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Archives Mensuelles: octobre 2021

Moins de nitrates dans l’eau, une vraie course de fond

31 dimanche Oct 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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  1. Nicolas SurdykModélisateur qualité de l’eau, BRGM
  2. Nicole BaranIngénieure hydrogéologue, BRGM
CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
Personne se servant de l'eau du robinet
En France, les eaux souterraines assurent 65% de notre alimentation en eau potable. Shutterstock

L’azote (N) représente un élément nutritif essentiel à la croissance des plantes. Constituant principal des protéines et de la chlorophylle, on l’ajoute aux cultures sous forme d’engrais minéraux synthétiques ou organiques (effluents d’élevage, boues de station d’épuration…).

L’ion nitrate (NO3) se forme naturellement par combinaison de l’azote (N) et de l’oxygène (O) du sol. Cette forme de l’azote est la plus disponible pour plantes.

Le nitrate est d’autre part particulièrement soluble et donc facilement véhiculé par l’eau. Entraîné en profondeur par la pluie dans les sols et au-delà (l’ensemble constitué par les sols et les roches sous-jacentes correspondant à ce qu’on appelle « la zone non saturée »), le nitrate va jusqu’à atteindre les eaux souterraines appelées « nappes ».

En France, ces eaux souterraines assurent 65 % de notre alimentation en eau potable.

Des mesures prises depuis 1990

Depuis plusieurs décennies, la surveillance de la qualité des eaux souterraines s’est accrue, en lien notamment avec la production d’eau potable. Le nitrate (NO3) – ou plus exactement sa forme dissoute l’ion nitrate (NO3–) – représente l’un des paramètres les plus mesurés.

La limite de qualité pour les nitrates dans l’eau distribuée (eau potable) est 50 mg/L. Si les nitrates peuvent exister de manière naturelle dans les eaux souterraines, les teneurs attendues sont alors très faibles, généralement moins de 10 mg/L. L’activité humaine (agriculture, industrie, effluents domestiques, etc.) constitue une pression importante en azote qui peut conduire à une augmentation de la concentration dans les eaux souterraines.

Face au constat de contamination des eaux, une Directive de protection est appliquée depuis 1991 au niveau européen.

Elle vise essentiellement à réduire les excédents d’origine agricole. Au niveau français, cette directive-cadre est transposée dans le Code de l’environnement. Des plans d’action nationaux et régionaux sont mis en œuvre dans des zones dites vulnérables, couvrant aujourd’hui environ 68 % de la surface agricole. Environ 39,6 % du territoire de l’EU-27 fait l’objet de programmes d’action.

Carte des zones vulnérables quant à la concentration de nitrates dans l’eau souterraine. N.Surdyk, Author provided (no reuse)

Des efforts insuffisants à ce jour

Ces plans d’action « nitrate » – ajoutés à une prise en compte générale des impacts des activités humaines sur l’environnement – ont conduit à de nombreuses modifications dans les modes de production agricoles français et européens.

Par exemple, un cahier d’enregistrement des pratiques a été mis en place et l’implantation de couverts végétaux en hiver a été imposée (ces couverts utilisent le nitrate non utilisé par les cultures principales et limitent ainsi le transfert comparativement à un sol laissé sans culture). Des plans prévisionnels de la fertilisation ont également été instaurés, obligeant à évaluer l’équilibre de la fertilisation azotée : les exploitants calculent les besoins des cultures pour dimensionner leurs apports d’engrais.

L’ensemble de ces initiatives a permis de réduire la quantité appliquée d’engrais minéraux tout en sécurisant la production alimentaire.

Mais deux décennies après la mise en place de cette directive européenne, et de sa transcription dans le droit français, préserver et améliorer la qualité de l’eau reste l’un des défis majeurs en France, certaines nappes présentant toujours des teneurs jugées trop importantes en nitrate.

Comment expliquer cette situation ?

Contrôler les temps de transfert

Il peut en effet paraître paradoxal que la qualité de l’eau ne soit pas toujours au rendez-vous alors que des lois sont mises en place au niveau européen depuis les années 1990.

Une des explications réside dans le temps de transfert des nitrates entre la surface et la nappe.

Grâce à des mesures effectuées sur le terrain, il a été en effet possible d’estimer la vitesse moyenne de ce transfert dans plusieurs régions françaises. Ces mesures ont démarré au début des années 1990 dans un contexte crayeux. Depuis, d’autres initiatives, en Normandie ou dans l’Est du Bassin parisien, ont confirmé un transfert très lent au sein de la matrice de la craie.

Forage effectué pour prélever des échantillons qui permettront des analyses de teneurs en nitrates en zone non saturée. N.Surdyk, Author provided (no reuse)

Le déplacement vertical moyen de nitrate et d’eau est ainsi compris entre 0,5 m et 1,5 m par an. À titre de comparaison, les escargots, pourtant peu réputés pour leur rapidité, peuvent en moyenne parcourir 0,5 m en moins de 10 minutes…

Dans des cas plutôt rares, des approches similaires ont concerné d’autres matériaux. En Alsace, dans des matériaux appelés lœss, des vitesses ont été estimées à quelques décimètres par an.

Comment expliquer ces vitesses moyennes de déplacement ?

De manière simplifiée, on peut considérer que les nitrates migrent généralement à la même vitesse que l’eau. Cela s’explique simplement par le fait que le nitrate se dissout bien dans l’eau (la solubilité du nitrate d’ammonium est du même ordre que celle du sucre blanc – 2kg/L).

Comprendre la dynamique de l’eau depuis le sol jusqu’à la nappe est donc essentiel pour caractériser le déplacement des nitrates.

La circulation de l’eau dans la roche

La circulation de l’eau dans la roche dépend de la présence d’espaces vides, appelés pores (porosité) et de sa capacité à laisser circuler l’eau (perméabilité). La France offre une diversité importante de type d’aquifères présentant des vitesses de circulation de l’eau différentes. On distinguera par exemple les aquifères poreux, composés de roches sédimentaires avec une eau circulant au sein de la matrice, des aquifères fissurés, où l’eau va s’écouler préférentiellement dans les fissures de manière assez rapide, et les aquifères karstiques où vont coexister des écoulements très rapides dans les drains (vides) issus de la dissolution de la roche, et plus lents au sein de la matrice poreuse.

Dans les roches calcaires du nord de la France, le déplacement vertical moyen de l’eau et du nitrate étant de l’ordre du mètre par an dans la zone non saturée située entre la surface et la première nappe d’eau (la plus utilisée pour l’eau potable) et l’épaisseur de cette zone étant régulièrement supérieure à une dizaine de mètres, le nitrate peut donc régulièrement réclamer une décennie pour atteindre la nappe.

En plus du temps nécessaire pour rejoindre descendre la nappe (déplacement vertical), il faut également tenir compte du temps nécessaire à l’eau et au nitrate pour traverser la nappe jusqu’au captage ou la source qui sont utilisés pour produire de l’eau potable (déplacement horizontal). Cette durée est dictée par la distance à parcourir et les propriétés de la roche.

Coupe schématique du sous-sol situant les transferts horizontaux dans la nappe et verticaux en zone non saturée. N.Surdyk, Author provided (no reuse)

On comprend donc aisément qu’une modification de pratiques agricoles en surface peut se traduire seulement plusieurs années, voire des décennies plus tard, par une amélioration de la qualité des eaux souterraines. Si ces informations sur la durée du transfert sont cruciales, elles restent parcellaires : le coût des carottages, la nécessité de disposer des historiques de fertilisation, etc., limitent la réalisation de telles études. Existe-t-il néanmoins des approches qui peuvent apporter des éléments de compréhension ?

Laisser le temps au temps… mais combien de temps ?

Si les profils nitrate obtenus permettent d’avoir des éléments de réponse de manière très locale, faire le lien entre la pression agricole en prenant en compte son évolution temporelle et la qualité de l’eau reste un challenge.

Dans le cadre du projet de recherche FAIRWAY, des approches statistiques ont été mises en œuvre à la fois pour identifier la voie de transfert dominante et déterminer le temps nécessaire pour que le changement des pratiques en surface soit perceptible sur la qualité de la nappe.

Ainsi, sur le site français étudié (aquifère calcaire), où l’eau circule surtout dans la matrice poreuse, le temps nécessaire varie de 8 à 24 ans selon le captage d’eau considéré. Sur les sites au Danemark, dans un autre contexte hydrogéologique, ce temps dépasse largement les 30 ans !

Des outils mathématiques, comme ceux développés par le BRGM, peuvent aussi être utilisés pour modéliser l’évolution des teneurs en nitrate dans la nappe et ainsi tester l’impact de scénarios de changement de pratiques co-construits entre tous les acteurs d’un territoire.

La modélisation couplée à des approches économiques permet d’orienter les choix agricoles et de conforter les parties prenantes sur la pertinence des actions et de dimensionner les efforts en termes de changement de pratiques tout en estimant le temps nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, l’impact pouvant être à court, moyen ou long terme selon les contextes hydrogéologiques.

Comment l’Orient-Express traverse le cinéma et la littérature

30 samedi Oct 2021

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  1. Stéphane SitayebProfesseur agrégé et Docteur en littérature anglaise, Université d’Evry – Université Paris-Saclay
Université Paris-Saclay
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orient express.

Cent vingt-six ans. Tel est l’âge de l’Orient-Express lorsqu’il s’éteint sur son ultime parcours de Strasbourg à Vienne le 12 décembre 2009, après être né, le 4 octobre 1883, d’un premier voyage de Paris gare de l’est à Giurgiu (en Roumanie). Près d’une décennie après sa disparition, le train mythique fascine toujours, comme en atteste le franc succès au box-office du film de Kenneth Branagh, Le Crime de l’Orient-Express (2017) ou encore les expositions et reconstitutions européennes. L’évolution constante de l’Orient-Express entre 1883 et 2009 en fait un espace collectif variable, voire insaisissable : songer à l’Orient-Express ne consiste pas uniquement à découvrir des lieux, des paysages et des nations inconnus, mais également à se plonger dans des époques révolues (la fin de siècle, les guerres mondiales, l’entre-deux-guerres, etc.).

Ce ne sont pas seulement ses sièges, ses couchettes, sa vitesse, ses itinéraires ou encore ses odeurs que l’on soumit à moult altérations, mais également sa fonction et son symbolisme, national comme international. Le tout premier mythe ne consiste-t-il pas à croire que l’Orient-Express désigne un seul et même train plutôt qu’un trajet entre une partie l’Europe occidentale, voire septentrionale (avec l’Angleterre) et une partie de l’Europe orientale et méridionale (Istanbul) ?

