsala), l’Allemagne (AIP, MPIA), les États-Unis (Université de Pennsylvanie) et la Hongrie (Observatoire Konkoly).

La Région Île-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez iledefrance.fr/education-recherche.

Chine, défense continentale, espionnage : les grands enjeux internationaux qui attendent le prochain gouvernement canadien

24 vendredi Sep 2021

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  1. Marco MunierDoctorant au Département de science politique et chercheur au Réseau d’analyse stratégique, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Déclaration d’intérêts

Université du Québec à Montréal (UQAM)

Université du Québec à Montréal (UQAM) apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation CA-FR.

Université du Québec à Montréal (UQAM) apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation CA.

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Traditionnellement, la politique étrangère n’est pas un domaine déterminant dans une élection fédérale. Cela s’explique en partie parce que la politique étrangère n’est pas une des principales priorités des Canadiens lors d’une élection.

Toutefois, cela ne signifie pas que les Canadiens se désintéressent de la politique étrangère, bien au bien au contraire. Un sondage montre notamment que les Canadiens ont une vision internationale de leur pays et sont largement favorables à un engagement mondial du Canada pour poursuivre ses objectifs.

Doctorant au Département de science politique de l’UQAM et chercheur au Réseau d’analyse stratégique, je suis spécialisé en études du renseignement, en politique de défense et de sécurité nationale des pays occidentaux ainsi qu’en sécurité internationale. Je propose ici d’identifier les grands dossiers en matière de défense et de sécurité nationale qui attendent le prochain gouvernement fédéral et qui sont souvent peu traités, quelle que soit l’issue de l’élection.

La modernisation du NORAD et l’enjeu du bouclier antimissile

Le 14 août, le Canada et les États-Unis ont publié une déclaration conjointe sur la modernisation du NORAD (le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord). Les deux pays affirment coopérer afin d’améliorer sa capacité face aux nouvelles menaces. Celles-ci proviennent surtout de la Chine et de la Russie dans le contexte de la réémergence des rivalités entre les grandes puissances. Elles sont le fruit d’avancées technologiques, notamment en matière de missiles hypersoniques, destinés à retarder la détection et ainsi contourner les défenses antimissiles.

Or, les infrastructures actuelles du NORAD ne sont pas suffisamment à jour pour offrir une défense adéquate face à ces menaces. Plusieurs sont donc d’avis qu’une modernisation du NORAD est à prévoir dans le court terme. Toutefois, on ignore quelles seront l’étendue et la nature de la contribution canadienne à sa modernisation.

On peut simplifier les fonctions du NORAD en deux grands volets. Le premier, offensif et souvent assimilé avec le bouclier antimissile, permet l’interception des missiles se dirigeant vers le territoire nord-américain. Avec la modernisation du NORAD et les avancées technologiques, le volet offensif de l’organisation s’étendra, notamment pour détruire les engins lanceurs de missiles sur leur propre territoire avant le lancement de missiles.

Le deuxième volet du NORAD, de nature défensive, consiste principalement en la capacité à détecter les menaces et à surveiller le territoire nord-américain. Traditionnellement, le Canada soutient davantage le volet défensif du NORAD et est plus réticent à participer à l’interception des missiles. Les programmes électoraux des principaux partis, notamment du Parti libéral, du Parti conservateur et du NPD sont relativement muets quant à l’étendue et la nature d’une contribution à la modernisation du NORAD.

Le Parti libéral et le Parti conservateur mentionnent toutefois la mise à niveau du Système d’alerte du Nord, faisant partie du volet défensif du NORAD, laissant penser qu’un consensus parmi les deux principaux partis existe, privilégiant une contribution défensive à sa modernisation.

La région Indopacifique

Avec l’accroissement des rivalités entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine, les regards se tournent vers l’Indopacifique, qu’on appelle aussi Indo-Pacifique, et qui englobe, parmi d’autres, la Chine, le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie, le Vietnam, la Malaisie ou encore le Pakistan.

La focalisation sur cette région est d’ailleurs, selon le président américain Joe Biden, l’un des facteurs expliquant la volonté du retrait rapide des forces armées en Afghanistan.

Ce n’est d’ailleurs pas une surprise que nos principaux alliés, les États-Unis, désirent maintenant se concentrer sur la « menace chinoise » et une future confrontation entre les grandes puissances. En effet, les États-Unis réfléchissent à une nouvelle planification stratégique et un possible affrontement avec la Chine. En tant qu’allié des États-Unis, il faudra sûrement s’attendre à ce que ces derniers demandent au Canada de contribuer, d’une façon ou d’une autre, à leurs efforts pour contrer l’influence chinoise grandissante dans la région.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), alliance importante pour le Canada, se pose d’ailleurs la question d’un pivot asiatique de ses missions, plus traditionnellement tournées vers l’Europe de l’Est. En effet, face à la menace que représente la Chine, un groupe d’experts de l’OTAN recommandent que cette dernière contribue davantage à contrer l’influence régionale et internationale de la Chine. Mais il n’y aurait pas de consensus parmi les pays membres quant au rôle de l’OTAN en Indopacifique.

Deux approches différentes sur la Chine

La question chinoise en politique étrangère est d’un intérêt national évident pour le Canada, étant donnée la situation dramatique de l’emprisonnement de Michael Spavor et Michael Kovrig. D’ailleurs, la saga judiciaire impliquant la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, qui a mené à l’arrestation des deux Canadiens selon Ottawa, est loin d’être terminée.

