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Archives Journalières: 09/09/2022

Elizabeth II, une reine modernisatrice qui a fait entrer la monarchie britannique dans le XXIe siècle

09 vendredi Sep 2022

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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  1. Sean LangSenior Lecturer in History, Anglia Ruskin University

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Sean Lang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Elizabeth II est décédée ce 8 septembre à l’âge de 96 ans. Frank Augstein/AFP

Lorsque l’historien britannique Sir Ben Pimlott s’est lancé dans sa biographie d’Elizabeth II en 1996, certains de ses collègues se sont étonnés qu’il considère la reine comme digne d’un tel travail de recherche. Pourtant, le jugement de Pimlott s’est avéré judicieux tellement la monarque a marqué son époque.

Le rôle politique de la monarchie a notamment fasciné le monde artistique. En 2006, le film The Queen, de Stephen Frears, était consacré au dilemme auquel elle a été confrontée après la mort de la princesse Diana ; en 2013, la pièce de théâtre The Audience de Peter Morgan montrait ses réunions hebdomadaires avec ses premiers ministres. La pièce King Charles III de Mike Bartlett (2014), qui imagine les difficultés qu’éprouverait son héritier au moment de lui succéder, et la série dramatique The Crown, diffusée à partir de 2016 sur Netflix, ont donné d’elle une image globalement positive et sympathique.

La reine du peuple

Le règne d’Elizabeth trouve ses origines dans la crise de l’abdication de 1936, l’événement déterminant du XXe siècle pour la monarchie britannique. L’abdication inattendue d’Édouard VIII a propulsé sur le trône son jeune frère Albert, timide et bègue, sous le nom de George VI. Peu après, il allait devenir la figure de proue de la nation pendant la Seconde Guerre mondiale.

La reine Elizabeth (deuxième à gauche, future reine mère), sa fille la princesse Elizabeth (quatrième à gauche, future reine Elizabeth II), la reine Mary (au centre), la princesse Margaret (cinquième à gauche) et le roi George VI (à droite), posent au balcon du palais de Buckingham le 12 mai 1937. AFP

La guerre a été une expérience formatrice fondamentale pour sa fille aînée, la princesse Elizabeth, âgée de 14 ans alors que les bombes allemandes commencèrent à s’abattre sur Londres en août 1940.

Dans les derniers mois du conflit, elle travailla en tant que mécanicienne automobile au sein de l’ATS (Auxiliary Territorial Service – le service militaire féminin), ce qui signifie qu’elle pouvait légitimement prétendre avoir participé à ce que l’on a appelé « la guerre du peuple ». Dès lors, elle apparut naturellement plus proche de ses concitoyens que tous ses prédécesseurs sur le trône.

La princesse Elizabeth en uniforme de l’ATS en avril 1945.

En 1947, quand Elizabeth épouse Philip Mountbatten – qui devient alors Duc d’Édimbourg –, son mariage égaye la vie d’une nation encore en proie à l’austérité et au rationnement de l’après-guerre.

Quelques années plus tard, le 6 février 1952, à la mort de son père, celle qui sera désormais nommée Élizabeth II hérite d’une monarchie dont le pouvoir politique n’a cessé de diminuer depuis le XVIIIe siècle, mais dont le rôle dans la vie publique de la nation semble, au contraire, avoir gagné en importance. Au XXe siècle, on attend des monarques qu’ils s’acquittent de leurs devoirs cérémoniels avec la gravité qui s’impose tout en sachant partager et apprécier les goûts et les intérêts des gens ordinaires.

La cérémonie du couronnement de la reine, en 1953, permet de concilier ces deux rôles. La tradition cérémoniale est rattachée aux origines saxonnes de la monarchie, tandis que sa retransmission télévisée la fait entrer dans le salon des gens ordinaires grâce à la technologie la plus récente. Ironie de l’histoire : c’est parce qu’il doit désormais être visible de tous que le cérémonial royal devient beaucoup plus chorégraphié et plus formel qu’il ne l’avait jamais été auparavant.

La Reine assise sur un trône avec tous ses atours, entourée d’évêques
Couronnement d’Elizabeth II à l’abbaye de Westminster, le 2 juin 1952.

