• Actualités régionales
    • Communes limitrophes
    • Régionales
  • Adhésion
  • André Lhote
  • Au-delà du 14 juillet, des interrogations tenaces sur l’usage des armées
  • Auteurs morts en 17, (déjà…)
  • BD « Sciences en bulles » : À la recherche des exoplanètes
  • Bonnes feuilles : Le château d’If, symbole de l’évasion littéraire
  • Comment la lecture enrichit l’éducation des enfants
  • Corruption, contrebande : le drame de Beyrouth et la question de la sécurité dans les zones portuaires
  • Des crises économiques à la crise de sens, le besoin d’une prospérité partagée
  • Evènements
  • Lecture : comment choisir un album qui peut vraiment plaire aux enfants
  • L’économie fantôme de l’opéra
  • L’Europe s’en sortirait-elle mieux sans l’Allemagne ?
  • Maladie de Lyme : attention au sur-diagnostic !
  • Mirmande
    • Pages d’histoire
    • AVAP et PLU
    • Fonds de dotation et patrimoine
  • NutriScore : quand l’étiquetage des aliments devient prescriptif
  • Penser l’après : Le respect, vertu cardinale du monde post-crise ?
  • Podcast : le repos, une invention humaine ?
  • Prévoir les changements climatiques à 10 ans, le nouveau défi des climatologues
  • Qui sommes-nous?
  • Réforme de la taxe d’habitation… et si la compensation financière n’était pas le seul enjeu ?
  • Revues de presse et Chroniques
  • S’INSCRIRE AU BLOGUE
  • Scène de crime : quand les insectes mènent l’enquête
  • The conversation – Changement climatique : entre adaptation et atténuation, il ne faut pas choisir
  • Une traduction citoyenne pour (enfin) lire le dernier rapport du GIEC sur le climat

Mirmande PatrimoineS Blogue

~ La protection des patrimoines de Mirmande.com site

Mirmande PatrimoineS Blogue

Archives d’Auteur: mirmandepatrimoines

Comment la pandémie redessine les chemins des jeunes vers l’autonomie

04 dimanche Avr 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Elodie GentinaAssociate professor, marketing, IÉSEG School of Management
IESEG School of Management

IESEG School of Management apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information

Republier cet article

Avec l’enseignement à distance, les étudiants doivent réinventer d’autres façons de créer du lien avec leurs pairs. Shutterstock

Des études brutalement interrompues, des stages et des jobs d’été annulés, des fêtes entre amis interdites, des recherches d’emploi compromises… Bien que divers facteurs freinaient déjà la prise d’autonomie des jeunes, comme la difficulté d’insertion pour les jeunes sans formation (60 000 jeunes âgés de moins de 18 ans sortent chaque année du système scolaire sans aucune qualification), la crise sanitaire pose un obstacle inattendu au cheminement des jeunes vers l’âge adulte et vers l’indépendance.

Cette notion de prise d’indépendance correspond à cette période de l’existence située entre l’enfance et l’âge adulte, marqué par l’indépendance dans toutes ses formes, économique, résidentielle, juridique… Dans une étude sur les valeurs, conduite de 1981 à 2018 par Pierre Bréchon, Frédéric Gonthier et Sandrine Astor, la valeur d’individualisation, désignant la volonté d’autonomie et la valorisation des choix individuels, a quadruplé en 20 ans. Voilà une preuve que les jeunes revendiquent fortement le besoin de liberté.

De l’indépendance matérielle à l’autonomie psychologique

Différentes disciplines reconnaissent en l’indépendance un thème fondamental et pertinent pour comprendre la jeunesse. Dans le domaine du droit, la loi en France a défini toute une série d’actes pour lesquels le mineur dispose d’une autonomie : par exemple, il obtient, à 12 ans, l’accès à la carte de retrait bancaire. Il devra attendre 14 ans pour conduire un cyclomoteur et 16 ans pour détenir une carte de paiement ou accéder à la conduite accompagnée.

La sociologie traditionnelle définit un individu comme indépendant s’il est majeur et s’il ne dépend plus de ses parents pour assurer les moyens de sa subsistance. L’indépendance a été essentiellement analysée en sociologie selon une vision spécifiquement orientée vers l’émancipation financière des jeunes. S’assumer financièrement, avec son propre logement, avoir une activité salariée ou professionnelle suffisante pour subvenir à ses besoins sont des critères décisifs de l’indépendance.

Or les jeunes arrivant sur le marché du travail subissent de plein fouet la crise et l’envolée du chômage provoquées par l’épidémie de Covid-19, faisant voler en éclats leurs projets et brouillant leur horizon. Sur l’ensemble de l’année 2020, selon la DARES (Direction des Statistiques du Ministère du Travail), le nombre d’embauches de jeunes de moins de 26 ans en CDI et CDD de plus de trois mois a reculé de 14 % par rapport à 2019.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=ElodieGentina&dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1319013767909343239&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fcomment-la-pandemie-redessine-les-chemins-des-jeunes-vers-lautonomie-158096&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=e1ffbdb%3A1614796141937&width=550px

En psychologie, la prise d’indépendance des jeunes est analysée plutôt sur un plan affectif comme une séparation d’avec les parents.

Pendant longtemps, l’autonomie était synonyme d’indépendance, relevant de l’échelle macrosociale, celle de la société et de ses événements marqueurs vers le passage à l’âge adulte, comme le fait d’avoir un métier, de constituer un foyer ou encore d’être marié. Cette définition de l’autonomie est aujourd’hui insuffisante pour expliquer le passage à l’âge adulte.

Les jeunes peuvent disposer d’une certaine autonomie, par exemple affective vis-à-vis de leurs parents (le fait d’arrêter de projeter sur eux toutes leurs difficultés, toutes leurs incomplétudes), sans être pleinement indépendants car ils ne disposent pas des ressources, notamment financières et matérielles, qui le permettent.

La stigmatisation qui vient de l’époque où le modèle consistait à absolument partir et ne pas revenir chez ses parents pour marquer son indépendance ne semble plus valable aujourd’hui, face à une tout autre réalité économique, qui nécessite qu’un grand nombre de jeunes retournent chez leurs parents car sans aucune autre alternative. En 2016, un tiers des étudiants n’avaient pas pris leur indépendance. Le phénomène a doublé en l’espace de 3 ans : en 2019, ils sont 60 %.

La crise sanitaire liée au coronavirus amplifie ce phénomène, avec des raisons encore nouvelles et des configurations différentes qui viennent se greffer de part et d’autre. Depuis mars 2019, près de 50 % des étudiants français ont été contraints de quitter leur logement pour retourner chez leurs parents et reprendre une place d’enfant au sein du cocon familial, du fait de difficultés financières pour près d’un tiers d’entre eux. Un certain nombre d’étudiants ont ainsi reçu des aides (36 % déclarent avoir bénéficié des aides d’associations, de la famille ou du Crous et 19 % des aides matérielles.

Le confinement peut dès lors être vécu par les jeunes comme une sorte de régression imposée vers le monde de l’enfance, une confrontation à une promiscuité dérangeante qui vient perturber le processus de prise d’autonomie des jeunes qui, faute d’emploi, ont dû retourner chez leurs parents.

Rites de passage

Avoir 18 ans, c’est avoir son bac. Ces événements s’inscrivent dans une projection et une représentation de l’avenir et sont quelques-uns des éléments qui fabriquent le rite initiatique de passage vers l’âge adulte.

L’annulation du baccalauréat, première vraie épreuve sur la route de la jeunesse, peut sembler une première entrave à la prise d’autonomie. Alors que les autres rites d’intégration ont perdu de leur valeur (tels que le permis de conduire, le service civique…), le bac a une valeur initiatique. Comme l’indique la formule « passe ton bac d’abord ! », il peut même s’apparenter à un rite de passage républicain qui subsiste, puisque l’épreuve est passée par l’ensemble d’une génération et marque l’entrée dans la vie adulte.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=ElodieGentina&dnt=false&embedId=twitter-widget-1&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1262178452528140288&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fcomment-la-pandemie-redessine-les-chemins-des-jeunes-vers-lautonomie-158096&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=e1ffbdb%3A1614796141937&width=550px

La mobilité est un autre tremplin vers l’émancipation. À l’heure de la Covid-19, 72 % des jeunes qui avaient un projet de mobilité internationale n’ont pas pu le réaliser, et les programmes Erasmus se sont adaptés pour proposer des formes de mobilité virtuelle et hybride.

Selon les anthropologues, nous sommes face à un affadissement des rites initiatiques puisqu’il n’y a plus de moments ritualisés qui marquent consciemment le passage de l’état d’enfant à l’état d’adolescent, puis à l’état de jeune adulte.

Le passage de l’adolescence à l’âge adulte admet des allers et retours possibles, des sortes d’essais/erreurs, comme l’illustre le caractère aléatoire du départ de la maison et le retour chez les parents évoqué plus haut.

L’importance des pairs

18 ans, c’est un âge charnière où on cherche à s’émanciper, souvent en quittant la zone de confort familial pour rencontrer d’autres groupes et commencer sa vie sociale. Le jeune étant de nature profondément sociale, un des moyens de parvenir à la prise d’autonomie des jeunes par rapport à sa famille consiste à intégrer à un autre groupe : le groupe de pairs, ses amis.

Or, avec la mise en œuvre des enseignements à distance dans les lycées et principalement dans les universités, les jeunes suivent les cours par écrans interposés depuis leurs chambres, les coupant physiquement d’avec les pairs, ces indispensables relais et modèles d’individuation. La fermeture des skateparks, salles de sports, fast-food et de tous ces lieux où les jeunes se mesurent aux autres et se socialisent est nécessairement mal vécue.

Face au confinement et au couvre-feu, les jeunes sont plongés dans un univers d’interdits les conduisant à se sentir victimes de décisions arbitraires ou injustices, venant brider leur vie au quotidien et contraindre leur processus d’autonomisation. Dans quoi les jeunes peuvent-ils se réfugier pour trouver des moyens d’affirmation et d’expression d’autonomisation ?

En particulier, si les nouvelles technologies de la communication (tablettes, iPhone, usage des réseaux sociaux numériques) deviennent si importantes dans la vie des jeunes aujourd’hui, cela peut-il s’expliquer par le fait qu’il manque des lieux de sociabilité, des terrains d’expression de leur autonomisation offerts par la société ?

Les nouvelles technologies permettent aux jeunes de s’échapper d’un quotidien confiné et peuvent dès lors servir de support à l’apprentissage de l’autonomie des jeunes, puisqu’elles sont un nouveau moyen de se retirer de la sphère parentale pour se retrouver avec leurs pairs via les réseaux sociaux numériques (Snapchat, WhatsApp, Instagram, TikTok[GE15]…).

La Vierge, le Maître et les faussaires : retrouver les routes de l’art grâce à la géochimie

03 samedi Avr 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

Auteur

  1. Wolfram KloppmannChercheur en géochimie isotopique, chargé de mission, expert scientifique, BRGM

BRGM

BRGM apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
« Dentelles » en Albâtre : décor du XVème s. du Monastère Royal de Brou (Bourg-en-Bresse). Wolfram Kloppmann, Author provided

Depuis la nuit des temps, l’Europe est traversée par des réseaux d’échanges invisibles par lesquels circulent les biens, les humains, les idées, et qui s’effacent et se redessinent sans cesse. Les premières rares cartes de ces réseaux datent de l’antiquité romaine. L’écriture ne se propageant que très progressivement sur le continent européen, nos moyens de compréhension de ces échanges sont en conséquence, et pour une très large partie de l’histoire humaine, limités. Les seules informations qui nous viennent des temps et des contrées où la transmission orale était privilégiée relèvent de l’archéologie.

Quand se mélangent, dans un tombeau celte, ambre de la Baltique et céramiques étrusques ou attiques, cela nous en dit long sur les échanges commerciaux intenses de cette « protohistoire ». Mais même au Moyen-âge, les sources écrites manquent souvent. Heureusement, il est également possible de faire parler les matériaux mêmes, utilisés pour tel objet de la vie quotidienne ou tel objet de luxe ou d’art. En effet, leur composition peut conserver des traces de leur origine, des éléments qui les lient aux endroits où étaient extraites les matières premières en vue de leur fabrication. La science consacrée à l’étude de ces matériaux anciens est, elle, récente et s’appelle l’archéométrie. Aux confins de nombreux domaines, archéologie, chimie et biochimie, physique et géosciences, elle est aussi diversifiée que les objets fabriqués par l’homme.

