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Archives Mensuelles: février 2022

Résoudre le casse-tête de la mucoviscidose et de ses traitements, une percée digne d’un prix Nobel

28 lundi Fév 2022

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  1. John BergeronEmeritus Robert Reford Professor and Professor of Medicine, McGill University

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La date limite de proposition de candidats – sur invitation seulement – pour le prix Nobel de physiologie ou de médecine, fixée au 31 janvier, est désormais passée.

Outre les avancées liées aux vaccins contre la Covid-19 qui sauvent de vies, plusieurs autres candidatures de personnes dont les travaux ont permis d’importantes découvertes en physiologie ou médecine seront soumises à l’évaluation du comité de sélection des prix Nobel 2022. Sur la liste des nominés pourraient figurer les noms des chercheurs ayant identifié le gène impliqué dans la mucoviscidose (aussi appelée fibrose kystique) et mis au point les médicaments utilisés pour traiter cette affection. Grâce à eux, cette maladie décrite pour la première fois en 1938 n’est plus de nos jours une cause de décès quasi certaine pour les enfants qui en sont atteints.

C’est au Canada, et plus précisément à Toronto, que la recherche sur la mucoviscidose a connu une percée majeure en 1989, lorsque le gène et la mutation – responsable de la fibrose kystique ont été identifiés par le généticien Lap-Chee Tsui, en collaboration avec le biochimiste Jack Riordan et le médecin et généticien Francis Collins, alors chercheur à l’Université du Michigan. Aujourd’hui, le Canada est le chef de file mondial dans le traitement de la fibrose kystique : l’âge médian de survie des patients souffrant de cette maladie y est de 52 ans.

Une maladie due à la mutation d’un seul gène

La fibrose kystique affecte la fluidité des sécrétions des poumons, du pancréas, du foie, des glandes sudoripares et d’autres organes, les rendant plus épaisses et plus collantes. L’anomalie génétique récessive à l’origine de la maladie est causée par une mutation au niveau d’un seul gène. Tsui avait initialement découvert, en 1989, que ce gène mutant était abrité dans un segment du chromosome 7.

Une femme tenant un enfant portant un masque facial nébuliseur pour inhaler des médicaments
Lorsque la maladie a été identifiée pour la première fois en 1938, la fibrose kystique a tué la plupart des patients en bas âge. Maintenant, beaucoup vivent dans la cinquantaine. (Shutterstock)

Collins développé une méthode innovante pour cibler cette zone et réduire l’ADN en fragments. Puis il a utilisé des marqueurs de cartographie génétique pour déterminer quelles séquences d’ADN abritaient le gène de la fibrose kystique. À l’aide de ces marqueurs, l’équipe a récupéré dans des cellules provenant de glandes sudoripares de patients les fragments d’ADN correspondant au gène.

Les glandes sudoripares des patients atteints de mucoviscidose sont incapables de réabsorber les sels lors de la transpiration. Riordan a utilisé ces échantillons de tissus, facilement accessibles chez les malades, pour développer des cultures ex-vivo de cellules de glandes sudoripares. L’ARN extrait de ces cellules a ensuite été utilisé pour obtenir une copie d’ADN, exactement comme nous le faisons aujourd’hui avec les tests RT-PCR destinés à détecter la présence du coronavirus qui cause la Covid-19.

Le séquençage de cet ADN correspondant à l’ARN provenant de cellules de glandes sudoripares de malades a permis aux chercheurs de déduire la séquence du gène présente chez les patients. Grâce à l’informatique, ils ont ensuite déterminé quelle protéine cette séquence permettait de produire. Les protéines sont constituées de longues séquences d’acides aminés. Ces travaux ont permis à Tsui, Riordan et Collins de déduire que ladite protéine était constituée de 1 479 acides aminés.

Comparaison des protéines séquencées

Les chercheurs ont également appliqué l’ingénieux design de leur expérimentation à des cellules de glandes sudoripares isolées chez les parents de patients atteints de mucoviscidose (donc des cellules non malades). En comparant la séquence d’acides aminés de la protéine provenant de patients souffrant de mucoviscidose à celle de la protéine normale provenant de leurs parents, les chercheurs ont découvert que toutes deux ne différaient que par un seul acide aminé (la phénylalanine). Celui-ci était absent de la protéine mutante. Cette mutation est majoritairement impliquée dans la fibrose kystique, puisqu’elle concerne environ 70 % des malades.Lap-Chee Tsui, Lauréat du Temple de la renommée médicale canadienne 2012.

La fonction de la protéine ainsi découverte était inconnue à l’époque. Cependant, certains indices révélaient qu’elle présentait une similitude avec d’autres protéines capables de transporter des substances, y compris des ions, à l’intérieur et hors des cellules. Aujourd’hui, on sait que cette protéine fonctionne comme un canal permettant aux ions chlorure de quitter les cellules.

Grâce à ces ions chlorures, la surface des poumons, du pancréas, des glandes sudoripares et du foie, ainsi que les reins et l’appareil reproducteur masculin, demeure recouverts de sécrétions fluides, qui ne provoquent pas d’obstruction.

Percées thérapeutiques

Les patients et les membres de leurs familles ont été à l’avant-garde du processus qui a mené à ces découvertes. Les parents impliqués ont été tout à la fois les avocats de la cause de leurs enfants, leurs aidants, et ils ont également fourni les tissus qui ont rendu possible cette découverte scientifique. Au-delà de l’amélioration du diagnostic et de la prise en charge des patients, une autre avancée a été la mise au point de médicaments pour traiter la mucoviscidose. Ces nouvelles thérapies ont eu un effet spectaculaire, doublant l’espérance de vie des malades, qui aujourd’hui devenir adulte et vivre plus longtemps.

Deux types de médicaments sont disponibles : les potentialisateurs et les correcteurs. Les potentialisateurs aident la protéine produite par le gène impliqué dans la mucoviscidose à maintenir un canal fonctionnel pour les ions chlorure, ce qui contribue à baigner de sécrétions fluides la surface des poumons et d’autres organes.

Les médicaments correcteurs stabilisent quant à eux la protéine mutante. Il faut savoir que celle-ci est plus fragile que la protéine normale, ce qui fait qu’elle est la cible de la machinerie impliquée dans le « contrôle qualité » cellulaire, qui l’évacue comme un déchet (elle est détruite par le protéasome, sorte de système d’évacuation des déchets de la cellule). Les correcteurs augmentent la stabilité des protéines mutantes, permettant à une quantité suffisante d’entre elles d’échapper à la destruction et d’atteindre la surface des cellules.

La combinaison des médicaments correcteurs (qui permettent à la protéine mutante d’accéder à la surface des cellules des poumons, du pancréas, du foie et des glandes sudoripares) et des médicaments potentialisateurs (qui maintiennent ouvert le canal ionique) permettent à la protéine déficiente de remplir sa fonction malgré tout.

Dans les poumons, les canaux chlorure permettent de maintenir la fluidité du mucus. Si tel n’était pas le cas, les bactéries infectieuses s’y accumuleraient et empêcheraient le fonctionnement normal des poumons, compromettant la respiration.Au cœur des organes : La mucoviscidose.

Fait remarquable, le gène responsable de la mucoviscidose a été découvert sans que l’on sache quel rôle cellulaire jouait la protéine qu’il codait. De même, les médicaments utilisés pour traiter cette maladie ont été mis au point sans connaître leur mode d’action précis.

Des milliers de laboratoires dans le monde ont contribué à mettre en lumière le fonctionnement des protéines telles que celles impliquées dans la formation des canaux chlorure, leur mode de fabrication, la façon dont la machinerie cellulaire de contrôle de la qualité est capable de détecter une modification aussi subtile que la perte d’un seul acide aminé pour cibler les protéines mutantes en vue de leur dégradation, les conséquences de la fragilité accrue qui résulte de cette perte d’acide aminé, ou encore le fonctionnement des médicaments potentialisateurs et correcteurs… C’est toute la splendeur de la recherche scientifique fondamentale qui est ici révélée.

Applications de ces découvertes

Les conséquences de la percée de Tsui, Riordan et Collins en 1989 ont rapidement dépassé les limites du domaine de la mucoviscidose. Forts de leur preuve de concept qui a mené à l’identification du gène de la fibrose kystique, ils ont proposé en 1990 d’appliquer cette méthode à l’ensemble du génome humain.

Collins a quitté l’Université du Michigan pour piloter ce projet « génome humain » en tant que directeur de l’Institut national de recherche sur le génome humain aux « National Institutes of Health » (NIH) des États-Unis. En 2009, il a été nommé au poste de directeur général du NIH, qu’il a occupé jusqu’en décembre 2021.

Les découvertes de médicaments destinés à lutter contre la mucoviscidose ont été dues au talent de chercheurs du secteurs académiques et de l’industrie des biotechnologies, lesquels ont non seulement mis au point les processus de fabrication, mais aussi élucidé les mécanismes d’action. Ces efforts remarquables se poursuivent : en janvier 2022, une équipe a publié des résultats décrivant le mode d’action de deux médicaments correcteurs.

Le fait qu’aujourd’hui encore, de nouvelles découvertes résultent des percées réalisées par Tsui, Riordan et Collins témoigne de leur importance et de leur pertinence pour la recherche scientifique et médicale. L’allongement considérable de l’espérance de vie des personnes atteintes de mucoviscidose témoigne quant à lui de la portée de ces découvertes pour les patients et leurs familles.

Vers un universalisme postcolonial ?

27 dimanche Fév 2022

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  1. Alain PolicarChercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po

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Bol à thé, style Mingei, grès avec réparations à l’or (Kintsugi, musée Guimet, France). L’art du Kintsugi, est celui de mettre en valeur les imperfections pour réinventer l’objet et le magnifier: l’universalisme peut s’en inspirer. Legs Henri Rivière, 1952. Jean-Pierre Dalbéra/Flickr, CC BY-NC-ND

Dans les disputes contemporaines autour des mots qui fâchent, la querelle de l’universalisme occupe une place décisive. En effet, chacun revendique, à travers tribunes et officines, séminaires et colloques, le bon usage du terme, et renvoie l’adversaire à ses présupposés. Peut-on se vouloir fidèle à l’exigence universaliste en négligeant qu’elle a servi à justifier l’infériorisation de l’Autre dans l’expansion coloniale ? Doit-on pour autant réduire ce concept à ses applications politiques voire à ses mésusages ?

Pour les uns, que l’on retrouve aussi bien à droite qu’à gauche, les minorités stigmatisées se nourrissent de passions identitaires, à tel point que leur antiracisme, « devenu fou » (selon le titre du dernier ouvrage de Pierre-André Taguieff), tournerait le dos à l’universalisme.

Cette vision rejette la notion de racisme systémique (compris comme ensemble de processus non individuels produisant des différenciations raciales dans la distribution des biens sociaux) et s’alarme des importations de théories et du vocabulaire venus des États-Unis, notamment la « Théorie critique de la race ». Ce courant s’intéresse à la parole des subordonnés, et, ce faisant, dénonce l’idée que le droit parlerait le langage de l’objectivité) et l’intersectionnalité (forgé en 1989 par la juriste étatsunienne Kimberlé Crenshaw, le concept désigne un outil et une méthode qui permet de saisir les rapports sociaux comme co-produits et imbriqués).

