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Archives d’Auteur: mirmandepatrimoines

L’État doit-il mentir pour agir ?

29 lundi Mai 2023

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  1. Renaud MeltzHistorien (UHA-Cresat, MSH-P), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Déclaration d’intérêts

Renaud Meltz a reçu des financements de plusieurs institutions pour ses programmes de recherche, dont la MSH du Pacifique et la MISHA, le CNRS et l’IUF.

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Mentir pour protéger, mentir pour servir, mentir par omission, mentir pour « le bien commun », mentir comme moyen de gouverner : les historiens Renaud Meltz et Yvonnick Denoël publient le premier inventaire du « mensonge d’État » sous la Ve République. Convoquant les travaux d’une vingtaine d’universitaires et journalistes, ils rassemblent plusieurs grandes thématiques soulignant les arrangements avec la vérité et la transparence par différents acteurs de l’État sous la Ve République : la vie privée des présidents, l’armée, le nucléaire, le terrorisme et l’islamisme, les lâchetés administratives, la santé publique, les affaires policières et judiciaires, la finance. Le livre distingue plus spécifiquement quatre cas de figure où le mensonge se conçoit respectivement en ennemi de la sincérité (il travestit des faits), de la publicité (il cache des informations), de la connaissance (il organise l’ignorance ou empêche la science de progresser) et de la conscience collective (il organise l’oubli et fictionnalise le passé national). Extraits choisis de l’introduction.


« J’assume parfaitement de mentir pour protéger mon président. » Sibeth Ndiaye a le mérite de la franchise lorsqu’elle proclame qu’elle dénoue délibérément le pacte qui régit les rapports entre les gouvernants et les citoyens dans une démocratie libérale. Ce contrat repose sur la publicité des décisions et la sincérité de ses acteurs. Il est vrai que la condamnation du mensonge demeure implicite dans la Constitution de la Ve République. Elle proclame dès son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants » ; les délibérations du Parlement qui « contrôle l’action du gouvernement » sont publiques et publiées au Journal officiel. La notion de publicité est partout, dans la Constitution ; celle de sincérité, nulle part, ou presque.

À quoi bon délibérer et décider en pleine lumière si la sincérité n’est pas requise ? Seule exception : les comptes des administrations publiques qui doivent être « réguliers et sincères ». Comme si le mensonge, la dissimulation, le travestissement ne pouvaient se loger que dans les réalités chiffrées, qui seraient le seul horizon de la vérité. Comme si la sincérité était un devoir du citoyen, dans sa déclaration fiscale ou son témoignage, mais pas du gouvernement. Le mensonge sous serment constitue une infraction pénale. Le citoyen qui dépose devant les commissions parlementaires jure en levant la main droite de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Un magistrat doit répondre de parjure. Mais un président, un ministre peut mentir dans l’exercice de ses fonctions sans risquer d’autre peine que celles délivrées par le tribunal médiatique. Or l’opinion est parfois tolérante au mensonge.

La raison d’État justifie-t-elle les écarts avec la vérité ?

« Les Guignols de l’info », en représentant Jacques Chirac en « super-menteur » pendant la campagne de 2002, ne l’ont pas empêché d’être élu président de la République… Est-ce à dire que la notion de mensonge d’État se réduit à celle du secret, longtemps justifiée par la raison d’État ?

Si le mensonge politique n’est pas l’envers parfait de la vérité (l’erreur, par exemple, ne relève pas de ce livre), les notions de sincérité, d’authenticité, d’exactitude, ne concernent pas seulement la morale privée ou la science, mais aussi la vie politique.Super menteur, les Guignols de l’info, 2002.

Suite à une décision du Conseil constitutionnel de 2005, entérinée six mois plus tard par le règlement de l’Assemblée nationale, le débat parlementaire obéit désormais au principe « de clarté et de sincérité ».

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Ces notions apparaissent moins souvent dans la France laïque que dans des nations plus imprégnées de religion, comme aux États-Unis, où l’injonction morale est ancrée dans la culture politique. Le mensonge sous serment de Bill Clinton sur une liaison extraconjugale a conduit le président à la lisière de l’impeachment.

La question des fake news suscite une floraison de publications sur les conditions de leur régulation dans le régime médiatique actuel. La propagande en période de guerre, qui fait déroger les démocraties libérales à leur règle ordinaire, a intéressé les historiens.

Mais un angle mort demeure : la vulnérabilité de notre vie sociale et politique à une large gamme de mensonges d’État qui profite du caractère trop implicite du pacte de publicité sincère au fondement de nos institutions. Faute de penser la vérité en matière politique, on s’est habitué au poison. Aucun ouvrage d’histoire ou de sciences politiques n’a récemment affronté la question du mensonge d’État afin de penser sa nature et de documenter ses effets. Ce livre veut réparer cette lacune pour la période la plus contemporaine : celle de notre Ve République.

Que peut-on et que doit-on savoir en démocratie ?

Philosophes et politistes s’émeuvent non sans raison du relativisme du temps présent, qui voit fleurir l’expression « post-vérité ». La frontière entre « opinion » et « vérité de fait », pour reprendre l’expression de Hannah Arendt, distinction reprise à son compte par Myriam Revault d’Allonnes, pose question : qu’est-ce que la vérité, que peut-on savoir en dehors des sciences de la nature, en matière sociale et politique ?

Quelles sont les conditions pour permettre d’approcher et de partager ce type de vérité ? Nous proposons de distinguer ce qui relève de la véracité en matière sociale de la vérité mathématique, et l’exigence de publicité de la soif de transparence.

Il ne s’agit pas de fonder naïvement une science exacte de la politique comme en rêvaient les socialistes utopiques ou Auguste Comte mais de s’accorder sur un horizon de vérité dans le monde social, en admettant ses limites langagières.

Ce livre n’a pas la naïveté de traquer des mensonges comme autant de fautes morales, équivalentes à des erreurs algébriques – nous ne croyons pas davantage, du reste, que les sciences exactes produisent une vérité « pure », le scientisme s’avérant comme une tentation perpétuelle du savoir scientifique d’affirmer un monopole sur la vérité. De fait, les sciences de la nature ne sont pas les mathématiques. Le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn a montré que les sciences n’échappent pas à l’histoire.


À lire aussi : « Moi, président·e » : Règle n°11, garder le secret


Une forme de relativité de la vérité

Nous admettons une forme de relativité de la vérité pour les sociétés humaines, sans négliger les zones grises : l’habileté de la communication, l’ambiguïté qui tient compte de la maturité historique de l’auditoire (le fameux « je vous ai compris » du général de Gaulle), le secret et le flou parfois utiles à la négociation. L’exigence de publicité ne signifie pas que la vérité, en matière politique, se dévoilerait grâce à une formule magique de circulation parfaite d’une information univoque.

L’informatisation de la société et l’accès facilité des citoyens aux données ne favorisent pas mécaniquement le débat public. On perçoit en outre les limites populistes ou puritaines de la revendication à la « transparence ».

L’exigence de publicité peut se retourner contre le projet moderne, libéral, visant à soumettre la décision politique à l’intelligence collective. Le partage de l’information politique, qui préjuge d’une communauté rationnelle, a laissé place à un soupçon systématique de manipulation par les « élites » qui entendraient se soustraire à la critique, trancher en secret, et dissimuler les véritables décideurs.

Ce soupçon confine au complotisme lorsqu’il aboutit à la conviction que le pouvoir est toujours ailleurs que dans les institutions officielles et que la décision procède de circuits occultes. Par ailleurs, l’exigence libérale de publicité des informations nécessaires à la délibération collective peut se tromper de cible et compromettre une non moins légitime aspiration au secret, notamment dans la sphère privée.

On pense à la traque des informations mues par des considérations commerciales (le trafic par les GAFAM des données aux fins de publicité privée), politiques (l’affaire Benjamin Griveaux, candidat à la mairie de Paris, par exemple) ou sécuritaires (la traque de l’information permettant d’anticiper tout acte de menace interne ou externe, de la délinquance au terrorisme).

Quelle frontière entre la publicité et le secret ?

Quelle est la frontière légitime entre la publicité et le secret en démocratie libérale ? À la fin du XVIIIe siècle déjà, le libéral Benjamin Constant contestait le devoir absolu de véracité proclamé par Kant. Le bien général de la nation, en particulier sa défense contre un danger extérieur, justifie-t-il le mensonge ? Apparaît alors la raison d’État, qui se substitue à la rationalité démocratique.

Si Sibeth Ndiaye a justifié avec aplomb le mensonge politique dans l’intérêt d’une personne, serait-ce le président de la République, faut-il dénier aussi catégoriquement le droit au mensonge au nom de la raison d’État ?

La question a été tranchée une première fois, en démocratie libérale sous la IIIe République. La société française, avec l’affaire Dreyfus, a mis en balance le sort d’un individu avec l’autorité d’un groupe, d’une institution. Finalement, il n’a pas paru souhaitable de préserver l’Armée, en dépit de son rôle essentiel dans la survie nationale, en accablant un innocent. Lorsque la culpabilité de Dreyfus s’est avérée une erreur judiciaire, elle est apparue à l’opinion comme ce qu’elle était : un mensonge d’État…

« Mensonges d’État », publié le 24 mai aux éditions Nouveau Monde.

Si les droits de l’individu demeurent sacrés, en démocratie libérale, ceux de l’humanité tout entière ne peuvent pas davantage être bafoués : ce sont les intérêts de l’humanité, voire de la planète, qu’il faut défendre contre la raison d’État. Cette étrange tension entre le plus petit et l’universel nous conduit à considérer qu’il faut écarter tout mensonge d’État au bénéfice de l’intérêt, fut-il généralisé à l’échelle d’une nation.

Cet ouvrage, sur la base d’une large gamme de situations historiques récentes, qui permet de passer en revue tous les types de mensonges et leurs acteurs, prend nettement position. Au terme de l’exercice, il nous apparaît plus encore qu’à ses débuts, au risque d’être considérés comme naïfs, que le mensonge n’affaiblit pas seulement la démocratie libérale, mais l’État lui-même. Il n’est pas seulement condamnable mais inefficace, et se retourne contre l’institution, sinon contre la personne, qui l’utilise.


« Mensonges d’État. Une autre histoire de la Vᵉ République », avec Yvonnic Denoël, aux éditions Nouveau Monde le 24 mai.

Ce qui pousse les plantes à fleurir

28 dimanche Mai 2023

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auteurs

  1. Stephanie HutinChercheuse, Université Grenoble Alpes (UGA)
  2. Chloe ZubietaDirectrice de recherche CNRS, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Déclaration d’intérêts

Stephanie Hutin travaille pour Université Grenoble Alpes.

Chloe Zubieta a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche.