Laboratoire d’analyse isotopique sur phase solide par thermo-ionisation (TIMS) au BRGM dans lequel sont analysé les rapports isotopique du strontium contenu dans l’albâtre. Wolfram Kloppmann, Author provided

Un matériau prestigieux

Notre programme de recherche est à la hauteur de cette diversité, car notre partenariat réunit, depuis une dizaine d’années, des laboratoires spécialisés dans le patrimoine, dans la géochimie, ainsi qu’un vaste réseau mondial de musées. Le Musée du Louvre y occupe une place toute particulière du fait de son engagement à la fois scientifique et financier. Quant au matériau que nous essayons de « faire parler », c’est une pierre chargée de symbolique, de prestige, mais qui préserve sa part de mystère : l’albâtre. Sa blancheur, sa tendreté, sa translucidité sont proverbiales : depuis le Moyen-Âge on la compare à la blancheur de la peau. Déjà Flaminio de Birague, dans ses œuvres poétiques de 1585, écrivait :

« C’est cette main d’albastre qui fait honte à l’yvoire et efface les lis ».

Au fil des siècles, il est devenu un matériau de prédilection des sculpteurs : il rivalise avec le marbre, plus dur, plus froid et, surtout, plus difficile d’accès en dehors de l’Italie. Chargé de prestige ? Oui, en particulier depuis le XIVe siècle, quand on l’utilisera pour la sculpture des grands monuments funéraires des papes, cardinaux, rois et ducs.

Au XVIe siècle, ce sont les gisements d’albâtre mêmes qui deviennent sources de prestige pour les souverains, au point que l’on peut parler d’une véritable « diplomatie d’albâtre ». Et ces gisements, où se trouvent-ils donc ? En Angleterre, où, dans les East Midlands s’était établi durant 200 ans et jusqu’à la Réforme une véritable industrie de la sculpture de l’albâtre, exportée en grande quantité vers le continent. En Espagne, où, dans l’ancien Royaume d’Aragon, les églises regorgent d’autels monumentaux en albâtre, extrait notamment dans la vallée de l’Ebre et dans les Pyrénées. En Italie, où l’albâtre toscan était déjà exploité par les Étrusques, puis, semble-t-il, après une longue pause, par les sculpteurs de la Renaissance. Vers l’Est – et notre programme de recherche avance pas à pas dans cette direction –, où le Harz et la Franconie fournissaient déjà de l’albâtre aux sculpteurs médiévaux allemands. Plus loin encore, on trouve les gisements du sud des Carpates, en Pologne et en Ukraine.

En France, nous avons identifié des gisements principalement dans le Jura, en Bourgogne, dans les Alpes et en Provence. Nous avons eu la surprise de mettre en lumière la longévité et la productivité extraordinaires des carrières autour de Notre-Dame-de-Mésage dans l’Isère, actives sur un demi-millénaire et rivalisant avec l’albâtre anglais, comme le démontre une technique de traçage que nous avons mise au point spécifiquement pour l’albâtre.

La carrière d’albâtre de Malaucène qui a fourni le matériau pour la Vierge de l’Annonciation du Louvre. WK, Author provided

Les « empreintes digitales » de l’albâtre

Mais d’abord, qu’entendent les géologues par « albâtre » ? Nous ne parlons pas ici de l’albâtre en calcite dit « égyptien », stratifié beige et marron. L’albâtre blanc est chimiquement un sulfate de calcium, c’est-à-dire rien d’autre que du gypse ou son cousin, l’anhydrite. Il contient donc du calcium, du soufre et de l’oxygène ainsi que des traces de strontium. Nous nous intéressons de près à ces trois derniers éléments. Chacun d’eux possède plusieurs isotopes stables, des variantes de l’élément, qui ne se distinguent que par leur nombre de neutrons et ainsi leur masse. Les rapports entre les isotopes lourds et légers des trois éléments, tel le rapport du soufre 32 et de son homologue plus lourd, le soufre 34, nous fournissent une sorte d’empreinte digitale de chaque gisement d’albâtre dépendante de son âge géologique et des conditions de sa formation.

Dans la carrière de gypse souterraine de Notre-Dame-de-Mésage. Ces gisements ont fourni de l’albâtre à la sculpture française pour 500 ans. WK, Author provided

Une attribution sans ambiguïté d’une œuvre à une carrière n’est possible que si les « signatures isotopiques » des carrières sont bien contrastées. Cela fut la bonne surprise du début de nos recherches, condition sine qua non pour la réussite de la méthode. Ce qui ne veut pas dire que nos débuts furent toujours simples.

Le restaurateur démasqué

L’énigme de la Vierge de l’Annonciation de Javernant illustre bien les rebondissements que nous avons pu rencontrer au cours de nos investigations. Cette belle statue du XIVe siècle se trouvait, jusqu’en 1878, en compagnie de l’ange Gabriel dans une petite église de l’Aube, à proximité de Troyes. Les deux sculptures sont de nos jours séparées par l’Atlantique, la Vierge ayant intégré le Louvre, et l’ange le musée de Cleveland (USA). Les résultats des analyses des deux statues étaient pour le moins surprenants étant donné l’état de nos connaissances, à l’époque, des gisements historiques d’albâtre en Europe : les signatures isotopiques de la Vierge et de l’ange étaient clairement différentes et aucune des deux statues ne pouvait se rattacher à une carrière connue à ce moment-là.

Vierge de l’Annonciation de Javernant (Aube), XIVe s., collections du Louvre (RF 1661), l’ange se trouvant au Cleveland Museum of Art (Ohio, EU) les deux en albâtre de Malaucène. WK, Author provided

Un examen minutieux de la base de la Vierge au Louvre au printemps 2014 révélait une restauration non documentée. Or par malchance, ce fut précisément de cette partie remplacée que provenait notre premier microprélèvement. Il s’ensuivit une nouvelle analyse, cette fois-ci du matériel d’origine du XIVe siècle et non de la partie restaurée, qui se révéla identique à celui de l’ange du musée de Cleveland. Comme, entre-temps, notre recherche sur les carrières avait grandement avancé, nous avons pu rattacher les deux statues au village vauclusien de Malaucène et à sa carrière d’albâtre.

Il nous restait à éclaircir la question du matériau que le restaurateur inconnu avait utilisé pour son remplacement à la base de la Vierge du Louvre. Il s’agit en réalité d’albâtre toscan du Miocène (environ 7-5 millions d’années) que l’enrichissement en soufre 34 rend bien identifiable, et qui semble absent de la sculpture française avant le XVIIIe siècle. Depuis, la Vierge et l’ange de Javernant ont trouvé leur place dans une famille de sculptures grandissante, pour la plupart des Vierges à l’Enfant, toutes en albâtre de Malaucène et toutes de la même époque (deuxième moitié du XIVe siècle). Indice d’un atelier médiéval provençal spécialisé, peut-être en Avignon, diffusant sur un axe Rhône-Meuse à l’existence déjà soupçonnée par les historiens d’art ?

Le Maître de Rimini, artiste mystérieux au bras long

Prenons encore plus de recul, et revenons à l’échelle des grandes routes d’échanges commerciaux et artistiques qui liaient l’Europe médiévale. S’il fut un artiste qui usa et développa ces réseaux, c’est bien l’énigmatique Maître de Rimini, un des sculpteurs les plus doués et prolifiques de la fin du Moyen-Âge.

Ses œuvres, exclusivement en albâtre, se retrouvaient de l’Adriatique jusqu’en Artois, des lacs italiens jusqu’en Silésie, et sont maintenant présentes dans les musées du monde entier. Parmi ses clients auraient compté les grandes familles princières italiennes, les Malatesta, les Borromée, les riches abbés d’Arras ou de Wrocław… Pourtant, nul ne sait où était situé l’atelier du Maître, point nodal de son réseau commercial paneuropéen. Les historiens d’art hésitent.

Au temps de la découverte de son œuvre, dans les années 1910-20, on le croyait allemand, rhénan même. Avec les années, les hypothèses successives ont déplacé son atelier jusqu’aux Pays-Bas ou même à Paris. Son style, montrant des influences flamandes, françaises, germaniques et même d’Europe centrale, est trop multiforme et les sources écrites trop éparses pour resserrer sa zone d’activité. La recherche se trouvait, en quelque sorte, dans une impasse.

Statue d’apôtre du début du XVe s en albâtre attribuée à l’atelier du Maître de Rimini, Musée de l’hôtel Sandelin, Saint-Omer (Pas-de-Calais). WK, Author provided

Arrivent enfin les analyses isotopiques dont les résultats sont sans appel : toutes les sculptures de l’œuvre du Maître peuvent se ramener à une seule carrière d’albâtre qui se trouve… en Allemagne, plus précisément en Franconie, entre Wurtzbourg et Nuremberg. Or, on sait que cette dernière ville constituait l’un des principaux centres de négoce du Moyen Âge. Un artiste néerlandais aurait-il importé exclusivement un matériau d’une carrière à 600 km de son atelier alors qu’il pouvait avoir recours à l’albâtre anglais qui dominait l’ouest de l’Europe ? Ou s’agissait-il plutôt un sculpteur d’origine ou de culture flamande ou française qui se serait installé là où il trouvait, presque devant sa porte, à la fois son matériau de prédilection et un réseau commercial européen pour diffuser ses œuvres ? C’est plutôt en faveur de cette seconde hypothèse que nous penchons dans notre publication soumise au journal PLoS ONE.

Les truands et la traçabilité, nouvel enjeu mondial

Passionnant ? Peut-être pour les historiens d’art et historiens pour lesquels se redessinent les routes de l’albâtre et le marché de l’art au Moyen Âge, mais en quoi cela nous concernerait-il dans le monde moderne ? Restons pour un moment dans le domaine de l’art. Les faux et les faussaires existent depuis que l’on vend des œuvres d’art, mais la science leur rend la vie de plus en plus compliquée. Nous avons pu nous pencher sur le cas du plus « grand » faussaire anglais du XXe siècle, Shaun Greenhalgh, dont la diversité et la qualité inégalée des faux, tableaux, sculptures assyriennes, égyptiennes ou même de Gauguin, ont pu tromper des grands musées. Ses travaux d’imitation lui ont valu, outre une exposition dédiée au prestigieux Victoria and Albert Museum en 2010, quatre ans de prison ferme. Nous avons eu l’occasion d’examiner ses faux bas-reliefs assyriens et sa fameuse Princesse d’Amarna dans le style d’Akhenaton IV. Et nous avons pu déterminer ses sources d’approvisionnement en albâtre. Nous ne pourrons pas encore vous livrer ici les détails de nos résultats, l’enquête étant, comme on dit, en cours.

Du reste, les enjeux de la provenance des matériaux et l’utilisation du traçage géochimique excèdent de très loin le marché de l’art. L’exploitation et l’exportation en matières premières, minerais de métaux comme le cobalt, le tantale, tungstène, étain, or, les diamants… fait vivre des groupes armés, des communautés de truands dans nombre de pays souvent en proie à des conflits régionaux et à des systèmes politiques défaillants. La communauté internationale a pris conscience de ces chaînes d’approvisionnement clandestins en « diamants de sang » et autres matières précieuses ou stratégiques nourrissant les conflits.

La pression de la société civile a conduit les industries d’exploitation, exportation, affinement et transformation à contrôler les origines et vérifier les chaînes de responsabilité. Comme les routes de commerce passées qui se perdent dans la nuit des temps, ces routes illégales modernes restent dans l’ombre. Tout comme les sources écrites inexistantes ou fragmentaires, de la protohistoire au Moyen Âge, les systèmes de contrôle des transports modernes, basés sur la documentation, peuvent se révéler insuffisants, peuvent se faire contourner ou manipuler. C’est justement là, dans l’étude des réseaux anciens tout comme dans la surveillance des réseaux actuels, que la traçabilité par des méthodes minéralogique, géochimique et isotopique trouve toute sa place.