Des associations militantes

On retrouve le rejet de ces concepts dans les positions défendues par des associations (comme l’Observatoire du décolonialisme ou le Printemps républicain). Certains des animateurs de cette mouvance n’hésitent pas à établir une corrélation entre le « wokisme » (terme qui désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT, etc.) et la haine de la civilisation occidentale voire, parfois, la complaisance vis-à-vis du terrorisme islamiste.

Leurs opposants affirment au contraire que le véritable universalisme doit être pluriel, ainsi que l’entendait Aimé Césaire, et non de surplomb (selon l’expression de Michaël Walzer). Ils s’inspirent des travaux des auteurs postcoloniaux tels qu’Edward Saïd, Édouard Glissant, Frantz Fanon ou décoloniaux comme Enrique Dussel, Aníbal Quijano, Walter Mignolo, qu’il convient de distinguer.

Une part de la distinction tient au fait que les premiers considèrent que la modernité commence au XVIIIe siècle alors que les seconds la datent de la colonisation de l’Amérique. Tous se demandent si le sang des populations colonisées n’a pas marqué d’une tache indélébile le cœur même de l’universalisme puisque c’est en son nom qu’ont été justifiés le colonialisme et sa « mission civilisatrice », pour reprendre les termes du discours de Jules Ferry du 28 juillet 1885. Contrairement au reproche d’essentialisme qui leur est adressé, la plupart des auteurs décoloniaux ne font pas de la race une catégorie substantielle, mais ils insistent sur la racisation comme construction sociale (ce qui, notons-le, leur est tout autant reproché).

Dans cet affrontement, qui structure de plus en plus nos débats politiques et culturels, on doit saluer l’ouvrage de Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau, sobrement intitulé Universalisme (Anamosa). Tout en instruisant le procès d’un universalisme corrompu, les auteurs cherchent à penser, avec rigueur et clarté, les conditions à remplir pour que celui-ci devienne enfin un horizon d’émancipation. L’un des principaux mérites de leur livre est de ne pas renoncer à défendre une République, antiraciste et universaliste, nonobstant la posture incantatoire de ceux qui en usurpent l’identité.

Misère de l’« universalisme » colonial

Leur réflexion pourrait revendiquer les mots de Georges Clemenceau lorsqu’il proclamait qu’il fallait refuser « de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation ». Il ajoutait dans sa « Réponse à Jules Ferry », Chambre des députés, 30 juillet 1885, reproduit dans Le Monde diplomatique, novembre 2001, p. 28 :

« La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation ».

Si, aujourd’hui, les mots et les justifications peuvent être différents, il est difficile de nier la rémanence dans nos débats contemporains de ce faux universalisme, indifférent à l’assujettissement de l’autre.

Il semble donc nécessaire de parler de réparation. Mame-Fatou Niang et J. Suaudeau évoquent à ce sujet le Kintsugi, cette technique japonaise qui vise à réparer une céramique en prenant en compte son histoire, de façon non à en dissimuler les imperfections mais à les mettre en avant.

Ils invoquent en outre la figure de la mosaïque : l’universalisme devient alors une structure fluide, apte à se réinventer, dès lors très éloignée de la conception surplombante inhérente à l’entreprise coloniale. C’est dans ce cadre que les auteurs se penchent sur la « généalogie d’une illusion eurocentrée » (p. 15), objectif dont la nécessité tient notamment à une particulière occultation française de la sauvagerie coloniale.« Exterminez toutes ces brutes », le documentaire choc de Raoul Peck, Arte.

Cette occultation n’est-elle pas la preuve de la pertinence du concept de colonialité, tant on ne peut douter que persiste, après les indépendances, un système racial/colonial ? La colonialité peut être définie comme l’ordre blanc, un ordre social global articulé autour de la « race ».

La domination exercée sur les populations non blanches est donc structurelle. L’historienne Aurélia Michel écrit, avec bonheur, « domi-nation » pour évoquer le premier moment de ce qu’elle nomme « le règne du blanc », soit entre 1790 et 1830. Ce règne reçoit le renfort du racisme biologique, lequel fonde « scientifiquement » la rupture fondamentale en humanité produite par l’esclavage. C’est dire que celui-ci est central dans la construction de la modernité européenne puisque, une fois aboli, la « race » en perpétue la logique.


À lire aussi : Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies


Un universalisme à la mesure du monde

Pourquoi, se demandent les auteurs, la fin des « mensonges dérivés de l’universalisme impérial » (p. 31) est-elle si longue à se dessiner ? On peut avancer deux raisons : une réticence philosophique et un phénomène sociologique.

La première s’exprime dans la tendance, plus ou moins consciente, à hiérarchiser les types de racisme, alors que racisme colonial et racisme génocidaire sont en réalité extrêmement proches (bien entendu, proximité ne signifie pas similitude). Dans un discours prononcé le 21 juin 1933 au Trocadéro, Gaston Monnerville (1897-1991), petit-fils d’esclave, souligne la continuité entre, d’une part, le racisme colonial allemand et la guerre d’extermination au début du vingtième siècle (dès 1904) dans le Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie) menée contre les Héréros et les Namas et, d’autre part, le racisme nazi contre les juifs (même si, bien entendu, à cette date, il n’en mesure pas l’horreur).Gaston Monnerville, avocat des droits humains.

Très clairement, pour Monnerville, les atrocités de 1904-1905 préfigurent « l’actuel martyre des juifs allemands », et les massacres africains sont analysés comme « des promesses aujourd’hui tenues ».

Car ce qui caractérise fondamentalement la pensée raciale, lorsqu’elle est confrontée à la non-évidence de traits phénotypiques, est la hantise du mélange. Devant l’invisibilité des distinctions, elle cherche à en révéler d’autres que « l’œil n’identifie pas ».

Expulsion des juifs d’Espagne, Emilio Sala y Francés, 1889. Torquemada offre aux rois catholiques l’édit d’expulsion des juifs d’Espagne contre leur signature. Emilio Sala Frances/Wikimedia

On a ainsi recours à la généalogie en espérant trouver dans le sang la vérité de la personne (comme le montre l’exemple des juifs dans l’Espagne médiévale).

Déconstruire le roman national

Quant au phénomène sociologique, il est compris par Mame-Fatou Niang et Julien Suaudeau comme :

« le réflexe d’autodéfense d’une caste intellectuelle et politique qui refuse d’abandonner ses privilèges et sa mainmise sur la production du discours républicain : liberté, égalité, fraternité, c’est ce que nous avons décidé » (p. 36).

Dès lors, il est essentiel de déconstruire le roman national, c’est-à-dire de questionner « la mythologie républicaine d’une France post-raciale, colorblind » (p. 57). Il nous faut interroger notre bonne conscience, notre innocence pseudo-universaliste, laquelle constitue, pour les auteurs, « l’ultime avatar du privilège blanc, ce droit naturel à l’indifférence qui est le legs de la domination » (p. 58).

C’est seulement dans de telles conditions que peut être sauvegardé l’universalisme.

Pour y parvenir, il convient d’entendre la leçon d’Aimé Césaire. Dans son Discours sur le colonialisme (1950), il écrivait :

« De ceci que jamais l’Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai – l’humanisme à la mesure du monde. »

Et c’est dans cette voie que les auteurs s’engagent résolument en esquissant, une nouvelle phénoménologie de l’universalisme qui tiendrait en trois recommandations : s’éveiller à la conscience historique, relativiser les points de vue – ce qui les conduit à défendre, sous le patronage de Montaigne, une « éthique du dérangement »- et renoncer à avoir le dernier mot, c’est-à-dire cultiver l’art du dialogue (mais non se perdre dans le relativisme, selon lequel tout se vaut).

Et, peut-on ajouter, qu’un monde commun, c’est-à-dire un monde animé par le souci de réunir ce qui est séparé, devienne possible.

Au Sahel, la France poussée dehors

26 samedi Fév 2022

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  1. Thierry VircoulonCoordinateur de l’Observatoire pour l’Afrique centrale et australe de l’Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l’Eugénisme et le Racisme, Université de Paris

Déclaration d’intérêts

Thierry Vircoulon est chercheur associé à l’Institut Français des Relations Internationales et collaborateur du think tank Global Initiative against Transnational Organised Crime.

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Manifestation à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, le 25 janvier 2022. Olympia De Maismont/AFP

Après la montée des tensions entre Paris et Bamako en 2021, la rupture est maintenant consommée et les militaires français vont quitter le Mali. Cette rupture met en lumière les raisons de la remise en cause de Barkhane au Sahel.

Ces derniers mois, au Mali et au Burkina Faso, le pourrissement de la situation sécuritaire a délégitimé les régimes d’Ibrahim Boubacar Keïta (récemment décédé, il avait été renversé en août 2020) et de Roch Marc Christian Kaboré (qui vient d’être renversé à son tour).

Incapables de faire face à la poussée des groupes armés et à la multiplication des massacres malgré leurs appuis étrangers, ces régimes sont devenus impopulaires. Leur chute rend la politique française intenable.

Le temps des colonels

Le 14 novembre 2021, la tuerie d’Inata, dans le nord du Burkina Faso, quand au moins 50 gendarmes privés de ravitaillement ont été assassinés, a été la défaite de trop, celle qui a scellé le divorce entre les militaires et le président. Au Sahel, plus la situation sécuritaire se détériore, plus la tension entre autorités civiles et autorités militaires s’accroît et plus les militaires vont être tentés de prendre le pouvoir avec – et c’est une nouveauté de taille – l’assentiment de la rue.

Il faut, en effet, se rappeler qu’en 2014 c’était la rue qui avait mis fin aux vingt-sept ans de règne de Blaise Compaoré et qu’elle n’a pas bougé pour Roch Marc Christian Kaboré, écarté par un coup d’État pacifique en plein second mandat comme son homologue malien. Ces putschs acceptés, voire célébrés, sont le reflet de la désaffection populaire pour les régimes en place. Les élections n’ayant pas produit de gouvernements capables de résoudre les conflits, les coups d’État sont devenus au Sahel une méthode acceptable d’alternance pour la population – tant qu’ils sont pacifiques.

Victime de l’effet domino, toute la bande sahélienne, de Khartoum à Conakry, bascule dans le « colonellisme » (tous les putschistes ont le grade de colonel). Si au Tchad l’armée était de facto au pouvoir mais cachée derrière un très mince paravent civilo-démocratique, dans d’autres pays, elle fait son retour à la faveur de crises politiques (Guinée et Soudan) et de la crise sécuritaire régionale qui déstabilise une bonne partie du Sahel.

Bien qu’il incarne à sa façon la revanche des cadets et la demande de renouvellement générationnel (en Guinée, au Mali et au Burkina Faso, tous les putschistes ont la quarantaine), le régime des colonels a peu de chance de résoudre la crise sécuritaire en cours, mais il pose un sérieux problème pour l’intervention militaire française au Sahel. L’opération Barkhane n’a déjà plus aucune légitimité populaire comme le montrent le suivi des réseaux sociaux, les manifestations antifrançaises dans les capitales de la région et la saga du convoi militaire français à la fin de l’année passée.