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Gentiane, dans les montagnes autour de Grenoble. Stephanie Hutin, Author provided

Après un long hiver, les jours s’allongent et les températures commencent à monter. Presque du jour au lendemain, les plantes se réveillent de leur dormance hivernale et explosent en fleur. Mais comment les plantes perçoivent-elles ce changement de saison ?

Deux facteurs principaux, la lumière et la température, interagissent pour provoquer cette transition. Ces facteurs modifient le développement des plantes en modulant leur horloge circadienne – le chronomètre interne qui aide les plantes à anticiper les changements quotidiens et saisonniers.

Une horloge interne chez les plantes comme chez les hommes

Chez l’homme, l’horloge circadienne régule les cycles sommeil-éveil, le métabolisme, les niveaux d’hormones et même la température du corps. C’est pourquoi nous subissons un « décalage horaire » lorsque nous changeons de fuseau horaire – notre horloge biologique de 24 heures doit être réinitialisée.

Chez les plantes, l’horloge circadienne contrôle l’activité enzymatique, le mouvement des feuilles et de nombreux processus de croissance et de développement, dont la reproduction, l’ouverture des fleurs et la production de parfum. L’horloge circadienne aide la plante à savoir quelle est la saison et quand fleurir pour une reproduction réussie.

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L’horloge circadienne est présente dans la plupart des organismes et donne lieu à des oscillations dans l’expression des gènes qui se répètent sur environ 24 heures : les gènes d’un organisme fonctionnent comme un ensemble d’instructions détaillées qui sont utilisées pour fabriquer toutes les protéines d’une cellule pour assurer la croissance et le développement.

Fleurir maintenant ou plus tard ?

La plante doit équilibrer différentes variables – qualité de la lumière, durée du jour, température, niveaux d’eau et de nutriments et disponibilité des pollinisateurs – afin de chronométrer la transition florale, c’est-à-dire le passage de la croissance végétative à la croissance reproductive. Le moment de la floraison est crucial car la fleur, avec ses pétales voyants, ses étamines, ses organes mâles qui produisent le pollen, et ses carpelles, les organes femelles qui produisent les fruits et les graines, est une structure délicate et facilement endommagée.

Pavot bleu de l’Himalaya. François Parcy, Author provided

Si la plante fleurit trop tôt dans la saison, il y a un risque de dommages dus au froid ou d’insuffisance de biomasse pour soutenir de nombreuses fleurs et si elle fleurit trop tard dans la saison, la plante ne peut pas achever son cycle de reproduction. Cependant, comme les températures moyennes en hiver augmentent en raison du réchauffement climatique, les plantes fleurissent de plus en plus tôt dans la saison. L’un des acteurs de cette floraison précoce est le complexe du soir, un puissant répresseur de la croissance et de la floraison.

Le « complexe du soir », grand chef d’orchestre de la floraison

Le « complexe du soir » est un élément essentiel de l’horloge circadienne des plantes. Comme son nom l’indique, il est actif la nuit et contrôle de nombreux gènes qui sont importants pour le fonctionnement de l’horloge circadienne et le développement de la plante. Le complexe du soir est composé de trois protéines différentes, qui interagissent les unes avec les autres, formant un complexe actif qui réprime les gènes de croissance et de floraison.

Les protéines sont produites dans les cellules de la plante au crépuscule, le complexe se forme et se lie à l’ADN dans chaque cellule qui exprime le complexe, ce qui entraîne une croissance « réprimée » des plantes pendant la nuit. Pendant la journée, les protéines du complexe ne sont plus exprimées, et les gènes qui sont inhibés pendant la nuit peuvent s’exprimer pleinement, et provoquer la croissance des plantes. Le soir, les trois protéines du complexe du soir sont à nouveau produites, poursuivant ainsi le cycle d’horloge de 24 heures.

Quand la température monte, le complexe du soir n’est plus capable lier l’ADN et les gènes de croissance et floraison sont exprimés. Il y a un pic d’expression des gènes au crépuscule et dans la nuit. Stephanie Hutin, Author provided

En plus de réguler l’horloge circadienne, le complexe du soir agit également comme un capteur de température, en réglant la fonction de l’horloge et le développement de la plante par rapport à des conditions plus ou moins chaudes.

Le complexe du soir peut détecter de petits changements de température de quelques degrés et modifier la croissance des plantes en conséquence. Le complexe du soir est capable de lier l’ADN à des températures plus basses, autour de 15℃ à 20℃, mais lorsque la température augmente, il n’est plus capable de s’assembler sur l’ADN en tant que complexe actif. Par conséquent, les gènes importants pour la croissance et le développement restent « allumés » même pendant la nuit lorsqu’il fait chaud, ce qui accélère la croissance et provoque une floraison précoce.

Comment ça marche ?

Le complexe du soir inhibe en particulier l’action d’une protéine clé dans la croissance et la floraison. À des températures trop élevées, le complexe du soir n’est pas capable d’inhiber cette protéine. Celle-ci peut donc donner le principal signal qui indique aux plantes de fleurir, en activant l’expression du gène de la floraison, le florigen.

Afin de comprendre comment le complexe du soir remplit ses fonctions dans la régulation circadienne et la détection de la température, nous étudié comment il se forme, comment il reconnaît l’ADN au niveau moléculaire, et comment il agit dessus.

Nous avons découvert le ballet subtil entre les trois protéines du complexes du soir : une seule des trois protéines, la « LUX », se lie directement à l’ADN grâce à une séquence particulière d’acides aminés, qui se replie en une structure tridimensionnelle capable de reconnaître une séquence spécifique d’ADN dans le génome de la plante. Cette protéine réunit les deux autres à proximité de l’ADN.

En utilisant des rayons X au synchrotron de Grenoble, nous avons déterminé la structure tridimensionnelle de la LUX lorsqu’elle est liée à l’ADN. C’est grâce à sa structure tridimensionnelle spécifique que la LUX est capable de trouver et de reconnaître une courte séquence d’ADN bien particulière, constituée de 6 paires de bases, dans un génome contenant 135 000 000 paires de bases.

Comme les pièces d’un puzzle, la LUX et les deux autres protéines s’assemblent autour de cette séquence spécifique et empêchent l’expression des gènes voisins. En fait, les deux protéines recrutées ont des fonctions différentes : l’une diminue la capacité de la LUX à se lier à l’ADN, tandis que l’autre rétablit l’interaction avec l’ADN, le tout en fonction de la température.

Tropaeolum majus. Stephanie Hutin, Author provided

Nous avons modifié la séquence d’acides aminés de la LUX afin de diminuer la liaison du complexe du soir à l’ADN. Cette mutation a permis aux plantes de pousser plus vite et de fleurir plus tôt, même à des températures plus basses. Ceci indique fortement que le complexe du soir peut être rendu plus ou moins actif en modifiant la force de liaison entre la LUX et l’ADN. Le défi consiste maintenant à concevoir une mutation qui augmentera la stabilité de liaison entre la protéine LUX et l’ADN même à des températures élevées, ce qui donnerait un complexe du soir plus actif et des plantes moins sensibles aux températures plus chaudes.

Pourquoi est-il si important de comprendre les mécanismes moléculaires de la détection de la température ?

De nombreuses plantes cultivées présentent une « thermomorphogenèse », ce qui signifie que la température modifie l’architecture, le développement et la croissance des plantes. La floraison précoce est l’une des conséquences les plus frappantes des températures de croissance plus élevées et peut entraîner à terme une diminution de la biomasse, du nombre de graines ou des fruits plus petits.

Lavandula angustifolia. Stephanie Hutin, Author provided

Les plantes ont évolué avec leur environnement au cours des millénaires, optimisant leurs chances de survie grâce à la production réussie de graines viables. En raison du changement climatique, l’équilibre délicat entre une lumière suffisante et une température assez élevée pour une croissance optimale est modifié plus rapidement que les plantes ne peuvent s’adapter, ce qui signifie que nous sommes confrontés à une sécurité alimentaire incertaine.

Comprendre comment les signaux de température sont perçus par l’horloge circadienne des plantes ouvre la possibilité de modifier leur réponse aux changements environnementaux. Si nous pouvons faire en sorte que le complexe du soir lie mieux l’ADN, on pourrait ralentir l’horloge interne des plantes, afin d’ajuster la croissance l’entrée dans la reproduction à des conditions plus chaudes.

Le nucléaire, 40 % ou 20 % de l’approvisionnement énergétique en France ?

27 samedi Mai 2023

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auteur

  1. Patrick CriquiDirecteur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Déclaration d’intérêts

Patrick Criqui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Dans la salle des machines de la centrale nucléaire de Chinon en Indre-et-Loire
En octobre 2022, la ministre de la Transition énergétique Agnes Pannier-Runacher en visite à la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire), ici devant une turbine. GUILLAUME SOUVANT/AFP

S’il est un domaine dans lequel l’appareil statistique et les outils d’observation sont développés depuis longtemps, et apparaissent très robustes, c’est bien celui de l’énergie.

Les chocs énergétiques des années 1970 ont motivé des efforts importants en matière de définition des unités et d’élaboration d’une comptabilité énergétique – à l’image du bilan énergétique national. Ce bilan représente en colonnes les différentes formes d’énergie utilisées et en lignes les opérations de conversion et de consommation de ces énergies, sur un territoire donné et pendant une année. C’est un outil essentiel pour la quantification rigoureuse et fiable des éléments d’un système énergétique.

Et pourtant ! Certains se souviendront de ce moment, lors du débat présidentiel de 2007 entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, lorsque la candidate PS interpella son concurrent en lui posant la question de la part du nucléaire dans la consommation d’énergie en France.

Le candidat UMP répond : « la moitié ». « C’est faux ! » rétorque Ségolène Royal, « ce n’est que 17 % ». Qui a raison, qui a tort ? « Les deux ont tort » affirment alors la plupart des commentateurs. En fait, aux approximations près, les deux pouvaient avoir raison. Il faut tenter de comprendre pourquoi, car l’interprétation des chiffres n’est pas neutre pour l’élaboration, la discussion et la mise en œuvre des stratégies énergétiques. En particulier la question de la composition actuelle et future du « bouquet énergétique » (energy mix, en anglais) est au centre des débats sur les voies de la transition énergétique.

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Ne pas confondre énergies de combustion et électricité

Ces différences de comptabilité s’expliquent par la structure du système énergétique et les conventions à retenir pour convertir les différentes énergies en une unité commune. En particulier, il faut savoir comment rendre compte des flux physiques lorsque les conversions, notamment pour la production d’électricité, entraînent des pertes importantes, au sein même des industries énergétiques.

Pour les énergies de combustion (comme celle du bois pour se chauffer, du gaz pour faire cuire ses aliments ou encore de l’essence pour faire tourner un moteur), pas de problème, ou presque : il suffit de comptabiliser la chaleur théoriquement produite par leur combustion. Et l’on ramène tout à une unité commune : ce fut longtemps la tonne équivalente pétrole (tep), plus récemment on utilise les kWh, mais de plus en plus à l’international les Joules (ou Exajoules pour les grandes quantités).