Le train de légende a cessé de circuler en 2009. Orient-Express

Les multiples métamorphoses de l’Orient-Express en font un mythe abstrait : associé au voyage, il incarne les diverses mentalités d’une Europe culturellement hétérogène, voire en proie à des conflits internationaux où vainqueurs et vaincus entretiennent une relation de domination sociopolitique. Témoin des guerres mondiales et emblème de triomphe ou de défaite, de richesse ou d’indigence (étant régi par un système de classes), objet de fantasme littéraire puis cinématographique, l’Orient-Express ne désigne pas un seul espace de voyage collectif cohérent, mais un ensemble de visions qui se croisent. Les artistes de l’Orient-Express, quant à eux, oscillent entre un portrait tantôt réaliste, tantôt chimérique du train surnommé plus tard « monstre bienfaisant » (Alexandre Hepp).

L’Orient-Express désigne plusieurs trains et plusieurs lignes.

Luxe, raffinement et célébration artistique de l’Orient-Express

Inspiré des trains américains Pullman, alors dotés de couchettes, l’Orient-Express offre d’emblée à ses passagers aisés la possibilité de se déplacer sur de longues distances tout en se délectant d’un confort et d’un luxe sans parangon. En guise de commodités, l’eau chaude, le chauffage (« excessif » selon les personnages d’Agatha Christie) et l’éclairage procurent une sensation d’abondance appréciable, étayée de surcroît par de fastueux matériaux décoratifs : on y bénéficie de soie pour les draps, de marbre pour les lieux d’aisances et de cristal ou d’argent pour le service de tables.

C’est précisément cette opulence qu’inspire le train à Ian Fleming pour son roman Bons baisers de Russie (1957), où les évocations orientalistes et le choix d’y placer deux scènes d’amour entrecoupées d’une seule scène d’action trouvent un écho dans l’adaptation cinématographique de Terrence Young (1963), deuxième opus de la saga James Bond. Dans les deux œuvres, sur un trajet Istanbul-Paris, ce sont les couchettes de l’Orient-Express, espace privé, qui se transforment en salon de beauté et où se tiennent deux scènes de badinage entre l’agent 007 et Tatiana Romanova, ancien agent du KGB interprété par l’actrice Daniela Bianchi.

Un personnage à part entière dans Bons baisers de Russie. Fenêtre sur écran

Concernant l’aspect extérieur du train, Terrence Young opte tantôt pour de gros plans, tantôt pour des perspectives plus panoramiques, deux procédés opposés à l’issue desquels le grand James Bond, alias Sean Connery, occupe à l’écran une place dérisoire, comme éclipsé par la taille démesurée du train. C’est précisément ce confort et la sélectivité des passagers qui font de l’Orient-Express bien plus qu’un simple train, d’où son surnom : « le roi des trains, le train des rois ».

L’Orient-Express dans la littérature : d’objet à sujet

D’abord célébré par les décadents comme le triomphe de l’artifice sur la nature, comme la victoire de la mécanique sur l’organique, le train est, peu à peu, traité comme un sujet à part entière, lequel est animé de diverses ambiances, d’affects, d’ingestions et d’excrétions (combustible, fumée, sanitaires, etc.). Dans son roman A rebours (1884), paru un an après l’inauguration de l’Orient-Express, l’écrivain et critique d’art Joris-Karl Huysmans compare l’homme à Dieu en précisant que la création d’une locomotive transcende ou égale la création de la femme :

« Il n’est certainement pas, parmi les frêles beautés blondes et les majestueuses beautés brunes, de pareils types de sveltesse délicate et de terrifiante force ; à coup sûr, on peut le dire : l’homme a fait, dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit. »

Bien des auteurs se plaisent à dresser le portrait d’un train vivant sous les traits organiques d’un sujet, animé par des pulsions de vie et de mort. Dans son roman de 1957, Ian Fleming décrit l’Orient-Express comme « l’unique train doté de vie » en gare d’Istanbul, les autres étant qualifiés de divers suffixes privatifs, et précise que son arrêt correspond à « la mort d’un dragon souffrant d’asthme ».

Espace animé par la mobilité autant que par une mutabilité constante où se succèdent entrées et sorties, le train est susceptible de manifester divers symptômes : pannes, crimes, interruptions du fait d’une Nature indomptable, etc. Quant à son inlassable mouvement binaire (marche/arrêt), il reflète le cycle de l’existence, des saisons et des batailles européennes. C’est pourquoi bien des passagers aisés, voire illustres, rêvent de monter à bord de ce microcosme socioculturel.

L’Orient-Express : le train des célébrités

En 2020, Kate Moss et Baby Spice partagent sur Instagram leur expérience à bord de l’Orient-Express (ou plutôt sa version VSOE, le Venise-Simplon-Orient-Express), prolongeant une coutume datant des premiers voyages du train, qui devient, dès 1883, prisé par les célébrités les plus appréciées.

Dès ses débuts, la renommée de l’Orient-Express est immédiate, Georges Nagelmackers ne s’étant pas uniquement limité à la seule conception du train, mais également à son rayonnement, par le truchement d’une presse dithyrambique, notamment sous la plume de Georges Boyer, envoyé spécial pour Le Figaro, de son symbolisme déjà mythique, ou plutôt mythifié par la présence de ses passagers aux fonctions illustres (la plupart originaire de l’ouest de l’Europe : journalistes, hommes d’affaires, ingénieurs, diplomates, militaires, ecclésiastiques, journalistes, artistes, hommes de lettres ou de sciences, etc.) et surtout de personnalités influentes et célèbres : Lawrence d’Arabie et Mata Hari, associés à la découverte et au mystère ; le roi Ferdinand de Bulgarie ; l’actrice américaine Marlene Dietrich ; ou encore les écrivains Léon Tolstoï, Joseph Kessel, Ernest Hemingway et Agatha Christie, qui y rencontre son futur époux et trouve l’inspiration pour son roman non moins mythique, nommément, Le Crime de l’Orient-Express (1934).

Une photo prise le 15 septembre 2018 montre l’intérieur de la voiture Pullman Flèche d’Or du légendaire train Orient-Express à Paris lors des Journées européennes du patrimoine. François Guillot/AFP

Inspiré d’un crime et d’une interruption en Turquie, du fait d’un blizzard, des services du Simplon-Orient-Express, ce train de la victoire conçu par les Alliés victorieux de 1919, qui est en réalité une imitation de l’Orient-Express original. C’est précisément ce beau monde que rassemble Kenneth Branagh dans son adaptation de 2017, film dont le casting époustouflant (Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Penélope Cruz, Judi Dench, Willem Dafoe, etc.) reflète, somme toute, les personnalités influentes à bord de l’Orient-Express à l’époque d’Agatha Christie.

Multilinguisme et transnationalisme

Le multilinguisme des personnages dans les œuvres littéraires et cinématographiques se déroulant à bord de l’Orient-Express étaye la vision d’un train aussi mobile que l’identité de ses passagers européens de l’Est et de l’Ouest, qui franchissent les frontières spatiales, linguistiques et socioculturelles du continent d’Istanbul jusqu’à Calais – d’où, peut-être, les prémices d’un transnationalisme (échanges socio-économiques entre les Européens) aussi bien à bord du train mythique qu’au sein des romans de l’Orient-Express, dont la graphie reflète la diversité de l’Europe de l’entre-deux-guerres.

Dans le roman d’Agatha Christie, il s’agit des sonorités arabophones évoquées à Alep ou encore des idiosyncrasies de l’intonation italienne (« That whatta I say alla de time »). Hercule Poirot n’est-il pas lui-même, dans l’excipit (les dernières lignes du roman), transformé par ces échanges au même titre que les personnages de Bons baisers de Russie ? Relativement fidèle au roman dont elle s’inspire, l’adaptation cinématographique de Branagh se conclut avec une décision inattendue du célèbre détective sherlockien, dont la morale et l’humanité ont été profondément ébranlées à bord de l’Orient-Express.

Le roman de Ian Fleming insiste tout autant sur la « fusion » opérée entre deux personnages pourtant « antagonistes », l’un (l’agent britannique James Bond) appartenant au bloc de l’Ouest ; et l’autre (l’agent russe Tatiana), au bloc de l’Est. Le sentiment d’amour (« l’extraordinaire fusion de leurs yeux et de leur corps ») unissant les deux agents initialement ennemis reflète ainsi la porosité des frontières internationales à bord du train, où chaque passager peut être influencé par plusieurs cultures étrangères.

Après l’avoir fantasmé à travers les films et la littérature, les amateurs du train de luxe peuvent aussi le découvrir en montant à bord, ou par le truchement d’expositions.

Orient-Express et actualité

Une visite à bord de l’un des mythes de l’Orient-Express, nommément, le Venice Simplon-Orient-Express (VSOE), est encore possible aujourd’hui : environ une fois par semaine entre mars et novembre, il est envisageable pour les amateurs du train de devenir passagers, moyennant la modique somme de 2765 euros entre Paris et Venise, repas compris. Ils sauront alors apprécier le travail de reconstitution des fourgons, des sièges et en particulier des toilettes.

La SNCF, quant à elle, disposant d’un train composé de sept voitures restaurées et arborant un style Art déco, propose des voyages privatisés, à titre exceptionnel, et partage son goût du patrimoine ferroviaire dans ses archives.

Pour celles et ceux qui n’auraient pas fait partie de ses 300 000 visiteurs, l’exposition parisienne proposée à l’Institut du Monde Arabe en 2014 (« Il était une fois l’Orient-Express ») a, depuis décembre 2020 et jusqu’en janvier 2022, changé de destination : c’est à Singapour que les amateurs de l’Orient-Express pourront apprécier son luxe, et ce, en dépit de la crise sanitaire.

Après Paris et Singapour, qui marquent ainsi le début d’une série d’expositions sur l’Orient-Express (coorganisées par Visionairs in Art, Orient-Express et l’Institut du Monde Arabe), il reviendra à la Chine puis à Venise d’accueillir le « roi » de plus de 200 tonnes. Pour qui le voyage intérieur est préférable, bien des lectures sont disponibles, en particulier L’Orient-Express. Du voyage extraordinaire aux illusions perdues (avril 2021, 650 pages), riche anthologie de Blanche El Gammal mêlant récits littéraires, archives et essais.

Sans les câbles sous-marins, plus d’Internet : l’Europe est-elle prête ?