Le gouvernement libéral actuel a été relativement timide durant son mandat, et son programme électoral ne semble pas vouloir y changer grand-chose.

Un écran géant montre les photos de Michael Kovrig et de Michael Spavor
Un écran vidéo affiche des images des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor lors d’un événement organisé dans le cadre de l’annonce de la sentence de Spavor à l’ambassade du Canada à Beijing, le 11 août 2021. Un tribunal chinois a condamné Spavor à 11 ans de prison pour espionnage. (AP Photo/Mark Schiefelbein)

Parmi les deux principaux partis, seul le Parti conservateur semble privilégier une ligne dure envers la Chine, en proposant de retirer le Canada de la Banque asiatique d’investissement, d’imposer des sanctions pour ceux qui contreviennent aux droits humains en Chine ou encore se rapprocher du Quad, un partenariat régional sur la sécurité réunissant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde.

Si traditionnellement, le Canada n’est pas très présent stratégiquement en Indopacifique, le Parti conservateur semble vouloir remédier à la situation pour protéger la sécurité économique et nationale de la région de l’expansionnisme militaire chinois. Toutefois, l’adoption d’une telle position en Indopacifique et envers la Chine risque d’augmenter les tensions entre les deux pays.

Or, le risque de sanctions de la part de la Chine touche généralement plus durement les puissances moyennes comme le Canada. Par exemple, l’interdiction par la Chine d’importer du canola canadien serait une mesure de représailles contre le Canada, tout comme les amendes salées reçues il y a quelques jours par le fabricant canadien Canada Goose en Chine.


À lire aussi : Viande canadienne interdite en Chine: une très mauvaise nouvelle pour le secteur agroalimentaire


Un des alliés du Canada, la Nouvelle-Zélande, a d’ailleurs choisi une position plus nuancée envers la Chine, craignant des représailles affectant le pays.

L’espionnage, l’ingérence étrangère et la désinformation

Enfin, le dernier enjeu sécuritaire que je souhaite aborder dans ce texte est la sécurité nationale, ébranlée par la croissance de l’espionnage, de l’ingérence étrangère et de la désinformation.

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) considère maintenant l’espionnage et l’ingérence étrangère comme les plus importantes menaces à la sécurité nationale du Canada. C’est d’ailleurs la Chine et la Russie qui ciblent de façon virulente le Canada, notamment pour recueillir secrètement des informations politiques, économiques, scientifiques et militaires sur le Canada. En plein cœur de la pandémie, le congédiement de deux scientifiques chinois d’un laboratoire à haute sécurité de Winnipeg pourrait être lié, selon certains, à un cas d’espionnage.

Le laboratoire national de microbiologie situé à Winnipeg est à la fine pointe en ce qui concerne la lutte contre les maladies virales. La Presse canadienne/John Woods

La désinformation, quant à elle, cherche notamment à déstabiliser les processus démocratiques du Canada et les valeurs canadiennes, à manipuler le public et à discréditer les régimes démocratiques.

Le Parti libéral s’engage notamment à continuer la lutte contre l’ingérence étrangère, tout en augmentant les ressources des agences de sécurité nationale et de renseignement et en collaborant avec les pays du G7 et de l’OTAN. Le Parti conservateur, quant à lui, semble se concentrer sur la lutte contre les opérations d’influence de la Chine au Canada.

Si les élections fédérales donnent souvent lieu à des débats virulents entre les principaux partis politiques, les enjeux de politiques étrangères et de sécurité nationale sont généralement peu ou pas traités. Pourtant, les trois soulevés dans ce texte sont au cœur des développements sécuritaires et stratégiques du Canada. Quelle que soit l’issue de l’élection fédérale, le prochain gouvernement devra se pencher sur ces enjeux.

Quelle place pour l’animal de compagnie au XVIIᵉ siècle ?

23 jeudi Sep 2021

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  1. Camille DelattreDoctorante en Littérature, Université de Lorraine
Université de Lorraine
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Alexandre François Desportes, Folle et Mite, vers 1702.

Diane, Pompée, Blonde, Florissant. Pyrame, Thisbé, Félimare, Gavroche, Mimi-Paillon, Serpolet… Ces noms, mythiques pour certains, historiques ou surprenants pour d’autres, ont un point commun : ce sont ceux d’animaux de haut rang, les chiens de chasse de Louis XIV pour les premiers et les chats du cardinal de Richelieu pour les seconds. Divers témoignages picturaux et écrits, historiques ou littéraires, nous renseignent sur ces « personnages » d’autant plus discrets que l’on représente et perçoit généralement le Grand Siècle par le prisme du grandiose et de la magnificence.

Quelques animaux fameux de la Cour ou des salons du XVIIe siècle sont néanmoins parvenus à la postérité. Louis XIV emmène Folle et Mite à la chasse, mais elles sont aussi des chiennes de compagnie, nourries de la main de leur illustre maître, qui leur donne un nom, une niche installée dans une pièce proche de sa chambre, et qui commande lui-même leur portrait à Alexandre François Desportes. Madame, la belle-sœur de Louis XIV, aime parler de ses chiens à ses correspondants, et s’excuse à l’occasion des taches d’encre qu’ils laissent sur ses lettres lorsqu’ils s’asseyent sur son écritoire. Madame de Sévigné assure quant à elle l’immortalité à Méléon et sa compagne en écrivant l’« Histoire de deux caméléons ».

