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Archives Mensuelles: janvier 2022

« The Dig » : un été archéologique à Sutton Hoo

31 lundi Jan 2022

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  1. Anne LehoërffProfesseur des universités, chaire « Archéologie et patrimoine », CY Cergy Paris Université

Déclaration d’intérêts

Anne Lehoërff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

CY Cergy Paris Université apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

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Ralph Fiennes joue le rôle de Basil Brown, archéologue autodidacte qui fouilla le premier le bateau-tombe de Sutton Hoo. Allociné

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L’image de l’archéologue est souvent associée à celle, improbable et sympathique, d’Indiana Jones. Si la réalité est toute autre, il reste un intéressant personnage cinématographique. Simon Stone vient d’en faire la preuve avec brio en adaptant à l’écran le roman de John Preston, The Dig (La fouille), inspiré par une découverte archéologique extraordinaire bien réelle.

À partir d’une histoire vraie, il réalise un film – diffusé actuellement sur Netflix – dont la portée est presque philosophique autour de deux mots antinomiques qui forment un tout : la mort et la vie. L’archéologie tisse ici le lien entre les deux. The Dig est une parabole.

Au nom de la vie

Le film commence par des images de la campagne anglaise dans les chaudes lumières de l’été. Un homme traverse la rivière sur un bateau en emportant son vélo. Cette douceur est éphémère : nous sommes à l’été 1939 et la guerre est imminente. On se dit qu’un tel événement devrait occuper les esprits, qu’il n’y a rien de plus important à faire que de se préparer à combattre et gagner pour assurer l’avenir du monde.

Pourtant, à Sutton Hoo (Suffolk), Edith Pretty (1883-1942), une riche veuve, veut savoir ce qu’il y a sous les étranges buttes qui se trouvent sur les terres de son manoir. Elle contacte le musée local d’Ipswich comme le veut la loi, et engage un fouilleur (« excavator » en anglais dans le film qui se distingue d’« archaelogist », soulignant ainsi la distinction entre l’employé et le chercheur professionnel) qui travaille régulièrement pour le musée qui ne veut plus conduire de chantier avant la guerre.

C’est ainsi que Basil Brown (1888-1977) commence les fouilles à Sutton Hoo, en 1938 en réalité, 1939 n’étant que la deuxième campagne. La plus dramatique dans le contexte et la plus incroyable également. À ses côtés, Charles, le jeune fils d’Edith, est impatient de suivre tous les détails de l’opération.

Les personnages se mettent en place en même temps que le chantier. La mort les accompagne très rapidement : celle du défunt présent depuis des siècles dans la tombe, celle à laquelle échappe de justesse l’archéologue allant à sa rencontre dans la sépulture, celle qui emportera inéluctablement Edith condamnée par une maladie incurable, celle que les avions qui passent dans le ciel annoncent. Edith le dit : « nous creusons pour rencontrer les morts ». Plus tard dans le film, alors que l’histoire bascule, Basil Brown lui répond par une proposition différente qui donne tout son sens à l’archéologie, y compris – et a fortiori – alors que l’urgence semble ailleurs : « c’est la vie que nous mettons au jour. C’est pour cela que nous creusons ».

Basil Brown (au premier plan) et le lieutenant colonel J.K.D. Hutchison fouillant les vestiges du bateau du VIIᵉ découvert en 1939 à Sutton Hoo. Wikimedia

Un incroyable bateau

Bientôt, Basil Brown dégage une des extrémités du bateau, ou plutôt de son empreinte puisque le bois a disparu dans le sol acide. La découverte est assez extraordinaire pour que le monde académique vienne et prenne le relais, ne gardant Basil Brown que parce qu’Edith Pretty l’exige et qu’il finit par l’accepter.

L’homme est autodidacte, passionné d’astronomie et d’archéologie, sur le terrain depuis qu’il est enfant. Il finira sa carrière au musée d’Ipswich, mais durant l’été 1939 il ne fait guère le poids face à Stuart Piggott (1910-1996) qui fit une brillante carrière plutôt sur la période néolithique (–6000/–2200 pour l’Europe ; – 4000 en Grande-Bretagne), son épouse Peggy (1912-1994) qui se spécialisa sur le Néolithique et les âges des métaux (–2200/1er siècle de notre ère pour une partie de l’Angleterre), et surtout Charles Phillips (1901-1985) arrivant de Cambridge et qui prit la direction du chantier.

Les 27 mètres du bateau sont dégagés. Le 21 juillet, Peggy Piggott trouve les premiers fragments en or à l’emplacement probable du corps. Les hypothèses de Basil Brown sont confirmées, il s’agit d’une sépulture « anglo-saxonne » du début du VIIe siècle, antérieure aux Vikings. La fouille s’achève le 14 août et Edith Pretty décide de faire don de l’ensemble à l’Angleterre et choisit qu’il soit exposé au British Museum où il se trouve aujourd’hui.

Le casque découvert à Sutton Hoo, ici au British Museum.  Michael Wal/Wikimedia, CC BY

Une tombe exceptionnelle du début du VIIe siècle

Le tumulus 1 de Sutton Hoo, est le plus exceptionnel d’une nécropole comptant une quinzaine de monuments. C’est une tombe où avait été enterré un bateau, sur lequel une chambre funéraire avait été ajoutée accueillant un individu inhumé, le tout ensuite recouvert d’un tertre qui l’a préservé pendant des siècles. Le bois avait disparu, les ossements du défunt également.

Les dernières analyses attestent qu’un corps était bien présent, les pieds à l’est, la tête à l’ouest d’après la position des objets. Il s’agissait d’un homme de très haut rang social avec un très riche mobilier : un casque très particulier (de type spangenhelm), un bouclier, une épée en fer de 85 cm de long, une côte de maille, des lances, une hache, des textiles, trente-sept monnaies d’or et trois pièces blanches non frappées ainsi qu’un petit lingot d’or, des vaisselles à boire, une paire de cornes d’aurochs décorées de feuille d’argent, un plat en argent byzantin du règne de l’empereur Anastase 1er (491-518), du mobilier métallique de provenance méditerranéenne plus récente, de la parure métallique dite « cloisonnée » avec des grenats, etc. L’hypothèse la plus avancée, est que l’occupant serait le roi Rædwald, d’East-Anglie, le quatrième Bretwalda (mort vers 624) de la liste des sept rois anglo-saxon donnée par Bède le Vénérable (672-735 env.) en vieil anglais dans son Histoire ecclésiastique du peuple des Angles.


À lire aussi : Quand l’archéologie enquête sur l’origine de la violence organisée


Servir la connaissance

The Dig est un mélodrame qui peut se suffire à lui-même. Vu sous l’angle de l’archéologie, c’est un film riche d’enseignement. La tombe de Sutton Hoo est antérieure à l’arrivée des Vikings, qualifiée parfois de « Dark Ages » sur lesquels elle apporte une lumière. Elle constitue une sorte de « preuve » que les souverains de cette période étaient très riches, qu’ils échangeaient sur de longues distances, qu’il ne s’agissait pas de « brutes » sauvages et sanguinaires. Un thème récurrent – voire une obsession – dans toutes les histoires nationales : pouvoir prétendre que les populations « autochtones » (un concept flou sur la très longue durée) n’ont pas attendu l’arrivée d’autrui pour être « éduquées » (ou même « civilisées »).

Sutton Hoo joue donc un rôle déterminant dans la construction du mythe des origines (tardives là aussi au vu du temps long) de la Grande Bretagne. Basil Brown incarne quant à lui une époque révolue, celle des amateurs compétents, passionnés et instruits qui fouillaient selon des protocoles précis, et qui n’ont rien de commun avec les détectoristes actuels qui détruisent les contextes archéologiques pour n’y déterrer que du métal. En Grande-Bretagne, la loi ne rend pas illégale cette atteinte au patrimoine archéologique, même si le sujet commence à faire sérieusement débat. En France, l’utilisation de détecteurs de métaux est interdite à des fins de recherche et le Code du Patrimoine depuis juillet 2016 intègre (article L510-1) la notion de « contexte » dans la définition de l’archéologie.

On imagine le massacre qu’aurait pu être le dégagement de la tombe de Sutton Hoo par des chercheurs de trésor, des détectoristes : juste des kilos de métaux sous diverses formes, mais aussi des pièces très abîmées ignorées (le casque par exemple), aucun prélèvement permettant de retrouver la présence de tissus et, bien sûr, aucune trace de cet incroyable bateau. Les archéologues professionnels luttent contre ces pratiques pour que de telles catastrophes ne se produisent pas. Ils ne gagnent hélas pas tous les jours. Sutton Hoo est une magnifique découverte, The Dig un très beau film. L’archéologie en sort grandie et légitimée. Espérons qu’ensemble ils aideront à porter ce discours d’une impérieuse nécessité de l’archéologie (la vraie) dans son ensemble, qu’il s’agisse d’un site exceptionnel ou plus modeste car, chacun à leur manière, ils nourrissent la connaissance.

Quand l’archéologie raconte les grands faits et les petits gestes de notre histoire commune

30 dimanche Jan 2022

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  1. Valérie DelattreArchéo-anthropologue, INRAP, Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC)
  2. Dominique GarciaProfesseur d’Archéologie, Président de l’INRAP, Aix-Marseille Université (AMU)

Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC) et Aix-Marseille Université fournissent des financements en tant que membres adhérents de The Conversation FR.

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La Vénus de Renancourt, découverte à Amiens, datée de 23 000 ans. Stéphane Lancelot, Inrap., Author provided

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« Nous fouillons, c’est votre histoire » : ce slogan s’affiche avec audace sur nombre de palissades protégeant les chantiers archéologiques de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). En ville comme à la campagne, la collaboration entre aménageurs, urbanistes et archéologues se déploie sur le territoire depuis qu’en 1995, la convention européenne de Malte a énoncé les fondements de la protection juridique du patrimoine. C’est une histoire de France plurielle qui se révèle désormais au plus lointain que le récit des hommes puisse l’écrire, en exhumant les archives du sol.

Un frêle bras gauche

L’un des préambules de ce long récit est un frêle bras gauche, celui du jeune Néandertalien, vieux de 200 000 ans, récemment mis au jour en Seine-Maritime. Il est notre vestige fondateur. Quelques milliers de générations plus tard, d’une chronologie inégalement documentée, surgit dans la Somme la silhouette d’une femme ronde, hâtivement esquissée dans le calcaire il y a 23 000 ans avant notre ère. Ils sont, « en vrai » comme en image, les premiers ancrages d’une histoire partagée, bien avant la lecture improprement revisitée d’un royal baptême mérovingien : ces vieux « ancêtres » donnent l’impulsion et signent l’amplitude d’une narration commune.

Les os du bras gauche d’un pré-Néandertalien, daté de 200 000 ans, retrouvé sur le site de Tourville-la-Rivière, en Seine-Maritime, en regard d’un bras moderne. Denis Gliksman/Inrap, Author provided

Chaque parcelle de terre diagnostiquée, chaque hectare fouillé, chaque ancien humain étudié, au plus intime de ses os comme dans ses comportements, est le maillon, prestigieux ou très modeste, de cette longue chaîne d’histoires, de la grande comme de l’anecdotique, qui fabrique à mesure qu’elle la dévoile, la trame d’une mémoire vive. Forte de ses acquis, de quelques suppositions comme de ses certitudes, l’archéologie préventive s’invite à la table des débats contemporains, pour mieux déconstruire l’écueil des raccourcis, et pour relater la trame plurimillénaire, affranchie de toute propagande, d’un territoire en mouvement perpétuel. Le tempo des hommes et des femmes, des savoir-faire et des idées.

De grands mouvements de populations, des itinéraires singuliers et quelques invasions ont modelé une terre aux contours fluctuants. Bien plus que les habitats, chacun des morts a scandé les paysages en y imprégnant son attachement au sol : ainsi la commémoration monumentalisée du prince de Lavau, dans l’Aube, au Ve siècle avant notre ère, revendique-t-elle l’ostentation immuable des élites quand les tombes hâtives et dépouillées des esclaves, Gallo-Romains ou Ultramarins au XVIIIe siècle, renforcent l’invisibilité des pauvres. L’effacement des vulnérables et des sans-grade.