Les choses se corsent pour l’électricité. Car celle-ci peut être produite directement par conversion de l’énergie mécanique dans des centrales hydrauliques et éoliennes, ou lumineuse pour l’énergie solaire. Mais elle peut aussi être produite dans des centrales thermiques, indirectement à partir de la chaleur initialement issue de la fission nucléaire ou de la combustion (charbon, pétrole, gaz, biomasse).

Pour la catégorie des centrales thermiques à combustion, de nouveau peu de problèmes : il faut prendre en compte l’énergie thermique des combustibles à l’entrée de la centrale. Mais pour l’électricité nucléaire, comment faire alors que, pour l’heure, la chaleur nucléaire n’est pas utilisée à d’autres fins.

Deux solutions sont ici possibles : ou bien on comptabilise l’énergie qui sera disponible sous forme d’électricité en sortie, c’est « l’équivalence à la consommation » ; ou bien on comptabilise l’énergie qu’il aurait fallu introduire dans une centrale thermique pour produire la même quantité d’électricité, c’est « l’équivalence à la production ».

En fonction de la centrale de référence, c’est deux fois et demie à trois fois plus d’énergie.

Une querelle de spécialistes ?

Équivalence à la production ou équivalence à la consommation de l’électricité, cela ressemble fort à une querelle de spécialistes ! Elle est en fait de la plus haute importance pour juger du poids des différentes énergies dans le fameux bouquet énergétique et donc de leur contribution relative à l’approvisionnement national.

Mais revenons au débat Royal-Sarkozy de 2007 : la première se référait au poids de l’électricité d’origine nucléaire dans la consommation des secteurs, dite consommation finale : on est alors en équivalence à la consommation (1 MWh = 0,086 tep) et le poids du nucléaire est assez limité. Le second pensait plutôt au poids du nucléaire dans la totalité de l’énergie entrant dans le système, y compris la chaleur nucléaire : avec l’équivalence à la production (1 MWh = 0,21 à 0,26 tep), ce poids est alors considérable, même si, jusqu’à aujourd’hui, cette chaleur est irrémédiablement perdue. Tout s’explique !

Les conventions de comptabilisation de l’électricité renouvelable et de l’électricité nucléaire peuvent finalement conduire à trois types de systèmes comptables.

Convention 1 : équivalence à la production pour le nucléaire, afin de garder trace de la chaleur perdue, mais équivalence à la consommation pour l’électricité renouvelable, car il n’y a pas dans ce cas de pertes à la production ; c’est en particulier la règle adoptée dans les statistiques internationales de l’Agence internationale de l’énergie avec, pour le nucléaire, l’hypothèse d’un rendement de 33 % entre la chaleur en entrée et l’électricité en sortie (1 MWh = 0,26 tep).

Convention 2 : une règle identique pour le nucléaire et pour l’électricité primaire renouvelable, en équivalence à la production avec un rendement de référence hypothétique de 40 % (1 MWh = 0,21 tep) ; c’est l’option retenue dans le BP Statistical Review of World Energy, qui constitue une des sources de référence, pour les statistiques énergétiques internationales, publié chaque année.

Convention 3 : une règle identique pour le nucléaire et l’électricité primaire renouvelable, mais en équivalence à la consommation (1 MWh = 0,086 tep) ; cette règle ne correspond à aucune institution, mais elle permettrait au moins, à partir du système AIE, d’éviter un déséquilibre flagrant dans le traitement de l’électricité nucléaire et celle issue des renouvelables : on éviterait ainsi la surpondération de l’énergie nucléaire, par le facteur 3 évoqué plus haut.

Quelles conséquences pour l’observation des systèmes énergétiques ?

L’application de ces conventions comptables à l’analyse des systèmes énergétiques pour les cas de la France, de l’Allemagne, de l’Europe et du monde donne des résultats très contrastés avec des différences importantes selon le système comptable adopté.

Ensemble de graphiques sur la consommation énergétique en France et en Europe
Patrick Criqui à partir des données Enerdata (2023), CC BY-NC-ND

C’est évidemment le cas pour la France, en situation exceptionnelle du fait de l’importance de sa production nucléaire. Et l’on retrouve les évaluations des candidats à la présidentielle de 2007 : 42 % de nucléaire avec la Convention 1 et seulement 19 % avec la Convention 3 !

Les deux avaient donc presque raison ; il suffit de bien préciser les conventions.

Mais l’examen de l’approvisionnement en énergie primaire est porteur d’autres enseignements. On notera ainsi :

  • la très faible part de l’énergie nucléaire, quel que soit le système comptable, à l’échelle mondiale (entre 1,7 et 5 %), ainsi qu’en Europe (entre 5 et 14 %) ;
  • mais également la très faible part des énergies renouvelables « électriques », même en Allemagne (selon la convention retenue, entre 5 et 12 %, contre 4-10 % en France grâce à l’hydraulique, 6-14 % en Europe et 4-10 % dans le monde) ;
  • la contribution en revanche assez significative et stable de la biomasse, autour de 10 % dans tous les cas étudiés.

Les regroupements des différentes sources identifiant d’abord les renouvelables, puis les énergies décarbonées, catégorie essentielle du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sont également très instructifs.

Si l’on retient la convention 2 (système BP), l’Europe apparaît mobiliser plus de renouvelables que la moyenne mondiale (25 % contre 20 %) et si l’on ajoute le nucléaire pour avoir le total des énergies décarbonées, l’écart se creuse (36 % contre 23 %). De même entre la France et l’Allemagne, pour les renouvelables, la France vient derrière (18 % contre 22 %), mais loin devant pour le total des énergies décarbonées (53 % contre 27 %).

Les avantages de la « convention BP »

Difficile à l’issue de cette exploration de la comptabilité énergétique d’identifier quel serait le meilleur système : à l’évidence aucun ne s’impose de manière indiscutable.

Une solution serait d’ignorer le problème en se plaçant du point de vue de l’énergie finale consommée. C’est pertinent quand on s’intéresse à la structure des consommations d’énergie pour le bâtiment, les transports, l’industrie. Mais si l’on se préoccupe, comme c’est particulièrement le cas depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des questions de dépendance et de stratégie énergétique, alors il faut bien regarder l’énergie primaire, celle qui rentre dans le système énergétique.

Et, dans ce cas, il faut être informé des pièges posés par les conventions des systèmes de comptabilité et du fait qu’ils peuvent parfois entraîner des écarts très importants pour l’évaluation de la contribution des différentes énergies.

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De ce point de vue, la convention utilisée par BP, pour imparfaite qu’elle soit, évite, en adoptant une convention identique pour le nucléaire et l’électricité renouvelable, le traitement déséquilibré qui surpondère l’énergie nucléaire dans le système de l’AIE. Et, par ailleurs, l’équivalence commune retenue est simple.

Cette convention rend compte également des caractéristiques supérieures de l’électricité par rapport aux autres vecteurs énergétiques, en termes de rendement d’usage : par exemple, le rendement d’un moteur automobile électrique est de 90 %, contre 40 % pour un moteur thermique.

S’il fallait choisir du point de vue d’un analyste des stratégies énergétiques – et non de celui du physicien ou du pur comptable de l’énergie – la Convention 2, ou « convention BP », apparaîtrait alors probablement comme la moins mauvaise.

Retour en Ukraine : continuer à documenter la guerre pour en appréhender la réalité

26 vendredi Mai 2023

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  1. Romain HuëtMaitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2

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Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Faire son sac, prendre des piles, des câbles et des cartes SD pour l’enregistreur numérique. Demander son accréditation médias auprès du ministère ukrainien de la Défense avant de partir, de revenir sur le terrain pour la troisième fois depuis le début de l’invasion russe, avec ce désir de documenter la guerre.

Dans l’avion pour la Pologne, juste devant moi, un jeune Ukrainien revient aussi. La teneur existentielle de son retour est sans commun rapport avec mes préoccupations. J’imagine qu’il se réinstalle après un long exil, ou alors peut-être rentre-t-il simplement pour quelques jours, pour revoir les siens, ceux qui sont restés.

À l’approche de l’atterrissage, il tient son téléphone en main. Il fait défiler ses photos : les fumées d’une bonne grosse bombe, une autre explosion, un chat (il zoome), un bébé, encore le même bébé, toujours le bébé mais cette fois-ci dans les bras de sa maman, une voiture de sport en cours de réparation dans un garage (il zoome sur le capot), un immeuble détruit, une femme nue (il ne s’attarde pas sur la photo), des amis au restaurant tout sourire devant l’objectif.

Revenir en Ukraine, une ethnographie des corps en résistance

Chroniquer la guerre d’un point de vue ethnographique n’est pas une affaire si courante. J’ai tenté de le faire au cours de plusieurs séjours en Syrie (2012-2018), puis en Ukraine, afin de mieux comprendre comment les conflits s’inscrivent dans le quotidien de chacun.

J’ai toujours pensé que ce travail a du sens. Il n’est pas de commenter les combats en cours, les avancées tactiques ou les engins militaires déployés. Tout cela a assurément son importance. Mais il est une chose contre laquelle je lutte en tant que chercheur, c’est que la guerre ne soit plus vue comme une affaire de gens ordinaires ; qu’elle devienne abstraite, qu’elle ne soit commentée qu’en termes de comptabilisation des morts, des blessés, des territoires perdus ou conquis.

Un matin de février 2022, une foule de personnages ordinaires, que rien ne disposait à vivre une telle expérience, se retrouvent avalés par la guerre. Ils assurent les premiers secours, ils deviennent bénévoles humanitaires, chauffeurs, combattants… La violence du monde les a rattrapés.

Depuis ce jour, pour la plupart, ils participent à l’effort de guerre. Ils ont été enthousiastes, patriotes, courageux, gagnés par la lassitude et la fatigue, terrifiés, confiants ; autant d’humeurs propres à toute expérience vivante.

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Au cours des premières semaines, ils n’ont guère eu de temps de réfléchir aux attitudes à adopter. Ils se sont laissés porter par les événements et la mobilisation massive de leurs amis proches ou lointains. Ils ont vécu de longs mois dans la peur et la suractivité. Leur vie s’est soudainement animée. En quelques jours seulement, ils se sont trouvés mêlés à toute une série d’aventures effrayantes et palpitantes.

Des vies transformées

Vitali, photographié en mai 2022, un an environ avant sa mort au combat. Cliquer pour zoomer. Chloé Sharrock/MYOP

Il faut bien raconter tout ce qu’il s’est passé ces derniers mois et comment ceux qui la vivent ont été changés par le contact quotidien avec la violence. Se mettre à la hauteur d’existences véritablement humaines, rendre compte de ces faits par une observation participante. Participante, parce qu’il s’agit de vivre quelques semaines avec ces activistes, revoir ceux que j’ai laissés en août dernier, date de mon dernier voyage. Ils habitent Kiev, Kharkiv, Kramatorsk.