Cependant, le destin de ces quelques individus est exceptionnel, et les animaux de compagnie laissent rarement leur empreinte dans l’histoire ou la littérature. S’ils peuvent témoigner du rang et de la richesse de leurs propriétaires, a fortiori les animaux exotiques et rares, leurs représentations sont souvent dépréciatives, comme en témoignent les autres noms utilisés pour les nommer dans la langue du XVIIe siècle : bestes ou brutes, dont sont tirés les substantifs bestialité, bêtise, brutalité…

Les animaux de compagnie : un divertissement futile et blâmable

Contrairement aux simples animaux domestiques – catégorie qui inclut au XVIIe siècle tous les animaux qui vivent dans la maison et son voisinage, coqs, oies, poules, chiens, chats, rats, taupes, merles, pies… – un animal de compagnie sert surtout à la distraction des hommes dont il reçoit de l’affection. C’est justement parce que cette compagnie sert au plaisir du maître que celui-ci peut être accusé de frivolité et de puérilité. Selon l’abbé Senault, c’est même « profaner notre cœur que de l’attacher à des choses insensibles ; il n’est pas juste que la même âme qui peut aimer les Anges aime les bestes » (p. 263-264).

Pierre Mignard, Portrait de Louise-Marie de Bourbon, dite Mademoiselle de Tours, château de Versailles, vers 1681.

Lorsqu’ils figurent sur des portraits, les animaux de compagnie accompagnent donc plutôt des enfants. Ils symbolisent alors le plaisir moins condamnable des jeux enfantins, à l’instar de la tige à bulles de savon que Mademoiselle de Tours tient dans sa main. Dans Le Page disgracié écrit par Tristan L’Hermite en 1643, la jeune maîtresse du page n’est pas blâmée d’aimer son moineau de compagnie, fût-ce au point de torturer le chat qui l’a dévoré en le faisant gonfler à l’aide d’un soufflet… En revanche, l’effroi de la maîtresse du malheureux chat, une adulte, est moqué par le narrateur du roman et condamné par son époux selon qui l’événement était « tellement ridicule et si peu digne de ces grandes lamentations, qu’il en tança fort Madame sa femme ».

La représentation littéraire des animaux de compagnie peut par conséquent servir à faire la satire de leur maître. Plusieurs mazarinades – des pamphlets écrits contre le cardinal – mentionnent les singes qu’il élève pour dénoncer sa gouvernance inconséquente, lui qui vit « dans la volupté […] Tenant singe sur [ses] genoux » et qui est prêt à « affamer la bonne ville » pour « entretenir ses singes d’habits & de noix ». Et celui qui se soucie trop des bêtes court le risque d’y être comparé, comme le montre ce faux extrait du testament de Mazarin : « je donne mes singes à Monsieur Cohon, évêque de Dol, ce petit présent lui étant dû, tant à cause du soin qu’il en a pris jusqu’ici, qu’à cause de la conformité d’humeur qu’il y a entre lui et ces chers animaux ».

Un motif littéraire et galant à la mode

Les dames sont quelquefois blâmées pour s’intéresser plutôt à leur animal de compagnie qu’à leur prétendant. Le poète peut alors les accuser (« Ne pleurez pas un Chien, vous qui tuez les Hommes » !). Mais parler de l’animal de compagnie est aussi un excellent prétexte pour s’adresser à sa maîtresse et la séduire par ce détour, ainsi fit Catulle au Ier siècle av. J.-C., avec le passereau de Lesbie. La mort du perroquet de Madame Du Plessis-Bellière a donné lieu, au sein de son salon, à l’écriture de nombreux sonnets aux rimes imposées, dont vingt-cinq furent publiés dans le troisième volume du recueil de Sercy (p. 375-410) :

C’est un Perroquet de couleur diaphane
De plumage plus fin que filet de Tripot
Qui chantait et sifflait tous les airs de Chabot
Mais qui parfois usait de quelque mot profane.

Il s’agit certes de plaire à cette hôtesse de renom en se livrant à la pratique de l’épitaphe animalière, héritée de l’antiquité et revivifiée à la Renaissance, mais aussi de s’adonner au plaisir des jeux d’écriture menés dans les salons des dames. L’animal occupe dans ces jeux une place de choix. Il intéresse l’homme de lettres pour ses perspectives symboliques, pour la légèreté et l’intimité que ce sujet domestique confère aux pièces écrites, et pour les multiples possibilités de création littéraire qu’il offre, dans la mesure où il favorise l’inventivité et le renouvellement des thèmes abordés, du lexique ou des stratégies d’énonciation par exemple, tant dans la poésie amoureuse que d’autres formes mondaines.

Francois Hippolyte Debon, L’Hôtel de Rambouillet, Musée d’art et d’histoire de Dreux, 1863.

Certains poètes s’adressent aux animaux, comme Benserade qui écrit à la chienne de la Comtesse de F** (p. 259-260) et lui demande d’« à la plume mett[re] la patte » pour l’informer des éventuelles fréquentations de sa maîtresse. D’autres prêtent leur voix aux bêtes et, par ce procédé, en disent plus que s’ils parlaient en leur nom. Vincent Voiture, roturier, se montre ainsi familier avec le duc d’Enghien, futur Grand Condé, dans la lettre dite de la Carpe au Brochet écrite suite à un jeu littéraire pratiqué dans le salon de Mme de Rambouillet (p. 401-404). Il l’appelle en effet « mon compère le Brochet », et l’éloge qu’il en fait est bien peu conventionnel :

« Quoique vous ayez été excellent jusqu’ici à toutes les sauces où l’on vous a mis, il faut avouer que la sauce d’Allemagne vous donne un grand goût et que les lauriers qui y entrent vous relèvent merveilleusement. »

Bachaumont peut tenir des propos obscènes dans l’échange épistolaire qu’il invente entre un levron et une levrette, en préservant les apparences de la décence puisque ce ne sont, dans l’illusion de la fiction, que des animaux qui s’expriment. Après que la levrette a fait des propositions explicites au levron qu’elle dit attendre « avec une chaleur extrême », le levron lui propose de joindre ses filles à leur affaire, à quoi elle répond : « comme je vaux bien deux douzaines de chiennes, je pense qu’il ne vous resterait guère de chose, à vous qui, au plus, n’en pouvez aimer que cinq ou six à la fois. »

Un intérêt pour l’animal en soi ?