Le prince de Lavau, allongé sur son char, était accompagné d’un riche dépôt de vaisselle méditerranéenne. Denis Gliksman/Inrap, Author provided

Raconter les liens tissés entre les humains

Les données issues de la terre sont imparables et sans filtre. Matérielles et souvent fragmentées, elles savent aussi relater les liens tissés entre les humains ; elles révèlent l’acceptation, les soins et le partage. La solidarité, parfois ! Sans artifice, elles déroulent l’aventure des humbles et des mal lotis. Ceux qu’on a oubliés, éliminés, voire effacés du récit. Leur lecture fait sens avec nos débats contemporains, avec les questionnements d’un siècle aux ambitions inclusives et bienveillantes.

Cette archéologie raconte l’histoire de l’interminable et invisible cohorte d’infirmes, d’estropiés, de miséreux et de mendiants, que leur vulnérabilité ou leur handicap a rendu si dépendants et que leurs proches ont pris en charge, dans la dignité de la compensation. Au IIIe siècle avant notre ère, une vieille Gauloise a bénéficié d’un appareillage, ingénieux système de maintien et de transport, en métal, en cuir et rembourré de paille confortable. L’entraide, rudimentaire mais efficace, valide ici l’idée du « care » ancestral, espéré par les philosophes et les sociologues. La solidarité se déploie au bénéfice des non autonomes. Une recherche sociétale émerge peu à peu.

Cette archéologie interroge les inégalités sociales de ce temps d’avant, pas si lointain, où selon que l’on était riche ou miséreux, la terre consacrée n’ensevelissait pas toujours les morts dans une égale éternité. Ainsi sur les lieux d’inhumation des paroissiens du couvent des Jacobins, à Rennes, entre le XVe et le XVIIIe siècle, les autorités ecclésiastiques ont-elles inventorié et dispersé les morts selon leur statut socio-économique : aux plus pauvres le cimetière dépouillé des hôpitaux, aux plus riches le faste feutré des sols d’églises.

Partager une même terre

Pour le Moyen Âge, cette archéologie identifie même, avec aplomb, la présence, très ancienne, des « autres », les membres de ces communautés culturelles et religieuses, certes minoritaires, qui partagèrent, avec autant de sérénité que de fracas, une même terre d’accueil. Un rien suffit, parfois, comme ces trois sépultures du VIIIe siècle, dans les faubourgs de Nîmes, n’obéissant pas aux préconisations liturgiques en vigueur. Le rite, ici discordant, est largement déployé par ailleurs, dans la péninsule ibérique, en Sicile ou au Maghreb. L’analyse de leur ADN trace l’origine nord-africaine, sans doute berbère, de ces « étrangers » abrités dans un cimetière mixte et que des officiants ont su enterrer selon leurs propres rites mortuaires. Au milieu des tombes chrétiennes. Souvent diabolisée ou invisibilisée, la présence musulmane, si ténue dans les sources écrites, s’affirme ainsi avec force. Un nouveau chapitre, un maillon non négociable de la fabrique collective.

Une des trois tombes musulmanes du VIIᵉ siècle mises au jour à Nîmes. La position du corps, la tête orientée en direction de la Mecque et le dépôt direct dans une fosse sont des caractéristiques évoquant des pratiques funéraires musulmanes. Patrice Pliskine/Inrap, Author provided

Cette archéologie de l’altérité contextualise aussi l’implantation ancienne des juifs en France, leur vie souvent paisible avec les chrétiens, inscrite jusque dans la juxtaposition des édifices de culte et des lieux de vie. Les inscriptions hébraïques d’un monument de Rouen au XIIe siècle, le mikvé (bain rituel) de Montpellier au XIIIe siècle ou le cimetière juif de Châteauroux des XIIe-XIVe siècles sont autant de traits d’union, d’épisodes pacifiques, patiemment fondés sur la complexité des origines communes que la tragédie des expulsions royales des XIIe, XIVe et XVIe siècles a abîmés.

5Creusées dans un substrat calcaire, ces tombes du cimetière juif de Châteauroux datent des XIᵉ-XIVᵉ siècles. Philippe Blanchard/Inrap, Author provided

Parfois, nul besoin d’étudier un squelette pour célébrer le vivant. Un petit récipient de cuivre, maintes fois rafistolé, bouleverse et révolte : c’est la volonté farouche, l’instinct de survie des esclaves malgaches abandonnés, toute honte bue par l’équipage d’un bateau de la Compagnie française des Indes orientales sur l’îlot de Tromelin, dans l’océan indien, à la fin du XVIIIe siècle, qui jaillit (FIG.6). Sans les fards trompeurs de la dissimulation officielle.

La matérialité de l’archéologie assume les grands faits et révèle les petits gestes. Les élans dignes comme les pires compromissions. Elle restitue l’authenticité du rapport à l’autre. On répète souvent que l’archéologue feuillette un livre dont il arrache les pages sitôt lues. C’est une encyclopédie à ciel ouvert, sans subjectivité ni appropriation culturelle, qui sait contourner les pièges nauséabonds de l’instrumentalisation pour parler à chacun d’entre nous, de chacun d’entre nous. De nos diversités, nos zones d’ombre, nos vulnérabilités et nos différences. Cet ouvrage aux pages mouvantes n’occulte aucun chapitre, aucun paragraphe délaissé et transmet les données dans la crudité d’un demi-oubli.

Récipient en cuivre fabriqué sur l’île de Tromelin par les naufragés après le départ des Français le 27 septembre 1761. Il porte de nombreuses réparations rivetées. Max Guérout/GRAN, Author provided

L’archéologie, inlassablement pratiquée sur le territoire, grâce aux lois patrimoniales et à l’engagement des chercheurs, fabrique une France, jamais racornie, qui relie chaque homme et chaque femme, d’où qu’ils viennent, quoiqu’ils fassent et pensent, en déroulant mille et un détours, au si lointain bras gauche du jeune Néandertalien de Normandie.

Comment la Russie peut attaquer l’Ukraine et comment Kiev peut résister

29 samedi Jan 2022

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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  1. Julien ThéronLecturer, Conflict and Security Studies, Sciences Po

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Des soldats ukrainiens patrouillent à proximité de la ligne de front avec la République autoproclamée de Donetsk. Le panneau annonce que le champ est miné. Anatolii Stepanov/AFP
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Les graphies officielles des noms utilisés dans cet article sont, en langue ukrainienne : Kyiv (Kiev), Donbas (Donbass) et Kharkiv (Kharkov).


Quel que soit le cadre, les pourparlers entre la Russie et les Occidentaux ont échoué. Moscou considère sa situation vis-à-vis de l’OTAN, qui serait pour la Russie une « question de vie et de mort », comme « intolérable ». L’acmé a été récemment atteint quand Vladimir Poutine en personne a allégué que la situation dans l’est de l’Ukraine « ressemble à un génocide », le Kremlin se disant prêt à réagir par des moyens « militaro-techniques ».

Le signal est on ne peut plus clair : après la Crimée et le Donbass, Moscou menace ouvertement de créer une troisième brèche dans la souveraineté territoriale de l’Ukraine. Et au-delà de l’Ukraine, la Russie vise l’Europe, l’OTAN et l’ordre international. La Russie bluffe-t-elle ou un conflit armé plus poussé est-il à craindre en Ukraine ? Quelles sont les chances de Kiev de résister à son puissant voisin ?

Actions non militaires

En Ukraine comme ailleurs, la désinformation a été déployée massivement par certains médias russophones afin de saper la stabilité, version modernisée de l’agitprop soviétique. Néanmoins, l’exposition du pays à la propagande russe a été passablement diminuée par huit ans de guerre. Et Kiev a pris des mesures avancées en interdisant plusieurs médias pro-russes sur son territoire.

Le Service de sécurité d’Ukraine a également révélé que plusieurs milliers de cyberattaques ont été conduites depuis la Crimée occupée depuis 2014. À la mi-janvier, une nouvelle opération d’envergure a provoqué une réaction inquiète de Kiev. Le message affiché sur les sites de nombreuses institutions ukrainiennes, qui appelait les Ukrainiens à « avoir peur et s’attendre au pire » prétendait venir de Pologne – un des plus vifs soutiens de l’Ukraine – mais Kiev a indiqué que la Russie était en réalité responsable l’attaque.

Dans le contexte des débats sur la sécurité énergétique européenne, Moscou joue également sur l’approvisionnement en gaz, en défendant le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui est censé approvisionner l’Allemagne directement, en passant par la mer Baltique. Ce faisant, le Kremlin pourrait stopper son approvisionnement en énergie à l’Ukraine, déjà dépossédée de son charbon du Donbass, tout en la privant de l’équivalent de 4 % de son PIB de droits de transit.

Désinformation, cyberattaques et arme énergétique peuvent déstabiliser le gouvernement ukrainien en ciblant sa population. Mais le Kremlin ne peut guère revendiquer ces actions vis-à-vis de la société russe, surtout pour contrer un supposé génocide. Par son intransigeance diplomatique et ses menaces militaires répétées, le Kremlin s’est lui-même placé dans une position inextricable, où l’usage de la force apparaît comme le seul moyen de rester crédible.

Scénarios militaires

Moscou peut compter sur la mobilisation de capacités militaires conséquentes afin de pénétrer en profondeur le territoire ukrainien. Cependant, il est peu probable que la Russie puisse envahir l’ensemble de l’Ukraine et, a fortiori, qu’elle puisse le tenir, car elle ferait face à une farouche résistance armée. Une offensive militaire limitée pourrait cependant venir de plusieurs directions.

Est. La Russie pourrait aisément lancer une opération massive à partir de l’est, où elle soutient les milices du Donbass. La plupart de ses forces sont situées de ce côté-ci. Toutefois, les villes dont Moscou pourrait s’emparer, Kharkov et Dnipro, sont assez peuplées et peu enclines à se laisser occuper par une force étrangère. Il y a bien des espaces « vides » à l’est où la Russie pourrait avancer, mais ils recèlent un moindre intérêt stratégique.

Sud. Nommé Prichernomorie (territoires de la mer Noire), c’est sans nul doute l’espace le plus intéressant pour la Russie. Une intervention pourrait couper l’Ukraine de sa façade maritime et connecter les forces russes, du Donbass à la Transnistrie, une région de Moldavie de facto occupée par la Russie, à l’ouest de l’Ukraine. Moscou pourrait compter sur les troupes de l’Est et celles qui sont prépositionnées en Crimée. Les analystes indiquent en effet que la défense côtière à l’ouest de la péninsule est peu robuste. Toutefois, la Russie devrait impérativement occuper les villes méridionales de Marioupol, à l’est, et d’Odessa, à l’ouest. Ici aussi, la population résisterait probablement à une occupation russe.

Nord. Kiev, la capitale ukrainienne, n’est qu’à cent kilomètres de la frontière avec la Biélorussie. Dans une situation de facto de protectorat, Alexandre Loukachenko, l’autocrate qui s’accroche au pouvoir grâce au soutien de Moscou, a récemment déclaré que son pays « ne se tiendra pas à l’écart si la guerre éclate ». Cette semaine, la Russie a envoyé de nouvelles troupes en Biélorussie, à la frontière avec l’Ukraine.

Ouest. La direction peut-être la plus surprenante, d’où pourrait venir une nouvelle invasion de l’Ukraine. En effet, les États-Unis ont signalé que le Kremlin cherchait à monter une manipulation qui légitimerait une telle opération, et un théâtre de provocation serait la Transnistrie, cette région moldave où Moscou maintient des troupes depuis l’effondrement de l’empire soviétique.

L’Ukraine est-elle prête à résister ?

Depuis huit ans, Kiev a renforcé ses capacités. Si l’Ukraine est toujours clairement dans un rapport asymétrique avec la Russie, les efforts du gouvernement ont accru sa capacité à combattre. Des sources militaires estiment néanmoins à une semaine la possibilité pour l’armée régulière de défendre le territoire, qui serait incapable de tenir plus longtemps sans l’aide des Occidentaux. Ceux-ci se sont engagés à soutenir l’Ukraine en cas d’attaque, mais cela se traduirait très probablement par un soutien matériel et non par une intervention militaire directe.

