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Archives Mensuelles: février 2023

Imaginaires du nucléaire : le mythe d’un monde affranchi de toutes contraintes naturelles

28 mardi Fév 2023

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  1. Teva MeyerMaître de conférences en géopolitique et géographie, Université de Haute-Alsace (UHA)

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Teva Meyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Un employé évoluant dans les installations pour l’enrichissement de l’uranium à la centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme
En janvier 2023, dans une unité d’enrichissement de l’uranium à la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme). Olivier Chassignole/AFP

En plein débat sur la relance de la filière du nucléaire civil en France, nous vous proposons de découvrir un extrait du récent ouvrage du géographe Teva Meyer (Université de Haute-Alsace), « Géopolitique du nucléaire », paru le 16 février 2023 aux éditions du Cavalier bleu. L’auteur y questionne et explore l’importance croissante du nucléaire dans les relations internationales. Dans le passage choisi ci-dessous, il est question des imaginaires qui soutiennent le développement des industries civile et militaire de l’atome.


Aux racines géopolitiques du nucléaire se trouvent deux mythes, l’avènement de l’Humanité à l’âge de l’abondance et la soumission de la nature, fondés sur les propriétés physiques de l’uranium et du plutonium. Comprendre les fondamentaux géopolitiques du nucléaire demande de s’arrêter sur cette matérialité. Plus précisément, il faut prendre au sérieux la manière dont celle-ci a été convoquée par des acteurs scientifiques, politiques et économiques pour soutenir l’idée d’un nucléaire a-spatial par nature, d’une technologie permettant à l’Humanité de se défaire des contraintes que la géographie avait fait peser sur son développement.

L’exploitation de la densité énergétique, c’est-à-dire la quantité d’énergie stockée dans une masse donnée, de l’uranium et du plutonium constitue une rupture technologique. Un kilogramme d’uranium préparé pour un réacteur commercial libère 3 900 000 mégajoules d’énergie, contre 55 mégajoules pour le gaz naturel, 50 pour le pétrole et moins de 25 pour la houille. Un réacteur standard, de la taille de ceux en fonction en France, consomme environ un mètre cube d’uranium enrichi par an, soit 20 tonnes de combustible. Pour le produire, il faut approximativement dix fois plus d’uranium naturel. La même énergie fournie par une centrale à charbon demanderait 3 millions de tonnes de houille. Les volumes sont si faibles que le combustible peut être expédié par avion, limitant les risques de rupture d’approvisionnement qu’imposeraient des conflits sur le chemin.

*

Face aux restrictions de transports terrestres, la Russie a ainsi alimenté par les airs les centrales hongroises, tchèques et slovaques pendant les guerres en Ukraine de 2014 et 2022, chaque vol contenant presque deux années de combustibles d’une centrale. Du côté militaire, la rupture d’ordre de grandeur est tout aussi vertigineuse. La plus grande bombe conventionnelle larguée pendant la Seconde Guerre mondiale, la Grand Slam, avait une puissance équivalente à 10 tonnes de TNT, soit 1 500 fois moins que Little Boy lancée sur Hiroshima le 6 août 1945.

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Le nucléaire : outil de conquête de l’œkoumène

Dès les années 1950, chercheurs et politiques s’enthousiasment. Grâce aux quantités dérisoires de combustibles nécessaires et la facilité à le transporter, le nucléaire s’affranchirait de la géographie des ressources. On pourrait, pensait-on, placer des réacteurs n’importe où, sans impératifs de proximité avec une mine ou des infrastructures de transports. Plus encore, l’énergie ne serait plus tributaire des gisements de main-d’œuvre. Seule reste la contrainte de l’eau, indispensable – sauf rupture technologique – pour refroidir les centrales, qu’elle vienne des fleuves, de l’océan ou des égouts des villes, comme c’est le cas à Palo Verde en Arizona. Les possibilités semblent sans limite. Le nucléaire devient un outil géopolitique servant à aménager les derniers espaces qui échappaient à la présence humaine, repoussant les frontières de l’œkoumène.


Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. Abonnez-vous dès aujourd’hui.


Les années 1950-1960 voient se multiplier dans les comics et dans la littérature nord-américaine des images de villes sous cloche, projets urbains nucléarisés protégés par des dômes. Ces utopies atomiques forment des habitats hermétiques, entièrement alimentés par l’énergie nucléaire, autorisant la conquête par l’humanité des derniers milieux extrêmes et la colonisation des déserts, des pôles, voire d’autres planètes. Ces productions sont promues, parfois même commandées, par l’administration états-unienne. Soft power avant l’heure, il faut prouver la supériorité du modèle américain face aux soviétiques. Les villes sous cloche doivent également laisser envisager au public américain que des solutions existent pour perpétuer la vie après une éventuelle attaque nucléaire. Cette stratégie répond aussi aux rumeurs venant de l’autre côté du rideau de fer qui prêtaient à Moscou le projet de construire des dômes nucléarisés comme socle de l’urbanisation de l’Arctique pour assurer son contrôle militaire et faciliter l’exploitation de ressources naturelles.

La Ford Nucleon, concept car développé par le constructeur automobile états-unien en 1958. Un petit réacteur nucléaire situé à l’arrière devait assurer sa propulsion. Ford Motor Company/Wikipedia

De la fiction, ces utopies percolent dans les milieux scientifiques et militaires. Les appétits se portent sur l’Antarctique, terres hostiles que le nucléaire ouvrirait à une colonisation durable. Le déploiement d’un réacteur pour soutenir la présence permanente d’une station de recherche états-unienne à McMurdo sur l’île de Ross devait damer le pion aux ambitions soviétiques dans la région. Côté militaire, cette colonisation par l’uranium était vue comme l’occasion d’arrimer une tête de pont logistique et transformer l’Antarctique en terrain d’entraînement pour des combats futurs en Arctique. L’expérience est catastrophique. Installé en 1962, le réacteur subit 438 incidents avant sa mise à l’arrêt dix années plus tard. Au Groenland, l’expérience du réacteur PM-2A, acheminé par avion en 1960 pour alimenter la base militaro-scientifique de Camp Century à la pointe nord-ouest de l’île, est aussi un échec, ne fonctionnant que pendant deux ans. Les espoirs de colonisation nucléaire s’amenuisent. Les années 2010 voient cependant se raviver l’idée d’un nucléaire a-spatial avec le retour en grâce des petits réacteurs modulaires. Qu’ils soient publics ou privés, militaires ou civils, leurs promoteurs remobilisent l’image d’une technologie pilotable à distance capable d’atteindre les espaces les plus isolés et d’y soutenir la vie. Les projets ciblent les communautés arctiques, les déserts arides, les fronts pionniers des forêts tropicales, voire l’espace et les corps célestes. S’ils s’appuient sur un discours climatique, ils se nourrissent aussi d’ambitions géopolitiques. Ces réacteurs doivent assurer une présence permanente dans des territoires stratégiques, qu’il s’agisse de l’Arctique pour la Russie, ou des archipels contestés des Spratleys et Paracels pour Pékin en mer de Chine méridionale. L’atome redevient l’outil de la conquête de la géographie.

Explosions atomiques et géo-ingénierie

Dès le début des années 1950, on envisage l’utilisation d’explosions atomiques pour changer la topographie : construction de canaux, ouverture de mines, inversion de cours de rivière, fracturation d’icebergs pour produire de l’eau potable ou terrassement de montagnes. La Commission de l’énergie atomique des États-Unis lance en 1957 le programme Plowshare pour évaluer ces nouveaux débouchés. L’URSS ne suivra que 8 années plus tard. L’empressement américain s’explique par l’expérience de la crise de Suez en 1956. Le blocage du canal amène Washington à envisager de créer une nouvelle voie pour le pétrole du Golfe à coup d’explosions atomiques. De l’autre côté de l’Atlantique, le risque d’une thrombose du canal du Panama entraîne les mêmes plans. L’Atlantic-Pacific Inter-oceanic Canal Study Commission propose en 1970 d’ouvrir un chemin, au Costa Rica, Nicaragua ou en Colombie, par 250 explosions nucléaires quasi simultanées. L’atome doit assurer la fluidité du trafic mondial et garantir un sauf-conduit océanique à la Navy. La construction de ports artificiels dans des localisations stratégiques, au nord de l’Alaska, au Chili et aux îles Christmas dans le Pacifique, est étudiée. Ce programme sert également de justifications aux scientifiques pour pérenniser leur budget, alors même que les débats s’intensifient aux États-Unis comme à l’étranger pour la mise en place d’un moratoire global sur les essais nucléaires. Plowshare ne sera jamais mis en phase opérationnelle. Il est abandonné en 1977, après une douzaine d’essais, plombé par des doutes quant à la rationalité économique et l’acceptabilité sociale de cette géo-ingénierie nucléaire.


À lire aussi : Industrie nucléaire : le grand jeu géopolitique


Le programme soviétique débute plus tardivement, et n’est arrêté qu’en 1989. Comme pour les États-Unis, il s’agit de dompter l’espace à coup d’explosions nucléaires. On envisage de former des cratères atomiques pour construire des réservoirs en Sibérie afin d’y développer l’agriculture ainsi que de creuser un canal entre les rivières Kama et Pechora, déroutant les eaux de l’Arctique vers l’Asie centrale et la Caspienne. C’est dans l’industrie des hydrocarbures que l’ingénierie nucléaire soviétique est mise en pratique. De 1965 à 1987, douze explosions sont utilisées pour stimuler la production de puits pétroliers, non sans critiques des raffineries qui refuseront à plusieurs reprises de transformer les hydrocarbures extraits par cette technique, de crainte que la matière ne soit radioactive. Dans le secteur gazier, cinq détonations permettent d’éteindre des puits dont l’industrie avait perdu le contrôle, à Maïski dans le Caucase et Narian-Mar dans l’Arctique russe ainsi qu’en Ouzbékistan et en Ukraine près de Kharkiv.

Couverture de l’ouvrage « Géopolitique du nucléaire »
Paru le 16 février 2023. Éditions du Cavalier bleu

La géopolitique du nucléaire se nourrit ainsi de la représentation d’un atome a-spatial par essence, d’une technologie presque entièrement décorrélée des besoins en ressources et permettant à l’Homme de se développer sans contrainte naturelle, de coloniser les derniers espaces résistant à sa présence et de reconfigurer la géographie à sa volonté. L’atome doit assurer le contrôle militaire de points stratégiques isolés et l’exploitation de ressources pour asseoir sa puissance économique et prouver la supériorité de son modèle. Ces discours reposent sur une interprétation des caractéristiques physiques des matières nucléaires. Mais derrière ces imaginaires, la réalité est bien plus complexe.

Comment notre cerveau nous fait aimer une musique (ou pas)

27 lundi Fév 2023

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  1. Guilhem MarionDoctorant en Sciences Cogntives de la Musique, École normale supérieure (ENS) – PSL

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Guilhem Marion est membre et a reçu des financements de la Chaire Beauté(s).

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En 2O15, Spotify mettait en ligne une carte interactive des penchants musicaux en fonction des villes. Dans cette carte, on découvrait les goûts des auditeurs : à New York, The Chainsmokers était en tête, Jeanne Added à Paris ou Nantes, et Jul à Marseille. On sait que les goûts musicaux évoluent au cours du temps et selon les régions, voire entre groupes sociaux. Pourtant, à notre naissance, nos cerveaux sont très similaires. Que se passe-t-il ensuite au niveau cérébral ? Qu’est-ce qui affecte autant nos goûts musicaux ?

Lorsque l’on écoute de la musique, notre cerveau prédit en permanence ce qui va se passer ensuite. Ces prédictions diffèrent selon notre histoire personnelle. Par ailleurs, écouter une nouvelle musique génère de la plasticité neuronale, c’est-à-dire la capacité du cerveau à créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et leurs connexions. Celle-ci permet à notre cerveau de mieux prédire de nouvelles musiques d’un genre similaire.

Or, la façon dont nous prédisons des événements musicaux affecte directement le plaisir et les émotions que nous ressentons, ainsi que certaines capacités cognitives comme la mémoire et l’attention. Pour cette raison, la musique à laquelle nous avons été exposés durant notre vie impacte la façon que l’on a d’apprécier de nouveaux morceaux.

Les émotions, une histoire de prédiction

Nous venons de publier une étude qui montre que notre cerveau prédit en permanence la prochaine note pendant l’écoute de mélodies, sans même que nous en rendions compte.

Chez les participants musiciens, il est possible de leur demander de chanter la note qu’ils avaient prédite et la relier avec ce que l’on voit dans le cerveau, mais pour les participants non musiciens c’est un mécanisme inconscient. À chaque note entendue, la prédiction se mêle à la note qui est réellement jouée, cela crée ainsi une erreur de prédiction. Une sorte de score neuronal qui mesurerait à quel point cette note était bien prédite par notre cerveau.

Dès 1956, Leonard Meyer, compositeur et musicologue américain, suggérait que les émotions musicales étaient induites par la satisfaction et la frustration des attentes des auditeurs. Depuis, de nombreux développements de ce travail ont vu le jour et il a été possible de caractériser le lien entre les attentes et d’autres ressentis plus complexes. Par exemple, la capacité à mémoriser des séquences de notes est bien meilleure lorsque les participants ont une bonne capacité à prédire les notes de ces séquences.