29 vendredi Oct 2021

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Internet repose sur les câbles sous-marins posés et entretenus par ces bateaux pour exister : 99 % des données mondiales y transitent. Korn Srirawan/Shutterstock

Auteur

  1. Serge BesangerProfesseur à l’ESCE International Business School, INSEEC U Research Center, INSEEC U.

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Oubliez les constellations de satellites, les centaines de lancements de SpaceX et les notions de « cloud » ou de sans-fil : tout cela tend à nous faire croire que nos smartphones, ordinateurs et autres machines sont liés les uns aux autres via l’espace. Or il n’en est rien : les satellites représentent à peine 1 % des échanges de données.

La raison est simple : ils coûtent beaucoup plus cher que les câbles et sont infiniment moins rapides. L’essentiel – près de 99 % du trafic total sur Internet – est assuré par les lignes sous-marines, véritable « colonne vertébrale » des télécommunications mondiales.

Il en existe plus de 420 dans le monde, totalisant 1,3 million de kilomètres, soit plus de trois fois la distance de la Terre à la Lune. Le record : 39 000 kilomètres de long pour le câble SEA-ME-WE 3, qui relie l’Asie du Sud-Est à l’Europe de l’Ouest en passant par la mer Rouge.

Un enjeu vital

On estime que plus de 10 000 milliards de dollars de transactions financières quotidiennes, soit quatre fois le PIB annuel de la France, transitent aujourd’hui par ces « autoroutes du fond des mers ». C’est notamment le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale, le SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications).

La sécurité de ces transactions est une question politique, économique et sociale. C’est un enjeu majeur qui a longtemps été ignoré.Avec 36 nouveaux câbles, l’année 2020 fut marquée par un nombre record de déploiements.

Or, l’extrême concentration géographique des câbles, notamment au niveau de leur point d’atterrissement (Marseille, Bretagne, Cornouailles…), les rend particulièrement vulnérables.

Une infrastructure très sensible

Ces infrastructures sont aujourd’hui aussi cruciales que les gazoducs et les oléoducs. Mais sont-elles aussi bien protégées ?

Les câbles sous-marins modernes utilisent la fibre optique pour transmettre les données à la vitesse de la lumière. Or, si à proximité immédiate du rivage les câbles sont généralement renforcés, le diamètre moyen d’un câble sous-marin n’est pas signifativement supérieur à celui d’un tuyau d’arrosage :Les câbles sous-marins, cibles de toutes les convoitises, France 24, 10 juin 2021.

Depuis plusieurs années, les grandes puissances se livrent une « guerre hybride », mi-ouverte mi-secrète, pour le contrôle de ces câbles. Alors que l’Europe se concentre de plus en plus sur les menaces de cybersécurité, l’investissement dans la sécurité et la résilience des infrastructures physiques qui sous-tendent ses communications avec le monde entier ne semble pas aujourd’hui une priorité.

Or, ne pas agir ne fera que rendre ces systèmes plus vulnérables à l’espionnage et aux perturbations qui coupent les flux de données et nuisent à la sécurité du continent.

On recense en moyenne chaque année plus d’une centaine de ruptures de câbles sous-marins, généralement causées par des bateaux de pêche traînant les ancres.

Coupe du câble sous-marin Kanawa reliant la Guyane à la Martinique. Orange

Il est difficile de mesurer les attaques intentionnelles, mais les mouvements de certains navires commencèrent à attirer l’attention dès 2014 : leur route suivait les câbles sous-marins de télécommunication.

Les premières attaques de l’ère moderne datent de 2017 : câbles Grande-Bretagne–USA, puis France–États-Unis, arrachés par les chalutiers d’une grande puissance coutumière de l’emploi de forces irrégulières lors de tensions internationales. Si ces attaques demeurent inconnues du grand public, elles n’en sont pas moins préoccupantes, et démontrent la capacité de puissances extérieures à couper l’Europe du reste du monde. On rappellera qu’en 2007, des pêcheurs vietnamiens ont coupé un câble sous-marin afin d’en récupérer les matériaux composites et de tenter de les revendre. Le Vietnam perdit ainsi près de 90 % de sa connectivité avec le reste du monde pendant une période de trois semaines. Une attaque de ce type est extrêmement facile à réaliser, y compris par des acteurs non étatiques.

Couper des câbles sous-marins, une pratique de guerre ancienne et éprouvée

Les récentes attaques subies par des câbles transportant le trafic voix et données entre l’Amérique du Nord et l’Europe donnent l’impression qu’il s’agit d’un fait nouveau. Or ce n’est pas le cas : la France et le Royaume-Uni ont déjà vécu cette expérience… aux mains des Allemands pendant la Première Guerre mondiale. Ces câbles faisaient partie du réseau mondial de télégraphie par câblogrammes.

De même, les États-Unis ont eux-mêmes coupé des câbles en temps de guerre comme moyen de perturber la capacité d’une puissance ennemie à commander et contrôler ses forces distantes.

Les premières attaques de ce type ont eu lieu en 1898, lors de la guerre hispano-américaine. Cette année-là, dans la baie de Manille (aux Philippines), l’USS Zafiro coupa le câble reliant Manille au continent asiatique afin d’isoler les Philippines du reste du monde, ainsi que le câble allant de Manille à la ville philippine de Capiz. D’autres attaques spectaculaires contre les câbles eurent lieu dans les Caraïbes, plongeant l’Espagne dans le noir quant à l’évolution du conflit à Porto Rico et à Cuba, ce qui contribua largement à la victoire finale des États-Unis.La coupure du câble de Cienfuegos durant la guerre hispano-américaine, le 11 mai 1898.

Sensible aux exploits, à l’époque très médiatisés, des « valorous seamen », le Congrès attribuera à ces marins 51 des 112 médailles d’honneur décernées au titre de la guerre hispano-américaine.

Les trois grandes causes de risque

De nos jours, trois tendances accélèrent les risques pour la sécurité et la résilience de ces câbles.

  • La première est le volume croissant des données circulant sur les câbles, ce qui incite les États tiers à espionner ou à perturber le trafic.
  • La seconde est l’intensité capitalistique croissante de ces installations, qui mènent à la création de consortiums internationaux impliquant jusqu’à des dizaines de propriétaires. Ces propriétaires sont distincts des entités qui fabriquent les composants des câbles et de celles qui posent les câbles le long du fond océanique. La multipropriété permet de baisser les coûts de manière substantielle, mais elle permet en même temps l’entrée dans ces consortiums d’acteurs étatiques qui pourraient utiliser leur influence pour perturber les flux de données, voire les interrompre dans un scénario de conflit.

À l’autre bout du spectre, les GAFAM ont aujourd’hui les capacités financières et techniques de faire construire leurs propres câbles. Ainsi le câble Dunant, qui relie la France aux États-Unis, appartient-il en totalité à Google.

Les géants chinois se sont également lancés dans une stratégie de conquête sous-marine : il en va ainsi du câble Peace, reliant la Chine à Marseille, propriété de la société Hengtong, considérée par le gouvernement chinois comme un modèle d’« intégration civilo-militaire ».

Une autre menace, l’espionnage, nécessite des sous-marins spécialement équipés, ou des submersibles opérant à partir de navires, capables d’intercepter, voire de modifier, les données transitant dans les câbles à fibres optiques sans les endommager. À ce jour, seuls la Chine, la Russie et les États-Unis disposent de tels moyens.Cyberguerre sous les mers, Géopolitis, 5 mars 2017.

Le point le plus vulnérable des câbles sous-marins est cependant l’endroit où ils atteignent la terre : les stations d’atterrissage. Ainsi, la commune de Lège-Cap-Ferret (33), en bordure du Porge où va être construit le local d’interface entre le câble franco-américain « Amitié », est-elle devenue ces derniers temps un véritable nid d’espions, selon des sources informées.

Mais la tendance la plus préoccupante est que de plus en plus de câblo-opérateurs utilisent des systèmes de gestion à distance pour leurs réseaux câblés. Les propriétaires de câbles les plébiscitent car ils leur permettent de faire des économies sur les coûts de personnel. Cependant, ces systèmes ont une sécurité médiocre, ce qui expose les câbles à des risques de cybersécurité.

Il est nécessaire de développer une force de sécurisation des câbles

Face aux menaces physiques pesant sur les câbles, le Japon et les États-Unis ont récemment lancé une série d’initiatives visant à sécuriser ces infrastructures.

Les programmes de l’Administration maritime américaine promeuvent le développement et le maintien d’une marine marchande « adéquate et suffisante, capable de servir en tant qu’auxiliaire naval et militaire en temps de guerre ou d’urgence nationale », à travers des dotations en fonds propres, CAPEX grants, aux chantiers navals privés construisant notamment des navires capables de réparer les câbles sous-marins.

Les câbliers sont généralement conçus autour de grandes cuves qui stockent la fibre optique puis la mettent en place. Pour une telle opération, ces navires ont besoin de puissance et d’agilité : leurs générateurs produisent jusqu’à 12 mégawatts d’électricité qui alimentent cinq hélices, permettant au bâtiment de se déplacer dans plusieurs dimensions.

Il existe aujourd’hui une quarantaine de câbliers dans le monde. La France en possèderait 9, dont un seul pour la maintenance de tous les câbles de l’Atlantique Nord jusqu’à la mer Baltique : le Pierre de Fermat, basé à Brest.

Ces navires sont capables d’appareiller en moins de 24 heures en cas de dommage détecté sur le câble. À bord, un équipage d’une soixantaine de marins dispose de drones sous-marins et d’autres instruments permettent la réparation. Ainsi le Pierre de Fermat a-t-il pu inspecter et réparer très rapidement le câble transatlantique endommagé par une puissance tierce, en 2017.

Mais qu’adviendrait-il en cas d’attaques multiples ? Ni la France, ni le Royaume-Uni ne disposent aujourd’hui des moyens nécessaires à la défense et à la réparation de ces câbles en cas d’attaques simultanées.

L’exécutif américain s’est récemment penché sur la question. Outre l’extension du SSGP, small shipyard grant program, il a encouragé l’Administration maritime à enrôler diverses associations émanant de la société civile, tel l’International Propeller Club, dans le cadre de programmes visant à minimiser ces menaces. L’idée est de créer une sorte de « milice des câbles sous-marins », capable d’intervenir rapidement en cas de crise. Le Propeller Club compte plus de 6 000 membres et a récemment obtenu une aide de 3,5 milliards de dollars destinée à l’industrie maritime dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

La France est le point d’entrée de la plupart des câbles reliant l’Europe au reste du monde.

Le coût pour les seules finances publiques françaises d’un programme de sécurité des câbles sous-marins serait cependant prohibitif, quand bien même la société civile y serait largement associée, sur le modèle américain.