Certains domaines souffrent d’une faiblesse certaine, comme la défense antiaérienne, mais les derniers développements ont incité l’Ukraine à accroître ses capacités de défense : elle a fait l’acquisition de drones turcs, ainsi que de missiles antichars récents fournis par les États-Unis et le Royaume-Uni, ou produits par l’Ukraine elle-même.

En soutien des troupes régulières, la Garde nationale, une sorte de gendarmerie, est un atout supplémentaire. En effet, renforcée par des investissements significatifs et des équipements avancés, elle pourrait sécuriser le territoire ukrainien à l’arrière, dans le cas d’infiltrations de parachutistes ou de forces spéciales.

Un autre type d’unités, les « bataillons de défense territoriale », établis par la Loi de résistance nationale entrée en vigueur au 1er janvier 2022, maillent l’ensemble du territoire. Dans ces unités de civils entraînées par l’armée, les citoyens apprennent comment conduire des tactiques de guérilla avec leurs propres armes contre des forces étrangères. Ces bataillons posent un sérieux défi à toute occupation.

Enfin, la population ukrainienne elle-même, profondément mobilisée en défense de la nation depuis la prise de la Crimée et la guerre dans le Donbass, a démontré une grande résilience. Un expert militaire à Kiev définit ce concept non comme de la passivité mais, au contraire, comme un comportement proactif. D’après un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev publié en décembre, 58 % des Ukrainiens et presque 13 % des Ukrainiennes se disent prêts à prendre les armes pour défendre le pays contre une invasion russe, et respectivement 17 % et 25 % de plus se déclarent prêts à résister d’autres manières. Du soutien matériel aux troupes à l’action directe, la société ukrainienne, traditionnellement autonome vis-à-vis de son propre gouvernement, est un sérieux atout pour mener une guerre de résistance.

Le nom de l’Amérique vient-il d’Amerigo Vespucci 

28 vendredi Jan 2022

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  1. Julien DesprezProfesseur agrégé, doctorant en histoire contemporaine, Université de Lorraine

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Allégorie du voyage d’Amerigo Vespucci vers les Amériques, Estampe, 1589. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle

Nous avons généralement appris à l’école que l’Amérique avait reçu son nom à la Renaissance, en hommage au navigateur florentin Amerigo Vespucci. Il est ainsi communément admis qu’un groupe d’érudits de Saint-Dié-des-Vosges, gravitant dans l’entourage du duc René II de Lorraine, aurait décidé en 1507 de forger le mot « America ». Ces savants humanistes, guidés par le chanoine Vautrin Lud, seraient partis du postulat que Vespucci avait été le premier à prendre conscience que les terres ouvertes à la connaissance des Européens à la fin du XVe siècle n’étaient pas une partie inconnue de l’Asie, mais un « Nouveau Monde ». Il convenait dès lors de nommer ces terres nouvelles.

Cette explication fait généralement consensus (tout en suscitant de nombreuses indignations) depuis la mort de Vespucci lui-même, alors que ce dernier n’a sans doute jamais eu conscience que son prénom avait été donné à une partie des terres nouvelles qu’il avait explorées à plusieurs reprises au tournant du XVIᵉ siècle.

Un mot qui fait débat

Pourtant, depuis le dernier tiers du XIXe siècle, certains auteurs ont cherché à prouver que la filiation supposée entre le prénom de Vespucci et la dénomination du Nouveau Monde n’était qu’une grossière confusion. Usant d’arguments très variés, et surtout de motivations diverses, ils ont redoublé d’efforts pour faire admettre à la communauté historienne internationale, mais aussi au grand public que le nom de l’Amérique avait une tout autre provenance que celle qui était le plus communément admise.

C’est en particulier au début des années 1890, dans le contexte particulier du quatrième centenaire du premier voyage de Christophe Colomb (1892-93) et de l’approche de l’Exposition universelle de Chicago (ou World Columbian Exposition), que la polémique autour de l’origine du nom de l’Amérique connaît un certain essor.

On note une effervescence intellectuelle autour du mot « Amérique ». Certaines théories sont échafaudées pour tenter de prouver que ce mot n’est pas d’origine européenne, mais qu’il aurait au contraire une provenance indigène. C’est en particulier Jules Marcou, un Jurassien résidant à Cambridge (Massachusetts), qui se fait pendant deux décennies le héraut de cette théorie, à travers ses ouvrages et ses articles.

Brillant géologue, ami intime de Louis Pasteur avec qui il a partagé les bancs du lycée, il est parti aux États-Unis en 1848, s’est marié avec la fille d’un riche américain en 1850, le mettant ainsi à l’abri des contingences matérielles et lui permettant de se consacrer exclusivement à ses recherches. Il est connu pour s’être fait beaucoup d’ennemis et avoir émis des théories très controversées dans de nombreux domaines.

Carte géologique des États-Unis et des possessions britanniques de l’Amérique du Nord, d’après Jules Marcou. Gallica/BnF

Sur la question spécifique du nom de l’Amérique, il cherche à prouver que ce nom proviendrait d’une chaîne de montagnes appelée Amerrique ou Amerriques, située entre le lac Nicaragua et la mer des Antilles. La région serait habitée par une tribu d’Indiens nommée Amerriques. En langue Maya, ce nom signifierait « le pays du vent », « le pays où le vent souffle toujours ». Ayant entendu ce nom lors de l’une de ses explorations, Vespucci (qui se serait prénommé en réalité Alberico), aurait alors choisi de modifier son prénom en hommage à ces contrées sauvages.

Ces remises en cause ont été fort discutées lors de la huitième session du Congrès des Américanistes en octobre 1890 à Paris. Les conclusions en furent sans appel, réfutant totalement les conclusions de Marcou et d’autres chercheurs. Ainsi, le géographe Lucien Gallois, spécialiste de la cartographie de la Renaissance et disciple de Paul Vidal de la Blache, considère que la théorie de Jules Marcou manque de solidité et ne peut être acceptée en l’état.

Un enjeu identitaire

Il faut dire que, pour les savants et politiques de l’ancien et du nouveau monde, l’enjeu est alors de taille. Il s’agit de savoir si l’Amérique a un nom de baptême d’origine européenne ou indigène. Si les théories de Marcou ont été réfutées assez facilement en raison de leur manque de solidité et du manque de preuves pour les étayer, cette polémique a montré qu’il existait alors un enjeu identitaire fort autour de la captation de ce nom. En effet, dans les années 1890, les États-Unis ont achevé de panser les plaies de la guerre de Sécession et sont en passe de devenir une grande puissance.

Déjà devenus la première puissance industrielle du monde, ils sont au seuil de devenir également un empire. La doctrine Monroe, élaborée en 1823, connaît alors une nouvelle lecture nationaliste, que l’on résume parfois par l’expression « l’Amérique aux Américains ». Les États-Unis ont, depuis leur indépendance, progressivement capté à leur profit le nom qui devrait normalement échoir au continent dans son ensemble, America.

Or, la question de savoir si ce nom est un toponyme originaire du Nouveau Monde ou bien s’il est un avatar dérivé du nom d’un obscur Florentin, considéré qui plus est comme un imposteur par des générations d’auteurs, est tout à fait centrale dans la construction de l’identité nationale états-unienne.

Théories en cascade

C’est pourquoi des médias américains et européens se font régulièrement l’écho, tout au long du XXe siècle, de nouvelles théories essayant de renouveler l’approche du sujet. Ainsi, en 1908, l’antiquaire de Bristol Alfred Hudd publie un article dans lequel il affirme que le nom de l’Amérique proviendrait en fait de Richard Ap Meyrick, sheriff de cette ville du sud-ouest de l’Angleterre au début du XVIe siècle et qui avait contribué financièrement aux voyages de Jean et Sébastien Cabot. Pour le remercier, ces derniers auraient décidé de donner son patronyme à l’étendue continentale sur laquelle ils avaient accosté. Cette théorie, qu’aucune étude historique sérieuse n’est venue valider, a pourtant été largement relayée depuis lors, en particulier au Royaume-Uni où l’idée que le nom de l’Amérique ait pu être originaire de Bristol s’avère séduisante.

En octobre 2019, c’est le Guardian qui publie dans son courrier des lecteurs une autre explication. Selon Colin Moffat, c’est bien Colomb qui est à l’origine du nom America. Au cours de son voyage en Islande en 1477-1478, il aurait entendu parler d’une terre nommée « Markland ». Pour convaincre les Rois Catholiques de financer son expédition, il leur aurait parlé de cette terre pleine de promesses en hispanisant son nom : ajoutant le préfixe A, puis remplaçant « land » par « -ia », « Markland » serait devenu « Amarkia », puis « America ». Peu de temps après cette explication aussi alternative qu’iconoclaste, le Guardian n’a pas tardé à publier un nouvel article contestant les propos de M. Moffat et redonnant à Vespucci la place qui est la sienne dans le panthéon des figures de l’ère des découvertes européennes.

Une telle polémique, qui pourrait prêter à sourire, montre que la question des origines du nom de l’Amérique demeure une histoire vivante et discutée, même si les arguments avancés par ceux qui rejettent la version la plus couramment admise sont rarement étayés par des preuves convaincantes. Depuis les travaux de Jules Marcou à la fin du XIXe siècle, et quelles que soient les motivations qui sous-tendent ces contestations, personne n’a jamais pu apporter la preuve irréfutable que Saint-Dié-des-Vosges ne pouvait pas réellement prétendre au statut de « marraine de l’Amérique », pour avoir abrité les travaux ayant abouti au « baptême » du Nouveau Monde en 1507.

Les jeunes, acteurs de la transition énergétique ?

27 jeudi Jan 2022

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  1. Elodie GentinaAssociate professor, marketing, IÉSEG School of Management

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La crise du Covid-19 vient jouer un rôle d’accélérateur dans le questionnement des jeunes sur leur façon de vivre. Shutterstock

Malgré l’impact de la pandémie de Covid-19, les questions concernant le réchauffement climatique et la durabilité environnementale restent les principales préoccupations des jeunes. Nombre de jeunes s’engagent pour le climat, comme le démontre leur mobilisation avant la COP26. Comme le prouve l’émergence de la figure de Greta Thuberg, ils font bouger les lignes. Pour autant, sont-ils plus radicaux que leurs aînés ? Quel regard portent-ils sur les générations précédentes ? Leur reprochent-ils d’avoir pillé les ressources naturelles, leur laissant une Terre malade ?


À lire aussi : En 2020, les « générations climat » haussent le ton


Les évaluations dont on dispose soulignent en tout cas que 65 % des 18-35 ans considèrent le changement climatique comme une urgence mondiale. Ce chiffre monte à 69 % chez les moins de 18 ans. Une enquête, menée en 2019 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, met en exergue que l’environnement est en tête des préoccupations chez les 18-30 ans (32 %), devant d’autres sujets, tels que l’immigration (19 %) et le chômage (17 %).

Le temps de l’urgence

Déjà dans les années 1965, les scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’épuisement des ressources de la terre. Le premier rapport scientifique alertant sur les enjeux du réchauffement climatique remonte à 1965. Alors pourquoi la mobilisation des jeunes sur les enjeux du réchauffement climatique n’intervient-elle qu’aujourd’hui ?

Il faut noter que la crise engendrée par la pandémie a résonné comme un choc d’incertitude et d’isolement à un moment de la vie censée correspondre à la prise d’autonomie vers l’âge adulte. Les jeunes ont ressenti un sentiment de frustration d’avoir perdu leurs « meilleures années » et la crise a contribué à la montée d’une « voix générationnelle », portée par des jeunes – adolescents, étudiants et diplômés – s’exprimant au travers de mouvements sociaux.


À lire aussi : « Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?