Bloqué par les manifestants au Burkina Faso, ce convoi qui se rendait au Mali a dû rebrousser chemin et une autre confrontation avec la foule au Niger a abouti à trois morts parmi les manifestants. Les manifestations profrançaises qui avaient célébré l’opération Serval en 2013 se sont transformées en manifestations antifrançaises avec Barkhane.


À lire aussi : Quels sont les accords qui encadrent les interventions militaires au Mali ?


La délégitimation politique de la présence française

À cette perte de légitimité populaire de Barkhane, les putschs ajoutent la perte de légitimité politique.

D’une part, l’engagement militaire français aux côtés des putschistes à lunettes noires va contredire la défense de la démocratie régulièrement invoquée par Paris et mettre une fois de plus le gouvernement français en porte-à-faux avec ses principes affichés. D’autre part, les putschistes de Ouagadougou risquent d’être tentés de suivre l’exemple de leurs homologues de Bamako qui ont multiplié les obstructions à la mission Barkhane et se sont tournés vers Moscou.

Des soldats français de la force spéciale Takuba au Mali, une unité européenne spéciale conçue pour aider l’armée du pays ouest-africain à combattre les djihadistes. Le 7 décembre 2021 dans la base de l’armée malienne Menaka. Tomas Coex/AFP

En effet, les militaires burkinabé font face aux mêmes défis : une population en demande de sécurité, de très faibles capacités de combat, des divisions internes et une francophobie populaire. Dans ces circonstances, les putschistes burkinabé vont rechercher d’autres partenariats de sécurité (le groupe Wagner est en embuscade) et être tentés d’exploiter le capital politique que représente le rejet de l’intervention militaire française dans l’opinion publique locale. Et ce, d’autant plus que l’horizon est très nuageux.

Le pire est à venir

Le Sahel étant entré dans la saison des putschs, un peu de prospective s’impose. À l’instar des pouvoirs civils, les juntes risquent de se révéler incapables d’inverser la dynamique régionale d’insécurité et d’agir sur la cause profonde de cette crise régionale : la mauvaise gouvernance et sa conséquence, le délitement silencieux des États.

Les métastases maliennes ont gagné le nord du Burkina Faso et l’ouest du Niger et risquent de contaminer les pays côtiers (nord de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo, etc.) qui, inquiets de cette perspective, ont lancé l’Initiative d’Accra. L’appui de la Russie, et éventuellement d’autres acteurs étrangers, ne suffira pas à résoudre une guerre faite de multiples conflits sur un vaste territoire.

Manifestation à Bamako, le 14 janvier 2022, pour protester contre les sanctions imposées au Mali et à la junte par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Florent Vergnes/AFP

Derrière la lutte pour la création d’un califat par les franchises locales d’Al-Qaïda et de l’État islamique, il y a une guerre civile qui ne dit pas son nom, des règlements de comptes intercommunautaires, des luttes de terroirs et même des guerres de trafiquants.

Par ailleurs, si la junte malienne et les mercenaires de Wagner infligeaient une défaite à l’État islamique dans le Grand Sahara ou au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, les djihadistes pourraient sans peine se délocaliser vers un pays plus faible.

La rue étant versatile, si les juntes malienne et burkinabé n’améliorent pas la situation sécuritaire, elles seront rapidement discréditées et, à terme, elles feront le lit de l’islamisme populaire qui gagne déjà du terrain au Mali.

Face aux condamnations diplomatiques, les régimes putschistes vont se solidariser et le front uni de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui a imposé des sanctions au Mali, se fissure déjà. Suspendue de la Cédéao, la Guinée du colonel Doumbouya a déjà annoncé qu’elle n’appliquerait pas les sanctions de la Cédéao contre le Mali (frontière ouverte, mise en place d’un vol Bamako-Conakry, etc.). Cette organisation régionale va être mise à rude épreuve par la multiplication des putschs.

Enfin l’hostilité à l’intervention militaire française est loin d’être limitée au Mali. Le convoi militaire français a été bloqué par la population au Niger et au Burkina Faso ; les syndicats nigériens demandent le départ des militaires français ;; les gouvernements de la région ne se précipitent pas pour accueillir les forces françaises et européennes, qui sont priées de faire profil bas ; des drapeaux français ont été brûlés dans la capitale burkinabé à l’annonce du putsch et, même au Tchad considéré comme le meilleur allié de la France dans la région, l’hostilité populaire est forte. Outre leur ressentiment historique, les opinions publiques sahéliennes voient que, depuis plusieurs années, les « succès tactiques » de Barkhane se traduisent par plus d’insécurité, d’exactions et de déplacés.

A la recherche d’une porte de sortie

Pris entre la contagion putschiste, la menace islamiste et l’hostilité à sa diplomatie militaire, le gouvernement français a conçu une stratégie de sortie qui est aujourd’hui entièrement caduque. Elle reposait sur :

  • la ré-opérationalisation de l’armée malienne avec laquelle le divorce est maintenant consommé ;
  • une coalition militaire régionale (le G5 Sahel) créée en 2017 dont l’efficacité reste toujours à prouver ;
  • l’européanisation de la formation et de l’appui aux armées sahéliennes (la mission EUTM et la task force Takuba) rejetée aujourd’hui par la junte malienne rejetée aujourd’hui par la junte malienne et peut-être demain par d’autres gouvernements sahéliens.

Actuellement, non seulement le gouvernement français doit évacuer ses troupes du Mali mais, surtout, il n’a plus de stratégie de sortie de ce conflit dans lequel il s’est enferré et qui le rend impopulaire au Sahel.

Alors que le Mali qui est l’épicentre de la crise sécuritaire régionale sonne la fin de l’intervention militaire française, l’urgence n’est plus de reconfigurer Barkhane pour continuer la mission, mais de savoir comment sortir du bourbier sahélien avant d’être tout simplement mis à la porte.

Le football remonte-t-il à l’Antiquité gréco-romaine ?

25 vendredi Fév 2022

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  1. Jean-Paul ThuillierDirecteur du département des sciences de l’Antiquité, École normale supérieure (ENS) – PSL

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Détail d’une mosaïque, à ostie, représentant un ballon qui ressemble furieusement à un ballon de foot contemporain. Fourni par l’auteur

L’importance du football dans les sociétés actuelles conduit à une quête régulière de ses origines. Si ce sport est considéré la plupart du temps comme ayant des origines britanniques, ne serait-ce qu’en raison du nom lui-même, cette opinion n’a pas toujours fait l’unanimité.

Par nationalisme, certains peuples ou certains gouvernements préfèrent se tourner, pour expliquer la naissance du football, vers des jeux populaires, folkloriques, qui existaient chez eux depuis le Moyen Âge. L’exemple le plus frappant est sans doute celui de l’Italie où, dans les années 1920-1930, les autorités fascistes, refusant de reconnaître dans cette histoire le rôle essentiel de la Grande-Bretagne, font du football le descendant du « calcio fiorentino » qui se dispute d’ailleurs toujours à Florence (M. Correia, Une histoire populaire du football, La Découverte, 2020, p. 98-99). Curieusement, Mussolini et les fascistes italiens n’ont pas poussé cette recherche des origines jusqu’à l’Antiquité romaine, qui les séduisait pourtant tellement avec ses faisceaux et ses licteurs (cf. les Fasci Giovanili di Combattimento et les Littoriali dello Sport, véritables Olympiades fascistes).

Que cette hypothèse, négligeant la Grande-Bretagne du XIXe siècle pour remonter à l’Empire romain, n’ait pas été évoquée est d’autant plus étonnant que nombre de caractères du football contemporain se trouvaient déjà dans le principal spectacle sportif romain, celui des courses de chars.

Passion planétaire

C’est une véritable passion planétaire dans les deux cas. Si on le sait bien du football, puisque l’Amérique du nord qui semblait faire exception il y a quelques années est aujourd’hui conquise par le soccer, les courses de chars, spectacle principal des jeux du cirque, suscitent une vraie folie dans tout l’Empire, depuis l’actuel Portugal (la Lusitanie) jusqu’à Constantinople, depuis l’Angleterre, où l’on vient de découvrir un cirque, à Colchester, jusqu’à l’Afrique du nord (Carthage).

Toutes les générations, toutes les classes sociales sont touchées. Écoutons Ammien Marcellin qui écrit au IVe siècle de notre ère :

« Leur temple, leur séjour, leur assemblée, le dernier terme de leurs désirs, c’est le Grand Cirque… Dans le nombre, ceux auxquels la vie n’a plus rien à offrir, auxquels l’autorité de l’âge donne le premier rang, s’exclament souvent, invoquant leurs cheveux blancs et leurs rides, que l’État ne peut subsister, si dans la prochaine course le cocher à qui vont les préférences de chacun ne s’élance pas le premier hors des stalles, et si avec ses chevaux de funeste augure il ne contourne pas la borne d’assez près… Quand le jour tant souhaité des jeux équestres commence à blanchir, tous se précipitent… au point de surpasser en rapidité les chars mêmes qui doivent disputer la course… » (28, 4, 28-31)

Certains font même la queue en pleine nuit devant le cirque pour occuper les meilleures places, au point de déranger l’empereur qui à Rome a son palais sur le Palatin, au-dessus de l’édifice sportif. Tout Rome est au cirque, et, comme dans le film d’Ettore Scola, Une journée particulière, la ville devient le paradis des voleurs et l’empereur Auguste devra mettre en place des patrouilles de police pour protéger les biens des citoyens !

Des clubs surpuissants

Une telle passion a conduit à ériger des édifices colossaux : le Grand cirque de Rome, le Circus Maximus, situé entre le Palatin et l’Aventin, avait sans doute une capacité de 150000 spectateurs – rappelons que le Stade de France ne peut accueillir que 80000 spectateurs ?

Le plus frappant dans ce rapprochement entre courses de chars et football réside sans doute dans le type d’organisation. C’est dans les deux cas une même structure en clubs dotés d’une grande puissance financière, de vastes locaux, souvent luxueux, d’un personnel très nombreux, cochers, cavaliers, médecins, vétérinaires, artisans, avec des groupes de supporters fanatisés prêts à acheter tous les produits dérivés : dans l’Empire romain, où règne déjà une forme de mondialisation, les clubs (appelés ici factions) au nombre de quatre, étaient distingués par leur couleur, on était supporter, tifoso des Rouges, des Verts, des Bleus ou des Blancs. Une passion qui accompagnait certains dans la mort : une épitaphe donne comme unique précision à propos d’un certain Caecilius Pudens le fait qu’il était venetianus, supporter des Bleus… Enfin, pour se limiter à ces points essentiels, les cochers vedettes, conducteurs de quadriges, étaient payés et adulés à l’instar de nos footballeurs les plus célèbres, ce qui ne manquait pas de susciter déjà la jalousie de certains intellectuels gagnant moins bien leur vie.