Le sujet de l’animal donne aussi l’occasion aux auteurs des Belles-Lettres de s’aventurer sur le terrain d’une dispute d’abord philosophique et théologique, puis savante et même profane : la querelle de l’âme des bêtes. Descartes dans le Discours de la Méthode (1637) propose une analogie entre les machines – en particulier les horloges – et les animaux, qui prend racine dans l’idée novatrice selon laquelle ces derniers, contrairement à l’homme, n’ont pas d’âme. Tout en eux ne fonctionnerait que par mécanisme. Cette comparaison contre-intuitive, a fortiori pour ceux qui ont l’habitude de la compagnie des animaux, fait réagir les milieux mondains et même la Cour dès les années 1660.

Les animaux de Madame, la princesse Palatine, la distraient d’une vie à la Cour qui la répugne de plus en plus. Elle est entourée d’au moins sept chiens qu’elle nomme dans une lettre datée du 9 mars 1702 : « Spatou, Charmante, Charmion, Toutille, Stopdille, Millemillettemillon et Mione. Millemillettemillon n’est qu’un seul nom, mais on dit d’abord Mille, ensuite Millette, et enfin Millon. » Peut-on donner un nom, une identité à un animal, et le penser dépourvu d’âme, de capacité de penser, de sentir ? Dans une lettre à sa tante datée du 30 octobre 1696, elle écrira en effet : « L’opinion de Descartes au sujet des rouages d’horlogeries m’a paru bien ridicule ».

Planche pour Claude Perrault, Description anatomique d’un caméléon, d’un castor, d’un dromadaire, d’un ours et d’une gazelle.

Les auteurs s’opposeront aussi à cet « animal-machine », dont l’idée est radicalisée après la mort de Descartes par des penseurs qui, comme Malebranche, retireront aux animaux même la capacité de sentir la douleur : « Ils mangent sans plaisir, ils crient sans douleur, il croissent sans le savoir ; ils ne désirent rien, ils ne craignent rien, ils ne connoissent rien. »

La mise en scène littéraire d’animaux de compagnie raisonnables, intelligents, dotés de sentiments et de sensibilité sert d’arme dans la querelle. Madame de Scudéry, qui adopte pourtant une posture de savante dans son « Histoire de deux caméléons » (p. 89-102), s’attache à mettre en scène leurs sentiments avec un anthropocentrisme irréaliste, jusqu’au récit des tentatives de suicide de Méléon dévasté par la mort de sa Caméléone, pour s’opposer avec virulence au point de vue cartésien.

Pourquoi la rupture par l’Australie du « contrat du siècle » était prévisible

22 mercredi Sep 2021

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  1. Romain FathiSenior Lecturer, History, Flinders University
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Jean-Yves Le Drian et Malcolm Turnbull
Le 20 décembre 2016, à Canberra, Jean‑Yves Le Drian, alors ministre français de la Défense, signe le « contrat du siècle » avec le premier ministre australien de l’époque Malcolm Turnbull. Brenton Edwards/AFP

Si la création de la nouvelle alliance AUKUS – Australie, Grande-Bretagne, États-Unis – représente un « coup dans le dos » porté à la France, une « trahison » impensable « entre alliés », l’annulation unilatérale par l’Australie du contrat d’achat de sous-marins français constitue, quant à elle, un camouflet pour la diplomatie française.

Mais cette annulation était-elle si inattendue ? La réponse est non, et ce pour plusieurs raisons historiques, culturelles et diplomatiques.

Les enjeux du contrat pour la France

Rappelons d’emblée les enjeux de ce fameux « contrat du siècle », dont l’accord de principe a été entériné entre Paris et Canberra en avril 2016, avant une signature officielle en décembre de la même année. Fer de lance de cette politique stratégique, la France devait doter l’Australie de sous-marins Barracuda à propulsion diesel-électrique pour un montant de 34 milliards d’euros, engageant Naval Group sur une durée de 25 ans.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?dnt=false&embedId=twitter-widget-0&features=eyJ0ZndfZXhwZXJpbWVudHNfY29va2llX2V4cGlyYXRpb24iOnsiYnVja2V0IjoxMjA5NjAwLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X2hvcml6b25fdHdlZXRfZW1iZWRfOTU1NSI6eyJidWNrZXQiOiJodGUiLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X3NwYWNlX2NhcmQiOnsiYnVja2V0Ijoib2ZmIiwidmVyc2lvbiI6bnVsbH19&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=725057279872081920&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fpourquoi-la-rupture-par-laustralie-du-contrat-du-siecle-etait-previsible-168247&sessionId=bfca9c13e09f45d86e81fef74bfb9f730028560b&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=1890d59c%3A1627936082797&width=550px

Il s’agissait pour la France de développer un partenariat clef avec la nation la plus importante du Pacifique Sud, partenariat qui aurait dû sceller une entente étroite et durable sur un demi-siècle, renforçant ainsi le maillage diplomatique, stratégique et militaire français dans un espace au cœur de toutes les convoitises.