Jusqu’à consolider la position militante de cette génération, à l’image de Jamie Margolin qui a cofondé Zero Hour, un mouvement basé à Seattle pour coordonner les grèves scolaires pour le climat aux États-Unis. Ou encore à l’image de la militante suédoise Greta Thunberg devenue l’égérie de tout un mouvement de la jeunesse engagée contre le réchauffement de la planète, connue sous le nom de Fridays for Future.

Une marche pour le climat à Londres en 2019. Shutterstock

La crise du Covid-19 vient jouer un rôle d’accélérateur dans le questionnement des jeunes sur leur façon de vivre. Ils évoquent le besoin de se recentrer sur l’essentiel : leurs amis, leurs familles, leur santé mentale, la quête de sens et leurs nouvelles convictions politiques en particulier sur le climat.

Une perte de confiance

Face à la quatrième révolution numérique, notre époque vit une mutation radicale de son rapport au temps. Être jeune dans notre société contemporaine, c’est privilégier l’immédiateté, ce qui se traduit par un besoin d’obtenir très rapidement des réponses à ses préoccupations.

Cette logique entre en contradiction avec celle du système institutionnel qui, étant procédural, implique une temporalité plus longue. Cette différence peut donc affecter la capacité des jeunes à garder confiance et à s’engager dans les institutions. Selon l’étude menée auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans issus de 10 pays différents, 69 % d’entre eux estiment que les gouvernements mentent à propos des impacts de leurs actions. 63 % vont même jusqu’à ressentir de la trahison envers eux et les générations futures.

Les jeunes sont plus nombreux que leurs aînés à privilégier la marche, la bicyclette, les transports en commun. Shutterstock

Étant donné cette défiance, 81 % des jeunes tendent à suivre des scientifiques pour comprendre les évolutions de la société actuelle. C’est en particulier le cas pour les plus diplômés (91 % avec au moins un bac + 3), mais c’est également vérifié pour une plus large frange de la population des jeunes (69 % pour ceux qui ont un niveau de diplôme inférieur au bac).

Malgré tout, ils s’avouent perdus face aux sujets de la transition énergétique et disent manquer d’information (67 %) ou encore avoir du mal à se faire une opinion sur la gravité des conséquences du réchauffement climatique (67 %). Ces chiffres témoignent l’éco-anxiété ressentie par les jeunes, face à l’indifférence de leurs aînés et des décideurs économiques.


À lire aussi : L’éco-anxiété nous guette, et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle


Le concept d’éco-anxiété désigne l’angoisse de voir l’état du monde empirer face aux catastrophes climatiques à répétition. Une récente étude menée auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans issus de 10 pays différents a montré que 45 % des jeunes affirment que l’éco-anxieté affecte leur vie quotidienne. Et 59 % révèlent être extrêmement inquiets. Ces chiffres peuvent d’ailleurs expliquer pourquoi, face au dérèglement climatique et à un avenir incertain, quatre jeunes sur 10 hésitent à avoir des enfants.

Une génération Greta ou pas ?

Les jeunes se mobilisent en faveur de l’environnement. Par exemple, ils ont une pratique des transports plus écologiques que leurs aînés : d’après une étude CRÉDOC, ils sont plus nombreux à privilégier la marche, la bicyclette, les transports en commun ainsi que le covoiturage plutôt que la voiture (47 % pour les 15-17 ans contre 33 % pour le reste de la population). Ils sont aussi de grands consommateurs de seconde main – achat d’occasion, location, emprunt, revente, troc.


À lire aussi : Pourquoi la génération Z adore les friperies


Ils vont jusqu’à sensibiliser leurs parents à la protection de l’environnement et les influencer dans leurs gestes au quotidien. Informés par le biais de l’école, du collège, du lycée sur ces enjeux, les jeunes les partagent ensuite avec leurs parents, les encourageant à adopter des comportements plus écologiques. Les résultats d’une étude qualitative que j’ai menée auprès de 30 dyades parents-enfants en France a mis en exergue ce processus de socialisation écologique inversée.Bande-annonce du film « La Croisade » sorti fin 2021, fiction autour de cette socialisation inversée.

Si l’engagement des jeunes pour le climat semble une évidence, les travaux menés par le CRÉDOC révèlent une réalité plus nuancée. En effet, le consumérisme reste une réalité. Les jeunes sont moins nombreux à trier leurs déchets (64 % pour les 15-17 ans contre 80 % pour le reste de la population), à éteindre les appareils qui restent en veille (39 % contre 54 % pour le reste de la population) ou encore à choisir des produits avec peu d’emballage (26 % contre 41 % pour le reste de la population).

Les jeunes se trouvent au cœur d’un paradoxe : s’ils se tournent vers la seconde main, c’est aussi un moyen pour eux de se payer encore plus de produits des grandes marques fast-fashion qu’ils affectionnent tout particulièrement, telles que Boohoo, s’imposant comme le « Zara du Web » ou encore le géant chinois « Shein ».

Par conséquent, des incohérences dans le comportement des jeunes face à la protection de l’environnement demeurent. Néanmoins, leur intention reste positive et encourageante pour les années à venir. Reste à voir quel impact cette implication pourra avoir sur le long terme.

Covid-19 : à quoi aurait ressemblé l’économie française sans les mesures de soutien ?

26 mercredi Jan 2022

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  1. François LangotProfessor in Economics, Le Mans Université
  2. Fabien TripierProfesseur d’économie, Université Paris Dauphine – PSL

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Sans les dispositifs d’urgence, le niveau d’activité de 2019 n’aurait été retrouvé qu’un an plus tard. Loïc Venance / AFP

La France a connu une récession sans précédemment avec la crise du Covid-19 : une chute de 17 points de son PIB au creux de la crise (au troisième trimestre 2020). La vitesse de la sortie de crise est aussi inédite : en sept trimestres seulement, le PIB a renoué avec son niveau d’avant-crise.

Cette résilience exceptionnelle de l’économie française reste fortement liée aux mesures de soutien de l’activité prises par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire : sans elles, la baisse du PIB aurait été de 37 points de PIB, et le niveau de PIB d’avant-crise aurait été retrouvé après 13,5 trimestres, selon nos estimations réalisées pour le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap). La combinaison de la hausse des dépenses publiques à court terme, relayée par une baisse de la pression fiscale à moyen terme, explique cette dynamique.

Ces mesures exceptionnelles ont eu pour contrepartie d’accroître le ratio de dette sur PIB, celui-ci atteignant 115 %. Toutefois, notre analyse montre que si le gouvernement n’avait pas pris ces mesures, alors le ratio de dette aurait pu atteindre 145 % compte tenu de l’effondrement de l’activité.

Enfin, la programmation des dépenses publiques et des allègements fiscaux prévus dans le projet de loi de finance (PLF) 2022 met la France sur une trajectoire de croissance du PIB plus forte (1,65 %) que celle observée lors des deux quinquennats précédents (1,5 %).

Cette relative bonne santé de l’économie française en fin d’année 2021 doit cependant s’apprécier avec prudence, la situation sanitaire n’étant pas stabilisée. Il reste néanmoins utile d’évaluer l’efficacité des mesures déjà prises et d’en déduire les perspectives de l’économie française dans la période à venir.

Plus d’un an de gagné

La crise sanitaire s’est traduite sur le plan économique par une restriction inédite des échanges nationaux, tant sur le marché des biens et services que sur celui du travail, et des échanges internationaux. Les mesures exceptionnelles de politique économique ont alors été prises, modifiant la consommation publique (emploi, éducation, santé, culture…), l’investissement public (R&D, armement, bâtiments et d’infrastructures), et la fiscalité (taxation des entreprises et des ménages).

Graphique 1 : La crise du Covid-19 en l’absence des politiques macroéconomiques. Note : PIB réel par habitant observé (trait noir), prévu par le PLF 2022 (trait bleu) et simulé par le modèle CEPREMOD en l’absence des politiques macroéconomiques (trait rouge). Indice 100 en 2020 T1. PLF 2022 et calculs des auteurs

Le graphique 1 compare la trajectoire « réelle » de l’économie française (traits noirs et bleus) à un scénario où les mesures budgétaires et fiscales exceptionnelles prises par le gouvernement sont supprimées (trait rouge). Il montre comment ces politiques ont protégé l’économie française d’une crise qui aurait été encore plus ample.

Dans les deux cas, avec ou sans les politiques de soutien, le creux de l’activité économique se produit au troisième trimestre de 2020, à la suite du confinement de l’économie. La contraction observée est de – 17 % par rapport à la situation d’avant-crise, alors qu’en l’absence des mesures exceptionnelles, la chute de l’activité économique est estimée à – 37 %. Au plus fort de la crise, les politiques macroéconomiques auraient donc permis d’éviter des pertes de l’ordre de 20 points de pourcentage du PIB de 2019.

Sur les quatre années d’après-crise, les mesures ont permis d’éviter des pertes de PIB encore plus importantes. En effet, alors que le PIB observé a déjà quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise (il est un point de pourcentage en dessous), il se situerait à près de 10 points de pourcentage en dessous de son niveau d’avant crise sans ces mesures exceptionnelles. Sans ces politiques, le niveau d’activité de 2019 ne serait rejoint qu’au premier trimestre 2023, soit avec plus d’une année de retard (5,5 trimestres).

La hausse de la consommation publique explique l’essentiel des pertes évitées durant les deux premières années suivant la crise (à hauteur de 85 % sur la période 2020-2021), tandis que les allègements fiscaux jouent un rôle prépondérant pour les années suivantes (à hauteur de 85 % sur la période 2022-2023). L’investissement public expliquant le reste (de l’ordre de 15 %), de manière homogène sur l’ensemble de la période.

Une dette publique finalement contenue

Les politiques macroéconomiques de soutien à l’activité économique ont représenté une charge financière importante pour l’État dans un contexte de recettes fiscales limitées du fait du ralentissement de l’activité économique. Elles ont par conséquent conduit à d’importants déficits publics, faisant progresser le niveau de la dette publique.

Graphique 2 : évolution et simulation de la dette publique (en % du PIB) en l’absence des politiques macroéconomiques. Note : Dette au sens de Maastricht des administrations publiques en points de PIB observée (trait noir), prévue avant la crise du Covid-19 par le PLF 2019 (trait bleu) et simulée par le modèle Cepremod en l’absence des politiques macroéconomiques (trait rouge). Insee, PLF 2019 et calculs des auteurs

Renoncer à ces politiques de soutien aurait-il permis de limiter la progression de l’endettement public ? Le graphique 2 compare l’évolution observée de la dette publique à ce qu’elle aurait été sans les mesures exceptionnelles de soutien à l’activité.

La dette publique en pourcentage du PIB a augmenté de plus de 20 points durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, principalement du fait de la crise financière de 2008-2009. Pendant le quinquennat de François Hollande, elle a lentement progressé, alors que cette période ne connaissait aucune crise majeure (pendant cette période, la dette allemande est passée de 88 % à 70 % du PIB), pour se stabiliser autour du niveau de 100 % du PIB au début du quinquennat d’Emmanuel Macron.

La gestion de la crise du Covid-19 a augmenté ce ratio de 15 points de pourcentage amenant la dette publique à un niveau de 115 % du PIB à la fin de l’année 2021. Sans les mesures de soutien à l’économie, l’aggravation de la crise économique aurait conduit à une hausse encore plus forte du ratio de dette publique. Selon nos simulations, ce ratio aurait en effet atteint un niveau de 145 % du PIB dès le troisième trimestre de 2020 (cf. la courbe rouge du graphique 2).

Cet écart de 30 points du ratio d’endettement entre les deux scénarios s’explique par la plus grande ampleur et la plus forte persistance de la crise qui aurait alors eu lieu sans les mesures de soutien (voir ci-dessus). En conclusion, la politique du « quoi qu’il en coûte » semble avoir été une meilleure opération pour les finances publiques qu’une politique de « laissez-faire », encadrée par les critères de Maastricht.