Des sports dissemblables

Bien sûr, tout en présentant en tant que spectacles des traits communs, ces deux sports n’ont guère de ressemblance. A vrai dire, si Grecs et Romains ont pratiqué beaucoup de jeux et exercices avec des balles, les sports collectifs de ballon ne suscitaient pas dans l’Antiquité un enthousiasme aussi délirant qu’aujourd’hui et surtout ils n’ont jamais donné lieu à des compétitions officielles. Aucune source littéraire ou figurée ne nous permet de bien connaître les règles exactes des jeux de ballon appelés harpastum ou episkuros : parfois dans certaines descriptions comme celle de Pollux au IIe siècle de notre ère ou dans une lettre de Sidoine Apollinaire (Ve siècle), on croit reconnaître des mouvements, des gestes ou des phases de jeu évoquant notre football ou notre rugby, mais on ne peut pas pousser plus avant une telle identification.

Reste que les Romains ont inventé le follis, un ballon de peau gonflé d’air comme celui que l’on voit sur une mosaïque d’Ostie (thermes de Porta Marina), et qui doit être un dodécaèdre, malgré ses deux hexagones adjacents sans doute dus à une erreur du mosaïste.

Il y a quelques années, un article publié dans le premier volume d’une encyclopédie de l’Antiquité des plus savantes, le Neue Pauly, a paru à certains apporter une information décisive. Dans cet article intitulé en grec« apopoudobalia » (littéralement « la balle au pied » « football »).

L’auteur, M. Meier, indiquait que ce sport collectf né en Grèce, était ensuite passé à Rome pour être finalement importé en Angleterre par les légions romaines lors de la conquête de l’île : et c’est là qu’il allait connaître une renaissance des siècles plus tard sous le nom de football… une démonstration d’autant plus convaincante qu’elle s’appuyait sur des citations d’auteurs anciens tels que Tertullien, lequel avait écrit de fait un traité sur les spectacles (De spectaculis).

Las, on s’est aperçu assez vite que le chapitre cité n’avait jamais existé, et personne n’avait jamais rencontré dans un texte le mot apopoudobalia : l’ensemble de l’article n’était qu’un canular remarquablement conduit. Plusieurs antiquisants, très érudits mais quelque peu dépourvus d’humour, ne manquèrent pas de fulminer contre cette imposture, très rare dans les publications scientifiques liées à l’Antiquité. Et pourtant elle a eu l’intérêt de rappeler que le sport romain et le sport contemporain n’étaient pas toujours aussi éloignés qu’on l’a écrit et cru pendant longtemps.

Le rêve de Jeff Bezos ou peut-on, vraiment, rajeunir en reprogrammant nos cellules ?

24 jeudi Fév 2022

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  1. Marie José StasiaMaître de conférence-Praticien hospitalier, Centre Hospitalier Universitaire Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)

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Le rajeunissement par le biais de la reprogrammation cellulaire a fait récemment fantasmer des milliardaires comme Jeff Bezos, l’ex-PDG d’Amazon, ou le magnat russe Iouri Milner, probablement en quête d’immortalité.

Trois milliards de dollars ont ainsi été levés par la société de biotechnologie Altos Labs, fondée par Milner et lancée officiellement le 19 janvier 2022, attirant les plus éminents scientifiques dont Shinya Yamanaka le japonais découvreur de la reprogrammation cellulaire, mais également Juan Carlo Izpisua Belmonte du Salk Institute for Biological Studies à La Jolla. Le but officiel est « de transformer la médecine au moyen de la programmation du rajeunissement cellulaire ». Bezos, lui, a largement investi dans la compagnie.

Fort de l’expertise de ces scientifiques de haut niveau, la biotech Altos Labs voudrait étendre le rajeunissement cellulaire à la revitalisation du corps entier, afin de prolonger la vie humaine.

Que se cache-t-il derrière cette technique ? Où en est-on vraiment ?

Quelles retombées pour la santé humaine ?

Les cellules humaines ont une durée de vie programmée et leur caractéristique principale est de se diviser de façon contrôlée pour assurer la pérennité de nos tissus et organes. Une cellule vieillissante ou en état de sénescence, est une cellule qui ne se divise plus et qui sera éliminée par apoptose (mort cellulaire).

Ainsi va la vie…

Mais en 2006, les travaux du prix Nobel de médecine 2012, le chercheur japonais Shinya Yamanaka, ont ouvert des champs de recherche jusque-là impensables, basés sur la possibilité de faire rajeunir nos cellules. L’introduction de quatre gènes spécifiques dans le génome de n’importe quelle cellule adulte (cellules de la peau ou cellules du sang par exemple) la fait rajeunir à un stade embryonnaire qu’on appelle cellule souche pluripotente induite et que l’on nommera cellule souche induite pour plus de simplicité.

La cellule souche ainsi induite retrouve les propriétés pluripotentes des cellules souches embryonnaires c’est-à-dire qu’elle peut se différencier en n’importe quel type de cellule adulte par exemple un neurone, une cellule cardiaque ou une cellule épithéliale. Ceci permet de penser que dans le futur, il sera possible de réparer ou de fabriquer tout type d’organes ou de tissus à partir de ces cellules souches induites.

Les premiers essais de réparation tissulaire à partir de cellules épithéliales de la rétine provenant de la différenciation de cellules souches induites, ont été réalisés avec succès au Japon pour soigner la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

Pionnier dans le domaine, le Japon a constitué une banque de cellules souches induites caractérisées immunologiquement qui correspondent à chaque type immunologique d’un receveur potentiel afin d’éviter les rejets de ce traitement cellulaire. Dans ces premiers essais de médecine régénérative, des cellules épithéliales saines ont été obtenues par différenciation de cellules souches induites humaines présentant une compatibilité immunologique optimale avec le patient receveur. Malgré ces premiers essais prometteurs, nous ne sommes qu’à l’aube de l’utilisation des cellules souches induites en médecine régénératrice pour traiter des tissus plus complexes que l’œil tel que le cœur, le cerveau ou le pancréas.

En effet, le rajeunissement de la cellule adulte implique la réintroduction de gènes appelés facteurs de transcription qui, lorsqu’ils sont actifs, vont moduler l’expression d’autres gènes caractéristiques des cellules souches normalement inactivés dans la cellule adulte. Parmi ces facteurs de transcription, certains sont dit oncogéniques, c’est-à-dire qu’ils peuvent induire un cancer.

De même, il n’est pas sans risque d’utiliser des cellules adultes provenant de la différenciation de cellules souches induites pour régénérer un organe ou un tissu. Ainsi, il est difficile de contrôler réellement l’état de différenciation de ces cellules adultes, car nous ne savons pas si elles ont toutes perdu leur pluripotence. N’y a t’il pas possibilité qu’une cellule souche induite résiduelle ne se cache au sein de ces cellules adultes, et, ayant gardé sa propriété de pluripotence, se différencie anarchiquement en différents types de cellules adultes entraînant de facto la formation d’un tératome (tumeur formée de cellules pluripotentes) ?

Vers de nouveaux médicaments

Imaginez, grâce à la reprogrammation cellulaire, des neurones, des cellules pancréatiques, des hépatocytes (cellules du foie)… pouvant maintenant être obtenus à partir de la différenciation de cellules souches induites humaines.

Cette technologie a grandement facilité le développement de tests toxicologiques cellulaires pour les médicaments, mais également a permis la simplification de l’analyse des effets thérapeutiques de nouvelles molécules sur des cellules humaines inaccessibles auparavant comme des hépatocytes.

Ces cellules souches induites permettent également l’obtention de ce que l’on appelle des « organoïdes », mini-organes en 3D qui tendent à remplacer l’expérimentation animale. Ainsi cette découverte majeure qu’est la reprogrammation cellulaire profite grandement à l’industrie pharmaceutique.

De nouvelles thérapies

Pour aller plus loin, non seulement les différents types de cellules humaines adultes dites « normales » sont accessibles, mais également celles issues de patients. Ainsi il est maintenant possible de générer des modèles cellulaires mimant les maladies. Ces derniers permettent de pouvoir appréhender les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la maladie, mais également de développer de nouvelles thérapeutiques plus ciblées.

Le premier exemple est celui de la modélisation cellulaire de l’anémie de Fanconi qui, grâce à la reprogrammation cellulaire, a permis de comprendre et de corriger le défaut de production de cellules sanguines, qui est une des caractéristiques de cette maladie.

De plus, les cellules souches induites issues de patients souffrant de maladies génétiques sont d’excellents modèles cellulaires pour tester de nouvelles thérapeutiques telles que l’édition du génome. L’idée est de venir corriger spécifiquement le défaut génétique au sein de la cellule souche induite du patient pour pouvoir ultérieurement réinjecter la cellule corrigée. La preuve de concept de cette approche a pu être validée dans une maladie génétique rare de l’immunodéficience innée nommée granulomatose septique chronique.

Notre laboratoire développe également une nouvelle approche thérapeutique de cette maladie,une thérapie protéique. La granulomatose septique chronique est une maladie rare due à un déficit en une enzyme clé de la défense contre les infections bactériennes, nommée NADPH oxydase ou NOX, elle est localisée dans la membrane des globules blancs comme les macrophages ou les neutrophiles. Grâce à cette enzyme NOX, ces globules blancs produisent des molécules pour tuer les bactéries ou les champignons responsables d’infections de nos tissus ou organes. La prévalence de cette maladie en France et dans le monde est de un cas pour 250 000 individus.

La première cause de décès de ces patients étant les infections pulmonaires sévères, l’idée est de produire artificiellement l’enzyme déficiente NOX incorporée dans une enveloppe lipidique qui sera, à terme, administrée en aérosol nasal pour restaurer l’activité enzymatique des macrophages pulmonaires du patient. Pour cela, nous avons générer les modèles cellulaires mimant la granulomatose septique chronique, c’est-à-dire des macrophages déficients en NOX, issus de cellules souches induites obtenues à partir des patients atteints de cette maladie. La preuve de concept de l’efficacité de cette approche thérapeutique a été réalisée dans notre modèle cellulaire pathologique. La preuve de son efficacité contre des infections pulmonaires chez la souris sera la prochaine étape.

L’immortalité, c’est pour bientôt ?

Le problème majeur de cette technique est qu’elle ne fait pas que rajeunir les cellules, mais elle modifie également leur identité. En effet une cellule épithéliale adulte par exemple va devenir une cellule souche par reprogrammation cellulaire puis, ce n’est que dans un deuxième temps qu’elle sera différenciée en cellule d’intérêt (une cellule cardiaque par exemple).

Le passage par le stade cellule souche entraîne un risque non négligeable de développement de tumeurs. Ceci est illustré par les travaux de Juan Carlo Izpisua Belmonte publiés en 2016 sur le prolongement de la durée de vie de souris atteintes de vieillissement prématuré par reprogrammation cellulaire. En effet bien que l’effet escompté ait été obtenu chez certaines souris, d’autres ont développé des tumeurs.