Plus tard, en 1969, la reine révolutionne la perception de la monarchie par le grand public lorsque, à l’instigation de Lord Mountbatten et de son gendre, le producteur de télévision Lord Brabourne, elle accepte de participer au documentaire Royal Family de la BBC. Il s’agit d’un portrait remarquablement intime de sa vie domestique, la montrant au petit-déjeuner, en train de participer à un barbecue à Balmoral et faisant un saut dans les magasins locaux.

La même année, l’investiture de son fils Charles comme prince de Galles, autre événement royal télévisé, est suivie en 1970 de la décision de la reine, lors d’une visite en Australie et en Nouvelle-Zélande, de rompre avec le protocole et de se mêler directement à la foule venue la voir. Ces « bains de foule » deviennent rapidement un passage obligé de tout déplacement royal.

La Reine sourit en passant devant une file de personnes qui applaudissent
Le jubilé d’argent de la Reine en 1977 a été un moment fort au milieu de son règne. Trinity Mirror/Mirrorpix/Alamy Stock Photo

Le point culminant de la popularité d’Elizabeth II survient lors des célébrations du jubilé d’argent de 1977, qui voient le pays se parer de rouge, de blanc et de bleu lors de fêtes de rue semblables à celles du Jour de la Victoire en 1945. En 1981, le mariage à la cathédrale Saint-Paul du prince Charles et de Lady Diana Spencer sera également un événement extrêmement populaire.

Le temps des troubles

Les décennies suivantes se révèlent beaucoup plus éprouvantes. Au début des années 1990, la controverse sur l’exonération de l’impôt sur le revenu dont bénéficie la reine oblige la Couronne à modifier ses dispositions financières afin que la famille royale s’acquitte de ses obligations fiscales comme tout le monde. À la même époque, des commérages et scandales éclatent autour des jeunes membres de la famille royale. Trois des enfants d’Elizabeth II vont divorcer : la princesse Anne en 1992, le prince Andrew en 1996 et, plus grave encore, le prince héritier Charles, également en 1996. La reine qualifie l’année 1992, celle de l’apogée des scandales, d’« annus horribilis ».

Les révélations sur les humiliations que la princesse Diana avait endurées dans son mariage avec Charles révèlent au public un aspect beaucoup plus dur et moins sympathique de la famille royale, dont l’image se dégrade encore lorsque la reine, de manière inhabituelle, évalue mal l’humeur de ses sujets après la mort accidentelle de Diana en 1997. Après le décès tragique de sa très populaire ex-belle-fille, elle se contente en effet de suivre le protocole, en restant à Balmoral et en gardant ses petits-enfants auprès d’elle.

Cette attitude semble froide et insensible à un public avide de manifestations d’émotions qui auraient été impensables dans les jeunes années de la Reine. « Où est notre Reine ? », demande le Sun, tandis que le Daily Express lui intime : « Montrez-nous que vous vous souciez de nous ! », insistant pour qu’elle rompe avec le protocole et mette en berne l’Union Jack qui flotte au-dessus de Buckingham Palace. Jamais, depuis l’abdication de 1936, la popularité de la monarchie n’était tombée aussi bas.

Brièvement prise à revers par ce brusque revirement de l’opinion publique britannique, la Reine reprend rapidement l’initiative, s’adressant à la nation à la télévision et saluant de la tête le cortège funèbre de Diana au cours d’une cérémonie télévisée intelligemment conçue et chorégraphiée.

La reine et sa sœur la princesse Margaret devant le palais de Buckingham le 6 septembre 1997 lors des funérailles de Diana. Wtn/AFP

Son retour en grâce aux yeux de la majorité de la population se manifeste en 2002 par le succès colossal – et inattendu – de son jubilé d’or, inauguré par le spectacle extraordinaire de Brian May, le guitariste de Queen, exécutant un solo de guitare sur le toit du palais de Buckingham. Dix ans plus tard, quand Londres accueille les Jeux olympiques, la reine est suffisamment sûre d’elle pour accepter d’apparaître dans un mémorable caméo ironique lors de la cérémonie d’ouverture, où elle semble sauter en parachute dans le stade depuis un hélicoptère en compagnie de James Bond.