Depuis, Vitali, un volontaire de Kharkiv devenu ensuite combattant, que j’avais rencontré il y a un an, est mort à Bakhmout. Dania, un de ses amis, a lui aussi été tué.

Les autres sont encore en vie. À Kiev ou à Kharkiv, ils ont repris le cours d’une vie à peu près normale. Les bombardements se font plus rares, les magasins rouvrent, les habitants reviennent, les volontaires abandonnent leurs engagements et retournent à leurs affaires personnelles. Le retour à la vie normale s’installe presque aussi rapidement que l’état de guerre.

Sur la place de l’Indépendance, plus connue chez nous sous le nom de Maïdan, Kiev, 16 mai 2022. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler).

C’est tout une affaire de laisser la guerre derrière soi quand on a été absorbé par elle. Mais un jour, l’ennemi s’éloigne, la mobilisation perd de son évidence, les nécessités quotidiennes pressent à penser à soi, à retourner au travail, à recommencer à gagner sa vie après l’avoir sauvée, à se projeter dans un à-venir.

Recommencer une vie « normale »

Après des mois d’une vie agitée et incertaine, presque sans repères, ils retrouvent une vie familière, ordonnée et plus prévisible. Il est arrivé quelque chose et, dorénavant, il n’arrivera plus grand-chose de remarquable. À la fin de mon séjour, je vais retourner à Kharkiv revoir ces gens qui ont lâché la guerre alors qu’elle se poursuit à une centaine de kilomètres de là. C’est là mon premier questionnement : comment retourne-t-on dans un semblant de « vie normale » ?

Sortir de la violence a des coûts subjectifs immenses : perdre toutes ces intensités, ces solidarités fusionnelles, ce sentiment d’une existence utile et entièrement absorbée dans une pure présence au présent.

C’est aussi vivre avec les souvenirs, les images effroyables de l’écroulement du monde.

Un pont routier à Irpin, détruit pendant les combats en 2022, est en cours de reconstruction. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler)

J’imagine que les troubles mentaux ou les manifestations dépressives augmentent. J’entrevois toutes les difficultés à se réinscrire dans un monde organisé et, pour beaucoup, à conduire une vie bien plus précaire qu’autrefois, ne serait-ce que parce que de nombreux logements ont été détruits et de beaucoup d’emplois ont disparu.

L’inverse est sans doute aussi vrai : peut-être retrouvent-ils la joie de l’insouciance et, fiers d’avoir d’avoir participé à mettre en échec les attaques russes, goûtent avec satisfaction aux plaisirs d’une vie simple et préservée des dangers.

Mais la guerre n’a pas disparu. Elle est toujours là, seulement plus lointaine. Ils se soucient moins de leur vie personnelle que de celle de leurs proches partis au plus près des combats et toujours en proie aux tourments de la violence.

Dans le Donbass, ceux qui continuent

D’autres volontaires continuent leur lutte. Je viens tout juste de rejoindre la ville de Kramatorsk, dans le Donbass, pour retrouver Mark, l’un de ces volontaires actifs depuis le début.

Mark pendant une distribution de produits de première nécessité dans la région de Kramatorsk. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler)

Avec d’autres, il continue de livrer des colis dans les villes sinistrées non loin de Bakhmout et Tchassiv Yar où les combats sont d’une intensité effrayante. Jusqu’à récemment, il s’est aussi occupé d’évacuer les civils des territoires menacés d’être conquis par les Russes.

Kramatorsk, à l’ouest sur cette carte, se trouve à 36 km à vol d’oiseau de Bakhmout (Artemivsk) (au sud). Cliquer pour zoomer. Capture d’écran Google Maps

Ces volontaires aussi sont transformés.

Ils sont entrés dans des routines, dans des organisations davantage rationalisées et non plus seulement façonnées depuis les élans du cœur. Ils vivent de la guerre et pour elle. Ils se sont habitués à vivre une vie sous tensions, étroite et contrainte par les dangers et les nécessaires sécurisations militaires. Probablement, ils ont diminué la réalité de la violence.

À mesure qu’ils en font l’expérience, l’apprécient-ils différemment ? Ont-ils déplacé les seuils de l’intolérable ? Éprouvent-ils les mêmes chocs des premières fois ? Je ne sais pas s’il existe des êtres qui s’habituent aux visages terrorisés, aux corps blessés, aux vies vécues dans les décombres, dans les caves de fortune, dans les immeubles écroulés, à vivre aux côtés de vies en ruine.

Tombes fleures peintes aux couleurs du drapeau ukrainien, chacune étant surmontée d’un grand drapeau ukrainien
Tombes de soldats tués au combat près d’Irpin, ville située à proximité de Kiev. Attaquée par les Russes en février 2022, elle a été le théâtre de violents affrontements avant le retrait des forces russes fin mars de cette même année. R. Huët, Fourni par l’auteur

En Syrie, à mesure que la guerre traînait en longueur, j’ai pu constater comment la profonde affliction pouvait rendre les visages gris, fatigués et sans joie. Plus on s’enfonce dans la violence, plus on désapprend à vivre. Le monde ne devient plus rien pour soi. Les passions les plus tristes sont alors susceptibles d’envahir les esprits endurcis. Qu’en est-il pour ces Ukrainiens au plus proche des combats ? Comment le rapport à la vie et aux ennemis se transforme-t-il ?

Près d’Irpin, cimetière de véhicules pour la plupart criblés de balles et détruits pendant les combats, devenu lieu de commémoration. (Fourni par l’auteur; cliquer pour faire défiler.)

Regarder bien en face la chair du monde

J’ai aussi mes habitudes. Il me faut lutter contre ce regard qui banalise ce qu’il voit. C’est un vrai combat intérieur que de se laisser encore surprendre par la réalité, d’être saisi par elle et de ne pas ramener l’inconnu au connu. On distingue les bons observateurs à leur capacité d’attention. Il ne s’agit pas tant de recueillir de bons matériaux que de remarquer des faits apparemment minuscules pour en tirer des enseignements riches sur l’ordinaire de la guerre, ses forces, ses ordres, ses passions et ses déboires.

Une recherche ethnographique cherche à comprendre dans la durée l’effet de la guerre sur les vies ordinaires. Elle cherche aussi à transformer en témoins ceux qui en sont éloignés géographiquement, à travers le simple acte de regarder. Parce que « regarder » engage, disait Lanzman à propos de son film Shoah. Le rôle de l’ethnographie est aussi de regarder bien en face la chair du monde pour la faire voir.

Ethnographier la guerre, c’est aussi participer à l’effort de narrer ces existences alors que tout s’effondre autour d’elles. Il n’est pas impossible, qu’un jour ces gens ordinaires soient tentés d’oublier pour recommencer à vivre. Il leur arrivera aussi d’être privés d’interlocuteurs qui voudront bien accueillir leurs histoires. C’est le moment cruel de la solitude, de l’esseulement moral après avoir été un sujet héroïque de l’histoire.

Déjà, depuis quelques mois, l’attention publique décline. Le lecteur aussi s’est habitué à la guerre. Les émotions des premières semaines de février 2022 sont vite retombées, les marches de soutien pour le peuple ukrainien se sont vidées, l’indignation devant ces vies détruites tarit. Que l’on soit à quelques milliers de kilomètres ou au centre de la guerre, il se dégage une attitude commune : minorer la réalité de la violence pour s’éviter un terrible vacillement psychique.

Le dilemme est toujours aussi douloureux ; enjamber le réel pour s’en protéger a pour conséquence une complicité avec les horreurs du présent. Une autre attitude, qui apparaît à mes yeux comme absolument souhaitable, est d’être fidèle aux événements et de prendre position vis-à-vis d’eux. Cela requiert « le sens du réel et un certain flair moral », écrivait Jean-Jacques Rosat dans sa préface aux chroniques à ma guise de George Orwell.

« Diviser c’est détruire » : les marbres du Parthénon et l’intégrité des monuments

25 jeudi Mai 2023

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  1. Catharine TitiChercheuse (CNRS), Université Paris 2 Panthéon-Assas

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La galerie du Parthénon au musée de l’Acropole, à Athènes. Flickr / Jean-Pierre Dalbéra, CC BY-SA

 

C’est peut-être l’un des arguments les plus étonnants avancés par le British Museum pour refuser le rapatriement des marbres du Parthénon : les marbres ne doivent pas être rendus à Athènes parce qu’il est préférable de les « diviser » entre deux musées. Selon cet argument, la séparation de cet ensemble de marbres sculptés présente un « avantage appréciable profitant au public » : le musée de l’Acropole nous permet de contempler ces œuvres dans le contexte de l’histoire athénienne et le British Museum dans le contexte de l’histoire mondiale.

Dans ses récents propos au sujet des négociations avec le gouvernement grec, le British Museum persiste dans cette idée de partage des marbres entre Londres et Athènes. Mais l’argument est-il valable ou relève-t-il d’un schisme culturel irréconciliable et faussement vendu comme vertueux ?

Si mon nouveau livre, The Parthenon Marbles and International Law, se concentre sur les aspects juridiques de cette affaire plutôt que sur les arguments éthiques ou esthétiques, il est difficile d’ignorer de tels propos tenus avec conviction. Effectivement, s’il est aussi important – et dans l’intérêt public – de diviser les marbres du Parthénon entre deux musées, ne devrait-on pas aussi chercher à diviser d’autres trésors ?

Des musées à vocation universelle

Nous sommes tous amateurs de grands musées dits à « vocation universelle », tels le British Museum et le Louvre. Qui n’apprécie pas une visite dans l’institution parisienne où l’on peut passer de la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo à une fresque de Botticelli, et de l’art funéraire égyptien aux trésors du romantisme français, le tout dans le même après-midi ? La question n’est pas là.

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Certes, les grands musées ne sont pas à l’abri de scandales et les trésors qu’ils abritent n’y sont pas toujours arrivés de manière irréprochable. Ainsi, l’année dernière, la police new-yorkaise a obligé le Metropolitan Museum of Art à rapatrier des antiquités pillées faisant partie de ses collections et, en France, l’ancien président-directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, a été mis en examen pour trafic d’antiquités. Personne n’est parfait.

Cependant, la plupart des objets des collections muséales, bien que souvent éloignés de leur contexte d’origine, ne sont pas divisés comme le sont les marbres du Parthénon. Le British Museum soutient, quant à lui, que cette division n’est pas un cas unique, en rappelant que des objets culturels tels que des retables du Moyen Âge et de la Renaissance ont été divisés et distribués dans les musées du monde entier.