La reprogrammation cellulaire possède un énorme potentiel de développement pour améliorer la santé humaine en facilitant les tests toxicologiques développés par l’industrie pharmaceutique. Elle permet également la modélisation de maladies en vue de leur compréhension et pour tester de nouvelles approches thérapeutiques. Cela dit, il est clair que des travaux de recherche fondamentale visant à comprendre parfaitement les mécanismes moléculaires de la reprogrammation cellulaire sont nécessaires pour une maîtrise des risques cancérigènes, et ce, afin de sécuriser son application en médecine régénératrice.

Pour l’instant aucun essai clinique chez l’humain n’est donc raisonnablement envisageable. Malgré les rêves des plus fortunés, le rajeunissement humain n’est pas pour demain.

Les jeunes lisent-ils autre chose que des mangas ?

23 mercredi Fév 2022

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  1. David PiovesanMaître de conférences HDR en sciences de gestion, IAE Lyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3

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Parmi les séries manga préférées des jeunes, “One piece” est en pole position. AFP

La lecture chez les jeunes de 15-20 ans est un enjeu majeur de l’avenir de notre société. En effet, alors que notre modèle sociétal a été construit par le livre et la lecture, la question se pose de plus en plus de savoir si les jeunes d’aujourd’hui liront encore demain : quel sera leur rapport au livre papier et numérique ? Quel temps consacreront-ils à la lecture face aux jeux vidéos et aux séries ?

Les politiques publiques culturelles françaises cherchent ainsi par divers dispositifs à inciter les jeunes générations à davantage se tourner vers le livre et la lecture. Instauré en 2019 pour les lycéens, le Pass Culture a été étendu en 2021 aux jeunes de 18 ans puis en 2022 aux classes de 4e et 3e. Il est destiné à favoriser l’accès des jeunes générations à la culture et notamment aux livres.

Les récents chiffres d’activité de ce dispositif en montrent le succès : 11 000 lieux culturels référencés, près de 3 000 librairies partenaires, 6 millions de réservations, plus de 50 % des dépenses dédiées au livre. Ces chiffres se sont ainsi accompagnés d’un concert de louanges sur les effets positifs de cette politique culturelle.


À lire aussi : Les Français lisent-ils vraiment de moins en moins ?


Pour autant, il est permis de porter un regard plus critique sur les impacts réels de cette politique à destination des jeunes lecteurs. La question n’est donc plus « lisent-ils ? » mais « que lisent-ils ? » Cette analyse se veut ni « décliniste » ni alarmiste au sujet des jeunes d’aujourd’hui mais vise à porter un regard lucide et objectivé sur leurs pratiques de lecture à travers le prisme du Pass Culture.

Le manga roi

Dans les 22 premières ventes du Pass Culture de l’année 2021, nous trouvons 15 mangas, 5 romans et 2 ouvrages juridiques scolaires. Le diagnostic est implacable : le manga est roi. Introduite en France au début des années 1990, cette forme de bande dessinée d’origine japonaise publiée sous la forme de feuilleton connaît un vrai succès depuis une quinzaine d’années. Porté par un phénomène générationnel et une politique marketing très efficace, la France est devenue un des plus importants marchés au monde pour le manga. Il est non seulement en tête des ventes du Pass Culture mais depuis la crise sanitaire, ses ventes ont été dopées.

Les mangas occupent les 11 premières places du classement. La part des mangas dans le top 22 est de 95 % avec plus de 1,4 million d’exemplaires vendus. Le poids de ces ventes est tel que ces séries sont en rupture chez l’éditeur très fréquemment, générant une anxiété dans la gestion des stocks des librairies.

En tête, arrivent les grandes séries de manga : One Piece avec plus de 300 000 exemplaires vendus, Demon Slayer avec 191 000 exemplaires vendus et enfin L’attaque des Titans avec 186 000 exemplaires vendus. Le podium avec ces trois séries représente plus de 45 % des ventes du top 22.

Les ventes sont ainsi hyper concentrées sur le manga et sur les principales séries vendues.

Les 22 premières ventes du Pass Culture de l’année 2021. Pass Culture/LivreHebdo

Le poids des best-sellers

Si l’on regarde plus attentivement les séries qui ont été achetées, il faut attendre Death Note (classé au 8e rang avec 72 000 exemplaires vendus soit quatre moins que One Piece) pour trouver une série moins « commerciale ». Les principaux titres vendus sont en effet des séries très médiatisées et faisant l’objet de campagnes marketing régulières (l’exemplaire collector récent de One Piece par exemple) et souvent relayées par des séries animées que beaucoup de jeunes lecteurs regardent également. Loin de nous l’idée de porter un jugement sur la qualité créative de ces ouvrages : Berserk ou L’attaque des Titans sont ainsi de formidables épopées mêlant aventure et réflexion philosophique. Mais nous voulons insister sur le fait qu’il y a très peu de mangas non médiatisés dans ce classement, témoignant en cela de l’effet best-seller ultra présent dans cette liste de livres lus par les jeunes générations. Et même Death Note, dont nous parlions plus haut, est une série culte, connue et reconnue (on la trouve dans tous les CDI de collèges et toutes les librairies) et faisant souvent l’objet de rééditions spéciales.

Les autres livres du top 22 sont ainsi une autobiographie écrite par une célèbre youtubeuse (Toujours plus, classé 16e avec 11 600 exemplaires), une série historique dont l’adaptation Netflix est un succès (La chronique des Bridgerton, classé 17e avec 11 000 exemplaires) ou encore une série de fantasy récompensée par plusieurs prix littéraires jeunesse (La Passe-miroir, classée 22e sur 22 avec 5 300 exemplaires). Bref, que des best-sellers soutenus par les médias.

On mesure les écarts avec les meilleures ventes de manga qui chacune, vendent à plus de 100 000 exemplaires, soit plus de 10 fois plus !


À lire aussi : Les librairies indépendantes ont-elles gagné de nouveaux clients au cours de la crise sanitaire ?


Alors bien sûr, on ne peut réduire la lecture des jeunes à une liste de 22 ouvrages qui en donnent une image forcément biaisée. Et naturellement, on pourra arguer qu’un livre lu reste un livre lu, quel qu’il soit, et qu’il vaut mieux lire un manga que rien du tout.

Mais cela donne néanmoins une idée de ce que privilégient les jeunes générations par le biais de ce dispositif alors que l’offre de lecture pour la jeunesse, y compris en bande dessinée classique, est pléthorique et ne se limite pas aux mangas, loin de là.

De nouveaux clients pour les librairies ?

Un autre élément positif de ce dispositif, indubitablement, est la fréquentation des librairies par les jeunes générations et la razzia sur certaines séries. Plus de 400 000 jeunes ont ainsi acheté des livres grâce au dispositif Pass Culture.

On sait que les librairies s’efforcent depuis toujours d’attirer le jeune public et de lui proposer un choix éclectique, par des animations jeunesse, par des partenariats avec des écoles et, bien sûr, par leur capacité à proposer des romans qui font envie. Et on ne pourra donc que se féliciter de voir les jeunes lecteurs affluer en librairie grâce à cette aide publique.

Mais cette fréquentation est-elle durable ou n’est-elle qu’un effet d’aubaine provisoire ? Il est difficile de répondre à cette question en l’état actuel des choses ; seules l’analyse longitudinale des données et l’observation des pratiques de lecture permettront de mesurer les impacts de cette politique culturelle.


À lire aussi : Pourquoi les livres papier n’ont-ils pas disparu ?


Les échos des libraires de terrain montrent qu’il n’est pas évident de fidéliser cette clientèle dont les comportements consuméristes s’apparentent davantage à du zapping et à la recherche de la satisfaction immédiate du besoin. Malgré la ténacité des libraires engagés dans la promotion de la diversité culturelle et leurs efforts, il est difficile de leur ouvrir l’horizon de lecture en proposant d’autres titres ou d’autres mangas, moins médiatisés.

Dans le cadre du Pass Culture, le jeune public vient souvent pour acheter un numéro précis d’une série manga précise ; il est donc moins susceptible de décaler son achat pour une autre série conseillée par les libraires. Le rôle des parents et du capital culturel peut également constituer un facteur clef dans la capacité à s’ouvrir à d’autres lectures.

Il ressort ainsi de ces chiffres un bilan en clair-obscur :

  • en clair, car loin des idées reçues, les jeunes lisent encore, et les politiques publiques culturelles peuvent avoir un véritable impact pour les accompagner,
  • mais en obscur, car on mesure malgré tout l’ampleur du travail encore à accomplir pour favoriser la diversité culturelle dans la lecture des jeunes générations. Il n’est ainsi pas évident de se libérer de l’influence consumériste, c’est là tout l’enjeu des politiques publiques et du travail des librairies.

Déclassement, manque de reconnaissance… ces enseignants qui veulent changer de métier

22 mardi Fév 2022

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  1. Sophie DevineauProfesseure des universités en sociologie, Université de Rouen Normandie

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Quand leur métier n’est plus une source de reconnaissance, certaines enseignantes cherchent des portes de sorties vers les services «enfance» de collectivités.

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Y aurait-il une crise des vocations vers l’enseignement ? Régulièrement, face aux problèmes de remplacements de profs, exacerbés par la crise du Covid, les médias soulèvent cette question. Lors des concours de recrutement d’enseignants en 2021, un certain nombre de postes sont restés non pourvus.

En novembre dernier, un article du Monde pointait ainsi un autre phénomène, celui des démissions : encore discret du point de vue statistique, il aurait cependant triplé entre 2013 et 2018, pour atteindre 1648 démissions en 2020-2021. Une donnée qui peut cacher un mouvement plus vaste comme le rappelaient Magali Danner, Géraldine Farges et leurs co-autrices dans la revue Education et Sociétés :

« la démission n’est pas la seule manière de quitter la classe ; d’autres existent, moins visibles, tels la disponibilité – permettant de quitter temporairement la fonction publique – les mobilités vers d’autres corps, les détachements dans des associations ou des services administratifs. »

Sur le terrain, nombreux pourtant sont encore les lycéennes et les lycéens, les étudiantes et les étudiants qui expriment l’envie d’embrasser cette profession, surtout dans le premier degré. C’est donc plus en aval dans les parcours que se joueraient les désaffections. Celles-ci concernent des enseignants dont la vocation était très forte au départ et qui commencent à douter, une fois en poste, face aux conditions d’exercice du métier, comme le pointait un numéro de la Revue internationale de sociologie de l’éducation autour des professions éducatives à l’heure des réformes.

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Plusieurs facteurs matériels et symboliques d’une désaffection du professorat ont ainsi pu être identifiés dans les recherches récentes, qu’il s’agisse du faible niveau des rémunérations en regard des diplômes exigés, du manque de reconnaissance des difficultés du métier et du niveau important de responsabilité envers les élèves et les familles. Des éléments structurels auxquels s’ajoutent de profonds bouleversements dans les politiques publiques qui ont instauré un système managérial inédit dans le domaine de l’éducation, vecteur d’effets négatifs sur l’attachement des professeurs à leur activité professionnelle.