Il est aussi possible de décomposer des émotions simples (comme la joie, la tristesse, l’énervement) en deux dimensions fondamentales : la valence et l’activation psychologique. Ces deux dimensions correspondent, respectivement, à quel point l’émotion est positive (tristesse vs joie) et à quel point l’émotion est excitante (l’ennui vs la colère). Ainsi, une combinaison de ces deux mesures permet de définir des émotions simples. Deux études de 2018 et 2013 montrent que si l’on demande à des participants de noter ces deux dimensions sur des curseurs, on retrouve une relation claire entre l’erreur de prédiction et les dimensions émotionnelles. Par exemple, les notes les moins bien prédites engendrent des émotions avec une plus grande activation psychologique.

Dans l’histoire des neurosciences cognitives, le plaisir a souvent été lié avec le système de récompense et en particulier l’apprentissage. Ainsi, des études ont pu montrer que des neurones dopaminergiques particuliers réagissent à l’erreur de prédiction. Cela permet, entre autres, d’apprendre à prédire l’environnement qui nous entoure. Il n’est pas encore clair si le plaisir engendre l’apprentissage ou si l’apprentissage engendre le plaisir, mais les deux sont indubitablement liés. C’est aussi le cas pour la musique.

En effet, lorsque l’on écoute de la musique, les événements qui sont modérément prédits sont ceux qui génèrent le plus de plaisir. En d’autres mots, les événements trop simples, trop prédictibles, et qui n’engendrent pas nécessairement d’apprentissage ne génèrent que peu de plaisir, idem pour les événements trop complexes. Par contre, les événements entre les deux, qui sont suffisamment complexes pour être intéressants, mais aussi suffisamment consistants avec nos prédictions pour être structurés sont ceux qui génèrent le plus de plaisir.

Ces prédictions dépendent de notre origine

Néanmoins, la façon de prédire les événements musicaux est indissociable de notre culture musicale. Par exemple, des chercheurs sont allés à la rencontre des membres du peuple sami qui s’étend du nord de la Suède au nord de la péninsule de Kola. Leur musique traditionnelle, appelée Yoiks, est très différente de la musique occidentale et n’a que très peu été en contact avec la culture occidentale.Bierra Bierra’s Joik (musique traditionnelle du peuple sami).

Dans cette étude, il a été demandé à des musiciens samis, finlandais et européens (de divers pays non-familiers avec les Yoiks) d’écouter différents extraits de yoiks qu’ils ne connaissaient pas et de chanter la dernière note qui avait été enlevée au préalable. Tous les participants de chaque groupe ne donnaient pas la même réponse, mais certaines notes étaient plus représentées que d’autres au sein de chaque groupe. Ce qui est très intéressant, c’est que ces distributions sont très différentes entre les groupes et que les Samis sont ceux qui prédisent le mieux la note qui était vraiment dans le morceau, suivis par les Finlandais qui sont plus exposés à la musique samie que les participants du reste de l’Europe. Cela montre bien que notre culture musicale (la musique à laquelle on a été exposées pendant notre vie) influence la façon dont nous prédisons des événements musicaux inconnus.

Une étude similaire a été conduite sur le rythme avec des participants américains et du peuple Tsimanés en Bolivie amazonienne. Cette étude montre que les participants américains et tsimanés perçoivent les rythmes de façon radicalement différente, mais aussi que les musiciens professionnels américains et les participants non musiciens américains perçoivent quant à eux, les rythmes de façon quasi-identiques. Cela permet d’imaginer que la façon dont nous prédisons (et ainsi percevons) la musique dépend de la musique à laquelle nous aurions été exposés passivement pendant notre vie, peu importe quelle musique nous aurions travaillée assidûment.

On peut apprendre une nouvelle culture en y étant exposé

Cela pose ainsi la question de l’apprentissage de la culture, communément appelé processus d’enculturation. Par exemple, en musique, le temps peut être différemment divisé. La musique occidentale divise généralement le temps en 4 (comme dans la danse rock, c’est la division la plus répandue) ou en 3 temps (comme dans la valse). Néanmoins, d’autres cultures musicales divisent le temps en ce que la théorie musicale occidentale appelle mesures asymétriques. Les musiques des Balkans sont, par exemple, connues pour utiliser des mesures asymétriques comme le 9 temps ou le 7 temps. Une étude de 2005 a composé des mélodies de Folk avec des mesures symétriques ou asymétriques.

Ensuite, ils ont présenté ces mélodies a des participants en y introduisant des accidents (un temps de plus ou de moins à un endroit particulier). Cette étude montre que les nouveau-nés de moins de 6 mois passaient autant de temps à regarder l’écran pendant les accidents quand ils étaient introduits dans des mesures symétriques et asymétriques. Par contre, les nouveau-nés de 12 mois passaient significativement plus de temps à regarder l’écran pendant les accidents dans les mesures symétriques qu’asymétriques. Cela donne à penser qu’ils sont plus surpris lorsque l’accident se produisait dans une mesure symétrique car ils ont compris qu’il y avait une disruption d’une structure qu’ils connaissaient déjà.

Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont fait écouter aux nouveau-nés de la musique des Balkans (en mesures asymétriques) à la maison à l’aide d’un CD. Après une semaine d’écoute, ils ont renouvelé l’expérience et cette fois les nouveau-nés passaient autant de temps à regarder l’écran pendant les accidents dans les mesures symétriques et asymétriques. Cela veut dire que l’écoute passive à la musique des Balkans a construit une représentation interne de la métrique musicale qui leur a permis de prédire la structure et ainsi de détecter les accidents dans les deux types de mesures. La même expérience a été conduite avec des adultes en leur demandant de détecter les accidents. Finalement, une étude de 2010 montre un effet très similaire, non pas pour le rythme, mais pour les hauteurs de notes chez les adultes. Ces expériences montrent ainsi que l’exposition passive à de la musique permet d’engendrer un apprentissage des structures musicales propres à une culture. C’est ce que l’on appelle l’enculturation.

Nous avons vu dans cet article que l’écoute passive à la musique permettait de changer notre façon de prédire les structures musicales lors de l’écoute de nouveaux morceaux. Or, nous avons aussi vu que la façon dont les auditeurs prédisent les structures musicales change drastiquement entre les cultures et déforme leur perception en leur faisant ressentir du plaisir et des émotions différemment. Même si de nombreuses recherches restent à conduire pour comprendre, entre autres, l’impact des influences sociales et des sensibilités individuelles dans ces mécanismes, ces études nous donnent une piste de compréhension de la diversité des goûts musicaux : notre culture musicale (définie par la musique que nous avons écoutée dans notre vie) déforme notre perception et fait que nous préférons certains morceaux à d’autres de par la ressemblance (ou différence) avec les morceaux que nous connaissons déjà.

Quel est le siège le plus sûr dans un avion ?

26 dimanche Fév 2023

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  1. Doug DruryProfessor/Head of Aviation, CQUniversity Australia

Déclaration d’intérêts

Doug Drury ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Vue intérieure d'un siège vide dans une cabine d'avion
Il est temps de choisir votre siège. Shutterstock

 

Lorsque vous réservez un vol, vous demandez-vous quel siège vous protégera le plus en cas d’urgence ? Probablement pas.

La plupart des gens réservent des sièges pour le confort, comme l’espace pour les jambes, la commodité ou l’accès facile aux toilettes. Les grands voyageurs (dont je fais partie) réservent parfois leur siège le plus près possible de l’avant de l’avion pour pouvoir débarquer plus rapidement.

Nous réservons rarement un vol en espérant obtenir l’un des sièges du milieu de la dernière rangée. Et bien, devinez quoi ? Ces sièges sont statistiquement les plus sûrs dans un avion.

Les voyages en avion sont sûrs

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à rappeler que le transport aérien est le mode de transport le plus sûr. En 2022, il y a eu un peu moins de 70 millions de vols dans le monde, avec seulement 174 décès.

Selon l’analyse des données de recensement effectuée par le Conseil national de la sécurité américain, les chances de mourir dans un avion sont d’environ 1 sur 205 552, contre 1 sur 102 dans une voiture. Malgré cela, nous accordons peu d’attention aux accidents mortels de la route, mais lorsque nous entendons parler d’un avion qui s’écrase, il fait la une de tous les journaux.

Notre intérêt pour les accidents d’avion peut résider dans notre volonté de comprendre pourquoi ils se produisent, ou quelles sont les chances qu’ils se reproduisent. Et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose : notre intérêt permet de s’assurer que ces incidents tragiques font l’objet d’une enquête approfondie, ce qui contribue à la sécurité du transport aérien.

Il n’y a pas vraiment lieu de s’inquiéter de la sécurité lorsque vous embarquez sur un vol commercial. Mais si vous avez toujours cette question lancinante en tête, poussée par la pure curiosité, lisez ce qui suit.

Au milieu, à l’arrière

Il est bon de rappeler que les accidents, par leur nature même, ne sont pas conformes aux normes. Lors du crash du vol United 232 à Sioux City (Iowa) en 1989, 184 des 269 personnes à bord ont survécu à l’accident. La plupart des survivants étaient assis derrière la première classe, vers l’avant de l’avion.

Néanmoins, une enquête du magazine américain Time qui a examiné 35 ans de données sur les accidents d’avion a révélé que les sièges arrière centraux d’un avion présentaient le taux de mortalité le plus faible : 28 %, contre 44 % pour les sièges de l’allée centrale.

C’est également logique. S’asseoir à côté d’une rangée où se situe la sortie vous offrira toujours la sortie la plus rapide en cas d’urgence, à condition qu’il n’y ait pas de feu de ce côté. Mais les ailes d’un avion stockent du carburant, ce qui disqualifie les rangées de sortie centrales en tant qu’option de rangée la plus sûre.

En même temps, le fait d’être plus près de l’avant signifie que vous serez touché avant ceux de l’arrière, ce qui nous laisse la dernière rangée qui compte une sortie. Pour ce qui est de la raison pour laquelle les sièges du milieu sont plus sûrs que ceux de la fenêtre ou de l’allée, c’est, comme on peut s’y attendre, à cause du tampon que constitue la présence de personnes de chaque côté.

Une vue de face de l’aile d’un avion commercial
Les ailes des avions commerciaux stockent du carburant, ce qui peut rendre cette zone légèrement plus dangereuse dans le cas très improbable d’une urgence. Shutterstock

Certains accidents sont pires que d’autres

Le type d’accident déterminera également la capacité de survie. Se heurter à une montagne diminuera les chances de survie de manière exponentielle, comme ce fut le cas lors d’une tragique catastrophe survenue en 1979 en Nouvelle-Zélande. Le vol TE901 d’Air New Zealand s’est écrasé sur les pentes du mont Erebus en Antarctique, tuant 257 passagers et membres d’équipage.

L’atterrissage dans l’océan le nez en avant diminue également les chances de survie, comme l’a montré le vol 447 d’Air France en 2009, dans lequel 228 passagers et membres d’équipage ont péri.

Les pilotes sont formés pour minimiser au mieux les risques potentiels en cas d’urgence. Ils essaieront d’éviter de heurter des montagnes et chercheront un endroit plat, comme un champ ouvert, pour atterrir aussi normalement que possible. La technique d’atterrissage dans l’eau consiste à évaluer les conditions de surface et à essayer d’atterrir entre les vagues à un angle d’atterrissage normal.

Les avions sont conçus pour être très robustes dans les situations d’urgence. En fait, la principale raison pour laquelle le personnel de cabine nous rappelle de garder nos ceintures attachées n’est pas le risque d’écrasement, mais les « turbulences en air clair » que l’on peut rencontrer à tout moment à haute altitude. C’est ce phénomène météorologique qui peut causer le plus de dommages aux passagers et aux avions.

Les constructeurs conçoivent de nouveaux avions avec davantage de matériaux composites capables de résister aux contraintes en vol. Dans ces modèles, les ailes ne sont pas rigides et peuvent fléchir pour absorber une charge extrême afin d’éviter une défaillance structurelle.

Le type d’avion fait-il une différence ?

Il est vrai que certaines variables, comme l’impact de la vitesse, peuvent varier légèrement d’un type d’avion à l’autre. Cependant, la physique du vol est plus ou moins la même pour tous les avions.

En général, les avions plus grands ont plus de matériaux structurels et donc plus de résistance pour supporter la pressurisation en altitude. Cela signifie qu’ils peuvent offrir une protection supplémentaire en cas d’urgence, mais cela dépend, là encore, de la gravité de l’urgence.

Cela ne veut pas dire que vous devez réserver votre prochain vol sur le plus gros avion que vous pouvez trouver. Comme je l’ai mentionné, les voyages en avion restent très sûrs.

Aux États-Unis, une fronde contre l’investissement responsable se dessin

25 samedi Fév 2023

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  1. Jérôme Caby Jérôme Caby est un·e adhérent·e de The ConversationProfesseur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business School

Déclaration d’intérêts

Jérôme Caby est Délégué Général de la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises)

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IAE Paris – Sorbonne Business School et IAE France fournissent des financements en tant que membres adhérents de The Conversation FR.