Ralentissement du commerce post-Brexit : attention aux conclusions hâtives !

02 vendredi Avr 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Vincent VicardEconomiste, CEPII
  2. Pierre CotterlazÉconomiste, CEPII
CEPII

CEPII apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
En janvier 2021, les exportations britanniques vers l’Union européenne ont reculé de 41 %, et les importations de 29 %. Shutterstock

Les statistiques du commerce britannique publiées le 12 mars par l’Office for National Statistics (ONS) révèlent une forte baisse des échanges en janvier 2021 : les exportations ont chuté de 19 % par rapport à décembre, tandis que les importations se contractaient de 22 %. La baisse est particulièrement marquée pour les échanges avec l’Union européenne (UE), avec un recul de 41 % des exportations britanniques, les plaçant plus bas que le niveau atteint pendant le confinement d’avril 2020, et de 29 % des importations (graphique 1).

Graphique 1 : exportations et importations du Royaume-Uni avec l’Union européenne entre janvier 2020 et janvier 2021 (source : ONS, données ajustées des variations saisonnières). Auteur (D.R)

Le commerce avec le reste du monde se porte relativement mieux : modeste augmentation des exportations (1,7 %), et baisse de 13 % des importations. Dans quelle mesure ces évolutions traduisent-elles les effets attendus du Brexit sur le commerce britannique ?

L’obstacle des barrières non tarifaires

Depuis le 1er janvier, les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE sont régies par le Trade and Cooperation Agreement (Accord de commerce et de coopération). Bien que cet accord prévoie l’absence de droits de douane et de quotas, il ne garantit pas la liberté de mouvement des biens qu’assurait l’appartenance au marché unique. Les exportateurs et les importateurs doivent dorénavant remplir un certain nombre de formalités douanières ou prouver la conformité de leurs produits aux normes du pays de destination, renchérissant d’autant les coûts du commerce entre le Royaume-Uni et l’UE.

À titre d’illustration, un exportateur britannique doit aujourd’hui s’enregistrer pour obtenir un numéro d’enregistrement et d’identification des opérateurs économiques (EORI), s’informer sur les éventuelles restrictions aux importations de certains biens par l’UE, établir l’origine des biens – seuls les produits justifiant d’un contenu local suffisant bénéficient de l’exemption de droits de douane –, déclarer ses exportations aux douanes, produire les licences et certificats montrant que le produit satisfait aux règles en vigueur dans l’UE, etc.

Ces barrières non tarifaires représentent bien les principaux obstacles aux échanges dans le commerce international moderne, au-delà de droits de douane aujourd’hui relativement faibles pour la plupart des produits dans les pays riches. Ces coûts varient grandement selon les secteurs (ils sont particulièrement notables dans les secteurs agricole et agroalimentaire) et touchent particulièrement les petites entreprises.

Pour faciliter la transition, le gouvernement britannique a d’ailleurs choisi de ne pas imposer certaines formalités douanières à la frontière aux importations en provenance de l’UE jusqu’en juillet (et envisage de prolonger cette période), contrairement aux pays de l’UE. Ce traitement plus favorable dans un sens que dans l’autre est cohérent avec la moindre baisse des importations britanniques en provenance du continent (-29 %), par rapport aux exportations (-41 %).

Le Royaume-Uni a choisi de ne pas imposer certaines formalités douanières à la frontière aux importations en provenance de l’UE jusqu’en juillet. Shutterstock

On ne saurait cependant attribuer au seul Brexit la totalité de la baisse du commerce avec l’UE observée en janvier 2021. L’incertitude sur l’issue des négociations et l’anticipation de conditions d’échanges plus défavorables en 2021 ont poussé de nombreux acteurs à avancer fin 2020 des échanges initialement prévus début 2021, gonflant ainsi les échanges en novembre et décembre (cf. graphique 1).

Des conditions moins favorables

D’autre part, la situation sanitaire s’est aggravée en janvier dans de nombreux pays européens. Cela a entraîné l’adoption de nouvelles mesures restrictives qui ont réduit la consommation de biens finaux, et par ricochet la demande adressée au Royaume-Uni. Cette chute de la demande européenne a pu contribuer à la contraction plus marquée des exportations vers l’UE que vers le reste du monde. Vouloir évaluer les effets du Brexit à l’aune des données de janvier 2021 conduirait donc certainement à une surestimation de ses effets de court terme.

Cela conduirait également à ignorer une large partie des effets attendus de la sortie du marché unique sur le commerce, qui ne se feront sentir qu’à plus long terme. C’est le cas des décisions de relocalisation qui pourraient intervenir dans les mois et les années à venir : les économies britannique et européenne étaient particulièrement intégrées, de nombreuses chaînes de valeur traversant la Manche, par exemple dans l’automobile ou l’aéronautique.

La perspective de conditions moins favorables pour échanger des produits intermédiaires ou pour servir le marché européen à partir d’usines britanniques pourrait amener certaines entreprises à transférer leurs opérations du Royaume-Uni vers l’UE. Mais l’importance des coûts fixes rend les implantations assez peu sensibles à la conjoncture à court terme.

C’est souvent à l’occasion du lancement de nouveaux projets, et donc à un horizon temporel long, que les entreprises revoient l’organisation de leurs chaînes de valeur ; dans l’industrie automobile par exemple, les choix de localisation de chaînes d’assemblage interviennent principalement lorsqu’un nouveau modèle de voiture est lancé.

Dans l’industrie automobile, les entreprises revoient l’organisation de leurs chaînes de valeur lors du lancement d’un nouveau modèle. Shutterstock

Dans la même veine, un coût encore relativement peu visible du Brexit est la divergence réglementaire qui pourrait en résulter, et qui obligerait les entreprises à adapter leurs lignes de production à plusieurs standards ou normes différents selon les marchés. D’autres barrières non tarifaires pourraient être évoquées et il serait illusoire de vouloir toutes les recenser.

Face à l’ensemble de ces nouvelles barrières, les entreprises vont progressivement réorienter leurs échanges vers de nouveaux marchés en explorant de nouveaux débouchés pour s’adapter à la nouvelle réalité issue du Brexit.

Des effets massifs à long terme

Tableau 1 : Royaume-Uni – Population, produit intérieur brut (PIB) et commerce de biens et services. CEPII

De manière générale, les études montrent que la facilitation des échanges permise par l’appartenance au marché unique est sans commune mesure avec celle associée à une zone de libre-échange comme celle conclue entre le Royaume-Uni et l’UE. Ces résultats impliquent qu’à long terme, le Brexit devrait avoir des effets massifs sur les échanges de biens du Royaume-Uni, et dans une moindre mesure sur les échanges de services qui représentent près de 40 % du commerce britannique (et pour lesquels les données mensuelles de janvier ne sont pas détaillées par pays partenaires).

À titre d’illustration, un de nos récents articles situe la baisse à un horizon long des importations de biens britanniques en provenance de l’UE dans une fourchette d’un tiers à la moitié, selon les hypothèses retenues, dans un scénario où le marché unique pré-Brexit est remplacé par une zone de libre-échange classique entre les États membres.

Cette baisse serait en partie compensée par une hausse du commerce avec le reste du monde. De telles estimations, obtenues sur la base d’une évaluation ex-post des effets de l’intégration européenne, doivent bien sûr être interprétées avec précaution ; elles visent cependant à incorporer l’ensemble des mécanismes qui affecteront le commerce dans les mois et les années à venir.

Bien qu’il soit tentant de mesurer les effets du Brexit à partir des premiers chiffres du commerce dont nous disposons, il convient de rester prudent dans cet exercice : on risque à la fois de surestimer les effets de court terme du Brexit, en omettant le rôle de l’anticipation des agents et des facteurs conjoncturels, et de sous-estimer ses effets de long terme, puisque ceux-ci ne se sont par définition pas encore manifestés.

Transformer l’apprentissage des maths, un défi pour l’école

01 jeudi Avr 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Line Numa-BocageProfesseure des Université Science de l’éducation, Psychologue, CY Cergy Paris Université
  2. Imène Ghedamsi-LecorreProfessor, Université de Tunis El Manar
  3. Thomas LecorreMaitre de conférences, laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université
CY Cergy Paris Université

CY Cergy Paris Université apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
Plus les élèves aiment les mathématiques, meilleures sont leurs performances dans les évaluations; Shutterstock

La France, dernière de la classe en maths ? Publiés en décembre 2020, les derniers résultats de l’enquête TIMSS ont de quoi inquiéter parents et enseignants. En effet, en mathématiques, la France se situe à la dernière place au niveau européen et parmi les tout derniers au niveau de l’OCDE. Comment expliquer une telle contre-performance ?

TIMSS est un programme international d’évaluation des performances des élèves du niveau CM1 et du niveau quatrième en mathématiques et en sciences. La participation de la France à ce programme, qui a lieu tous les 4 ans depuis 1995, est modeste (elle y a participé quatre fois, en 2015 et en 2019 pour les élèves de CM1 ; en 1995 et en 2019 pour les élèves de 4e). L’objectif est de produire une base de données permettant de positionner les choix éducatifs nationaux en mathématiques et en sciences par rapport à des standards établis, afin de favoriser des comparaisons internationales.

Les données statistiques permettent d’identifier au moins trois facteurs essentiels qui conditionnent les performances des élèves : le contenu, l’organisation et la progression des programmes, l’attitude des élèves face aux mathématiques et la formation des enseignants.

L’ensemble du contenu mathématique sur lequel a porté l’évaluation des élèves de quatrième est réparti sur quatre domaines : nombres (30 % de l’évaluation), algèbre (30 %), géométrie (20 %) et analyse de données (20 %). Ces contenus n’ont pas tous été vus par les élèves français : 54 % des élèves de quatrième ont reçu des enseignements relatifs à l’ensemble du contenu ; c’est le cas d’environ 80 % des élèves de CM1 de l’échantillon.

Il ressort de TIMMS France qu’en raisonnement, les élèves de quatrième sont plus performants qu’en application des mathématiques, et restitution des connaissances ; pour les élèves de primaire, c’est l’inverse. Cela dit, les choix de programmes et de leur progression en mathématiques ne peuvent en aucun cas légitimer, à eux seuls, ces faibles performances des élèves.

Les données statistiques de TIMSS montrent également que plus les élèves aiment les mathématiques, meilleures sont leurs performances dans les évaluations. Mais seule la moitié des élèves de CM1 dit aimer vraiment les mathématiques et cette proportion baisse très nettement en quatrième (11 %). Sans grande surprise, ces mêmes données mettent aussi l’accent sur le lien positif entre la valorisation des mathématiques par les élèves et leurs performances. Ceci confirme les données de la psychologie développementale établissant la corrélation entre plaisir d’apprendre et réussite dans les apprentissages.

Enseignants : questions de formation

Pour ce qui est de la formation des enseignants, aussi bien en CM1 qu’en quatrième, plus de 60 % des élèves ont été à la charge d’enseignants qui expriment la nécessité de compléments de formation permettant l’accompagnement individuel des élèves, le développement de leur pensée critique et de leur aptitude à résoudre des problèmes ainsi que l’intégration des outils technologiques dans les diverses phases de l’enseignement.

Le besoin de développement professionnel ressenti par les enseignants engage la responsabilité des décideurs et acteurs éducatifs à mettre en place des dispositifs d’accompagnement à la hauteur des enjeux de la formation des enseignants et de celle de leurs élèves.

Dans une perspective constructiviste, on change lorsqu’on a la possibilité de se rendre compte des contradictions entre ce que l’on veut faire, ce pour quoi on le fait, ce qu’on croit faire et finalement ce que l’on fait. Notre hypothèse est que ce sont ces contradictions perçues par les enseignants qui motivent leur besoin exprimé de formation. Faire vivre à tous les élèves le plaisir de faire des mathématiques est particulièrement emblématique de ce hiatus entre leur volonté et leur réalité.

Il est clair que le classement de la France dans TIMSS est tout à fait saisissant, on a du mal à imaginer la France quasiment au dernier rang des nations en éducation mathématique. Mais cette prise de conscience de ces résultats et du lien avec la formation des enseignants doit être une occasion historique pour changer et transformer ce réel. Il est alors essentiel de mettre en place une stratégie qui soit guidée par l’ambition de donner à chacun, professeur et élève, la véritable possibilité de se former pour pouvoir penser, œuvrer et participer au monde d’aujourd’hui et de demain.