Graphique 3 : évolution depuis 2007 et prévisions jusqu’en 2025 du PIB par tête en France. Note : PIB réel par habitant observé (trait plein noir) et prévu par le PLF 2002 (trait plein rouge) à partir de 2021 T4 (indice 100 en 2017 T2). Tendances du PIB réel par habitant de 1,2 % à partir des débuts des mandants de M. Sarkozy (tirets noirs), M. Hollande (tirets bleus) et de 1,35 % pour le début du mandat de M. Macron (tirets roses). PLF 2022 et calculs des auteurs

Le gouvernement a présenté ses politiques budgétaire et fiscale jusqu’en 2025 dans le PLF 2022. Sous l’hypothèse qu’il n’y aura pas de nouvelle vague épidémique, le graphique 3 montre que ces politiques ancrent la France sur un rythme de 1,35 % de croissance annuelle par tête (soit 1,65 % de croissance en ajoutant la croissance démographique). Cette croissance est donc plus élevée que lors des deux précédents quinquennats (croissance de 1,2 % par tête, soit 1,5 % en ajoutant la croissance démographique).

Au-delà de l’amortissement de la crise, la politique macroéconomique engagée, de par les réductions pérennes d’impôts et le soutien aux investissements publics, semble donc avoir des effets positifs à moyen terme sur le rythme de croissance.

Bioéthique : cœur de porc greffé sur un homme, quand les technologies abolissent les limites du vivant

25 mardi Jan 2022

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Auteur

  1. Emmanuel HirschProfesseur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay

Université Paris-Saclay apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.

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Au moment où il est tant question, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, de vaccins à ARN messager, la transplantation d’un cœur de porc sur un Américain âgé de 57 ans, le 7 janvier 2022 à l’École de médecine de l’Université du Maryland (États-Unis), éclaire d’autres champs de la recherche biomédicale.

Cette innovation scientifique chirurgicale est démonstrative d’une capacité d’intervention sur l’être humain qui, au-delà de la prouesse technologique, reconfigure les repères dans la relation interespèces, non seulement d’un point de physiologique, mais aussi dans une approche anthropologique.

Tentatives d’approches chirurgicales disruptives et spectaculaires

Quelques repères historiques permettent de mieux comprendre l’évolution des pratiques de greffes d’organes, dans une première phase à partir de donneurs vivants ou de cadavres.

  • Le 23 décembre 1954, Joseph Edward Murray réalise la première greffe de rein sur des jumeaux monozygotes (« vrais » jumeaux) au Brigham and Women’s Hospital de Boston (États-Unis). En 1990, le Prix Nobel de physiologie ou médecine lui sera attribué, notamment pour ses recherches ayant permis de développer les immunosuppresseurs, utilisés pour contrer le processus physiologique de rejet du greffon ;
  • En 1966, une greffe de pancréas est réalisée avec succès à Minneapolis ;
  • En 1967 Christiaan Barnard réalise à Cap Town (Afrique du Sud) la 1re greffe de cœur. La même année, à Denver (États-Unis) une greffe de foie permet une survie de 13 mois ;
  • En 2000, une double greffe de deux mains et avant-bras est réalisée à Lyon ;
  • En 2005, une étape supplémentaire est franchie, avec la greffe partielle d’un visage à Amiens (tant en ce qui concerne le bénéficie direct du receveur que les aspects d’ordre anthropologique, les controverses ont été vives).

Parallèlement à ces transplantations entre êtres humains, le recours à des organes animaux ou à des organes artificiels connaît également une phase expérimentale. En 1984, un enfant survit 21 jours avec un cœur de babouin ; le 19 juillet 2021 la 1re implantation commerciale d’un cœur artificiel a lieu en Italie ; en octobre 2021 la greffe d’un rein de porc génétiquement modifié est poursuivie pendant 3 jours sur une personne en état de mort cérébrale.

Ces tentatives d’approches chirurgicales disruptives et spectaculaires, visant à explorer les différentes voies du possible afin de repousser la fatalité d’un dysfonctionnent organique, ne pouvaient que susciter, par leur nature même, des dilemmes éthiques. Ces derniers s’ajoutent à la complexité de l’acte chirurgical, à partir des conditions du prélèvement jusqu’à celles de la réalisation de la greffe.

Des pratiques sujettes à controverses

La chirurgie de la greffe a notamment bénéficié des premiers acquis de la réanimation médicale intervenant « aux frontières de la vie », ainsi que des avancées en immunologie. Elle a de ce fait suscité nombre de controverses relatives à l’intervention du médecin en situation extrême et aux transgressions parfois assimilées à ce qu’il convenait de dénoncer comme de « l’acharnement thérapeutique ».

Dans les années 1970, la greffe d’organes a ainsi suscité à la fois espoirs et critiques. En cause, l’origine des greffons utilisés, prélevés sur des cadavres (le terme d’« état de mort encéphalique » semble aujourd’hui plus approprié). Sur la scène publique, cette innovation scientifique apparaissait alors, de par sa force symbolique, comme une forme de transgression anthropologique, voire d’enfreinte à la dignité humaine.

La loi n°76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes avait alors provoqué sur le moment de vives controverses qui se sont estompées à mesure que les techniques de la greffe se sont intégrées aux pratiques conventionnelles de la chirurgie (elle sera abrogée par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, revue dans la loi n°2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique).

Dans les temps pionniers de la greffe (les premières transplantations réussies datent des années 1950), on évoquait les risques de dérives dans l’exploitation du « corps pourvoyeur d’organes ». Un encadrement des pratiques a été prescrit dans le Code civil :

« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. »

De même, la non-patrimonialité du corps, l’anonymat et la gratuité se sont imposés dans les principes éthiques du don d’organes :

« Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. »

Ces réticences morales, notamment à l’encontre de la « commercialisation du vivant », se sont estompées à travers le temps. Elles ont toutefois bénéficié en 2005 de la création de l’Agence de la biomédecine (ABM), dont la rigueur est reconnue dans le suivi scientifique et éthique de la stratégie de la greffe d’organes et de tissus. Cette dernière fait l’objet, depuis l’année 2000, d’un plan national.

Au plan international, les risques inhérents au « trafic d’organes » » ou à des prélèvements qui seraient pratiqués sur les cadavres de condamnés à mort ont justifié la rédaction de la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humain (Convention de Compostelle, 25 mars 2015), ainsi que de l’intéressante proposition de loi visant à garantir le respect du don d’organes par nos partenaires non européens.

Dernière innovation témoignant d’évolutions dans l’acceptabilité sociétale des capacités d’interventions biomédicales notamment pour pallier la pénurie de greffons, la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 instaure le recours au « don croisé d’organes » :

« Le don croisé d’organes consiste pour un receveur potentiel à bénéficier du don d’une autre personne qui a exprimé l’intention de don et également placée dans une situation d’incompatibilité à l’égard de la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré en application du I, tandis que cette dernière bénéficie du don d’un autre donneur. Pour augmenter les possibilités d’appariement entre les donneurs et les receveurs engagés dans un don croisé et en substitution au prélèvement de l’un des donneurs vivants, il peut y avoir recours à un organe prélevé sur une personne décédée, dans les conditions fixées à l’article L. 1232-1. »

Le recours à l’animal et plus encore aux cellules souches pluripotentes induites (résultant de la transformation artificielle de cellules adultes, ces cellules « immatures » sont capables de redonner n’importe quelle sorte de cellules de l’organisme, ndlr) poserait en des termes différents l’approche éthique des technologies de la greffe d’organes et de tissus.

Ce que les technologies biomédicales rendent possible

Il pourrait être admis a priori que les technologies développées pour parvenir à la conception d’organes artificiels solliciteraient moins directement la réflexion éthique que les prélèvements sur cadavre ou à la suite de « l’humanisation » d’un animal (approche consistant, grâce à des techniques d’édition du génome, à rendre un organe animal « compatible » avec l’être humain, en éliminant notamment certains gènes produisant des molécules impliquées dans les mécanismes de rejet, ndlr).

Le débat mérite cependant d’être engagé tant du point de vue de nos représentations de l’intégrité humaine au regard de la « barrière des espèces », que de cette forme de solidarité inédite entre l’animal et l’être humain, solidarité qui est l’un des marqueurs moraux évoqués depuis les premiers prélèvements et dons d’organes entre humains à des fins thérapeutiques.

Les critères qui ont prévalu pour engager l’expérimentation de la greffe d’un cœur de porc en janvier 2022 sont l’absence de tout recours thérapeutique pour la personne bénéficiaire consentante, les avancées dans l’acquisition des savoirs relatifs aux xénotransplantations et le contexte de pénurie de greffons qui pourrait justifier, dans ce domaine aussi, des audaces qui ont souvent servi les avancées scientifiques. C’est notamment au titre de traitement compassionnel que la Food and Drug Administration (FDA) avait donné son accord à cette expérimentation.

Les xénotransplantations, continuité ou rupture ?

La question doit être posée : à quels enjeux nous confronte l’évolution des pratiques dans le champ de la greffe d’organes, jusqu’à ce recours aux organes d’animaux afin de pallier la pénurie de greffons humains ?

Si, depuis 1923, des laboratoires produisent de l’insuline à partir de pancréas de bœufs et de porcs, et que l’utilisation des valves cardiaques prélevées sur des porcs est de pratique courante, se situe-t-on dans la continuité de ces approches thérapeutiques ou en rupture ? S’il n’a jamais été anodin de bénéficier d’un organe prélevé sur un cadavre, qu’en est-il du cœur d’un animal, alors qu’est du reste attachée à cet organe une valeur symbolique spécifique ?

En décembre 2020, dans son Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques, L’Agence de la biomédecine a anticipé les évolutions actuelles :

« Avec la production des porcs spécifiques, la xénogreffe a sans doute franchi un cap et on observe aujourd’hui des survies de greffes porc/babouins pouvant aller jusqu’à 9 mois. Des chercheurs chinois ont affirmé être en capacité de passer à l’étape humaine si les autorités leur permettaient. Des essais cliniques avec utilisation de cellules porcines se profilent ainsi d’ores et déjà à court terme pour des îlots de Langerhans chez des patients diabétiques, ou en greffe de cornée. »

Dans ce document très argumenté, l’ABM constatait :

« En 1993 a émergé l’idée que la suppression chez le porc de la cible majeure (Gal) de la réponse par les anticorps humains permettrait de réduire le risque de rejet humoral. Dès 2002, des porcs appelés “Gal-KO” chez qui l’enzyme avait été invalidée ont vu le jour. Actuellement, une vingtaine de cibles antigéniques sont potentiellement modifiables sur une trentaine connue. »

Les évolutions intervenues en 2012 dans le champ de la génétique avec le développement de la technologie d’édition du génome CRISPR-Cas-9 se sont avérées déterminantes. En 2022, c’est en effet cette technique qui a permis à la fois d’intégrer au génome du porc six gènes humains favorisant la compatibilité immunitaire avec le receveur, et d’en supprimer trois. Cette modification organique du porc devrait prévenir tout risque de rejet, mais aussi de zoonose. Rappelons que dans les années 1990, les recherches relatives aux xénogreffes avaient été interrompues par l’émergence de la maladie de Creutzfeldt-Jacob dans un contexte de contaminations interespèces.

Mieux envisager l’éthique de nos interventions sur l’animal

En résonnance aux avancées technologiques dans les xénogreffes, on ne peut pas s’empêcher d’évoquer le débat relatif à la production de chimères interespèces autorisée dans la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (article 20) à des fins de recherche sur l’embryon. Comme si se diluait progressivement, à travers des reconfigurations génétiques, ce qui était distinctif de l’humain au regard de l’animal, et que, d’une certaine manière, se dévoilait une étrange proximité qui justifierait d’être mieux caractérisée.

Cette forme d’altérité pourrait du reste inciter à mieux envisager les règles d’une vigilance éthique dans nos interventions sur l’animal. Du point de vue de la singularité humaine et de ces solidarités interespèces qui émergent de l’innovation biomédicale, il me semble indispensable d’être davantage attentif aux réflexions philosophiques que développent les animalistes : l’actualité scientifique leur confère, en ces circonstances, une pertinence qui mérite notre attention.