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Certains États ont mis en place des législations visant à limiter l’expansion des critères ESG. Shutterstock

La vie européenne des affaires et de la finance est rythmée quasi quotidiennement par la nécessité d’adopter des comportements et des objectifs plus ambitieux et plus respectueux en matière sociale ou environnementale, et en particulier en matière de transition vers une économie bas carbone.

Dans le domaine financier, ce mouvement se retrouve fréquemment sous la bannière de l’Investissement socialement responsable (ISR) et des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) qui, de marginaux, sont devenus un phénomène majeur de l’industrie financière contemporaine.

Ainsi, la Global Sustainable Investment Alliance (GSIA) a estimé en 2020 que les montants relevant de cette catégorie, définie assez largement, représentaient 35 300 milliards de dollars américains et 35,6 % des actifs sous gestion.

Au cours de la période récente, les États-Unis ont dépassé l’Europe comme première région d’implantation de l’ISR. Cependant, en réaction à cette nouvelle donne internationale, un mouvement récent et essentiellement américain est né pour s’opposer à cette évolution considérée comme préjudiciable aux intérêts des investisseurs.

Fonds « anti-woke »

Pour les détracteurs de l’investissement responsable, les fonds d’investissement doivent d’abord assurer une rentabilité maximale aux investisseurs (souvent futurs retraités dans un système de retraite par capitalisation). Selon eux, les critères ISR ou ESG servent des intérêts politiques contraires aux valeurs des épargnants concernés. On s’accorde pour parler d’investissement ou de fonds anti-ESG ou parfois « anti-woke ».

On retrouve ici l’opposition traditionnelle entre les tenants d’une vision friedmanienne où la responsabilité sociale des entreprises est d’accroître leurs profits et ceux d’une vision partenariale à la Freeman où l’ensemble des parties prenantes (stakeholders) doit être pris en considération.


À lire aussi : Deux conceptions de l’entreprise « responsable » : Friedman contre Freeman


Cette réaction est plus ou moins liée au parti républicain. Certains États américains dirigés par des gouverneurs issus de ce parti (Arkansas, Missoussi, etc.), notamment dans le centre du pays, ont ainsi récemment fait passer des législations visant à limiter l’application de ces critères à l’investissement, en mettant notamment en avant leur caractère « discriminant » envers d’autres entreprises, lorsque d’autres, dirigés par les démocrates comme le Maine, ont mis en place des législations pro-ESG.


Légende :
En violet, réglementation favorable aux critères ESG ;
En orange, réglementation défavorable aux critères ESG ;
En violet clair, présence de réglementations à la fois favorables et défavorables aux critères ESG ;
En jaune, aucune réglementation active en attente ou promulguée en matière d’investissement ESG.


La Floride, dont le gouverneur actuel Ron DeSantis fait figure de candidat républicain potentiel à la Maison-Blanche en 2024, a par exemple retiré fin 2022 2 milliards de dollars des fonds de pension de l’État de chez Blackrock, le numéro 1 mondial de la gestion d’actifs au sein duquel certains gestionnaires d’actifs tentent de défendre la cause de l’ESG. En réaction, Blackrock a d’ailleurs augmenté de façon très importante ses dépenses de lobbying aux États-Unis tant au niveau fédéral que des États concernés (Floride mais aussi Texas).

Sous la pression, d’autres fonds comme Vanguard, un autre acteur américain de premier plan, s’est retiré de la Net Zero Asset Managers Initiative, un groupe international de gestionnaires d’actifs qui s’est engagé à appuyer l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050.

Au-delà du clivage politique, cela peut-être la défense d’intérêts économique locaux, comme l’industrie pétrolière texane qui conforte également ce positionnement anti-ESG. En sens inverse, le responsable des fonds de pension publics de la ville de New York a estimé que Blackrock n’en faisait pas suffisamment pour le climat.

Des fonds anti-ESG encore jeunes

Surfant fort opportunément sur cette vague sont nés très récemment aux États-Unis, des fonds se revendiquant ouvertement anti-ESG. En mai 2022, le fonds Strive, basé dans l’Ohio, a par exemple lancé un produit financier dédié au secteur américain de l’énergie (avec l’acronyme de cotation « DRLL » qui fait écho au mot « drill », forage en français) qui cumulait au 31 janvier 2023 395 millions de dollars, selon la base de données financières Facset. Avec ce produit, le fonds s’engage à ne pas prendre en compte les dimensions ESG et à voter contre les décisions visant à les renforcer lors des assemblées générales des entreprises dans lesquelles il a des parts.

Sans complexe, Strive annonce sur son site Internet que sa mission est « de rétablir la voix des citoyens ordinaires dans l’économie américaine en conduisant les entreprises à se concentrer sur l’excellence et non la politique ».

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Dans le même sens, d’autres produits financiers ont récemment pour la plupart vu le jour : « BAD » qui investit dans des sociétés cotées aux États-Unis qui font des paris, de l’alcool, du cannabis et des drogues, mais qui ne réunit que 9 millions de dollars au 31 janvier 2023 ; « VICE » qui investit dans des entreprises américaines impliquées dans l’alcool et le tabac, les aliments et les boissons, et les activités liées aux jeux (9 millions de dollars au 31 janvier 2023) ; « God Bless America » (YALL) qui exclut les entreprises perçues comme mettant l’accent sur l’activisme politique de gauche et/ou libéral et les programmes sociaux (32 millions de dollars au 31 janvier 2023) ; ou encore « LYFE », qui se focalise sur des entreprises répondant à des critères sociaux pro-vie (anti-avortement, 18 millions de dollars au 31 janvier 2023).

Certes, les montants restent encore très modestes et ne menacent pas pour l’instant directement les géants de la gestion d’actifs. Cependant, ce mouvement, encore jeune, instaure un climat inquiétant. Strive suggère ainsi aux épargnants de demander à leurs gestionnaires de patrimoine si ces derniers ont investi pour eux dans des fonds qui ont voté en faveur de « l’équité raciale », d’une « réduction des émissions de CO2 » ou qui sous pondèrent dans leurs portefeuilles les entreprises spécialisées dans le pétrole, le charbon ou les armes à feu. Si la réponse est « oui », le fonds encourage à demander de sélectionner des investissements qui correspondent davantage aux « valeurs » de l’épargnan

L’économie russe dans la guerre : pas d’effondrement, mais une érosion notable

24 vendredi Fév 2023

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  1. Julien VercueilProfesseur des universités en sciences économiques, Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Déclaration d’intérêts

Julien Vercueil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Partenaires

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Au terme d’une année de guerre, les évolutions entrevues dès les premiers mois du conflit se confirment : l’économie russe échange moins avec le reste du monde, elle se désoccidentalise, l’État augmente son emprise sur l’économie nationale et les activités militaires absorbent une part croissante des ressources disponibles.

Pour l’analyste, ces évolutions sont surplombées par les restrictions imposées par les autorités à la publication des données économiques, dont certaines sont délibérément floutées, tandis que d’autres sont « retravaillées ». Dans ces conditions, une analyse rigoureuse de la conjoncture russe sur sources ouvertes est bien sûr plus difficile, mais reste possible.

Au-delà des sanctions, l’économie de guerre dans laquelle s’installe la Russie n’est pas sans conséquence sur ses entreprises et sa population. La question centrale est celle de la capacité de l’économie à maintenir ses principaux mécanismes de coordination dans les conditions d’une rupture de ses liens avec nombre de ses partenaires historiques.

À cela s’ajoutent de nouveaux déséquilibres intérieurs et extérieurs provoqués par la guerre et les sanctions internationales. Jusqu’à présent, le secteur productif, tout comme les ménages et les pouvoirs publics, ont démontré de réelles facultés d’adaptation : les véritables ruptures d’activité n’ont concerné que quelques secteurs. L’économie russe a donc résisté pour l’instant. Il s’agit ici d’estimer dans quelle mesure cette résistance est susceptible de durer.

La demande globale : reconfiguration extérieure, atonie intérieure

À l’extérieur de la Russie, le trait marquant de l’année 2022 a été la résilience des économies européennes face au choc de la guerre en Ukraine.

Malgré l’emballement initial des prix internationaux de l’énergie et des matières premières alimentaires, malgré le relèvement des taux d’intérêt directeurs des banques centrales pour contenir l’inflation, la croissance de l’UE a atteint 3,5 % en 2022.

Cela a contribué à maintenir un niveau de demande significatif pour les produits russes, en dépit des sanctions. Toutefois, le rôle du facteur géopolitique ne doit pas être sous-estimé : les graphiques 1 et 2 montrent que la décrue des prix du pétrole est postérieure à celle des importations de l’UE en provenance de la Russie. Cela reflète à la fois la réaction des entreprises européennes (qui ont réduit leurs commandes et leurs expéditions dès le déclenchement de la guerre en Ukraine, anticipant une dégradation de la conjoncture russe et un durcissement des sanctions) et les restrictions volontaires aux exportations de gaz vers l’UE que la Russie s’est imposées à elle-même. Par contrecoup, les importations russes de produits européens ont fortement chuté en mars et avril, puis se sont stabilisées à partir de mai à des niveaux inférieurs de 43 % en moyenne à ceux de 2021.

Graphique 1

Graphique 2

La Russie a suspendu en 2022 la publication de ses statistiques de commerce extérieur. Les données d’enquête de terrain et celles, préliminaires, produites par la Chine corroborent l’hypothèse d’une substitution partielle et asymétrique du client chinois aux clients européens pour les hydrocarbures russes : les exportations russes vers la Chine, qui fléchissaient en début d’année, ont rebondi après le déclenchement de la guerre.

En même temps, la crise subie par la Russie s’est répercutée sur sa demande de produits chinois : pour la période janvier-juin 2022, les importations russes en provenance de Chine sont inférieures de 15,5 % à leur niveau de 2021 (voir graphique 3). Les deux tiers des 1 000 entreprises russes interrogées fin 2022 par l’institut russe d’études économiques Gaïdar déclaraient trouver auprès des fournisseurs chinois des substituts aux équipements sous sanctions occidentales, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de compatibilité et de qualité.

Graphique 3

Face à la chute de la demande extérieure, la demande intérieure n’a pas joué le rôle d’amortisseur. Tout en déclinant après le pic de mars et avril, l’inflation est restée forte (14 %), pesant sur le pouvoir d’achat des ménages et leur consommation, en baisse de 5,5 %. Le contrôle des changes imposé par la Banque centrale de Russie pour lutter contre le décrochage du rouble a conduit à une conversion, par les ménages russes de la classe moyenne, de leurs avoirs en devises vers les roubles (graphiques 4 et 5) ce qui, dans un contexte d’accélération de l’inflation, a réduit leur capacité à mobiliser leur épargne pour maintenir leur niveau de consommation.

Graphique 4

Graphique 5

La demande d’investissement émanant des entreprises n’a pas pris le relais d’une consommation des ménages en berne.

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Outre le facteur guerre, qui raccourcit l’horizon de décision des acteurs économiques et constitue un puissant frein à l’investissement, on peut citer l’explication avancée par les chercheurs de l’académie des sciences de Russie (IPEN-ASR) qui soulignent la dynamique complexe et contradictoire (civile et militaire, privée et publique) de l’effort d’investissement national.

La baisse des perspectives de demande, les restrictions financières et les problèmes d’approvisionnement en équipements et en logiciels ont déprimé la demande d’investissement du secteur privé civil. Cette baisse a été partiellement contrecarrée par le maintien de l’investissement public en matière d’infrastructures et de logements sociaux, ainsi que par l’accélération de l’effort de guerre avec la hausse des dépenses militaires. En conséquence, les chercheurs de l’académie des sciences considèrent que pour l’avenir proche « la principale question est de savoir dans quelle mesure la politique de l’État en matière de soutien à l’investissement pourra compenser la pause des investissements en capital fixe par les entreprises ». La baisse estimée de l’investissement est de -1,6 % en 2022 et devrait se prolonger en 2023 (-3 %).

L’industrie russe sous pression

Dans la continuité des premières salves de sanctions, de fortes pressions se sont exercées sur l’industrie russe durant le deuxième semestre 2022 : embargo sur certains composants et de nombreuses technologies, auquel se sont ajoutées les conséquences des retraits volontaires d’entreprises occidentales du marché russe.

En l’absence de données d’enquête de terrain, il est difficile d’évaluer à quel point la chute brutale des livraisons occidentales de semi-conducteurs pèse sur l’économie russe, qui avant la guerre en produisait peu pour ses propres besoins. Hongkong et la Chine sont devenus les principaux fournisseurs de circuits intégrés à la Russie, mais leurs volumes restent largement inférieurs à 2019 et 2021, l’année 2020 étant exclue de l’analyse du fait de la pandémie de Covid.

Il faut noter que parmi les différentes salves de sanctions entrées en vigueur, aucune n’a directement touché la rente pétro-gazière de la Russie jusqu’au dernier trimestre de 2022. Ce n’est que début novembre 2022, puis en février 2023 que les premières restrictions aux achats de pétrole et produits pétroliers ont été décidées. Les effets éventuels de ces mesures sur le budget et les recettes en devises ne pourront se faire sentir qu’en 2023. La bourse de Moscou, dont l’indice est composé majoritairement de valeurs financières et énergétiques, a pourtant déjà intégré la dégradation des perspectives économiques des entreprises concernées, enregistrant une chute de 50 % en un an (graphique 6).