De même, la création d’un « Airbus des câbles sous-marins » capable de rivaliser avec les GAFAM dont la part de marché pourrait passer de 5 % à 90 % en 6 ans, ne pourra à l’évidence devenir réalité qu’à condition que l’Europe en fasse un thème clé.

Dans un contexte d’accroissement des tensions internationales, la question de la création d’un programme européen modelé sur les programmes américain et japonais, visant à l’augmentation des opérations de dissuasion des attaques de ces infrastructures et au développement d’une capacité de construction et de réparation à la hauteur des enjeux, mérite d’être posée.

Les ressources éducatives libres, un enjeu d’avenir

28 jeudi Oct 2021

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  1. Julien JacqminAssociate professor in economics, Neoma Business School
Neoma Business School
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Le principe des ressources éducatives libres permet d’accélérer la diffusion des ressources pédagogiques. Ivan Samkov /Pexels, CC BY

Dans une économie fondée sur les connaissances, la création de nouveaux savoirs et leur diffusion vers le plus grand nombre jouent un rôle central. C’est l’objectif poursuivi par le mouvement Open Education qui œuvre au développement de ressources éducatives libres. Selon l’Unesco, ces ressources incluent les « matériaux d’enseignement, d’apprentissage ou de recherche appartenant au domaine public ou publiés avec une licence de propriété intellectuelle permettant leur utilisation, adaptation et distribution à titre gratuit ».

Usuellement, un enseignant créant un cours ou un manuel scolaire voit son œuvre originale protégée par le droit d’auteur qui en définit l’usage et la réutilisation. Grâce à cette protection de la propriété intellectuelle, la ressource pédagogique est rendue exclusive, c’est-à-dire qu’il est possible d’empêcher quelqu’un de l’utiliser, et que l’auteur dispose d’un monopole sur son droit d’exploitation.

Son accès en est de facto souvent payant. Qui plus est, sa reproduction, sa modification et sa diffusion par d’autres sont limitées, sauf autorisation explicite avec chaque utilisateur. Les ressources éducatives libres, elles, rendent la ressource pédagogique non exclusive et libre d’accès. Sa diffusion est également facilitée et les œuvres dérivées, modifiant le cours ou le manuel scolaire original, sont permises grâce aux licences de libre diffusion existantes.

Une palette de conditions

S’appuyant entre autres sur les universités ouvertes développées il y a une cinquantaine d’années dans les pays anglo-saxons où il n’y a pas de condition académique d’admission à l’enseignement proposé, le mouvement Open Education a vu ses pratiques bouleversées par l’émergence d’internet et des technologies de l’information et de la communication. Celles-ci réduisent à néant les coûts de reproduction et de diffusion. Par rapport à un manuel scolaire en format papier, un manuel en ligne peut être facilement recopié et diffusé au plus grand nombre en quelques clics, devenant ainsi un bien public global.

Pour les pouvoirs publics, comme la Commission Européenne ou les organisations internationales comme l’Unesco ou l’OCDE, les ressources éducatives libres ont un double intérêt :

  • premièrement, la gratuité et l’accessibilité offrent un accès quasi universel à de multiples connaissances qui peuvent être bénéfiques au développement socio-économique individuel et global. Un ordinateur avec une connexion Internet est suffisant pour accéder à un manuel scolaire appartenant au domaine public ou sous licence de diffusion libre.
  • deuxièmement, l’absence de contrainte concernant la modification pour l’adapter au contexte de l’apprentissage permet une plus grande personnalisation de l’expérience qui peut en améliorer la qualité. On pense, par exemple, à la traduction dans une langue comprise par l’apprenant d’un ouvrage originellement écrit dans une autre langue.

Plus récemment, les MOOC (« massive open online courses ») ont redonné un coup de projecteur aux ressources éducatives libres, même si l’ensemble de ces cours en ligne n’en sont pas. De multiples plates-formes comme EdX, Coursera ou FutureLearn proposent des formations en ligne sans prérequis nécessaires pour l’apprenant mais avec des contenus de moins en moins accessibles gratuitement

D’autres plates-formes, elles, s’inscrivent plus dans une dynamique d’ouverture des savoirs. C’est par exemple le cas de la plateforme FUN (France université numérique) qui laisse la possibilité aux enseignants créant les cours mis en ligne sur sa plate-forme de choisir comment ils veulent protéger leurs contenus pédagogiques, tout en promouvant l’utilisation de licences Creative Commons. Ces licences ont comme caractéristique principale qu’elles offrent un menu de plusieurs conditions permettant à l’auteur de gérer les modalités de circulation de son œuvre et de faire un choix parmi sept licences, allant de la plus restrictive à la plus ouverte en termes de réutilisation des contenus.

Soutiens publics

Cette liberté donne un cadre intéressant pour analyser la diffusion des ressources éducatives libres. Dans un récent article scientifique, intitulé « Why are some massive open online courses more open than others », nous utilisons cette information ainsi que diverses données concernant les cours mis en ligne sur FUN pour étudier les facteurs expliquant le choix d’une licence Creative Commons relativement plus ouverte par certains enseignants.

Nous observons que deux facteurs jouent un rôle prépondérant. Tout d’abord, les enseignants en science, technologie, ingénierie et mathématiques ou dans le secteur de la santé ont des pratiques plus ouvertes qu’en sciences humaines et sociales, en commerce ou droit. Nous expliquons cela par une sensibilité plus importante aux principes d’ouverture des savoirs, déjà plus courante dans leurs activités de recherche, et à une norme sociale plus forte les poussant à choisir une licence plus ouverte.

Ensuite, la plate-forme FUN offre la possibilité aux enseignants de faire payer les étudiants pour obtenir un certificat de réussite aux examens en lien au cours diffusé en ligne. Les enseignants choisissant cette option ont tendance à choisir une licence moins ouverte. Ce résultat peut s’expliquer par la volonté d’obtenir des recettes financières liées à cet investissement pédagogique mais indirectement seulement vu que l’accès au cours, lui, reste entièrement gratuit pour l’ensemble des cours proposés sur la plate-forme.

Cette recherche démontre que la démocratisation de l’enseignement supérieur ne peut pas se faire tout naturellement via les ressources éducatives libres. Pour favoriser leur développement et leur diffusion, diverses interventions publiques seront utiles.

Tout d’abord, des campagnes de sensibilisation aux ressources éducatives libres auprès des enseignants, surtout ceux de disciplines peu ouvertes, mais aussi auprès des étudiants doivent être mises en place. Ensuite, il semble important d’adapter le mode de financement de l’enseignement afin d’encourager financièrement les enseignants à adopter ce genre de pratiques.


Évitement fiscal, un enfer (parfois) pavé de bonnes intentions

27 mercredi Oct 2021

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  1. Simone de ColleAssociate Professor, Business Ethics & Strategy, IÉSEG School of Management
IESEG School of Management
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Début octobre, la publication des Pandora Papers ont, une fois de plus, choqué l’opinion en révélant que certaines personnes parmi les plus riches et les plus puissantes du monde, y compris des dirigeants de premier plan, ont utilisé des sociétés offshore et des paradis fiscaux pour cacher des richesses et éviter de payer des impôts à leurs électeurs.

Bien qu’il n’y ait rien de nouveau, après les révélations des Panama Papers de 2016 et des Paradise Papers de 2017, le scandale des Pandora Papers reste sans précédent par son ampleur (11,9 millions de documents et 2,94 To de données). Les révélations ont ainsi incité l’Union européenne (UE) à annoncer une nouvelle action législative pour lutter contre l’évitement fiscal des entreprises.

Si un cadre juridique plus cohérent et coordonné contribuera sans aucun doute à réduire les effets néfastes de l’évitement fiscal – qui est, par définition, l’exploitation des lacunes juridiques entre les systèmes, et s’oppose ainsi à l’évasion fiscale – la réforme législative est-elle tout ce dont nous avons besoin pour nous attaquer efficacement à ce problème ?

Pour répondre à cette question, il est important de comprendre qu’il existe des formes très différentes d’évitement fiscal. Elles impliquent de multiples acteurs (sociétés, contribuables, conseillers fiscaux, États), mais ont également des implications très différentes d’un point de vue éthique.

L’esprit de la loi

Dans un article de recherche publié en 2014, nous avions ainsi identifié trois formes d’évitement fiscal :

D’abord, les pratiques d’évitement fiscal induit par l’État désignent les modalités introduites par un État pour atteindre des objectifs socialement ou économiquement souhaitables pour ses citoyens.

C’est le cas, par exemple, des déductions fiscales pour les contributions aux œuvres de bienfaisance aux États-Unis (accessibles aux particuliers et aux entreprises), ou des réductions fiscales introduites dans l’Union européenne (UE) pour favoriser la transition écologique (par exemple, le Superbonus 110 en Italie ou encore le Crédit d’impôt transition énergétique, le CITE, en France) pour l’installation de panneaux solaires et d’autres travaux de rénovation énergétique des habitations.

En d’autres termes, il s’agit de pratiques qui réduisent effectivement le montant de l’impôt à payer selon des modalités encouragées par une politique publique spécifique. La décision de l’Irlande, à la fin des années 1990, d’abaisser son impôt national sur les sociétés de 40 % à 12,5 %, l’un des taux les plus bas de l’UE, est également une forme d’évitement induit par l’État, puisqu’elle visait à stimuler l’économie irlandaise en attirant des investissements étrangers.

Deuxième forme : L’évitement fiscal stratégique, qui comprend toutes les pratiques dans lesquelles la réduction d’impôt n’est qu’une des nombreuses dimensions d’une stratégie commerciale saine et transparente.

Il s’agit, par exemple, de la décision des entreprises de l’UE d’externaliser les centres d’appels des clients en Inde, où le coût de la main-d’œuvre est moins élevé. Ces pratiques ont une « substance économique » solide et sont transparentes, même si, dans certains cas, le transfert d’impôts qui en résulte peut ne pas être considéré comme conforme à l’intention du législateur.

Au niveau individuel, on peut citer le choix de nombreux joueurs de tennis professionnels, dont l’actuel numéro un mondial, le Serbe Novak Djokovic, de transférer leur résidence à Monaco, un pays où les résidents ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Le tennisman serbe Novak Djokovic disputant, à domicile, le tournoi de Monte-Carlo. Valery Hache/AFP

Étant donné que les joueurs de tennis professionnels passent facilement 40 semaines par an à voyager (travailler) dans le monde entier, il est difficile de nier que cette décision est à la fois transparente et liée au « modèle économique » de cette profession (en plus des conditions climatiques agréables de Monaco et des installations d’entraînement de première qualité).