Par exemple, la quantification des actes pédagogiques comme celle des compétences acquises par les élèves et leur évaluation en continu, en se multipliant, empiète sur le temps consacré aux échanges avec les élèves, technicisant à outrance la relation éducative. Celle-ci se trouve soumise à des contrôles dont la cadence nie le temps long nécessaire aux apprentissages.

Bureaucratisation croissante

Nous avons pu éclairer cette fragilisation des vocations dans une étude auprès de femmes enseignantes en reprise d’études dans un master professionnel de la petite enfance. Leur but étant de « sortir de l’école, quitter leur métier ». Le fait que le professorat dans le premier degré soit très féminisé (80 % en moyenne) justifie cette focalisation de l’enquête sur les enseignantes.

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Surtout, il s’agit d’explorer les déterminants sociaux qui pèsent sur la remise en cause d’un choix de métier à l’origine très solide, fréquemment, forgé dès l’enfance et vécu sur le mode de la vocation et de l’amour des enfants du fait des mécanismes de genre assignant les femmes aux métiers du care (éducation des enfants et soin à autrui).

Les profils sociologiques des enseignantes sont ceux de bonnes élèves qui se sont conformées avec application aux injonctions sexuées d’orientation vers l’enseignement, de telle manière qu’elles ont été éduquées à vivre leur choix du professorat comme un destin professionnel parfait pour les femmes, contrairement aux hommes, déclarant des motivations plus utilitaires comme la sécurité de l’emploi.

Les observations recueillies pour l’étude concernent des enseignantes de maternelle et d’éducation spécialisée âgées de 30 à 50 ans, entrées dans ce métier d’abord longtemps rêvé au fil de leurs études, puis réalisé avec fierté, mais ensuite vécu dans la souffrance au travail et les désillusions. Dans cette perturbation de la vocation, on retrouve les motifs de la dégradation des conditions de travail ou l’incertitude entretenue sur le statut des fonctionnaires, de leur rémunération et les droits à la retraite.

Mais apparaît aussi la découverte d’autres milieux professionnels comme les services « Enfance » dans les villes, et d’autres façons de travailler ouvrant la perspective d’une mobilité sociale ascendante pour ces femmes très diplômées. Parmi les conditions favorisant cette envie d’une bifurcation professionnelle et son passage à l’acte figurent des leviers non négligeables comme une vie de couple égalitaire et le féminisme de certaines.

Les réformes qui ont imposé une bureaucratisation croissante des actes éducatifs sont en toile de fond de ces remises en question. Chronophage, le pilotage par contrats d’objectifs et indicateurs de performance érode le temps long nécessaire à la pédagogie. L’injonction à monter des projets implique de sortir des préoccupations strictement centrées sur les contenus à transmettre et de les intégrer dans une architecture large d’actions et de partenariats de tous ordres comme les projets de cité éducative ou d’innovation pédagogique.

Manque de reconnaissance

Faute de temps et de moyens, les enquêtées disent ne plus supporter de devoir faire autre chose que veiller à l’accompagnement patient et bienveillant des apprentissages fondamentaux. Selon elles, l’éloignement de leur cœur de métier produit de la perte de sens et entame leur passion initiale, au point de les pousser à changer de secteur, voir même à rejeter tout métier de la relation directe à l’enfant.


À lire aussi : Le boom des profs non titulaires, un tournant pour l’Éducation nationale ?


Plus encore, l’expérience imposée de partenariats avec de nombreux services d’éducation périscolaires à travers le montage de projets éducatifs conduit à des remaniements identitaires non négligeables. L’école, la professeure, perdant leur position centrale et quasi exclusive de la question pédagogique, les professionnelles vont reconsidérer les avantages de leur statut et découvrir les atouts d’autres métiers dans le champ éducatif. En sorte qu’un nouvel horizon s’est ouvert pour les plus jeunes, quand pour les plus âgées il s’agit d’emprunter une voie de secours pour tenir jusqu’à la retraite.

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En effet, le spectre d’une période d’activité allongée pose le problème de l’énergie nécessaire au quotidien pour faire face à des groupes importants d’élèves dont les familles éprouvent de grandes difficultés sociales. Dès lors, incarnant des modèles de renoncement professionnel, ces femmes ne jouent plus le rôle attractif qu’elles avaient auprès des candidates au professorat. De figure sociale admirée et enviée, le professorat perd de son aura et ne sort pas vainqueur de la comparaison avec d’autres métiers moins exposés, moins prenants et mieux rémunérés.

La désaffection est bien entendu multifactorielle. Il est ainsi remarquable d’observer dans notre échantillon que ces ruptures biographiques touchent des enseignantes d’origine populaire dont l’école a pu constituer une première étape d’ascension sociale, et à l’inverse des femmes d’origine favorisée vivant mal le déclassement du métier. Quand l’enseignement n’est plus une source de reconnaissance et de satisfaction à la hauteur, elles cherchent des portes de sortie vers des directions de services « enfance » dans des collectivités locales ou le pilotage de dispositifs éducatifs variés développés par la Caisse d’allocations familiales par exemple.


À lire aussi : Entre les enseignants, des écarts de salaires qui persistent


Levier d’émancipation, la qualification élevée des enseignantes peut être mobilisée dans cet objectif de réalisation de soi autrement que dans le professorat. Mais cela concerne surtout celles qui bénéficient de rapports de genre favorables, en tant que fille réussissant dans la famille et conjointe dont la place est égale dans le couple. Elles peuvent ainsi imposer leur projet et recevoir les soutiens indispensables pour se décharger de l’articulation contraignante entre tâches domestiques et impératifs professionnels, qui pèse d’abord sur les femmes.

En somme, la déstabilisation des vocations observée à travers les réorientations des enseignantes a l’avantage d’éclairer les effets des transformations de l’activité sur des choix pourtant fermement ancrés au départ, autant que les besoins féminins d’une meilleure valorisation de leurs compétences

Quel est le poids exact de la France dans la « déforestation importée » qui touche l’Amazonie ?

21 lundi Fév 2022

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  1. François-Michel Le TourneauGéographe, directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  2. Martin DelarocheGéographe, chercheur associé au Center for the Analysis of Social-Ecological Landscapes (CASEL), Indiana University

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Récolte des graines de soja, en 2012 au Brésil (région du Mato Grosso). YASUYOSHI CHIBA / AFP

Chaque année, les feux de forêt en Amazonie brésilienne rappellent que la protection des forêts tropicales reste insuffisante pour endiguer les changements d’occupation des sols contribuant au changement climatique et à la réduction de la biodiversité.

Dans ce contexte, les importations de soja en Europe sont depuis longtemps pointées du doigt et l’Union européenne a récemment proposé un projet de règlement contre la « déforestation importée ».

Alors que la France a décidé d’en faire une priorité de sa présidence de l’UE, qui a démarré en janvier 2022, que savons-nous précisément du rôle de notre pays dans la déforestation en Amazonie ?

Paysage du Mato Grosso, dans lequel les grandes cultures se sont considérablement étendues au détriment des écosystèmes naturels de savane ou de forêt amazonienne. Martin Delaroche, CC BY-NC-ND

Qu’est-ce que la déforestation importée ?

Chaque année au Brésil, l’activité agricole – principalement l’élevage bovin extensif et la culture du soja – gagne du terrain sur les forêts d’Amazonie et sur les savanes de son biome voisin, le Cerrado.

Cette expansion est stimulée par la demande croissante de viande (bovine, porcine, de volaille) et de produits dérivés (œufs, produits laitiers) au niveau mondial. Le Brésil est le premier exportateur mondial de viande bovine et de soja, ce dernier étant principalement destiné à l’alimentation animale.

La déforestation importée en question correspond à la quantité de végétation naturelle (forêts ou savanes) détruite, directement ou indirectement, afin de produire dans le pays exportateur un bien demandé par le pays importateur.

Presque toutes les chaînes d’approvisionnement de matières premières ou de produits transformés provenant de pays tropicaux sont concernées (bois, huile de palme, cacao, etc.) mais, dans le cas de la France, le soja est celle dont l’« empreinte forêt » est la plus grande.

Près de 60 % du soja que nous importons provient en effet du Brésil. Par contraste, la part des importations de viande bovine provenant du Brésil est bien inférieure (1 %), mais la possibilité qu’elles augmentent considérablement dans le cadre de l’accord de libre-échange UE/Mercosur suscite de vives inquiétudes. La France reste, pour l’instant, opposée à sa signature.

Pointer les responsabilités : le défi de la traçabilité

Contrairement à ce que certains reportages (comme celui-ci par exemple) sur le terrain laissent penser, démontrer de manière précise le lien entre une quantité de soja ou de bœuf importée et la destruction de forêts est bien plus complexe que de pointer une poignée d’acteurs responsables de la déforestation en lien avec des entreprises françaises.

Il faut en effet considérer l’ensemble des flux d’importation en jeu.

Capture d’écran du site du projet TRASE, qui permet de retracer la municipalité d’origine de flux d’exportation. CC BY-NC-ND

Depuis 2015, le projet Trase s’attache à identifier les flux de soja et de bœuf exportés par chaque municipalité du Brésil et de faire le lien avec la présence éventuelle de déforestation. Cela permet d’estimer le risque que les produits importés en soient responsables. On parle bien ici de « risques », car dans les faits, la production peut aussi bien venir d’une ferme n’ayant pas pratiqué de déforestation depuis des décennies que d’une parcelle récemment défrichée…

Ainsi, tant que le traçage direct du bœuf ou des grains de soja depuis la parcelle où ils ont été produits ne sera pas possible au travers d’un système fiable et à l’abri des fraudes, il sera difficile de pointer les responsabilités avec certitude.

Le soja vecteur de déforestation ? Pas si simple…

Les mécanismes de la déforestation au Brésil sont complexes même si l’analyse des images satellites permet de localiser de mieux en mieux les parcelles défrichées et de préciser l’utilisation des terres qui est faite suite aux déboisements.

Dans le tableau ci-dessous, le soja n’est pas forcément un vecteur de déforestation directe, depuis que les agroindustriels ont signé un « moratoire sur le soja » qui vise à interdire la production sur des parcelles défrichées après 2008.

Valant pour l’Amazonie, cette règle laisse néanmoins le champ libre dans le Cerrado, où se réalise la plus grande partie de la production et où la pression sur les milieux naturels est la plus forte. On peut aussi souligner qu’un tiers de la production de soja du Brésil se réalise dans le Sud du pays, loin des fronts de déforestation. Par ailleurs, en Amazonie,les fermiers peuvent défricher de nouvelles terres pour d’autres cultures (coton, maïs) et réserver les terres anciennement déboisées pour le soja.

Cartes montrant l’expansion de la production de soja au Brésil, pour la période 1985-2015. On note la forte progression vers le nord et l’Amazonie, mais aussi la persistance de grands foyers de production dans le sud et le centre du Brésil. Martin Delaroche, données IBGE Produção Agricola Municipal, CC BY-NC-ND

Mais si le soja brésilien n’est pas toujours associé à de la déforestation récente, au contraire, l’élevage bovin est (très) majoritairement responsable de la déforestation en Amazonie. Cependant, sa production approvisionne très peu le marché français.