Graphique 6

Parmi les fournisseurs alternatifs de la Russie dans le contexte des sanctions et de l’autorisation des « importations parallèles » par les autorités russes au printemps 2022, la Turquie, le Kazakhstan, de la Géorgie et de l’Arménie jouent un rôle significatif en tant que pays de transit des marchandises en provenance de l’UE. Pour ces pays, dans de nombreuses lignes de produits, les volumes d’exportation vers la Russie dépassent les capacités de production autochtones. Toutefois, même considérablement augmentés, les volumes restent limités, à la fois du fait de la baisse de la demande russe et du fait des coûts supplémentaires occasionnés par le contournement des sanctions, qui comportent par exemple les risques pris par les opérateurs contrevenant aux sanctions.

Pour prendre la mesure des goulets d’étranglement qui limitent la capacité de rebond de l’économie russe, il faut intégrer les pressions exercées par les décisions du pouvoir politique russe lui-même sur l’offre nationale. Dans un contexte de déprime démographique (la population russe décroît pour la cinquième année consécutive) et de tensions structurelles sur l’emploi, la guerre et la mobilisation ont des conséquences négatives sur l’offre de travail, particulièrement dans les secteurs où la jeunesse est employée.


À lire aussi : Russie : l’information économique, victime collatérale de la guerre en Ukraine


Après la première vague d’émigration immédiatement consécutive au déclenchement de l’invasion, qui a touché les salariés déjà largement internationalisés des secteurs high tech et des services à haute valeur ajoutée, la « mobilisation partielle » de septembre (en réalité, une mobilisation générale qui ne dit pas son nom) a jeté sur les routes de l’émigration une frange plus large de la jeunesse russe, ce qui est susceptible d’aggraver les pénuries d’emploi dans la plupart des secteurs de l’économie.

Une phase d’érosion – jusqu’où ?

L’activité économique de la Russie s’est contractée, tout en résistant mieux que prévu au choc de la guerre. La chute du PIB est désormais estimée à 2,5 %, ce qui est moindre qu’en 2020, année de pandémie de Covid-19.

Tout en restant élevée, l’inflation décroît lentement, mais à partir de mi-septembre 2022, date de la mobilisation, les taux sur les obligations d’État ont cessé de suivre la décrue du taux directeur (graphique 7), signalant un possible divorce entre les objectifs de la politique monétaire et ceux de la politique budgétaire. Dans la dernière enquête périodique de_ Rosstat_, les chefs d’entreprise russes interrogés citent la mauvaise situation économique comme principal obstacle au développement de leurs activités. La conjoncture est jugée défavorable par 40 % des répondants au total, et par 60 % des dirigeants de l’industrie manufacturière.

Graphique 7

Les milieux économiques russes eux-mêmes estiment donc qu’un retour à la normale n’est pas pour demain. L’économie de la Russie est entrée dans une phase d’érosion, consubstantiellement liée à la guerre en Ukraine. Nul ne peut prévoir à quelle échéance l’érosion se transformera en rupture, mais le risque n’est pas nul

Portraits d’Ukraine : Alessia, bénévole auprès des réfugiés à Dnipro, 32 ans

24 vendredi Fév 2023

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auteur

  1. Romain HuëtMaitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2

Déclaration d’intérêts

Cet article s’inscrit dans la continuité des recherches et de l’ANR portés par l’auteur ‘Ethnographie des guérillas et des émeutes : formations subjectives, émotions et expérience sensible de la violence en train de se faire – EGR’ https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011.

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Une jeune femme prend la pose dans une rue.
Alessia à Dnipro, juillet 2022. R. Huët, Fourni par l’auteur

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Au cours de mon étude ethnographique sur les volontaires ukrainiens (avril, mai et juillet 2022), j’ai participé à plusieurs évacuations de civils à Severodonetsk et dans ses environs, dans le Donbass).

Lorsque ces territoires sont menacés d’une occupation imminente par l’armée russe, les volontaires se rendent dans les villages avec des minibus et récupèrent les habitants prêts à fuir. Ces voyages sont chaotiques et extrêmement dangereux. Souvent, ils se déroulent dans des zones grises, entre l’armée ukrainienne et les forces russes. C’est au cours de l’une de ces opérations de secours que le journaliste français Frédéric Leclerc-Imhoff a été tué le 30 mai 2022. Des volontaires ukrainiens ont également péri, sans que l’on puisse connaître leur nombre exact.

Au cours du mois de mai 2022, j’effectue le trajet avec les exilés, depuis leur village à quelques kilomètres de Severodonetsk jusqu’à leur prise en charge dans la ville de Dnipro, située à 250 kilomètres de là. Ces trajets sont éprouvants. Je suis frappé par le silence qui règne dans ces minibus bondés. Ce n’est pas le silence de la peur, mais plutôt celui de l’abattement.

La violence cerne de toutes parts l’exilé. Il est tenté de se rendre, d’abdiquer face aux forces qui haïssent et détruisent. La douleur est intérieure. Les exilés la gardent pour eux. Dans ce minibus, ils vivent la fin du monde, de leur monde. Ils ne fuient pas la guerre, ils l’emmènent avec eux sous la forme d’images, de sons qui les hanteront durablement.

Dans ce car bondé, nous subissons un moment historique. Brutalité première d’une existence contrainte à se transformer sous l’effet de la violence des hommes. Au bout de la nuit, je rencontre Alessia, une volontaire de 32 ans qui participe à l’accueil des réfugiés dans la ville de Dnipro. Je l’ai revue lors de mon deuxième séjour sur place, en juillet.

Existence banale et insouciante

Avant la guerre, Alessia mène une vie banale entre son travail d’architecte, ses vacations dans une école d’architecture et ses amis. Elle est heureuse de son existence. Elle fait peu, mais rien à moitié. Elle confie tout le plaisir qu’elle retire de son travail d’enseignante. Pendant le Covid, elle se démène pour garder le lien avec les étudiants, les soutenir dans l’enfer des études à distance.

Alessia et ses étudiants, avant la guerre.

Son travail d’architecte l’enthousiasme. Elle fait son métier avec des idées et des convictions qui varient au gré de ses lectures, ses rencontres et ses expériences. Elle déplore la disparition des villages traditionnels ukrainiens avec l’apparition de l’Union soviétique. Elle a à cœur de les reconstruire, de puiser dans l’histoire culturelle ukrainienne pour faire de l’habitat autre chose qu’un espace fonctionnel : « Pour moi, l’urgence est de retrouver des espaces humains, plus fleuris, plus proches de nos codes et de nos traditions. »

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Alessia a aussi le goût du voyage. Début février 2022, elle commence à préparer son futur road trip, prévu au printemps en Turquie. Elle passe ses soirées à tracer son itinéraire, à choisir les villes qu’elle visitera, les endroits où elle souhaite rester un peu pour s’imprégner de l’ambiance locale. Elle a aussi une passion solitaire : la photographie. Son appareil est toujours dans son sac. À chacune de nos rencontres, elle me tire le portrait. Qu’importe que je sois gêné, elle aime capter ces instants, trouver la singularité des expressions dans chaque visage.

Instant capté par Alessia dans une rue de sa ville quelques semaines après le début de la guerre. Alessia Sand, tous droits réservés, Author provided (no reuse)

Alessia ne s’est jamais intéressée à la chose politique. Elle préfère se tenir à l’écart des rapports conflictuels, de ces misères et ces mensonges propres à la politique qui, si elle y était confrontée directement, affecteraient le rapport innocent, presque naïf, qu’elle a au monde. Elle s’est trouvé une place dans son univers et en retire beaucoup de joie. Avec ses quelques amis, l’humeur est semblable. Les relations sont aussi légères que solides, insouciantes aux turbulences qui agitent l’Ukraine et le reste de la planète.

24 février 2022 : rattrapée par le fracas du monde

Aux premiers abords, son visage dégage timidité, humilité et réserve. Mais dès qu’elle se met à parler des sujets qui lui tiennent à cœur, elle dégage une assurance insoupçonnée qui oblige son interlocuteur à se tenir en silence et à écouter. Elle parle lentement mais précisément.

Face à moi, elle ferme les yeux pour se remémorer ses réactions au début de la guerre. Après quelques secondes, son visage s’illumine et elle me raconte simplement et sincèrement cette sinistre chronologie.

Le 24 février 2022, au petit matin, son téléphone sonne. Elle décroche et entend la voix forte et rapide de son frère qui réside à Kharkiv, à quelques kilomètres de la frontière russe, alors que Dnipro se trouve quelque 200 km plus au sud. Il va à l’essentiel : « La guerre a commencé. La ville est bombardée, je vais chercher deux amis et on arrive à Dnipro. » La conversation est brève et urgente. Elle se limite à ces seuls mots nécessaires.

Stupéfaite, elle sent sa tête tourner, le sol se soulever. Elle s’allonge pour ne pas tomber. Elle demeure comme ça quelques minutes, allongée sur le dos, les yeux ébahis devant son téléphone où défilent les nouvelles de l’invasion russe.

Assaillie par un flot de pensées confuses qui brouillent sa conscience et produisent un sentiment d’irréalité, elle imagine les bruits de la guerre, la terre qui se déchire, les milliers de voitures qui fuient le feu, la rivière du Dniepr charriant le sang. À cet instant, elle souffre plus qu’elle ne pense.

Sa famille est dispersée en Russie et en Biélorussie. Comme Alisa, elle vit la douleur de la séparation entre les populations. Sa famille en Russie semble convaincue par les arguments de Vladimir Poutine :

« Les premiers jours, je hurlais au téléphone. Je hurlais que je n’étais pas nazie, que le peuple ukrainien ne constituait aucune menace pour la Russie. »

Elle interrompt son récit, aspire l’air profondément pour éviter que sa gorge se noue. Je comprends que ses protestations tournent à vide. Elle ne convainc personne. Peu à peu, les appels et les messages se font plus rares, le sujet de la guerre soigneusement évité. Une faille béante commence tragiquement à les séparer. L’écart qui se creuse entre sa famille n’est ni un manque d’affection ni un défaut d’amour. Il est imposé par les forces politiques.

Que faire devant un monde qui s’affole ?

La guerre produit chez certains un sens de l’accommodement aux situations les plus inextricables. Pour d’autres, elle ouvre quelques chances de réussite matérielle ou sociale. Alessia n’a aucune expérience de résistance. Elle n’a jamais vécu le vertige du refus et du soulèvement. Elle a la sensation d’être assommée par des questions qu’elle ne s’était jusqu’à présent jamais posées : Que faut-il faire ? Que peut-on faire face au monstre de la guerre quand on se pense incapable de tout ? Elle n’a ni compétences militaires, ni médicales. La photo, l’architecture et l’enseignement ne paraissent d’aucun secours dans ces moments : « Où aller lorsqu’on a seulement envie de faire quelque chose ? ».

Alors, avec son amie du même âge, Iona, elles se présentent à l’hôpital, espérant être recrutées comme volontaires. Elles sont amenées à faire quelques pansements, mais comprennent rapidement qu’elles y seront moins utiles qu’ailleurs, du fait de leurs faibles compétences en médecine. Alessia se retrouve seule, avec son envie, sa peur et quelques amies. Elle agit de façon désordonnée au gré des mouvements de son cœur. Elle dépense toutes ses économies en matériel militaire et médical qu’elle envoie à la Défense territoriale. Curieusement, dans ces instants désordonnés, elle se sent presque normale et forte.

« La première fois que j’ai craqué, c’est quand on a organisé une visioconférence avec les étudiants. Je leur ai demandé d’allumer leur caméra. J’étais si touchée de voir leurs visages. Certains d’entre eux habitent à l’Est, là où il y a le plus de bombardements. Et puis, il y avait un de nos étudiants qui ne s’était pas connecté. J’ai appelé sa maman de Kharkiv pour avoir de ses nouvelles. Personne n’en avait. C’était un moment terrifiant. »

Ses yeux se brouillent, les larmes se précipitent sur ses joues. Ce sont ses premières larmes. Elle pleure à nouveau, le jour de son anniversaire, le 18 mars. Ses amis insistent pour le fêter. Elle reçoit pour cadeau un kit de survie composé de nourriture en conserve, de café, de chocolat, de porridge, et une petite bouteille de champagne : « C’est un jour que je n’oublierai jamais. »

Volontaire pour l’accueil des réfugiés

Quelques jours après le début de la guerre, la ville de Dnipro change de physionomie. Des milliers de réfugiés affluent en provenance de Marioupol, du Donbass ou de Kharkiv. La mobilisation de la population se fait massive pour les accueillir.

Avec son amie, Alessia suit le mouvement et décide de prendre en charge un lieu, une garderie située non loin du centre de la ville. Il y a tout à faire : aménager l’espace pour accueillir des familles, trouver des lits, des denrées alimentaires, et organiser le lieu, de sorte qu’il soit vivable. Jour et nuit, à quelques-uns, ils se démènent pour finalement ouvrir ce centre. Il accueillera rapidement une centaine de personnes. Alessia s’occupe particulièrement d’organiser la logistique et l’équipe de bénévoles pour s’assurer d’une présence continue sur place. Elle ne compte pas les heures et dort peu.