Le domaine politique

Si la reine Elizabeth a toujours cherché à maintenir la couronne au-dessus des partis politiques, elle n’en a pas moins été pleinement engagée, toute sa vie durant, dans les affaires du monde. Croyant fermement au Commonwealth, en dépit du fait que ses propres premiers ministres avaient depuis longtemps perdu confiance dans cette organisation, elle a joué un rôle de médiatrice dans les conflits entre ses États membres et a apporté son soutien et ses conseils aux dirigeants du Commonwealth – y compris à ceux qui étaient fortement opposés au gouvernement britannique.

Ses premiers ministres ont souvent salué sa sagesse et ses connaissances politiques, résultat de ses années d’expérience et de sa lecture quotidienne assidue des journaux du pays. Harold Wilson a confié qu’assister à la traditionnelle audience hebdomadaire avec la reine sans être préparé lui donnait la même impression qu’être interrogé à l’école sans avoir fait ses devoirs. Il est par ailleurs de notoriété publique que la reine, de son côté, trouvait difficiles les relations avec Margaret Thatcher.

La reine et le duc d’Édimbourg se sont même parfois opposés à l’utilisation politique dont ils pouvaient être l’objet. Par exemple, en 1978, ils n’ont pas dissimulé leur mécontentement quand le ministre des Affaires étrangères de l’époque, David Owen, les a contraints à recevoir au palais de Buckingham le dictateur roumain Nicolae Ceausescu et son épouse. La reine a également souvent joué un rôle très constructif dans la politique étrangère de Londres, donnant un aspect plus cérémonial et public en soutien du travail des ministres.

Par ailleurs, elle a établi de bons rapports avec plusieurs présidents américains, notamment Ronald Reagan et Barack Obama, et sa visite réussie en 2011 en République d’Irlande, au cours de laquelle elle a étonné ses hôtes en s’adressant à eux en gaélique, reste un modèle de l’impact positif que peut avoir une visite d’État.

Elle a même été capable de mettre de côté ses sentiments personnels concernant l’assassinat en 1979 de Lord Mountbatten (l’oncle maternel de son époux) et d’accueillir avec cordialité l’ancien commandant de l’IRA Martin McGuinness quand celui-ci a pris ses fonctions de vice-premier ministre d’Irlande du Nord en 2007.

En réalité, elle n’a exprimé ses propres opinions politiques qu’exceptionnellement, et toujours très brièvement. Ainsi, lors d’une visite à la Bourse de Londres après le krach financier de 2008, elle a demandé sèchement pourquoi personne n’avait vu venir la crise.

En 2014, son appel soigneusement formulé aux Écossais pour qu’ils réfléchissent bien à leur vote lors du référendum sur l’indépendance a été largement – et à juste titre – interprété comme une intervention favorable au maintien de l’Union. Et à l’approche de la conférence COP26 en 2021 à Glasgow, à laquelle elle a dû renoncer de participer pour raisons médicales, elle a exprimé l’irritation qu’elle ressentait en constatant l’insuffisance des actions politiques face à l’urgence du changement climatique.

Les dernières années

Ces dernières années, alors qu’elle avait eu 95 ans le 21 avril 2021, elle avait enfin commencé à ralentir, déléguant davantage à d’autres membres de la famille royale ses fonctions officielles, y compris le dépôt annuel de sa couronne au cénotaphe le dimanche du Souvenir. En mai 2022, elle délègue au prince Charles sa fonction cérémoniale la plus importante, la lecture du discours du Trône lors de l’ouverture officielle du Parlement.

Elle aura toutefois conservé jusqu’au bout sa capacité à faire face aux crises. En 2020, alors que la pandémie de Covid fait rage, la reine, contrairement à son premier ministre, a adressé à la nation – depuis Windsor, où elle est confinée – un message calme et fédérateur. Sa brève allocution combine la solidarité avec son peuple avec l’assurance que, selon une formule empruntée à la fameuse chanson de Vera Lynn datant de la Seconde Guerre mondiale, « We will meet again » – nous nous retrouverons.

Cette dernière décennie lui a également apporté son lot de tristesse. Son petit-fils, le prince Harry, et l’épouse de celui-ci Meghan Markle, ont renoncé à leurs fonctions royales, ce qui a profondément blessé la famille régnante – blessure aggravée lorsque, dans une interview accordée à la journaliste américaine Oprah Winfrey qui fit le tour du monde, les Sussex ont accusé la famille royale de les avoir traités avec cruauté, dédain et même racisme.