Enfin, l’évasion fiscale toxique fait référence à tous les schémas et arrangements entrepris principalement ou exclusivement dans le but de réduire les impôts. Cette forme d’évitement fiscal tire parti d’interprétations littérales de la loi, de lacunes juridiques ou d’inadéquations entre les législations nationales, et comprend l’utilisation de structures artificielles, de transactions ou de stratégies dépourvues de substance économique, telles que la fixation de prix de transfert entre filiales cachés ou obscurs, ou la création de sociétés fictives (c’est-à-dire une société, généralement située dans des paradis fiscaux, sans actifs ni activités commerciales significatifs, qui sert simplement de moyen de minimisation de l’impôt).

La légalité de ces pratiques est souvent remise en question car elles contredisent l’esprit de la loi, c’est-à-dire le sens ou l’objectif profond de la législation. Un exemple célèbre d’évitement fiscal toxique est le système dit « Double Irish, Dutch Sandwich » (Double irlandais, sandwich hollandais), qui permet aux entreprises de déplacer leurs bénéfices vers des paradis fiscaux en créant des sociétés-écrans en Irlande et aux Pays-Bas – une pratique qui a permis à Google de transférer près de 20 milliards d’euros de bénéfices aux Bermudes en 2017

Cette décomposition des différentes formes d’évitement fiscal montre que les pratiques ne vont pas forcément réellement toutes à l’encontre de l’éthique de la même manière.

Une approche réglementaire insuffisante

Ainsi, l’évitement fiscal toxique est toujours contraire à l’éthique car il inclut des formes de tromperie, il viole le contrat social entre les entreprises et la société, et il menace les droits de l’homme. Le seul argument en faveur de l’évasion fiscale toxique est, en fait, un argument non éthique, fondé sur une vision réductrice des affaires en tant qu’activité « a-morale », selon laquelle tout ce qui est légal est également éthique.

À l’inverse, l’évitement induit par l’État présente deux arguments éthiques solides : premièrement, elle est, par nature, prosociale, puisqu’elle est conçue pour générer des résultats socialement souhaitables ; deuxièmement, ces pratiques respectent à la fois la lettre et l’esprit de la loi, puisqu’elles sont explicitement encouragées par la législation nationale.

Pourtant, cette forme prosociale d’évitement fiscal a un côté sombre : elle profite davantage aux plus riches de la société (citoyens riches, entreprises puissantes) et peut ainsi contribuer à accroître les inégalités sociales. En outre, l’introduction de dispositions fiscales favorables (par exemple, un faible impôt sur les sociétés) peut entraîner une concurrence fiscale dommageable entre les entreprises ainsi qu’entre les pays.

Enfin, les pratiques stratégiques d’évitement fiscal se situent davantage dans une zone grise. Leur principale justification éthique réside dans le fait que ces pratiques sont transparentes et liées à une stratégie commerciale saine, et peuvent être considérées comme génératrices de valeur pour toutes les parties prenantes de l’entreprise.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?dnt=false&embedId=twitter-widget-1&features=eyJ0ZndfZXhwZXJpbWVudHNfY29va2llX2V4cGlyYXRpb24iOnsiYnVja2V0IjoxMjA5NjAwLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X2hvcml6b25fdHdlZXRfZW1iZWRfOTU1NSI6eyJidWNrZXQiOiJodGUiLCJ2ZXJzaW9uIjpudWxsfSwidGZ3X3NwYWNlX2NhcmQiOnsiYnVja2V0Ijoib2ZmIiwidmVyc2lvbiI6bnVsbH19&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1447652955142901767&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fevitement-fiscal-un-enfer-parfois-pave-de-bonnes-intentions-170154&sessionId=d73a06230479c8d393dd96cbb8cec3b9a48c7d2d&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=f001879%3A1634581029404&width=550px

Cependant, ces pratiques stratégiques soulèvent d’autres préoccupations. Tout d’abord, la perception de paiements injustes de l’impôt sur les sociétés par des particuliers fortunés et des multinationales peut réduire le consentement à payer l’impôt) des autres contribuables (entrepreneurs et PME), sapant ainsi la culture de conformité au sein du pays et l’intégrité de son système fiscal. Deuxièmement, ces pratiques contribuent au transfert des bénéfices, réduisant ainsi les ressources fiscales du pays d’origine.

Compte tenu de la complexité des formes d’évitement fiscal décrites ci-dessus, des multiples questions éthiques qu’elles soulèvent et de l’imbrication des rôles joués par les entreprises, les particuliers et les gouvernements nationaux, il est peu probable qu’une approche uniquement réglementaire empêche une nouvelle boîte de Pandore de s’ouvrir dans quelques années.

Ce qu’il faut, c’est un accord multipartite, combinant des cadres volontaires et réglementaires, établissant des principes communs, des canaux de communication et un mécanisme de rapport externe, à l’instar de ce que nous voyons émerger dans le domaine de la durabilité et des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). En d’autres termes, nous avons besoin que toutes les parties prenantes reconnaissent que le paiement des impôts fait partie de leur responsabilité d’entreprise (et publique, et civique), et pas seulement une question de légalité.

Quand les séries historiques turques épousent la vision du pouvoir

26 mardi Oct 2021

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  1. Ludovica TuaDoctorante en co-tutelle à l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès, Aix-Marseille Université (AMU)
Aix-Marseille Université

Aix-Marseille Université apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

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Des pays du Moyen-Orient à ceux d’Amérique latine, en passant par les Balkans et l’Asie, les feuilletons turcs inondent les écrans de télévision. La production est variée : soap operas, thrillers… et, souvent, séries historiques.

Si celles-ci apparaissent au début des années 2000, il faut attendre 2011 pour assister à l’explosion des séries en costume traitant du passé impérial de la Turquie.

Le Siècle Magnifique (Muhteșem Yüzyıl), un feuilleton relatant l’époque du sultan Soliman (XVIe) et diffusé à partir de 2011, qui atteint en 2015 le chiffre record de 250 millions de spectateurs repartis à travers 70 pays différents, fait office de précurseur. Non seulement par sa large diffusion mais, aussi, par les réactions très contrastées que la série suscite – des réactions qui reflètent la vivacité des débats sur l’histoire turque et parmi lesquelles on distingue celles du pouvoir en place, soucieux de nourrir un récit historique très précis. Un peu plus tard, deux autres séries diffusées par la télévision publique donneront, elles, pleinement satisfaction à Recep Tayyip Erdoğan et à son parti, l’AKP.

Du Siècle Magnifique à Payitahth : Abdülhamid

Le Siècle Magnifique attire les critiques des franges nationalistes dans certains pays des Balkans (autrefois sous le joug ottoman), et, aussi, de la partie la plus conservatrice de la classe dirigeante et de la société civile turque. Des manifestations ont même lieu dans les rues d’Istanbul pour appeler au boycott. Alors Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan prend la parole pour condamner la diffusion de la série.

La raison de cet acharnement tient au fait que le scénario privilégie les intrigues du harem, orchestrées davantage par les personnages féminins, au lieu de l’histoire politique du sultan Soliman, présenté comme un homme faible, victime des femmes qui gravitent autour de lui et peu engagé dans les affaires militaires.

Critiquée par les conservateurs turques pour l’image qu’elle donne du sultan Soliman, Le Siècle Magnifique n’est connaît pas moins un immense succès en Turquie et à l’international. Star TV/Timur Savci

Néanmoins, Le Siècle Magnifique s’impose sur les écrans de nombreux pays du monde car elle s’inscrit dans un phénomène transnational de nostalgie du passé qui se manifeste, ailleurs, dans des séries en costume telles que The Tudors, The Borgia, Rome, Versailles, etc.

Consciente du succès de ces dernières, et en ayant en tête les profits de Le Siècle Magnifique (qui avait été diffusé sur deux chaînes privées), la chaîne publique turque TRT (Türkiye Radyo ve Televizyon) décide de diffuser deux séries historiques beaucoup plus conformes à la vision de la droite nationaliste, Diriliş : Ertuğrul (2014-2019) et Payitahth : Abdülhamid (2017-2021), les deux ayant entre 150 et 155 épisodes de deux heures et demie chacun (une longueur exorbitante aux yeux du public occidental, mais fréquente en Turquie), diffusés en prime time.

Le roman national fait série

Dirilis (Résurrection) porte sur la vie d’Ertuğrul, un personnage historique du XIIIe siècle qui n’a laissé que très peu de traces, mais qui est communément considéré comme le père d’Osman, le fondateur de la dynastie ottomane.Resurrection Ertugrul S1 Épisode 1, sous-titres anglais.

Payitaht… (Capitale), quant à elle, raconte l’histoire d’un sultan régnant au tournant du XXe siècle, à propos duquel les sources sont très controversées : si, d’après une large partie de l’historiographie européenne, Abdülhamid II est un despote, responsable des massacres des chrétiens de Bulgarie (1876) et des Arméniens (1894-1897), aux yeux de la droite musulmane turque il est une icône nationaliste, victime des conspirations et des entreprises expansionnistes d’une importante partie de l’Europe.

La particularité de ces séries tient principalement à deux facteurs. Il s’agit de deux grandes productions télévisuelles (en termes de longueur et d’investissements) qui, malgré le recours à des sources historiques lacunaires ou controversées, prétendent relater la « vraie histoire » de la Turquie et leur diffusion est largement appuyée par le gouvernement d’Ankara.

En témoigne le fait que Recep Tayiip Erdogan, devenu président en 2014, se rend sur le plateau de Diriliş… pour connaître la distribution. Par la suite, il ne manque pas d’affirmer que la série a « séduit le cœur de la nation » et qu’elle possède une grande valeur pédagogique et culturelle pour le peuple turc et étranger.

Un discours similaire est prononcé à propos de Payitaht…, une série que le président évoque en 2018 lors de la commémoration du centième anniversaire de la mort du sultan Abdülhamid et lors d’un congrès de son parti l’AKP (le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002) : Erdogan encourage son audience à regarder Payitaht… pour avoir une version véridique du passé et mieux comprendre qui sont, depuis des siècles, les ennemis du peuple turc.

En outre, les vidéos des campagnes électorales d’avril 2017 et de juin 2018, ainsi que la commémoration de la prise de Constantinople en 2016 organisée par l’AKP intègrent des références aux deux séries.