Le cas du Dyptique de Melun

Nous pouvons en effet évoquer des panneaux de retables fragmentés et dispersés dans des collections diverses : le retable Colonna de Raphaël, qui fut réalisé pour un couvent à Pérouse, puis démonté et vendu par les religieuses pour faire face à des difficultés financières ; la Maestà de Duccio à Sienne, retable scié et démantelé en 1771 par ses gardiens ; ou encore le Diptyque de Melun, œuvre majestueuse à la beauté et aux couleurs éclatantes peinte par Jean Fouquet. Ce diptyque, célèbre pour sa Vierge allaitante représentée sous les traits d’Agnès Sorel, maîtresse du roi morte peu de temps avant la réalisation du tableau, est un autre retable qui fut démantelé pour être vendu. Cela étant, quand les panneaux de tels retables sont réunis lors d’une exposition, leur réunification temporaire est souvent l’occasion de créer une sensation.

Jean Fouquet, Madone entourée de séraphins et de chérubins, vers 1452–1458. Flickr

Fragmentation d’un monument

Toutefois, il faut souligner que la division des panneaux des retables a eu lieu dans des circonstances très différentes de celles de l’acquisition des marbres du Parthénon. Est-il vraiment raisonnable d’assimiler la fragmentation de retables, objets mobiles, au démantèlement du Parthénon, un bâtiment que l’on dépouille d’une partie de sa structure ?

La division des marbres du Parthénon entre deux musées ne peut être comparée qu’à la fragmentation d’un monument. Peut-on imaginer la chapelle Sixtine scindée en deux ? Et la célèbre fresque de Michel-Ange La Création d’Adam divisée, la main tendue de Dieu séparée de celle d’Adam à qui elle donne vie ? C’est pourtant ce qu’a subi le Parthénon : les récits composés par sa frise, ses métopes et ses frontons ont été coupés, interrompus, et les statues mêmes ont été morcelées.

Prenons l’exemple du Poséidon du fronton ouest : la partie avant et médiane de son torse est à Athènes, mais la partie arrière et supérieure de son torse, y compris ses épaules et ses clavicules, est à Londres. Peut-on dire que cette division constitue un « avantage appréciable profitant au public » parce qu’une partie du corps de la statue peut être contemplée dans le contexte de l’histoire athénienne et qu’une autre partie de son corps peut être considérée dans le contexte de l’histoire mondiale ?

Quatremère de Quincy le disait déjà à la fin du XVIIIe siècle quand il dénonçait la spoliation de l’art italien : « Diviser c’est détruire. »

Rappelons que des lois adoptées par les États, dont le Royaume-Uni, protègent l’intégrité des monuments et autres bâtiments publics. Cette même intégrité, qui permet une appréciation d’ensemble d’un monument, est une condition pour l’inscription d’un bien sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco en vertu de la Convention du patrimoine mondial. De plus, ce principe d’intégrité a été reconnu par la Cour internationale de justice dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar en 1962. Dans cette affaire, qui a opposé le Cambodge et la Thaïlande, la Cour a décidé que la Thaïlande avait l’obligation de restituer au Cambodge les objets et les parties du temple qu’elle lui avait retirés. La Cour a ainsi exprimé le principe selon lequel l’État ne perd pas son droit de propriété sur les monuments et bâtiments publics ni sur les parties qui en auraient été enlevées.

Il est vrai que les marbres ne peuvent pour le moment être rendus au Parthénon lui-même. En effet, dans l’intérêt de leur conservation, si le British Museum rapatriait les marbres demain, ceux-ci seraient transportés au musée de l’Acropole pour rejoindre leurs parties complémentaires qui s’y trouvent. Cela permettrait une appréciation d’ensemble de ces œuvres de la façon la plus complète possible.

Diviser les marbres entre deux musées, en garder la moitié des sculptures au British Museum séparées de leur histoire et de leurs fragments complémentaires, ou bien placer l’ensemble à Athènes dans le musée de l’Acropole qui offre une vue directe sur le Parthénon ? Comme l’a dit le célèbre historien et archéologue britannique Andrew Wallace-Hadrill dans une lettre au Times de Londres, la question du choix ne se pose même pas.

Pakistan : le spectre de l’embrasement

24 mercredi Mai 2023

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  1. Laurent GayerDirecteur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po

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Militaire de dos face à une foule en colère
Des militants du parti de l’ancien premier ministre pakistanais Imran Khan affrontent la police à Islamabad, le 10 mai 2023. Farooq Naeem/AFP

Au Pakistan, l’arrestation, le 9 mai dernier, de l’ancien premier ministre Imran Khan (août 2018-avril 2022), pour des faits supposés de corruption, a mis le feu aux poudres.

Dans plusieurs villes, de violents affrontements ont mis aux prises les sympathisants de son parti, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la justice, PTI, de tendance islamo-nationaliste) et les forces de sécurité.

Le 12 mai, l’homme politique a été remis en liberté à la suite d’une décision de la Cour suprême, mais ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés, puisqu’il doit encore comparaître pour les faits qui lui sont reprochés.

Cet épisode de contestation, inédit par son intensité, s’inscrit dans le long bras de fer opposant le PTI à la coalition réunie autour de l’actuel premier ministre Shahbaz Sharif, alors que l’armée, dans ce pays de 230 millions d’habitants, continue de jouer un rôle de premier plan.

Une déflagration inattendue

L’ampleur et la virulence des mobilisations semblent avoir pris de court le gouvernement et l’armée, qui pour la première fois a directement été prise pour cible par les protestataires. Cet effet de surprise tient notamment à une perception erronée de la base sociale d’Imran Khan : selon un cliché largement répandu chez leurs opposants et dans les cercles gouvernementaux, les soutiens du PTI seraient essentiellement des « activistes du clavier » cantonnant leur engagement aux réseaux sociaux.

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Ces clichés ont été sévèrement démentis par la composition des foules émeutières des derniers jours, au sein desquelles on retrouvait aussi bien des femmes très motivées que des hommes d’affaires et des jeunes de milieu populaire. À cet égard, il faut souligner que 60 % de la population du Pakistan a entre 18 et 35 ans. Cette génération a grandi dans un monde où la menace djihadiste a perdu son caractère existentiel et où le rôle central de l’armée ne va plus de soi.

La capacité d’Imran Khan et de son parti à fédérer les colères et à donner un sens et une direction à des sections très différentes de la population a été minimisée par les autorités, tant civiles que militaires.

Ce n’est pourtant pas la première fois que le PTI démontre ses capacités de mobilisation : en 2014, le parti avait organisé une « marche de la liberté » qui, quatre mois durant, avait drainé des milliers de personnes de Lahore à Islamabad.

Une société traversée d’une multitude de clivages sociaux, ethniques et religieux

Les conflits sociaux qui agitent le Pakistan se mesurent aussi à travers les mouvements antimilitaristes apparus ces dernières années dans les marches tribales du pays, notamment au Baloutchistan, et dans les régions pachtounes, où le Pashtun Tahafuz Movement (Mouvement de protection des Pachtounes – PTM) est parvenu à mobiliser massivement pour dénoncer les exactions commises par les forces de sécurité dans le cadre des opérations antiterroristes, et ce malgré une féroce répression.

Au cours des dernières années, les groupes nationalistes sindhis, plutôt marqués à gauche, ont également refait parler d’eux, notamment en s’attaquant aux intérêts chinois. Mais c’est surtout au Baloutchistan, à la frontière de l’Iran, que le nationalisme ethnique pose le plus grand défi à l’État et à une conception unitaire de la nation qui se suffirait de l’islam comme référent. C’est d’ailleurs dans cette région, interdite aux observateurs étrangers, que l’armée pakistanaise et les milices pro-gouvernementales font preuve de la violence la plus désinhibée.

À cela s’ajoutent des clivages religieux, opposant sunnites et chiites (autour de 20 % de la population musulmane, qui constitue elle-même 96 % de la population) mais aussi différents courants religieux sunnites, notamment les Barelwis, adeptes d’un islam dévotionnel aux influences soufies, et les Deobandis, appartenant à un courant réformé qui s’est détaché de l’islam populaire par son rigorisme et son scripturalisme.

Enfin, la société pakistanaise est profondément inégalitaire. Au Pendjab et à Karachi – deux régions historiquement ancrées dans le monde indien –, les hiérarchies de caste restent très prégnantes. En pays pachtoune ou au Baloutchistan, la société reste dominée par des notables ou des chefs tribaux tandis que dans le Sindh rural le pouvoir économique et politique est concentré entre les mains des grands propriétaires terriens. Dans ce contexte de hiérarchies sociales superposées, le thème du « peuple contre l’establishment », dont le PTI s’est emparé, est fortement mobilisateur.

La grande force du PTI est d’être parvenu à surmonter ces clivages structurels en articulant un discours antisystème transcendant les divisions de caste, de classe et d’ethnie, tout en promouvant un islamo-nationalisme qui, s’il apparaît excluant pour les minorités religieuses (hindous, chrétiens, ahmadis), permet de rassembler l’ensemble de la population musulmane.

Tout en rassemblant largement, Imran Khan a cependant fortement polarisé la société pakistanaise. Il a divisé l’armée, dont une partie des officiers semblent le soutenir, mais aussi les familles, où le PTI et son chef suscitent des opinions fortement contrastées. Ce sont aussi ces divisions qui expliquent la profondeur de la crise actuelle, qui traverse les institutions plutôt qu’elle ne les oppose frontalement.

Une coalition au pouvoir désunie

Il n’y a qu’une unité de façade dans la coalition du Pakistan Democratic Movement (PDM) actuellement au pouvoir.

Les dynasties politiques qui se trouvent à la tête du Pakistan Peoples Party (les Bhutto-Zardari) et de la Pakistan Muslim League Nawaz (les Sharif) sont des rivaux historiques, qui n’ont cessé de se disputer le pouvoir depuis la fin du régime militaire de Zia-ul-Haq en 1988.

Ils partagent cependant un objectif : consolider les institutions démocratiques pour renforcer leur autonomie face au pouvoir militaire, même s’il leur arrive fréquemment de s’incliner devant les coups de force de l’armée, par faiblesse ou par opportunisme. L’objectif du PTI et de son chef est sensiblement différent : il s’agit plutôt pour eux de soumettre l’ensemble des institutions, y compris l’armée, en les contraignant à faire allégeance au leader de la nation.

Imran Khan ne se bat ni pour la démocratie, ni contre l’institution militaire. Il est dans un rapport de force très personnalisé avec le chef de l’armée, qui par certains côtés rappelle la tentative de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970, de monopoliser le pouvoir autour de sa personne.