Redonner goût aux maths

Faire aimer les mathématiques et les pratiquer avec plaisir constitue manifestement une piste prometteuse pour ce challenge. Le rapport Villani-Torossian mentionne pour la première fois, abondamment (22 fois) cette dimension des mathématiques. On pourrait espérer que ce virage porte ses fruits. Toutefois, dans ce rapport, pratiquement aucun dispositif pédagogique de classe n’est mis en évidence pour parvenir à traduire concrètement cette recommandation. Et, en dépit de toutes les volontés possibles des enseignants, mettre le plaisir de faire les mathématiques au cœur de l’activité de l’élève n’est pas si naturel.

L’essence des mathématiques comporte intrinsèquement cette dimension du plaisir par la découverte non seulement d’un monde nouveau mais aussi de ses propres capacités à comprendre ce monde. De plus, la plupart des enseignants n’ont pas connu eux-mêmes, dans leur scolarité, de tels dispositifs. L’enjeu est alors celui de les aider à en prendre conscience et à les concevoir. Ceci réclame une collaboration entre chercheurs, inspecteurs et enseignants dans un climat de confiance et de dialogue.

Au-delà de la filière d’origine des enseignants (qui peuvent venir initialement de domaines de formation très variés en ce qui concerne les enseignants des élèves de CM1), il est impératif de donner l’occasion à tous les enseignants de s’arrêter et réfléchir à la transmission des sciences dans un dispositif prévu à cet effet. Cette opportunité peut être saisie dans l’élaboration du mémoire dans la formation de tous enseignants. À cette occasion, l’observation conjointe entre pairs peut alors avoir les effets recherchés.

Cependant, il apparaît que les outils d’observation efficients ne sont pas suffisamment disponibles pour cette collaboration. Le processus de réflexivité nécessite à la fois des outils pour l’observation et des outils pour traduire ces observations en questionnements, c’est-à-dire des compétences de chercheur, avant de pouvoir être inscrit dans une action pertinente. Il s’agit donc de penser une collaboration entre enseignants, chercheurs et inspecteurs dans un partage de compétence efficient pour concevoir ces outils. C’est cela qu’il reste à imaginer et mettre en œuvre.

Plates-formes : l’organisation syndicale, une réponse à la désillusion des chauffeurs Uber

31 mercredi Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

Auteurs

  1. Pauline de BecdelievreMaître de conférence/ enseignant-chercheur, Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay
  2. François GrimaProfesseur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
  3. Lionel Prud’hommeDirecteur, HR Management School, IGS-RH
Université Paris-Est Créteil Val de Marne
Université Paris-Saclay
ENS Cachan
CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information

Un rapport sur la régulation des relations entre travailleurs indépendants et plates-formes numériques a été rendu le 12 mars 2021 à la ministre du Travail. PxHere, CC BY-SA

Le mardi 16 mars, le géant Uber a reconnu un statut de salarié à ses chauffeurs du Royaume-Uni. Cette décision, inédite pour l’entreprise, donne de l’espoir pour les chauffeurs du reste des pays où la société est implantée.

En France, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a missionné fin décembre 2020 trois spécialistes pour réfléchir sur la régulation des relations entre travailleurs indépendants et plates-formes numériques. Leur rapport a été rendu le 12 mars 2021, l’objectif initial étant que l’ordonnance soit déposée au plus tard le 24 avril 2021.

Se questionner sur la représentation syndicale des travailleurs des plates-formes semble nécessaire pour répondre aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer. L’apparition des plates-formes a donné à ces travailleurs un grand espoir qui a rapidement laissé place à une forte désillusion.

Notre analyse, basée sur une recherche auprès de 30 chauffeurs travaillant pour Uber, montre que ces travailleurs ont choisi de collaborer avec les plates-formes pour l’aspect financier et l’autonomie qui était mise en avant par ces dernières.

Désillusion des chauffeurs

Rapidement, la liberté recherchée par le chauffeur est limitée, entrainant une désillusion des chauffeurs. Par exemple, aucune négociation sur les marges prises par la plate-forme Uber n’est possible.

Un interviewé le confirme :

« Quand j’ai signé mon contrat avec la plate-forme, je n’ai pas pu négocier quoi que ce soit ».

Les chauffeurs sont également très contraints par le type de voiture qu’ils doivent acheter. Leurs options en termes de couleur ou d’année de fabrication du véhicule restent limitées. La relation avec le client prive également le chauffeur de son autonomie : les clients peuvent réagir directement auprès de la plate-forme en évaluant le conducteur et la qualité de la prestation sans que cette évaluation soit toujours analysée par la plate-forme. Si cette dernière est trop faible, le chauffeur peut être déconnecté et exclu de la plate-forme sans préavis. Il doit alors recontacter la plate-forme et perd quelques jours de chiffre d’affaires.

Les chauffeurs Uber sont contraints dans le choix de leur voiture, qui doit respecter certains standards. Shutterstock

La désillusion porte aussi sur la marge que prend la plate-forme. Uber a modifié sa marge unilatéralement en 2017 en passant de 20 à 25 %. Les bonus promus sont aussi peu présents sur le long terme et amènent les chauffeurs à rencontrer des difficultés financières importantes pour rembourser leurs prêts.

Enfin, la désillusion reste très forte au niveau social : leur image a été ternie par certains actes de chauffeurs comme des agressions sexuelles, et ce malgré une communication active des plates-formes sur le sujet.

Organiser une représentation syndicale

Face à cette grande désillusion, les chauffeurs ont réagi et mis en place des stratégies différentes. La première consiste à organiser une représentation syndicale de leur activité (six cas). Ne se considérant pas comme des salariés classiques, les chauffeurs ont cherché à créer leur propre structure syndicale et une certaine méfiance envers les syndicats traditionnels a été observée.

Néanmoins, certains collectifs de chauffeurs ont été soutenus par les syndicats classiques comme la CGT ou la CFDT. Leurs revendications portent en grande partie sur leur souhait de conserver leur indépendance, de pouvoir négocier avec les plates-formes et de modifier ainsi le rapport de force.

La stratégie n’est pas de quitter ou de faire disparaître la plate-forme mais de la faire évoluer. Les chauffeurs se montrent particulièrement pro-actifs, notamment car ils font face à des enjeux financiers importants. Plusieurs actions ont été organisées, comme l’intervention auprès de l’ex-ministre des Transports Élisabeth Borne, ou encore des blocages sur le périphérique. Dans certains cas, les revendications ont pu être violentes et aller à l’encontre de la stratégie initiale.

L’illégalité comme mode de survie

La deuxième stratégie consiste à contourner le système en adoptant des comportements déviants (dix cas). Par exemple, les chauffeurs allongent dangereusement leur temps de travail pour compenser la perte de bénéfices qu’ils subissent.

L’un d’entre eux témoigne :

« Je travaille 70 heures par semaine ».

Cet allongement du temps de travail a des conséquences sur la santé des chauffeurs. Les difficultés rencontrées augmentent le stress, qui génère un comportement déviant, qui à son tour augmente encore le stress. Certains partagent leur voiture avec d’autres conducteurs pour réduire leurs coûts d’exploitation.

Enfin, d’autres ne déclarent pas tous leurs revenus aux services fiscaux, ou cumulent leurs revenus avec les indemnités de chômage. Parmi eux, certains vont même jusqu’à anticiper comment réagir s’ils se faisaient prendre à ne pas respecter les règles.

L’allongement du temps de travail augmente la fatigue des chauffeurs Uber. Shutterstock

Ces chauffeurs font le choix de rester dans cette illégalité pour survivre. L’investissement réalisé ayant été trop important, revenir en arrière n’est pas possible. Pour mettre en place ces différentes stratégies, ils s’appuient sur un véritable réseau, et bénéficient des conseils d’autres chauffeurs. Étant régulièrement sur la route, ils communiquent via des groupes Facebook ou sur WhatsApp.

Quitter son emploi

La troisième stratégie identifiée est de quitter cette activité professionnelle difficile, en espérant la reprendre lorsque les conditions seront meilleures. Pour certains, reprendre un emploi salarié semble la solution tandis que d’autres optent pour la création d’une entreprise.

Analyser la représentation syndicale des travailleurs des plates-formes sans prendre en compte les difficultés qu’ils peuvent rencontrer ne permet d’aborder qu’une partie du problème. La prise en compte des comportements déviants et des choix de réorientation doivent conduire le législateur à engager une véritable réflexion sur les plates-formes. Nous invitons les pouvoirs publics à repenser le rapport de force entre travailleurs et plates-formes. Requalifier les chauffeurs en tant que salariés n’est pas forcément la réponse souhaitée par les chauffeurs. Leur permettre de réaliser une activité rentable et en toute autonomie semble être la solution souhaitée par les chauffeurs.

Au niveau syndical, les organisations doivent poursuivre la prise en compte de ces statuts particuliers et leur souhait d’indépendance, dans un contexte où la crise de la Covid-19 vient complexifier cette activité qu’il convient de préserver.

Violences en bandes : un « trou noir » dans les statistiques

30 mardi Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Thomas SauvadetSociologue, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Université Paris-Est Créteil Val de Marne
CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information

Hommage à un enfant tué à Bondy, en Seine-Saint-Denis le 27 février 2021, à la suite de violences entre jeunes. THOMAS COEX / AFP

À l’instar des « zonards » décrits par Tristana Pimor (2014) ou des « clochards » suivis par Patrick Bruneteaux (2007), les « jeunes des bandes » dans les quartiers pauvres des métropoles, régulièrement cités par les médias lors de faits de violence, portent rarement plainte au commissariat en cas d’agression ou de vol.

Ces jeunes, selon nos définitions, se constituent d’adolescents et de jeunes adultes qui représentent environ 10 % de la jeunesse masculine (moins de 30 ans) de leur quartier.

Les violences verbales, comme les menaces et les chantages, les violences matérielles comme le vol ou le vandalisme, ou encore les violences physiques se réalisent le plus souvent dans un entre-soi où les témoins, les victimes et les coupables changent régulièrement de rôle et partagent une même défiance à l’égard des policiers et des juges.

Homicides et violences

Laurent Mucchielli observait au sujet des homicides, citant deux spécialistes de la « victimologie » :

« Il est classique en criminologie de s’interroger sur les relations entre agresseurs et agressés (Fattah, 1971). Le premier constat qui en est toujours ressorti est celui de l’importance des cas dans lesquels la victime connaissait son agresseur. La proportion varie des deux tiers aux quatre cinquièmes selon les pays et les époques. […] Les bagarres entre jeunes hommes dans les quartiers pauvres tiennent ici une place centrale en [dehors des homicides conjugaux ou familiaux]. Et c’est sans doute dans ce cadre que les travaux soulignant la part prise par le comportement de la victime dans l’homicide sont les plus décisifs. Von Hentig et Wolfgang (1958) avaient beaucoup insisté sur les provocations de la victime et avaient suggéré que, dans de nombreux cas de ce type, la répartition des rôles entre l’auteur et la victime aurait pu s’inverser si les circonstances (notamment le fait d’être armé ou de se servir de son arme le premier) avaient été légèrement différentes. »

Dans ce contexte, seuls les homicides sont enregistrés par les services de l’État, les violences sublétales (qui n’entraînent pas la mort) n’offrant dans la plupart des cas ni témoin ni victime aux services de police.

Rappelons par ailleurs que les différentes formes d’intimidation des témoins susceptibles de transmettre des informations à la police réduisent considérablement les probabilités de condamnation en cas de dépôt de plaintes.

Une population difficile d’accès

Par ailleurs les jeunes socialisés dans ces bandes des quartiers pauvres représentent certainement l’une des populations les plus difficiles d’accès pour les sociologues et criminologues menant des enquêtes quantitatives dites de victimation : leur seuil de tolérance à la violence transforme des violences agies ou subies en jeu ou en leçon ; leur culture de la clandestinité en lien avec leur carrière délinquante les a par ailleurs habitués à dissimuler leurs violences ; leur culture anti-institutionnelle et leur anti-intellectualisme, système de défense typique des jeunes hommes des classes populaires qui trouve son emphase avec les jeunes des bandes, tout comme leurs difficultés de lecture et d’écriture compliquent toutes formes d’enquête par questionnaire.