Ce plan, à la fois judicieux – car il proposait une troisième voie diplomatique pour la région, libérée de l’étau sino-américain – et ambitieux – car il entendait donner une force de projection inédite à la France (et dans son sillage à l’Europe) dans la zone Indopacifique – comprenait cependant deux faiblesses qui auront eu raison de lui et des ambitions françaises.

Les États-Unis dans le Pacifique

Premièrement, il convient de rappeler que si l’Océanie demeure à ce jour le plus petit continent en termes économiques et démographiques, les États-Unis le contrôlent et le surveillent depuis 1945. Ils disposent d’un réseau de bases militaires dans toute la région, y ont des territoires en propre, des associations politiques anciennes et un État de leur fédération.

Profitant d’un tout relatif recul de leur présence dans le Pacifique sous l’administration Obama (dont Joe Biden était le vice-président), la Chine a considérablement durci sa politique expansionniste dans la zone, ce qui a à son tour suscité, ces trois dernières années, un revirement américain.

Et c’est ici que la carte australienne entre dans la partie. Les Américains souhaitent l’annulation du contrat passé par Canberra avec la France et son remplacement par un contrat passé avec Washington – ce qui leur permettra d’assurer leur mainmise sur une flotte de sous-marins qu’ils auront construits eux-mêmes. Les États-Unis retournent ainsi à la doctrine du « avec nous ou contre nous » initiée en 2001 : ils ne peuvent plus, dès lors, tolérer de troisième voie dans le Pacifique. Cette inflexibilité américaine ne peut que conduire à une escalade des tensions entre Washington et Pékin ; en outre, elle se traduit par un comportement inamical des États-Unis à l’égard de leurs alliés, à commencer par la France.

L’Australie britannique à la recherche d’un grand frère

Deuxièmement, le Quai d’Orsay et l’Élysée ont été victimes de leur propre méconnaissance de l’univers mental des Australiens en croyant pouvoir inverser à leur profit plus de deux cents ans d’histoire diplomatique australienne.

Rappelons ici que l’Australie contemporaine est issue d’une colonie de déportation pénitentiaire établie par les Britanniques en 1788. D’autres colonies sont progressivement établies, puis celles-ci s’unissent en 1901, toujours au sein de l’Empire britannique, donnant à l’Australie la structure fédérale qu’on lui connait aujourd’hui. Les premières lois votées par le jeune Parlement interdisent alors l’entrée sur le sol australien aux personnes déclarées non blanches, en réalité les personnes non anglo-saxonnes.

Au cours de la Première Guerre mondiale, les troupes australiennes se battent au sein de l’armée britannique qui les contrôle de bout en bout. L’Australie étant un loyal sujet de Sa Majesté, Elizabeth II demeure à ce jour son chef d’État. De 1788 à 1941, la sécurité de l’Australie est entièrement assurée par la Royal Navy et quelques petites frégates australiennes.

Coup de tonnerre en 1941 : les Britanniques abandonnent le verrou militaire constitué par Singapour et de facto tout engagement à l’Est de cette zone, prenant de court les Australiens qui, horrifiés, se retrouvent sans défense face au risque de voir les Japonais déferler sur le Pacifique. Persuadée (à tort, de toute évidence) de l’imminence d’une invasion japonaise, l’Australie met en place une ligne d’abandon de son territoire septentrional et de repli de sa population tout en appelant officiellement l’Amérique à son secours via les ondes radiophoniques.

Or après l’humiliation de Pearl Harbor, les États-Unis recherchent des bases dans le Pacifique. Résultat : entre 1942 et 1945, une personne sur dix se trouvant sur le sol australien est un GI américain. Originellement britannique, l’Australie s’américanise alors pour le plus grand plaisir des Australiens, qui transforment leurs habitudes culturelles, de consommation et surtout leur politique diplomatique. Quatre-vingts ans plus tard, le tournant de 1941-1942 structure encore profondément les choix géostratégiques australiens.


À lire aussi : C’est fini: can the Australia-France relationship be salvaged after scrapping the sub deal?


Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les Australiens font tout pour continuer à bénéficier de la protection des États-Unis. Le pays ne compte en effet que 8 millions d’habitants et Canberra décide en conséquence d’engager une politique emblématique surnommée le « peuplement ou la mort » en ouvrant ses frontières aux non-Anglo-Saxons à partir de 1945 et aux « non-Blancs » dans les années 1970.

Membre fondateur en 1951 de l’ANZUS (une alliance avec les États-Unis et le voisin néo-zélandais), l’Australie devient la clef de voûte du système de défense anti-missiles et d’écoute américain dans le Pacifique pendant la Guerre froide, ce qui fait d’elle une cible privilégiée pour Moscou en cas de guerre nucléaire. Et elle accueille toujours sur son sol des bases américaines majeures et opérationnelles qui la désignent depuis longtemps aux yeux de Pékin comme un satellite de Washington.

La doctrine diplomatique des « great and powerful friends »

L’annulation du contrat géant avec Naval Group, si elle est brutale, n’est donc pas totalement inattendue, d’autant plus que les Australiens avaient selon eux manifesté leur mécontentement auprès de Paris à plusieurs reprises. La perception en France d’un revirement de stratégie est en réalité une démarche cohérente pour l’Australie, en droite ligne avec 200 ans de tradition diplomatique australienne soutenue par la population locale.