Peut-on changer la donne en sanctionnant la déforestation importée ?

La Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), lancée par le gouvernement français en 2018, vise à éliminer la participation « complice » (intentionnelle ou non) des importations à la déforestation dès 2030.

Pour cela, le gouvernement a proposé toute une série de mesures visant à financer des projets de gestion durable des forêts, influencer les accords commerciaux européens pour y intégrer des exigences environnementales et, enfin, sensibiliser les acteurs privés.

Les importations de viande brésilienne en France étant faibles, le levier potentiel réside dans celles de soja. Toutefois, le poids décroissant de l’Europe dans les exportations de soja brésilien et le rôle limité de celui-ci dans la déforestation font que même un boycott éventuel n’aurait sans doute pas grand effet pour l’Amazonie : la France pèse à peine 2 % des exportations de soja du Brésil.

Ce type de solution pourrait même amener le Brésil jouer sur deux tableaux : du soja non durable produit en Amazonie pourrait aller soit vers la Chine (qui représente 60 % de ses exportations de soja), soit rester dans le pays, tandis qu’une production durable et certifiée « zéro déforestation » irait vers l’Europe (16,7 % des exportations).

Les Européens face à leurs contradictions

La solution de n’importer que du soja durable, traçable à 100 % et garanti sans déforestation (avec une certification de type RTRS ou Proterra) est souvent mise en avant.

Mais outre les questions de localisation évoquées ci-dessus, cette solution implique qu’il y ait des acheteurs prêts à payer plus cher que la production classique.

Or il existe déjà du soja certifié « sans déforestation », mais sa part dans les importations européennes n’était que de 25 % en 2019 (contre 19 % en 2018), reflétant une faible demande de la part des consommateurs européens.

Les situations diffèrent certes d’un pays à l’autre : la Norvège a importé 100 % de soja durable (mais à peine 244 000 tonnes au total) en 2019, la France 16 % (sur un total de 3,8 millions de tonnes) et l’Espagne 1 % (sur un total de 4,1 millions de tonnes).

Cet état de fait indique une chose : arrêter la déforestation a un prix et globalement les consommateurs européens ne semblent pas prêts à le payer tant la préférence pour les produits très bon marché est forte (on constate évidemment le même phénomène vis-à-vis du textile ou de l’électronique, produits dans des pays à bas coûts, avec des conséquences sociales et environnementales sévères, et pourtant achetés en masse en Europe).

Il serait toutefois injuste de n’attribuer la faute qu’au « consommateur » : l’étude des chaînes d’approvisionnement montre qu’il faut mobiliser un grand nombre d’acteurs – incluant fermiers, industriels, négociants, éleveurs et grande distribution – pour parvenir à un changement.

Lutter contre la déforestation importée est néanmoins important, car il en va de l’exemplarité écologique des pays européens.

Toutefois, plutôt qu’un contrôle de la déforestation à distance, la solution se trouve certainement beaucoup plus dans une politique que mettrait en place le Brésil lui-même, ce qu’il a fait avec succès entre 2004 et 2014. De nombreuses ONG ont dénoncé le relâchement actuel, le pays ayant connu en 2021, son plus haut taux de déforestation depuis quinze ans.

Une alternative à l’interdiction de déforestation importée serait donc de collaborer avec le gouvernement brésilien et leurs organisations professionnelles locales afin de définir un objectif commun de préservation et un partage des coûts liés au changement de modèle de production.

L’évolution du cerveau humain : clichés et réalité

20 dimanche Fév 2022

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  1. Antoine BalzeauPaléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

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Un modèle 3D du crâne fossile d’Homo sapiens Cro-Magnon 1. Author provided

Voici probablement la partie du corps humain qui inspire le plus de fantaisies quand il s’agit de dépeindre son évolution au cours de la grande histoire de l’humanité. Un facteur limitant évident est qu’il est impossible de trouver un cerveau fossile. Ses tissus, mous, ne se conservent pas au fil du temps. C’est évidemment contrariant pour arpenter les méandres de la paléoneurologie.

Par chance, les os restent bien présents et puisque le cerveau appuie sur la surface interne du crâne tout au cours de la vie de l’individu, il y dépose des marques. Enveloppe osseuse et cerveau sont imbriqués, ils se mettent en place conjointement durant la croissance. Ainsi, la forme du crâne adulte rappelle le moment du summum du développement du cerveau. Quand nous découvrons un crâne fossile, sa surface interne est moulée, soit physiquement, soit virtuellement grâce aux méthodes d’imagerie, pour reconstituer son endocrâne. C’est le reflet de la forme d’ensemble du cerveau ainsi que de fins détails, comme les limites entre les lobes et autres petits sillons qui traduisent l’extension des zones cérébrales. L’honneur est sauf, les paléoanthropologues ont bien de quoi travailler sur les cerveaux des humains préhistoriques.

Dans l’animation ci-dessous, on voit un modèle 3D du crâne fossile d’Homo sapiens Cro-Magnon 1. Le crâne est en gris et s’efface pour montrer l’endocrâne (le moulage interne du crâne qui reflète les empreintes laissées par le cerveau).https://gfycat.com/ifr/PotableHandsomeIrishredandwhitesetter

Un cerveau de plus en plus gros

Il est d’ailleurs généralement clamé que le cerveau croît en taille sans interruption depuis les premiers humains jusqu’à nous. Globalement, c’est vrai. Mais cela n’a pas été une croissance régulière et continue. L’augmentation n’a pas été linéaire, la variation a connu plusieurs plateaux, des accélérations, mais aussi des diminutions avec plusieurs espèces extraordinaires.

Toumaï, le plus ancien bipède connu et premier humain de fait, a un endocrâne d’environ 370 cm³, ce qui représente à peine plus d’un tiers de litre. C’est aussi un peu moins que le cerveau moyen des chimpanzés actuels. Poursuivons avec les Australopithèques qui vécurent sur une longue période, entre 4,5 et 1,5 millions d’années. Leur cerveau mesurait 400 à 550 cm3. Avec l’apparition du genre Homo, il y a environ 2,5 millions d’années, la moyenne du volume cérébral atteint 650 cm3. La stature, c’est-à-dire la taille du corps, augmente un peu aussi. Mais ces chiffres sont des moyennes globales pour des groupes. Certains Australopithèques avaient un endocrâne plus gros que certains Homo anciens. Ainsi, il y a une petite hausse de la moyenne, mais ce n’est pas une révolution. Pas de « Rubicon cérébral », une image longtemps employée pour dire que le cerveau d’habilis était proche du nôtre et bien différent de celui des Australopithèques. Cela ne se vérifie finalement pas.

Une rupture s’observe à partir d’Homo erectus. Cette espèce vécut pendant presque 2 millions d’années et fut la première à visiter tout l’ancien monde. Son cerveau atteint un volume moyen autour de 1 000 cm3 avec une variation entre 600 et 1 300 cm3.

Le crâne fossile d’Homo sapiens Cro-Magnon 1, vue du spécimen original et de toutes les structures internes visualisées grâce à l’imagerie. L’endocrâne, visible à gauche, est montré en orange, en avant les sinus maxillaire, sphénoïdal et frontaux sont visibles, enfin la partie droite montre les variations d’épaisseur de l’os crânien. Toutes ses structures sont maintenant accessibles et peuvent être étudiées et comparées entre de nombreux spécimens fossiles afin de mieux comprendre l’évolution humaine. Antoine Balzeau, Author provided

Les plus gros cerveaux furent ceux des Néandertaliens, avec une moyenne de 1 600 cm3. Les représentants préhistoriques de notre espèce, Homo sapiens, avaient un endocrâne à peine plus petit, aux alentours de 1 500 cm3. Puis, la taille de cet organe a diminué et la moyenne actuelle n’est plus que de 1 350 cm3.

Terrible révélation : notre encéphale a rétréci au cours des derniers milliers d’années. Par ailleurs, il y a des exceptions à la tendance générale à la hausse. « l’Homme de Flores » a vécu au moins entre 800 000 et 50 000 ans en Indonésie. L’individu le plus complet avait un endocrâne de 430 cm3. Tous les spécimens sur des centaines de milliers d’années avaient une stature similaire, et donc probablement une petite tête. Sur une île voisine, Luzon, des humains dénommés Homo luzonensis et datés d’il y a environ 50 000 ans avaient aussi une toute petite stature. Enfin, Homo naledi est une autre originalité, avec ses 500 à 600 cm3 de cerveau alors qu’il vivait il y a environ 300 000 ans en Afrique du Sud. Tous ces humains ont été contemporains d’autres avec des cerveaux bien plus volumineux.

Intelligence et taille du cerveau

Il n’y a donc pas de croissance infinie et dirigée du cerveau au cours de l’évolution humaine. Ceci démontré, il reste un sujet à aborder. Celui de savoir s’il existe une relation entre taille du cerveau et intelligence.

Premier élément de réponse, indiscutable. Sur 7 millions d’années, la hausse du volume cérébral s’effectue en parallèle de l’acquisition de nouvelles compétences. Cela concerne la fabrication de nombreux outils, dont la complexité croît avec le temps, l’émergence d’une forme du langage articulé, l’apparition de la culture, de comportements symboliques et des arts… Ainsi, le lien se vérifie plutôt à une large échelle mais le détail entre espèces, ou parmi des individus choisis, est plus compliqué. Homo floresiensis naviguait peut-être, les premiers fabricants d’outils en pierre étaient des Australopithèques, ou les différentes espèces qui cohabitaient il y a 50 000 avaient des cerveaux de grande taille mais de structure clairement différente. N’oublions pas que la taille du cerveau ne saurait être le seul critère qui permet toutes les avancées de l’humanité.

L’organisation interne, la forme et diverses autres paramètres biologiques sont des facteurs déterminants et font aujourd’hui l’objet de nombreux travaux. Entre autres, il a été montré que les humains fossiles partagent un cerveau asymétrique depuis des millions d’années. Ces aspects sont impliqués dans de nombreuses fonctions chez les humains d’aujourd’hui, comme le langage ou la latéralité manuelle. Des caractères communs de structure ont aussi été observés chez la plupart des fossiles du genre Homo, même chez les espèces plus récentes qui ont un cerveau plus petit. Ainsi, les variations de forme et structure du cerveau sont complexes chez les humains fossiles. Le cerveau des terriens d’aujourd’hui a ses particularités, une grande hauteur par rapport à sa longueur et des lobes pariétaux étendus par exemple, mais des cerveaux humains très différents ont permis à leurs propriétaires de disposer de capacités cognitives élaborées.

Prenons pour finir un exemple mémorable d’étude sur le lien entre taille du cerveau et intelligence. Un chercheur a exploité les bases de données de l’armée américaine pour comparer des dizaines de milliers de spécimens. Il a calculé que les individus noirs avaient un cerveau plus petit que les blancs. C’est une démonstration mathématique, la moyenne est en effet plus faible. Cette petite différence est connue, il y a bien des variations de taille entre populations. Ce chercheur a aussi mis en évidence des résultats aux tests de QI plus faibles chez les noirs que chez les blancs. Pour lui, c’était la preuve que la taille de l’encéphale est directement corrélée à l’intelligence. Il justifiait ainsi la supériorité intellectuelle des blancs sur les noirs. Ce monsieur, bien que scientifique, avait sa petite idée en tête en menant cette recherche. Ce travail est vraiment publié comme un article scientifique.