Le poids de l’armée

L’armée conserve un rôle central dans tous les domaines d’activité. On trouve des généraux à la retraite à la tête de nombreuses institutions, du National Accountability Bureau (l’agence anti-corruption, à l’origine de l’arrestation d’Imran Khan, le 9 mai) jusqu’aux instances de direction des universités. À travers ses fondations, l’armée contrôle des pans entiers de l’économie. Elle est aussi l’un des premiers propriétaires fonciers du pays, tant en milieu rural (où les officiers méritants se voient attribuer des terres en fin de carrière) que dans les grandes villes (où elle gère de nombreux projets immobiliers).

Au plan politique, depuis la fin des années 2000, les militaires veillent à ne pas se mettre en première ligne et préfèrent contrôler les affaires en coulisse. C’est ce qui les a conduits à soutenir l’accession au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections de 2018. Il s’agissait alors pour l’armée de contenir le PPP et la PMLN, qui représentaient pour elle une menace, avec leur volonté de renforcer l’autonomie du pouvoir civil et des institutions démocratiques aux dépens du pouvoir militaire.

Au cours des années suivantes s’est mis en place un régime hybride, présentant une façade démocratique mais en réalité contrôlé par les militaires. Imran Khan n’a cependant pas tardé à vouloir s’autonomiser de ses anciens patrons, notamment en tentant de placer à la tête de l’armée et de ses puissants services de renseignement des généraux réputés proches de lui.

C’est ce qui a provoqué sa chute, à l’issue d’une motion de censure, en avril 2022 – une destitution dans laquelle la direction du PTI a vu un complot ourdi par l’armée pakistanaise et les États-Unis. Le conflit est encore monté d’un cran suite à la récente arrestation de Khan, dont il a publiquement tenu responsable le chef de l’armée, le général Asim Munir.

Pour le leader du PTI, il s’agit pourtant moins de lancer un processus de démilitarisation du pays que de régler ses comptes et de remporter un bras de fer avec le seul homme susceptible de lui tenir tête. Même s’il engage l’avenir des relations civils-militaires, il s’agit plus là d’un conflit de personnes que d’institutions.

Quels scénarios peut-on envisager ?

Le premier scénario est celui d’une montée des tensions entre le PTI et l’armée. Jouant la carte de la polarisation et de l’agitation, Imran Khan pourrait appeler ses partisans à la résistance, en pariant sur le soutien d’une partie de l’armée voire sur une mutinerie qui pousserait le général Munir vers la sortie. Ce scénario est très improbable. Si l’armée semble plus divisée que jamais, elle reste pour l’instant unie derrière son chef.

Un second scénario est celui d’un retour au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections actuellement programmées pour octobre 2023. La tenue du scrutin à la date prévue semble cependant compromise par la crise actuelle et l’on voit mal les chefs de l’armée et les opposants du PTI se résigner au retour de Khan, dont l’un des premiers objectifs sera de punir et d’emprisonner ses adversaires.

Le dernier scénario, le plus probable à court terme, est celui d’une consolidation autoritaire à l’initiative et au bénéfice de l’armée. Celle-ci semble déterminée à instrumentaliser les mobilisations violentes des dernières semaines pour mettre au pas le PTI. Des milliers de sympathisants du parti ont été interpellés ces derniers jours et pourraient être jugés devant des tribunaux militaires. Une grande partie des dirigeants du parti sont également sous les barreaux. Cette stratégie répressive a le soutien du gouvernement de Shahbaz Sharif qui, non sans cynisme, instrumentalise la colère de l’armée pour régler ses propres comptes avec le PTI. Certains membres de la coalition au pouvoir souhaiteraient même profiter des événements des derniers jours pour interdire leur principal rival, afin de l’empêcher de se présenter aux prochaines élections.

En tout état de cause, la démocratie risque de ne pas sortir grandie de cette épreuve…

Le commerce équitable ne connaît pas la crise

23 mardi Mai 2023

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  1. Benjamin HuybrechtsFull professor, IÉSEG School of Management

Déclaration d’intérêts

Benjamin Huybrechts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Malgré les crises sanitaires et économiques, les produits de la filière gardent le vent en poupe. CC BY

Ce 11 mai 2023, à l’occasion de la Quinzaine du commerce équitable, le principal label de la filière, Fairtrade–Max Havelaar France, a dévoilé ses chiffres de vente pour l’année 2022. Malgré l’inflation et les tensions sur les marchés internationaux qui ont provoqué un recul en volume de vente (5 %), le chiffre d’affaires des produits labellisés « Fairtrade » a progressé de 7 % par rapport à 2021, atteignant 1,3 milliard d’euros et plus de 2 milliards d’euros si on prend en compte l’ensemble de la filière équitable.

Hormis les bananes, la progression s’applique aux principales catégories de produits : + 19 %, par exemple pour le chocolat, ou + 11 % pour le thé. Observable aussi bien à l’échelle de la France que du monde, ces hausses ont permis de maintenir le niveau de soutien aux producteurs tant dans les pays du « Sud » qu’au niveau local et d’amortir l’impact des crises sanitaire et financière.

Le commerce équitable fait ainsi, dans une certaine mesure, figure d’exception. La croissance de la consommation durable, par exemple l’agriculture biologique, a en effet été freinée après la crise du Covid. Le commerce équitable bénéficie, lui, d’une forte croissance presque ininterrompue depuis son émergence dans les années 1960-1970. Son déploiement à travers la grande distribution à la fin des années 1990 et la multiplication plus récente des systèmes de certification l’ont catalysée.

Avec une large gamme de produits distribués dans 143 pays et permettant le paiement d’un prix supérieur au prix du marché à plus de 2 millions de producteurs dans 70 pays, le développement du commerce équitable a tout d’une « success story ». Il fait pourtant également l’objet de critiques : en s’ouvrant aux entreprises « conventionnelles » et en s’intégrant dans les circuits « mainstream », il en aurait finalement repris les principales caractéristiques pour maximiser les volumes de vente, se détournant de ses ambitions d’origine.

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La réalité semble plus nuancée. Dans un article récent, publié avec des collègues britanniques dans le Journal of Management Studies, nous avons examiné les principaux changements dans les critères de certification de Fairtrade International (représenté en France par Max Havelaar France) et les réactions suscitées alors parmi les acteurs pionniers du commerce équitable, comme Artisans du Monde ou Ethiquable en France. Nous montrons comment le mouvement a su dépasser, sans pour autant éliminer, les divergences de points de vue entre les acteurs qui le composent de façon à allier croissance des ventes et maintien d’une certaine légitimité morale.

Le commerce équitable, réformiste ou radical ?

Parmi les évolutions d’importance, décision a été prise en 2005 d’élargir la certification aux grandes plantations dans lesquelles les producteurs travaillent comme ouvriers salariés. Initialement, elle était réservée aux coopératives dont les producteurs sont propriétaires. Plus récemment, en 2014, une certification spécifique, le « Fairtrade Sourcing Program » (FSP), a été introduite pour des produits dont uniquement certains ingrédients (par exemple le cacao ou le sucre) ont été produits selon les standards du commerce équitable.

Chaque changement a suscité des critiques parmi la base du mouvement et en particulier au sein des organisations pionnières. Au lancement du programme FSP elles ont ainsi dénoncé une dilution des idéaux d’origine, un risque de confusion pour le consommateur, et un impact négatif pour les plus petits producteurs. Certaines organisations ont même cessé d’utiliser la certification Fairtrade pour privilégier des certifications avec un agenda alternatif plus marqué comme celle de la World Fair Trade Organization ou du Symbole des Producteurs Paysans (SPP) qu’Ethiquable a contribué à développer.

On retrouve là une dualité de lectures assez typique pour les initiatives marchandes émergeant des mouvements sociaux : là où une tendance « réformiste » se réjouit du développement au-delà de la niche initiale et de la maximisation de l’impact social, une tendance plus « radicale » dénonce les compromis effectués et la dilution de l’ambition d’alternative au marché conventionnel présente initialement.

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Ce qui surprend néanmoins dans le cas du commerce équitable, c’est la coopération continue entre ces deux tendances. Les critiques des tenants d’une ligne plus radicale sont principalement restées confinées à l’intérieur du mouvement et n’ont entravé ni la croissance des ventes de produits certifiés ni sa réputation morale auprès de l’opinion publique.

En cela, le commerce équitable se distingue d’autres initiatives au sein desquelles les divergences de vues entre réformistes et radicaux ont mené à des conflits ouverts, parfois au détriment de l’ensemble des acteurs du mouvement. Dans le domaine de la microfinance par exemple, la participation de grandes banques commerciales, moins soucieuses d’accompagner les emprunteurs précarisés hors de la pauvreté et appliquant des taux d’intérêt élevés, a provoqué de fortes dissensions en interne.

Le créateur de la première institution de microcrédit, le prix Nobel de la paix 2006, Muhammad Yunus, a rapidement pris ses distances par rapport à la « microfinance commerciale » et a appelé à dénoncer les banques dont il avait initialement souhaité la participation. Que ce soit pour la microfinance ou pour d’autres initiatives marchandes à finalité sociale, les acteurs réformistes qui s’allient aux acteurs économiques conventionnels sont régulièrement taxés de « dérive de mission » par les tenants d’une ligne plus radicale.

Une coopération permanente avec les acteurs pionniers

Comment se fait-il, dès lors, que le commerce équitable ait pu allier une croissance continue sans voir sa légitimité morale remise en question, du moins ouvertement, par les acteurs pionniers et la base du mouvement ? Selon notre analyse, l’organisme de certification Fairtrade International, regroupant les différents acteurs nationaux tels que Max Havelaar France, a su déployer différentes stratégies pour poursuivre la croissance du secteur sans se mettre à dos les acteurs pionniers.

Premièrement, il a su légitimer l’augmentation des revenus des producteurs comme objectif prépondérant, là où les ambitions initiales du commerce équitable étaient plus diverses. Avec des ventes de produits du commerce équitable qui augmentent, les producteurs voient leur revenu grimper. Cet objectif prioritaire s’est donc révélé plus compatible avec la croissance des ventes que, par exemple, celui de plaider politiquement pour un commerce plus juste.

Deuxièmement, l’organisme a su poser des garde-fous rassurants pour les acteurs originels. Il a ainsi affirmé que certains principes tels que le « juste prix » n’étaient pas négociables. L’évolution de la gouvernance de Fairtrade International qui est désormais détenue et gouvernée à 50 % par les producteurs a également agi comme un signal de confiance pour limiter les craintes de « dérive de mission ».

Enfin, Fairtrade International et ses membres nationaux ont su cultiver une culture de coopération permanente avec les acteurs pionniers, tel que reflété par la rédaction de chartes et l’organisation de campagnes de sensibilisation communes aux divers acteurs et tendances. En France par exemple, la plate-forme Commerce équitable France regroupe à la fois Max Havelaar France, d’autres systèmes de certification plus récents, des entreprises ainsi que des organisations pionnières telles qu’Artisans du Monde. Cette dynamique de partenariat a notamment permis à la France de se doter d’une loi sur le commerce équitable.