Peu après le choc causé par l’interview, Elizabeth perdait son mari depuis 73 ans, le prince Philip, mort le 9 avril 2021 à quelques mois de son 100e anniversaire. Lors de ses funérailles, organisées en petit comité du fait des exigences imposées par la crise sanitaire, la reine était apparue comme une silhouette inhabituellement solitaire, petite, masquée, assise à l’écart des autres personnes présentes. Dans les mois suivants, l’impact profond de cette perte n’est devenu que trop évident, sa santé déclinant progressivement.


À lire aussi : Décès du prince Philip, aristocrate européen de la vieille école et époux royal dévoué


La douleur provoquée par l’éloignement des Sussex a été fortement aggravée par la disgrâce, peu après, du prince Andrew, son deuxième fils et, selon certains, son fils préféré, dont le nom est désormais étroitement associé à celui du pédophile américain Jeffrey Epstein. Le monde entier a vu un membre éminent de la famille royale accusé par un tribunal américain de relations sexuelles avec des mineurs ; en outre, Andrew a aggravé son cas en accordant une interview désastreuse à la BBC.

La reine a réagi au scandale avec une détermination remarquable : elle a déchu son fils de tous ses titres royaux et militaires, y compris du très prestigieux « HRH » (Son Altesse Royale), le réduisant, de fait, au statut de simple citoyen. À ses yeux, personne, pas même ses plus proches, ne devaient saper par leur comportement tout ce qu’elle avait accompli au cours de son règne pour protéger et préserver la monarchie.

Le succès de son jubilé de platine, en 2022, montre à quel point elle a conservé l’affection de son peuple ; un moment fort, particulièrement bien accueilli, a été un charmant caméo la montrant prenant le thé avec l’ours Paddington, personnage de contes pour enfants.

Une idée très répandue dans le pays affirme que la reine apparaissait régulièrement dans les rêves des Britanniques ; mais son contact le plus régulier avec ses sujets était son message annuel de Noël, diffusé à la télévision et à la radio. Cette allocution ne reflétait pas seulement son travail et ses engagements au cours de l’année précédente ; elle réaffirmait aussi, avec plus de franchise et de clarté que chez la plupart de ses ministres, sa foi chrétienne profondément ancrée.

En tant que chef de l’Église d’Angleterre, elle était elle-même un leader spirituel et ne l’a jamais oublié. Au fil des années, le message de Noël s’est adapté aux nouvelles technologies, mais son style et son contenu sont restés inchangés, reflétant la monarchie telle qu’elle l’avait façonnée.

Noël 2021 dans une famille britannique, Liverpool. Paul Ellis/AFP

Sous Elizabeth II, la monarchie britannique a survécu en changeant son apparence extérieure sans modifier son rôle public. Les détracteurs républicains de la monarchie avaient depuis longtemps renoncé à exiger son abolition immédiate et accepté que la popularité personnelle de la reine rende leur objectif irréalisable de son vivant.

Elizabeth II, dont le règne de 70 ans aura été le plus long de toute l’histoire de la monarchie britannique, laisse à son successeur une sorte de république monarchique dans laquelle les proportions des ingrédients qui la composent – la mystique, le cérémonial, le populisme et l’ouverture – ont été constamment modifiées afin qu’elle reste essentiellement la même. Les dirigeants politiques et les commentateurs du monde entier reconnaissent depuis longtemps que la reine s’est acquittée de son rôle constitutionnel souvent difficile et délicat avec grâce… et avec une habileté politique remarquable.

Sa sagesse et son sens du devoir jamais pris en défaut lui ont valu d’être considérée avec un mélange de respect, d’estime et d’affection qui transcendait les nations, les classes et les générations. Elle était immensément fière du Royaume-Uni et de son peuple, mais en fin de compte, elle appartenait au monde, et le monde pleurera sa disparition.

Gorbatchev, héros pour les uns, oppresseur pour les autres ?