Soyons clairs : l’alliance proposée par la France, si elle était louable, n’en demeurait pas moins insolite et inhabituelle. Ce moment n’aura été qu’une parenthèse. Les fortes tensions avec la Chine de ces trois dernières années ont fait revenir durablement l’Australie dans le giron américain.

Il faut ici souligner que la diplomatie australienne repose tout entière sur la doctrine des « grands et puissants amis ». Jusqu’en 1942 lors de la ratification du Statut de Westminster par le Parlement australien, les décisions diplomatiques du pays étaient prises à Londres puisque l’Australie était un dominion. Depuis 1945, ces mêmes décisions sont toujours prises en accord avec Washington. L’Australie a suivi les Américains en Corée, au Vietnam, en Irak – 1990 puis 2003 – et en Afghanistan. En dépit de contingents très modestes mais logiques au regard d’une faible population, le soutien australien permet aux États-Unis de déguiser leurs actions en coalition internationale.

Entre sécurité et souveraineté, le choix est fait pour l’Australie

Dans ces conditions, comment Paris a-t-il pu penser pouvoir bouleverser cette fidélité, et retourner cette mentalité coloniale si puissamment ancrée en Australie ?

Le projet militaire et diplomatique de la France avec l’Australie était une magnifique ambition mais reflète aussi malheureusement une méconnaissance de ce que les Australiens conçoivent comme les principaux enjeux de la région de l’Indopacifique. La France souhaite maintenir la paix dans la région, l’Australie pense à tort ou à raison qu’une guerre est hautement probable entre la Chine et Taïwan – et donc entre la Chine et les Américains, auxquels les Australiens apporteraient leur soutien.

Pour la France, la souveraineté est l’alpha et l’oméga de toute action internationale, dans une tradition gaulliste partagée par l’ensemble de l’échiquier politique français. Cette notion de souveraineté est un cadre d’action qui s’impose pour de nombreux officiels français. Or, l’Australie n’a jamais été véritablement souveraine au sens où nous concevons et comprenons cette notion. Elle ne le souhaite pas non plus car ce qui compte pour les Australiens n’est pas tant la souveraineté que la sécurité, imaginaire ou réelle. À cet égard, la France n’a ni l’envergure ni les capacités militaires des États-Unis pour « amarrer » l’Australie à sa politique indopacifique.

La spoliation des terres aborigènes et la situation géographique même de l’Australie incitent ses citoyens à se penser assiégés depuis 1788. Dès cette époque, on y crie que les Français veulent envahir le continent, puis on s’y alarme des velléités russes, japonaises, et enfin chinoises. L’imaginaire de l’invasion demeure prégnant.

Ce complexe de Massada affaiblit considérablement la possibilité de devenir une nation autonome non alignée, l’Australie recherchant avant tout la protection, quitte à enrager des alliés qu’elle transforme en adversaires. L’histoire dira si l’Australie a fait le bon choix. Les Australiens sont en tout cas convaincus qu’il n’y en a pas d’autre possible. En attendant, Canberra s’isole de toute évidence dans le Pacifique en ayant franchi un point de non-retour par le renforcement de la trans-opérationnabilité de ses armements avec ceux de l’armée américaine.

Après avoir été brièvement tentés par le multipolarisme, les États-Unis font machine arrière et dépoussièrent le vieux bloc anglo-saxon qui par le passé a su nuire à l’Europe continentale et notamment à son développement politique. Il ne faut donc pas se tromper de cible : Canberra n’est ici qu’un petit pion dans la stratégie américaine vis-à-vis de la France et surtout de l’Union européenne.

Par le passé, l’Australie n’a fait que passer d’une influence à une autre. Canberra n’a jamais fait cavalier seul, consciente qu’elle ne faisait pas le poids sur la scène internationale. Cependant, et c’est cela qui paraît aberrant et incompréhensible aux yeux de Paris, elle ne souhaite pas non plus s’en donner les moyens en développant ses propres systèmes de défense autonomes. Paradoxalement, et au-delà des discours nationalistes, Canberra semble incapable de se penser « australienne », c’est-à-dire en possession d’un destin propre et indépendant au XXIe siècle.

Au contraire, l’Australie se voit encore et toujours comme une île à la recherche d’un protecteur et à ses yeux, la France ne peut tenir ce rôle entre la Chine et les États-Unis. C’est donc à la fois un manque de confiance en soi, un manque de moyens et surtout un manque d’investissements et de développement d’industries stratégiques propres qui condamne aujourd’hui l’Australie à un rôle de nation-enfant.

Procès terroristes : des trajectoires pour comprendre, juger et réparer

21 mardi Sep 2021

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Croquis d’audience le 8 septembre 2021 lors de l’ouverture du procès des attentats de Paris du 13 novembre 2015. Benoit PEYRUCQ / AFP

Le procès 0« V13 », en référence aux attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris, a débuté le 8 septembre et s’annonce long (huit mois), difficile et inédit.

Le nombre de parties civiles, d’accusés, l’importance du dossier, la durée et la complexité de l’instruction qui a duré quatre ans et la gravité des faits jugés en font un procès historique.

Depuis 2017, plusieurs attentats djihadistes (issus de la dernière vague djihadiste couvrant les attentats de 2012 à aujourd’hui) ont été jugés lors de procès souvent très médiatisés et la justice française n’en est pas à son coup d’essai.

Faire sens

Ces procès pour terrorisme ont une portée d’autant plus importante qu’ils sont un lieu de confrontation, une confrontation fortement cadrée et arbitrée, dont l’issue doit permettre une réparation. Celle-ci passe, entre autres, par ce que l’on pourrait appeler une « mise en sens » dont chacun peut se saisir selon ses fonctions ou ses besoins.