Il faudra faire face à de nouveaux défis à ne pas minimiser, comme la concurrence croissante de labels « durables » pas toujours exigeants. Néanmoins, le cas du commerce équitable semble démontrer qu’il est possible d’allier une croissance des ventes avec le maintien d’une exigence éthique forte. Cela passe par une coopération entre acteurs réformistes et radicaux malgré les divergences de vues inévitables. Il semble évident que c’est cette coopération, plus que des querelles intestines, qui est la plus susceptible de favoriser le développement de la filière et d’accroître l’impact sur les premiers intéressés, à savoir les producteurs tant dans les pays du Sud qu’au niveau local.

La tolérance aux antibiotiques, un problème mais aussi une piste pour comprendre et combattre la résistance aux antibiotiques

22 lundi Mai 2023

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  1. Megan KellerPh.D. Candidate in Microbiology, Cornell University

Déclaration d’intérêts

Megan Keller a reçu des financements de la National Science Foundation américaine, via le Graduate Research Fellowship Program et du National Institutes of Health (NSF GRFP #DGE-1650441 et NIH R01-AI143704).

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Avez-vous déjà eu une vilaine infection qui ne semble pas vouloir disparaître ? Ou d’un nez qui coule et qui revient sans cesse ? Il se peut que vous ayez eu affaire à une bactérie qui tolère les antibiotiques, mais qui n’y est pas encore résistante.

La résistance aux antibiotiques est un problème majeur : elle a contribué à près de 1,27 million de décès dans le monde en 2019. La tolérance aux antibiotiques, quant à elle, est un sujet de recherche plus récent.

La tolérance aux antibiotiques se produit lorsqu’une bactérie survit longtemps après son exposition à des antibiotiques. Alors que les bactéries résistantes aux antibiotiques prospèrent même en présence d’un antibiotique, les bactéries tolérantes vivent plutôt dans un état de dormance – elles ne se développent pas, ni ne meurent, mais supportent l’antibiotique jusqu’à ce qu’elles puissent se « réveiller », une fois le stress disparu. La tolérance a été liée à la propagation de la résistance aux antibiotiques.

Je suis une microbiologiste. J’étudie la tolérance aux antibiotiques et je cherche à découvrir ce qui pousse les bactéries tolérantes à entrer dans cet état de dormance.

En comprenant pourquoi les bactéries ont la capacité de devenir tolérantes, les chercheurs espèrent développer des moyens d’éviter la propagation de cette capacité. Le mécanisme exact qui différencie la tolérance de la résistance n’est pas encore clair, mais une des pistes réside dans la façon dont les bactéries créent leur énergie – un processus négligé pendant des décennies.

Le choléra et la tolérance aux antibiotiques

De nombreux antibiotiques sont conçus pour percer les défenses extérieures de la bactérie comme un boulet de canon dans une forteresse de pierre. Les bactéries résistantes sont immunisées contre les boulets de canon, parce qu’elles peuvent soit le détruire avant qu’il n’endommage leur mur extérieur, soit modifier leurs propres murs pour pouvoir résister à l’impact.

De leur côté, les bactéries tolérantes peuvent supprimer entièrement leur mur et éviter tout dommage : pas de mur, pas de cible pour le boulet de canon. Si la menace disparaît rapidement, la bactérie peut reconstruire son mur pour se protéger d’autres dangers environnementaux et reprendre ses fonctions normales. Cependant, on ne sait toujours pas comment les bactéries savent que la menace antibiotique a disparu ni ce qui déclenche exactement leur réveil.

Avec mes collègues du laboratoire Dörr de l’université Cornell, nous essayons de comprendre les processus d’activation et de réveil de la bactérie tolérante responsable du choléra, Vibrio cholerae.

En effet, les médecins sont inquiets car la bactérie Vibrio cholerae est en train de développer rapidement une résistance à divers types d’antibiotiques. Ainsi, en 2010, Vibrio cholerae était déjà résistante à 36 antibiotiques différents, et on s’attend à ce que ce nombre augmente encore.

Pour étudier comment Vibrio cholerae développe une résistance, nous avons choisi une souche tolérante à une classe d’antibiotiques appelés bêta-lactames ou bêta-lactamines. Les bêta-lactamines sont le boulet de canon envoyé pour détruire la forteresse de la bactérie, et Vibrio cholerae s’adapte en activant deux gènes qui suppriment temporairement sa paroi cellulaire – un phénomène que j’ai pu observer au microscope. Après avoir supprimé sa paroi cellulaire, la bactérie active d’autres gènes, qui la transforment en « globules », fragiles mais capables de survivre aux effets de l’antibiotique. Une fois l’antibiotique éliminé ou dégradé, Vibrio cholerae reprend sa forme normale de bâtonnet et continue à se développer.Les Vibrio cholerae normalement en forme de bâtonnet enlèvent leurs parois cellulaires et se transforment en globules en présence de pénicilline, ce qui leur permet de survivre plus longtemps.Vibrio cholerae reprend sa structure en bâtonnets une fois la menace antibiotique écartée.

Chez l’homme, ce processus de tolérance est observé lorsqu’un médecin prescrit un antibiotique, généralement la doxycycline, à un patient infecté par le choléra. L’antibiotique semble temporairement arrêter l’infection. Mais les symptômes réapparaissent ensuite, car les antibiotiques n’ont jamais complètement éliminé les bactéries.

La capacité de revenir à la normale et de se développer après la disparition de l’antibiotique est la clé de la survie des bactéries tolérantes.

Exposer Vibrio cholerae à un antibiotique pendant une période suffisamment longue finirait par le tuer. Mais un traitement antibiotique standard n’est souvent pas assez long pour se débarrasser de toutes les bactéries, même dans un état fragile. De plus, la prise d’un médicament pendant une période prolongée peut nuire aux bactéries et aux cellules saines, ce qui peut provoquer une aggravation de l’inconfort et de la maladie. En outre, le mauvais usage et l’exposition prolongée aux antibiotiques peuvent augmenter les risques de résistance des autres bactéries présentes dans l’organisme.

D’autres bactéries développent une tolérance

La bactérie Vibrio cholerae n’est pas la seule espèce à faire preuve de tolérance à des antibiotiques, et les chercheurs ont récemment identifié de nombreuses bactéries infectieuses qui ont développé une tolérance. Une famille de bactéries appelée entérobactéries, qui comprend les principaux agents pathogènes des maladies d’origine alimentaire Salmonella, Shigella et E. coli, n’est qu’une partie des nombreux types de bactéries capables de tolérer les antibiotiques.

Comme chaque bactérie est unique, la façon dont elle développe la tolérance semble l’être également. Certaines bactéries, comme Vibrio cholerae, effacent leurs parois cellulaires. D’autres peuvent modifier leurs sources d’énergie, augmenter leur capacité à se déplacer ou simplement évacuer l’antibiotique.

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J’ai récemment découvert que le métabolisme d’une bactérie, c’est-à-dire la façon dont elle décompose sa « nourriture » pour produire de l’énergie, peut jouer un rôle important dans sa capacité à devenir tolérante aux antibiotiques. En effet, les différentes structures d’une bactérie, y compris sa paroi extérieure, sont constituées d’éléments spécifiques tels que des protéines. En empêchant la bactérie de fabriquer ces éléments, on affaiblit sa paroi, ce qui la rend plus susceptible d’être endommagée par l’environnement extérieur avant qu’elle ne puisse l’abattre.

La tolérance et la résistance sont liées

Bien que de nombreuses recherches aient été menées sur la manière dont les bactéries développent des tolérances aux antibiotiques, il reste une pièce essentielle du puzzle à explorer : la manière dont la tolérance conduit à la résistance.

En 2016, des chercheurs ont découvert comment rendre les bactéries tolérantes en laboratoire. Après une exposition répétée à différents antibiotiques, des cellules d’E. coli ont pu s’adapter et survivre. L’ADN, le matériel génétique contenant les instructions pour le fonctionnement des cellules, est une molécule fragile. Lorsque l’ADN est rapidement endommagé par un stress – par exemple l’exposition à un antibiotique, les mécanismes de réparation de la cellule ont tendance à se dérégler et à provoquer des mutations susceptibles de créer une résistance et une tolérance.

Comme E. coli est similaire à de nombreux types de bactéries, les résultats de ces chercheurs montrent ironiquement que presque toutes les bactéries peuvent développer une tolérance… si elles sont poussées à leurs limites par les antibiotiques censés les tuer.Les bactéries vivent en communautés dans les biofilms. Source : BIOASTER, Institut d’Innovation Technologique en Microbiologie.

Une autre découverte récente très importante est que plus les bactéries restent longtemps tolérantes aux antibiotiques, plus elles sont susceptibles de développer des mutations menant à la résistance. En effet, la tolérance permet aux bactéries de développer une mutation de résistance qui réduit leurs chances d’être tuées lors d’un traitement antibiotique.

Ce phénomène est particulièrement important pour les communautés bactériennes qui sont souvent observées dans les biofilms qui ont tendance à recouvrir les surfaces souvent touchées dans les hôpitaux. Ces biofilms sont des couches gluantes de bactéries qui suintent une gelée protectrice qui rend difficile le traitement antibiotique et facilite le partage de l’ADN entre les microbes. Ainsi, ils peuvent faciliter le développement d’une résistance aux antibiotiques. On pense que ces conditions sont en fait similaires à ce qui pourrait se produire lors d’infections traitées aux antibiotiques, dans lesquelles de nombreuses bactéries vivent les unes à côté des autres et partagent leur ADN.

Les chercheurs appellent à une intensification des recherches sur la tolérance aux antibiotiques dans l’espoir qu’elles débouchent sur des traitements plus robustes, tant pour les maladies infectieuses que pour les cancers. Et il y a des raisons d’espérer. Une étude sur des souris a montré que la diminution de la tolérance aux antibiotiques réduit également la résistance.

Entre-temps, chacun peut prendre des mesures pour contribuer à la lutte contre la tolérance et la résistance aux antibiotiques : en prenant un antibiotique exactement comme il a été prescrit par le médecin, et en terminant tout le flacon. Une exposition brève et irrégulière à un médicament incite les bactéries à devenir tolérantes et finalement résistantes. Une utilisation plus rigoureuse des antibiotiques par l’ensemble de la population contribuerait à stopper l’évolution des bactéries tolérantes aux antibiotiques.