09 vendredi Sep 2022

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  1. Cécile VaissiéProfesseure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE, Université de Lorraine

Déclaration d’intérêts

Cécile Vaissié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Mikhaïl Gorbatchev contemple son propre buste
En novembre 2009, un buste représentant Mikhaïl Gorbatchev est dévoilé à Berlin, en sa personne, pour célébrer les vingt ans de la chute du mur de Berlin. Mais l’homme qui mit fin à la guerre froide n’est pas perçu positivement par l’ensemble de ses anciens concitoyens… Leon Neal/AFP

L’annonce du décès de Mikhaïl Gorbatchev, le 30 août dernier, a été suivie, comme on pouvait s’y attendre, de très nombreux hommages venus du monde entier.

Joe Biden a salué un dirigeant ayant eu assez d’« imagination pour voir qu’un autre avenir était possible et le courage de risquer toute sa carrière pour y parvenir ». Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a qualifié le défunt d’« homme d’État unique qui a changé le cours de l’Histoire ». La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a souligné que le dernier leader de l’URSS avait « ouvert la voie à une Europe libre ». Pour Emmanuel Macron, Gorbatchev fut « un homme de paix dont les choix ont ouvert un chemin de liberté aux Russes ».

On pourrait multiplier longtemps les citations similaires. Toutefois, des voix discordantes se sont fait entendre : le président de la Lettonie Egils Levits a estimé que c’est contre la volonté du prix Nobel de la paix 1990 que les pays baltes avaient obtenu leur indépendance, tandis que le ministre lituanien de la Défense Arvydas Anusauskas, par ailleurs historien, n’a pas hésité à affirmer que le récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1990 était « un criminel ». Des commentaires pour le moins désobligeants ont également été très fréquents en Arménie et en Azerbaïdjan, tandis que les officiels de la Géorgie et du Kazakhstan, entre autres, ont brillé par leur silence.

Le refus des représentants de nombreuses anciennes républiques soviétiques de s’associer au concert international de condoléances souligne l’ambiguïté de l’héritage de Mikhaïl Gorbatchev. Si les Occidentaux lui savent gré d’avoir lancé un processus qui a abouti, sans bain de sang généralisé, à la fin de la dictature soviétique, une bonne partie des ex-républiques n’a pas oublié qu’il fut l’homme qui réprima durement les indépendantistes au Kazakhstan en 1986, en Arménie en 1988, en Géorgie en 1989, en Azerbaïdjan en 1990, en Lituanie et Lettonie en 1991…

Alors, Mikhaïl Gorbatchev fut-il un héros, un bourreau, ou les deux ? Sans prétendre répondre de façon tranchée à cette question, il est possible d’apporter quelques éléments d’appréciation en revenant sur les six années qu’il passa au pouvoir.

Objectif premier : redresser l’économie

Ce qui est certain, c’est que, sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev, des changements démocratiques se sont produits en URSS… même si le but initial n’était pas tant de construire un État de droit que de faire redémarrer une économie à bout de souffle. En 1983, un rapport très officiel de la sociologue Tatiana Zaslavskaïa avait établi que l’apathie généralisée de la société soviétique bloquait tout développement économique. À l’époque, l’une des plaisanteries, un peu tristes, qui circulaient dans le pays constatait : « Ils font semblant de nous payer, on fait semblant de travailler. » Ce qui se traduisait aussi par des magasins vides et l’impossibilité de suivre la course aux armements relancée par Ronald Reagan en 1983.

C’est dans ce contexte que Gorbatchev prend la tête du PCUS, en 1985. Quelques mois plus tard, conseillé notamment par Zaslavskaïa, il annonce qu’« une transformation radicale de la pensée et de la psychologie, de l’organisation, du style et des méthodes de travail à tous les niveaux » est indispensable ». Puis deux slogans sont lancés, qui passeront à la postérité : la glasnost’ – l’une des revendications de la dissidence russe : que les réalités ne soient pas masquées – et la perestroïka – la « reconstruction ».