Autre considérations d’ordre anthropologique, de même que bénéficier du greffon issu d’un cadavre ou d’un donneur apparenté n’est pas anodin, dans son Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques, l’ABM estime que :

« De nombreuses questions demandent encore à être résolues avant une éventuelle application à l’homme. Au plan psychologique et éthique notamment, une étude menée auprès d’une centaine de patients greffés ou en attente de greffe a permis d’émettre certaines hypothèses quant à l’acceptabilité psychique d’une xénogreffe. […] Trois profils différents se sont dégagés parmi les patients interrogés : ceux qui acceptent sans condition l’idée d’une xénogreffe (45 %), ceux qui la refusent radicalement (30 %) et les patients qui posent des conditions (25 %). »

Au-delà des effets d’annonce scientifique, il pourrait être justifié de créer les conditions d’un débat à ce propos au sein de la société, ainsi du reste qu’en ce qui concerne une autre évolution intervenue de manière pour le moins discrète dans les pratiques du prélèvement d’organes : celle du prélèvement d’organes après arrêt circulatoire suite à un arrêt des traitements, le protocole « Maastricht 3 ».

De la greffe d’organes à la conception d’organoïdes

Dernier élément à intégrer à nos réflexions, les innovations biomédicales relatives à la greffe concernent désormais la reconstruction d’organes à partir de cellules souches pluripotentes induites qui peuvent être ensemencées sur une matrice (comme ce fut le cas pour une bronche), mais également produire des organoïdes déjà expérimentés notamment dans l’approche des maladies rénales (les organoïdes sont de petites structures tridimensionnelles produites à partir de cellules souches pluripotentes induites, qui reproduisent en partie l’architecture d’un organe, ndlr).

Les enjeux et les promesses de la « médecine régénératrice » sont évoqués depuis une vingtaine d’année, avec aujourd’hui des perspectives et des réalisations de nature à bouleverser les technologies de la vie et du vivant tant du point de vue de nos concepts que de celui de nos représentations.

D’autres questions éthiques spécifiques sont suscitées par les greffes de tissus cérébraux ainsi que la création d’organoïdes de cerveaux humains. Promesse chirurgicale dont on ignore la destinée, en novembre 2017, le neurochirurgien italien Sergio Canavero annonçait publiquement l’imminence de l’expérimentation d’une greffe de tête pratiquée sur deux cadavres à la Harbin Medical University…

La réflexion bioéthique, on le constate, est confrontée à des innovations qui doivent être accompagnées de capacités d’innovations conceptuelles, à la fois en anticipation des évolutions et en accompagnement des équipes dans la mise en œuvre de leurs protocoles. Dans le cadre de son approche de la révision de la prochaine loi de bioéthique, le Parlement devrait favoriser avec l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et les instances éthiques nationales la concertation indispensable à l’acceptabilité d’innovations disruptives d’ordres à la fois technologue, anthropologique, éthique et sociétal. En 1986, déjà, le philosophe Georges Canguilhem nous interpellait :

Greffe d’un cœur de porc chez un patient : ce que pourraient changer les xénotransplantations

24 lundi Jan 2022

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  1. Patrick NatafProfesseur à l’’université de Paris, chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Bichat (AP-HP), Université de Paris

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Le 10 janvier 2022, un communiqué de presse de l’École de médecine de l’Université du Maryland (États-Unis) annonçait qu’un patient avait été opéré trois jours plus tôt pour recevoir un cœur de cochon génétiquement modifié. Âgé de 57 ans et atteint d’une pathologie cardiaque en phase terminale, David Bennett Sr n’était pas éligible à une greffe classique. Il est devenu le premier être humain dont la vie pourrait avoir été sauvée grâce à une « xénotransplantation », autrement dit par la greffe d’un organe provenant d’un être vivant appartenant à une autre espèce. Professeur à l’Université de Paris et chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Bichat (AP-HP), Patrick Nataf revient sur les implications de cette prouesse technologique.


The Conversation : En tant que chirurgien cardiaque, que vous inspire cette transplantation ? S’agit-il effectivement d’une prouesse médicale ?

Patrick Nataf : En matière de geste chirurgical, une telle opération diffère peu de celles que l’on met en œuvre régulièrement chez l’être humain. Tout chirurgien cardiaque qui pratique la transplantation sait greffer un cœur dans une autre poitrine. Que celui-ci provienne d’un autre être humain ou d’un cochon voire d’un primate n’est pas l’essentiel. Tant qu’il existe une compatibilité anatomique et morphologique, on peut techniquement transplanter l’organe.

La véritable prouesse n’est pas tant chirurgicale qu’immunologique. Quand on greffe un organe d’une espèce sur une autre, il est généralement immédiatement rejeté par le corps du receveur (son système immunitaire le reconnaît comme étranger et le détruit). Le problème n’est donc pas tant de réussir chirurgicalement la transplantation que d’éviter ce rejet hyperaigu.

C’est l’exploit auquel sont parvenus les spécialistes qui se sont occupés de ce patient. Ils ont pour cela utilisé un cœur provenant d’une lignée de cochon génétiquement modifiée produite par la société américaine Revivicor.

TC : Sait-on quelles ont été les modifications apportées pour obtenir ce cœur de cochon « humanisé » ?

PN : En consultant les informations communiquées par l’Université du Maryland, on apprend que le génome de l’animal a été modifié de plusieurs façons. Trois gènes ont été inactivés : ils codaient pour des enzymes impliquées dans la fabrication de sucres présents à la surface des cellules cardiaques (et impliquées dans les mécanismes de rejet). Par ailleurs, six gènes humains ont été insérés, en vue d’améliorer l’acceptation du greffon par le corps du patient.

Enfin, un dernier gène porcin a été inactivé, afin d’éviter une croissance trop importante du cœur de l’animal. Il faut savoir que chez l’être humain, le capital de cellules cardiaques est fixé dans l’enfance et n’augmente que très peu tout au long de l’existence. Durant la croissance les cellules cardiaques ne se multiplient que très modérément. Elles grossissent, surtout, et ce faisant donnent au cœur sa forme.

Les manipulations effectuées sur les cochons de Revivicor semblent avoir permis d’éviter le rejet hyperaigu. Reste maintenant à observer comment vont évoluer les choses. Après une greffe, il peut en effet se produire différents types de rejets : le rejet hyperaigu, qui est immédiat, le rejet aigu, qui survient une à plusieurs semaines après la transplantation, et le rejet chronique, qui survient plus de 6 mois (et parfois des années) après l’opération.

Dans le cas présent, il est encore trop tôt pour avoir des certitudes quant à ce qui va se passer ensuite. Le rejet interespèce a-t-il été uniquement retardé ? Définitivement évité ? Cette dernière éventualité est relativement peu probable : les modifications génétiques n’ont évidemment pas permis d’éliminer tous les motifs moléculaires qui, sur ce greffon d’origine animale, pourraient être perçus par le système immunitaire du patient comme « étranger », et donc mener à son élimination.

Les thérapeutiques immunosuppressives (médicaments destinés à éviter le rejet, en limitant voire supprimant la réponse immunitaire du patient) associées habituellement à la greffe devront être évaluées et adaptées à ce type de transplantation.

TC : Pourquoi les scientifiques ont-ils choisi le cochon plutôt, par exemple, qu’une espèce de primate ?

PN : Premièrement, parce qu’anatomiquement, le cœur du cochon ressemble beaucoup au cœur de l’être humain. Greffer cet organe ne pose pas vraiment de problème, car sa configuration est approximativement la même que celle de notre cœur. Deuxième point important : les cochons s’élèvent plus facilement que les primates, et ils ont des portées nombreuses, régulières. Enfin, c’est un animal qui grandit assez vite.

On peut donc obtenir rapidement des cœurs de différentes tailles, de volumes variés, adaptés aux morphologies des personnes que l’on doit opérer. Il s’agit là d’un atout majeur du cochon par rapport à d’autres animaux.

TC : Pourrait-on imaginer de greffer d’autres organes que le cœur ? À la fin de l’année dernière, des chirurgiens américains avaient par exemple greffé avec succès un rein de cochon génétiquement modifié sur un patient en état de mort cérébrale…

PN : Anatomiquement, on peut chirurgicalement envisager la greffe d’à peu près tous les organes. Cependant il faut souligner qu’il existe des formes de rejet spécifiques à chaque organe et que chaque organe a des fonctions différentes. De ce point de vue, la complexité immunologique et fonctionnelle n’est pas la même selon l’organe considéré. Ce peut être une des limites pour généraliser à tous les organes ce type de transplantation.

TC : Au-delà des rejets, existe-t-il d’autres risques potentiels ?

PN : On ne peut pas éliminer complètement le risque d’une contamination par un agent pathogène. Même si ces cochons sont élevés dans des laboratoires où les conditions sont strictement contrôlées, et que les cœurs utilisés sont censés être indemnes de tout agent pathogène, on ne peut pas affirmer que le risque est nul.

On pourrait par exemple imaginer que, même si les zoonoses (maladies se transmettant de l’animal à l’humain) que l’on connaît sont bien contrôlées, certaines maladies jusqu’ici non encore identifiées puissent se révéler après transplantation. Un peu comme ce qui s’est passé durant la crise de la vache folle pour les maladies à prions… Il faut d’ailleurs se souvenir que c’est cette crise sanitaire qui a mis un violent coup de frein à la recherche sur les xénotransplantations, qui, en matière de recherche, avait le vent en poupe dans notre pays jusqu’au début des années 1990.

TC : Pourquoi cette technologie a-t-elle été choisie pour ce patient ? N’y avait-il pas d’autre solution ?

PN : Le patient qui a reçu cette xénogreffe était maintenu en vie grâce à une assistance respiratoire extra-corporelle (extracorporeal membrane oxygenation – ECMO). En d’autres termes, son sang était pompé au moyen de canules puis mis en circulation après son passage dans une machine destinée à l’oxygéner. Les ECMO ne pouvant être utilisées que pendant un laps de temps limité, ce type de patient est prioritaire pour obtenir un greffon. Mais il n’est pas toujours possible de lui en procurer un, du fait de l’incapacité de trouver un greffon humain compatible morphologiquement ou immunologiquement, ou encore en raison d’une dégradation de son état général, avec des défaillances pouvant toucher d’autres organes. Dans ces conditions, il faut envisager d’autres solutions.https://www.nytimes.com/video/players/offsite/index.html?videoId=100000008154365

Le chirurgien peut alors choisir d’installer un ventricule artificiel, comme solution temporaire ou à titre définitif. Il peut aussi envisager la pose d’un cœur artificiel total, tel celui mis au point par l’entreprise française Carmat, en attendant une transplantation. Mais ce type d’appareillage n’est pas disponible pour toutes les morphologies de patients, et il ne peut pas être utilisé systématiquement, cela dépend du type de défaillance observée. Par ailleurs, la pose de ces dispositifs n’est pas sans danger.

Outre les aléas liés à la chirurgie ou à la défaillance de la machine, il existe aussi des risques d’infection (les ventricules, par exemple, sont alimentés par des câbles qui sortent par la peau, et ces points peuvent s’infecter). Enfin, la qualité de vie des patients s’en ressent : ils doivent vivre en permanence avec une machine reliée soit à une prise de courant, soit à des batteries externes, ce qui limite leur autonomie.

Les xénogreffes pourraient constituer des organes de transition, voire de remplacement définitif. Si elles devenaient un jour largement disponibles, cela permettrait peut-être de limiter l’impact de la pénurie à laquelle nous faisons face, malgré une législation aujourd’hui très en faveur du prélèvement d’organe en cas de décès. Chaque année, en France, environ 800 patients attendent une greffe du cœur, mais seuls 400 sont transplantés, faute de greffons. Dans le cas des autres organes, environ 20 000 patients sont en attente d’une transplantation (de foie, poumons, rein, etc.). Seuls 5000 d’entre eux en recevront une, tandis que 1500 décéderont faute de greffon.

TC : Mais quand bien même cette première chirurgicale se solderait par un succès, il ne s’agit pour l’instant que d’un premier essai. Cette technologie n’est pas près d’être démocratisée…

PN : Non. Mais surtout, les enjeux ne se limitent pas aux questions de disponibilité ou de faisabilité technique. Selon moi, le défi posé par les xénogreffes n’est pas seulement chirurgical, immunologique, ou infectieux. Il est avant tout éthique, psychologique et sociétal, et nécessite de prendre le temps de la réflexion.