Les réfugiés arrivent affolés par leur départ précipité de leurs maisons. Ils sont anxieux, nerveux, parfois paniqués. Beaucoup n’ont aucun plan pour l’avenir. Ils sont en attente, dans l’espoir de retourner dans leur ville d’origine. Elle écoute leurs histoires dont certaines sont effroyables. Elle les conserve toutes en tête : « On essaie d’enregistrer ces récits, il faut les raconter. » Elle se donne cette tâche essentielle de constituer les premières mémoires de la guerre, même si l’attention publique pour ces histoires d’atrocités faiblit. Par la voix de ces familles, elle apprend ce qu’est réellement la guerre. Depuis ce jour, il lui semble qu’elle a perdu son innocence, qu’il n’est plus possible de vivre sans conséquences.

Soubresauts de la vie intérieure

Il est assez commun de constater que la guerre tue les questions et débarrasse du souci de soi. Ce n’est pas tout à fait le cas pour Alessia. Elle n’a pas perdu le contact avec elle-même. Depuis le début de la guerre, elle est assaillie par une foule d’impressions nouvelles qui produisent de nombreux soubresauts de sa vie intérieure. C’est d’abord le choc moral d’être témoin des ravages de la guerre, de populations affolées et déplacées, de récits bouleversants des familles endeuillées.

C’est ensuite la peur d’être choisie par le destin au cours de ces bombardements aléatoires, l’incapacité d’oublier la guerre à cause de ces alertes quotidiennes. Elle produit d’incroyables efforts pour s’empêcher de ruminer des pensées sombres. Lourdement, je l’interroge sur ses sentiments contradictoires, sur ce qui, dans ce contexte étouffant et anxiogène de la guerre, la transforme. Elle sait que son être n’est plus le même, qu’elle est durablement changée, que la guerre l’oblige à se défaire d’elle-même.

Mais il lui est difficile de nommer précisément ces transformations : s’est-elle endurcie devant le réel ? A-t-elle perdu l’innocence qui l’aidait à se glisser avec aisance dans le monde ? Qu’est-ce que la conscience soudaine de la brutalité du monde lui a volé ? Il n’est en tout cas rien moins que facile d’expliquer ce qui l’agite intérieurement, des transformations singulières et encore mystérieuses, insaisissables dans le présent de la guerre. Des parties en elle ont été tuées.

Son insouciance passée vole en éclats. Alors qu’elle demeurait à la surface de la vie, tournant volontairement le dos aux abîmes obscurs, elle est rattrapée par la violence du monde et ses conséquences sur les vies humaines. Dans un carnet, elle écrit ses pensées, qu’elle me transmet :

« C’est difficile de se réveiller le matin dans le noir, difficile d’écouter ces sirènes pendant des heures, difficile d’entendre ces explosions, difficile d’écouter les douleurs et le désespoir des autres, difficile de penser à la mort, difficile de penser au futur, difficile de composer avec toutes ces émotions, difficile d’accepter le silence des autres, difficile de penser que demain pourrait ne pas avoir lieu, difficile d’être. Difficile… »

Apprendre à mettre à distance le réel

Au centre, les bénévoles s’appuient sur quelques psychologues pour aider les réfugiés à affronter la situation, et aussi pour les aider eux-mêmes à surmonter l’abattement et l’effroi qui les saisissent en écoutant les histoires terribles narrées par ces réfugiés. Ils apprennent à mettre à distance le réel, à ne pas se laisser submerger.

Alessia m’explique qu’elle éprouve de grandes difficultés à échanger avec certains exilés qui manifestent de la colère, voire une certaine violence. Les plus nerveux sont les plus taiseux. Ils ne racontent pas leurs histoires par honte, ou parce qu’ils pensent qu’elles n’ont rien de remarquable car elles sont partagées par des milliers d’Ukrainiens. Alors, dans le centre, ils restent seuls, manifestent parfois une certaine hostilité envers les autres.

Il paraît à Alessia que ces hommes ne savent pas traiter leur passé récent, sinon avec un certain mépris destructeur. Elle éprouve une profonde gêne devant ses situations. Elle s’éloigne et préfère s’occuper des enfants :

« Avec eux, je passe énormément de temps. Ils ne se détruisent pas. Ils éprouvent dans leur corps toutes ces horreurs avec une spontanéité stupéfiante. Ils deviennent facilement des amis. Je dessine et je joue avec eux. »

Depuis, elle a réalisé quelques cartes postales à partir des dessins des enfants en vue de les vendre pour augmenter les ressources propres du centre d’accueil des réfugiés.

Pour les cartes postales, les volontaires choisissent des dessins plus joyeux et symbolisant l’espoir d’une victoire ukrainienne et du retour de la paix.

L’économie ordinaire de la guerre et le retour au travail

Alors que le monde se dissout dans la désolation et le sang, elle est rappelée par les nécessités économiques. À tort, la question financière a été peu évoquée dans les précédentes chroniques. Cette considération matérielle, apparemment anodine, est pourtant de toute importance pour Alessia et pour bien d’autres volontaires.

Dans l’épicentre de la guerre, les nécessités économiques sont parfois secondaires. Les volontaires occupent les appartements vides, l’entraide est suffisamment importante pour dispenser des charges financières quotidiennes. En revanche, la guerre ne les supprime pas pour les personnes éloignées du feu. Alessia reprend donc le travail, la tête partagée entre son envie de continuer l’accueil des réfugiés et de retrouver ses projets d’architecture pour lesquels elle a toujours travaillé avec enthousiasme. Elle est partagée entre l’aspiration de reconstituer le monde brisé en morceaux et celle de poursuivre ses activités d’autrefois. Elle retourne au travail, s’adonne à quelques projets de construction, nécessairement moins nombreux qu’avant la guerre.

Par ailleurs, elle n’est pas épargnée par la laborieuse bureaucratie de l’existence quotidienne. La propriétaire de son appartement a augmenté son loyer « car elle a constaté que je ne suis plus seule à l’habiter, mais que nous sommes trois avec mon frère et mon ami ». Le montant du loyer est trop onéreux.

En juillet, le trio se résigne à déménager. Satisfaits, ils décident de fêter ce nouveau commencement dans un restaurant de Dnipro qu’ils affectionnent. Une soirée ordinaire comme ils en passaient régulièrement autrefois. Une légèreté les enveloppe. Ce plaisir simple a une saveur particulière. Pendant un instant, les tumultes de l’Histoire se dissipent. Ils s’entretiennent sur des sujets banals, plaisantent, se remémorent leurs souvenirs communs. C’est un moment hors du temps où ils ne sont plus concernés par la guerre.

Soudainement, peu avant le dessert, une alarme se met à hurler.

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Ce son strident et insupportable entraîne à nouveau Alessia et les siens dans leur sinistre présent. Ils quittent précipitamment le restaurant. Quelques minutes plus tard, ils voient un premier missile s’abattre à un kilomètre et demi d’eux :

« Toute cette fumée, ces cris lourds et douloureux, et ce curieux sentiment de se réjouir de survivre à ce missile… Puis, j’ai été rattrapée par ce sentiment glaçant que toute chose est provisoire. Un jour, peut-être, je serai sous l’une de ces bombes. »

Le soir et le week-end, elle se rend au centre d’accueil des réfugiés pour apporter son aide. Mais, là aussi, les réfugiés sont moins nombreux. Certaines familles rentrent chez elles, même dans les zones occupées, tandis que d’autres s’installent plus durablement dans un logement qu’elles espèrent encore provisoire. Alessia commence à s’habituer à ce nouveau quotidien laborieux. Puis, alors qu’elle me parle, elle se met à sourire avec une soudaine gaieté qui lui va bien : elle a décidé de faire des photos et de les vendre pour financer les aides humanitaires ou militaires.

Alessia Sand, tous droits réservés
Alessia Sand, tous droits réservés
Alessia Sand, tous droits réservés

Lucioles

Il lui arrive d’être prise de mélancolie. Elle scrute la ville, fixe les bâtiments détruits, en quête d’un signe que la situation s’améliorera dans un monde qu’elle trouve de plus en plus à la dérive. La situation politique et militaire n’offre guère de perspectives heureuses à moyen terme. C’est un espoir désespéré, un ultime geste de résistance dans un monde en morceaux ; elle espère seulement retrouver la quiétude, une vie paisible et légère.

Alessia me fait penser à l’une de ces fragiles lucioles chères à Piero Paolo Pasolini. Ces petits insectes à la lumière faible et aléatoire crépitent au milieu de la nuit. Seule l’obscurité permet à l’œil de percevoir leur « danse ». Dans les temps sombres de la guerre, quelques âmes, souvent errantes comme celle d’Alessia, résistent malgré leur fragilité et leur sentiment d’être impuissantes devant l’ampleur du désastre.

Elles ne luttent pas nécessairement pour une grande idée patriotique ou un dessein révolutionnaire. Elles ne sont guidées par aucune totalité de sens. Elles n’ont pas la sensation de se découvrir des puissances par leurs actions. Elles se lèvent et agissent parce que les frontières de l’intolérable ont cédé. En temps de paix, prises par les affaires privées quotidiennes, ces âmes suivent le cours du monde et n’expriment aucun refus éclatant devant leur présent. C’est quand le monde se renverse qu’elles se soulèvent. C’est au prix de mille luttes intimes que ces gestes de refus pourraient, un jour, devenir « gestes émancipateurs ».

Déclin des insectes : battons-nous pour que les générations futures ne trouvent pas ça « normal »

24 vendredi Fév 2023

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  1. Dave GoulsonProfessor of Biology (Evolution, Behaviour and Environment), University of Sussex

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Dave Goulson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Un papillon butinant une fleur
Un paon-du-jour butinant une fleur de pissenlit. Bernard Dupont/Wikipedia, CC BY-SA

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En 1962 paraissait l’ouvrage de la biologiste états-unienne Rachel Carson, « Printemps silencieux », qui documentait et dénonçait les dramatiques conséquences de l’usage massif des pesticides sur les colonies d’insectes. Soixante ans plus tard, le chercheur Dave Goulson tire à son tour la sonnette d’alarme avec son nouveau livre, « Terre silencieuse : empêcher l’extinction des insectes », paru le 8 février 2023 aux éditions du Rouergue. L’extrait ci-dessous s’intéresse au phénomène des « références changeantes », qui nous fait paraître comme normale une situation (ici, le déclin de la biodiversité) qui ne l’est pas.


Un aspect « intéressant » des déclins qui touchent la biodiversité est qu’ils passent en général inaperçus. On a la preuve que les insectes, mais aussi les mammifères, les oiseaux, les poissons, les reptiles et les amphibiens sont aujourd’hui beaucoup moins abondants qu’ils ne l’étaient quelques décennies plus tôt ; mais vu que le changement se fait lentement, il est difficile à percevoir. Dans le milieu scientifique, on admet désormais que nous souffrons tous du « syndrome de la référence changeante », phénomène qui nous fait accepter comme normal le monde dans lequel nous grandissons, même s’il est très différent de celui dans lequel nos parents ont grandi. Tout tend à prouver que nous, humains, sommes également assez nuls pour détecter un changement graduel qui s’effectue au cours de notre vie.

Des chercheurs de l’Imperial College de Londres ont démontré l’existence de ces deux phénomènes, liés mais différents, en interrogeant des villageois du comté rural du Yorkshire. Ils leur ont demandé de nommer les oiseaux les plus courants de l’époque présente et ceux qu’ils avaient l’habitude de voir vingt ans plus tôt ; ensuite, ils ont comparé leurs réponses aux données très précises sur les oiseaux qui étaient réellement abondants à cette époque. Sans surprise, les plus âgés montraient plus de facilités à donner le nom des oiseaux qui leur étaient familiers vingt ans plus tôt. Les scientifiques appellent cela « l’amnésie générationnelle » : pour des raisons évidentes, les plus jeunes ignorent tout simplement à quoi ressemblait le monde avant qu’ils aient atteint eux-mêmes l’âge de le percevoir.

Chardonneret. Shutterstock

Plus intéressant encore, les anciens avaient beau se souvenir des oiseaux qu’ils avaient souvent vus vingt ans auparavant, ils en donnaient une description se rapprochant de celle des oiseaux d’aujourd’hui. Leur mémoire imparfaite livrait un hybride entre souvenirs précis et observations récentes, ce que les scientifiques appellent l’« amnésie personnelle ». Notre mémoire nous joue des tours, en minimisant l’ampleur des changements que nous avons observés.

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Beaucoup de gens, bien sûr, remarquent les oiseaux vivant dans leur environnement, mais très peu font attention aux insectes. Le seul aspect du déclin des insectes qui frappe nos esprits a été baptisé « l’effet pare-brise ». Pour la petite histoire, presque tous les gens de plus de cinquante ans se souviennent de l’époque où, l’été, après un trajet assez long en voiture, le pare-brise se retrouvait constellé d’insectes morts, à tel point qu’il fallait parfois s’arrêter pour le nettoyer. De même que, lorsqu’on conduisait la nuit sur des petites routes de campagne, toujours en été, les phares éclairaient un tourbillon de papillons, véritable tempête de neige. Aujourd’hui, les automobilistes d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord sont libérés de la corvée de laver leur pare-brise. Il semble peu probable que les lignes plus aérodynamiques des véhicules modernes en soient l’unique raison.