Dans un contexte médiatique de plus en plus politisé, le fait que Diriliş… et Payitaht… soient souvent évoquées au sein des discours de l’AKP et que leur scénario puise sans hésitation dans la rhétorique populiste et religieuse du parti, en fait les séries phares du gouvernement turc. En témoigne leur insistance sur l’importance de défendre à tout prix les communautés dont sont issus les deux héros Ertuğrul et Abdülhamid – une tribu nomade dans le cas du premier et un empire séculaire dans le cas du deuxième –, qui servent de métaphore pour la nation turque contemporaine.Les valeurs de l’État selon Payitaht : Abdülhamid.

En outre, la présence constante d’un ennemi interne (qui incarne la figure du traître, particulièrement exploitée dans la Turquie post-coup d’État) et externe, alimente la polarisation entre le « nous » et le « eux » typique des discours de l’AKP, alors que les nombreuses références à l’islam servent à revendiquer une supériorité spirituelle face aux ennemis non turcs ou non musulmans.

Des épouses et des filles discrètes

Dans Diriliş : Ertuğrul, les femmes sont vêtues de manière bien plus conforme aux mœurs des conservateurs turcs que dans Le Siècle Magnifique. TRT

La rhétorique pieuse se manifeste à travers le langage, qu’il s’agisse des invocations d’Allah ou des citations du Coran, à travers le tournage de longues scènes de prière pouvant durer jusqu’à quatre minutes et à travers les costumes : les personnages féminins musulmans ont toujours la tête voilée et des tenues qui s’éloignent beaucoup des robes moulantes et décolletées qui avaient fait autant scandale dans le Le Siècle Magnifique.

En outre, les scènes d’amour et de séduction sont chastes et moins récurrentes, le contact physique entre les amoureux est réduit à des caresses ou à des câlins et les baisers sur les lèvres et la nudité sont bannis.

Ertuğrul et Abdülhamid sont des modèles de dévotion religieuse, ainsi que des héros tout-puissants. Ils incarnent une masculinité basée sur la force physique et sur la résilience dans le cas du premier et sur la sagesse et l’habileté à inventer des stratagèmes pour défaire les ennemis dans le cas du second.

Dans Diriliş… et Payitaht…, les femmes sont reléguées à des rôles plus marginaux : les intrigues basées sur leur rivalité au sein du harem existent, mais elles ne sont pas prépondérantes et sont fréquemment éclipsées par les scènes politiques et militaires dominées par les hommes. En outre, les deux séries insistent sur l’importance, pour les femmes des héros, de la maternité et du mariage comme marqueurs de féminité ainsi que sur l’importance de savoir rester à sa place et d’éviter de se mêler des affaires politiques.« Tout comme la capitale est très importante pour l’État, les voiles de nos femmes sont tout aussi importants pour elles. ».

Et s’il arrive qu’une femme dépasse les bornes, un homme n’est jamais loin pour la remettre à sa place (même en la frappant dans le cas de Diriliş… – épisode 23), en lui rappelant que de telles attitudes sont une menace pour le salut de la communauté.

Ainsi, les deux séries alimentent un discours patriarcal qui intime aux femmes d’être des épouses et des filles discrètes, engagées dans des activités « typiquement » féminines (s’occuper du foyer ou du harem, les activités caritatives, la filature et le tissage) et conscientes de leur rôle au sein du couple et de la communauté.

Des séries inspirantes… pour le gouvernement

Malgré des scènes où l’on voit la mère d’Ertuğrul, Hayme, et l’épouse d’Abdülhamid, Bidar, tenir un rôle d’autorité suite à l’absence exceptionnelle, et très courte, du leader masculin, les personnages féminins arrivent rarement à s’imposer sur les hommes dans Diriliş… et Payitaht….

Les séries en costume turques ont été principalement étudiées en fonction de leur valeur historique et de leur rapport avec le gouvernement d’Ankara : néanmoins, les critiques déclenchées par la diffusion du Siècle Magnifique évoquées précédemment et la manière dont le masculin et le féminin sont articulés au sein des séries phare de l’AKP prouvent que les questions de genre sont un prisme d’analyse également valide pour en saisir les enjeux politiques et sociaux.

À la différence de séries turques plus récentes produites par Netflix (Atiye, Ethos, Fatma), qui se lancent, elles, dans la création d’héroïnes intrépides qui contestent le système patriarcal et de personnages masculins vulnérables, les séries historiques diffusées par la chaîne étatique accordent une place d’honneur à des hommes aux traits historiques discutables transformés en de véritables héros et porteurs d’un type de masculinité nationaliste et religieuse servant à inspirer les partisans du gouvernement.

Vos appareils électroniques sont-ils obsolètes de plus en plus rapidement ?

25 lundi Oct 2021

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  1. Delphine Billouard-FuentesProfesseur associé, EM Lyon
CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information

En 2019, l’ADEME soulignait que 88 % des Français changent de téléphone alors que le précédent est encore en état de marche et que seuls 15 % des téléphones sont collectés pour être recyclés.

La fabrication de dispositifs électroniques et leur remplacement rapide demandent beaucoup de ressources, notamment terres rares et ressources pétrolières. En effet, à l’heure même où l’on cherche à diminuer drastiquement son utilisation, le pétrole reste un matériau de base pour de nombreux produits de notre quotidien (plastiques, tissus synthétiques, films d’emballage notamment).

Ces produits représentent également une source de pollution importante : 80 % des déchets électroniques ne peuvent pas être recyclés et sont soit incinérés, soit enfouis.

Même si elle ne résout pas tous les problèmes liés à la surconsommation, la lutte contre l’obsolescence programmée permet de limiter l’utilisation extensive des ressources et la pollution, tout en permettant aux consommateurs de réaliser de substantielles économies.

Qu’est-ce que l’obsolescence programmée ?

L’obsolescence programmée est définie en France par l’article L441-2 du code de la consommation : « L’obsolescence programmée se définit par l’ensemble des techniques par lesquelles le metteur sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement ».

Cette obsolescence programmée peut revêtir de multiples facettes. L’obsolescence technique fait suite à une faiblesse matérielle délibérée qui rend le produit inutilisable. Elle peut se manifester sous la forme de la panne d’un composant essentiel, de l’utilisation de matériaux peu robustes ou encore en introduisant un dispositif limitant la durée de vie du produit. Par exemple, certaines imprimantes indiquent que les cartouches d’impression sont vides alors qu’il reste encore de l’encre.

L’obsolescence logicielle impacte les biens électroniques, principalement les smartphones, les tablettes et les ordinateurs. Certains appareils ne permettent plus l’installation des systèmes et logiciels les plus récents. Officiellement, ce blocage permet d’éviter l’installation d’un logiciel que l’appareil ne pourrait pas utiliser pleinement en raison de ses caractéristiques techniques.

A contrario, l’utilisateur se voit parfois imposer l’installation de la dernière version du système d’exploitation, celle-ci ralentissant considérablement le fonctionnement de l’appareil. L’entreprise Apple a été condamnée en France à 25 millions d’euros d’amende pour ce motif.


À lire aussi : La lutte pour une agriculture libre : bricoler et partager pour s’émanciper


Enfin, l’obsolescence programmée indirecte rend un produit inutilisable en raison de l’indisponibilité d’un produit ou d’un composant associé. Nous retrouvons dans cette catégorie l’impossibilité de trouver un chargeur de remplacement pour un produit électronique, l’incapacité de réparer un produit en raison de l’inexistence des pièces détachées nécessaires à sa réparation ou encore l’excessivité du prix de la réparation. C’est la raison pour laquelle l’Europe souhaite imposer l’utilisation de chargeurs universels pour les smartphones.

Deux autres catégories d’obsolescence viennent s’ajouter à celles-ci : l’obsolescence esthétique, qui ne repose pas sur une usure anticipée ou une impossibilité d’utiliser le produit, mais sur le recours à des techniques marketing pour créer un besoin de changement chez l’utilisateur. Le produit possédé apparaît alors comme dépassé, soit en raison de son esthétique, soit des fonctionnalités qu’il propose. Nous pouvons également citer ici l’obsolescence écologique, qui a vu le jour ces dernières années : certaines entreprises incitent les consommateurs à changer un produit en état de fonctionnement par un nouveau produit qui serait plus économe en énergie.

D’où vient ce concept ?

Officiellement, l’obsolescence programmée est apparue suite à la crise économique de 1929 : Bernard London, un courtier new-yorkais, propose, alors de déterminer une durée de vie pour les produits afin d’en faciliter le renouvellement. Il ne s’agit pas précisément d’obsolescence programmée, mais plutôt d’« obsolescence planifiée ». Dans cette vision, chaque produit doit avoir une durée de vie déterminée lors de sa fabrication, et les consommateurs ont l’obligation de ne plus utiliser ces produits passée cette limite, même si les produits peuvent encore techniquement être utilisés. Bien que cette proposition n’ait pas été mise en œuvre, elle a contribué à l’acceptation de l’obsolescence programmée, démontrant ses atouts économiques et sociaux – les enjeux environnementaux et ceux liés à la rareté de certaines ressources n’étaient alors pas d’actualité.

Le premier exemple d’obsolescence programmée date cependant d’avant la crise de 1929. En 1924, les principaux fabricants d’ampoules mondiaux se sont réunis secrètement, créant le premier cartel mondial. Les ampoules fabriquées jusqu’alors avaient une durée de vie importante, la durée moyenne de fonctionnement étant de 2500 heures (une ampoule fonctionne depuis 1901 dans la caserne de pompiers de Livermore en Californie). Cette longévité limitant les revenus de ces entreprises, la décision de plafonner la durée de fonctionnement à 1000 heures fut prise. Chaque entreprise du cartel se devait de respecter cet engagement, et des contrôles étaient réalisés dans les sites de fabrication pour vérifier sa bonne mise en œuvre.

Depuis cette époque, l’obsolescence programmée est omniprésente dans le monde économique, permettant de redynamiser des marchés saturés ou en voie de saturation.

Comment lutter contre l’obsolescence programmée ?

Plusieurs initiatives permettent de lutter contre l’obsolescence programmée.

Après la création d’un « Repair Café » à Amsterdam en 2009, des communautés d’utilisateurs se sont développées à travers l’Europe pour proposer des ateliers de réparation de produits défectueux ou des tutoriels. D’autres communautés permettent d’offrir une deuxième vie à des objets en leur trouvant un nouveau propriétaire, que ce soit en les vendant, par don ou par troc.

Les États se mobilisent aussi pour lutter contre ce phénomène. Ainsi, en France, depuis le 1er janvier 2021, les fabricants de certains produits doivent afficher un indice de réparabilité. Cet indice permet à l’acheteur de connaître les possibilités de réparation d’un produit lors de son achat.