Quel sera le niveau d’acceptation des xénogreffes par la population, les instances politiques, religieuses, les ONG, etc. ? Certes, on implante déjà en routine des valves cardiaques de porc pour remplacer celles, défectueuses, de certains patients. Mais annoncer à quelqu’un qu’on va lui greffer un cœur d’animal complet, en remplacement du sien, n’a probablement pas les mêmes implications psychologiques. Cela pourrait poser problème à certaines personnes. Et à l’heure où certains s’inquiètent de l’exploitation et de la souffrance des animaux, que penser de cette approche qui les instrumentalise ? Sans même parler du fait que ces animaux sont des organismes génétiquement modifiés, nécessitant de recourir à des technologies qui polarisent fortement les débats, elles aussi. Prendre le temps de se pencher sur toutes ces questions, importantes, est essentiel. Rappelons qu’à ses débuts, la transplantation cardiaque entre humains elle-même a été très décriée…

Mais au-delà de ces questions se pose aussi la place de la recherche française dans le paysage international. Aujourd’hui, dans le secteur des xénogreffes, et plus largement de la recherche sur la transplantation, la France est distancée par les États-Unis, la Chine, l’Allemagne ou le Japon, alors même que nos équipes de transplantation sont très performantes. Notre recherche doit rester compétitive. Pour cela, des investissements majeurs sont à prévoir afin de parvenir à regrouper toutes les compétences de haut niveau sur ce thème.

Une solution serait de créer un institut hospitalo-universitaire (IHU) spécialisé dans la transplantation multiorganes (labellisés par l’État, les IHU sont des pôles d’excellence visant à fédérer recherche, soin, formation et transfert de technologies dans le domaine biomédical. Il en existe 6 en France actuellement, ndlr). Nous travaillons actuellement sur le Campus Nord Parisien à la réalisation de ce projet, qui réunirait les médecins, chirurgiens, chercheurs de tout type, spécialistes des questions de transplantations et d’innovation dans ce domaine.

Comment recycle-t-on les panneaux solaires ?

23 dimanche Jan 2022

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  1. Serge BesangerProfesseur à l’ESCE International Business School, INSEEC U Research Center, OMNES Education

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Champ de panneaux solaires aux Etats-Unis. American Public Power Association/Unsplash, CC BY

L’installation par les particuliers et les professionnels d’un nombre grandissant de panneaux photovoltaïques sur le territoire répond à une exigence clef de la transition énergétique : développer de façon significative la production décentralisée d’électricité d’origine renouvelable. Mais cela s’accompagne également d’une quantité phénoménale de panneaux en fin de cycle de vie : près de 6 000 tonnes de panneaux vont devoir être recyclés en France en 2022, et 150 000 tonnes d’ici 2030 selon l’éco-organisme Soren.

Le scénario négaWatt22 de l’association à but non lucratif negawatt prévoit un essor important de la filière solaire photovoltaïque, que ce soit à travers de grandes centrales électriques au sol, d’installations plus petites sur des parkings ou des bâtiments, ou encore sur les maisons individuelles : jusqu’à 135 gigawatt de panneaux photovoltaïques seraient ainsi installés en 2050, selon ce scénario, pour une production proche de 150 terawatt-heure, correspondant à la consommation domestique des Français en 2022. Sur la période 2020-2050, plus de 6,8 millions de tonnes de panneaux photovoltaïques supplémentaires seront nécessaires à la réalisation de cette ambition au plan mondial.

Cependant, l’usure (notamment liée aux intempéries) génère une perte progressive de la capacité des panneaux à produire de l’électricité. Il est estimé que les panneaux perdent en moyenne 20 % d’efficacité au bout de 25 ans. La fin de vie est généralement laissée à l’appréciation du producteur d’électricité : en fonction de ses contraintes d’espace, de production et de rendement, celui-ci peut éventuellement juger nécessaire de remplacer les panneaux avant leur fin de vie, par des équipements plus performants. Si la durée de vie d’un panneau solaire est aujourd’hui de l’ordre de 25 à 30 ans en moyenne, sa durée moyenne d’utilisation évolue entre 15 et 20 ans seulement.

En ce qui concerne la France seule, les besoins en recyclage sont estimés à 150 000 tonnes d’ici 2030 par Soren, l’éco-organisme chargé du recyclage des panneaux solaires en France. Structurer la filière de recyclage des panneaux photovoltaïques constitue donc un enjeu industriel et environnemental crucial. Heureusement, contrairement à une idée reçue, on peut recycler un panneau à près de 99 %. On ne pousse cependant pas toujours le recyclage au maximum, parce que cela reviendrait trop cher. De ce fait, le “point mort” économique se situe aujourd’hui aux environs de 95 % de matériaux recyclés.

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L’enjeu de la structuration de la filière

L’Europe fixe depuis 2012 un objectif minimal de collecte de 65 % du poids moyen de tous les équipements électriques et électroniques mis sur le marché au cours des trois années précédentes dans l’État membre concerné. En France, les fabricants de panneaux photovoltaïques ont une obligation de collecte et de traitement imposée par le décret du 19 août 2014.

Le CERES, puis PVCycle-France devenu Soren, sont les éco-organismes à but non lucratif agréés par les pouvoirs publics dans le but d’organiser à la fois la collecte et le traitement des panneaux photovoltaïques défectueux ou en fin de vie. Ces éco-organismes collectent sans frais pour les détenteurs — particuliers et professionnels — tous les panneaux photovoltaïques usagés, quelles que soient leur technologie, leur marque ou encore l’année de leur mise sur le marché.

La filière de recyclage repose sur un réseau de 177 points d’apport volontaire, collectant à ce jour un peu plus de 300 tonnes par an. Ces équipements étaient jusque récemment recyclés en Belgique. Depuis 2018, ils sont pris en charge par l’usine Veolia de Rousset (Bouches-du-Rhône), qui retraite à ce stade un peu plus de 95 % des matériaux qui composent les panneaux.L’usine de Rousset est la seule en France à recycler les panneaux photovoltaïques.

Que peut-on valoriser dans un panneau ?

La valorisation des composants d’un panneau en fin de vie ne constitue qu’une faible part de la valeur du panneau d’origine, d’où le principe de l’écoparticipation, acquittée par le consommateur lors de l’achat du panneau.

À leur arrivée à l’usine de retraitement, les panneaux photovoltaïques sont débarrassés manuellement de leur cadre en aluminium, entièrement recyclable. Les modules photovoltaïques sont ensuite découpés en lamelles dans des broyeurs successifs. Ce premier tri est ensuite complété d’un traitement thermique, dans le but d’éliminer les plastiques encapsulant le panneau. Le tout est complété par un traitement chimique à la base de solvants.

Le premier matériau recyclé est le verre, matière recyclable à l’infini. Que la technologie repose sur du silicium cristallin (environ 95 % du marché) ou bien sur des « couches minces », la part du verre représente généralement environ 75 % d’un panneau solaire. Le verre est ensuite mélangé avec d’autres verres recyclés, à hauteur de 20 % environ, notamment à destination de l’industrie de la fibre de verre ou des isolants. Quant au silicium cristallin, il peut être utilisé dans de nouvelles cellules photovoltaïques ou bien servir d’agrégat dans des fours de fonte utilisés dans l’industrie métallurgique.

Ensuite, les métaux ferreux sont triés avec des aimants, et les non-ferreux sont extraits à l’aide d’un courant de Foucault. L’argent et le cuivre des électrodes partent ensuite dans les circuits de recyclage des ressources minérales.

Les polymères (comme l’éthylène-acétate de vinyle et le Tedlar) servent de combustible.

Le plastique, lui, est généralement brûlé. C’est aujourd’hui le principal élément non recyclé, aux côtés de l’antimoine et du tellurium, présents en trop petites quantités.

Si le verre et son cadre en aluminium sont majoritaires en termes de poids (jusqu’à 96 % du poids d’un module photovoltaïque), ils sont en revanche minoritaires en termes de valeur commerciale. L’argent, le cuivre, le silicium et l’indium sont en revanche des matériaux de valeur qui, lorsqu’ils sont bien valorisés, peuvent rapporter des sommes considérables. Dans le cas de l’argent, par exemple, on peut extraire jusqu’à 600 grammes de ce métal par tonne de panneaux solaires usagés, ce qui peut représenter jusqu’à 500 euros.

Garantir une récupération optimale des modules photovoltaïques

Aujourd’hui, l’unité de traitement des panneaux photovoltaïques de type silicium cristallin de Véolia à Rousset atteint un taux de recyclage proche de 95 %. Dans le secteur du recyclage des panneaux photovoltaïques, un tel chiffre constitue une excellente performance, notamment lorsqu’on le compare aux “produits blancs” tels les réfrigérateurs, congélateurs, sèche-linge, ou machines à laver, qui atteignent difficilement un taux de recyclage de leurs composants de 70 % dans le meilleur des cas. Cependant, problèmes et défis persistent.

L’un des problèmes auxquels se trouve aujourd’hui confrontée l’industrie est que les panneaux comportent de moins en moins de matériaux de haute valeur. L’argent, notamment, a tendance à disparaître, remplacé par le cuivre qui coûte 60 fois moins cher. De même, la réduction de la quantité de matériaux nécessaire à la fabrication d’un panneau constituant un élément clef de la compétitivité des fabricants, on peut s’attendre à ce que le verre, matériau peu coûteux, devienne de plus en plus prépondérant, aux dépens du silicium et des autres matériaux, de valeur supérieure.

Ceci signifie que le recyclage va coûter de plus en plus cher aux usines, et donc à l’utilisateur, à travers l’écotaxe. Cette écotaxe varie actuellement de 2 à 90 centimes d’euros par tranche de poids (de 1 à 50kg), en fonction du poids des panneaux.

Une des baies de panneaux solaires de l’ISS, avec la terre à l’arrière-plan
Les panneaux solaires qui approvisionnent la Station Spatiale Internationale aussi finiront par devoir être remplacés (et recyclés ?). NASA’s Marshall Space Flight Center/Flickr, CC BY

L’autre problème est l’impact environnemental des solvants utilisés lors du démantèlement des panneaux, ainsi que du brûlage des plastiques. Sa réduction demeure un enjeu majeur pour les acteurs du secteur. En effet, bien que l’incinération soit encadrée par la réglementation, elle émet toutefois des polluants dans l’air, certes normés, mais pas à « zéro ».

Les acteurs du recyclage sont également confrontés à la question des effluents. Si la transformation du film plastique en EVA que l’on retrouve à l’intérieur du panneau en granulés est d’ores et déjà réalisable techniquement, il demeure en revanche plus économique de le brûler.

À l’avenir, seul le CO2 supercritique permettra de séparer efficacement les différentes couches des modules. Si son impact environnemental est nul, sa viabilité économique reste cependant à démontrer.

Malgré les incertitudes, et compte tenu des hypothèses de développement de la filière, de nouvelles technologies ainsi que des unités locales de traitement sont à l’étude et devront être mises en œuvre assez rapidement afin de répondre aux ambitions de la filière.

Des incertitudes économiques et techniques pèsent sur le secteur

À l’horizon 2030, le recyclage des panneaux solaires au niveau mondial devrait, selon l’IRENA, permettre de fabriquer, sur la base de matériaux presque entièrement recyclés, près de 60 millions de nouveaux panneaux solaires. À cet effet seraient réutilisées plus de 900 000 tonnes de verre, 75 000 tonnes d’aluminium, 100 000 tonnes de polymères, 29 500 tonnes de silicium, 7 200 tonnes de cuivre, 310 tonnes de semi-conducteurs, 90 tonnes d’argent et environ 390 tonnes d’autres métaux, tels le nickel, le plomb, le zinc, le cadmium, le gallium, l’indium ou encore le sélénium. La valeur de l’ensemble des matériaux recyclés serait, à cet horizon, de l’ordre du demi-milliard d’euros.