Autrement dit nous sommes ici devant « un véritable trou noir statistique » alors même que ces jeunes sont surreprésentés aussi bien chez les victimes que chez les auteurs de délits et de crimes.

Comment expliquer cette absence de dépôt de plainte en cas de vol ou d’agression ?

Identifier les motivations au silence

Les raisons s’avèrent beaucoup plus nombreuses que les quelques pistes qu’on imagine à première vue. Depuis près de vingt-cinq ans, je mène mes travaux de sociologue par l’ethnographie ou accompagnant des équipes de prévention spécialisée en « travail de rue ».

Des ouvriers nettoient et réparent l’école primaire Langevin après des violences à Gennevilliers entre jeunes et police, près de Paris en avril 2020. Christophe Archambault/AFP

Ce travail s’effectue avec des éducateurs de la prévention spécialisée et consiste en une déambulation dans l’espace public, à la recherche de jeunes « en rupture » (familiale et institutionnelle) afin de réaliser une prise de contact, de nouer un lien (en suggérant et organisant des loisirs par exemple), de proposer un parcours de réinsertion sociale et, avant cela, si besoin, d’entreprendre une action de prévention (prévention des conduites à risques comme la consommation de drogues).

Depuis le milieu des années 2000, j’accompagne ces professionnels dans des quartiers de la Politique de la ville, ce qui m’a permis d’identifier une douzaine de motivations nourrissant le silence qui entoure les violences et autorise, d’une certaine façon leur engrenage, leur continuité et leur escalade.

L’honneur et les valeurs « masculines »

Les logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation familiale ou amicale jouent un rôle clef comme le relève l’anthropologue Julian Pitt-Rivers dans le bassin méditerranéen :

« En confisquant l’usage de la force, l’étatisation tue une forme de civilisation de l’honneur : entre l’honneur et la légalité, l’antinomie est fondamentale et persiste jusqu’à nos jours. »

Ainsi un jeune homme rencontré raconte* :

« On m’a toujours dit de me battre comme un homme, même ma mère. Quand j’étais gamin, ma mère me disait : “Tu ne vas pas pleurnicher comme ta sœur !” Une fois, j’ai parlé à mon père, à propos d’un gars qui m’avait volé mon vélo. Il m’a dit : “Tu le retrouves, tu le tapes et tu reprends ton vélo.” Il voulait que je ramène le vélo le lendemain, sinon, ben, pour lui, c’était la honte pour toute la famille. C’est comme si je le déshonorais, comme si je n’étais plus son fils. » (23 ans)

À cette problématique de l’honneur vient s’ajouter la revendication des logiques traditionnelles de la domination masculine :

« Moi je suis un bonhomme, pas une meuf, pas un petit pédé. Je n’ai besoin de personne. Je règle mes comptes tout seul. » (16 ans)

L’adolescent pris dans le monde des adultes

L’entre-soi adolescent et ses secrets se confrontent aussi au monde des adultes :

« Quand j’étais jeune, tous les adultes, pour moi, ben c’étaient des poucaves [argot : une personne qui donne des informations à la police ou à toute autre forme institutionnelle de contrôle, ndlr] Il ne fallait jamais rien dire à un adulte. Les adultes ne comprenaient rien. Si j’étais en embrouille avec quelqu’un, y’avait que mes potes qui étaient au courant. Nos histoires à nous, ben ça restait entre nous. On n’était plus des gamins. » (25 ans)

Or ce monde adulte parait lointain, isolé et souvent impuissant :

« Et puis mon daron, il a déjà assez de problèmes comme ça. Il est fatigué. Il est seul dans sa tête avec ses problèmes. Il va faire quoi ? S’embrouiller avec des lascars ? Non, c’est à moi de gérer ça. C’est comme les profs : tu parles à un prof, il dispute le mec qui te casse les couilles mais lui, il s’en bat les couilles, lui, il t’attend à la sortie, et là, le prof ne sera pas là. Donc ça ne sert à rien. Tu comprends vite que ça sert à rien, ça ne fait qu’aggraver le problème, c’est tout ce que ça fait. » (19 ans)

https://www.youtube.com/embed/d0aLlrEEH4c?wmode=transparent&start=0« La rue, ça fait mal », Kery James.

Le sentiment d’abandon

La défiance envers les institutions républicaines voire envers « la France » justifie un rejet du système, même quand ce dernier pourrait apporter une aide ou un suivi.

« Le système n’est pas fait pour nous. Il protège les Blancs, les riches. Nous, notre parole ne vaut rien. On est coupable à la naissance. » (22 ans)

Un sentiment d’autant plus fort que les jeunes concernés ignorent les autres abandons de la nation : de la paysannerie aux petits commerçants en passant par la souveraineté monétaire, les grandes entreprises d’État et les fleurons industriels…

C’est cette même défiance qui nourrit les contentieux personnels avec des policiers et des juges :

« Tu me vois au commissariat pour déposer une plainte ? Les flics, ils rigolent, c’est sûr ! Ils me diront que je n’ai que ce que je mérite. Depuis le temps qu’ils me courent après, ils ont la haine contre moi. » (18 ans)

L’illégalité des activités

Les jeunes rencontrés sont souvent pris dans des activités illicites ou illégales, ou à la frontière. Vols, menus larcins, trafics rendent leur acquisition de biens personnels compliquée à défendre auprès des autorités compétentes :

« Pourquoi je n’ai pas déposé plainte après le vol du scooter ? Ben le scooter n’était pas à moi. Je l’avais emprunté à un gars qui, lui, l’avait troqué avec un gars qui… Comment dire ? Ben, il l’avait volé, voilà. C’était un scooter volé à l’origine, donc… » (19 ans)

Or, même avec un scooter en règle, la peur des représailles impose le silence :

« Dans le quartier, le mec qui poucave, ben la police n’a pas les moyens de le protéger. Y’a trop de failles. Le mec, il dépose plainte, mais il n’y aura pas de policiers pour le protéger quand il rentrera chez lui. Il faut qu’il déménage, lui et toute sa famille. Ici, c’est grave de porter plainte. » (18 ans)

Dans ce contexte où le système « officiel » est rejeté, craint ou fuit, ne reste que le recours à « la justice » de l’entre-soi.

Le tribunal de la table de ping-pong

On parlera cependant le plus souvent de « médiation » et on réservera le mot « justice » à certaines situations dans lesquelles on constate une autorité, plus ou moins légitime voire impartiale qui se réfère à des valeurs morales, juge des conflits et impose ses décisions par la contrainte ou la persuasion.

J’ai notamment décrit cette autorité « judicaire » dans « Le tribunal de la table de ping-pong » dans mon roman Pirate du Bitume inspiré de mes enquêtes sociologiques.

« Il avait encore tapé mon petit frère. Moi, je voulais le défoncer, mais comme le gars, c’est le petit frère d’une grosse famille du quartier, ben j’ai temporisé. J’ai appelé ses grands frères et j’ai expliqué la situation, comme quoi il s’en prenait à mon petit frère sans raison. Là, y’a eu des débats. D’autres “grands du quartier” sont arrivés. Ils étaient neutres, donc ils ont joué les arbitres. En fin de compte, ils m’ont tous donné raison. Après ça, ses grands frères ont juré qu’ils allaient s’occuper de son cas. Ils lui ont fait la misère. Du coup, le mec qui tapait mon petit frère, ben il s’est calmé grave. On règle nos affaires entre nous. C’est plus rapide et plus efficace qu’un dépôt de plainte. En une heure, le problème est réglé. » (19 ans)

Des habitants de la cité des Iris, dans les quartiers nord de Marseille, où un passage à tabac sur fond de trafic de cannabis a coûté la vie à un jeune Comorien en février 2008. Anne-Christine Poujoulat/AFP

Les « grands frères » ou plus simplement « les grand(s) », est un terme utilisé par les jeunes des bandes et les travailleurs sociaux. Cette dénomination passe-partout nomme des personnes qui ne sont pas toujours nommables – parce qu’ils sont souvent des « caïds » ayant un rôle dans l’organisation des trafics, des vols, de l’usage de la violence – mais qui le deviennent grâce à la positivité du mot (« grands ») ou de l’expression (« grands du quartier »).

Des « grands » valorisés

Grand : qui n’aimerait pas être ainsi désigné ? Dans la rue, un « grand » correspond à un jeune homme d’une vingtaine voire d’une trentaine d’années dont la socialisation juvénile n’en finit plus. Il occupe la plus haute place dans la hiérarchie des bandes : soit en tant que sportif accompli (l’entraîneur de la salle de boxe ou de musculation et ses amis…), soit en tant qu’acteur du milieu politico-associatif local (le président de l’association des « jeunes du quartier » et ses amis…), ou encore, le plus souvent, en tant que voyou aguerri (le grossiste de cannabis, ses principaux associés et leurs amis…).

Les « grands » en cours de clochardisation (autres jeunes adultes encore engagés dans les bandes du quartier) ne sont pas considérés comme des « vrais grands ». Ils sont purement et simplement ignorés, méprisés.

Les « vrais grands », on en compte généralement une dizaine ou une trentaine par quartier. On les trouve le plus souvent dans le café le plus proche, parfois devenu la propriété de l’un d’entre eux.

Les jeunes engagés dans les bandes évoluent dans un microcosme (le réseau des bandes du quartier) quasi exclusivement masculin. Les mères, les tantes, les sœurs et les cousines doivent être maintenues à distance et, autant que possible, ne rien savoir des fréquentations et des activités de leurs fils, frères, cousins ou neveux.

Pour les relations de flirt, les jeunes des bandes et plus largement les jeunes des quartiers étudiés dans leur ensemble, s’éloignent des réseaux d’interconnaissances locales. Seules quelques filles intègrent le milieu masculin des bandes du quartier. Elles imitent les codes et les comportements des garçons.https://www.youtube.com/embed/1f7EGBPIxtE?wmode=transparent&start=0Bande annonce du film « Bande de filles » de Céline Sciamma (2014).

Distances et ruptures institutionnelles

Rares sont ainsi les dépôts de plainte, les entrevues avec des services sociaux ou administratifs. Les lenteurs et les complexités administratives du recours judiciaire rendent le processus quasi inexistant :

« Déposer plainte, t’es malade, c’est un truc de ouf ! Si tu portes plainte à chaque embrouille, tu passes ta vie au tribunal à remplir des paperasses. Je n’ai pas que ça à faire » (23 ans).

Seule exception, les cas donnant lieu à des dommages et intérêts dont les jeunes ne mesurent pas toujours l’ampleur :

« C’est vrai que, quand j’ai appris que l’autre avait touché 30 000 euros pour son œil crevé, ben je me suis dit : “Merde ! Moi aussi j’aurais pu prendre des sous si j’avais déposé plainte après mon traumatisme crânien”. » (17 ans, victime d’un guet-apens à la sortie du local des éducateurs)

Il existe par ailleurs des collaborations cachées avec les services de police : pour échapper à la prison ou éliminer la concurrence.

Un usage illégal de la violence comme routine

Les jeunes des bandes ne sont pas forcément concernés par l’ensemble des raisons évoquées. Certains n’ont, par exemple, pas connu les logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation familiale, d’autres n’ont jamais bénéficié de « la justice de l’entre-soi » du fait de leur position marginale dans la hiérarchie des bandes, voire de leur réputation de souffre-douleur.

Tous sont par contre soumis aux logiques traditionnelles de l’honneur masculin imposées par la socialisation amicale. Tous évoluent également dans un entre-soi où la protection étatique la plus élémentaire, à savoir la monopolisation wébérienne de la violence physique légitime par l’État, et plus globalement la protection des adultes, s’avèrent défaillantes ou complaisantes à l’égard de l’usage illégal de la violence.

Dans ce contexte le « capital guerrier » s’impose comme le capital le plus rentable à court et moyen terme, malgré des risques évidents de faillite (blessures, handicaps, folie…).

Pour lutter contre cette « loi du silence » que les bandes s’imposent et imposent aux habitants des quartiers pauvres, les institutions policière et judiciaire ont besoin d’informations donc d’informateurs.