À lire aussi : Dans la fabrique de « l’indice de réparabilité » en vigueur depuis janvier 2021


L’obsolescence logicielle représente un défi majeur. Une étude initiée par le Ministère de la Transition Écologique suggère d’imposer aux fabricants d’assurer les mises à jour pendant au moins 5 ans après la fabrication. En attendant que de telles initiatives aboutissent, les auteurs de cette étude recommandent de ne faire que les mises à jour indispensable à la sécurité pour les équipements électroniques anciens, car les mises à jour peuvent ralentir l’équipement concerné.

La législation française considère l’obsolescence programmée comme un délit Article 441-2 du Code de la consommation, mais la preuve de ce délit est presque impossible à établir. Une proposition de loi a été initiée le 7 avril 2021. Celle-ci propose d’étendre la durée minimale de garantie légale sur les biens matériels de 2 à 10 ans et de garantir la disponibilité des pièces détachées sur cette durée.

Si celle-ci est validée, elle représentera une avancée considérable pour lutter contre le phénomène d’obsolescence programmée.

Une prise de conscience des utilisateurs est également nécessaire. En effet, au-delà de la problématique d’obsolescence avec une panne empêchant totalement le fonctionnement de l’appareil, d’après une étude de l’ADEME, 88 % des téléphones portables remplacés chaque année fonctionnent encore.

Comment la constitution de la Vᵉ République a modelé la décolonisation

24 dimanche Oct 2021

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  1. Théo FournierDocteur en droit – Chercheur associé au centre Sorbonne Constitutions et Libertés (Paris 1), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Le général Charles de Gaulle prononce un discours à Brazzaville, le 24 août 1958, où il a admis la possibilité d'une accession à l'indépendance pour les pays africains.
Le général Charles de Gaulle prononce un discours à Brazzaville, le 24 août 1958, où il a admis la possibilité d’une accession à l’indépendance pour les pays africains. Intercontinentale/AFP

Le pardon officiel du président Macron aux harkis et l’annonce de l’adoption prochaine d’une loi de réparation marquent une étape importante dans le processus de réconciliation nationale de la France avec son passé colonial.

Le droit, et l’enseignement du droit, ont aussi leur rôle à jouer dans l’entreprise de décolonisation. En effet, une colonisation va de pair avec une domination légale, celle d’un système juridique et judiciaire pensé et appliqué pour maintenir un territoire et sa population sous le joug du colonisateur.

La domination légale se concrétise avant tout au niveau des droits personnels, comme ce fut le cas de la différence de statut entre le citoyen français de métropole et l’indigène – dépourvu de la plupart des droits civiques. Mais elle se concrétise aussi au niveau des institutions avec une organisation des relations de pouvoir entre la métropole et les colonies destinés à asseoir la domination de la première sur les secondes.

Ainsi une décolonisation est un processus de transition dite juridique. Il s’agit de débarrasser le système juridique du pays nouvellement indépendant des rapports juridiques qui le liaient à l’ancienne métropole. En France, cette transition juridique a été actée par la constitution de 1958. Si cette dernière marqua le début de la Ve République, elle fut surtout l’occasion pour les territoires d’Afrique francophone d’affirmer leur volonté d’indépendance.

Une constitution de décolonisation

Il est de bon ton, dans les facultés de droit et ailleurs, d’expliquer que la raison d’être de la constitution de 1958 repose dans l’instabilité gouvernementale de la IVe République. Cette dernière, et ses 22 gouvernements en 12 ans, était devenu dangereusement inefficace. Il fallait retrouver de la stabilité grâce à un président qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (article 5) et un gouvernement sans la menace constance d’une motion de censure du Parlement.

Rares sont cependant les étudiants à connaître l’objectif de décolonisation attaché à la constitution de 1958. En effet, ce point n’apparaît dans aucun des ouvrages de référence. De Gaulle, dans son discours du 4 septembre 1958 était pourtant clair : il fallait une nouvelle constitution pour

« qu’entre la nation française et ceux des territoires d’outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même ».

Un des objectifs principaux de la constitution de 1958 était donc de finir le processus de décolonisation amorcé par la IVe République. Cette dernière, en affirmant l’égalité des peuples dans son préambule, se devait de mettre en terme à l’impérialisme français.

Les étapes

L’apport principal de la constitution de 1946 fut de transformer l’Empire Français en Union française à la suite de quoi le Cambodge et le Laos en 1953, le Vietnam en 1954, la Tunisie et le Maroc en 1956 retrouvèrent leur indépendance. En dehors de ces pays, la majorité des anciennes colonies restèrent sous le statut de territoires d’outre-mer c’est-à-dire sous une tutelle encore très forte de la métropole qui décida notamment de leurs relations extérieures ou des modalités de représentation politique (Titre VIII, constitution de 1946).

La pierre angulaire du processus de décolonisation fut le référendum du 28 septembre 1958. Si en France, celui-ci servait à approuver la Ve République, pour les territoires d’outre-mer, il représentait la première étape vers l’indépendance. Un « non » signifiait un rejet de la constitution et un accès immédiat à l’indépendance. Seule la Guinée opta pour cette option. Si les territoires votaient oui, ils pouvaient choisir entre un maintien du statu quo, une assimilation en tant que département ou une élévation au rang d’État membre de la Communauté. Comme l’ancien article 86 de la constitution le précisait, un État membre pouvait devenir indépendant et cesser d’appartenir à la Communauté.

Entre novembre et décembre 1958, tous les territoires d’outre-mer, à l’exception de la Guinée, choisirent le régime de la Communauté, après avoir voté oui au référendum. En août 1960, le Bénin, le Burkina Faso, le Chad, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Niger proclamèrent leur indépendance. En juin ce fut le tour de Madagascar suivi de la Mauritanie en novembre. La procédure d’indépendance progressive prévue par la constitution de 1958 peut donc être considérée comme un succès.

Les étapes vers l’indépendance.

De l’indépendance à la dictature du parti unique

Ce fut cependant un bref succès. À l’exception de Madagascar, tous les États se dotèrent d’une nouvelle constitution quelques mois à peine après leur indépendance. Ces constitutions instaurèrent toutes un régime présidentiel fort, sur le modèle de la constitution de 1958 après l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Elles marquèrent le début des dictatures dites du parti unique qui sclérosent l’Afrique francophone depuis 1960.

Chronologie comparative – de l’inclusion à la Communauté à l’adoption d’une constitution autoritaire.

Une adoption si coordonnée de constitutions si similaires interroge forcément sur l’influence de l’ancienne métropole.

La reproduction d’un modèle autoritaire

Entre le oui au référendum et la déclaration d’indépendance, le régime de la Communauté s’appliquait. Or ce régime était caractérisé par une concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République, lui-même président de la Communauté (article 80). Par décision présidentielle du 9 février 1959, le français resta langue officielle, la Marseillaise demeura l’hymne des États, l’armée française pouvait y stationner. La France contrôlait de fait ces anciens territoires jusqu’à l’aune de leur indépendance.

En 1963, le professeur de droit public François Luchaire, décrivait le caractère autoritaire des pays d’Afrique francophone avec les mots suivants :

« Les États d’expression française n’ont pas eu l’impression de rompre avec l’exemple français ; bien au contraire, chacun a voulu donner à son chef d’État une autorité constitutionnelle comparable à l’autorité qui est celle du général de Gaulle en France ; parfois conseillés par des experts français, ils ont d’ailleurs utilisé les innovations contenues dans la constitution française avec les adaptations qui s’expliquent. »

Derrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique

23 samedi Oct 2021

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  1. Vincent SizaireMaître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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Drapeaux européen et polonais
Si l’exécutif polonais actuel estime que le droit national doit s’imposer au droit de l’UE, c’est parce que ce dernier l’empêche de prendre totalement le contrôle du pouvoir judiciaire. Kenzo Tribouillard/AFP

Alors que l’offensive du gouvernement polonais contre les structures de l’État de droit en général – et de l’indépendance de la Justice en particulier – se déroule depuis plusieurs années dans une relative indifférence médiatique, l’arrêt par lequel la Cour constitutionnelle de Varsovie a jugé que la Constitution nationale devait primer sur le droit européen aura subitement remis cette question sur le devant de la scène.

Il faut dire qu’une telle décision porte en germe la remise en cause du principe même de l’Union européenne : si l’on admet que la Constitution d’un État membre puisse faire échec à l’application du droit européen, c’est toute la pérennité de l’édifice commun qui est menacée. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge de longue date que la primauté du droit de l’Union s’impose à toute norme de droit interne, fût-elle de nature constitutionnelle. Une interprétation qui procède de l’économie générale de la construction européenne, fondée non sur une logique intergouvernementale mais bien sur une logique fédérale, dès lors que la législation commune est adoptée à la majorité des États.

Une posture partagée par la France

Si les gouvernements français et allemands ont très rapidement souhaité affirmer leur détermination à garantir la primauté du droit de l’Union européenne, la position de nos autorités est en réalité beaucoup plus ambiguë.

D’une part, certains responsables politiques français, à l’image de Michel Barnier, appellent ouvertement à désobéir aux règles européennes, notamment en matière de droit des étrangers. D’autre part et surtout, les plus hautes juridictions françaises défendent toujours une conception de la hiérarchie des normes équivalente à celle adoptée par leur homologue polonaise.La portée du droit de l’Union européenne, JurisMana, 6 novembre 2020.

Selon la formule consacrée, le Conseil d’État considère ainsi que « la suprématie conférée par l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Une telle interprétation fait logiquement primer les normes constitutionnelles sur les normes internationales ayant vocation à s’appliquer directement en droit interne. Elle est du reste partagée tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 21 avril 2021, le Conseil d’État s’est partiellement opposé à la reconnaissance de la décision de la CJUE encadrant rigoureusement la possibilité pour les États de recourir à la surveillance généralisée de nos échanges numériques, au motif qu’elle priverait de garanties certaines normes constitutionnelles. Passée presque inaperçue en France, cette solution a soulevé chez nos voisins des critiques acerbes, brocardée comme l’expression d’une volonté de « Frexit » ou même d’un « foyer d’infection » au sein de l’ordre juridique de l’UE.

Le rôle clé des Cours constitutionnelles des États membres

Toutefois, on ne saurait balayer d’un revers de la main la problématique soulevée par ces décisions comme l’expression d’un souverainisme suranné. En effet, la construction européenne comporte depuis l’origine une dimension proprement technocratique, qui fait parfois des institutions un moyen non d’associer, mais de contourner la souveraineté des États membres pour imposer des réformes économiques sans passer par la délibération démocratique. Une dynamique dont le droit communautaire constitue la cheville ouvrière, faisant de la CJUE l’instrument – pour reprendre la formule de l’ancien président de la Cour constitutionnelle allemande Dieter Grimm – d’une « hyperconstitutionnalisation » de politiques publiques qui devraient être laissées à l’appréciation des peuples.