Mais si le résultat est « juste » d’un point de vue purement mathématique, les interprétations sont totalement fausses. En effet, les données étaient biaisées, et le scientifique le savait. L’échantillon d’hommes noirs comprenait exclusivement des soldats jeunes, sans formation, issus de milieux pauvres. Les blancs étaient des militaires âgés, gradés et de milieux aisés. Ainsi, la relation observée n’était pas entre taille du cerveau et QI, mais entre ce dernier et les conditions de vie et la formation suivie !

Variation de la taille du cerveau (en cm³) au cours du temps (en millions d’années) au sein des différentes espèces humaines. Antoine Balzeau, Author provided

Un lien existe bien entre le cadre socio-économique, la formation et les résultats à des tests de QI. Par contre, la taille du crâne, la couleur de peau ou tout critère biologique ne déterminent pas les capacités intellectuelles. Il existe une variation de taille du cerveau, entre 1 000 et 2 000 cm3 pour une moyenne de 1 350 cm3 chez Homo sapiens. Les femmes ont un cerveau plus petit que les hommes, les populations européennes que les populations asiatiques, etc. Aucune étude n’a pu différencier hommes et femmes ou les différentes populations à travers la planète selon leurs capacités intellectuelles. Au final, la seule vraie relation observée lie taille du cerveau et climat. C’est pour cela qu’il faut garder un esprit critique en sciences, une éventuelle corrélation n’est pas la preuve d’une relation de causalité. Inutile de développer des thèses racistes ou sexistes basées sur l’origine, le genre, la couleur ou la supposée puissance civilisationnelle ! Pour ce qui est du cerveau, il est démontré que ce n’est pas la taille qui compte.

Fièvre jaune : les singes aussi se cachent pour mourir

19 samedi Fév 2022

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  1. Mélissa BerthetDocteur en biologie spécialisée en comportement animal, University of Zurich
  2. Geoffrey MesbahiPostdoctorant, ingénieur en agronomie, Inrae

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En 2019, une population de primates menacés a été décimée par une épidémie de fièvre jaune, silencieusement, dans l’indifférence générale. Ce drame écologique aurait pu être évité si les habitants de la région avaient été vaccinés contre la fièvre jaune. Nous avions étudié cette population de singes pendant des années, et nous avons été les premiers témoins de leur disparition. Voici le récit de notre expédition.

22 août 2019. Nous arrivons au Santuário do Caraça, une réserve privée dans l’État du Minas Gerais, au sud-est du Brésil. Entre 2016 et 2018, une épidémie de fièvre jaune a balayé la région. La fièvre jaune est une maladie transmise par les moustiques entre les singes et/ou les humains. Souvent asymptomatique chez l’homme, elle tue généralement les singes américains en quelques jours. Depuis quelques mois, les employés de la réserve voient moins de singes titis… et suspectent qu’ils aient été, eux aussi, atteints par l’épidémie.

Le Santuário do Caraça est un haut lieu de la biodiversité brésilienne abritant de nombreuses espèces menacées, dont le singe titi à front noir (Callicebus nigrifrons). Les titis vivent en petits groupes familiaux, constitués d’un couple fidèle à vie, et jusqu’à quatre petits. La population de Caraça est particulièrement précieuse pour la communauté scientifique : six familles (environ 30 individus) sont étudiées depuis 2004.

Deux groupes de deux singes collés l’un contre l’autre, leurs queues entremêlées
Certains matins frileux, les titis entortillent leur queue en une grosse tresse, et prolongent leur grasse matinée. Geoffrey Mesbahi et Mélissa Berthet, Fourni par l’auteur

23 août 2019. Nous arrivons au cœur de la forêt avant le lever du soleil. Tout est sombre, silencieux et brumeux. Nous savons qu’à l’aube, le mâle et la femelle défendent leur territoire d’environ 5 hectares en chantant en chœur. Nous attendons donc patiemment : s’il y a encore des singes ici, nous le saurons rapidement.Les singes titi ont la particularité de chanter pour défendre leur territoire. Ces chants portant à plus d’un kilomètre nous permettent de rapidement savoir si des singes sont présents..

Après plus d’une heure d’attente, nous entendons un chant depuis le territoire du groupe R. Leur vacarme assourdissant nous remplit de joie : Raffaello, le mâle, a été un des premiers singes à avoir été suivi par le programme en 2004. En le voyant s’approcher et chanter au-dessus de nous, nous avons le sentiment de retrouver un vieil ami.

Nous nous attendons à voir Roberta, sa femelle, le rejoindre. Mais c’est une petite silhouette cachée derrière un tronc qui unit sa voix à celle de Raffaello. Après de longues minutes d’observation, nous concluons que c’est Alma, une petite femelle que nous avons vu grandir dans un groupe voisin, le groupe A. Le fait qu’Alma chante avec Raffaello est clair : Roberta est morte et Alma l’a remplacée. Un mouvement dans les feuilles confirme d’ailleurs que la vie a repris son cours : un jeune singe, âgé d’un an environ, nous regarde, effrayé, caché derrière un tronc. Raffaello et Alma sont parents.

Nous les observons quelques heures avant de rentrer. Nous sommes rassurés de voir que dès le premier jour, nous avons trouvé une famille en bonne santé. Pleins d’espoir, nous décidons d’aller explorer le lendemain d’autres recoins de la forêt.

29 août 2019. Le silence. Le silence tonitruant. Cela fait maintenant 6 jours que nous errons dans la forêt sans voir ni entendre de titis. La situation nous semble désespérée : en une semaine, nous n’avons rencontré que le groupe R, le premier jour. Nous commençons à réaliser que ce que nous avions pris pour un signe de forêt en pleine santé était en fait un coup de chance dans une forêt désertée : la mort de Roberta n’est peut-être pas un évènement isolé.

Nous tentons de garder espoir : ne pas trouver de singes ne veut pas dire qu’ils ont forcément disparu. L’absence de preuves n’est pas preuve d’absence. Nous décidons alors de recenser précisément la population en utilisant une technique très efficace, la repasse : puisque les couples chantent pour se défendre contre les intrus, nous allons diffuser des chants de titis étrangers à l’aide d’un haut-parleur dans chaque territoire. Si un couple est encore là, il répondra. Et nous pourrons le recenser.

1er septembre 2019. Nous commençons par quadriller une zone dans laquelle vivaient deux groupes, M et P. Nous passons deux jours à jouer un chant, attendre une réponse pendant 5 min, et recommencer 180 mètres plus loin. Et entre les sessions, l’attente, et l’espoir d’une réponse. Silence. Après 2 longues journées, nous concluons qu’il n’y a plus aucun singe dans cette zone de la forêt. Les groupes M et P ont disparu.

Homme perché dans un arbre, le dos appuyé à un tronc et un pied appuyé contre un autre tronc, en train de tenir et d’observer son équipement
Un chercheur diffusant des chants de titi depuis un arbre (Crédit : Mélissa Berthet). Mélissa Berthet, Fourni par l’auteur

3 septembre 2019. Nous quadrillons maintenant la zone où vivaient quatre groupes de singes en 2016 : le groupe R, que nous avons retrouvé le premier jour, et les groupes A, D et S. Nous passons deux nouvelles journées en forêt. Le groupe R répond de temps en temps : il défend désormais des zones qui ne lui appartenaient pas en 2016. Entre ça et l’absence de signes d’autres groupes, le message est clair : les 3 autres groupes qui partageaient cette zone avec R ont disparu.

Le résultat est sans appel : sur les 6 groupes de singes que nous avions étudiés entre 2004 et 2016, un seul est encore présent. Cela représente 3 singes parmi les 33 qui composaient cette population en 2016. 80 % des singes de cette forêt ont donc disparu en 3 ans. Nous ne nous attendions pas à une telle hécatombe…

7 septembre 2019. Nous essayons de comprendre ce qu’il a pu se passer. Les employés du sanctuaire nous indiquent qu’ils ont commencé à moins voir les titis lorsque la fièvre jaune est arrivée dans la région. Mais sans corps de singe à autopsier, il est compliqué d’être certains que le virus est impliqué. Nous cherchons des explications alternatives : des conditions climatiques extrêmes ont-elles impacté leurs ressources alimentaires ? Est-ce la faute de braconniers ? De la déforestation ?

Photo d’un ensemble de bâtiment (une église et ses dépendances) en plein milieu de la forêt, vu d’un point en hauteur
Le Santuário do Caraça, îlot de biodiversité brésilienne. Fourni par l’auteur

Avril 2021. Nous sommes rentrés du Brésil il y a près de 18 mois, pendant lesquels nous avons exploré tous les scénarios alternatifs. Nous les avons tous abandonnés les uns après les autres, données ou témoignages à l’appui : l’épidémie de fièvre jaune qui a touché le Brésil entre 2016 et 2018 semble être la principale responsable de cette hécatombe.

Et les titis ne sont pas les seuls à en avoir souffert : elle a entraîné le déclin de plusieurs populations de primates déjà en danger de disparition. Par exemple, 25 % des muriquis du nord, et un tiers des tamarins lions dorés ont disparu suite à l’épidémie, ruinant au passage des années d’efforts de réintroduction.

Ce constat est d’autant plus frustrant qu’un vaccin protège les humains contre les effets dangereux de la fièvre jaune, et permet de limiter sa transmission aux autres humains, mais aussi aux espèces animales vulnérables. Cependant, des problèmes de ravitaillement des centres de santé et le manque de campagnes de sensibilisation ont freiné la vaccination de la population, en particulier celle des milieux ruraux, pourtant plus exposée à la maladie. Lorsque le virus de la fièvre jaune est arrivé dans ces régions peu vaccinées en 2016, il a pu se propager rapidement, ce qui a conduit à cette épidémie fulgurante. Afin de protéger les espèces vulnérables, il est donc urgent de renforcer les moyens de conservation de la biodiversité au Brésil, par les leviers traditionnels comme la surveillance du braconnage ou la réduction de la déforestation, mais aussi en renforçant la vaccination humaine.

L’intérêt de vacciner massivement les populations locales pour protéger la faune ne s’arrête pas aux maladies “exotiques” : cela est aussi valable pour la Covid-19, par exemple. Plusieurs animaux de zoos, comme des félins et des singes, ont été contaminés par la Covid-19. Plus inquiétant encore : aux États-Unis, 40 % des cerfs sauvages ont été contaminés. Les effets du virus sont encore mal connus sur les animaux, et il n’est pas impossible que certaines mutations mettent en danger des espèces sensibles.

L’initiative One Health rappelle que les santés humaine, animale et environnementale sont étroitement liées, et tous ces évènements le prouvent une fois de plus. La vaccination des humains se présente ainsi comme un levier majeur pour protéger la biodiversité, et éviter que d’autres espèces vulnérables ne connaissent le même destin que les titis de Caraça.

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