En France, c’est devant une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels que les chemins des victimes et des accusés vont à nouveau se croiser.

Sous l’autorité du président, la cour, afin de juger, va devoir comprendre et faire comprendre. Le procès rend visible les années d’enquête et la construction d’une vérité qui est soumise au regard d’un collectif de professionnels, mais aussi d’un auditoire composé des victimes, des familles, de journalistes, de chercheurs et de citoyens désireux de voir la justice en action. Construire du sens permet de rendre un jugement équitable et passe par différents procédés.

Relier un acte à une personne

Les juges doivent notamment, pour pouvoir juger, relier un acte à une personne, assigner une responsabilité. Dans La fabrique du droit, Bruno Latour écrit :

« tout le droit peut ainsi être saisi comme un effort obsessionnel pour rendre l’énonciation assignable. Ce que vous avez dit vous engage ».

Nous avons pu constater, en assistant à des procès pour terrorisme, qu’au sein de notre système pénal, la parole de l’accusé est capitale, de même que la compréhension de son parcours de vie et de sa personnalité. La cour cherche à élucider les motivations et l’état d’esprit de l’accusé au moment de commettre son acte. Au-delà des intentions et des causes, il s’agit de comprendre de quelle manière et par quels moyens l’accusé en est arrivé à passer à l’action criminelle.

Si la cour juge des faits, elle juge aussi l’individu dont la vie ne s’arrête pas au crime. Il s’agit d’éviter la récidive, mais aussi de prévenir un phénomène qui touche la société dans son ensemble.

Ainsi entend-on les différents acteurs judiciaires, parler de parcours, d’histoire et de trajectoire. Bien que le terme « trajectoire » ne revête aucune signification juridique, il fait sens lorsque l’on parle de ce processus de rationalisation, d’objectivation et de construction de sens à partir d’éléments biographiques et de caractéristiques personnelles propres à chaque accusé.

Comprendre le contexte de l’accusé

Parmi les principes qui fondent notre état de droit, il y a l’individualisation des peines qui vise à adapter la peine au niveau de gravité des faits mais aussi à la situation de l’accusé. Adapter la peine nécessite que la cour comprenne le maillage dans lequel se trouve l’accusé au moment de passer à l’action. Le terme de « maillage » se réfère à la définition de la complexité donnée par Edgar Morin et désigne le contexte de l’accusé : son état d’esprit, son réseau et ses relations, son environnement familial, social, professionnel, ses valeurs et ses besoins.

Il désigne aussi la genèse de ce contexte qui ne peut se réduire à une simple « capture d’écran », il s’agit de comprendre comment ce contexte est advenu et comment l’accusé s’y inscrit.

Croquis d’audience de Salah Abdeslam, qui comparait détenu, le 8 septembre 2021, accusé d’appartenir au commando terroriste et d’avoir mené les attaques du 13 novembre 2015 à Paris. Benoît Peyrucq/AFP

Comprendre la trajectoire de l’accusé ne le dédouane pas de sa responsabilité, sauf dans certains cas bien spécifiques où l’irresponsabilité pénale est prouvée devant la cour comme ce fut le cas pour Kobili Traoré ou encore Mamoye Dianifaba. Mais dans l’immense majorité des affaires de terrorisme, les auteurs sont jugés responsables de leurs actes. Le processus de trajectorisation, parce qu’il suppose une construction de sens, permet d’entamer un processus de réparation pour les victimes et d’adapter la peine afin d’éviter que l’accusé ne récidive. Il ne s’agit pas ici d’une trajectoire préexistante que l’on s’emploierait à « révéler » mais bien d’une construction permise, orchestrée et cadrée par le dispositif juridique pénal.

Que nous apprennent donc les procès d’attentats terroristes sur l’élaboration d’une trajectoire ? Comment le dispositif rend-il possible cette construction ? Quelles sont ses limites ?

L’organisation de l’audience

En fonction de la gravité des actes jugés, l’organisation d’un procès devant une cour d’assises demande un long travail de préparation. L’une des principales difficultés est de réactualiser et de rendre appréhendable l’enquête, en partant de la ou des scènes de crime, pour remonter au fil des indices et des preuves jusqu’aux accusés. Mais c’est aussi comprendre le déroulement des faits et leur genèse en s’intéressant à l’accusé et à son parcours. On peut observer un schéma organisationnel récurrent dans ces procès.

L’audience est ouverte sur la présentation des faits et des accusés dont l’identité est déclinée. Ensuite, l’enquête est exposée et permet de comprendre les faits et leurs conditions de réalisation. Les témoignages de l’entourage puis l’interrogatoire de l’accusé ainsi que les expertises psy et l’enquête de personnalité, permettent de comprendre la radicalisation (dans le cas des procès terroristes qui nous intéressent) mais également ce qui a pu conduire les accusés à se radicaliser et dans certains cas à passer à l’action violente.

L’enfance, l’adolescence, les événements et les rencontres ayant marqué la vie de l’accusé sont décrits et analysés. L’auditoire, la cour mais aussi l’accusé replongent ainsi dans un passé qui est fouillé. Le réquisitoire, les plaidoiries et le jugement viennent enfin conclure le procès.

La parole pour construire une trajectoire

L’oralité des débats et le fait qu’ils doivent être contradictoires permettent un travail collectif. Le président, en recentrant les débats, en distribuant la parole et en veillant au respect du rituel judiciaire, prévient un certain nombre de débordements.