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Gorbatchev va redonner davantage de libertés à la société, dans l’espoir de redynamiser celle-ci, et établit ainsi – à l’opposé du choix chinois – un lien implicite entre l’efficacité de l’économie et les libertés octroyées aux citoyens. Néanmoins, au printemps 1986, le Politburo attendra plusieurs jours avant d’annoncer l’accident survenu à la centrale atomique de Tchernobyl : il n’aurait pas fallu gâcher les fêtes du 1er mai…

Bouleversements et libérations

Le signal des changements est donné dans la culture. Chaque mois, des textes littéraires qui circulaient jusque-là en samizdat, sous le manteau, paraissent dans des revues officielles : le Requiem d’Anna Akhmatova, Le Docteur Jivago de Boris Pasternak, Vie et Destin de Vassili Grossman, Cœur de chien de Mikhaïl Boulgakov, Nous autres d’Évguéni Zamiatine, mais aussi les poèmes d’Ossip Mandelstam ou de Iossif Brodski, liste loin d’être exhaustive. Puis l’essentiel des Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljénitsyne et bien d’autres écrits sur l’horreur du passé récent.

Par ailleurs, la presse peut désormais aborder de front, outre la question des purges, des thèmes d’actualité jadis considérés comme audacieux : la corruption, la triche, le désarroi de la jeunesse, etc. Certaines publications – Ogoniok, Les Nouvelles de Moscou – ont pour mission de donner l’exemple, et leurs tirages explosent : les Soviétiques sont demandeurs.

En parallèle, les dissidents emprisonnés sont libérés, ne serait-ce que parce que des proches de Gorbatchev ont compris que ces libérations amélioreraient les relations, y compris commerciales, avec l’Occident.

Le 8 décembre 1986, Anatoli Martchenko, auteur d’un livre fondamental sur les camps poststaliniens, Mon témoignage, meurt à l’issue d’une grève de la faim dans la prison de Tchistopol. Exactement une semaine plus tard, Mikhaïl Gorbatchev téléphone au dissident (et prix Nobel de la paix 1975) Andreï Sakharov, assigné à résidence à Gorki (Nijni Novgorod) depuis 1980, et lui demande de rentrer à Moscou avec sa femme, Elena Bonner. Ces remises en liberté se poursuivent : alors que 26 personnes ont été libérées avant terme en 1986, 175 le sont entre le 1er janvier et le 15 juillet 1987.

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Ces libérations ne correspondent toutefois pas à l’amnistie générale que les dissidents demandent depuis des années. En effet, elles se font au cas par cas et sont conditionnées par la signature d’une « requête » qui, même si elle s’avère n’être qu’une formalité, est interprétée comme une forme de reddition. Certains refusent de signer quoi que ce soit, d’autres signent, mais en resteront brisés – ce qui est l’une des raisons pour lesquelles si peu de dissidents investissent le champ politique en Russie.

La conscience des violences du passé

Que le millénaire du baptême de la « Rous’ » soit officiellement célébré en 1988, alors que la religion restait combattue quelques semaines plus tôt, est un autre signal fort. Là encore, l’intention est avant tout pragmatique, comme le décryptera Alexandre Men, prêtre et intellectuel de haute volée : « L’État est désemparé. Avec l’aide de l’Église, il voudrait essayer de rétablir quelques normes morales. » Dès lors, Alexandre Degtiarev, adjoint du responsable de l’idéologie au Comité central du PCUS, peut clamer en 1989 : « Le Parti encourage l’activité religieuse à devenir un élément constructif dans l’évolution de la société vers l’humanisme et la démocratie. »

En tout cas, les sociétés soviétiques prennent de plus en plus conscience des immenses violences qu’elles ont toutes subies sous Lénine et sous Staline et qui les ont traumatisées en profondeur – comme cela se remarque aujourd’hui encore.

Dénoncer ces répressions est dès lors perçu comme la condition de guérisons sociales, politiques et individuelles. Dans ce contexte, ce qui était tu ou chuchoté jusque-là explose publiquement : les envies de démocratie, certes, mais aussi des nationalismes, y compris russe, et les désirs d’indépendance, ancrés dans certaines républiques. Dès 1988, des meetings politiques rassemblent des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes : la passivité passée était la conséquence des peurs. Parallèlement, des réformes sont adoptées pour relancer l’économie, et d’autres permettent de renouveler en partie le personnel et les pratiques politiques.

Rassemblement organisé par l’organisation russe de défense des droits de l’homme Memorial place de la Loubianka, devant le siège du KGB, à Moscou, le 30 octobre 1989, pour marquer la « Journée des prisonniers politiques ». Vitaly Armand/AFP

Ainsi, lors du Congrès des députés du peuple d’URSS, qui se réunit à partir du 25 mai 1989, l’ensemble des débats est télévisé pour la première fois, et certains députés renoncent à la langue de bois, si bien que la société, fascinée, suit ces débats jour et nuit.