La protection des témoins et victimes, avant et après le procès, représente une condition sine qua non pour gagner leur confiance. Lorsqu’on sait que l’identité et les coordonnées d’un témoin décisif figuraient dans le dossier d’instruction contre un terroriste du 13 novembre 2015, on mesure le chemin escarpé qui nous attend.

Goya, précurseur du photojournalisme ?

28 dimanche Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Maria Santos-SainzMaître de conférences, Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux Montaigne
Région Nouvelle-Aquitaine
CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
R

« Estragos de la guerra » (les ravages de la guerre), 1810-1814, détail. Caprices N° 30. Wikipédia, CC BY

Le 30 mars marquera le 275e anniversaire de la naissance du grand peintre Francisco de Goya y Lucientes, né dans le petit village de Fuendetodos en Aragon et mort à Bordeaux le 16 avril 1828 : l’occasion de rendre hommage à cet artiste qui a vécu en France les quatre dernières années de sa vie.

Exilé volontaire, Goya quitte Madrid en 1824 afin de fuir le retour de l’absolutisme de Ferdinand VII. Quand il arrive à Bordeaux, âgé de 78 ans et complètement sourd, il dessine un autoportrait métaphorique intitulé « Aun aprendo » (J’apprends encore) où il dévoile son état d’esprit. Les années bordelaises correspondent à une période riche et paisible pour le peintre, pleine de créativité et d’envies d’expérimenter de nouvelles techniques de lithographie. Une étape où se consolident la liberté créative et l’autonomie de l’artiste, centré sur ses envies et préoccupations personnelles, loin des commandes de la cour d’Espagne.

Aun aprendo, autoportrait métaphasique de l’artiste qui dévoile son état d’esprit quand il arrive en France. Wikimedia

Un regard de reporter

Goya est un grand artiste qui a touché à toutes les thématiques picturales, mais qui avait le regard perçant d’un reporter et savait observer, raconter la société et les événements de son temps. Ses dessins peuvent être considérés comme des dessins de presse : avec les Désastres de la guerre, il invente le reportage graphique et participe à la naissance d’un journalisme visuel. Ces dessins constituent un précédent dans le genre des grands reportages photographiques de guerre. Par exemple, le dessin de la série intitulé Estragos de la guerra figure comme la première scène d’un bombardement sur une population civile. Goya, en précurseur du photojournalisme, nous laisse un fonds iconographique qui anticipe toute la barbarie des guerres à venir.

L’artiste s’inspire de la réalité qu’il perçoit avec ses cinq sens, qualité fondamentale de tout bon reporter comme le disait le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski. L’art réaliste que présente Goya avec la réalisation des « Désastres de la guerre » ou « Les fusillades du 3 mai » nécessite une excellente préparation, tout comme un bon reportage, selon Kapuscinski : « lectures préparatoires, enquête de terrain et réflexion a posteriori. »

Le travail du reporter – comme celui du peintre – exige l’art du discernement, comme l’indique l’agencier polonais :

« Je dois avoir l’œil. Il s’agit d’une réelle compétence : savoir sélectionner. Autour de soi, on voit des centaines d’images, mais on sait qu’elles sont inutiles, il faut se concentrer sur ce qu’on a l’intention de montrer. L’image au bon endroit. »

Goya le fait notamment avec « Les fusillades du 3 mai », traduisant une pensée photographique qui résume le long récit de la guerre en un cadrage magistral. Un tableau qui se rapproche de la célèbre photo de Robert Capa « Mort d’un milicien », publiée dans la revue Life en 1937.

Le reportage « historiographique » qui se réclame de Kapuscinski se rapproche de la peinture par sa dimension visuelle, avec la description des scènes, des images, des détails qui construisent la narration. Avec son regard indépendant, Goya dénonce les atrocités dans les deux camps, comme le ferait un reporter impartial. Le goût de Goya pour le reportage graphique sous forme de dessins se manifeste encore à Bordeaux dans son singulier « Traité sur la violence ». Goya y montre des hommes enchaînés et des mises à mort, par exemple dans sa série consacrée à la guillotine. Sur le dessin 161 de l’Album bordelais G, intitulé

« Le chien volant », on voit un chien agressif qui survole une ville comme une machine à tuer.

Le chien volant. Wikimedia

Le chien assassin tient sur son dos un livre blanc avec les noms supposés des promoteurs de cette chasse à l’homme orchestrée. C’est là une allégorie de la violence d’un État répressif. Vision fantastique, certes, mais qui l’est moins aujourd’hui, avec l’invention des robots meurtriers. Le chien évoque aussi la vidéosurveillance, mais aussi les drones qui nous surveillent 24h/24. Visionnaire, Goya explore en toute liberté un éventail de menaces qui sont devenues des réalités de nos sociétés contemporaines, et anticipe des phénomènes omniprésents dans l’actualité du XXIe siècle.

L’obsession de l’actualité

À Bordeaux, il se fait le chroniqueur de la ville. À la fin de sa vie, il peint pour lui, par plaisir, pour dénoncer, sans contraintes ni autocensure. Il se libère et s’éloigne du politiquement correct. Ce changement avait déjà été amorcé avec la publication de la série des « Caprices ». Ses récits ressemblent aux bandes dessinées documentaires d’aujourd’hui. En allant plus loin, dans une transposition temporelle anachronique, on aurait pu imaginer Goya publier ses dessins pour Charlie Hebdo. Il met ses dessins au service d’une histoire qui frappe fort, à travers des récits par épisodes et toujours une brève légende, dans une approche très journalistique.

Les songes de la raison produisent de monstres. Wikimedia

L’ironie, la satire, le sarcasme, le grotesque, sont les ressources que Goya utilise pour renforcer sa narration visuelle. Ses obsessions, ses peurs, ses monstres sont aussi les nôtres. On dirait qu’ils émanent de notre époque. Il dénonce l’obscurantisme de son temps, immortalisé par le fameux dessin « Les songes de la raison produisent de monstres ».

Ses Albums G et H, réalisés à Bordeaux, nous montrent un Goya intéressé par le versant populaire de la ville. Il est attentif aux invisibles, aux oubliés. Goya, après avoir été au service de ceux qui font l’histoire comme peintre de la cour et des puissants finit par défendre la cause de « ceux qui subissent l’Histoire », comme l’affirmait Albert Camus en référence à la mission de l’art et au rôle de l’écrivain dans son célèbre discours de réception du prix Nobel de Littérature. Il dessine les marginaux, les fous, les pauvres, les prostituées, les précaires, les délaissés de la société. Il dénonce la peine de mort,

les inégalités, les excès de la religion, l’ignorance et la corruption.

Avec ce dessin intitulé Mal Marido, le peintre dénonce les violences machistes.

Au-delà de son héritage artistique, Goya est l’auteur d’une réflexion morale et philosophique sur la conduite humaine qui reste très actuelle. Le peintre est une icône de la modernité par sa défense de la liberté, de la raison, de la justice sociale, de l’égalité. Sa personnalité civique et intellectuelle mérite d’être explorée plus en profondeur. L’historien de l’art allemand Fred Licht, spécialiste de Goya, écrit en 1979 avec raison :

« Quiconque a vu, ne serait-ce que superficiellement, les journaux du dernier demi-siècle a constaté que Goya avait illustré il y a plus de 150 ans les nouvelles les plus significatives. »

Si ses images nous touchent aujourd’hui, c’est parce que nous y trouvons l’écho, et même l’explication, d’événements récents, très postérieurs à la mort du peintre.

Interprète de l’angoisse

De toutes ses forces, Goya a essayé de comprendre les comportements, les attitudes, les gestes humains face à l’histoire et de les représenter de la manière la plus véridique, la plus factuelle, en véritable reporter aux prises avec les faits. La vérité qu’il recherche est celle des passions, de l’amour, de la violence, de la guerre, de la folie, des injustices. On a l’impression que ces dessins ont été conçus pour illustrer les maux de notre époque. André Malraux, dans son ouvrage Saturne, Essai sur Goya (1950), le comme « le plus grand interprète de l’angoisse qu’ait connu l’Occident. Lorsqu’un génie trouve le chant profond du Mal… » Goya nous dévoile la part invisible du monde.

Comme le dit Susan Sontag dans son essai « Face à la douleur des autres » : « Les images de Goya amènent le spectateur près de l’horreur. » Tantôt l’artiste s’inspire des faits divers lus dans la presse, tantôt c’est le témoignage direct qui l’inspire, comme un véritable reporter de terrain. Mais c’est toujours la quête de la vérité qui détermine ses sources d’inspiration : il s’agit de témoigner, d’alerter, de dénoncer, de prévenir.

L’œuvre de Goya contient en germe le tourment révolutionnaire de l’art moderne. Dans sa conception de l’art, le peuple joue un rôle central : il incarne le peuple dans l’histoire. Il représente comme personne ne l’avait fait auparavant l’entrée en scène du fanatisme des idées, de la foule, de la masse en action, autrement dit l’avènement du populisme. Son parti pris est celui d’un éditorialiste qui écrit avec des images et pointe du doigt les dysfonctionnements de la société avec ses légendes. Le réalisateur espagnol Luis Buñuel disait à propos de Goya : « Le Peintre doit lire le monde pour les autres, pour ceux qui ne savent pas lire le monde… ».

La laitière de Bordeaux, ouvre les portes à la modernité. Wikimedia

Le séjour de Francisco de Goya à Bordeaux lui permettra de reconquérir la joie de vivre. Son testament, comme un symbole d’espoir, nous pouvons le trouver dans sa dernière œuvre qui montre une scène de la vie quotidienne : une jeune travailleuse modeste, délicate et rêveuse. Un tableau aux accents impressionnistes qui préfigure une nouvelle ère dans l’art pictural.

L’authenticité, une clé pour renforcer la perception éthique des marques de luxe

27 samedi Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

Auteurs

  1. Elodie GentinaAssociate professor, marketing, IÉSEG School of Management
  2. Gwarlann De KervilerAssociate Professor – Head of Marketing & Sales Department, IÉSEG School of Management
  3. Nico HeuvinckAssistant Professor in Marketing & Academic Director of the MSc in Digital Marketing & CRM, IÉSEG School of Management
IESEG School of Management

IESEG School of Management apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
Les clients des marques de luxe associent amour du travail bien fait et éthique. Jean-François Monier / AFP

Pointé du doigt notamment pour la pollution qu’il génère, le secteur du luxe est aujourd’hui appelé à se réinventer et à innover. Une étude Ipsos publiée fin 2020 le confirme : les consommateurs souhaitent désormais qu’aspiration au luxe et éthique se rejoignent.

On voit ainsi des marques de luxe qui se tournent même vers des solutions circulaires – système économique qui visent à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources – telle que Gucci Circular Lines, une entité dédiée à pousser en avant la production circulaire qui présentait sa première collection mi-2020.

Le groupe de luxe Hermès avait de son côté introduit en 2019 des critères de responsabilité sociale et environnementale pour 10 % de la rémunération variable de son dirigeant. Les grands noms du luxe, comme LVMH, Stella McCartney, ou encore Guerlain ont également pris des initiatives plus responsables. D’un luxe ostentatoire à un luxe éthique, le secteur est en pleine métamorphose pour démontrer le souci d’avoir un impact positif sur la société.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=ElodieGentina&dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1277931475686612997&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Flauthenticite-une-cle-pour-renforcer-la-perception-ethique-des-marques-de-luxe-157790&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=e1ffbdb%3A1614796141937&width=550px

La recherche que nous avons menée ouvre aux acteurs du luxe une nouvelle piste originale pour aller plus loin dans la mise en lumière de leur capacité à avoir une démarche éthique. Une voie encore inexplorée consisterait à promouvoir l’authenticité des marques de luxe.

Cohérence avec les valeurs

En effet, notre étude, publiée dans Journal of Business Ethics et menée sur diverses catégories de produits de luxe (mobilier design haut de gamme ou parfums), souligne le fait que plus une marque est perçue comme authentique, plus les clients la reconnaissent comme éthique. Pour expliquer cet effet, nous nous appuyons sur des questionnaires transmis auprès de plus de 1 800 consommateurs en France et aux États-Unis.