La trajectoire n’est pas linéaire et ne repose pas sur de simples liens de causalités (« l’accusé a vécu cela donc il fait cela »), en ce sens elle n’a aucune vocation prédictive, même si elle doit permettre à la cour de prévenir une récidive. Sa construction se fait lorsque les juges effectuent des allers-retours entre différents événements et différentes périodes de la vie de l’accusé qui n’est pas exposée de manière chronologique, mais en fonction de ce qui est entendu et des questions suscitées.

C’est lorsque l’enquêteur de personnalité aura présenté son compte-rendu, quand nous aurons entendu les différents experts, les témoins, l’accusé (dont les discours divergent parfois beaucoup), qu’à l’issue des débats contradictoires et des confrontations, les juges vont statuer sur une vérité (la vérité judiciaire).

Vue générale de la salle d’audience au cœur du Palais de justice à Paris, le 8 septembre 2021, à l’ouverture du procès des attentats de Paris du 13 novembre 2015. Benoît Peyrucq/AFP

C’est seulement une fois que tous les éléments permettant aux juges de rendre leur verdict sont rassemblés et ont été débattus qu’une trajectoire se dessine. C’est cette trajectoire que les juges vont continuer de tracer avec le verdict.

Lors de l’audience, chaque témoignage est entendu (ou lu lorsque le témoin ne peut se présenter à la barre). Les interrogatoires des accusés par le président et les questions de la cour qui suivent sont des moments très attendus et la seule occasion pour l’accusé de s’exprimer et d’être entendu par l’auditoire, et à travers lui, la société.

L’usage du silence

Malheureusement certains accusés font le choix d’un silence maîtrisé et instrumentalisé. Ce fut le cas de Salah Abdeslam lors de son premier procès en 2018, mais aussi celui de Mehdi Nemmouche en 2019. Ce dernier était jugé pour l’attentat au musée juif de Bruxelles de 2014. Il a refusé de s’exprimer tout au long de son procès, usant continuellement de son droit au silence (de son « DAS » comme il s’amusait à le répéter). La stratégie du silence est récurrente dans les procès terroristes et ouvertement promue par l’état islamique. Denis Salas, ancien magistrat, écrit à ce sujet :

« Le silence serait le code de référence d’un dispositif de résistance face à la loi de l’ennemi. Il poursuivrait une stratégie de dissimulation (la taqya) qui cache une volonté de continuer le combat sous une apparente passivité. »

Aucun membre de la famille de Mehdi Nemmouche n’est venu témoigner à l’audience. Il a déclaré à ce propos le 6 février 2019 :

« Je ne vois pas ce que les affaires familiales viennent faire là-dedans. »

Ce sont finalement les captations vidéos des interrogatoires menées par les enquêteurs, exceptionnellement projetées à l’audience, qui ont permis à la cour et à l’auditoire d’accéder à la parole de Mehdi Nemmouche. Dans ces vidéos, on découvre un homme tout à fait différent de celui présent dans le box depuis le début de son procès, tantôt joueur, tantôt moralisateur, tantôt critique. Lors de la septième audition notamment (sur les huit diffusées), Nemmouche s’est montré particulièrement communicant, répondant volontiers aux questions portant sur la géopolitique, l’histoire de la Syrie, il parle de ses lectures, de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie. Mais aux questions portant sur sa famille ou son enfance, il répond « DAS » et lorsque les enquêteurs lui demandent s’il aurait préféré ne pas être placé par les services sociaux en famille d’accueil, il répond : « C’est un parcours comme un autre ». Un peu plus tard il explique en riant) :

« Pour un enfant de la DDASS, j’exerce mon DAS. Je fais des rimes, je vais pouvoir réclamer des droits d’auteur. »

L’expérience du récit de soi

À l’inverse, les accusées du procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz (2016), principalement des femmes, se sont énormément livrées à la cour, parfois sur des événements très intimes. La correspondance entre Ornella Gilligmann et Inès Madani qui s’est faite passer pour un combattant djihadiste rentré de Syrie a fait l’objet de nombreux débats. Ornella Gilligmann était alors persuadée d’avoir affaire à un homme dont elle était tombée « follement amoureuse » :

« Moi, je me sentais revivre avec cet homme. J’étais en confiance. »

Derrière les noms et les visages, il a été possible de mettre des histoires et des vécus. Les témoignages des victimes mais aussi le regard et les témoignages de leurs proches, les auditions des experts, les questions qui parfois les ont confrontées aux incohérences de leurs discours, et enfin l’expérience du récit de soi sont autant d’éléments susceptibles d’avoir ébranlé des certitudes, des croyances et des postures fortement affirmées avant que le procès n’ait lieu. Au moment des derniers mots des accusés, Inès Madani, principale accusée, déclare :

« J’ai beaucoup de regrets. J’ai honte d’être ici aujourd’hui. C’est une humiliation pour mes proches et pour moi aussi. Je reconnais les faits. Je présente mes excuses. Aux personnes que j’ai entraînées dans ma chute. Je m’excuse auprès de ma famille. »

Au terme du procès, les accusés peuvent faire le choix de s’inscrire ou de se réinscrire dans une trajectoire que le procès leur aura permis d’appréhender et/ou de s’approprier, ou bien d’en demeurer résolument coupé. Dans un cas comme dans l’autre ce choix détermine en partie la suite de la vie de l’accusé, mais également, celle d’une partie des victimes qui pourront entamer un nouveau chapitre de leur vie.

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