Comme l’écrira Andreï Sakharov, élu député, « le Congrès a entièrement détruit pour tout le monde dans notre pays toutes les illusions dont on nous avait bercés, avec lesquelles on nous avait endormis, nous et le monde entier ». Selon lui, ces retransmissions télévisées permettaient à des millions de personnes d’avoir « une image claire et impitoyable de la vie réelle dans notre société ». Mais il croyait que ce Congrès avait « rendu impossible tout retour en arrière ».

Des volontés d’indépendance

La question nationale prend alors de l’ampleur : certains des peuples intégrés de force dans l’URSS, voire dans l’empire russe, peuvent désormais, sans conséquences trop dramatiques, revendiquer leurs identités. Les pays baltes sont les premiers à oser déclarer leur souveraineté (l’Estonie, le 16 novembre 1988 ; la Lituanie et la Lettonie en mai et juillet 1989), et à exprimer leur désir d’indépendance : l’unité soviétique n’était qu’un mythe.

Des troubles éclatent autour de ces identités nationales. Un conflit sanglant commence en 1988 entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh ; un autre, en 1989, entre la Géorgie et l’Abkhazie – et ni l’un ni l’autre n’est réglé aujourd’hui.


À lire aussi : Trente ans après l’effondrement de l’URSS, ces États fantômes qui hantent l’espace post-soviétique


Le 9 avril 1989, Moscou envoie ses tanks contre des jeunes qui, au cœur de Tbilissi, demandent la fin de l’occupation soviétique en Géorgie. Dix-neuf personnes – dont seize femmes – sont tuées, et 427 blessées. Ce jour-là, écrira l’historien Stephen Jones, « tout a changé dans la politique soviétique et géorgienne. Le lien fragile qui reliait les intellectuels géorgiens à la perestroïka, et la Géorgie à la Russie, a craqué ».

Les pays baltes demeurent à la tête des revendications avec un courage réel et, le 11 mars 1990, la Lituanie proclame son indépendance. Mais, pour la direction soviétique, il est inconcevable de voir l’URSS se déliter ou exploser. En janvier 1991, le Kremlin envoie donc des troupes reprendre le contrôle des républiques baltes et, en Lituanie et Lettonie, 22 personnes sont tuées, et plus de six cents blessées. En Russie même, l’émotion est très forte dans certains cercles. Il ne sera toutefois jamais annoncé clairement, par la suite, qui, là comme en Géorgie en 1989, a donné l’ordre d’intervenir militairement, et Gorbatchev n’a jamais été jugé pour cela, contrairement à certains de ses anciens collaborateurs.

Le 9 avril 1991, la Géorgie se déclare à son tour indépendante, tandis que les relations se tendent entre le centre soviétique – Gorbatchev – et la république de Russie dont Boris Eltsine est élu président le 12 juin 1991.

Des parachutistes soviétiques chargent des manifestants lituaniens qui protègent l’entrée de l’imprimerie de la presse lituanienne, le 11 janvier 1991 à Vilnius. Andre Durand/AFP

En août, un putsch éclate, mené par des dirigeants de l’armée et du KGB désireux de mettre brutalement fin au processus de démocratisation et d’éclatement de l’URSS, et des rumeurs circulent aujourd’hui encore : Gorbatchev, alors en vacances, était-il au courant ? Ce putsch pourrait-il avoir été une mise en scène orchestrée par les services secrets ?

En tout cas, le coup d’État échoue en moins de trois jours, et la plupart des républiques fédérales en profitent pour déclarer leur indépendance, dont l’Ukraine le 24 août. Une page se tourne, laissant aux uns et aux autres des souvenirs très contrastés : en Lituanie, Géorgie, Arménie (et aussi en Ukraine, où on lui reproche en outre d’avoir salué l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014), Gorbatchev est largement vu comme celui qui a voulu étouffer par la violence leurs revendications nationales, alors que certains, en Russie, lui reprochent d’avoir détruit l’URSS – ce qu’il n’a jamais voulu faire. Lui-même était le fruit du système dans lequel il était né, même s’il en percevait certains défauts et limites.

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