C’est précisément pour compenser un tel « déficit démocratique » – pour reprendre la bien pudique formule consacrée – que, de longue date, la Cour constitutionnelle allemande (dite Cour de Karlsruhe) veille à la compatibilité des exigences de l’intégration européenne avec la loi fondamentale, en s’assurant que les droits et libertés que les citoyens tirent de la Constitution ne soient pas remis en cause par les règles de l’Union européenne.

Cette approche apparaît particulièrement cohérente d’un point de vue démocratique : comme le rappelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – dont l’article 2 énonce que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » –, la délégation consentie à nos représentants n’a d’autre objet que la garantie de nos libertés en société. C’est pourquoi les accords internationaux qu’ils adoptent en notre nom ne sauraient avoir pour effet d’en limiter la portée.

Contrairement à la décision de la Cour constitutionnelle polonaise ou à celle du Conseil d’État français, une telle approche ne s’oppose pas frontalement à l’idée d’intégration juridique européenne. Faut-il le rappeler, le traité instituant l’Union européenne énonce sans ambiguïté en son article 6 que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Dans une telle perspective, le rôle que peuvent jouer les juges constitutionnels nationaux en veillant à ce que la construction européenne se fasse en harmonie avec le plein respect des droits et libertés garantis par les Constitutions des différents États apparaît essentiel : il permet, avec d’autres leviers, de veiller à ce que la construction européenne tende effectivement au progrès démocratique de l’ensemble de ses membres.

Et si la démocratie sortait gagnante de cette séquence ?

Ce n’est malheureusement pas la pente suivie par les autorités polonaises qui, à l’image de la Hongrie, ne refusent l’application des exigences européennes que dans la mesure où elles contrarient leur entreprise d’amoindrissement des libertés publiques, à commencer par le droit de tout citoyen à une justice indépendante.

Mais, paradoxalement, la crise institutionnelle que nous traversons peut être l’occasion d’un nouvel élan de l’intégration politique des pays européens, en faisant du respect des structures de l’État de droit démocratique un élément central de l’appartenance à l’Union européenne. Dans un contexte de montée des autoritarismes et des replis identitaires, faire de l’Union un instrument concret du renforcement des libertés de tous ses citoyens constitue sans doute le meilleur moyen d’assurer sa pérennité.

Philharmonie à Paris, Confluences à Lyon… plus de transparence pour des renégociations qui peuvent coûter cher

22 vendredi Oct 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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  1. Stéphane SaussierChair professor, IAE Paris – Sorbonne Business School
IAE Paris – Sorbonne Business School
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

IAE Paris – Sorbonne Business School et Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne fournissent des financements en tant que membres adhérents de The Conversation FR.

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
Au fil des renégociations, la facture pour la réalisation de la Philharmonie de Paris a plus que doublé. Jean-Pierre Dalbéra / FlickR, CC BY-SA

Dans un rapport pour le Conseil d’analyse économique (CAE) daté d’avril 2015, nous nous interrogions, avec le prix « Nobel » d’économie Jean Tirole, sur les moyens de renforcer l’efficacité de la commande publique. Il nous semblait que la grande marge de manœuvre laissée aux parties contractantes pour renégocier leurs contrats et faire face aux événements imprévus devait s’accompagner d’une transparence accrue. Il s’agit par-là d’assurer un meilleur contrôle des dépenses de la commande publique en France, évaluées à 8 % du PIB en mai dernier par la ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher.

La commande publique peut être définie comme l’ensemble des contrats passés par les personnes publiques afin de satisfaire leurs besoins. Les contrats peuvent prendre différentes formes (des marchés publics ou des concessions essentiellement) et concernent la fourniture de biens, de services et/ou d’infrastructures.

Les directives qui s’appliquent en Europe depuis 2016 (2014/23/UE, 2014/24/UE, 2014/25/UE) vont bien dans le sens de davantage de transparence. En instaurant une obligation de publication d’information sur les modifications de contrats publics pendant leur exécution, ces directives permettent l’accès à de nouvelles données.

Elles ouvrent la voie à de nouvelles recherches, notamment sur l’influence de la crise du Covid-19 sur l’exécution des contrats. Une étude a été lancée il y a quelques semaines sur ces questions à l’Institut d’administration des entreprises Paris Sorbonne. Les tout premiers résultats sont présentés ici.

Dérapages réguliers

Depuis de nombreuses années, l’analyse économique insiste sur l’incomplétude de ces contrats. Cette approche, développée en particulier par deux prix « Nobel », l’Américain Oliver E. Williamson en 2009 et le Britannique Oliver D. Hart en 2016, permet d’expliquer la fréquence des renégociations de contrats publics. Incomplets, ils doivent souvent être adaptés au cours de leur exécution.

Différentes raisons peuvent être invoquées lors des discussions : ici des contrats mal conçus, là des événements imprévus, ailleurs des comportements opportunistes, de la corruption, ou encore un phénomène de malédiction du vainqueur (s’il a emporté la mise, c’est peut-être car il a surestimé les retombées qu’ils pouvaient obtenir). Elles entraînent souvent des surcoûts importants pour la partie publique.

61 millions d’euros devaient être engagés, les dépenses publiques pour le musée Confluences à Lyon ont finalement été de 330 millions d’euros. Yab.be, CC BY-SA

Quelques exemples de « dérapages » impressionnants paraissent régulièrement dans la presse. Parmi les cas d’écoles, on retrouve celui de La Philharmonie de Paris dont les travaux, chiffrés à 173 millions d’euros au lancement du projet en 2006, ont atteint un montant final de 386 millions d’euros. La construction du Musée des Confluences à Lyon reposait sur un programme de 61 millions d’euros, qui a ensuite frôlé les 330 millions d’euros.

Comme le notait un consultant en marchés publics en 2015 :

« On en est arrivé à un point tel que plus personne ne prend au sérieux l’estimation initiale des grands chantiers. »

Écarts significatifs entre pays européens

Pour la première fois, les directives européennes votées en 2014 et appliquées depuis 2016 s’intéressaient à la phase d’exécution des contrats et non plus seulement à leur passation.

Si une modification des contrats est autorisée, et ce dans une large mesure, ces textes obligent aussi les contractants publics à publier de l’information sur les évolutions décidées par les parties. En France, la transposition du droit européen oblige l’acheteur à publier un avis de modification du marché ou du contrat de concession au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), lorsque les contrats sont passés selon une procédure formalisée.

Le graphique ci-dessous reporte les modifications de contrats publics que l’on peut recenser dans la base Tenders electronic daily (TED), construite à partir du JOUE. Il fait état d’écarts importants entre pays de l’Union européenne.https://datawrapper.dwcdn.net/tHYE2/2/

Les chiffres suggèrent que certains pays seraient immuns aux renégociations contractuelles. Il semble cependant plus probable que ces pays ne jouent pas le jeu de la transmission d’informations sur ces dernières. Reste que des écarts significatifs apparaissent également entre les pays qui semblent bien transmettre l’information, par exemple entre la France et l’Allemagne.

Ces écarts peuvent s’expliquer par le nombre de contrats passés, par une surtransposition des directives européennes dans certains pays (avec des règles nationales qui imposeraient par exemple de publier de l’information sur toutes les renégociations contractuelles, même celles n’ayant aucun impact financier sur les contrats), par des caractéristiques conjoncturelles propres à certains pays, ou encore par des traditions différentes de rédaction et de renégociation des contrats.

Un effet déstabilisateur du Covid ?

Bien qu’imparfaites, ces données permettent de mener de premières analyses des modifications de contrats et de leurs conséquences financières en France, pays pour lequel la base semble bien renseignée. Depuis 2016, les modifications de contrats publics semblent de plus en plus nombreuses. Le faible nombre de renégociations enregistrées en 2016 et 2017 s’explique toutefois sans doute par une remontée d’information encore imparfaite.https://datawrapper.dwcdn.net/tYvvy/2/

Il est important de noter que la très grande majorité des modifications de contrats a entraîné des augmentations de la dépense publique. Elles restent pour la plupart contenues à des augmentations de moins de 20 % du montant des marchés. Néanmoins, certaines entraînent des hausses substantielles du montant des marchés, de plus de 50 %.https://datawrapper.dwcdn.net/1LkyZ/1/

Les données TED permettent aussi de comprendre plus en détail les raisons des renégociations. En effet, l’autorité publique doit fournir une justification, en quelques lignes, pour chaque modification.

Une analyse textuelle permet ainsi de mettre en évidence l’effet déstabilisateur de la crise du Covid-19. En France, plus de 25 % des contrats renégociés depuis décembre 2019 l’ont été à cause de la crise sanitaire, mais ce pourcentage monte à plus de 70 % pour le Royaume-Uni et reste a contrario très faible en Allemagne.https://datawrapper.dwcdn.net/phYTB/3/

De nouveau, ces écarts entre pays questionnent. Si l’on peut suspecter des erreurs méthodologiques, on peut également s’interroger sur les caractéristiques des contrats, sur la nature des relations contractuelles et sur le statut des renégociations dans ces différents pays.

Recherches à venir

Cette première étape vers plus de transparence est louable. Cependant, les données TED ne permettent pas d’avoir une vision claire du caractère conflictuel ou coopératif des modifications de contrats. Or, cette question est essentielle. Les modifications de contrats, même coûteuses, reflètent-elles la bonne relation de la relation contractuelle et la volonté des acteurs d’aller vers plus d’efficacité en adaptant le contrat à des situations nouvelles ? Ou les modifications sont-elles subies, résultant d’un manque de préparation du contrat ou de comportements opportunistes des acteurs ?

Afin d’en savoir plus sur le sujet, l’IAE de Paris-Sorbonne vient de lancer une étude par questionnaire auprès des acheteurs publics en Europe. Nous pensons que la crise du Covid-19 peut agir comme un révélateur de la qualité de la relation contractuelle qui lie les parties.

Ce type de choc exogène pousse, en outre, à s’interroger sur le caractère plus ou moins rigide et/ou flexible des contrats qui peut influencer leur capacité à s’adapter à des contingences non prévues au moment de leur signature.

Nous nous saisirons de ces questions, et nos travaux viseront à compléter ces toutes premières statistiques grâce à des données plus fines. Elles permettront de mieux comprendre les caractéristiques des renégociations contractuelles, facette primordiale de la commande publique.

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