Pesticides et abeilles : comment les fongicides s’attaquent à la reine

17 mercredi Mai 2023

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  1. Freddie-Jeanne RichardEnseignante chercheuse en écologie et comportement des invertébrés, Université de Poitiers

Déclaration d’intérêts

Freddie-Jeanne Richard a réalisé ces recherches dans le cadre du projet « Explora », avec le soutien financier de l’OFB dans le cadre de l’APR « Produits phytopharmaceutiques : de l’exposition aux impacts sur la santé humaine et les écosystèmes » lancé dans le cadre du plan Écophyto II+ et co-piloté par les ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture et de l’Alimentation, des Solidarités et de la Santé et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

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Ce n’est plus un secret pour personne tant les alarmes se multiplient : les menaces pèsent sur les pollinisateurs, alors que la grande majorité des plantes à fleurs ont besoin d’eux pour transporter le pollen et donc se reproduire. Pour les attirer, les fleurs ont de nombreuses astuces. Elles utilisent des odeurs, des couleurs, des formes… et peuvent aussi produire du nectar.

Ce travail de pollinisation est effectué par 1080 espèces d’oiseaux, plus de 340 espèces de mammifères décrites et même certains lézards. Au moins 20 000 espèces d’abeilles dans le monde aident plus de 80 % d’espèces de plantes à fleurs à se reproduire. Excellents vecteurs de pollen, les abeilles en utilisent aussi pour leur propre consommation.

La biodiversité étant menacée par des facteurs essentiellement anthropiques (surexploitation, activités agricoles, développement urbain, augmentation des espèces exotiques envahissantes, des maladies et la pollution, le nombre de pollinisateurs ne cesse donc de diminuer, les animaux étant soumis à un large éventail de stress qui, s’ils ne sont pas nécessairement mortels, limitent leurs performances et les services écologiques fournis.L’énergie des abeilles (Muséum national d’histoire naturelle, 6 avril 2020).

Fongicides et butineuses affaiblies

Conçus à l’origine pour tuer, les pesticides sont des produits chimiques utilisés généralement sur les organismes nuisibles aux cultures – les herbicides pour détruire les herbes et les fongicides les champignons, par exemple.

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Le Boscalid est un fongicide de la famille des SDHI, largement utilisé en culture sur les arbres fruitiers et les fleurs de colza. Son action cible la respiration mitochondriale des champignons en inhibant la succinate deshydrogénase essentielle dans la voie de production d’énergie (ATP) – présente chez de nombreuses espèces – avec pour conséquence de cette inhibition une perturbation du métabolisme dont les mécanismes de détoxification.

Les abeilles exposées aux SDHI sont plus sensibles à d’autres pesticides et aux pathogènes. Les fonctions chez elles liées à la recherche de nourriture seraient également perturbées, comme le suggère l’augmentation de la consommation et de la collecte de pollen dans les études de terrain.

Si les SDHI ne présentent pas de toxicité aiguë pour les abeilles domestiques, des observations d’une durée supérieure au test standard de 10 jours ou en extérieur révèlent une augmentation de la mortalité à la suite d’une exposition à des concentrations de SDHI existantes dans la nature. D’autres résultats montrent qu’ils réduisent les performances de vol et l’apprentissage chez les abeilles ouvrières et perturbent la reconnaissance des nids chez les abeilles solitaires.

L’impact sur la reine

Mais d’autres effets indirects pourraient exister : chez l’abeille domestique, la reine détient le monopole de la reproduction et donne naissance à l’ensemble des ouvrières de la colonie. Ne s’accouplant qu’au début de sa vie, elle ne dispose que de quelques jours pour faire le stock de spermatozoïdes nécessaire : le bon déroulement de la reproduction est donc essentiel pour elle et sa colonie.

Elle est en outre dès son émergence alimentée par les ouvrières : dans le cadre d’une étude, nous avons donc nourri des ouvrières avec du Boscalid ou sa formule commerciale, le pictor pro, avec des quantités comparables aux concentrations retrouvées en milieu naturel. Au printemps, les reines émergentes ont été alimentées par ces ouvrières exposées pendant deux jours.

Nous avons pu constater que les reines exposées au fongicide meurent significativement plus pendant et peu après la période des vols nuptiaux. La survie des reines exposées au pictor pro diminue par exemple de 48 % par rapport aux reines non exposées. Les analyses sur la descendance des reines ayant survécu au vol nuptial montrent également qu’elles s’accouplent avec 23 % de mâles en moins que les reines non exposées. Or des études ont montré les effets bénéfiques de la diversité génétique apportée par les accouplements multiples en modifiant les signaux de fertilité des reines (ses phéromones) et la productivité des colonies (plus de miel).

épandage de pesticides dans un champ
La contamination de l’environnement par les pesticides (largement utilisés en agriculture) contribue largement au déclin de la biodiversité. Nicolas Duprey/Flickr, CC BY-NC-ND

La descendance affectée

Nos résultats montrent donc que le Boscalid perturbe la reproduction, comme l’indique une augmentation spectaculaire de la mortalité des reines pendant et peu après la période des vols nuptiaux.

Mais l’exposition des reines au Boscalid a en outre des conséquences néfastes sur les colonies qu’elles ont ensuite établies : entre autres, la production d’œufs et de larves est plus faible, les colonies sont davantage parasitées par le Varroa – acarien vecteur de maladies chez les abeilles – et des différences apparaissent dans les quantités de stockage de pollen et la taille de la population.

Ces perturbations observées au niveau de la colonie correspondent à des conditions de stress nutritionnel et pourraient donc résulter d’une réduction de l’apport énergétique de la reine aux œufs.

La reproduction, facteur clé dans le déclin des abeilles ?

Nous avons ainsi constaté que les reines exposées présentaient une diminution des niveaux d’expression génétique d’une protéine impliquée dans la formation des corps gras.

Dans l’ensemble, nos résultats confirment la nécessité d’inclure la reproduction dans les caractéristiques mesurées au cours des procédures d’évaluation des risques liés aux pesticides. À ce jour en effet, l’évaluation des risques des pesticides avant l’autorisation de mise sur le marché réalisée sur les pollinisateurs ne considère que les ouvrières sans étudier les effets sur les reproducteurs (femelles et mâles).

Lorsque la reine joue un rôle clé dans la reproduction, comme chez les abeilles domestiques et d’autres insectes monogynes, la dégradation de cette reproduction pourrait être l’un des principaux facteurs de perte des colonies.

« L’envers des mots » : Algocratie

16 mardi Mai 2023

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  1. Adrien TallentDoctorant en philosophie politique et éthique, Sorbonne Université

Déclaration d’intérêts

Adrien Tallent a reçu des financements de SNCF Réseau dans le cadre d’un contrat doctoral CIFRE.

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Plus de la moitié de la population mondiale utilise quotidiennement les réseaux sociaux où la circulation des informations est régulée par des algorithmes. Shutterstock

Formé de algo, apocope d’algorithme, et du suffixe -cratie (qui vient du grec kratos, le pouvoir), algocratie est un terme qui émerge depuis quelques années pour désigner le nouveau système politique dans lequel nous serions entrés.

Un système dans lequel les algorithmes – les étapes élémentaires des calculs utilisés pour résoudre un problème, comme répondre à une requête sur un moteur de recherche – influencent et font partie du processus de prise de décision dans divers secteurs. Dans la vie politique, économique et sociale de la société, elles pourraient même préempter de manière automatique un pouvoir jadis propriété du peuple en démocratie.

Ce terme est ainsi le titre de trois ouvrages publiés entre 2020 et 2023 : Résister à l’algocratie. Rester humain dans nos métiers et dans nos vies de Vincent Magos ; Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes de Arthur Grimonpont ; Algocratie. Allons-nous donner le pouvoir aux algorithmes ? de Hugues Bersini.

Algocratie et démocratie

L’algocratie est-elle en passe de remplacer la démocratie ? De plus en plus de domaines régaliens, démocratiques sont pénétrés par les algorithmes : filtrage et tri sur les réseaux sociaux, aide à la décision (justice, santé…), sélection à l’université, analyse prédictive (police, assurance…). Dès lors, nombreux sont ceux qui estiment qu’il existe un danger de dépossession du pouvoir du peuple, le « demos » de la démocratie, au profit de ces algorithmes.

L’économie mondiale fonctionne par exemple largement sur des algorithmes financiers. À titre d’exemple, le premier gestionnaire d’actifs mondial, le fond américain BlackRock, utilise notamment l’intelligence artificielle Aladdin, outil d’investissement capable d’évaluer les risques financiers et qui a contrôlé jusqu’à 20 000 milliards de dollars d’actifs financiers.


À lire aussi : Comment fonctionne l’algorithme de recommandation de YouTube ? Ou comment j’ai découvert le rap hardcore


Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale utilise quotidiennement les réseaux sociaux sur lesquels des algorithmes de recommandation ajustent le contenu proposé aux préférences des utilisateurs et façonnent ainsi leurs représentations du monde. Il arrive qu’ils échappent aux volontés de leurs créateurs. De par leur fonctionnement qui valorise les réactions générées et sans être la volonté explicite de leurs créateurs, ceux-ci privilégient par exemple la diffusion des fake news.

Un nouveau monde institutionnel

L’algocratie serait ainsi un monde institutionnel où ces grandes entreprises transnationales participant à cette forme de régulation algorithmique prennent de plus en plus d’importance.

Néanmoins, employer le terme d’algocratie nous éloigne de la responsabilité. En réalité, dans une algocratie, si le pouvoir change, ce n’est pas pour aller du peuple vers les algorithmes. Les algorithmes matérialisent des relations de pouvoir et servent des volontés – politiques, économiques, idéologiques – bien humaines.


À lire aussi : Qu’est-ce qu’un algorithme ?


Loin d’être une fatalité ou une évidence, le développement de ce qui pourrait s’apparenter à une « algocratie » répond donc à des choix politiques et à la mise en avant de ce que la chercheuse en philosophie du droit Antoinette Rouvroy appelle une « rationalité algorithmique ».

Ce sont des choix politiques et techniques d’un mode poussé de gouvernement par les nombres, faisant craindre qu’une algocratie soit en réalité un nouveau genre de « société de contrôle ».

Mythe et philosophie

L’algocratie s’inscrit dans une histoire philosophique et scientifique héritée de la philosophie des Lumières et de la révolution scientifique du XVIIIe siècle qui ont érigé la rationalité en culte.

De ce point de vue, l’aboutissement d’une certaine idée de la rationalité s’incarne dans cette « gouvernementalité algorithmique » synonyme d’algocratie. D’autant que, comme le dit l’universitaire et juriste Alain Supiot, nous pensons que gouverner et exercer le pouvoir sont une seule et même chose, que le pouvoir devrait être fondé sur une connaissance scientifique de l’individu et donc « impersonnel ». Cela expliquerait la diffusion d’une « gouvernance par les nombres » où tout, y compris la loi, devient l’objet d’un calcul.

L’idée d’une algocratie vient ainsi d’un mythe, celui du caractère infaillible de la technique face à la faillibilité de l’individu. L’algocratie ne considère plus une société comme étant un ensemble mais comme n’était plus que des groupes d’individus, des atomes.

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