Traces d’insectes écrasés sur un pare-brise
Traces d’insectes écrasés sur un pare-brise… Bientôt une image du passé ? H Dragon/Flickr, CC BY

Je possède un vieux livre de recettes de vins faits maison et l’une d’elles commence ainsi : « Ramassez deux gallons de primevères officinales… » À une époque, cette opération devait être banale mais pas à la mienne. Pour moi, les primevères officinales ont toujours été des fleurs plutôt rares, si bien que c’est un vrai plaisir de pouvoir en cueillir quelques-unes sur un talus. Cette recette apporte la preuve que les fleurs étaient autrefois beaucoup plus abondantes qu’aujourd’hui, mais personne n’est plus en vie pour s’en souvenir.

Même si je n’ai pas connu le temps où les primevères officinales pullulaient, je crois me rappeler que, vers les années 1970, on voyait beaucoup plus de papillons. Je suis certain que, dans mon enfance, les volées de vanneaux huppés étaient un spectacle quotidien à la campagne et qu’on y entendait partout, au printemps, le cri inimitable du coucou. Les enfants du nouveau millénaire grandissent dans un monde où papillons, vanneaux huppés et coucous sont devenus rares. Après un voyage en voiture, l’été, leur père ne leur demande jamais de nettoyer le pare-brise pour le débarrasser des insectes écrasés. À l’école primaire, ils ne passent certainement jamais l’heure du déjeuner à prendre des sauterelles dans leurs mains sur le terrain de jeu parce qu’en général il n’y en a pas. Mais tout comme les champs de primevères officinales que je n’ai jamais vus ne me manquent pas, ces choses ne leur manquent pas puisqu’ils ne les ont pas connues. Le « normal » change à chaque génération.


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Il paraît vraisemblable que les enfants de nos enfants grandiront dans un monde où les insectes, les oiseaux et les fleurs seront encore moins abondants qu’aujourd’hui, et ils trouveront ça normal. Ils liront peut-être dans des livres ou plutôt sur Internet que les hérissons étaient, avant, des créatures très communes, mais ils ne connaîtront sans doute pas la joie d’en entendre un renifler sous une haie pendant qu’il cherche des limaces.

L’éclat des ailes du paon-du-jour ne leur manquera pas, pas plus que ne manquent aux citoyens américains d’aujourd’hui les nuées de pigeons voyageurs si denses qu’elles obscurcissaient le ciel. Ils apprendront peut-être à l’école que le monde possédait autrefois des grands récifs coralliens tropicaux grouillant d’une vie fantastique et magnifique, mais ces récifs auront disparu depuis longtemps et ne leur paraîtront pas plus réels que les mammouths ou les dinosaures.

Les fleurs du cornouiller sanguin attirent les pollinisateurs. Jennifer Gallé/The Conversation, CC BY-NC-SA

Au cours des cinquante dernières années, nous avons dramatiquement réduit l’abondance de la vie sauvage sur Terre. De nombreuses espèces autrefois courantes sont devenues rares. On ne peut pas en être certain, mais si l’on se réfère aux différentes études effectuées en Europe à des périodes variées sur différents groupes d’insectes, on en a probablement perdu au moins 50 %, sinon davantage, depuis 1970. Et ce chiffre pourrait facilement atteindre les 90 %. Sur les cent dernières années, le déclin s’est sans doute accéléré. À cet égard, l’Amérique du Nord n’a rien à envier à l’Europe car ses méthodes agricoles sont globalement similaires ; en revanche, on est beaucoup moins certains de ce qui se passe ailleurs dans le monde ; c’est peut-être un petit peu mieux, ou pire.

Que l’on ait si peu de certitudes sur le taux de déclin des insectes est effrayant car on sait qu’ils sont essentiels en tant qu’aliments, pollinisateurs et recycleurs, entre autres choses. Le plus effrayant, peut-être, c’est que presque personne ne s’est aperçu que quelque chose avait changé. Même nous qui nous souvenons des années 1970, et qui nous intéressons à la nature, sommes incapables de nous rappeler précisément combien il y avait de papillons ou de bourdons dans notre enfance. La mémoire humaine est imprécise, biaisée, capricieuse ; ainsi que l’a prouvé l’expérience réalisée auprès des villageois du Yorkshire, tout le monde a tendance à corriger ses souvenirs. Vous pouvez avoir le sentiment tenace que le buddleia de votre enfance attirait toujours une multitude de papillons, sans toutefois pouvoir en être absolument sûr. Peut-être est-ce tout simplement l’image d’une journée particulière qui s’est gravée dans votre mémoire.

Paru le 8 février 2023. Éditions du Rouergue. Le Rouergue, CC BY-NC-ND

Quelle importance si nous oublions ce qu’il y avait autrefois, et si les générations futures ne savent pas ce qu’elles ratent ? Peut-être est-ce après tout une bonne chose que nos références changent et que nous nous accoutumions à la nouvelle norme, sinon on aurait le cœur brisé en pensant à ce que nous avons perdu. Une étude fascinante réalisée à partir de photographies de pêcheurs revenant avec leurs prises à Key West, en Floride, entre 1950 et 2007 montrait que la taille moyenne des poissons avait chuté de 19,9 kg à 2,3 kg ; or les hommes étaient toujours aussi souriants. Les pêcheurs actuels seraient probablement tristes s’ils savaient ce qu’ils ratent, mais ils ne le savent pas ; l’ignorance est une vraie bénédiction.

D’un autre côté, on peut objecter qu’il faut au contraire se battre contre l’oubli, s’accrocher le mieux possible à ce sentiment de perte. Les programmes de surveillance de la faune sauvage nous y aident en mesurant le changement. En nous autorisant à oublier, nous condamnons les générations futures à vivre dans un monde morne, appauvri, privé de l’émerveillement et de la joie que nous apportent le chant des oiseaux, les papillons, le bourdonnement des abeilles.

Le difficile combat des artistes russes qui s’opposent à Poutine et à sa guerre en Ukraine

23 jeudi Fév 2023

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  1. Vera AgeevaProfesseur associée de la Haute école des études économiques (Russie), Sciences Po

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Vera Ageeva ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Le chanteur russe Oxxxymiron en concert. Derrière lui, l'inscription « Russians against war ».
En mars, la star du hip-hop russe Oxxxymiron a organisé à Istanbul, Berlin et Londres une série de concerts de charité dont les recettes ont été consacrées à l’aide aux réfugiés ukrainiens. @JonnyTickle/Twitter, CC BY-NC-ND

 

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un certain nombre de représentations d’artistes russes dans les pays occidentaux ont été annulées par les organisateurs au nom de la solidarité avec Kiev. C’est ainsi que, entre autres exemples, le ballet du Bolchoï n’a pas pu se produire à l’opéra de Londres ; l’orchestre du théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg, dirigé par Valéri Guerguiev, connu pour sa proximité avec le Kremlin, a été retiré du programme de la Philarmonie de Paris ; et la Russie a été bannie du concours de l’Eurovision. Il est également arrivé que des œuvres du répertoire russe soient déprogrammées.

Chaque épisode de ce type constitue une aubaine pour la propagande du Kremlin, qui les relaie largement auprès de son opinion publique afin de la convaincre que l’Occident tout entier est en proie à une scandaleuse flambée de « russophobie » et que la culture russe dans son ensemble fait l’objet d’un boycott intégral – les médias du pouvoir, et Poutine en personne, parlant à cet égard d’un déchaînement de « cancel culture » visant spécifiquement la Russie.

En réalité, si « cancellation » de la culture russe il y a aujourd’hui, c’est plutôt en Russie même qu’elle se déroule. Depuis des années, le régime se livre à une persécution politique constante visant réalisateurs, chanteurs, écrivains et autres artistes russes. Un phénomène qui s’est encore intensifié à partir de février 2022.

Avant la guerre : dix ans de répression

Après le début de l’attaque contre l’Ukraine, Moscou a mis en place une censure quasi militaire qui rappelle à bien des égards la pratique soviétique. Il s’agit d’un nouveau tour de vis dans la guerre culturelle qui se déroule en Russie depuis une bonne décennie : elle met aux prises, d’un côté, de nombreux artistes russes qui réclament la liberté d’opinion et d’expression, et de l’autre côté, les fonctionnaires du monde de la culture et les idéologues du Kremlin déterminés à sanctionner durement la moindre manifestation d’opposition à la ligne du pouvoir.

Le 4 février 2012, le chanteur du groupe DDT, Iouri Chevtchouk (guitare en main), prend part au meeting « Pour des élections non truquées » à Moscou aux côtés de l’homme politique d’opposition Boris Nemtsov, qui sera assassiné en 2015. Kirill Kudryavtsev/AFP

Avant le début de la guerre, seule une minorité du monde artistique et culturel russe osait faire part publiquement de son désaccord avec le régime de Vladimir Poutine, devenu de plus en plus autoritaire au cours des années. La majorité avait opté pour une posture – très commode pour le pouvoir – consistant à se placer « hors de la politique », à « rester neutre » et à « se concentrer sur son art ».

Les rares artistes à critiquer ouvertement Poutine et son système se voyaient largement empêchés de travailler normalement et de rencontrer leur public. Par exemple, en 2012, Iouri Chevtchouk, l’une des plus grandes stars russes du rock depuis les années 1980, leader du groupe culte DDT, s’est vu interdire de partir comme prévu en tournée à travers le pays après participé à des manifestations à Moscou contre les fraudes survenues pendant l’élection présidentielle organisée en mai de cette année-là, qui s’est soldée par le retour au Kremlin de Vladimir Poutine après l’interlude Medvedev. C’est surtout à partir de ce moment-là que le pouvoir s’est mis à s’en prendre systématiquement aux personnalités du monde de la culture qui se permettaient de prendre publiquement position contre lui.

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L’annexion de la Crimée en 2014 a tracé une nouvelle ligne de séparation entre le gouvernement russe et les artistes, spécialement les plus jeunes d’entre eux. Des rappeurs populaires comme Oxxxymiron, Noize MC, Husky, ou encore Face ont participé à des manifestations politiques, s’en sont pris en paroles au régime et ont donc eu, eux aussi, des difficultés à poursuivre leur activité professionnelle en Russie, certains ayant même connu des démêlés avec la justice du fait de leurs prises de position.Oxxxymiron, Face, IC3PEAK : les artistes russes s’opposent à Poutine, Arte, 5 avril 2022.

Au pays de Vladimir Poutine, la justice est en effet régulièrement mise à contribution pour ramener à la raison les personnalités de la société civile jugées suspectes. En 2017, une procédure pénale, officiellement pour motifs économiques, est lancée contre l’éminent réalisateur et metteur en scène Kirill Serebrennikov, fondateur du théâtre « Gogol Center » à Moscou, devenu l’un des lieux culturels centraux de la Russie contemporaine. En 2018, son film « Leto » (L’Été) a reçu plusieurs prix internationaux y compris au Festival de Cannes. En 2019, il a été fait par la France commandeur des Arts et des Lettres. Serebrennikov était connu pour sa position critique envers le régime de Poutine. Pour la majorité de l’intelligentsia russe, les poursuites déclenchées à son encontre par le Kremlin n’ont rien à voir avec le motif officiellement invoqué et relèvent d’une nouvelle manifestation de la persécution de toute dissidence. Le metteur en scène a été placé en résidence surveillée pour presque deux ans. Lors de son procès, finalement tenu en 2020, il a été jugé coupable et condamné à une peine de prison avec sursis. Il a quitté le pays peu après l’invasion de l’Ukraine.

Kirill Serebrennikov devant le Deutsches Theater à Berlin, où est affichée une banderole aux couleurs du drapeau ukrainien proclamant « We Stand United »
Kirill Serebrennikov devant le Deutsches Theater à Berlin, le 22 avril 2022. Lors d’une interview à l’AFP ce jour-là, il a déclaré : « Nous avons le choix : devenir Leni Riefenstahl ou Marlène Dietrich », cette dernière étant connue pour s’être opposée au nazisme. Tobias Schwarz/AFP

Le point de non-retour entre le régime de Poutine et la culture russe

Après le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, les autorités russes ont nettement accru leur contrôle sur l’espace public. L’objectif, désormais, n’est plus simplement de taper sur les doigts des contestataires, mais de purger le pays de tous les éléments insuffisamment « patriotes » : dans son fameux discours du 16 mars, Vladimir Poutine n’a-t-il pas appelé à une « purification naturelle » de la société contre « les racailles et les traîtres » ?

Depuis l’adoption d’une loi ad hoc, la moindre expression d’une opinion indépendante sur la guerre en cours est susceptible d’être qualifiée de « tentative de jeter le discrédit sur l’armée russe » et de « diffusion de fausses nouvelles » – des infractions passibles d’une peine de prison ferme pouvant aller jusqu’à 15 ans. Cette législation, similaire à celle de la loi martiale, a permis aux siloviki (les responsables des structures de sécurité et de justice de l’État) de placer sous une pression maximale ceux des artistes russes qui ont pris la décision de ne pas garder le silence. Et pourtant, certains, y compris une proportion non négligeable des représentants de la culture dite populaire, qui étaient jusqu’ici considérés comme plutôt loyaux envers le régime, n’ont pas craint de défier le pouvoir.