Il existe cependant de nombreuses incertitudes sur ces chiffres, notamment du fait du prolongement des durées de vie des panneaux. Il s’avère en effet que, loin de perdre 20 % de leur capacité au bout de 25 ans, la plupart des panneaux ne perdraient que 8 à 9 % de leurs capacités à cet horizon, grâce aux avancées technologiques de ces dernières années.

Si toutefois les puissances installées venaient à atteindre 4500 gigawatt à l’horizon 2050, comme annoncé dans le scénario « haut » de l’IRENA, alors la valeur de marché des matériaux recyclés pourrait atteindre plus de 15 milliards de dollars par an au niveau mondial.

Nucléaire en France : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… ?

22 samedi Jan 2022

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  1. Christian de PerthuisProfesseur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

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Le nucléaire pèse peu dans le bilan énergétique mondial, avec 10% de l’électricité utilisée dans le monde en 2020. VLADIMIR SIMICEK / AFP
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Le nucléaire fait partie des sujets clivants, trop souvent traités sous forme d’opposition binaire entre pros et antis. Nucléaire : On/Off ? titre par exemple l’ouvrage de François Lévêque. L’auteur y livre une analyse économique incontournable sur le risque et les coûts induits de la sûreté nucléaire. Il y souligne l’importance des représentations subjectives. Le nucléaire, on aime ou on n’aime pas !

Mais est-ce si simple ? Il y a bien des façons d’intégrer les sources nucléaires dans un mix énergétique, comme le montre la mosaïque des situations en Europe. Et aussi de multiples gradations dans l’amour ou la haine qu’elles peuvent susciter.

L’élection présidentielle aura lieu au printemps, la saison des marguerites. Examiner les enjeux du nucléaire, c’est un peu comme d’effeuiller la fleur en se demandant sur quel pétale s’arrêtera la ritournelle : « Nucléaire, je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout » ?

Le nucléaire à l’extérieur de l’Hexagone

Première constatation, le nucléaire pèse peu dans le bilan énergétique mondial : 10 % de l’électricité utilisée dans le monde en 2020 (soit 2 % de la consommation finale d’énergie).

Il joue également un rôle subalterne dans les scénarios de décarbonation de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à l’horizon 2050.

Worldnuclearreport.org

Cette part modeste, et déclinante, contraste avec celle occupée par le nucléaire dans les médias et le débat public, en France tout particulièrement. Il y a deux raisons à cela.

Tout d’abord, le nucléaire a connu deux accidents majeurs – Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 – qui ont eu un impact considérable sur la perception du risque associé à l’exploitation des centrales et au traitement des déchets radioactifs. Le sociologue allemand Ulrich Beck l’a théorisé dans son ouvrage La Société du risque, témoignant des raisons profondes du rejet du nucléaire par nos voisins d’Outre Rhin.

Le nucléaire constitue d’autre part une industrie lourde en capitaux, avec de gros enjeux économiques, y compris pour les États souvent mis à contribution. L’ampleur des moyens (financiers et scientifiques) requis constitue une barrière à l’entrée pour la plupart des pays en développement. Et, dans les pays riches, les gros sous du nucléaire animent le débat politique.

L’Union européenne et le Royaume-Uni se divisent à parts égales entre ceux qui disposent de réacteurs et ceux qui n’en ont pas.

Parmi les pays sans nucléaire, certains ont renoncé à exploiter leurs centrales (Lituanie et Italie), d’autres n’en ont jamais construites. Dans le groupe des pays exploitant le nucléaire, l’Allemagne compte en sortir totalement dès 2022. À l’exception du Royaume-Uni, les pays d’Europe de l’Ouest visent une sortie à moyen terme, mais pas ceux d’Europe de l’Est. La Pologne, qui n’a pas de centrale en exploitation, vise même à y accéder.

Au bord de la falaise

EDF
Répartition des centrales nucléaire en France en 2021.

La position de la France demeure singulière. Avec 56 réacteurs en service (après la fermeture de Fessenheim en 2020), notre pays dispose de plus de la moitié de la puissance nucléaire installée au sein de l’Union. Il tire de l’ordre de 70 % de son électricité de l’atome (environ 17 % de la consommation finale d’énergie du pays).

La grande majorité des 56 réacteurs en activité (dits de seconde génération) ont été construits en un temps record durant la décennie 1980. Depuis 1990, la capacité installée reste sur un plateau tandis que les moyens de production vieillissent.Fessenheim à l’heure de la fermeture, démantèlement jusqu’en 2040. (Euronews/Youtube, 2020).

Si on déclassait ces équipements au terme d’une durée fixe d’utilisation, leur capacité de production s’affaisserait brutalement. Les spécialistes appellent cela « l’effet falaise ». Aujourd’hui, on se rapproche de la falaise… Car si l’on déclassait toutes les centrales ayant effectué 40 années de service – hypothèse de durée retenue lors de leur conception –, la chute interviendrait au cours de la décennie 2020.

Worldnuclearreport.org

Le prochain quinquennat devra donc répondre à deux questions clefs : combien de temps doit-on exploiter le parc existant ? Par quels moyens de production faudra-t-il remplacer les centrales en fin d’exploitation ?

Des milliards en jeu

En France, les licences d’exploitation sont délivrées pour des périodes décennales, après les visites de contrôle de l’Autorité de sûreté (ASN). Pour pouvoir continuer à fonctionner au-delà de 40 ans, il faut donc remplacer une bonne partie des équipements initiaux. Cela coûte des sous : de l’ordre de 50 milliards d’après EDF, si l’on veut prolonger l’exploitation de l’ensemble du parc.

50 milliards, c’est une somme conséquente, mais qui permettrait de prolonger la production du parc existant de 10 à 20 ans. Par MWh (mégawatt-heure), cela laisse le coût du nucléaire « historique » compétitif.

Remplacer le parc existant par de nouveaux moyens de production nucléaire alourdit ainsi fortement la facture : la Cour des comptes a évalué à près de 20 milliards le coût total du réacteur EPR de 3° génération en cours de finition à Flamanville. Si la centrale, après un nouveau report, est bien mise en route en 2023, son coût de production sera de l’ordre de 110 à 120 €/MWh, plus de deux fois le coût du nucléaire « historique ».

Ce coût reflète pour une part celui de la protection contre les risques propres au nucléaire, mais aussi les multiples défaillances dans la conduite du projet. Si on décidait de remplacer l’intégralité du parc existant par de nouveaux EPR, on peut espérer que l’effet d’expérience réduirait fortement le coût de construction des futurs réacteurs. En supposant une division par deux, cela représenterait encore une facture de 140 milliards.

Côté renouvelable, le coût à la production des énergies éoliennes et solaires est passé bien en dessous de celui du nouveau nucléaire. Face au nucléaire « historique », le match est moins déséquilibré, mais en tendance, le coût du renouvelable baisse, ce qui n’est pas le cas du nucléaire.

Pour tenir compte de la variabilité du renouvelable, il convient d’ajouter à son coût de production celui du stockage et de mise à niveau du réseau. L’équation est complexe. À mesure que la part du renouvelable augmente, il faut de plus en plus de capacité de stockage. Mais le coût du stockage par batterie diminue rapidement et celui que fournira demain l’hydrogène vert est aujourd’hui inconnu.

Au total, l’investissement dans l’allongement de la durée d’utilisation du parc existant se justifie au plan économique ; celui dans le nouveau nucléaire implique de faire des paris aventureux sur les coûts futurs du nouveau nucléaire relativement au renouvelable. Reste l’analyse de la situation sous l’angle climatique…Vidéo de la Cour des comptes sur la filière EPR. (Cour des comptes/Youtube, 2020).

L’atome, le renouvelable et le CO₂

Le secteur électrique contribue de trois façons à la décarbonation du système énergétique : décarboner le reliquat d’électricité produite à partir d’énergie fossile en France ; opérer la même substitution chez nos clients via l’exportation d’électricité ; remplacer l’énergie fossile via l’électrification des usages dans le transport, l’industrie et le chauffage des bâtiments. C’est ce troisième levier qui est le plus stratégique pour l’atteinte de la neutralité en 2050.

À l’instar de l’hydraulique, de l’éolien et du solaire, le nucléaire ne dégage aucune émission de CO2 lors de la production d’électricité. Nucléaire et renouvelable permettent ainsi de décarboner l’offre d’électricité.

C’est pourquoi les choix à opérer sur le nucléaire au début du prochain quinquennat conditionneront la stratégie de décarbonation du secteur électrique, au moins jusqu’en 2050. La récente étude Futurs énergétiques 2050 de RTE montre la multiplicité des chemins y conduisant, avec « un peu, beaucoup, passionnément… ou pas du tout » de nucléaire à l’arrivée.

Compte tenu des délais de réalisation, si on décide de lancer le programme EPR2 – préparé par EDF et visant dans un premier temps la construction de 6 nouveaux réacteurs –, cela n’aura aucun impact sur les émissions de CO2 avant 2035 et donc a fortiori sur l’horizon 2030 pour lequel l’objectif européen qui nous oblige vient de passer de – 40 % à -55 % d’émissions de gaz à effet de serre (relativement à 1990)

Sauf à imaginer une baisse brutale de la consommation d’électricité, il sera techniquement impossible de tenir ces nouveaux objectifs climatiques d’ici 2035 sans prolonger l’exploitation des centrales au-delà des 40 ans. Si la centrale de Fessenheim était encore en opération, elle pourrait produire environ 11 000 GWh par an. De quoi économiser de l’ordre de 4 à 9 Mt de CO2 relativement à des centrales à gaz ou à charbon, soit chez nous, soit via l’exportation d’électricité décarbonée.

Durant la décennie 2040, il ne sera plus possible de repousser l’effet falaise. Les investissements requis pour obtenir l’autorisation d’exploitation de l’ASN au-delà des 60 ans seraient trop élevés.

Mais le pari d’une électricité intégralement produite à partir de sources renouvelables deviendra une perspective réaliste. Surtout si on a simultanément conduit une politique de maîtrise de la demande d’énergie nous rapprochant des scénarios de sobriété décrits par Négawatt. La place du nucléaire dépendra largement des décisions à prendre durant le prochain quinquennat.

À gauche : trois scénarios sans le lancement des EPR2. À droite : deux scénarios avec EPR2 et un scénario avec EPR2 + small reactors (SMR). RTE (Futurs énergétiques 2050)

Dans la peau d’un candidat

Si j’étais candidat à la prochaine présidentielle, mon programme sur le nucléaire comporterait trois messages clairs.

Le premier serait le rappel du rôle primordial de la maîtrise de la demande d’énergie, impliquant d’accélérer les investissements dans l’efficacité énergétique et la promotion de la sobriété.

Le second concernerait le rôle stratégique du réinvestissement dans le parc nucléaire existant pour franchir la marche des – 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 et maintenir un socle de production d’électricité décarbonée au-delà. Un tel réinvestissement renforcerait la compétence industrielle d’EDF, condition d’un niveau élevé de protection face au risque nucléaire.

Le troisième serait celui de la priorité absolue donnée, à partir de 2022, au déploiement du renouvelable et de la nouvelle filière hydrogène, qui devront se substituer au nucléaire existant. Au nom de cette priorité, je proposerais de renoncer à tout projet d’EPR2, une voie économiquement aventureuse et ne présentant pas les avantages de modularité et de sécurité du renouvelable.

Concernant la technologie des small reactors (SMR) en cours de développement, je préconiserais la poursuite des études de faisabilité par EDF pour ne pas fermer les options futures.

Et si j’étais élu : je demanderais au gouvernement de préparer la loi de programmation mettant en œuvre ces orientations au tout début du quinquennat. Pour éviter les crispations inutiles et déminer les blocages, j’organiserais en amont du débat parlementaire une consultation citoyenne sur le modèle de ce qui a été conduit en Irlande sur d’autres « questions qui fâchent ».

Dans une démocratie mature, on doit être capable d’échanger des arguments contradictoires en écoutant ceux de son interlocuteur, plutôt que de lui asséner ses propres certitudes.

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