Notre recherche analyse les deux facettes de l’authenticité mobilisées par les marques : indexicale et iconique. L’authenticité indexicale désigne la « version originale » qui possède un lien spatio-temporel avec la réalité. L’authenticité iconique désigne une reproduction fidèle à l’original.

Par exemple, une pièce d’argent représentant Jules César et vendue dans un musée est considérée comme ayant une authenticité iconique car elle a les caractéristiques de la pièce antique ; la pièce originale, qui n’existe sans doute plus, a une authenticité indexicale.

Nous démontrons que, lorsque les répondants perçoivent la marque comme réellement authentique, ils la voient alors comme plus éthique. L’authenticité de la marque est la perception que celle-ci agit selon son vrai soi et de façon cohérente avec ses valeurs. Cela est encore plus vrai dans le cas d’une authenticité indexicale.

Preuves d’amour

Pourquoi le fait de proposer une version originale permet-elle à une marque d’être perçue comme particulièrement éthique ? Parce que la version originale est perçue comme exigeant beaucoup d’efforts et d’amour. En effet, être authentique en faisant les choses avec effort et amour, c’est le signe d’une réelle éthique pour les consommateurs.

Au-delà des grands discours, les marques de luxe ont donc tout intérêt à mettre du cœur à l’ouvrage pour démontrer leur dimension éthique. Par exemple, mettre en avant des signes d’amour en montrant le personnel passionné par la marque devant les clients ou encore mettre en avant des signes d’effort en indiquant le nombre d’heures réalisées pour concevoir le produit.

Certains acteurs ont déjà compris avec succès l’importance de donner des preuves de l’âme d’une marque, qui saura émouvoir les consommateurs. Par exemple, lors de son festival des métiers, la maison française Hermès expose depuis quelques années ses artisans passionnés pour des démonstrations sur la méthode de travail et le processus artisanal.https://www.youtube.com/embed/Wkq60I_er90?wmode=transparent&start=0« La Maison Hermès expose le savoir-faire de ses artisans » (France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, 2018.

Hermès met en scène des artisans amoureux de leur art, qui impriment dans chaque objet l’empreinte de leur âme et reflètent une temporalité particulière, une durée. Par ailleurs, le grand magasin Harrods à Londres avait lancé dès 2014 un évènement « Made with Love » (fabriqué avec amour) pour mettre en avant le savoir-faire unique de ses fournisseurs.

Ces résultats démontrent que les marques de luxe ont une carte à jouer en mettant en avant la passion qui les anime et en ne ménageant pas leur peine pour proposer des produits toujours plus extraordinaires. En démontrant une vraie authenticité, les marques de luxe seront porteuses de sens et pourront enfin être pleinement associées à une dimension éthique.

Gestion de l’eau : les limites des démarches participatives en matière d’environnement

26 vendredi Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Lucie BaudoinPost-doctorante en sciences de gestion, Montpellier Business School – UGEI

Lucie Baudoin a reçu des financements de la Généralité de Catalogne et du Fond social européen au cours de ces recherches (bourse FI-AGAUR 2018 FI_B 00258, 2019 FI_B1 00166 et 2020 FI_B2 00127).

Montpellier Business School
Union des Grandes Ecoles Indépendantes (UGEI)

Montpellier Business School et Union des Grandes Ecoles Indépendantes (UGEI) fournissent des financements en tant que membres adhérents de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
Le 11 octobre 2020, manifestation dans le marais poitevin contre le stockage d’eau par les agriculteurs. Philippe LOPEZ / AFP
  •  Adresse électronique
  •  Twitter1
  •  Facebook
  •  Linkedin
  •  Imprimer

Face aux défis environnementaux, les décisions prises de manière unilatérale et centralisée ont montré leurs limites. Il est désormais admis que les parties prenantes – acteurs économiques, associations, collectivités locales – doivent être incluses dans une démarche participative et concertée. En France, la Commission nationale du débat public (CNDP), créée en 1995, est notamment en charge de s’assurer de la participation du public à l’élaboration de grands projets d’aménagement du territoire (les projets de parcs éoliens en mer, par exemple).

On attend des processus participatifs qu’ils aident à résoudre les problèmes environnementaux principalement via deux mécanismes : d’une part, par le partage d’expériences de chaque acteur, qui apporte des informations utiles pour formuler de meilleures décisions à terme. Ensuite, en permettant aux décisions prises d’être plus adaptées aux réalités du terrain, donc plus suivies et plus légitimes aux yeux des populations locales. Les fortes contestations contre le barrage de Sivens, ou l’aéroport de Notre-Dame des Landes ont porté d’ailleurs entre autres sur la qualité des rapports réalisés pour l’élaboration des projets, et sur la légitimité des décisions prises.

Néanmoins, intégrer la participation citoyenne à ces décisions n’est pas chose facile. En s’attaquant à des sujets complexes qui portent en eux une dimension sociale, comme le changement climatique, la préservation des écosystèmes ou la gestion des ressources en eau, la gouvernance environnementale est toujours confrontée à une diversité de perceptions.

En outre, ces enjeux affectent et sont affectés par une grande diversité d’acteurs. C’est le cas des bassines dans l’Ouest de la France, où des agriculteurs voient ces aménagements de stockage de l’eau comme une manière de s’adapter au changement climatique, et les associations de défense de l’environnement comme une menace supplémentaire pour un cycle de l’eau déjà malmené. Dans ces cas, les désaccords sont souvent profonds et perdurent des années en « conflits insolubles ».

Une efficacité qui n’est pas établie

Il serait dangereux et erroné de croire que la mise en place de processus de participation serait une recette magique pour réussir la transition écologique. Plus de vingt ans après la Convention d’Aarhus (2001) visant l’émergence d’une « démocratie environnementale », la littérature académique n’a pas prouvé empiriquement que les processus de participation ou de concertation garantissent toujours l’amélioration ou la préservation de conditions environnementales, telle que la qualité des eaux ou la pollution de l’air.

Tout d’abord, il s’agit d’un sujet très complexe à étudier dans le cadre d’une démarche scientifique systématique, et en l’état, il n’y a pas un consensus académique établi et éprouvé sur l’efficacité environnementale de la participation. À la question, « est-ce qu’inclure tout le monde résoudra les problèmes environnementaux ? », la réponse est « on ne sait pas trop, cela dépendra sans doute du problème et de la forme que prendra la participation ».

Un long chemin est encore nécessaire pour comprendre les conditions dans lesquelles la participation de l’ensemble des acteurs est efficace pour atteindre les objectifs environnementaux.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?creatorScreenName=lucie_baudoin&dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1354235035403112454&lang=en&origin=https%3A%2F%2Ftheconversation.com%2Fgestion-de-leau-les-limites-des-demarches-participatives-en-matiere-denvironnement-156046&siteScreenName=FR_Conversation&theme=light&widgetsVersion=e1ffbdb%3A1614796141937&width=550px

En effet, certains contre-arguments peuvent être avancés à l’effet positif de la participation sur les indicateurs environnementaux : dans le cas de crises environnementales exigeant une réponse rapide, les processus de participation peuvent être trop longs, et donc retarder la mise en place des mesures nécessaires. Ils peuvent également renforcer les rapports de force existants.

Le risque de renforcer les rapports de force

Dans son ouvrage fondateur de 1990 sur la gouvernance des communs, le prix Nobel d’économie Elinor Ostrom pointe déjà du doigt quelques facteurs pouvant compliquer une gestion collective réussie de ressources communes.

Entre autres, celle-ci est plus facile sur des territoires moins grands, aux frontières clairement définies, incluant des acteurs qui dépendent tous des mêmes ressources sur le long terme, et pouvant communiquer entre eux dans un climat de confiance. Or ces conditions sont loin d’être réunies pour tous les enjeux environnementaux de notre siècle, qu’il s’agisse du changement climatique ou de la gestion de grands bassins hydrographiques.https://www.youtube.com/embed/qrgtbgjMfu0?wmode=transparent&start=0Des communs et des hommes. (Data Gueule/Youtube, 20 juin 2015).

Surtout, participer à la prise de décisions environnementales requiert des acteurs concernés des ressources comme le temps, l’énergie, des connaissances de base sur des sujets qui peuvent se révéler très techniques et surtout, une certaine motivation à participer. Or ces ressources sont inégalement réparties au sein de la population, ce qui peut mener à une surreprésentation de certains acteurs – économiques notamment – dans les délibérations.

C’est en ce sens que les processus de participation peuvent reproduire ou amplifier des déséquilibres de pouvoir préexistants. Ces déséquilibres de représentation dans les assemblées pourraient même à terme se ressentir dans les conditions des milieux naturels.

Le cas de la gouvernance de l’eau

Prenons le cas de l’eau. Dans ce domaine, il y a des décennies que des démarches participatives sont appliquées. Dans les pays de l’Union européenne, La Directive-cadre sur l’eau (DCE) adoptée en 2000 incite les États membres à favoriser la participation de tous dans l’élaboration des plans de gestion des ressources en eau dans les bassins hydrographiques.

Les bassins hydrographiques français. Wikimedia, CC BY-NC-SA

Cette participation peut prendre deux formes : une consultation générale du public sur les orientations prises ; une participation active d’acteurs clefs dans le processus de prise de décisions. Dans les deux cas, on attend du processus qu’il aide à obtenir de meilleurs résultats en matière d’état des milieux aquatiques.

La France avait même largement devancé l’Europe dans cette démarche en mettant en place des comités de bassin, aussi appelés « parlements de l’eau », dès la fin des années 1960. Ces comités de bassin réunissent des représentants des collectivités locales, de l’État, des industriels, des agriculteurs, des associations de protection de la nature, de consommateurs… dans un exercice intense et ambitieux de concertation pour élaborer ensemble une politique de l’eau adaptée aux territoires.https://www.youtube.com/embed/n_RF4mOjKcw?wmode=transparent&start=0L’eau en France : tous concernés ! (France Nature Environnement Centre-Val de Loire/Youtube).

Vingt ans après cette directive, en France comme ailleurs en Europe, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Seuls 40 % des eaux de surface des pays de l’UE sont considérés en bon état écologique selon un rapport de 2018 de l’Agence européenne pour l’environnement ; alors que l’objectif initial était d’atteindre 100 % de masses d’eau en bon état en 2015 – un objectif reporté depuis à 2027.

Certes, l’injonction de participation fixée dans la DCE n’a pas été mise en place de la même manière dans chaque pays membre. Cependant, une étude couvrant l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et l’Espagne montre que les responsables administratifs engagés dans la mise en place des processus participatifs ont eux-mêmes jugé peu efficace la participation active d’acteurs-clefs et totalement inefficaces les consultations du public sur l’amélioration de l’état des milieux aquatiques. Ils pointent notamment la surreprésentation des acteurs agricoles conventionnels et un manque d’intérêt du grand public parmi les principaux obstacles rencontrés.

Dans le cas de la France, les comités de bassin peinent eux aussi à faire face aux enjeux de pollution diffuse des eaux, notamment liée aux activités agricoles. Alors qu’on attend d’un processus participatif qu’il évite les conflits entre usagers, les longues délibérations menées pour l’élaboration du schéma directeur 2016-2021 en Seine-Normandie n’ont pas empêché son annulation après une action en justice engagée par une fédération de syndicats agricoles.

Les consultations du public organisées par les agences de l’eau sont par ailleurs, hélas, largement ignorées, avec de faibles taux de réponse.

Combien de citoyens français savent à quelles instances de bassin ils sont rattachés et connaissent l’existence des comités de bassin censés les représenter et de ces démarches de consultation ?

Pas de recette miracle

Comme nous alertait Elinor Ostrom, il n’y a pas de panacée en matière de gouvernance collective.

Il est naturel que toutes les démarches participatives n’aboutissent pas forcément. Si nous attendons des miracles de la mise en place de processus de participation sur les enjeux environnementaux locaux comme globaux, il est fort probable que nous soyons déçus et même découragés quant à la faisabilité de la transition écologique.

S’il y a une leçon à retenir du cas de la gouvernance de l’eau, c’est qu’il n’y a pas de vraie participation sans sensibilisation et mobilisation de la population au sens large. Sans quoi certains groupes plus motivés ou dotés de plus de ressources risquent de préempter le processus, et réduire à néant les promesses de la participation.