La chanteuse russe Monetotchka en concert
La très populaire chanteuse russe Monetotchka, qui s’est exilée après le début de la guerre, participe à Varsovie (Pologne) à un concert de charité visant à lever des fonds pour les réfugiés ukrainiens, le 25 avril 2022. Janek Skarzynski/AFP

Les artistes de la culture pop étaient restés largement apolitiques pendant les 22 ans du régime de Poutine. Mais la guerre déclenchée par le Kremlin a révélé qu’une partie d’entre eux, y compris parmi les plus célèbres, étaient aptes à défendre une position éthique dans des circonstances périlleuses. Des idoles de la variété et de la pop, dont les Russes connaissaient les chansons par cœur (parfois depuis l’enfance) – tels que la superstar Alla Pougatcheva, mais aussi Valéry Meladze, Sergueï Lazarev, Ivan Ourgant, etc – ont osé de déclarer au grand public leur désaccord avec les bombardements du pays voisin.

Même si d’autres artistes – comme le « rappeur de cour » et businessman Timati, en passe de reprendre les cafés abandonnés par la chaîne Starbucks, ou l’acteur Vladimir Machkov – ont accepté de diffuser la propagande officielle, l’effet qu’a sur la société le courage des artistes anti-guerre (qui, en dénonçant la guerre ou en quittant la Russie, ont mis leur carrière professionnelle, voire leur liberté, en péril) ne doit pas être sous-estimé.

Les représentants des générations les plus jeunes, comme les rappeurs évoqués plus haut, n’ont pas été en reste, à commencer par le plus célèbre, Oxxxymiron, qui est parti pour l’étranger et y a organisé de nombreux concerts réunissant ses compatriotes sous le slogan sans équivoque « Russians against war », et dont les recettes sont reversées à des organisations d’aide aux réfugiés ukrainiens.

Une position partagée par les emblématiques punkettes de Pussy Riot – l’une d’entre elles, menacée de prison, a d’ailleurs fui la Russie dans circonstances particulièrement rocambolesques – et par les membres de l’un des rares groupes russes connus à l’international, Little Big, qui se sont exilés et ont publié un clip établissant implicitement un lien entre la destruction de l’Ukraine et la « cancellation » de la culture en Russie.Little Big, Generation Cancellation, 24 juin 2022.

Enfin, la majeure partie de l’intelligentsia culturelle russe est également hostile à la guerre. Si, là encore, certains – par conviction (comme l’écrivain Zakhar Prilépine) et le cinéaste Nikita Mikhalkov, ou par calcul – chantent les louanges du régime et saluent son « opération spéciale », une large majorité des écrivains, poètes, réalisateurs et musiciens connus internationalement se sont opposés à l’invasion du pays voisin. Quelques-uns sont même passés des paroles aux l’action et ont fondé une association baptisée « La vraie Russie ».

Parmi les plus actifs, citons les célèbres écrivains Lioudmila Oulitskaïa, Boris Akounine et Dmitri Gloukhovski ; le metteur en scène Kirill Serebriannikov, déjà cité ; le réalisateur Andreï Zviaguintsev ; la chanteuse lyrique Anna Netrebko ; la poétesse Vera Polozkova ; les vétérans du rock Boris Grebenchtchikov, Iouri Chevtchouk et Andreï Makarevitch ; les acteurs Lia Akhedkajova, l’acteur Artur Smolyaninov… liste non exhaustive).

Certains d’entre eux ont déjà été désignés par le gouvernement russe comme « agents de l’étranger » et ont dû quitter le pays. Ajoutons que plusieurs responsables d’institutions culturelles de premier plan ont démissionné pour protester contre la guerre en Ukraine.

Persécuter l’intelligentsia artistique contemporaine sera une tâche plus facile pour le Kremlin que démanteler les fondements éthiques de la culture russe classique, qui s’est toujours opposée aux horreurs de la guerre, mettant au centre de la réflexion l’individu (le problème du « petit homme » chez Pouchkine, Gogol, Tchekhov) et considérait l’âme russe comme ouverte, paisible et tournée vers le monde (l’idée de « vsemirnaïa doucha » de Fedor Dostoïevski).

Les auteurs classiques sont encore étudiés à l’école en Russie… pour le moment. Mais au rythme où vont les choses, il est permis de se demander si le plus célèbre roman de la littérature russe, Guerre et Paix, ne sera pas jugé contraire à l’esprit de l’époque, puisque le mot « guerre » lui-même a disparu de l’espace public, si bien qu’un meme populaire présente la couverture de l’ouvrage portant ironiquement pour titre « L’opération militaire spéciale et la paix »…

Joe Biden : un discours populiste de gauche sur l’état d’une Union divisée

23 jeudi Fév 2023

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  1. Jérôme Viala-GaudefroyAssistant lecturer, CY Cergy Paris Université

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Joe Biden devant Kamala Harris et Kevin McCarthy.
Joe Biden lors de son discours sur l’état de l’Union, le 7 février 2023. Au second plan, la vice-présidente Kamala Harris et le speaker de la Chambre des Représentants Kevin McCarthy. pool/getty images north america/getty images via AFP

Moment phare de la vie politique américaine, le discours sur l’état de l’Union du président des États-Unis a eu lieu le 7 février dernier : une des rares occasions où les trois branches du gouvernement sont réunies. Le président y fait le bilan de son action et présente son programme à venir en direct, devant des dizaines de millions de téléspectateurs et quelques invités triés sur le volet.

Cet événement, instauré en 1790, est devenu, au fil du temps, un véritable spectacle politique fait de faste et de formalisme cérémoniel, ponctué d’applaudissements et de « standing ovations », plus particulièrement depuis que Ronald Reagan a instauré la tradition d’inviter des personnes à la tribune. Il s’agit souvent de citoyens ordinaires, honorés dans le discours pour leur héroïsme, ou parce qu’ils incarnent les valeurs exceptionnelles de l’Amérique… ou encore, plus pragmatiquement, un aspect de la politique du président. Le jeu consiste à faire applaudir, voire ovationner, par les membres du Congrès, y compris ceux du parti adverse, ces héros et la politique qu’ils illustrent.

La présence particulièrement émouvante de la mère de Tyre Nichols, ce jeune Noir battu à mort par des policiers le 7 janvier dernier, auquel l’ensemble des élus ont rendu hommage, a ainsi été l’occasion pour Joe Biden de demander au Congrès d’adopter sa proposition de loi sur la réforme de la police.

Une Union divisée

À travers ce discours, qui découle d’un devoir constitutionnel du président d’informer le Congrès de « l’état de l’Union » (Article II, Section 3), il s’agit aussi de démontrer au peuple que la nation est unie. Joe Biden conclut son intervention en réaffirmant sa croyance dans l’exceptionnalisme américain, et en proclamant que l’union de la nation est forte « parce que le peuple est fort ». Pourtant, le spectacle qui a été donné ce 7 février a plutôt été celui de la division.

Le président avait bien commencé son discours sur une note unitaire, en félicitant ses adversaires élus au Congrès, y compris le nouveau président républicain de la Chambre, Kevin McCarthy, et en insistant sur le fait que les législateurs démocrates et républicains devaient travailler ensemble à l’élaboration des textes de loi.

Mais la question du relèvement du plafond de la dette fédérale, qui doit être voté par le Congrès d’ici juin afin de pouvoir payer la dette sur les marchés financiers, a déclenché les hostilités. Les Républicains les plus radicaux ont en effet conditionné leur vote à des baisses massives de dépenses publiques, y compris sociales.

Joe Biden a accusé cette frange du parti républicain de procéder à une forme de chantage et même de vouloir signer l’arrêt de mort des très populaires programmes de santé des seniors (Medicare) et d’assurance-retraite (Social Security). Le président était manifestement prêt à une réaction de l’opposition. Celle-ci ne s’est pas fait attendre. Les plus radicaux des élus républicains n’ont pas hésité à invectiver et à huer le chef de l’État, l’élue extrémiste de Géorgie Marjorie Taylor Greene se signalant particulièrement en criant « Vous mentez, vous êtes un menteur ! ».

Improvisant, le président note alors ironiquement que puisque Greene affirme qu’il ment lorsqu’il dit que les Républicains veulent enterrer les programmes sociaux… c’est donc que ces derniers ne souhaitent pas les remettre en cause ! « On a l’air d’accord, on n’y touche pas ? On a l’unanimité alors ! », dit-il malicieusement, invitant l’assemblée à se lever pour les seniors, forçant ainsi de nombreux élus républicains à se joindre aux applaudissements.

Nationalisme économique et populisme de gauche

Au-delà de cette joute inhabituelle entre un président et le parti adverse, le discours de Joe Biden marque aussi la consécration d’une véritable rupture idéologique avec l’enthousiasme pour le libre-échange et la mondialisation que les deux partis ont eu en commun au cours des quarante dernières années. Prônant un véritable nationalisme économique, le président démocrate reprend le slogan de son administration, « Buy American », qui fait écho au « America First » de Donald Trump en 2016.

Rien de surprenant pour un président qui a maintenu certaines des barrières douanières mises en place par son prédécesseur. Et signé des lois mettant fin à l’externalisation, relancé la fabrication industrielle intérieure et de nouvelles dépenses d’infrastructure et officialisé une concurrence franche avec la Chine, à travers notamment la loi CHIPS sur les semi-conducteurs ou celle sur la réduction de l’inflation, perçues d’ailleurs en Europe comme du protectionnisme.

Autre similitude avec Trump : Biden se veut le défenseur des oubliés qu’il oppose à une élite, non pas culturelle comme le font les Républicains, mais économique.

Il dénonce ainsi les entreprises qui « facturent trop cher » et qui « arnaquent » les petites gens, du « Big Pharma » au « Big Tech » en passant par les sociétés de cartes de crédit et les compagnies aériennes, sans oublier les milliardaires qui ne paient pas leur juste part d’impôts. Il demande alors au Congrès de voter davantage de lois de réglementation (Junk Fee Prevention Act) et de réformer les impôts, autant de mesures que ne votera jamais la majorité républicaine, qui défend la déréglementation et les baisses d’impôts. Comme l’a bien résumé un chroniqueur du New York Times, le message de Biden est finalement de dire : « Ce que Trump a promis, moi, je le fais ».

Un discours de campagne ?

Les dossiers de politique étrangère, comme l’Ukraine ou la Chine, qui occupent pourtant une bonne partie de l’agenda du président, ont été très rapidement survolés, Joe Biden choisissant de se concentrer sur les questions intérieures et économiques du quotidien, qui préoccupent davantage les électeurs. Son objectif semble être la reconquête des classes moyennes populaires blanches et des cols bleus, dont une bonne partie a délaissé les démocrates pour Donald Trump.

Dans un contexte inflationniste peu favorable, le président souligne qu’il est en train de « reconstruire la classe moyenne », qui n’est plus majoritaire dans le pays.

Il met également en avant un taux de chômage au plus bas depuis 50 ans, y compris pour les travailleurs noirs et hispaniques, ainsi que des créations d’emplois dans l’industrie manufacturière « dans tout le pays », « pas seulement sur la côte mais aussi au milieu du pays ». Au-delà des chiffres, il souligne la nécessité de « retrouver la fierté de ce que l’on fait. »

C’est, par exemple, la fierté du travail d’une monteuse de charpentes métalliques, qu’il fait applaudir. Le retour de la fierté résonne comme une réponse au slogan de Trump de redonner sa grandeur à l’Amérique. L’un des leitmotivs du discours est qu’il faut « finir le travail », une expression répétée une douzaine de fois.

Quant aux sujets de société comme l’avortement ou le contrôle des armes, ils sont brièvement mentionnés mais le président ne s’étend pas.

Un avant-goût de 2024 ?

Côté républicain, la réponse officielle a été donnée par l’ancienne porte-parole de Donald Trump à la Maison Blanche, Sarah Sanders. Elle a renchéri sur les thèmes de la guerre culturelle, comme le wokisme ou la trans-identité, que les Démocrates et l’administration Biden voudraient soi-disant imposer. Selon elle, la confrontation n’a plus lieu entre la gauche et la droite, mais entre « la normalité et la folie. »

Cela pourrait faire sourire venant d’un parti dont une majorité d’élus ont fait campagne en relayant la théorie du « Grand Mensonge » et dont le visage le plus médiatisé lors du discours sur l’état de l’Union a été celui de la conspirationniste notoire Marjorie Taylor Greene. C’est un positionnement qui peut plaire à la base la plus radicalisée mais qui aura du mal à convaincre l’ensemble de la population dans une élection générale, car les primaires se jouent aux extrêmes, les élections générales, elles, se décident souvent au centre, comme on l’a vu aux midterms de 2022.

Quant à Joe Biden, qui ne s’est pas encore officiellement déclaré candidat pour 2024, il a l’une des cotes de popularité les plus basses de l’histoire récente (42 %). Même dans son camp, 75 % des électeurs démocrates ne souhaitent pas qu’il se présente à nouveau, notamment en raison de son âge. Sa chance, c’est que Donald Trump – qui, lui, a déjà officialisé sa candidature – est encore plus impopulaire. Sa seule voie vers la réélection est d’apparaître comme une figure rassurante face à une radicalité inquiétante, mais c’est une longue route pleine d’embûches.