Face à cela, que faire ? Pour commencer, du 1er mars au 1er septembre 2021, la nouvelle édition de consultation du public des agences de l’eau est en cours pour tous les bassins français. Alors, n’hésitez pas à participer et relayer l’information pour que cette démarche puisse porter ses fruits !

La philanthropie des femmes, un phénomène invisibilisé

25 jeudi Mar 2021

Posted by mirmandepatrimoines in Uncategorized

≈ Poster un commentaire

  1. Anne MonierDocteure en sciences sociales, spécialiste de la philanthropie, de la sociologie du transnational, des politiques culturelles, École normale supérieure (ENS) – PSL

Déclaration d’intérêts

Anne Monier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

École Normale Supérieure (ENS)

École Normale Supérieure (ENS) apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.

Voir les partenaires de The Conversation France

CC BY NDNous croyons à la libre circulation de l’information
73e session de l’Assemblée Générale des Nations Unies : Forum des leaders mondiaux du monde des affaires et de la philanthropie sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. New York, septembre 2018. UN Women / Flickr

En décembre 2020, peu avant les vacances de fin d’année, de nombreux articles de presse sont parus sur MacKenzie Scott, ex-femme de Jeff Bezos, évoquant la grande générosité dont elle a fait preuve cette année – le New York Times parle de plus de 6 milliards de dollars de dons.

Pourtant, comme le soulignait sur Twitter Rob Reich, professeur de science politique à l’Université de Stanford et spécialiste de la philanthropie, alors que les dons de Mackenzie Scott ont été cette année quinze fois plus importants que ceux des plus grandes fondations américaines (par exemple la Fondation Ford a distribué 350 millions de dollars en 2020), nous savons peu de choses sur sa philanthropie.

La philanthropie des femmes, qui a toujours été très importante, est longtemps restée invisible. De multiples raisons peuvent expliquer ce paradoxe.

Une philanthropie peu étudiée

Le manque de travaux de recherche sur la philanthropie des femmes contribue à sa méconnaissance et à son invisibilité.

Les travaux les plus nombreux sont ceux des historien·ne·s – dont plusieurs pointent cette « invisibilité » et cet « impensé ». Pourtant, la philanthropie des femmes a une histoire longue, du mécénat des femmes de pouvoir au Moyen-âge et à la Renaissance (Isabeau de Bavière, Catherine de Médicis, et bien d’autres) à la bienfaisance des religieuses aux XVIIe et XVIIIe siècles – « filles de la charité » –, mais aussi les femmes philanthropes du XIXe et du début du XXe siècle.

Ces derniers travaux montrent que le rôle des femmes en philanthropie a toujours été majeur et leur a permis d’être présentes dans la sphère publique, alors qu’elles ont longtemps été cantonnées à la sphère privée et exclues des arènes politiques. Si certaines recherches soulignent le pouvoir émancipateur de ces activités, notamment à une époque où le développement de la philanthropie réformatrice est concomitant de celui des mouvements féministes, d’autres considèrent au contraire que la philanthropie, empreinte de paternalisme, constitue une entrave à l’émancipation des femmes.

Dans la recherche contemporaine, peu de chercheurs se sont intéressés à cette question. Quelques études existent malgré tout. Le Women’s Philanthropy Institute, créé en 1991 au sein de la Lilly Family School of Philanthropy de l’Université d’Indiana aux États-Unis, est le premier institut de recherche sur la philanthropie des femmes. Ayant reçu, en 2015, un don très important de la Fondation Bill & Melinda Gates (2,1 millions), il a développé de nombreuses études sur différentes thématiques (leurs motivations, les causes soutenues, etc.).

Le PhiLab, à l’Université du Québec à Montréal, s’est également intéressé à cette question, à travers la constitution d’une bibliographie et d’une édition spéciale. Des recherches sur la philanthropie des femmes dans différents pays du monde ont aussi été menées, permettant de dépasser la vision occidentalocentrée de la philanthropie, comme les travaux d’Amélie le Renard sur l’Arabie saoudite. De même, un numéro spécial de la revue Voluntas est consacré à ce sujet dans différents pays – de l’Allemagne à la Russie, en passant par l’Inde ou l’Australie.

Une philanthropie structurellement invisibilisée

Au-delà des travaux, c’est la conceptualisation même de la philanthropie des femmes qui a contribué à son invisibilisation.

Tout d’abord, les pratiques philanthropiques des femmes sont le plus souvent analysées à l’aune de celle des hommes, afin de déterminer s’il existe des différenciations entre les deux. Ainsi, l’idée répandue selon laquelle « les femmes donnent du temps, les hommes donnent de l’argent » semble avérée. Elles donnent également à une plus grande diversité d’organisations, alors que la philanthropie des hommes est plus concentrée. En outre, elles ont tendance, plus que les hommes, à être engagées dans des formes collectives de dons, comme les « giving circles ». Ces résultats sont à nuancer car ils tendent à faire croire que la générosité des femmes est homogène et occultent la diversité des situations, essentialisant la catégorie même de philanthropie des femmes. Cependant, de nombreux travaux ont confirmé le rôle majeur des femmes dans les activités bénévoles – travail gratuit et invisible.

Ensuite, la philanthropie des femmes est aussi rendue invisible par le fait que le champ philanthropique est, comme la société, fortement structuré autour des couples. Un grand nombre de fondations sont créées par des couples. Dans le top 50 des donateurs pour l’année 2018, il y a 22 couples, 27 hommes seuls, 1 famille, 0 femme seule. Pourtant, c’est souvent l’homme qui est mis en avant, notamment médiatiquement – on pense à la Fondation Bill et Melinda Gates ou à la Chan Zuckerberg Initiative. De plus, on ne connaît pas la répartition des rôles entre les époux. Il arrive que les décisions se fassent conjointement mais également de manière séparée, comme Abby Aldrich Rockefeller, qui créa le MoMA, alors que son mari, qui « détestait l’art moderne », préféra investir dans les Cloisters. La question de la philanthropie des femmes apparaît alors complexe : doit-on prendre en compte seulement les femmes seules – célibataires, veuves ou divorcées ? Comment inclure l’action philanthropique des femmes en couple ? Par une action différenciée de leur mari ? Par leur rôle au sein de leur fondation commune ? La question reste ouverte.

L’invisibilisation de la philanthropie féminine tient aussi à ce que celle-ci fut longtemps dépendante de la fortune masculine, les femmes ne pouvant gagner ni dépenser leur propre argent sans autorisation d’un homme. Cette situation de dépendance est d’autant plus problématique qu’alors que le travail féminin participe activement à la production et reproduction de la richesse des familles, le capital au XXIe siècle reste résolument masculin. La philanthropie est tributaire de cet état de fait. Certaines grandes philanthropes s’inscrivent dans cette tradition, comme Liliane Bettencourt il y a quelques années (héritière de la fortune de son père Eugène Schueller, fondateur de l’Oréal), Laurene Powell Jobs (héritière de son mari Steve Jobs, fondateur d’Apple), Alice Walton (fortune héritée de son père, fondateur des supermarchés Walmart). Mais aujourd’hui émergent de plus en plus des femmes qui ont bâti leur propre fortune grâce à leur travail et qui développent une action philanthropique qui leur est propre, quelle que soit leur situation maritale – par exemple Sheryl Sandberg (COO de Facebook), Oprah Winfrey (présentatrice et productrice) ou Sara Blakely (créatrice de Spanx).

Les femmes, une opportunité pour le secteur philanthropique ?

La philanthropie des femmes gagne aujourd’hui en visibilité et apparaît comme une véritable opportunité de transformation pour le secteur.

L’émergence récente d’une philanthropie des femmes plus financière et plus indépendante des hommes conduit celles-ci à s’engager pour leur propre cause. Ainsi, la philanthropie des femmes veut parfois aussi dire philanthropie pour les femmes ou féministe, l’une s’attaquant aux conséquences des dominations de genre (et le fait que les femmes ont moins accès à la santé, l’éducation, etc.) tandis que l’autre est plus politique et tente d’agir en amont (par la défense des droits des femmes par exemple). Cet engagement est d’autant plus important que c’est une cause relativement peu soutenue de manière générale – en 2017, 7 % des fondations françaises déclarent agir en faveur des femmes et jeunes filles et aux États-Unis seul 1,6 % du total des dons vont à cette cause. C’est donc aujourd’hui un enjeu majeur.

Et l’on voit aujourd’hui une médiatisation et légitimation croissante de la philanthropie féminine. Certaines figures n’hésitent pas à prendre la parole, comme Melinda Gates, longtemps dans l’ombre de son mari, qui évoque publiquement le travail qu’elle a dû faire au sein de la fondation pour être entendue et son rôle dans le giving pledge. En outre, des réseaux de femmes philanthropes se constituent, notamment aux États-Unis, pour échanger et se soutenir. Ces développements conduisent à l’éclosion de nouveaux guides pratiques pour les professionnels qui souhaitent lever des fonds auprès des femmes, car celles-ci constituent un nouveau « marché » à « cibler », d’autant plus que les fortunes des femmes sont en pleine croissance – en 2019, le classement des plus grandes fortunes comptait un nombre record de 244 femmes.

Or les femmes, exerçant différemment la philanthropie, contribueraient, selon certains, à transformer le secteur philanthropique lui-même car elles « changent la donne ». Le don de MacKenzie Scott, encensé par la presse, est en ce sens révélateur : elle est à contre-courant de son mari longtemps considéré comme peu généreux – voire « radin » ; contrairement aux grands philanthropes qui donnent souvent à des institutions prestigieuses, comme leur université ou un grand musée, elle a donné à des institutions modestes vraiment dans le besoin ; elle a fait des dons non affectés – fait assez rare dans le milieu – permettant aux récipiendaires de décider de l’usage des fonds.

Se dessine ainsi une remise en cause de la philanthropie d’élite traditionnelle, celle des hommes blancs de plus de 50 ans, en quête de reconnaissance et de pouvoir, souvent centrée sur les désirs des donateurs plus que sur les besoins des récipiendaires. Dans la lignée de ce que certains professionnels appellent de leurs vœux, la philanthropie des femmes marque un vrai changement de paradigme, avec une philanthropie plus engagée pour la justice sociale et où les rapports de pouvoir sont questionnés.

Penser la philanthropie au prisme du genre

Il est aujourd’hui essentiel de penser la philanthropie au prisme du genre. D’abord parce que cela permet d’appréhender différemment les rapports de pouvoir propres à la philanthropie, et à celle des élites en particulier (la plus connue et médiatisée). De plus, parce qu’elle est révélatrice plus largement, des mécanismes de domination masculine et d’invisibilisation du travail des femmes à l’œuvre dans la société, activité de care (soin) peu valorisée et pourtant si essentielle. En outre, parce qu’elle montre comment l’émancipation et l’affirmation des femmes participent à construire une société plus juste et plus égalitaire. Enfin, penser la philanthropie au prisme du genre, c’est aussi penser la diversité de la philanthropie, et non seulement celle des grands milliardaires, pour s’intéresser à celles et ceux qui contribuent, souvent dans l’ombre, à aider les autres de différentes manières, redonner voix à ces invisibles de la philanthropie (donateurs invisibles, mais aussi professionnels ou récipiendaires) et faire un pas de côté pour comprendre la philanthropie dans toute sa diversité et sa complexité.

← Articles Précédents
Articles Plus Récents →
avril 2021
L M M J V S D
 1234
567891011
12131415161718
19202122232425
2627282930  
« Mar    

Stats du Site

  • 97 057 hits

Liens

  • Associations-patrimoines
  • La Fédération d'environnement Durable
  • Moelle Osseuse
  • Visite de Mirmande
avril 2021
L M M J V S D
 1234
567891011
12131415161718
19202122232425
2627282930  
« Mar    

Commentaires récents

protodiacre dans Meghan et Harry : ces « confes…
Светлана dans Donald Trump cerné par les…
Paf dans Le bilan économique des années…
Hervé Brient dans « Apocalypse snow » : la délic…
Paf dans L’humiliation comme méthode di…

Propulsé par WordPress.com.