La rhétorique de guerre du Kremlin

22 mercredi Fév 2023

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

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auteurs

  1. Jules Sergei FediuninPost-doctorant au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron (EHESS), Docteur​​ en science politique associé au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) de l’INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
  2. Valéry KossovMaître de conférences habilité à diriger des recherches en études russes, Université Grenoble Alpes (UGA)

Déclaration d’intérêts

Valéry Kossov est membre de l’Institut des langues et cultures d’Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4) et directeur du Centre d’études slaves contemporaines

Jules Sergei Fediunin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Écran sur la place Rouge à Moscou montrant un discours de Vladimiir Poutine
Le 9 mai 2022, jour anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Russie, Vladimir Poutine prononce un discours établissant un lien direct entre la lutte contre l’hitlérisme et l’« opération militaire spéciale » russe actuelle en Ukraine. Kirill Kudryavtsev/AFP

La guerre ravage l’Ukraine depuis plus de cinq mois. Pourtant, les conséquences désastreuses de ce conflit sont très largement méconnues en Russie.

Si une partie des citoyens russes ont le sentiment de vivre dans une dystopie devenue réalité, le régime de Vladimir Poutine parvient à maintenir un contrôle ferme sur la circulation des informations.

Tout en manipulant l’opinion publique de façon à pouvoir se prévaloir d’un soutien massif des Russes à la politique du Kremlin à l’égard de l’Ukraine (75 % en juin dernier, selon les données du Centre Levada), le régime fournit à la population des stratégies discursives lui permettant de nier une réalité désagréable et effrayante. D’autres indicateurs confirment l’existence d’un soutien palpable à la campagne militaire russe : ainsi, en avril 2022, 36 % des sondés affirmaient éprouver de la fierté pour le peuple russe, contre 17 % un an plus tôt.

Pour mieux comprendre la nature (et les limites) de ce ralliement populaire à la cause belliqueuse, il est nécessaire d’étudier la façon dont la rhétorique de guerre se construit en Russie.

« Normaliser » la guerre ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le régime russe cherche à montrer que la situation actuelle relève de l’ordre naturel des choses.

L’expression même « opération militaire spéciale », utilisée à la place du mot « guerre », est censée souligner le caractère provisoire du conflit, à l’instar des précédentes interventions militaires russes en Tchétchénie (dans les années 1990 et 2000) et en Syrie (depuis 2015). Mis à part son discours du 24 février 2022 lors duquel il a de facto annoncé la guerre contre l’Ukraine, Vladimir Poutine n’a pas fait d’interventions systématiques sur ce sujet, contrairement à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, qui adresse la parole à ses concitoyens presque quotidiennement.

Depuis le début du conflit, Vladimir Poutine n’a donné qu’une seule interview, le 3 juin 2022, et celle-ci a été consacrée essentiellement aux questions économiques. Cependant, c’est lui qui trace les lignes directrices pour la production du discours à travers diverses interventions diffusées par le service de communication du Kremlin.

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En Russie, peu d’autres acteurs sont autorisés à s’exprimer sur la guerre au nom du pouvoir. Parmi eux, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le chef adjoint du Conseil de sécurité Dmitri Medvedev accordent des interviews aux médias russes comme internationaux. Bien qu’ils s’emploient à « banaliser » la guerre en ce qui concerne ses conséquences pour la société russe, ces acteurs font en même temps monter les enchères face au monde extérieur. Ainsi, Lavrov a publiquement appelé à « ne pas sous-estimer » les risques d’une guerre nucléaire et Medvedev a menacé l’Ukraine du « jugement dernier » si elle cherchait à récupérer la Crimée par la force.

Dans cette entreprise, les porte-paroles du régime russe s’appuient sur tout un groupe de propagandistes comme Dmitri Kisselev, Vladimir Soloviev ou Margarita Simonian, omniprésents dans les médias gouvernementaux.

La construction du discours : emprunts au répertoire soviétique et nationaliste

D’après ce qui ressort de ces interventions, la rhétorique russe est devenue plus brutale que par le passé, avec l’usage répété de termes marquant la division entre le « nous » et les « autres ». Le vocabulaire se libère de certains tabous et remet au goût du jour des expressions datant de la guerre froide.

La récupération du statut de « puissance antifasciste » par l’État russe en fournit un exemple probant. L’Union soviétique se présentait officiellement comme le pays ayant vaincu le « fascisme » (plutôt que le « nazisme ») allemand. Bien que la rhétorique russe dénonce aujourd’hui la résurgence du « nazisme » en Ukraine, elle reprend les tropes soviétiques en associant « nationalisme » (terme autrefois taxé du qualificatif « bourgeois ») au « fascisme/nazisme » – somme toute, l’incarnation du Mal absolu.

En témoigne la virulence avec laquelle le Kremlin fustige les banderovtsy, soit les partisans de Stepan Bandera (1909-1959), chef de l’Organisation des nationalistes ukrainiens, qui a collaboré avec l’Allemagne nazie au début des années 1940 puis combattu les Soviétiques au nom de la lutte pour une Ukraine indépendante. La déclaration du ministre Lavrov (1er mai 2022), postulant que « parmi les pires antisémites, il y a des Juifs » et visant le président Zelensky, s’inscrit également dans la lignée de la propagande soviétique, qui a longtemps présenté le sionisme et l’État d’Israël comme une réincarnation du fascisme.Lavrov compare Zelensky à Hitler, LCI, 3 mai 2022.

Enfin, l’objectif de « dénazifier » l’Ukraine brandi par le régime russe vise aussi cette Europe libérale et « dégénérée » qui, du fait de son soutien à Kiev, encouragerait la résurgence du « fascisme » – réinterprété, lui, comme le rejet symbolique de la Russie.

La dénonciation du « nazisme/nationalisme » ukrainien contraste, dans la rhétorique du Kremlin, avec l’usage de termes empruntés au discours des nationalistes russes : « nos territoires historiques » (à propos de régions ukrainiennes), « traîtres à la nation » (en parlant des Russes d’opinion libérale qui s’opposent à la guerre), « russophobie » (pour désigner l’attitude haineuse de l’Occident envers la Russie). En même temps, Vladimir Poutine reste fidèle aux formules mettant en valeur le caractère « multinational » de l’État et la diversité de ces populations :

« Je suis russe mais quand je vois des exemples d’héroïsme [sur les champs de bataille en Ukraine] comme celui du jeune soldat Nourmagomed Gadjimagomedov, originaire du Daghestan, j’ai envie de dire : je suis daghestanais, tchétchène, ingouche, tatar, juif… »

Ces stéréotypes soviétiques et nationalistes remplissent une fonction instrumentale visant à appuyer l’idée de l’unité nationale autour du chef et de sa vision du conflit, sans pour autant donner lieu à l’émergence d’une idéologie ultra-nationaliste « dure ».

Argumentation (déficiente) en faveur de la guerre

Les schémas argumentatifs ont aussi évolué depuis le début du conflit.

Des raisonnements logiques font place à une répétition des mêmes faits qui s’apparente à une incantation, sans que les rapports de cause à effet ne soient clairement affinés. Les communicants russes reprennent ainsi une série de griefs géopolitiques où la responsabilité de la guerre en Ukraine est reportée sur les États-Unis et leurs « vassaux » européens décrits comme instigateurs des conflits en Yougoslavie, en Irak, en Libye ou en Syrie.

L’objectif consiste ici à légitimer ses propres actions par la délégitimation de celles des autres. Sergueï Lavrov cherche ainsi à présenter le soutien que l’Occident accorde à l’Ukraine comme une nouvelle manifestation de la politique adoptée par les Occidentaux dès les années 1990, notamment en ex-Yougoslavie, lorsqu’ils auraient refusé tout dialogue équitable avec Moscou.

Cette présentation des choses s’inscrit dans une vision continuiste de l’Histoire : l’Europe occidentale aurait de tout temps cherché à affaiblir la Russie. Le phénomène actuel de « russophobie » ne serait donc qu’une suite logique de la politique occidentale des siècles précédents (Medvedev, 26 mars 2022 ; Poutine, 12 juillet 2021). Ce discours établit une ligne chronologique reliant les guerres russo-polonaises du XVIIe siècle à la campagne de Russie de Napoléon et aux deux Guerres mondiales, en y associant l’élargissement de l’OTAN après 1991 ou le soutien supposé des États-Unis aux séparatistes tchétchènes.

Le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine est dès lors présenté comme une réponse défensive à cette politique séculaire mise en œuvre par « l’Occident collectif ». Cette dernière formule se réfère à l’ensemble des pays membres de l’OTAN qui utiliseraient l’Ukraine comme un « objet manipulable » dans le grand jeu géopolitique (Lavrov, 4 juin 2022). Le fait d’avoir déclenché la guerre en premier est aussi justifié par « l’absence de choix » (Lavrov, 29 mai 2022) face à la construction d’une « anti-Russie » en Ukraine depuis 2014 (Poutine, 16 mars 2022). Ce dernier « projet » relèverait, lui, des pratiques de cancel culture, notion reprise par le régime russe pour désigner le renoncement occidental à tout bagage du passé, y compris des accords récents comme ceux de Minsk (Lavrov, 23 mars 2022).

Le discours du Kremlin tente ainsi de mobiliser des éléments épars afin de créer un schéma cohérent justifiant l’entrée en guerre. Toutefois, ce schéma manque significativement de « preuves » – d’où la diffusion de rumeurs multiples, comme celles faisant état de l’élaboration dans des laboratoires ukrainiens d’armes biologiques destinées à être employées contre la Russie.

Des carences d’argumentation au discours d’intimidation

L’objectif du discours officiel russe consiste à rassembler la population autour d’une idée patriotique, mais aussi à intimider certains cercles du pouvoir, acteurs de la société civile et médias.

C’est en cela que la réactualisation des expressions « traîtres à la nation » ou « cinquième colonne », dont la société doit « se purifier », prend un aspect d’avertissement explicite à l’égard de tous les avis discordants (Poutine, 16 mars 2022). Toute critique de l’État s’apparente désormais à une activité criminelle (Medvedev, 26 mars 2022).

D’une part, il s’agit d’envoyer un message aux élites, les avertissant des conséquences que pourraient avoir les moindres signes de défection ou d’éloignement vis-à-vis de la « ligne directrice ». D’autre part, c’est un signal aux médias nationaux et à tous ceux qui seraient tentés d’exprimer un point de vue alternatif sur la guerre. Le discours leur suggère ainsi d’adopter des comportements appropriés pour éviter des poursuites judiciaires. En effet, la législation répressive a été considérablement élargie après le 24 février 2022, avec l’adoption d’une loi dite de censure militaire. Ce dispositif prévoit des peines pour la « discréditation » des forces armées et la diffusion préméditée de « fausses informations » à leur égard. Par le biais de ces nouvelles normes judiciaires, les autorités russes ont multiplié les poursuites administratives comme pénales.

Ilia Iachine emmené par des policiers
Ilia Iachine (au centre, menotté), figure de l’opposition démocratique et député municipal indépendant à Moscou, a été arrêté le 28 juin dernier. Accusé de diffusion de fausses informations sur l’armée russe, il encourt une lourde peine de prison. Kirill Kudryavtsev/AFP

Ces stratégies d’intimidation permettent au régime d’affirmer, en s’appuyant sur les sondages, que la société lui accorde un large soutien et de légitimer la guerre par cette consolidation. Cependant, les conditions dans lesquelles ces sondages sont menés et, en particulier, sur la manière dont la « politique de la peur » du régime affecte l’opinion publique.

Quelle réception du discours en Russie ?

Pour ces mêmes raisons, il est encore difficile d’évaluer la réception du discours officiel par la population russe.

Certes, la machine de communication est bien réglée pour persuader le public du bien-fondé du conflit. La maîtrise de la réception du discours par le Kremlin se renforce à mesure que les sources d’information alternatives sont bannies de l’espace numérique. Les sites des médias indépendants sont systématiquement bloqués (81 645 sites furent bloqués entre le 24 février 2022 et le 30 juin 2022, selon l’organisation non gouvernementale Roskomsvoboda), tandis que des services VPN permettant de contourner ces blocages font l’objet d’attaques du gouvernement. Cela laisse penser que la communication persuasive déployée en Russie parvient à ses objectifs de consensus social et constitue, à ce jour, un moyen efficace d’assurer le maintien au pouvoir du régime en place.


À lire aussi : Un manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie


Mais malgré ce succès apparent, le système de communication uniformisé peut se heurter à ses propres limites. D’abord, les gouvernants qui prennent des décisions en vase clos manquent de mécanismes de feedback. Ils ne confrontent pas (ou peu) les informations provenant de sources diverses afin d’évaluer avec justesse leur propre légitimité aux yeux de la population. Les dirigeants ont ainsi tendance à considérer leur légitimité comme un acquis qui n’a pas à être remis en cause.

Ensuite, l’uniformité de la communication ne suppose pas automatiquement un public cible homogène et une réception similaire par tous les segments de la population. Celle-ci peut avoir des sensibilités différentes envers le martèlement des mêmes arguments.

Enfin, la rhétorique officielle est amenée à se confronter à la réalité de la guerre avec ses pertes humaines, la baisse du niveau de vie et la coupure radicale de la Russie du monde occidental. Ce décalage entre la parole et la réalité est un facteur qui peut, au bout du compte, mettre en lumière le caractère illusoire de la cohésion nationale affirmée par le régime.

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